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Le Califat,

Cadre politique sacré ou temporel ?

Problématique :

1) Quelles sont les structures politiques qui ont organisé les sociétés arabo-
musulmanes depuis le VIIème siècle jusqu'à nos jours?
2) Quels sont les sens (étymologiques et techniques) des mots : « Califat »,
« Calife », « Etat islamique», ḥukūma, dawla…?
3) Ces institutions ont-t-elles connu une certaine constance ou des ruptures tout
au long de l’histoire?
4) Pourquoi on invite à y retourner aujourd'hui ? Notamment dans les discours
djihadistes avec la volonté de restaurer l’Etat islamique? = C’est une sorte
d’ouverture sur les événements actuels.

Définition et question de départ:

Nous entendons par « cadre politique » : toute structure étatique qui détient le
pourvoir politique dans la société; le Califat étant l'entité suprême de ce pouvoir.
Cette entité avait pour fonction de gérer les affaires temporelles ou la vie en société,
les volets matériels.

Selon Max Weber, dans chaque cadre politique, au moins cinq volets sont nécessaires
pour remplir les fonctions d’un Etat :

1. Economie : Les structures productives.


2. Administration (rouages de la vie)
3. Organisation judiciaire (Les systèmes qui tranchent et arbitrent les litiges)
4. La fiscalité (les impôts)
5. Relations internationales (rapports aux puissances avoisinantes)

Le Califat, comme organisation politique, comment a-t-il conçu ces aspects?


1. Sens étymologique :

- Au sens étymologique, le terme « Califat » provient de la racine trilitère arabe :


KH. L. F  ‫ف‬/‫ل‬/‫;خ‬
- C’est un nom d’action qui signifie : succession. Il est dérivé du verbe Khalafa,
succéder/remplacer ou être le vicaire, le remplaçant qui gère les affaires par
procuration.
- Ce terme apparaît dans le texte coranique, mais sans la moindre référence aux
sens politiques, développés a posteriori.
- Le califat dans le Coran s’apparente davantage à l’idée de représenter Dieu sur
terre, idée liée à l'existence de l'homme sur terre en adéquation avec le concept
chrétien : « l’homme est créé à l'image de dieu ».
- Au sens coranique, le Califat est donc l’existence de l'homme sur terre. Comme
dieu se comporte bien, l'homme doit faire de même.
ُ ِ‫ض َخلِيفَةً قَالُوا َأتَجْ َع ُل فِيهَا َم ْن يُ ْف ِس ُد فِيهَا َويَ ْسف‬
﴿ ُ‫ك ال ِّد َما َء َونَحْ ن‬ ِ ْ‫اع ٌل فِي اَأْلر‬ ِ ‫َوِإ ْذ قَا َل َربُّكَ لِ ْل َماَل ِئ َك ِة ِإنِّي َج‬
)30( َ‫ك قَا َل ِإنِّي َأ ْعلَ ُم َما اَل تَ ْعلَ ُمون‬ َ َ‫ك َونُقَدِّسُ ل‬
َ ‫﴾ نُ َسبِّ ُح بِ َح ْم ِد‬

[2:30]
Lorsque Ton Seigneur confia aux Anges : "Je vais établir sur la terre un vicaire
"Khalifa". Ils dirent : "Vas-Tu y désigner un qui y mettra le désordre et
répandra le sang, quand nous sommes là à Te sanctifier et à Te glorifier ? » - Il
dit : "En vérité, Je sais ce que vous ne savez pas ! ».

Sens terminologique:

Ainsi, soulignons qu’au sens coranique, le régime califal n'a donc pas de
fondement religieux. Il n’est pas de mention coranique qui en évoque les fonctions,
les modes de désignation, l’évolution, la division des tâche….

a) Retour à la Jāhiliyya :
- En effet, et bien avant l’avènement de l’Islam, les pratiques politiques dans la
Péninsule arabe, au VIIe siècle étaient primitives. La Péninsule arabique a
connu une forme de monarchie primitive au Yémen.
- Il s'agissait de société clanique qui vivait sous la direction d'un chef tribal. On a
des tribus nomades ou sédentaires. Dans ces agglomérations sédentaires, on a
un chef tribal qui les dirigeait.
- Le système politique était fondé sur la vendetta/vengeance. C'est à dire si il y a
un meurtre c'est un enchaînement de vendetta. On a la solidarité tribale, toute
la tribu qui s'engage à prendre la vengeance, selon l’esprit du corps, analysé
par l’historien arabe Ibn Khaldūn (m. 1408).
- Cette société est animée par des valeurs éthiques comme la générosité, la
magnanimité... C'est le Chef tribal qui décide de partir, de séjourner (pour les
nomades).

b) Pendant la vie du Prophète (610-632) :


- Durant la vie du Prophète, ce terme ne véhiculait aucun sens politique.

Si on revient à son règne, nous notons la présence des deux périodes :

a) La période mecquoise (610-622) : phase clandestine ou le prophète n'a joué


aucun rôle politique, où les fidèles étaient persécutés par les mecquois. Pendant 12-
13ans, c’était une étape ou l’État n'existait pas. On ne parle pas de la moindre
perception politique. Penseur marocain Al-Jabri écrit en 1990 : La Critique de la
raison politique (traduit en français). Il y présente une autre thèse affirmant que
même les principes religieux présentaient une menace pour l'ordre social établi ;
notamment, la hiérarchie maître/esclave. L’équité entre fidèles, unicité de dieu,
patience, mais cela menaçait l'ordre social dans la hiérarchie entre maîtres et esclaves.
b) Période médinoise : 622-632 (622 date de l’hégire (l’Immigration) du
prophète de la Mecque à Médine (villesen Arabie saoudite). C'est là où il s'est installé
en tant que chef d’État :
- il mène des batailles contre les infidèles
- il se comporte comme un chef militaire
- Il conclut des accords avec les Juifs et les Chrétiens 
- Il signe des pactes communs,
- Il applique des peines (ḥudūd) contre les déviants/ délinquants.
- Il envoie des Missionnaires aux Puissances voisines (Romains à Byzance, avec
les Perses à Persépolis).
- Il fonde une Umma, une communauté : acte politique le plus fort.

c) Après la mort du Prophète :


- Le terme apparaît suite à la mort subite du Prophète en 632. Il désigne
désormais celui qui succède au prophète. On a choisi une figure emblématique
AbūBakr ((v. 573 - 23 août 634), compagnon et beau-père du prophète (père de
‘Aicha) pour devenir le premier calife.
- Il était celui qui gérait les cinq sphères temporelles. Il alterne à la fois la
dimension spirituelle (en tant que figure religieuse) et temporelle (en tant que
chef de la nouvelle Communauté de croyants = umma). Ses décisions seront
par la suite transformées et transcendées en un mode gouvernemental.
- Ce mode de gouvernement s'appuie sur la religion symboliquement. Dans ce
passage, la religion est davantage une source de légitimité, une matrice de
discours.
Cette institution califale n’est donc pas religieuse, ni sacrée ou
scripturaire, mais « improvisée » pour combler le vide étatique de la société,
vécu suite au départ du Prophète. Le Calife allait combler le vide.

d) Califat bien-guidé (al-Hilāfa al-Rāšida) :


Entre 633 et 660, on a connu ce qu'on appelle le Califat bien-guidé (al-
Hilāfaal-Rāšida) les quatre Califes qui succèdent après le prophète :
- Abū Bakr (

- ‘Umar

- Uthmān

- ‘Ali

Cette période a été hissée au rang d'une période idéalisée qui incarne l’équité absolue,
la justice absolue.

Il y a quatre traits :
1.Suivre le modèle politique du Prophète.
2.Poursuivre les conquêtes musulmanes
3.Amorcer l’organisation administrative
4.Consacrer la suprématie de l'élément de l'ethnie
arabe (considérée comme les maîtres du monde)
D) La Dynastie Umayyade (661-750), transfère de la capitale de Médine à
Damas, en Syrie.
- Conquêtes de l’Indus à la Péninsule ibérique.
- Dominance de l’élément arabe.
- Etablissement de l’islâm orthodoxe (sunnisme).
- Luttes contre les kharijites.
- Administration inspirée de l’empire byzantin.
- Etablissement d’une politique et fiscale.
- Sous ‘Abd al-Malik B. Marwān : imposer la langue arabe.
- Division de l’empire en provinces.
- Emergence de 4dīwān :

1) Harāj (fiscalité)

2) Rasā’l (correspondance)
3) Barīd (poste)

3) Jund (Armée)

4) Qazā (Justice).

Dynastie ‘Abbaside750-1258

- Capitale transférée à Baghdad


- Détachement des omeyade à al-Andalous
- Indépendance de facto des
- Aghlabides
- Tahirides
- Toulounides
- Safarides

- Retour à l’islam
- Age d’or en sciences et philosophie
- Haroun al-Rachid et ses deux fils
- Organisation judiciaire : Les cadis qui gèrent les affaires religieuses et
temporelles en se référant au Fiqh.

Empire ottoman : (1299-1923)


- Transfert de la Capitale du Califat vers Istanbul à partir de 1453.
- Donner une dimension impériale à au Califat : extension sur une échelle
mondiale : Europe de l’Est/ Asie/ Afrique.
- Division des régions en Provinces : wilāyāt : ‫ واليات‬avec un Wālī à la tête de
chaque Province, aidé par des Wazīr-s et des ‘Amil-s et Qā‘id-s.
- Marginalisation de l’élément arabe et dominance de l’élément turc.
- Emploi de trois langues : Osmanli/ arabe et Persan.
- Emploi de l’osmanli dans les échanges administratifs.
- Diffusion du rite hanafite.
- Sultanat de type « constitutionnel » 1876.
Déclin du califat :
- ‘Ali Abd al-Rāziq (1888-1966) :
- Ce penseur/Juge égyptien constate que le califat est une institution
humaine.
‫اإلسالم وأصول الحكم‬
« Islam et fondements de pouvoir »
- Le califat ne contient aucune sacralité divine/prophétique (deux sources de
légitimité) dans la conception islamique du pouvoir.
- Reconstruit les évolutions historiques du Califat en montrant qu’il était à
chaque étape une réponse historique improvisée aux nouveautés.
- Dénoncer les théorisations des Jurisconsultes/
FOUQAHA’ dans l’établissement de ce concept= Ils
étaient des fonctionnaires d’Etat qui aveint œuvré
pour légitimer des faits accomplis.
- Il a démontré l’influence de la littérature sassanide et sultanesque à créer
cette auréole.
- Son livre contient trois chapitres 1925 : a) rapports entre califat et islam
b) Forme de pouvoir politique en islam c) le califat dans l’histoire.
- 2014 : RETOUR DU CALIFAT DAECH :
‫الدولة اإلسالمية في العراق والشام‬.
1. Effacement des frontières géographiques de Sykes-Picot.
2. Application des peines légales.
3. Accueil des fidèles du monde entier.
4. Application des valeurs de l’islam primitif.

Conclusion :

Le retour au concept de « Califat » pourrait s’explique par:

A) Vouloir vivre l’imaginaire d’équité et de piété.

B) Refuser les modèles occidentalisés.

C) Jouer sur un symbole fédérateur.

Pour aller plus loin :

DJAIT H., La grande discorde, Gallimard, 1990.

AL-JABRI: La Critique de la raison politique, 1990.

GUIDERE Mathieu, Retour du califat, Gallimard, 2017.

Nejmeddine KHALFALLAH

Maître de conférences

nejmid@gmail.com

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