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EAN : 979-10-210-4422-7
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Dédicace
Introduction
II - L'occident latin
4 - L'ermite sur son éperon rocheux Le père Jean-François Holthof
VI - Un regard psy
44 - Interroger notre rapport à la solitude
45 - « Pour bien vivre la solitude, il faut bien vivre la relation » Jacques Arènes
Épilogue
Notes
Remerciements
Du même auteur
Introduction
La présence des ermites est attestée sur tous les continents et aussi loin
que l’on remonte dans le temps. Leur vie nimbée de mystère n’a cessé de
fasciner les hommes, elle les interroge, les interpelle. Aujourd’hui plus
encore qu’hier. Dans une époque marquée par la massification de la vie – de
l’omniprésence des mass media à la généralisation du mode de vie urbain
en passant par la standardisation des mœurs –, leur aptitude à vivre
retranchés de la communauté humaine nous rappelle que, nous aussi, nous
avons parfois besoin, pour notre propre équilibre, de nous retrouver dans un
seul à seul bénéfique. Ces champions du désencombrement intime nous
disent, par un salutaire effet de miroir, combien nos existences sont saturées
de soucis et de distractions. Leur choix assumé de mener une vie pauvre –
celles et ceux que j’ai rencontrés vivent avec moins de 800 euros par
mois –, dépouillée d’objets inutiles, contredit l’orientation foncièrement
consumériste de nos sociétés en validant, par leur expérience, cette simple
équation : on peut être heureux avec peu, pourvu qu’on le décide et qu’on le
vive en conscience. Pourvu, surtout, qu’on soit comblé de l’intérieur. Que
d’autres nourritures que les nourritures terrestres viennent nous rassasier.
Quand tant de personnes se plaignent de mener une vie sans finalité ni
orientation, les ermites sont convaincus que seul Dieu peut donner ce sens
qui fait tellement défaut à nos contemporains. Et ils mettent tout en œuvre
pour s’en approcher. On retiendra encore que dans un monde pollué par les
bruits et les images, ils font le choix du silence. Et qu’à l’heure où tout
semble s’accélérer (pour nous conduire où ?), ils mènent une vie structurée
autour de la prière et de la contemplation qui laisse le temps s’étirer sans
fin. Une vie qui, du reste, inspire des personnes apparemment éloignées de
la foi et désireuses de s’engager dans des démarches similaires.
La récente crise sanitaire a souligné combien nous sommes inégaux
quant à notre capacité à vivre la solitude. Et elle a suscité un regain d’intérêt
pour les solitaires au long cours. Mon propre désir de leur consacrer un
ouvrage est largement antérieur à cet épisode. À dire vrai, il a grandi et mûri
au fil des reportages que je leur ai consacrés pendant deux décennies au
moins comme journaliste au mensuel Prier puis à l’hebdomadaire La Vie.
Aussi bien l’écriture de ce livre prolonge-t-elle la motivation qui m’animait
alors et qui m’anime encore : rencontrer chaque fois que possible les
anachorètes d’aujourd’hui, m’imprégner de leur présence, comprendre ce
qui les motive et les fait vivre. Outre qu’elles répondent à ma curiosité, les
lignes qui suivent s’appuient sur le constat que s’il ne manque pas de livres
pour aborder la vie d’ermite, aucun n’embrasse d’un point de vue
interreligieux, et de façon un tant soit peu systématique, les modalités du
recours volontaire à la solitude et au silence, ni le sens que lui donnent, ici
et ailleurs, aujourd’hui comme hier, les spirituels des grandes traditions
religieuses. J’ai donc cherché à combler ce vide.
Portraits, rencontres, interviews, reportages : cette matière vivante, j’ai
voulu l’étoffer par une solide documentation qui retrace l’évolution de
l’érémitisme au fil des siècles et en spécifie les diverses formes selon les
aires culturelles et géographiques où il s’est développé. Et j’ai choisi à
dessein d’enchâsser ces deux approches dans un aller et retour constant
entre les données générales et leur incarnation dans des figures humaines et
des situations particulières.
On ne s’étonnera pas que l’érémitisme chrétien occupe une place
importante dans ce panorama car il s’est déployé abondamment dans
l’Église indivise des premiers siècles puis dans l’Église catholique et les
diverses Églises orthodoxes. L’espace dédié aux silencieux et solitaires des
autres traditions fait néanmoins un large pendant à celui réservé aux
disciples du Christ. J’ai par ailleurs choisi de présenter, comme en
contrepoint et pour élargir le propos, des personnes « hors cadre » religieux
et « hors norme », aux profils contrastés mais dont le retrait, dans la durée,
présente un même caractère spectaculaire et frappant. Pourquoi, dès lors, ne
pas aborder les ermites qui ont choisi de vivre la spiritualité du désert dans
les grandes villes et leur anonymat ? Pourquoi, encore, avoir exclu de mon
champ d’investigation les ermites itinérants, gyrovagues et autres fols en
Christ ? Ou les reclus et recluses qui exercent leur ascèse en se laissant bel
et bien enfermer pendant des années dans un lieu clos dont ils ne sortent
plus ? C’est que chacune de ces catégories pourrait, à elle seule, faire l’objet
d’un livre entier, et la matière de celui-ci est déjà considérable. D’autant
que les anachorètes du XXIe, pas plus que leurs prédécesseurs des siècles
passés, ne se laissent rencontrer facilement et demandent parfois une longue
marche d’approche.
De fait, celles et ceux qui font profession de solitude ont un caractère
bien trempé. Et si leur effort pour mener la vie angélique suscite, avec
raison, notre admiration, à tout le moins notre respect étonné, ils n’en
demeurent pas moins des hommes et des femmes avec leurs failles. Une
illustration vive m’en fut donnée lorsque je fus mis en contact avec une
anachorète perdue dans un lieu vraiment à l’écart, mais dont la proximité
géographique avec un autre solitaire, d’une confession différente, était
source de conflits (de territoire) à répétition. « Là où il y a de l’homme, il y
a de l’hommerie », disait saint François de Sales. De là à considérer que
« l’homme n’est ni ange ni bête, quand il veut faire l’ange, il fait la bête »,
comme l’a écrit Blaise Pascal, il n’y a qu’un pas… que je refuse pour ma
part de franchir, fort de la conviction que des hommes et des femmes sont
« déjà établis au-delà de la ligne du grand passage, goûtant les prémices de
l’éternité », ainsi que le suggère l’écrivain François Sureau à propos des
Chartreux. Dit autrement : aujourd’hui comme hier, l’être humain peut, en
des circonstances particulières, et moyennant une rude ascèse, approcher les
rives de la Réalité ultime. Non sans déjouer cet autre propos célèbre de
Pascal selon lequel « tout le malheur des hommes vient d’une seule chose,
qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre ».
Pourquoi, de fait, sommes-nous si inégalement disposés pour demeurer
longtemps à l’écart des autres ? Question en abîme, inépuisable. J’ai
néanmoins demandé à deux thérapeutes, l’un psychanalyste, l’autre
psychiatre, tous deux engagés dans un chemin spirituel, d’apporter leur
éclairage. Enfin, comment se nourrir aujourd’hui de la spiritualité du
désert ? En guise de réponse à cette préoccupation plus que jamais
d’actualité, je donne dans un dernier chapitre la parole à des personnes qui
ont expérimenté cet « érémitisme intériorisé » que d’aucuns appellent de
leurs vœux. Enfin, je propose, en complément de ces témoignages, des
adresses de lieux où l’on peut faire l’expérience essentielle du silence et de
la solitude librement consentie. Pour s’effacer du monde et, peut-être,
mieux le retrouver.
Un peu d’étymologie
Le mot « ermite » est dérivé du terme grec erémos qui veut dire « lieu
inhabité », « désert » : par extension, l’ermite est un « habitant du désert ».
L’adjectif formé à partir du substantif « ermite » donne « érémitique ».
Quant au terme « anachorète », il vient lui aussi d’un mot grec ancien,
anachorètès, « retiré du monde ». L’anachorète se met à l’écart pour faire
l’expérience de la Réalité ultime (Dieu) en se vouant à l’ascèse, du mot grec
askêsis, signifiant « exercice » ou « entraînement ».
On oppose souvent l’ermite au cénobite : ce dernier terme résulte de la
contraction des mots grecs koinos, qui signifie « en commun », et bios, qui signifie
« vie ». Le cénobite a pour lieu de vie le coenobium, un lieu communautaire
appelé par extension « monastère », du latin monasterium, mot lui-même issu du
grec monos, « seul ». Le moine est donc celui qui vit son seul à Seul avec Dieu au
milieu des autres moines dans un monastère. Mais le coenobium peut être aussi
une laure, c’est-à-dire un petit groupement d’ermites dont la vie solitaire est
enrichie de leur participation à certains offices ou réunions communautaires.
I
*1. Contrairement à l’Évangile de Jean, dont la structure est différente, les Évangiles de
Matthieu, de Marc et de Luc ont des ressemblances telles qu’il est possible de les mettre en
regard pour apprécier leurs points communs et leurs divergences. C’est cette possibilité que
désigne le terme « synoptique ».
2
*1. Le concile de Chalcédoine a défini les deux natures du Christ, vrai Dieu et vrai homme,
parfait dans sa divinité comme dans son humanité. Ses conclusions ont marqué une étape
essentielle dans le domaine de la théologie et sont acceptées, encore aujourd’hui, par les fidèles
des trois principales confessions chrétiennes : les orthodoxes, les catholiques et les protestants.
3
*1. Dans sa biographie de saint Antoine, Athanase mentionne parmi les beautés du désert
« l’absence de percepteur ».
*2. L’Historia monachorum in Aegypto raconte le voyage parmi les moines égyptiens effectué
en 394-395 par un groupe de sept pèlerins. Ce récit a été traduit en 404 par Rufin d’Aquilée.
*3. Le désert de Nitrie fut l’un des trois principaux foyers du monachisme chrétien naissant en
Égypte.
e
*4. Vies des Pères du désert est un ouvrage compilé au XVII siècle qui reprend les récits de
Théodoret de Cyr et de divers auteurs des Ve-VIe siècles.
II
L’OCCIDENT LATIN
4
e e
Le Moyen Âge (XI -XIII siècle), l’âge d’or
des ermites
Né près d’un siècle après saint Jean Cassien, saint Benoît de Nursie
(vers 480-547) est considéré comme le père des moines d’Occident. Sa
règle de vie monastique eut un impact majeur sur le monachisme européen,
qu’il structura, et, par-delà, sur la civilisation médiévale. Il grandit dans une
famille noble de la province de Nursie et lui-même vécut trois ans dans une
grotte de la contrée retirée de Subiaco, à soixante kilomètres de Rome. Il
s’y livra à une rude ascèse et dut, lui aussi, lutter contre des désirs charnels.
On rapporte qu’il fut tenté de retourner dans le monde pour y retrouver une
femme très belle rencontrée lors de son séjour à Rome. Et que, pour résister
à cette tentation, il se roula nu dans un buisson d’épines et d’orties,
s’immunisant ainsi contre toute tentation ultérieure. Sa réputation de
sainteté lui attira vite des admirateurs qui le persuadèrent de réformer un
monastère voisin. L’expérience s’étant soldée par un échec, il retourna à la
solitude, et attira de nouveau de nombreux disciples. Pour organiser leur vie
en communauté, il rédigea alors sa fameuse règle des moines, dont le
mouvement cistercien serait l’héritier. Dès le prologue, saint Benoît
distingue les formes de vie contemplative et affirme que la vie cénobitique
peut être considérée comme une préparation à la vie érémitique, moyennant
toutefois un entraînement si long et exigeant que bien peu de moines
peuvent prétendre à l’état des anachorètes, « c’est-à-dire des ermites, de
ceux qui ne sont pas portés par la ferveur novice de leur changement de vie,
mais par la longue probation d’un monastère, qui ont appris avec l’aide
d’une communauté à combattre contre le diable. Bien préparés dans les
rangs fraternels pour le combat singulier du désert, ils sont assez forts
désormais sans l’appui d’autrui, et suffisent, Dieu aidant, à combattre avec
leur seule main et leur seul bras contre les vices de la chair et des pensées ».
Vers 900, le prêtre Grimlaïc rédigea la Regula Solitariorum, une règle
de vie pour les ermites qui se présente comme un florilège de
l’enseignement des maîtres anciens. Sa rédaction semble avoir été justifiée
par le nombre déjà considérable de solitaires en Europe. Les références à
saint Benoit de Nursie y sont nombreuses. Ce dernier pourtant fut à
l’origine d’une réserve durable des moines d’Occident vis-à-vis de la vie
d’ermite, considérée comme une forme exceptionnelle sinon risquée de la
vie contemplative. Seul le monachisme irlandais fit une plus large part à
l’érémitisme. De fait, les moines irlandais, à la suite de saint Colomban
(vers 540-615), vinrent évangéliser le continent européen en s’imposant des
conditions de vie particulièrement austères et en mêlant solitude et
expatriation.
La période qui court du milieu du XIe siècle au milieu du XIIIe siècle est
en Europe, à bien des égards, un siècle d’or pour les ermites. Leur nombre
augmenta considérablement. « Il semblait que le monde entier se fût
transformé en ermitages », écrit ainsi saint Pierre Damien (vers 1007-1072),
lui-même moine ermite camaldule devenu ensuite évêque puis cardinal. Les
solitaires étaient partout, du nord de l’Angleterre au sud de l’Italie. « Les
montagnes du Latium, de la Toscane, de la Calabre sont alors peuplées
d’anachorètes, d’ermitages dispersés en petits groupes, où des disciples,
autour d’un maître, se soumettent aux macérations salvatrices. Peu à peu,
ces colonies de solitaires se regroupent en fédérations […]. Ce genre de vie
monastique, proposition d’un absolu refus du monde, de l’absolue pauvreté,
de la cellule et du silence […] connut une faveur croissante tout au long
du XIe siècle en raison de ce qui pouvait séduire en lui le monde
chevaleresque, ce qu’il supposait d’héroïsme physique, de maîtrise de soi,
son goût de la performance. Il se propagea peu à peu, s’implanta au cœur de
l’Occident », note l’historien Georges Duby 4.
À quoi tient cet essor considérable ? Selon Léopold Genicot, historien
italien qui a étudié l’érémitisme de cette période 5, « les villes devenaient,
au XIe siècle, suffisamment importantes pour détourner d’elles les âmes
religieuses ; elles ne l’étaient pas encore assez pour poser des problèmes
spirituels si graves que les meilleurs décidassent de se consacrer à
l’apostolat des masses urbaines ». Importante croissance urbaine,
stabilisation politique, essor du commerce, développement des
administrations seigneuriale, royale, religieuse : autant de causes socio-
historiques auxquelles il convient d’en ajouter une autre, non négligeable :
le relâchement des mœurs du clergé séculier qui pousse, dans le contexte de
la réforme grégorienne *1, certains prêtres à épouser, par réaction, la vie
solitaire. Illustration avec Robert d’Arbrissel (vers 1047-1117), prêtre
breton itinérant, devenu ermite dans la forêt de Craon et qui circula ensuite
en Anjou et au nord de Poitou avant de fonder, en 1101, le monastère
double de Fontevraud, placé sous la direction d’une abbesse. Ce n’est pas
un hasard non plus si les clercs ermites apparaissent au milieu du XIe siècle
pour connaître au début du siècle suivant une forme plus arrêtée via l’ordre
des chanoines réguliers des Prémontrés, fondé par saint Norbert (vers 1080-
1134). Enfin, la discipline érémitique et son idéal exigeant une relation
solitaire avec Dieu inspirèrent la réforme ou la création d’ordres religieux
associant érémitisme et cénobitisme. Citons, outre l’ordre des Camaldules
et celui des Chartreux (l’encadré ici-ici), l’ordre de Grandmont, ainsi que
l’ordre de Montevergine.
Né au mitan de cette période faste de l’érémitisme médiéval, saint
Bernard de Clairvaux (1090-1153) donna une expansion considérable à
l’ordre de Cîteaux. Rappelons que celui-ci fut fondé par Robert de
Molesmes (vers 1029-1111) pour réformer l’ordre bénédictin en lui
redonnant plus de rigueur et de vigueur. Auteur mystique considérable, en
même temps homme d’action qui s’opposa plusieurs fois aux rois de France
et prêcha la deuxième croisade, saint Bernard est l’auteur de la célèbre
formule : « O beata solitudo, O sola beatitudo ! » (Heureuse solitude, seule
béatitude !). Mais paradoxalement il fut le chantre de la vie communautaire
et émit de sérieuses réserves au recours à la solitude physique complète.
« Le désert, l’ombre de la forêt et la solitude des silences offrent en
abondance l’occasion de faire le mal […] le Tentateur approche en sûreté »,
écrit-il ainsi dans Sermons sur le Cantique des cantiques. Consulté par les
moines et les moniales qui souhaitaient s’installer dans la solitude, il était
peu enclin à s’y montrer favorable. Il n’en demeure pas moins que l’ordre
cistercien donna une impulsion nouvelle à une spiritualité marquée par
l’érémitisme en ce qu’elle privilégie le silence, le travail manuel (propice au
décentrement et à la prière continue) et le renoncement à soi. Du reste, un
des plus éminents représentant de cet ordre, Guillaume de Saint-Thierry
(vers 1085-1148), est l’auteur de la Lettre aux frères du Mont-Dieu, appelée
aussi Lettre d’or, un traité sur la vie monastique en solitaire écrit pour les
chartreux du Mont-Dieu qui eut et a encore un fort retentissement auprès
des contemplatifs.
Créés au début du XIIIe siècle, les ordres mendiants *2 ne furent pas en
reste. Saint François d’Assise (1182-1226) composa une Règle pour les
ermitages. Ce bref écrit atteste de l’attirance du Poverello et de ses frères
pour la solitude dès les débuts de l’ordre franciscain. Les pèlerins peuvent
aujourd’hui encore visiter les divers ermitages qui ont jalonné sa courte vie
terrestre comme celui situé au-dessus du village de Poggio Bustone et de la
plaine de Rieti. Venu là une première fois en 1208, François repéra une
grotte dans la montagne et s’y retirait chaque fois qu’il se rendait dans ce
qui devint vite un haut lieu franciscain, siège du couvent San Giacomo.
Pour conserver la mémoire des séjours solitaires de ce saint universel, une
petite chapelle fut construite au XVe siècle dans la montagne. Ce sanctuaire
prit le nom de « l’ermitage de la miséricorde de Dieu ». Frère François y
aurait reçu trois assurances : celle du pardon de ses péchés, celle de l’avenir
de sa fraternité, celle que son ordre attirerait une multitude venant de tous
pays. L’ermitage de Fonte Colombo est pour sa part considéré comme le
« Sinaï franciscain » car c’est là que François se retira en 1223 pour rédiger
sa deuxième règle. Fonte Colombo abrite toujours le noviciat des Frères
mineurs. Enfin, à proximité du village de Greccio, François et ses frères
trouvèrent des grottes creusées dans le rocher qui leur servirent d’ermitages.
Sur ce lieu fut construit un couvent. On peut y visiter la roche où François
se reposait, le vieux dortoir avec ses cellules du XIIIe siècle, ainsi que le
chœur des religieux. « Le saint séjournait volontiers au couvent de Greccio,
à la fois parce qu’il le voyait riche de pauvreté, et parce que dans une
cellule construite au sommet d’un rocher, très à l’écart, il pouvait
s’abandonner à la contemplation en toute liberté », écrit Thomas de Celano
(1190-1260), le premier hagiographe de François dans sa Vita secunda.
Quant à l’ordre du Carmel, composé de carmes (hommes) et de
carmélites (femmes), il revendique pour père spirituel le prophète Élie. Il a
été fondé par des ermites sur le mont Carmel en Palestine à la fin
du XIIe siècle. Ces premiers carmes quittèrent leurs ermitages au début
du XIIIe siècle pour se réfugier en Europe. L’ordre érémitique initial se
transforma en ordre monastique mais garda une spiritualité marquée par le
désert et le silence. Il a donné au catholicisme des figures éminentes de
sainteté comme Thérèse d’Avila, Thérèse de Lisieux et Jean de la Croix,
tous trois par ailleurs docteurs de l’Église. Toujours au XIIIe siècle, il
convient de signaler la naissance en 1243 des Ermites de Saint-Augustin,
devenu ensuite l’ordre de Saint-Augustin. Cet ordre mendiant se réfère à la
règle du même nom et fut créé à l’initiative de quatre ermites désireux
d’unifier des groupes d’anachorètes situés dans diverses régions de
l’actuelle Italie, qu’ils représentaient. À cette fin, ils obtinrent une audience
auprès du pape Innocent IV, et ce dernier les aida à se doter de statuts
communs.
Après le XIIIe siècle, la vague des ermites reflue considérablement. Si
l’on en croit Serge Bonnet et Bernard Gouley, « les trois siècles suivants,
avec leur cortège de catastrophes – Grande Peste, guerre de Cent Ans,
guerres de Religion –, voient s’estomper les traces de solitaires et l’on
perçoit surtout, à travers les chroniques, des ermites un peu vagabonds ou
un peu maquisards. Après le concile de Trente (1545-1563), la pratique du
désert a diminué dans de telles proportions que l’on peut parler de quasi-
extinction 6 ».
Les ermites médiévaux hors institutions
religieuses
Si la vie solitaire vécue dans le cadre d’un ordre religieux, principalement
monastique, nous est mieux connue parce qu’elle a été consignée par les clercs,
elle ne saurait résumer à elle seule la vie solitaire, à la fois redoutée et vénérée
par l’homme médiéval. Dans les romans et récits du Moyen Âge, les ermites sont
nombreux et ont souvent un rôle influent. Ainsi des ermites hors institution, hors
« contrôle » et très populaires, alors que l’Église officielle ne cessa de marquer sa
réticence à leur égard au motif qu’ils étaient souvent incultes, n’avaient pas de
règle et professaient une foi vite déviante. Pour la plupart d’origine modeste, laïcs
ou clercs indépendants des ordres religieux, ils partageaient la culture du petit
peuple. La forêt fut souvent leur désert. Un désert symbolique mais aussi un lieu
indéniablement investi par les hommes de ce temps, qu’ils soient voyageurs et
pèlerins ou paysans venus y chercher le bois de chauffage, la nourriture des
troupeaux comme la leur (baies, fruits et champignons, ainsi que la viande du
gibier). À côté de ces solitaires fixés en quelque lieu à l’écart, il faudrait ajouter les
ermites vagabonds qui allaient sans cesse d’un lieu à l’autre, errant de
sanctuaires en sanctuaires, étrangers sur la terre, dont on sait cependant encore
moins de choses.
Camaldules et Chartreux : des ordres
de moines ermites qui traversent
le temps
Saint Romuald (vers 950-1027) est le fondateur de l’ordre des Camaldules, du
nom du lieu où cet ordre prit racine : Camaldoli, en Toscane. Cet endroit
historique, situé dans un lieu enchanteur, est aujourd’hui fréquenté par de
nombreux touristes et pèlerins. On peut y croiser, près du bâtiment principal, des
moines menant la vie communautaire et qui ne portent pas nécessairement leur
habit traditionnel. Ou, un peu plus haut dans les collines et en retrait, apercevoir
les maisons-ermitages protégées par une enceinte, où les religieux davantage
attirés par la solitude viennent, prient et travaillent seuls, en silence. Les
camaldules peuvent mener alternativement l’une et l’autre forme de vie. La
congrégation de ces moines ermites camaldules s’est ralliée en 1965 à la
confédération bénédictine. Quant à la congrégation de Monte Corona, ou
Compagnie des ermites de Saint-Romulad, elle fut fondée par un camaldule
réformateur, le bienheureux Paul Giustiniani (1476-1528), un humaniste vénitien
qui créa une règle s’apparentant à celle des Chartreux. Situé dans le diocèse de
Pérouse, l’ermitage de Monte Corona est devenu assez vite le monastère de
Monte Corona. C’est depuis 1990 l’un des trois monastères de la branche
masculine de la Famille monastique de Bethléem, elle-même créée dans le sillage
des communautés nouvelles (Renouveau charismatique) et inspirée par le modèle
des laures du christianisme oriental et des Chartreux.
Ces derniers revendiquent volontiers la formule : « Jamais réformés parce
que jamais déformés. » Fondée à la fin du XIe siècle par les efforts conjoints de
Bruno le Chartreux, appelé aussi Bruno de Cologne (vers 1030-1101), et
d’Hugues, l’évêque de Grenoble, le monastère de la Grande Chartreuse, située
en Isère, est la maison mère de cet ordre qui comptait en 2018 dix-sept
monastères de moines (dont trois en France) et cinq monastères de moniales
(dont deux en France). Sorti en 2005, le documentaire fleuve Le Grand Silence a
levé quelque peu le voile sur la vie à la Grande Chartreuse, où il a été tourné.
« La Chartreuse ne propose aucun religieux aux procédures de canonisation. On
les dirait déjà établis au-delà de la ligne du grand passage, goûtant les prémices
de l’éternité, si c’est possible. Rien chez les Chartreux qui soit forcé. La
Chartreuse, dans son vœu de silence et de solitude, diffuse malgré elle une
lumière puisque sa puissance particulière porte jusqu’à nos regards voilés
quelque chose de la beauté de la création », explique l’écrivain et avocat François
Sureau sur France Culture dans sa chronique du 18 août 2020 dédiée à la
chartreuse de Petit-Quevilly (Seine-Maritime). Les chartreux partagent leur vie
entre la solitude de leur « ermitage » – une maisonnette où ils dorment, prennent
leurs repas, travaillent et prient seuls – et des moments de vie commune qui se
résument à la participation quotidienne à la messe et aux vêpres, ainsi qu’à l’office
des vigiles (de mâtine) chanté au milieu de la nuit. Les dimanches et jours de fête,
ils déjeunent ensemble à midi et ont une récréation commune. Une fois par
semaine, ils font également une promenade communautaire, le « spaciement » :
l’occasion de cheminer deux par deux et de parler. L’existence des chartreux
exige une rare abnégation, ainsi qu’un solide équilibre psychique et physique. Et
si les appelés ne manquent pas, bien rares sont les élus.
*1. La réforme grégorienne est une politique entamée par Léon IX, pape de 1049 à 1054,
poursuivie par Grégoire VII, pape de 1073 à 1085, qui lui a donné son nom, puis par ses
successeurs. Elle fut menée trois siècles durant pour sortir l’Église catholique d’une crise
généralisée qui affectait notamment la réputation des clercs et leur indépendance.
*2. Les ordres mendiants se consacrent à la prédication de l’Évangile et au service des pauvres.
Leur création a été soutenue dès leur origine par Innocent III, pape de 1160 à 1216.
6
7
Devenir prière et faire silence : ce serait là le travail
de l’ermite ?
Dans la vie érémitique, on tend à s’établir dans un silence intérieur. Or,
le silence extérieur favorise beaucoup le silence intérieur. Je l’ai moi-même
vérifié après avoir longtemps vécu à Liège dans un bruit de fond permanent.
Notre-Dame-de-la-Fagne est une terre de Dieu, en ce sens qu’on y est
comme propulsé dans une dynamique favorable au recueillement. Lequel
rend davantage présent à la Présence. Présence qui peut devenir sensible,
mais c’est rarissime. Pour ma part, j’ai connu quelques moments privilégiés
où je me suis sentie habitée par le Christ. Mais la plupart du temps, on est
posé dans une présence de foi : on sait, dans la foi et l’espérance, qu’Il est à
nos côtés. Vous savez, la vie d’ermite comporte, comme toute vie, des hauts
et des bas. Dans la vie de couple aussi, on peut se sentir parfois un peu
seul(e). Mais Dieu, Lui, ne nous abandonne jamais. Comme l’a écrit
Gustave Thibon, « la foi consiste à ne jamais renier dans les ténèbres ce
qu’on a entrevu dans la lumière ».
Notre quotidien est rythmé par le chant des oiseaux de la forêt et il n’est
pas rare que nous apercevions des chevreuils ou des sangliers. C’est,
indéniablement, un facteur d’équilibre et de paix. Nous l’éprouvons au long
des saisons, qui toutes ont leur charme. Les pèlerins nous disent, eux aussi,
combien la beauté de la nature et le calme leur font du bien quand ils
séjournent ici. Pour moi, vivre à la campagne, c’est comme revenir sur sa
terre, au sens biblique du terme, sur son humus. Ou, plutôt, cela revient à
retourner à la maison car la nature est le milieu originel de l’homme. Je
comprends la fascination pour la grande ville, lieu de rencontres et où la vie
culturelle peut s’épanouir. Mais l’enfermement urbain qui sévit aujourd’hui
pose tout de même bien des questions. L’homme est-il fait pour vivre à ce
point hors sol ? Je n’en suis pas sûre. En tout état de cause, la nature est le
lieu où Dieu nous parle d’une façon privilégiée : la Création parle du
Créateur. C’est, pour moi, une évidence.
*1. Petite sœur : c’est ainsi que se font appeler les sœurs ermites de la Fraternité Notre-Dame-
du-Désert.
*2. Elles étaient huit quand petite sœur Élie-Emmanuel a rejoint la laure.
*3. Monastère de moniales bénédictines situé près de la ville de Saint-Hubert, en Belgique.
*4. Mgr Antoine Bloom (1914-2003), évêque chargé du diocèse orthodoxe de Grande-Bretagne
rattaché au patriarcat de Moscou, fut un écrivain spirituel de renom et une figure importante de
l’orthodoxie contemporaine.
*5. L’Énnéagramme détermine, au départ, neuf configurations différentes de la personnalité,
neuf manières de se définir. Ces énnéatypes s’entrecroisent finement et ne sont pas figés.
7
Faisons une large ellipse qui nous conduit du XIIIe au XVIIe siècle car lui
aussi peut être considéré comme un siècle d’or pour les ermites. Certes, les
trois siècles précédents ne furent pas d’absolus trous noirs. Comme en toute
époque, fût-elle particulièrement sombre, des mystiques ont continué à faire
vivre l’idéal érémitique. Qu’on pense à Nicolas de Flue (1417-1487), le
saint patron de la Suisse, qui quitta sa femme et ses dix enfants à 50 ans
pour s’installer près de son village natal en solitaire et qui aurait vécu
pendant dix-neuf ans sans autre nourriture que l’eucharistie. Ou au
bienheureux Paul Giustiniani, le réformateur des Camaldules. Quant à
Ignace de Loyola (1491-1556), le fondateur de la Compagnie de Jésus, on
sait que sa conversion s’est opérée durant sa convalescence, à la suite de
blessures de guerre. Et qu’il ne songea plus, pendant un temps, qu’à adopter
une vie d’ermite. Sa pérégrination le conduisit à l’abbaye bénédictine de
Montserrat près de laquelle vivaient de nombreux solitaires, dont il partagea
la vie, ainsi qu’à Manrèse, où il reçut une illumination après avoir subi des
tentations communes aux solitaires. Pour sa part, Thérèse d’Avila (1515-
1582) rêvait, enfant, d’imiter les anachorètes du mont Carmel et elle rétablit
une stricte solitude pour les religieuses carmélites. On doit aussi à ces
siècles des ouvrages sur la vie en solitude qui comptèrent, en particulier
ceux écrits par Denys le Chartreux (1402-1471) : Éloge de la vie solitaire,
Livre de vie des recluses ou La Voie étroite du salut et le mépris du monde.
Dans ce dernier livre, celui qu’on surnomma « le docteur extatique » fait
valoir : « Si nous ne pensons pas toujours Dieu nous être présent, notre
solitude sera misérable, et nous serons malheureusement seuls, à défaut
d’être heureusement solitaires. » Rappelons aussi que les peintres
multiplièrent pendant ces siècles les représentations des ermites
archétypaux que sont saint Antoine et saint Jérôme.
Reste qu’il faut attendre la fin du XVIe siècle et le Grand Siècle pour
retrouver un puissant mouvement qui pousse à nouveau des hommes et des
femmes vers le désert. « Cette poussée est spontanée […] elle se fait
individu par individu, dans un élan dont les archives comme nos humbles
monuments de campagne ont gardé des traces 8 ». Les anachorètes des
premiers siècles et leurs renoncements radicaux aux plaisirs de la vie
fascinent de nombreux esprits. C’est l’époque où Robert Arnauld d’Andilly
(1589-1674), qui fut au nombre des solitaires de Port-Royal, compose une
« Ode sur la solitude » puis rassemble et traduit en français les Vies des
saints Pères du désert, ainsi que L’Échelle sainte de saint Jean Climaque.
Les ouvrages sur la vie en solitude se multiplient, tel celui publié en 1647
par Guillaume Colletet sur Le Bonheur de la vie solitaire représenté par la
retraite des anciens ermites du mont Valérien. De fait, dès le bas Moyen
Âge, des solitaires s’installèrent sur cette colline qui surplombe Paris et la
vallée de la Seine. En 1616 fut édictée une « règle des ermites » du mont
Valérien destinée à des laïcs portant l’habit religieux et ayant adopté des
vœux temporaires. Ils habitaient des maisonnettes dotées de jardin, tout en
vivant du fruit de leur travail, en particulier de la vigne, et étaient placés
sous la responsabilité de l’archevêque de Paris. Ce dernier mettait à leur
disposition des prêtres, notamment Louis-Marie Grignion de Montfort
(1673-1716), un représentant majeur de l’école française de spiritualité *1,
qui exerça cette charge pastorale au cours de l’hiver 1703-1704.
Un mouvement de (re)colonisation par les ermites des sites érémitiques
abandonnés durant les guerres de Religion s’étendit à toutes les régions.
Chacune ayant son solitaire célèbre, vénéré et consulté. Ainsi de Pierre
Séguin (1558-1636), surnommé « le reclus de Nancy ». Après avoir eu une
vie itinérante et agitée au service de la Ligue *2, il mena sur les hauteurs de
la capitale ducale (sur le plateau de Brabois) pendant trente et un ans une
vie retirée du monde, de prière et de pénitence et commença à traduire les
mystiques espagnols. Ainsi encore de René Va (1617-1691), l’ermite de
Compiègne, installé sur le mont Saint-Marc ; d’Hubert Jaspart (1582-
vers 1655), l’ermite du Hainaut ; de Jeanne Marguerite de Montmorency
(1645 ? – 1700), « la solitaire des Rochers » installée dans les Pyrénées,
dont la correspondance avec son directeur spirituel, le père Luc de Bray,
nous est parvenue 9. Où vivaient ces ermites ? Le plus souvent dans une
cabane ou une chapelle. De quoi ? Parfois d’aumônes, certains étant
entretenus par les autorités locales qui attendaient d’eux une intercession
pour la protection divine et espéraient tirer profit des dépenses engagées par
les pèlerins venus voir les saints personnages. Beaucoup remplissaient des
missions d’intérêt général, tels les ermites sonneurs qui sonnaient le tocsin
en cas d’incendie ou la cloche pour les égarés et les trépassés. Tels, encore,
les ermites gardiens de phares ou de cimetières. Et les ermites guérisseurs
ou infirmiers pour les pestiférés.
Comme dans les siècles précédents, ces solitaires se rassemblaient
parfois pour former de petites communautés. Pas seulement au mont
Valérien mais aussi à Provins, à Saint-Sever, à Cahors, entre autres. Dès
lors, ils s’orientaient plus ou moins vers une forme de vie cénobitique et se
dotaient de règlements. C’est ainsi que Michel de Sainte-Sabine (1570-
1650), prêtre ermite réputé pour son austérité, auteur du Paradis de la
solitude, méfiant à l’égard des imposteurs, faux mendiants et autres esprits
rebelles, se mit en devoir de former d’authentiques anachorètes et rédigea à
leur intention L’Institut. Ce règlement en vingt-deux articles inspira nombre
de congrégations de solitaires et fut imité par Fénelon lorsqu’il rédigea à
son tour des règles dans L’Institut des ermites du diocèse de Cambrai.
Diocèse dont il était l’archevêque et qui en comptait alors pas moins de
cinquante.
Quant à l’ordre déjà existant des Capucins, une branche de la famille
franciscaine devenue indépendante en 1619, il était très favorable à la vie
érémitique, jusqu’à se présenter comme la branche des « ermites
franciscains » et adopter une tenue classique ad hoc : robe de bure
grossière, capuce (capuchon triangulaire), barbe non taillée, propreté
approximative… Prédicateurs itinérants et populaires, ils parcouraient villes
et campagnes où ils ne manquaient pas de rencontrer des ermites locaux et
de converser avec eux.
Les solitaires de Port-Royal
L’histoire de l’abbaye de Port-Royal est étroitement liée à celle du jansénisme.
Cornelius Jansen dit Jansénius (1585-1638), évêque d’Ypres, donna son nom à
ce mouvement religieux aux implications politiques qui se développa aux XVIIe et
e
XVIII siècles, en France principalement. Jansénius, dans un texte considéré
comme fondateur, l’Augustinus, s’opposa aux Jésuites en leur reprochant de
minimiser le secours de la grâce divine, sans laquelle les hommes seraient
incapables de faire le bien, et en arguant que c’est la position droite soutenue par
saint Augustin et, par extension, celle de l’Église catholique. La polémique eut
aussi des accents philosophiques car elle opposait deux visions de l’homme (plus
ou moins pessimistes) et de sa liberté humaine (niée ou affirmée). Elle enfla et se
caricatura entre défenseurs d’un strict augustinisme (du moins revendiqué comme
tel) et partisans des Jésuites. Les premiers eurent le soutien d’une partie du
clergé – dont l’hostilité envers la Compagnie de Jésus était grandissante – et de
divers théologiens et penseurs, en particulier de Blaise Pascal, qui prit fait et
cause pour eux dans Les Provinciales. Les seconds eurent l’appui de la papauté,
dont les jansénistes avaient critiqué les dérives. Le Vatican les condamna
en 1653. Les Jésuites reçurent également un vigoureux appui du pouvoir royal –
via le cardinal de Richelieu en particulier –, auquel les partisans de Jansénius
reprochaient son absolutisme. Par la suite, le jansénisme a souvent été assimilé à
une forme de rigorisme sévère et excessif sur le plan moral, religieux et spirituel.
Quant à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs, occupée initialement par des
cisterciennes et située dans la vallée de Chevreuse, elle fut un épicentre du
jansénisme car nombre de ses partisans vinrent s’y retirer. À commencer par Jean
Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran (1581-1643). Cet ex-collaborateur
de Jansénius faisait de la solitude une exigence pour le vrai chrétien. Il exerça
une fascination sur son entourage et attira à lui des esprits brillants. « Il disait
souvent qu’il n’y avait point de meilleur moyen pour ceux qui commencent que de
se séparer premièrement de tout commerce avec le monde, puis de se renfermer
dans quelque communauté bien réglée, ou avec un petit nombre de serviteurs de
Dieu, avec lesquels on tâche de vivre dans la séparation que nous venons de
décrire, en se réglant néanmoins par leur bon exemple, et profitant de leurs avis
dans les rencontres », écrit Claude Lancelot (1615-1695) dans ses Mémoires
touchant la vie de Monsieur de Saint-Cyran. Lui-même était un grammairien qui
rejoignit à l’abbaye de Port-Royal Antoine Le Maître. Ce dernier, jeune et brillant
avocat, conseiller d’État, fut l’initiateur de ce regroupement de solitaires dans une
communauté séculière. Il renonça, à 30 ans, à une carrière prometteuse pour se
retirer dans une dépendance du monastère, convaincu de la nécessité de fuir le
monde car il considérait qu’« il faut être malade dans l’âme et possédé de quelque
passion mauvaise pour l’aimer ».
À sa suite viendront Robert Arnauld d’Andilly, conseiller d’État spécialiste des
questions financières, proche de Marie de Médicis, esprit fin et cultivé, grand
traducteur à qui l’on doit la publication des Vies des saints Pères du désert, par
ailleurs passionné d’arboriculture. Viendront aussi plusieurs médecins, notamment
Hamon, auteur d’un Traité de la solitude. Et d’autres notables dont un maître des
comptes à Rouen et deux maîtres des requêtes. « Le petit groupe des solitaires
de Port-Royal est de taille très réduite. En 1646, ils ne sont encore qu’une
douzaine, et ils excéderont rarement la vingtaine. Très épisodiquement, ils
peuvent atteindre la centaine. Mais ils irritent profondément le pouvoir royal,
auquel ils font l’affront de préférer la solitude au monde de la cour.
Périodiquement dispersés, ils forment une petite communauté où se côtoient
médecins,
magistrats, militaires, hommes de lettres, ecclésiastiques, et mènent une vie
certes retirée, mais pas non plus totalement coupée du monde », souligne
Georges Minois dans son Histoire de la solitude et des solitaires. Et de
poursuivre : « Les gens du voisinage regardent avec étonnement ces graves
messieurs qui, en silence, les uns derrière les autres, récitant leur chapelet, se
rendent à l’église paroissiale. Au couvent, ils résident dans un bâtiment séparé, et
s’occupent à des travaux divers, bricolage, jardinage, promenade dans les jardins
et dans un petit bois appelé “la Solitude”, lecture et écriture. » Non sans évoquer
les excès, pourtant désapprouvés par l’abbé de Saint-Cyran, de certains de ces
anachorètes nouveau style, fascinés par leurs prédécesseurs des déserts
d’Égypte : tel ne change jamais de chemise ; tel autre est en guenilles et mange le
pain des chiens. Quant à Antoine Le Maître, à l’origine de cette aventure, on le
trouve fréquemment au pied d’un arbre, au fond de la forêt, absorbé dans ses
méditations et sa solitude au point qu’il ne prend pas garde à ceux qui passent à
proximité.
D’autres solitaires de Port-Royal sont surtout connus pour leur humilité.
L’Histoire a retenu l’exemple de La Petitière, ancienne meilleure épée de France,
ex-garde du corps de Richelieu, fabriquant des souliers pour les religieuses. Ou
celui de Saint-Gilles d’Asson, ancien étudiant en Sorbonne, auteur du Journal
d’un solitaire de Port-Royal, qui faisait office de menuisier dans un petit logis
couvert de chaume.
*1. L’école française de spiritualité désigne un courant spirituel né au XVIIe siècle, dans un
contexte de développement de l’esprit scientifique et humaniste, selon lequel Dieu ne peut pas
être expérimenté. Dès lors, s’est imposée l’idée qu’il faut en revenir à l’homme Jésus, qui a bel
et bien existé, et, à partir de lui, remonter à Dieu. Les principaux représentants de ce courant
étaient animés par le désir de rendre grâce à Dieu pour l’amour sensible (humain) de Jésus à
l’égard de chaque homme.
*2. La Ligue s’était donné pour but la défense de la religion catholique contre le protestantisme.
Un temps influente, au point de menacer la monarchie, elle déclina après les victoires du roi
Henri IV.
8
e
La relégation des ermites aux XVIII et
e
XIX siècles
Et l’ascèse ?
À dire vrai, je ne suis pas très ascétique… Je me lève tôt, entre 4 heures
et 5 heures du matin, mais ne cherche pas spécialement à me priver de
sommeil. Je mange frugalement, autant que possible les produits de mon
jardin, auquel je consacre beaucoup de temps, mais ne refuse pas les
propositions de manger à l’extérieur, a fortiori quand ce sont des pauvres
qui m’invitent. Si on m’offre de la viande, j’en mange et je prends plaisir à
goûter les plats qu’on me sert. De même que le recours à un père spirituel
est important quand on vit en solitude, car on peut vite déraper, l’ascèse a
toute sa place dans la vie monastique et d’autant plus dans la vie
érémitique. Ce qui suppose, du moins au début, un cadre, l’observance
d’une règle de vie et d’un horaire précis. Reste que je suis plutôt brouillon
et que l’ascèse n’est pas un absolu ni une fin en soi, pas plus que la vie
d’ermite, d’ailleurs. Chacun, selon son tempérament, mettra l’accent sur tel
ou tel de ses aspects. L’ascèse essentielle étant, je crois, d’aller au fond du
cœur à la rencontre du Christ, et de lui donner toute la place. Ne perdons
pas de vue, par ailleurs, que quand on donne un verre d’eau à un frère qui le
demande, le Dieu que l’on rencontre est plus vrai que celui qu’on aura
quitté. N’oublions pas, non plus, l’ascèse de ceux qui se soutiennent, se
donnent et se pardonnent dans le mariage, la rencontre et le service des
autres.
Aller à la rencontre des autres – par exemple pour baptiser leurs enfants,
partager un repas ou aller à la pêche – et sortir un peu est un facteur
d’équilibre, quelquefois une nécessité évangélique. Je ne suis pas attaché à
mon ermitage comme une chèvre à son piquet ! [rire], et ne sépare pas ma
vie de prière de mon engagement en Église, lequel se nourrit de la
conviction intime que la vie contemplative n’est pas réservée aux seuls
religieux mais offerte à tout chrétien, les pauvres tout particulièrement.
Voyez, j’aime beaucoup cet apophtegme qui met en scène abba Antoine, un
ermite du IVe siècle, en Égypte. Celui-ci priait dans sa cellule et voulut
savoir à quel niveau de vie spirituelle il était arrivé, lorsqu’une voix lui dit :
« Tu n’es pas encore parvenu à la mesure d’un cordonnier d’Alexandrie. »
Alexandrie était une grande ville pleine de vices et d’excès. L’abba quitta le
désert, se rendit chez le cordonnier et lui demanda comment il vivait. Le
cordonnier lui répondit qu’il donnait un tiers de son revenu à l’Église, un
second tiers aux pauvres et gardait le reste pour lui et sa famille. Cette
œuvre ne parut pas extraordinaire à Antoine qui avait lui-même abandonné
tous ses biens et vivait au désert dans une entière pauvreté. Là n’était donc
pas la supériorité du cordonnier. L’humble artisan lui dit : « Je ne vois pas
ce que je fais de bien ; seulement, en travaillant, je prie pour tous les
habitants d’Alexandrie, dont la majorité ne connaît pas le Seigneur et je
dis : “Seigneur Jésus, dans ta grande miséricorde, que tous les habitants de
cette ville soient sauvés, même si je dois vivre en enfer.” » L’ermite rentra à
son désert grandement édifié. Moi-même, je rencontre des gens très simples
qui m’édifient par leur vie intérieure d’une grande profondeur…
Sœur Claire (elle a voulu changer son prénom) est une « jeune » ermite.
Jeune parce qu’elle est née en 1976 quand, dans leur grande majorité, les
solitaires en France sont nés dans les années 1940 ou 1950. Comme, du
reste, la plupart des religieux et religieuses d’Occident. Jeune ermite
également parce qu’elle ne mène la vie monastique en solitude que depuis
quatre années. Une ermite jeune et moderne, donc, qui ne cache pas que son
ascèse ne porte pas tant sur le jeûne de nourriture que sur la modération
dans la lecture des sites de presse auxquels une amie l’a abonnée, ou dans
l’usage des réseaux sociaux et des emails. Toutes activités vite débordantes
et dispersantes mais auxquelles elle a recours pour se tenir au courant de la
marche du monde et entretenir un réseau utile à son travail. Ermite
diocésaine, elle doit, de fait, gagner sa vie et être financièrement autonome.
Artiste mosaïste, elle vend ses œuvres en organisant des expositions ici ou
là, à Paris également. Ou en recevant les acheteurs potentiels dans son lieu
de vie.
C’est là que je l’ai rencontrée. « Je vous attends donc un peu avant
10 heures, derrière le calvaire à gauche. Il y a une cloche à côté d’un
portillon en bois pour signaler votre arrivée », m’avait-elle écrit par mail.
Après que je lui avais adressé ma demande de rencontre, elle avait attendu
un bon moment avant de me faire parvenir ce premier message : « Je
réfléchis à la possibilité de vous rencontrer et de répondre à vos questions.
Afin de me rendre compte du travail que vous menez sur le sujet de
l’érémitisme […] aurait-il été possible d’en lire quelques pages ? » Je lui
avais envoyé mon texte sur le père Holthof. Elle m’avait répondu : « Merci
pour ce beau portrait du père Jean-François. Nous pourrions nous rencontrer
dans le cadre de la rédaction de votre ouvrage sur l’érémitisme. Pour
plusieurs raisons, votre proposition de garder l’anonymat me convient. Et il
nous faudrait voir ensemble ce que vous souhaiteriez retenir de mon
témoignage. Comment voyez-vous les choses ? » De mail en mail, nous
avons réussi à boucler un rendez-vous. J’ai pris à Paris le premier train du
matin, puis un bus et un taxi pour arriver dans ce bourg du Grand Est, « un
lieu de passage devenu un lieu d’enracinement », ainsi qu’elle me
l’expliqua. Je m’attendais à trouver une religieuse plutôt méfiante, sur ses
gardes. Quelle ne fut pas ma surprise de rencontrer une femme accorte et
enthousiaste. Vêtue d’une robe monastique et d’un scapulaire de couleur
claire, le visage rond rehaussé de fines lunettes, l’allure svelte et juvénile,
elle se prêta sans difficulté à mes questions, n’hésitant pas à couper son
smartphone pour être plus disponible. Le temps de boire un thé et nous
prîmes place dans son atelier. Une pièce lumineuse, au rez-de-chaussée
d’une courette, où nul bruit et nul désordre ne venaient troubler une
sensation diffuse de quiétude. Sur des étagères métalliques, bien rangés et
classés dans des boîtes selon leur taille, des éclats de pierre, des morceaux
de marbre, d’ardoise, de bois et d’écorce voisinaient avec des feuilles d’or
en attendant qu’elle les dispose et les enchâsse patiemment sur un châssis
de bois posé sur son établi. Plusieurs de ses créations étaient exposées sur
les murs ou posés çà et là. L’une d’elles retint davantage mon attention par
son éclat lumineux et son motif symbolique. « Sur ce panneau de 80
centimètres sur 80, le point de départ est un centre décentré : une rondelle
de souche de bois dorée à la feuille qui laisse apercevoir les cercles du
veinage de l’arbre. À partir de là, des cercles concentriques de plus en plus
larges se déploient, formés tantôt de morceaux de marbre redécoupés, tantôt
de languettes de bois. On passe progressivement d’un centre plutôt clair à
une périphérie plutôt sombre », commenta-t-elle.
Un peu avant 11 heures, elle me conduisit à quelques centaines de
mètres de son ermitage, à la chapelle d’un petit monastère bénédictin où
nous assistâmes à la célébration eucharistique. Je pris ensuite le déjeuner en
compagnie des moines. Comme convenu avec sœur Claire, je la retrouvai à
13 heures et nous reprîmes avec entrain notre conversation.
*1. Une communauté contemplative qui a pris son essor dans les années 1970-1990 dans le
sillage des communautés nouvelles. Elle s’inspire du modèle des Chartreux et des laures du
christianisme oriental.
*2. Décret lui-même tiré de Lumen gentium (« Lumière des nations »), l’une des quatre
constitutions dogmatiques sur l’Église de ce concile.
*3. Alors qu’en France, et plus généralement en Europe, le yoga chrétien est passé de mode.
13
Au téléphone, elle m’a tout de suite fait bon accueil, il est vrai que je
m’étais recommandé d’un père mariste et lui avais fait valoir mon
expérience de journaliste dans la presse chrétienne. Je l’ai rappelée
plusieurs fois pour caler notre rendez-vous, et toujours elle m’a répondu sur
le même ton affable, étonnamment jeune. Sans tarder, j’ai profité d’un
séjour en famille à Menton pour lui rendre visite à Lucéram (Alpes-
Maritimes), dans l’arrière-pays niçois, où elle vit depuis dix-sept ans. Ce
village médiéval attire chaque année en décembre des milliers de visiteurs
venus découvrir plus de cinq cents crèches traditionnelles réalisées par les
habitants et exposées à leurs fenêtres. « Vous entrerez après avoir frappé car
j’ai du mal à marcher », m’avait-elle prévenu. Un matin, j’ai grimpé au
deuxième étage d’un immeuble situé au centre de la commune, à proximité
de la mairie et du syndicat d’initiative. Sur sa porte était écrit « sœur Marie-
Samuel » et « Monique Capetta » : son nom de religion et son nom de jeune
fille. J’ai frappé et je l’ai trouvée dans sa chambre, un livre à la main, assise
à côté d’un lit médicalisé. « J’achève ma lectio divina et vous retrouve dans
le salon », m’a-t-elle signifié en toute simplicité, large sourire à l’appui. Le
temps pour moi de poser stylos et carnet de notes sur une petite table, de
jeter un coup d’œil sur les icônes et les livres nombreux posés ici et là, et
elle m’a rejoint à l’aide d’une canne tripode. À la question préalable
« Comment va votre santé ? », elle a concédé, comme elle l’avait déjà fait
au téléphone, qu’elle souffrait de vives douleurs dues à une opération du
dos. Et qu’on lui a également découvert un anévrisme cérébral qui
provoque de petites pertes de mémoire et l’empêche désormais d’écrire à la
main. De fait, son trois-pièces – une cuisine-salon, sa chambre et un petit
oratoire transformé en débarras depuis qu’elle est malade – était encombré
de médicaments, dont beaucoup d’antalgiques. « Mais bon, il faut faire
contre mauvaise fortune bon cœur. Quand j’ai appris que je ne pourrais plus
marcher normalement et que je devrais apprendre à vivre avec mes
douleurs, j’ai été dans un grand désarroi intérieur pendant une semaine. J’ai
beaucoup prié et finalement un lâcher prise s’est produit. J’ai parfois des
difficultés à rassembler mes esprits mais la fine pointe de l’âme se porte
bien, et même très bien », a-t-elle tenu à nuancer avec humour, avant de se
prêter de bonne grâce au jeu des questions-réponses.
« Mes parents étaient peu fervents. Mais ils m’ont inscrite, à Paris où
j’ai grandi, dans une école catholique tenue par des religieuses qui m’ont
donné le goût de la prière et ont éveillé en moi le désir de me consacrer à
Dieu. Je suis entrée en 1963 à l’abbaye cistercienne Notre-Dame-de-la-
Paix, à Castagniers [Alpes-Maritimes]. Ce monastère a vocation à accueillir
des moniales de petite santé, ce qui a toujours été mon cas. J’ai pris l’habit
en 1964, en 2014 j’ai donc fêté mes cinquante ans de vie monastique. Ici,
dans le village où je suis arrivée en 2003, les gens connaissent mon identité
de religieuse et je dois dire qu’ils sont très gentils avec moi. Je pense en
particulier à des voisins et amis marocains, pleins de sollicitude. Pour
autant, je suis le plus souvent seule. J’aime beaucoup ma vie en silence, je
ne me suis jamais ennuyée, ni, du reste, sentie isolée. Cette vie répond à un
désir ancien. Avant de devenir cistercienne, j’ai vécu trois ans dans la
chartreuse de Beauregard [Isère]. Mais le rythme quotidien, avec lever de
nuit à minuit pour assister aux vigiles, d’une durée d’une heure trente, était
trop rude pour moi. On demande aux religieuses et religieux qui veulent
vivre en ermite d’avoir une solide expérience de la vie cénobitique [en
communauté], d’en avoir expérimenté les joies et les désagréments. Et ce
pour avoir l’assurance que celle ou celui qui part au désert ne le fait pas
pour fuir ses sœurs ou ses frères. Et, finalement, se fuir lui-même…
L’abbaye de Castagniers étant “sœur” de l’abbaye de Lérins, j’ai sollicité
auprès du père abbé de celle-ci l’autorisation de vivre seule mais avec le
monde entier dans mon cœur. Père Vladimir m’a donné le feu vert à
condition que je me retire non pas dans un ermitage isolé mais dans un
village, pour ma sécurité. Je vis avec 700 euros par mois, juste de quoi
payer mon loyer. Cet argent provient des économies réalisées pendant des
années sur le produit de la vente des confitures, des vins apéritifs et des
chutneys que je confectionnais. Comme ermite, je dois être indépendante.
Comment est structurée ma journée ? Une infirmière arrive entre 6 h 15
et 6 h 30 pour faire ma toilette et me donner le petit déjeuner. Après, je prie
l’office du matin, un office abrégé car celui tiré du bréviaire monastique est
trop long pour moi maintenant. Je lis aussi les lectures de la messe du jour
et pratique la lectio divina. Cela me conduit jusqu’à l’arrivée de l’aide-
ménagère et le repas de midi. L’après-midi, l’emploi du temps est rythmé
par la prière, les offices de vêpres et de complies, des lectures. Grâce à la
tablette numérique qu’on m’a offerte, je visionne des reportages religieux
ou autres et communique avec ma famille et des amis en envoyant des mails
car je ne peux plus écrire depuis l’anévrisme. Je regarde aussi les infos pour
prendre le pouls du monde et le porter dans ma prière. Je me suis beaucoup
nourrie des Pères du désert, en particulier Isaac le Syrien et, surtout, les
trois Cappadociens : Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse et Basile le
Grand. Sans oublier les mystiques orthodoxes comme saint Séraphin de
Sarov. Ou saint Silouane, un grand ami ! Je me suis aussi ouverte aux autres
traditions spirituelles au sein du DIM [Dialogue interreligieux monastique].
Et j’ai également bien connu Arnaud Desjardins [écrivain ayant développé
une spiritualité laïque synthèse des religions traditionnelles]…
Mon père spirituel ? Pour l’heure, je n’en ai plus. Je le regrette comme
je regrette de ne plus pouvoir – faute de prêtre disponible – communier
chaque jour, ainsi que je l’ai toujours fait. Reste l’essentiel : la prière. Celle-
ci se simplifie avec le temps, elle tend à être continuelle, c’est-à-dire à me
sentir au long du jour en union avec Jésus et Marie, à qui j’offre mes
souffrances et les souffrances de l’humanité, confiante que l’Esprit saint
pourvoira à tout. »
15
*1. Selon la doctrine catholique, la communion des saints est l’union de l’ensemble des fidèles
vivants ici-bas et des fidèles ressuscités auprès de Dieu, par leur appartenance au Christ, dans
une sorte de solidarité spirituelle à travers l’espace et le temps.
16
L’ORIENT CHRÉTIEN
18
*1. Édités et réédités dans de nombreuses langues, Les Récits d’un pèlerin russe ont beaucoup
contribué à faire connaître la prière de Jésus en Occident. Ils mettent en scène un « fol en
Christ », vagabond qui la répète inlassablement en parcourant à pied et sans un sou l’immense
Russie. Sa foi intense et son assiduité à la prière de Jésus lui procurent des fruits spirituels qu’il
offre aux lecteurs avec fraîcheur.
19
*1. Selon saint Théophane le Reclus, l’hésychia signifie le passage de la prière « épuisante » et
« ardue » à la prière « spontanée » et « jaillissante ». Dans la tradition spirituelle orthodoxe,
l’hésychaste est celui qui suit une voie (une pratique) spirituelle visant la paix de l’âme et le
silence en Dieu.
24
Le Liban, dont plusieurs territoires ont été foulés par le Christ (Tyr et
Sidon), est lui aussi un pays marqué par le monachisme et la vie érémitique.
Il est composé de dix-sept confessions religieuses reconnues dans les
institutions, dont douze confessions chrétiennes. La plus nombreuse
regroupe les maronites. L’Église antiochienne syriaque maronite,
communément appelée Église maronite, est l’une des Églises catholiques de
rite oriental. Parfois appelées aussi Églises « uniates », celles-ci sont nées
de la scission avec les Églises orthodoxes locales consécutivement à leurs
demandes de rattachement canonique à Rome et à leur reconnaissance de la
primauté du pape. De leurs origines, elles ont gardé les rites liturgiques
orientaux et, à bien des égards, sont proches des Églises orthodoxes. Ne
serait-ce que parce que les hommes mariés peuvent être ordonnés prêtres, et
parce que les évêques et cardinaux sont choisis uniquement parmi les
moines.
L’Église maronite compte de grandes figures de sainteté, comme saint
Charbel (1828-1898). Prêtre et moine ermite, saint patron du Liban et
thaumaturge, il aspira très tôt à la vie érémitique, à la suite de deux oncles
ermites. Il prononça ses vœux définitifs en 1852 au monastère Saint-Maron,
à Annaya (mont Liban), où il vécut retiré. En 1875, désirant vivre une
solitude plus intense, il rejoignit le petit ermitage des Saints-Pierre-et-Paul,
qui fait partie du monastère, où il partagea, vingt-trois ans durant, son temps
entre l’adoration du saint-sacrement, des travaux manuels et la prière quasi
perpétuelle. Tout entier dévoué à l’amour du Christ, il attachait une grande
importance à la célébration de l’eucharistie. Les visiteurs qu’il reçut, à la
demande de ses supérieurs, obtenaient de lui des conseils aussi lumineux
que brefs et simples. Plusieurs fois exhumée, sa dépouille mortelle a été
retrouvée intacte, la chair de son corps restant parfaitement souple. Une
sorte d’exsudation sanguine suintait à la surface de son corps. La liste est
longue des miracles obtenus grâce à son intercession, devant sa tombe.
Ceux qui ont été authentifiés par Rome permirent l’aboutissement de ses
deux procès en béatification puis en canonisation, en 1965 et en 1977. Le
petit ermitage où il vécut jusqu’à sa mort devint un sanctuaire fréquenté
nuit et jour par des pèlerins toujours plus nombreux, chrétiens ou non, de
toutes cultures, dont bon nombre d’infirmes et de cas considérés comme
incurables par la médecine.
IV
SOLITAIRES ET SILENCIEUX
DES AUTRES TRADITIONS
RELIGIEUSES
27
Le judaïsme est, entre autres, traversé par une ligne de partage entre
deux courants : celui de la voie du milieu et celui de l’ascétisme.
Majoritaire, et représenté par des figures historiques majeures comme
Moïse Maïmonide (1135 ou 1138-1204), le premier implique de ne se livrer
ni à un abandon trop grand aux plaisirs charnels ni à une violence excessive
envers soi-même. Donc, ni vie monastique ni érémitisme. Ni même de
séparation physique trop longue de la communauté des croyants. Encore
moins de vœu de chasteté ou de pratique prolongée de celle-ci. Cette
méfiance envers les mortifications – à l’exception du jeûne qui a partie liée
avec le calendrier religieux juif, la fête de Yom Kippour notamment –
s’enracine dans l’anthropologie juive, selon laquelle l’homme est
fondamentalement un, le corps et l’âme étant intimement mêlés. La
noblesse propre du corps, créé par Dieu, suppose que même les fonctions
les plus prosaïques requièrent une action de grâce envers Lui. « La tradition
rabbinique affirme que l’univers physique et les réjouissances sont
essentiellement bons, ils sont au service de Dieu », précise ainsi
l’Encyclopaedia judaica. Quant au Dictionnaire encyclopédique du
judaïsme, il explique que celui-ci « ne fait pas de l’ascétisme une vertu. Le
Midrash [commentaire rabbinique de la Bible] rapporte qu’au moment où
l’on rendra compte de ses faits et gestes, on se verra reprocher de n’avoir
point joui des plaisirs licites du monde ». Le même dictionnaire rappelle
toutefois que « l’ascétisme, le dépouillement et l’abstinence ont existé
comme valeurs religieuses depuis l’époque biblique jusqu’à nos jours, bien
que, à partir de l’époque talmudique (IIe-Ve siècle), l’extrême ascétisme et le
rejet total de la communauté aient fait l’objet d’une forte opposition ».
De fait, l’idéal de hassidout (sainteté) et la recherche de l’état de
dévéqout (contemplation mystique) ont toujours conduit – non pas par goût
morbide de la souffrance, mais par désir de se désencombrer pour faire
toute la place à Dieu – des hommes pieux à se livrer à une ascèse plus
moins radicale, selon les époques, à se retirer pour étudier la Torah, prier,
méditer les lettres hébraïques, jeûner. L’hitbodedout (à la fois esseulement
volontaire et solitude intérieure) posant, du reste, le problème suivant : si le
lieu de solitude est trop à l’écart, la récitation des prières en commun, à un
minimum de dix personnes (le minian), exigence si importante dans le
judaïsme, n’est plus possible. En réponse, le plus souvent, ce sont les
disciples d’un maître qui viennent le rejoindre dans son écart pour prier
avec lui. Les courants dans lesquels ces pratiques ascétiques se sont surtout
développées sont d’abord la kabbale puis, à partir du XVIIIe siècle, le
hassidisme.
La kabbale
Elle désigne communément la dimension ésotérique du judaïsme et
s’enracine dans les courants mystiques du judaïsme dit synagogal, apparu
vers le IIe siècle avant J.-C. La kabbale tend à voir toute la création aux
prises avec la lutte cosmique pour la rédemption et pour la restauration de
l’harmonie universelle (tikkun), qui adviendra avec le Messie. Comme le
souligne Quentin Ludwig 1 : « Ce qui distingue le kabbaliste des autres juifs
pieux ? Pas grand-chose sans doute si ce n’est le sentiment de participer de
manière plus active aux desseins de Dieu […] et de participer activement à
la restauration de la divinité, au tikkun […]. Cette participation se concrétise
par une prière plus intense, plus intentionnelle, plus longue aussi et, dans
certains cas, par des exercices ascétiques et une liturgie particulière. Le
kabbaliste a la ferme conviction que sa prière agit sur la puissance divine :
ce n’est donc pas une prière personnelle, une demande qu’il adresse à Dieu
mais une prière qui agit sur la restauration divine. Ainsi, la kabbale estime
que le milieu de la nuit (minuit) est le meilleur moment de la journée pour
la prière et pour l’étude. Nombre de kabbalistes se lèvent donc peu avant
minuit pour prier. Certains, sans pour autant être des anachorètes,
s’éloignent quelques jours de leur famille et des villes pour des retraites
mystiques afin de s’unir davantage à la divinité […]. Outre la prière intense,
l’hitbodedout, l’ascèse, le jeûne, les mortifications, le kabbaliste utilise
différentes techniques (dont des méthodes respiratoires et le pleurement
mystique) pour parvenir à la dévéqout […]. Il accorde une importance
primordiale au contact qu’il peut obtenir avec Dieu. »
La pratique de l’hitbodedout s’appuie d’une part sur des figures
bibliques s’étant livrées à la solitude, tels Moïse et le prophète Élie
(l’encadré ici-ici). D’autre part sur des personnages historiques. En premier
lieu, le rabbi Shimon Bar Yohai, qui vécut entre le Ier et le IIe siècle et à qui
la tradition talmudique attribue la paternité du livre majeur de la kabbale, le
Sefer ha-Zohar (Le Livre de la splendeur). En lutte contre l’Empire romain,
Shimon Bar Yohai se serait réfugié avec son fils Éléazar dans une grotte
pendant douze ans, se nourrissant de caroubes et d’eau, et d’où ils seraient
ressortis avec des pouvoirs mystiques. Ce séjour aurait abouti à la
composition du Zohar. Tous deux sont crédités de savoirs ésotériques, ainsi
que de nombreux miracles.
Quant à Abraham Aboulafia (1240-1291), personnage central du
judaïsme médiéval, il insistait sur la nécessité du retrait, de la déconnexion
par rapport aux préoccupations, aux désirs et aux soucis de la vie
quotidienne, comme condition nécessaire d’une élévation vers un état
supérieur de conscience prophétique et extatique. Mais pour Aboulafia, cet
isolement ne doit pas être total, le kabbaliste doit s’associer à une confrérie
de personnes mues par le même projet d’union mystique, car c’est dans la
fusion des âmes des initiés dans le service divin que s’accomplit pleinement
l’œuvre majeure de restauration de l’univers (tikkun) par l’effort spirituel du
collectif des dévots.
Autre figure majeure de la kabbale : Isaac Louria (1534-1572),
mystique de la ville de Safed (Galilée). Il donna au Zohar d’importants
commentaires. On lui doit également la notion de tsimtsoum, ou rétraction
volontaire de Dieu pour faire place à la création (au monde fini). Il avait,
rapporte-t-on, passé sept ans dans un isolement total pendant sa jeunesse
égyptienne, pour étudier le Zohar. Il aimait se retirer et prier dans les
champs et aurait eu des liens mystiques avec le prophète Élie, ainsi que des
maîtres anciens qui l’enseignaient à distance.
Le hassidisme
Les différentes pratiques mystiques développées par les kabbalistes du
Moyen Âge et du XVIe siècle ont été transmises et popularisées par les
hassidim (littéralement : « hommes pieux »), en réaction contre le judaïsme
de leur époque dominé par les académies religieuses (yeshivot) vouées
principalement à l’étude du Talmud et rejetant toute exaltation mystique.
Ces mystiques piétistes d’Europe orientale apparus au XVIIIe siècle ont
développé des formes de méditation fondées notamment sur la recherche de
la solitude intérieure. Jean Baumgarten, fin connaisseur du hassidisme,
souligne, dans le livre 2 qu’il a consacré à celui qui est considéré comme
l’initiateur de ce courant, Israël Baal Shem Tov (1700-1760), que ce dernier
s’inscrit, lui aussi, « dans une longue lignée de mystiques solitaires
(perushim) pour qui la félicité spirituelle nécessite de s’alléger des
pesanteurs de la vie sociale et de se protéger du déluge ininterrompu des
sollicitations parasites par la recherche de retraites au sein de la nature ».
Surnommé le « maître du Bon Nom », Israël Baal Shem Tov se serait ainsi,
à un moment clé de sa vie, retiré dans une maison d’isolement (beit ha-
hitbodedout). Selon la légende qui entoure ce personnage, à une autre
période de sa vie, alors qu’il était maître d’école dans le village de
Kaszelowiec, près de Jaslowiec (dans l’actuelle Ukraine), « il s’isolait dans
sa maison de solitude au milieu de la forêt pour vivre une vie ascétique
centrée sur la prière, l’étude, la méditation, l’association avec les mondes
supérieurs et la réception des messages de l’au-delà. Il restait dans ce lieu
retiré, parfois durant une grande partie de la semaine pour revenir le
vendredi soir avant le shabbat vers l’auberge tenue par sa femme Hanna 3 ».
Arrière-petit-fils du Baal Shem Tov, le rabbi Nahman de Bratslav
(1772-1810) a donné un nouveau souffle au hassidisme en combinant les
enseignements ésotériques du judaïsme avec une étude approfondie de la
Torah. Comme son prestigieux aïeul, il aimait se retirer dans la nature. Son
ouvrage majeur, le Recueil de Rabbi Nahman, concentre un enseignement
qui insiste sur la joie (« La véritable joie est atteinte en ne regardant que ce
qu’il y a de bon en nous-mêmes, chez autrui et dans toutes les situations »),
considérée comme un devoir religieux au même titre que les autres, sur
l’importance de la prière et d’une foi simple, presque naïve, et sur le
courage (« Le monde entier est un pont très étroit, l’essentiel est de ne pas
avoir peur du tout ! »).
Un autre maître du hassidisme, Menahem Mendel de Kotzk (1787-
1859), a, lui, radicalisé son expérience du retrait puisqu’il a vécu, selon la
légende, reclus durant vingt ans, « n’entrouvrant sa pièce de solitude (heder
ha-hitbodedout) que lors du shabbat pour se joindre aux prières de ses
disciples dans la synagogue voisine », souligne encore Jean Baumgarten 4.
Mentionnons enfin Menahem Mendel de Peremyshlany (1728-1793) qui
aurait vécu douze ans en silence.
Et aujourd’hui ?
Quelle importance a encore la hitbodedout chez les Juifs pieux ?
Difficile de quantifier une pratique qui, par définition, reste intime et
discrète, sinon secrète. À défaut, on fera valoir que les écoles de la kabbale
contemporaine sont en grande partie inspirée par l’école de Safed et les
œuvres d’Isaac Louria, son principal représentant, qui valorisait l’ascétisme
et le retrait solitaire. Nul doute que ceux qui se réclament de lui empruntent,
aujourd’hui comme hier, des chemins d’écart plus ou moins stricts, ainsi
que le suggère ci-dessus Quentin Ludwig. Quant au hassidisme, dont on
croise à Paris, New York, Jérusalem ou Anvers les représentants vêtus de
longs caftans, de chapeaux noirs ou de fourrure, et portant de longues
papillotes le long du visage, il représente une réalité bien vivante.
Notamment grâce à l’action de Menahem Mendel Schneerson (1902-1994),
septième rabbi et leader du mouvement hassidique Habad-Loubavitch.
De 1950 à 1994, il a encouragé et agi pour la diffusion de l’enseignement
de cette école en établissant un réseau international d’institutions d’études
juives, les centres Habad. Quant à la dynastie hassidique de Bratslav, elle
compte toujours pour sa part des milliers de disciples fervents. Nombre de
hassidim contemporains, à la suite de leur inspirateur commun, le Baal
Shem Tov, considèrent donc l’hitbodedout comme une pratique mystique
fondamentale.
Élie, le prophète solitaire
Le Livre des Rois met en scène Élie (IXe siècle av. J.-C.), prophète du
royaume du Nord qui dénonça le culte des idoles auquel s’adonnait le roi Achab
sous l’influence de son épouse païenne Jézabel. Selon la Bible, il ne mourut pas
mais, après avoir désigné Élisée comme son successeur, il fut enlevé vivant au
ciel sur un char tiré par des chevaux de feu (II Rois 2). Le prénom Élie signifie
« Yahvé est mon Dieu ». Surgissant du désert, il condamna les crimes du couple
royal et annonça, en punition, une terrible sécheresse. Thaumaturge, « il y mit fin
par un défi grandiose, jeté aux prophètes de Baal au cours d’un rassemblement
sur le mont Carmel » (dictionnaire Théo). Les exégètes ont comparé la figure
d’Élie et celle de Moïse. Même contemplation de Dieu sur l’Horeb (au Sinaï).
Même jeûne de quarante jours. « Il se leva, mangea et but, puis soutenu par cette
nourriture il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à la montagne de Dieu,
l’Horeb » (I Rois 19, 8). Même don total de soi à son peuple pour le ramener à
Dieu. Élie de Tishbé est un personnage exceptionnel de puissance et pourtant
personnage très humain dans ses accès de déréliction ou de doute, de
vulnérabilité. Chef de file des prophètes, il jouit d’une grande estime auprès du
peuple juif. Celui-ci le considère comme celui qui préparera et annoncera la venue
du Messie. De fait, nombre de Juifs pieux attendent son retour sur terre et ont
pour lui une vénération toute particulière.
Les chrétiens, les ermites en particulier, se sont également appropriés sa
figure. « Saint Élie est notre guide et notre père. Il est l’homme du désert, seul
avec le Seul. Le témoin du Vivant, celui qui dit : “Il est vivant celui devant qui je me
tiens” (I Rois 18, 14). Prophète de feu, il brûle du zèle de Dieu, il est hanté par sa
transcendance », commente ainsi petite sœur Élie-Emmanuel, ermite belge de la
fraternité Notre-Dame-du-Désert (voir le chapitre 6). Prophète le plus
fréquemment cité dans le Nouveau Testament, Élie est celui à qui l’Éternel se
présente dans le souffle d’une brise légère. Brise si fine qu’on ne saurait
l’entendre que dans un grand silence intérieur. Cet éblouissement survient après
qu’il s’est retiré près du Kerith, un affluent du Jourdain, où il se tient à l’abri d’un
rocher, boit l’eau du torrent et est ravitaillé en nourriture par des corbeaux. Selon
la tradition, il aurait résidé avec quelques disciples, dont Élisée, dans une grotte
du mont Carmel. À l’occasion des croisades, des ermites se sont installés là et y
ont fondé au XIIe siècle l’ordre du Carmel. Surplombant la ville d’Haïfa, le
monastère Notre-Dame-du-Mont-Carmel est
aujourd’hui l’héritier de l’installation historique de ces premiers ermites et il est le
point spirituel de ralliement de l’ordre du Carmel. Son église est construite au-
dessus d’une grotte appelée « grotte d’Élie ». D’autres grottes sont situées à
proximité, dont la plus sacrée et vénérée par les Juifs, les chrétiens et les
musulmans : la grotte Saint-Élie, appelée aussi « l’école des prophètes ». Située
en contrebas du monastère, à l’extérieur de son enceinte, elle est actuellement
transformée en synagogue.
*1. Il s’agit de l’ensemble des textes attribués au Bouddha lui-même ainsi qu’aux différentes
interprétations qui ont complété sa doctrine. Il existe plusieurs éditions de ce canon, selon les
écoles et les pays. Le canon pāli est la collection de textes du bouddhisme Theravada conservés
en langue pāli.
*2. Questions connues sous le nom de Avyākṛtavastūni, littéralement « celles auxquelles on ne
peut pas répondre » ou « celles qui sont dépourvues de sens défini ».
*3. Vipassana : terme qui désigne dans le bouddhisme la « vue profonde » ou « inspection »,
ainsi que les pratiques de méditation en silence qui y sont associées et qui se sont beaucoup
développées en Occident.
*4. De même que la corne du rhinocéros est droite, forte et quasi incassable, de même rien ne
peut atteindre la solitude du sage.
30
ALEXANDRA DAVID-NÉEL
Longtemps ignorées ou mal connues en dehors des frontières du Tibet,
les spiritualités en vigueur au « pays des neiges » ont été portées à la
connaissance du grand public par l’écrivaine et aventurière Alexandra
David-Néel (1868-1969). Rappelons qu’elle fut la première Occidentale à
rejoindre la capitale de ce pays, en 1924. De cette expédition, elle a tiré un
récit qui connut un succès mondial, Voyage d’une Parisienne à Lhassa.
Dans Mystiques et magiciens du Tibet, elle consacre de nombreuses lignes
aux ermites qu’elle a rencontrés dans les montagnes de l’Himalaya. Les
personnages qu’elle décrit sont souvent hauts en couleur. Ainsi du premier
ermite qu’elle croise, dans le monastère de Lachen : « Un chapelet fait de
rondelles d’une substance grisâtre (rondelles découpées dans des crânes
humains) entremêlées de boules de corail pendait comme un collier sur sa
poitrine ; de grands anneaux d’or, ornés d’une turquoise, étaient passés dans
ses oreilles, et sa chevelure, rassemblée en natte épaisse, lui battait les
talons », écrit-elle. Ce gomtchén (terme qu’elle traduit par « ermite
contemplatif ») était demeuré dix-sept ans dans son ermitage de montagne
situé à une journée de marche de Lachen. Il était craint et respecté par la
population locale *2, qui lui attribuait de nombreux pouvoirs comme celui de
voler dans les airs.
L’aventurière rencontre par la suite deux autres ermites, qui, d’après les
habitants du hameau le plus proche, se cachaient avec tant d’adresse que
personne ne les avait vus depuis plusieurs années. Ils prenaient de nuit les
provisions qu’on leur fournissait, de loin en loin, dans un endroit convenu.
Personne ne savait où se trouvaient leurs huttes ni ne cherchait à le savoir
tant ils suscitaient une crainte superstitieuse. Traqués par une petite
escouade aux ordres d’un prince influent ami d’Alexandra David-Néel, ces
solitaires furent capturés non sans peine. Mais ils refusèrent obstinément de
parler, sans doute par fidélité à un vœu de silence. « J’ai rarement vu des
physionomies aussi curieuses que celles de ces deux individus. Ils étaient
affreusement sales, à peine couverts de quelques haillons ; leur longue
chevelure embroussaillée leur couvrait le visage et leurs yeux émettaient
des lueurs de brasier », note l’exploratrice. Au cours de sa pérégrination,
elle retrouve ensuite le premier ermite qu’elle a rencontré, mais cette fois-ci
dans son ermitage d’altitude. Une caverne assez vaste, avec des annexes
aménagées au fil du temps par les moines de Lachen, ce qui en fait un abri
moins inconfortable que celui où Alexandra David-Néel s’installe elle-
même, à un kilomètre en contrebas : « Une caverne de petites dimensions,
fermée par un mur en pierres sèches dans lequel deux ouvertures d’environ
vingt centimètres carrés tenaient lieu de fenêtres. Quelques planches taillées
à la hache et attachées ensemble avec des rubans d’écorce souple formaient
une porte. Les “fenêtres” demeuraient béantes. »
C’est dans ce nid d’aigle que l’écrivaine va séjourner, non sans avoir au
préalable obtenu l’autorisation de son voisin naldjorpa (anachorète) à qui
elle demande de l’instruire dans sa doctrine. Elle passe là trois mois, en
hiver, avec deux jeunes garçons à son service qui demeurent un peu plus
loin. « Le gomtchén s’enferma pour une longue période de retraite. Je fis de
même. Mon unique repas quotidien était posé derrière un rideau, à l’entrée
de la hutte. Le garçon qui l’apportait et reprenait les plats vides se retirait en
silence, sans m’avoir vue. » Lorsque les neiges fondent enfin et qu’un
homme réapparaît pour lui apporter du courrier, elle est saisie de nostalgie :
« Je savais que la personnalité d’anachorète que je m’étais faite ne pouvait
être qu’un épisode de ma vie de voyageuse […] et souvent je regardais
navrée et presque avec terreur le sentier qui descendait vers la vallée […] il
menait vers le monde caché derrière les cimes lointaines, à sa fièvre, son
agitation, sa misère ; et une indicible souffrance m’étreignait en songeant
qu’un jour viendrait où je le suivrais, m’en retournant vers la géhenne »,
soupire-t-elle. Un propos à mettre en écho avec cet autre : « Je n’ai jamais
entendu un seul ermite dire qu’il avait, même au début de sa retraite,
souffert du manque de compagnie humaine, et généralement ceux qui ont
goûté cette existence ne peuvent guère se réhabituer à vivre dans les
endroits habités et à entretenir des relations sociales. »
Alexandra David-Néel évoque encore un autre ermite de montagne qui
« ne connaissait rien du monde, au-delà de sa caverne. Son maître avait
vécu dans celle-ci pendant plus de trente ans, et lui-même, au lendemain de
la mort de ce dernier, s’y était emmuré ». Particularité : il ne s’étendait
jamais pour dormir et passait ses nuits dans un gamtis, « sorte de caisse
carrée dans laquelle on sommeille assis, les jambes croisées ». Entre autres
généralités concernant ces anachorètes, elle constate que « les disciples des
ermites contemplatifs ne voient leur maître que rarement, à des intervalles
dont la longueur se mesure au degré d’avancement de l’élève ou à ses
besoins spirituels dont le maître est seul juge ». Ou que « les pratiques
auxquelles s’adonnent les reclus sont très diverses. Nul ne pourrait en
dresser une liste complète car il en existe un nombre considérable ». Loin
de les idéaliser, la grande dame estime que « beaucoup se bornent à répéter
des milliers, voire des millions de fois, une même formule, la plupart du
temps un mantra sanskrit dont ils ne comprennent point le sens ».
MATTHIEU RICARD
De nationalité française, lui aussi, et, comme sa célèbre aînée,
personnalité connue au-delà des frontières de l’Hexagone, Matthieu Ricard
semble multiplier les vies. Scientifique destiné à une carrière prometteuse
de chercheur, titulaire d’un doctorat en génétique, il a totalement bifurqué
après avoir rencontré de grands maîtres du bouddhisme tibétain pour
s’engager comme moine dans cette voie. Traducteur de textes tibétains en
français et en anglais, il est de longue date l’interprète dans notre langue du
dalaï-lama. Par ailleurs, il a fondé une association humanitaire, Karuna-
Shechen. Il fait également partie du Mind and Life Institute, une association
destinée à faciliter les rencontres entre la science et le bouddhisme, ne
serait-ce qu’en s’intéressant de près aux effets de la méditation sur le
cerveau humain et, plus globalement, sur notre santé. Depuis une vingtaine
d’années et jusqu’à la crise sanitaire provoquée par le virus SARS-CoV-2,
cet auteur, photographe et conférencier à succès organisait sa vie entre
déplacements dans le monde entier pour y donner des conférences,
interviews et autres manifestations publiques, en réponse à d’innombrables
sollicitations qu’il ne peut toutes honorer, et ses séjours au Népal dans le
monastère de Shéchèn (600 moines), en bordure de Katmandou, ou dans un
petit ermitage de montagne, à trois heures de la capitale népalaise, devenu
son habitation. Pour ses 60 ans, en 2006, il a séjourné une année entière
dans cette solitude. Il a tiré de cette expérience Un voyage immobile.
L’Himalaya vu d’un ermitage 11, un livre qui rassemble ses photos et dont la
quatrième de couverture explique : « Immergé dans cette nature
spectaculaire, entre les vallées verdoyantes du Népal et la chaîne
himalayenne, il est resté à l’écoute de la nature, attendant chaque jour la
lumière qui s’offrait à ses yeux émerveillés *3. » Dans une interview sur le
site de Paris Match, en date du 26 avril 2018, en réponse à une question sur
sa présence médiatique, il expliquait : « Le seul moyen d’être libre, c’est
d’être loin de tout, dans mon ermitage au Népal par exemple… De jour, je
contemple une mer de nuages. La nuit, de ma grande fenêtre, qui donne sur
une pente raide, j’observe les étoiles comme dans une capsule spatiale. Là-
bas, je peux pratiquer [la méditation], lire, faire tout ce que je veux. » Et
d’affirmer ensuite : « Si je pars dans mon ermitage, ce n’est pas pour ne rien
faire. Je souhaite pratiquer le plus possible et intensément. » Ou, encore, de
regretter le « cirque médiatique », le « tourbillon » dans lequel il a été pris
depuis la parution de son premier livre Le Moine et le Philosophe 12,
en 1997. L’expérience de la solitude lui inspire de nombreuses réflexions,
telle celle-ci, trouvée sur son blog : « Si nous sommes incapables d’être
seuls, nous sommes beaucoup plus susceptibles de souffrir de la solitude.
Une enquête a révélé qu’un Américain ordinaire ressentait un profond
sentiment de solitude une fois par quinzaine en moyenne. » Avant de
rappeler cette invitation expresse de la sociologue Sherry Turkle, l’auteure
de Seuls ensemble 13 : « Si nous n’apprenons pas à nos enfants à être seuls,
ils ne sauront que souffrir de la solitude. »
*1. Traité de loi écrit en vers daté du IIe siècle environ de notre ère. C’est le texte le plus
important et le plus ancien de la tradition hindoue se référant au dharma.
*2. Un des écrits fondamentaux de l’hindouisme qui n’a cessé d’imprégner la pensée indienne
au long des siècles.
*3. Selon la tradition, les premiers renonçants furent les rishis (« patriarches », « sages »,
« ascètes »), des ermites yogi qui entendirent en méditation profonde les hymnes du Véda
émanant du Brahman.
*4. En règle générale, les sadhus ne prennent qu’un seul repas par jour, simplement préparé et
végétarien, d’ordinaire à midi ; ils jeûnent plus souvent que les laïcs, limitent et simplifient leur
alimentation. Selon la Revue française de yoga, no 25 de janvier 2002, « les sadhus souvent
choisissent de ne consommer qu’une seule sorte d’aliments […]. On peut les diviser en quatre
catégories par ordre progressif de difficulté : les anahârî, mangeurs de céréales, les phalahârî,
mangeurs de fruits, les dudhahârî, buveurs de lait et finalement les nirahârî, mangeurs de rien
(ou inédiques) ».
*5. L’un des deux grands poèmes épiques de l’Inde avec le Ramayana. La partie centrale de ce
livre sacré compose la Bhagavad Gita.
*6. Ashram : ce terme désignait dans l’Inde ancienne un ermitage en un lieu isolé, en forêt ou
en montagne. Le même mot est employé aujourd’hui pour désigner une institution animée par
un guru (maître spirituel) qui rassemble ses disciples.
*7. Le jaïnisme est une religion apparue vers le XIe ou le Xe siècle avant notre ère, proche de
l’hindouisme. Elle en diffère notamment par l’accent mis sur l’ahimsa ou universelle non-
violence, dont la devise clé est : « Toutes les vies sont interdépendantes et se doivent un mutuel
respect et assistance. » Gandhi était originaire d’une famille de jaïns.
*8. Darshan : mot sanskrit désignant la vision du divin. Par extension, ce terme désigne à la
fois la grâce (la bénédiction spirituelle) et l’enseignement qu’un sage transmet à ses disciples.
33
Jacques Vigne a lui aussi fait le grand écart entre l’Orient et l’Occident,
à l’instar du père Henri Le Saux. Mais à la différence de ce dernier, il ne se
réfère pas au christianisme. Lorsque je l’avais rencontré pour L’Actualité
religieuse, à la fin des années 1990, il m’avait expliqué que « le plus grand
service qu’une religion peut rendre à ceux de ses fidèles qui ont une
vocation mystique, c’est de les mener au-delà d’elle-même ». Et que
« l’hindouisme et le bouddhisme admettent et reconnaissent plus aisément
que les monothéismes la suprématie de l’expérience de l’Un au-delà des
formes, des dogmes et des rituels ». Non sans réaffirmer sa conviction
« qu’on peut arriver à l’Absolu par chaque tradition spirituelle mais que
l’Absolu est au-delà d’elles ».
Psychiatre de formation né en 1956, diplômé de la faculté de médecine
de Paris, bénéficiaire d’une bourse de la Fondation Romain-Rolland et de la
Maison des sciences de l’homme, il est parti en Inde étudier les rapports
entre la guérison psychologique et l’enseignement traditionnel du yoga. Le
voyage d’étude s’est transformé en coup de cœur. Et depuis trois décennies
maintenant, il passe une bonne partie de son temps au pays des ashrams et
des brahmanes. Pendant vingt-cinq ans, Jacques Vigne a eu pour maître
spirituel Vijayananda (1913-2010). Ce médecin français a vécu un demi-
siècle en Inde et été l’Occidental le plus proche de Ma Ananda Mayi. Dans
le petit ashram himalayen de cette grande sainte indienne, situé à
Dhaulchina *1, où Vijayananda a lui-même longtemps vécu en solitude,
Jacques Vigne a mené la vie d’ermite en tout pendant quatre ans, surtout
entre 1998 et 2010. Entre 1990 et 1998, il était presque continûment aux
côtés de Vijayananda dans l’ashram de Ma Ananda Mayi à Hardwar et a
pratiqué en sa compagnie la voie non dualiste du védanta. « Le védanta vise
à faire prendre conscience de notre identité profonde, masquée par notre
moi illusoire, grâce à la question “Qui suis-je ?” méditée indéfiniment. On
observe son propre mental selon divers fils conducteurs, dont l’écoute
attentive du souffle. Le védanta est une voie de la connaissance qui
n’implique pas la reconnaissance d’un Dieu personnel et selon laquelle le
“je”, le monde et Dieu sont non pas des substances séparées mais une seule
substance », avait-il argumenté lors de notre première rencontre.
Je l’ai retrouvé au printemps 2020 dans un café parisien, à l’occasion
d’une de ces longues tournées qu’il effectue en Europe pour y donner des
conférences, animer des stages et recueillir la documentation destinée à ses
ouvrages 27. « Depuis la mort de Vijayananda, je quitte plus souvent
qu’avant l’Inde pour partager mon expérience et initier, notamment, les
personnes à la méditation. Mais, dans la mesure du possible, j’essaye de
passer à intervalles réguliers une année complète en Inde, le plus souvent en
solitude, à Dhaulchina », me confia-t-il alors, grande silhouette et barbe
épaisse, accueil simple et jovial. Et de m’expliquer qu’il a désormais là-haut
un téléphone portable, « en cas d’urgence », et s’efforce de ne consacrer que
quatre à six heures par semaine à répondre à ses mails. Autre changement :
il s’est rapproché du bouddhisme tibétain et pratique maintenant une forme
de méditation mâtinée par lui-même, non duelle (sans mantra) et influencée
par la méditation vipassana. Il suit, m’expliqua-t-il, la formule : « La
meilleure des méditations, c’est celle qui vous rend meilleur. » Qu’en est-il
de la vie en ermitage ? « Dans la vie sociale, on est ceci ou cela. Dans la
solitude, on a le temps d’être, tout simplement. Dans mon expérience de
périodes de solitude un peu prolongée, j’ai constaté que les lectures ou les
enseignements religieux généraux passaient au second plan par rapport à la
parole du maître spirituel qui a traversé avant vous l’expérience
érémitique. » Et d’évoquer l’expérience du saint tibétain Milarepa qui,
lorsqu’il a quitté la maison de son maître Marpa – où celui-ci vivait avec sa
famille et d’autres disciples – pour s’installer dans une grotte, s’est trouvé
heureux d’être dans une plus grande « présence » à son gourou. Ou, encore,
de préciser que « le simple fait d’être un étranger en Inde amène une
solitude de fait, physique, psychique et spirituelle. Ce retrait, plus difficile à
obtenir dans son milieu d’origine, est une aide pour mieux comprendre le
fonctionnement réel de son esprit. Les Pères du désert le recommandaient et
l’appelaient xeniteia, la vie à l’étranger ». Non sans convenir que s’il a
fréquenté dans sa vie de grands ermites, il se considère lui-même plutôt
comme un semi-ermite dont la vie contemplative est équilibrée par sa vie
sociale. Celle-ci se partage entre le soutien en Inde à des projets de
développement à travers son association humanitaire Himalaya, l’écriture
de ses livres et les actions (conférences, stages, voyages guidés…) qui
permettent à un public occidental de découvrir les sagesses de l’Orient, de
l’Inde en particulier.
S’il a choisi, initialement, de s’intéresser d’aussi près à ce pays-
continent, c’est par amour profond de la méditation, afin de pouvoir la
pratiquer dans de bonnes conditions. Aujourd’hui encore, il médite selon
une intensité variable en fonction de son emploi du temps mais a minima
une demi-heure le matin avant le petit déjeuner. Très souvent, il guide des
méditations et médite donc avec les groupes. Quand il vit à Dhaulchina, la
méditation occupe toutes ses journées pendant les périodes de retraite
intégrale, et les après-midi pendant les périodes de travail (lecture, écriture).
C’est que « la méditation est libératrice par le lâcher prise qu’elle implique.
L’esprit de détachement est essentiel. Toutes les traditions mystiques lui
accordent une importance centrale. C’est, au fond, ce qui distingue la
psychologie de la spiritualité. Quand on acquiert l’esprit de détachement,
les tensions psychologiques, même si elles ne s’évanouissent pas du jour au
lendemain, prennent une dimension spirituelle. Du reste, amour et
détachement ne sont pas à opposer comme on le pense souvent en Occident.
Celui qui est attaché à lui-même n’aime que ses propres projections ».
L’autre raison majeure qui l’a conduit à faire des séjours répétés et
prolongés au pays de Gandhi, c’est, on l’a dit, le désir d’approfondir la
relation thérapeutique en la confrontant à la traditionnelle relation d’aide du
gourou à son disciple. Qu’est-ce qui, précisément, différencie un thérapeute
d’un gourou ? « Il faut entendre ce mot au sens noble de grand maître
spirituel. Le gourou, dès le départ, cherche à faire aller au-delà de l’esprit
dans la mesure des possibilités du disciple. Le thérapeute rentre dans le
détail du mental de son patient. Le gourou, lui, montre l’exemple, transmet
son énergie. Il suggère parfois à son disciple de modifier son
comportement. Le thérapeute voit les problèmes, le gourou voit au travers.
L’un est un ami qui supporte, l’autre est le support lui-même. Le thérapeute
souligne la nécessité de “faire son deuil”, le gourou se place d’emblée dans
une perspective de libération. Enfin, différence capitale : pour devenir
psychanalyste, il faut environ mille heures. Un “bon” disciple doit
consacrer environ trois heures par jour à la pratique de la méditation, en
face à face avec lui-même, à observer son propre esprit, pendant un
minimum de douze années. »
*1. Le petit ashram est perché sur une crête à près de 2 000 mètres d’altitude, face au massif de
la Nanda Devi, dominant le nord de l’Inde du haut de ses 7 860 mètres d’altitude. Le panorama
de l’Himalaya, rehaussé des neiges éternelles, s’étend sur plus de trois cents kilomètres.
35
Une petite route qui serpente sur un haut plateau en bordure du Larzac,
à l’entrée d’un hameau dont je tairai le nom pour ne pas dévoiler son lieu de
résidence. Mon épouse et moi nous nous risquons à grimper à travers des
terrasses à l’abandon, envahies par les herbes folles de l’été, jusqu’à une
masure dont nous ne sommes pas sûrs que ce soit la sienne, ni même qu’elle
soit encore habitée tant, ici, tout paraît sommaire. Je frappe et, ô miracle, un
homme apparaît. Taille moyenne, allure svelte, une barbe de quelques jours,
Pierre – j’ai changé son nom, comme je m’y étais engagé – reste silencieux
jusqu’à ce que je lui explique ma démarche. Un temps d’hésitation et puis,
d’un signe de tête accompagné d’un beau sourire, il accepte de nous
recevoir dans une pièce inoccupée qui jouxte sa thébaïde. Pendant le temps
que dure notre rencontre, il ne se départit pas de son silence. Répondant à
mes questions par un regard appuyé, très expressif, comme s’il parlait avec
ses yeux, avant de prendre, après un temps de réflexion, un stylo pour
coucher par écrit ce qu’il a à dire. « Quels sont vos noms et prénoms ? »
interroge-t-il d’abord sur la feuille que je lui tends. Puis : « Est-ce que J. B.
vous a montré la lettre que je lui ai envoyée, ainsi qu’à M. et C. [ce sont des
habitants d’un proche hameau], il y a deux semaines ? Cela simplifierait
peut-être notre entretien ? » Comme je réponds par la négative, il hoche de
nouveau la tête avec un sourire et demande encore : « Je serais intéressé de
connaître un peu votre parcours. » Je réponds, oralement et d’abondance,
puis il s’explique, toujours par écrit : « Après une première expérience
spirituelle, en juillet 1980, j’avais ressenti le désir de vivre en solitude, mais
c’était prématuré. D’abord catholique, j’ai étudié ensuite le bouddhisme,
pratiqué la méditation vipassana, étudié et pratiqué la psy puis, ne
constatant pas de grands progrès, je suis parti en Inde pendant plusieurs
années à la recherche de la VÉRITÉ. J’ai commencé cette retraite védique
appelée tapas (austérités), avec vœu de silence, en juillet 2001. Elle est
évolutive et a varié en fonction des expériences spirituelles que j’ai vécues.
Je suis arrivé ici en mars 2004 et vis avec un peu moins de 200 euros par
mois, loyer compris. Et c’est très bien. (Excusez l’écriture ! À 78 ans, la
décrépitude a commencé !) La VÉRITÉ est Une. Elle est au-delà de toutes
les religions, croyances… Elle est révélée par une expérience spirituelle se
“déroulant” au-delà de l’espace-temps, dégagée de l’emprise du mental. »
Un long moment de silence, assorti de sourires réciproques, et déjà nous
prenons congé. De peur de l’importuner. Sans doute aussi parce que
quelque chose en lui nous y invite, sur un mode très léger. De retour dans le
hameau où vivent J. B., M. et C., ceux-ci nous confirment que Pierre s’est
bel et bien installé dans le silence de longue date et qu’il a pour règle de
s’accorder seulement une heure de temps de parole par mois. Notre
entrevue avec lui n’aura duré guère plus d’une demi-heure. Elle laisse
pourtant en nous une impression saisissante, comme hors du temps…
36
DES AVENTURIERS
DE LA SOLITUDE HORS CADRE
38
*1. Dans L’Espace d’un homme, un ancien étudiant à Normale Sup dit de ce séminaire annuel
qu’il lui fallait pas moins de trois ans pour le comprendre, tant il était complexe.
39
*1. Wanderer : du verbe allemand wandern, marcher, randonner. Attribué autrefois à Goethe, le
sobriquet wanderer est repris à son compte par Sylvain Tesson pour désigner un voyageur au
long cours, solitaire, qui n’attend rien du monde.
*2. Il a grandi à Chatou, dans les Yvelines. Il est le fils de Philippe Tesson, journaliste fondateur
du Quotidien de Paris, et, avec son épouse Marie-Claude Tesson-Millet, docteure en médecine,
du Quotidien du médecin.
*3. D’après le titre de Charles Péguy dans lequel celui-ci dénonce « une panmuflerie sans
limites » et voit poindre « un monde non seulement qui fait des blagues, mais qui ne fait que des
blagues, et qui fait toutes les blagues, qui fait blague de tout ».
*4. Il a apporté en 2020 son soutien au projet de création d’une forêt primaire en Europe lancé
par le botaniste Francis Hallé.
42
*1. DSM : Diagnostic and Statistical Manuel of mental disorders. Il s’agit de la classification de
l’Association psychiatrique américaine.
43
UN REGARD PSY
44
Qu’est-ce à dire ?
Prenez les célibataires : vous avez ceux qui se plaignent de cet état et ne
s’y résolvent pas. Et ceux qui s’en trouvent bien. Ces derniers, comme les
ermites, peuvent entrer plus facilement en eux-mêmes, ils sont moins
nourris par le lien. Ils s’en passent volontiers et se classent plutôt dans la
catégorie des introvertis. Cette disposition à se passer des autres ne relève
pas forcément de la pathologie. Il faut bien voir aussi que les gens peuvent
évoluer. On peut partir au désert pour de mauvaises raisons, s’en rendre
compte et revenir « dans le siècle », comme on disait autrefois. De même
qu’on peut se marier et comprendre, des années après, que son mariage était
voué à l’impasse et, en conséquence, se séparer…
*1. Elle porte le nom d’un Père du désert du Ve siècle considéré comme emblématique. Dans les
premiers temps du monachisme oriental, au IVe siècle, des ermites, regroupés autour d’un père
spirituel appelé abba (abbé), ont formé des « laures », ces petites communautés d’ermites qui
représentent une voie monastique du milieu.
49
*1. Le Forum 104, situé 104, rue de Vaugirard, à Paris, est un lieu interculturel et interspirituel.
*2. Madonna House (« La Maison de la Madone ») est une communauté d’hommes et de
femmes laïcs consacrés, et de prêtres rattachée à l’Église catholique. Elle a été cofondée au
Canada, au début des années 1950, par Catherine Doherty (1896-1985), auteure du livre
Poustinia. Le désert au cœur des villes (Cerf). Poustinia est un mot russe qui signifie « désert ».
De fait, la communauté Madonna House propose à ses membres et à ceux qui en sont proches
des lieux où l’on peut séjourner pendant vingt-quatre heures pour prier et jeûner en silence.
50
Ermitages Notre-Dame-de-la-Résurrection
Dans les causses du Rouergue, deux ermites accueillent en ermitage
pour un temps de prière silencieuse d’une à deux semaines. Office commun
deux fois par semaine.
Adresse : 82160 Puylagarde
Tél. : 05 63 65 77 36 ou 06 10 52 25 58
Email : ndresurrection@catholique-montauban.cef.fr
Famille monastique de Bethléem,
de l’Assomption de la VIERGE et de SAINT-
BRUNO
Les moniales de Bethléem proposent un accueil individuel en solitude
pour expérimenter la vie au désert, à l’écoute de l’Évangile et de la Vierge
Marie. Participation possible à la prière liturgique. Conditions matérielles
simples.
Liste complète des monastères sur le site bethleem.org.
Citons, entre autres lieux :
– le monastère de Bethléem, Route de Poligny, 77140 Nemours
Tél. : 01 64 28 13 75
– le monastère Notre-Dame-de-la-Gloire-Dieu, Les Montsvoirons,
74420 Boëge
Tél. : 04 50 39 14 01
– le monastère Notre-Dame-de-la-Source, Saint-Jean-de-l’Albère,
66480 Le Perthus
Tél. : 04 68 83 60 25
Chartreuse de Sélignac
Cette chartreuse, située dans l’Ain, a été confiée en 2001 à des laïcs.
Possibilité d’y faire une « retraite chartreuse » de cinq jours minimum, qui
se rapproche du style de vie des chartreux, à condition d’avoir déjà fait
l’expérience des retraites en silence.
Adresse : 01250 Simandre-sur-Suran
Tél. : 04 74 51 79 20
Email : accueil.selignac@gmail.com
Monastère La Demeure Notre-Père
Ce petit monastère composé de deux moines, les frères Jean-Michel et
Paul, enfoui dans les bois et les montagnes de l’Ardèche, met à la
disposition des retraitants quelques ermitages rustiques isolés les uns des
autres pour y faire l’expérience de la solitude et de la sobriété dans le
concret. Participation possible aux offices quotidiens et aux travaux de la
ferme.
Accueil téléphonique après 19 heures au 04 75 39 29 95.
Fraternité Notre-Dame-du-Désert
Cette laure belge regroupe aujourd’hui trois ermites et accueille des
« pèlerins » dans quatorze petits chalets disséminés dans un bois qui jouxte
une route peu passante. Silence et solitude de règle. Seul temps
commun quotidien : l’eucharistie.
Adresse : Rue de la Fagne 33a, 6460 Chimay, Belgique
Tél. depuis la France : 00 32 60 41 16 25 (laisser un message sur le
répondeur).
Accueil au carmel
Les couvents de la famille carmélitaine accueillent au cas par cas pour
des retraites silencieuses. Ainsi de l’accueil Saint-Élie/Carmel Saint-Joseph,
situé à Saint-Guilhem-le-Désert.
Tél. : 04 67 57 75 80
On peut trouver la liste complète des couvents qui reçoivent sur le site
du Guide Saint-Christophe : http://www.guidestchristophe.com/familles-
spirituelles/carmel.html.
Diaconesses de Reuilly
Sur le plateau du Haut-Lignon, dans le village du Mazet-Saint-Voy
(Haute-Loire), la communauté protestante des Diaconesses propose des
temps de retraites personnelles, soit à la Maison d’En Haut, petite hôtellerie
dotée de quelques chambres, soit au Moutier, où deux ermitages, ouverts
seulement à la belle saison, permettent de vivre une expérience de solitude
et de prière. Prévenir tôt à l’avance.
Tél. : 04 71 65 05 45
Email : soeursmoutier@free.fr
Épilogue
I
DISCIPLES DU CHRIST AU DÉSERT
1. Pasteur Daniel Bourguet, Un chemin de liberté, l’ascèse, Lyon, Olivétan, 2004.
2. Ibid.
3. Citation extraite de Redécouverte du jeûne (Paris, Cerf, 1959) et rapportée dans mon Grand
Livre du jeûne (Paris, Albin Michel, 2007).
4. Site Internet de La Croix : https://croire.la-croix.com/Definitions/Fetes-religieuses/Vendredi-
saint/Mon-Dieu-Mon-Dieu-pourquoi-m-as-tu-abandonne.
5. Livre non traduit en français, 2006.
6. Dans Le Psychanalyste et le Bibliste. La solitude, Dieu et nous (Paris, Bayard, 2007).
7. Tertullien, « Ad Martyras », cité dans Histoire de la solitude et des solitaires de Georges
Minois (Paris, Fayard, 2013).
8. Cité in G. Minois, Histoire de la solitude et des solitaires, op. cit.
9. Les Hommes ivres de Dieu (Paris, Seuil, 2008) est le titre d’un essai de Jacques Lacarrière
sur les anciens ermites des déserts d’Égypte.
10. Citée dans un article de La Croix : http://croire.la-croix.com/Journal/Les-Meres-desert-
spiritualite-lhumilite-2017-04-14-1100839737.
II
L’OCCIDENT LATIN
1. D’après l’article d’Alexia Vidot paru dans Famille chrétienne (1er août 2015) sous le titre
« Habiter la pierre nue ».
2. Cf. article d’Alexia Vidot, art. cit.
3. Il a coécrit avec Jacques Schnetzler De Saint-Eugène à Païolive (Montmélian, La Fontaine
de Siloé, 2003).
4. Georges Duby, Le Temps des cathédrales. L’art et la société. 980-1420, Paris, Gallimard,
1976.
5. Cité in G. Minois, Histoire de la solitude et des solitaires, op. cit.
6. Serge Bonnet et Bernard Gouley, Les Ermites, Paris, Fayard, 1980.
7. Devenir prière. Une vie d’ermite, Paris, Nouvelle Cité, 1984, est un livre de Marcel Driot
(1923-1995), ermite à l’abbaye de la Pierre-Qui-Vire.
8. S. Bonnet et B. Gouley, Les Ermites, op. cit.
9. Ces ermites sont évoqués dans La Cabale des dévots de Georges Minois, Ceyzérieu, Champ
Vallon, 2018.
10. Récit d’une ermite de montagne, Paris, Le Relié, 2019. Dans ce livre, elle relate son
quotidien et propose des réflexions sur la vocation des ermites, ainsi que des considérations
spirituelles. En 2021, sœur Catherine a publié, chez le même éditeur, une suite à ce récit sous le
titre : La Joie du réel.
11. G. Minois, Histoire de la solitude et des solitaires, op. cit.
12. S. Bonnet et B. Gouley, Les Ermites, op. cit.
13. Publication intitulée Les Ermites.
14. Yoga chrétien en dix leçons, Paris, Desclée De Brouwer, 1964.
15. Publié aux éditions Denoël, Paris, 1943 ; et repris en 1972 chez Gallimard, dans la
collection « Folio ».
16. Le père Déchanet est qualifié d’« ermite voyageur » dans Les Ermites, de B. Gouley et
S. Bonnet, op. cit., dont est issue la citation.
17. Sous la direction de Pierre Gisel, Paris, Cerf ; Genève, Labor et Fides, 1995.
18. In Jean Delumeau (dir.), Le Fait religieux, Paris, Fayard, 1993, article « Protestantisme ».
Historien et sociologue, Jean Baubérot a occupé la chaire d’histoire et sociologie du
protestantisme à l’École pratique des hautes études (Ephe).
19. Œuvres, t. I, cité par Adalbert de Vogüé dans Aimer le jeûne, Paris, Cerf, 1988.
20. In le Traité de la liberté chrétienne.
21. Sur un chemin de spiritualité, Lyon, Olivetan, 2000.
22. Les Maladies de la vie spirituelle, Lyon, Olivétan, 2012.
23. Les Ermites français, Paris, Cerf, 1974.
III
L’ORIENT CHRÉTIEN
1. Mémoires d’espérance, Paris, Desclée de Brouwer, 2003.
2. In L’Église orthodoxe, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2020.
3. In Mémoires d’espérance, op. cit.
4. Comme le dit à son sujet le père Placide Deseille dans Propos d’un moine orthodoxe.
Entretiens avec Jean-Claude Noyé, Paris, Lethielleux, 2010.
5. Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2012.
6. Son Entretien avec Motovilov est considéré comme l’un des sommets de la spiritualité
orthodoxe. L’ouvrage traduit en français est paru chez Arfuyen en 2002.
7. Le Jardin de la Vierge. Pèlerinage au mont Athos, Paris, J. Renard, 1991.
8. L’Âge d’Homme, « Grands spirituels orthodoxes du XXe siècle ».
9. Mes entretiens avec ce théologien érudit sont parus en 2010 dans le livre Propos d’un moine
orthodoxe, op. cit.
IV
SOLITAIRES ET SILENCIEUX
DES AUTRES TRADITIONS
RELIGIEUSES
1. In La Kabbale, Paris, Eyrolles, 2009.
2. Le Baal Shem Tov. Mystique, magicien et guérisseur, Paris, Albin Michel, 2020.
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Eyrolles, 2017. À lire aussi, du même auteur, Allah au féminin, Paris, Albin Michel, 2020.
6. In Les Voies d’Allah. Les ordres mystiques dans l’islam, ouvrage collectif, Paris, Fayard,
1996.
7. Ibid.
8. Publié aux éditions Verdier, « Islam spirituel », 1995.
9. Toutes les citations de cet encadré sont issues du livre de Christophe Fauré, S’aimer enfin !
Un chemin initiatique pour retrouver l’essentiel, Paris, Albin Michel, 2018.
10. Concernant la pratique du yoga en solitude, on lui attribue ce propos : « Si un yogi a peur
de rester en solitude dans une grotte ou une caverne, il n’aura même pas goûté au parfum du
yoga », rapporté par Jacqueline Kelen dans L’Esprit de solitude, Paris, Albin Michel, 2005.
11. Paris, La Martinière, 2007, 2009.
12. Paru chez Nil, avec pour sous-titre « Le Bouddhisme aujourd’hui », ce livre, écrit sous
forme d’un dialogue avec son père Jean-François Revel, a été traduit en vingt et une langues.
13. Seuls ensemble. De plus en plus de technologies, de moins en moins de relations humaines,
Paris, L’Échappée, 2015.
14. Un ermitage dans la neige, Paris, Nil, 2000 ; rééd. 2018.
15. Propos rapporté par Jacqueline Kelen dans L’Esprit de solitude, op. cit.
16. In Le Fait religieux, op. cit., article « Hindouisme ».
17. Extrait des Lois de Manu.
18. In Le Fait religieux, op. cit.
19. Livre accessible sur le Net : jacquesvigne.com/JV/livres/inde-interieure.html.
20. La Montée au fond du cœur. Le journal intime du moine chrétien-sannyasi hindou, 1948-
1973, Paris, Œil, 1986.
21. Extrait d’un courrier à son seul disciple, le Français Marc Chaduc.
22. Henri Le Saux, Souvenirs d’Arunachala, Paris, Épi, 1978.
23. Ibid. Quand il établira son ermitage dans les contreforts de l’Himalaya, à Uttarkashi, aux
sources du Gange, ce sera près d’un sadhu bengali qui, dès les débuts de son tapas, avait fait
vœu de garder le silence pendant dix ans, jusqu’à s’interdire pendant une année entière tout
geste ou signe qui puisse remplacer la parole.
24. Ibid.
25. Ibid.
26. Tiré du site Internet du Secrétariat au service des oblats et des oblatures bénédictines :
https://www.le-sob.fr/2019/01/08/une-soeur-de-pradines-a-vecu-pres-de-30-ans-en-inde/.
27. Signalons, chez Albin Michel, Soigner son âme. Méditation et psychologie, La Mystique du
silence, ainsi que Le Maître et le Thérapeute. Aux éditions du Relié, L’Inde intérieure. Aspects
du yoga, de l’hindouisme et du bouddhisme et Pratique de la méditation laïque. Dernier
titre paru : L’Envol vers la liberté d’être. Thérapies et sagesses universelles, un livre coécrit
avec Michèle Cocchi (Saint-Geours-de-Maremne, Accarias L’Originel, 2011).
28. La Route céleste. Rencontre avec les ermites chinois d’aujourd’hui, Paris, Librairie de
Médicis, 1994.
29. Lao Tseu et le taoïsme, Paris, Seuil, « Maîtres spirituels », 2014.
30. Propos rapporté par Patrice Fava dans L’Usage du Tao. Récit d’un voyage intérieur entre
l’Orient et l’Occident, Paris, Lattès, 2018.
31. Kristofer Schipper, article « Taoïsme », in Le Fait religieux, op. cit.
32. In Lao Tseu et le taoïsme, op. cit.
33. In L’Usage du Tao, op. cit.
34. Le « Zhuangzi » ou « Tchouang Tseu » (nom romanisé).
35. In Lao Tseu et le taoïsme, op. cit.
36. Randonnées aux sites sublimes, Paris, Gallimard, « Connaissance de l’Orient ». Xu Xiake
évoque notamment un ermite du Shanxi qui avait écrit sur un rocher à l’entrée de la montagne
où il vivait : « Ici s’arrête la parole. »
37. http://www.lepoint.fr/monde/chine-au-pays-des-foules-le-temps-revenu-des-ermites-26-12-
2014-1892451_24.php.
38. http://french.peopledaily.com.cn/Sports/n/2015/0721/c31359-8923296.html.
39. In Variété III, 1936.
V
DES AVENTURIERS DE LA SOLITUDE
HORS CADRE
1. Alexandre Grothendieck, itinéraire d’un mathématicien hors normes, Toulouse, Privat, 2015.
2. La Clef des songes, un manuscrit de 315 pages mis en ligne sur Internet.
3. L’Homme à la recherche de son humanité, Paris, Aubier Montaigne, 1971 ; Introduction à
l’intelligence du passé et de l’avenir du christianisme, Paris, Aubier Montaigne, 1970.
4. Récoltes et semailles. Réflexions et témoignages sur mon passé de mathématicien. Plus de
900 pages accessibles sur Internet, et publiées aux éditions Gallimard, en janvier 2022, dans la
collection « Tel ».
5. V. M. Peskov, Ermites dans la taïga, Arles, Actes Sud, « Terres d’aventure », 1992 ; Des
nouvelles d’Agafia, ermite dans la taïga, Arles, Actes Sud, 2009.
6. Article sur le site de l’agence Tass : https://tass.ru/v-strane/7080015.
7. Michael Finkel, Le Dernier Ermite. L’histoire incroyable d’un homme qui a vécu seul
pendant vingt-sept ans dans les forêts du Maine, Paris, Lattès, 2017.
8. « Les bons plaisirs » d’Ali Rebeihi, sur France Culture, le 6 août 2013, émission intitulée
« Le plaisir de la solitude ».
9. « Que ferons-nous de cette épreuve ? », Paris, Gallimard, « Tracts de crise », no 23, 30 mars
2020.
10. Interview du 14 avril 2020.
11. Sur le site du quotidien suisse Le Temps, interview du 1er juin 2018.
12. « Japon : la vie en retrait des hikikomoris ». Reportage disponible sur YouTube.
13. Paris, Pygmalion, 2018.
14. Dans une vidéo du média en ligne Konbini News.
15. « Reclus et sans projet : qui sont les Hikikomori français ? », lexpress.fr., 3 février 2019.
16. La Serpe, Paris, Julliard, 2017.
17. Édition du 27 mars 2020. Rappelons que le premier confinement lié à la pandémie de
Covid-19 a été en vigueur du 17 mars au 11 mai 2020.
18. La Femme et l’Ours, Paris, Grasset, 2011.
19. Barry-aeria.fr. L’objectif de cette association est de promouvoir l’aménagement et la
sauvegarde du massif de Barry et de ses deux villages troglodytes.
20. « Penne. Comment l’ermite vivait dans sa grotte ? », ladepeche.fr.
21. Ibid.
22. Ibid.
23. « L’ermite des grottes du Tarn », leparisien.fr.
VII
EXPÉRIMENTER LA VIE D’ERMITE
1. La Sagesse comme art de vivre. Abécédaire de la vie spirituelle, Paris, Bayard, 2009.
2. In Bertrand Vergely, La Foi, ou la nostalgie de l’admirable, Paris, Albin Michel, 2004.
Remerciements