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www.editionsdurocher.fr
ISBN : 978-2-268-10512-3
EAN E-pub : 9782268105260
Sylvie Hébert
Acouphènes,
les RECONNAÎTRE
et les OUBLIER
Ce livre est dédié à toutes les personnes qui vivent avec des acouphènes, en
particulier à celles qui en souffrent, ainsi qu’aux membres de leur
entourage. Il a été écrit avec l’intention de combler un besoin d’information
et d’offrir de l’espoir.
INTRODUCTION
La petite histoire
On entend de plus en plus fréquemment parler des acouphènes. On les
associe souvent à l’augmentation du bruit dans les sociétés modernes et à
l’utilisation d’appareils portatifs pour écouter de la musique, et ce, à des
niveaux sonores excessifs. Il est vrai que la prévalence de l’acouphène
rapportée est en croissance, peut-être parce qu’il survient plus
fréquemment, peut-être parce qu’on en parle davantage. Ce n’est toutefois
pas un phénomène nouveau. Hippocrate (460-377 avant notre ère), le père
de la médecine et auteur du serment prêté encore aujourd’hui par les
médecins, en rapporte les manifestations par trois mots : echos (sons),
bombos (bourdonnements) et psophos (faibles sons). Il les associe à la perte
auditive, aux maux de tête et aux douleurs menstruelles. C’était l’époque à
laquelle les maladies étaient expliquées par un déséquilibre entre les
humeurs constituant le corps humain – bile jaune, bile noire, phlegme et
sang. Dans ce contexte, l’acouphène était interprété comme une mélancolie
causée par un excès de bile noire. La théorie des humeurs a influencé la
pratique médicale jusqu’au XIXe siècle (par exemple, avec la saignée),
après quoi elle a été complètement abandonnée. Il est toutefois intéressant
de noter que les données cliniques actuelles rapportent un risque augmenté
d’acouphène dans des cas de stress psychologique, auquel peut être associée
une humeur dépressive.
Sommes-nous nombreux ?
Les études à grande échelle ont eu recours à différentes questions pour
essayer d’évaluer combien de personnes présentent des acouphènes et leur
sévérité, ce qui a produit des résultats très variables. Par exemple, on
obtient des données très différentes selon qu’on demande à quelqu’un s’il
entend « en ce moment » des bruits ou des sons dans ses oreilles, s’il en a
entendu « dans le dernier mois », « la dernière année », ou encore s’il « en
éprouve fréquemment ». Cela dit, lorsqu’on demande aux gens s’ils ont «
des bruits dans la tête ou dans les oreilles qui durent généralement plus de
cinq minutes », de 10 à 30 % d’entre eux répondent par l’affirmative, avec
un accroissement du pourcentage pour les personnes qui avancent en âge.
La prévalence des personnes atteintes d’acouphènes dérangeants, soit qui
interfèrent avec les activités de la vie quotidienne ou affectent la qualité de
vie, varie de 3 à 30 %.
Au printemps 2019, une étude de Statistique Canada a rapporté des
résultats surprenants à plusieurs égards1. Premièrement, la prévalence
observée était plus élevée que dans les études précédentes. On estimait en
effet à 37 % le nombre de Canadiens âgés de 19 à 79 ans qui rapportaient
avoir vécu des acouphènes dans la dernière année. De plus, contrairement
aux études précédentes, les pourcentages étaient plus élevés chez les jeunes
(46 % chez les 19 à 29 ans) que chez les plus âgés (33 % chez les 30 à
49 ans et 35 % chez les 50 à 70 ans). Parmi les 37 % des Canadiens ayant
rapporté des acouphènes, 80 % d’eux ne les considéraient pas comme
dérangeants, tandis qu’ils l’étaient pour les autres (20 % du total), affectant
divers aspects du quotidien, dont le sommeil, la concentration et l’humeur.
Dans cette même étude, on estimait que 80 % des jeunes de 19 à 29 ans
utilisaient des appareils audio portatifs pour écouter de la musique à des
niveaux sonores souvent excessifs. Chez les 30 à 49 ans, ce pourcentage
était de 53 %, alors qu’il passait à 28 % chez les 50 à 79 ans. Parmi toutes
les personnes qui utilisaient ce type d’appareils, les jeunes écoutaient de la
musique pour une durée moyenne de 7,8 heures par semaine, beaucoup plus
que les 30 à 49 ans (5,5 heures) et les 50 à 79 ans (5,2 heures). Des
tendances similaires ont été observées pour l’écoute de la musique à volume
élevé ou fort. Un volume « élevé » atteint les trois quarts du volume
maximal permis par l’appareil ou davantage, ou encore est élevé au point
qu’une personne située à la distance d’un bras doit élever la voix pour se
faire entendre. Les jeunes étaient également plus exposés au bruit fort et à
la musique amplifiée que les personnes plus âgées, tant les femmes que les
hommes, et ce, au travail comme dans les loisirs. Enfin, les adultes qui
avaient vécu un épisode d’acouphène, en particulier ceux chez qui il était
jugé dérangeant, étaient plus susceptibles de rapporter une réduction de
qualité de vie.
Que retenir de cette étude ? Il faut d’abord apporter une nuance. Les
taux élevés de personnes qui ont déclaré des acouphènes pourraient être
relatifs à la question qui était posée. En effet, on demandait aux gens s’ils
avaient vécu un épisode d’acouphène dans l’année précédente. Le résultat
comptait aussi bien les personnes avec un acouphène occasionnel (disparu
après un certain temps) qu’avec un acouphène chronique (continuel). Outre
cette nuance, il est connu que l’acouphène occasionnel est fortement associé
à l’écoute de sons à volume élevé, ce que confirment les résultats de
l’étude. Or, l’exposition à des sons forts est aussi associée à la perte
auditive. La forte prévalence d’acouphènes chez les jeunes fait donc
redouter que les jeunes gens commencent très tôt à subir des dommages
auditifs en raison de cette exposition à la musique forte. Par conséquent, les
jeunes présentent un risque élevé de vivre des acouphènes chroniques plus
tard dans leur vie. Il y a donc un important travail de sensibilisation et de
prévention à faire auprès des jeunes pour qu’ils prennent soin de leur
audition.
https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/acouphenes/bilan-traitement-
prevention https://www.afrepa.org/
Le diagnostic
Il n’existe pas de test objectif pour confirmer l’existence d’un
acouphène subjectivement rapporté, ni pour en déter-miner la sévérité. Il est
impossible de prouver au moyen d’un test qu’une personne a un acouphène.
À l’inverse, il est tout aussi difficile de prouver qu’elle n’en a pas. Ainsi, le
compte rendu subjectif de la personne atteinte revêt une très grande
importance.
Trois éléments sont essentiels pour diagnostiquer un acouphène.
L’histoire de cas
Au cours de la première rencontre avec le clinicien – médecin,
audiologiste ou ORL –, plusieurs des renseignements fournis dans le récit
du patient vont aider dans la recherche d’une cause, l’étiologie. La
description des bruits entendus et leur association avec un événement
déclencheur ou d’autres symptômes sont des facteurs clés dans
l’identification de l’acouphène et la recherche d’une cause précise. Il s’agit
des paramètres suivants :
• leur fréquence – basse comme un bourdonnement sourd ou haute
comme un sifflement aigu ;
• leur localisation – à l’intérieur de la tête, dans les deux oreilles ou dans
une seule ;
• leur apparition ou une aggravation – graduelle ou soudaine, après un
événement particulier ; par exemple un traumatisme acoustique, un
coup à la tête, un accident de voiture, un travail dans un environnement
bruyant ;
• leur association avec la prise d’un médicament ;
• leur association avec d’autres symptômes, comme une sensation
d’oreille « pleine », des douleurs à la mâchoire, une malocclusion
causée par des dents manquantes, des vertiges, des maux de tête ou une
hypersensibilité aux sons, ou encore une synchronisation avec les
battements cardiaques. Par exemple, un bruit de basse fréquence décrit
comme un grondement accompagné de perte auditive fluctuante et de
vertiges pourrait orienter le diagnostic vers la maladie de Ménière et
suggérer au clinicien de procéder à des tests supplémentaires. Une
exposition au bruit au travail pendant plusieurs années pourrait orienter
vers un diagnostic d’acouphènes causés par une perte auditive
neurosensorielle.
L’examen audiologique
Beaucoup de gens atteints d’une perte auditive ne s’en rendent pas
compte. C’est pourquoi les patients qui rapportent des acouphènes devraient
toujours être dirigés vers l’ORL et l’audioprothésiste pour un examen.
Plusieurs tests cliniques sont disponibles afin de déterminer le type et
l’ampleur d’une perte auditive, et éventuellement y remédier. De plus,
lorsqu’un acouphène est le motif principal de la consultation, le
professionnel a parmi ses tâches importantes à départager les patients qui
sont gravement affectés par leurs acouphènes, quelquefois appelés des
acouphènes décompensés ou cliniques, de ceux qui ne le sont pas, et qui ont
des acouphènes compensés ou non cliniques. Le spécialiste évalue la
sévérité de l’acouphène et ses répercussions à l’aide de questionnaires
validés ou au moyen de questions ouvertes. Il est en mesure de faire une
évaluation psychoacoustique de l’acouphène (appariement) lorsque le
patient le demande ou lorsque c’est indiqué pour l’intervention. Enfin,
lorsque c’est approprié, le spécialiste prépare un plan d’intervention en
collaboration avec le patient.
Les sons naturels ne correspondent pas à une seule fréquence, mais plutôt
à plusieurs fréquences simultanées. C’est cet amalgame qui en fait le
timbre et qui distingue par exemple le la d’un piano de celui d’une
clarinette. En effet, si deux notes ont la même fréquence de base de 440
Hz, leur agencement en harmoniques (des multiples de la fréquence
fondamentale) fait qu’on identifie et discrimine facilement deux
instruments de musique qui jouent une même note.
L’acouphène peut aussi avoir un timbre particulier, car il est
généralement composé de plusieurs fréquences. Ce mélange de
fréquences peut sonner comme une note de musique ou un bruit
contenant une quantité plus ou moins grande de fréquences (c’est la «
largeur » de bande du bruit). Selon qu’il y a une fréquence très
dominante ou non, l’appariement de l’acouphène n’est pas toujours
parfaitement réussi.
L’oreille externe
L’oreille externe se compose du pavillon de l’oreille et du conduit
auditif externe. Le pavillon est constitué principalement de cartilage
recouvert de peau, et sa partie inférieure est le lobe de l’oreille. Le conduit
auditif externe est un canal en forme de tube qui diminue en diamètre pour
se fermer par le tympan à son interface avec l’oreille moyenne. Les deux
tiers internes du conduit auditif sont creusés à même l’os temporal du crâne
et tapissés de peau dotée de glandes sébacées et cérumineuses qui
produisent du sébum et du cérumen, des substances qui lubrifient le
conduit, le rendent imperméable et le protègent contre les corps étrangers.
Le conduit externe sert essentiellement à transmettre l’onde sonore jusqu’au
tympan, une petite membrane souple qui fait vibrer les osselets de l’oreille
moyenne – le marteau, l’enclume et l’étrier. Le cérumen devrait
normalement s’évacuer de lui-même du canal, mais il arrive qu’il
s’accumule et forme un bouchon qui doit être enlevé par un professionnel.
Les personnes âgées y sont particulièrement vulnérables, car le canal auditif
peut se courber. Le cérumen étant aussi plus sec, il s’évacue donc plus
difficilement. Un acouphène créé par un bouchon de cérumen peut se
résorber lorsque le bouchon est retiré.
Figure 2.2 Surdité de transmission et surdité neurosensorielle Lorsque
la perte touche l’oreille externe ou moyenne, elle est dite « de
transmission ». Lorsque la perte touche l’oreille interne et les voies
auditives jusqu’au cerveau, elle est dite « neurosensorielle ».
Source : https://www.cotral.fr/blog/prevention-risques-auditifs/le-
fonctionnement-de-l-oreille-humaine.html
L’oreille moyenne
L’oreille moyenne est formée du tympan et des osselets, les trois plus
petits os du corps humain : le marteau, l’enclume et l’étrier, nommés en
raison de leurs formes caractéristiques. Ces os forment une chaîne à partir
du marteau attaché au tympan jusqu’à l’étrier appuyé sur la membrane (la
fenêtre ovale) à l’interface avec l’oreille interne. Étant donné que la
vibration doit passer d’un milieu aérien (dans l’oreille moyenne) à un
milieu liquide (dans l’oreille interne), la fonction principale des osselets est
d’amplifier la vibration, car le liquide de l’oreille interne est plus dense que
l’air et résiste à la vibration. L’étrier de l’oreille moyenne applique la
vibration sur une petite ouverture de la cochlée (dans l’oreille interne)
recouverte d’une membrane, la fenêtre ovale. Ainsi, la chaîne des osselets
fait office de piston pour amplifier la vibration depuis l’oreille externe
jusqu’à l’oreille interne.
L’oreille interne
L’oreille interne comprend l’appareil vestibulaire (qui contribue à la
sensation de mouvement et à l’équilibre) et la cochlée. Celle-ci est une
structure en forme de colimaçon sculptée dans l’os temporal du crâne, dont
la fonction est de transformer l’onde mécanique présentée par les osselets à
la fenêtre ovale en une onde électrique transmise dans le nerf auditif.
La cochlée est divisée en trois compartiments remplis de liquide et
séparés par des membranes, dont la membrane basilaire, le long de laquelle
des vibrations sont déclenchées en réponse aux différentes fréquences des
sons transmis par la membrane de la fenêtre ovale. Ce déplacement relatif
des différentes sections de la membrane basilaire entraîne l’activation des
cellules ciliées qui y sont reliées, puis l’activation des terminaisons
nerveuses du nerf cochléaire. Les cellules ciliées sont vulnérables à
plusieurs facteurs, parmi lesquels les sons forts, et elles peuvent être
irréversiblement endommagées. Nous naissons avec un capital de cellules
ciliées qui ne croît pas au cours de la vie. Ainsi, lorsque des cellules ciliées
sont détruites, elles ne se régénèrent pas, et leur perte provoque des
problèmes d’audition qui peuvent aller d’une difficulté à entendre les sons
faibles à une difficulté à suivre une conversation dans un bruit ambiant. La
perte de cellules ciliées produit une perte auditive neurosensorielle. Le
vieillissement et l’exposition au bruit affectent plusieurs aspects du
fonctionnement cochléaire. La densité et l’intégrité des cellules ciliées, les
synapses des cellules ciliées internes et la survie des fibres du nerf auditif
qui relaient l’information des cellules ciliées jusqu’aux autres relais sont
affectés.
La description verbale
Les acouphènes peuvent être décrits de multiples façons selon qu’ils
sont en hautes fréquences – comme une sonnerie, un sifflement, le bruit
émis par un transformateur, le chant d’une cigale – ou qu’ils sont en basses
fréquences – un bourdonnement, le ronronnement d’un moteur, un
grincement ou le chuintement d’une chute d’eau. Il peut aussi y avoir
plusieurs sons simultanés. En fait, les gens décrivent leurs acouphènes en se
référant à des sons qui leur sont familiers. Ainsi, les riverains de l’océan
auront tendance à décrire leur acouphène comme un bruit de vagues plus
fréquemment que les habitants d’un milieu rural, tandis qu’à l’inverse ceux-
ci auront tendance à décrire leur acouphène comme les stridulations des
criquets ou des cigales.
Cas de figure
La maladie de Ménière
La maladie de Ménière est un trouble de l’oreille interne caractérisé par
un trio de symptômes : des crises de vertige invalidantes, une perte
d’audition neurosensorielle en basses fréquences fluctuante et progressive,
ainsi que des acouphènes. Les acouphènes apparaissent souvent comme
premier symptôme du trio. Ils peuvent être intermittents au début, souvent
précédés par une sensation d’oreille pleine, puis devenir chroniques. Ils sont
le plus souvent unilatéraux (du côté de l’oreille affectée) et typiquement de
basse fréquence, comme un bourdonnement. La maladie de Ménière est
causée par un excès d’endolymphe, ou de liquide, dans l’oreille interne.
Le traumatisme crânien et la commotion cérébrale Un traumatisme
crânien, une commotion cérébrale ou un coup du lapin (le whiplash, en
anglais), comme dans un accident d’auto qui cause une flexion-extension du
cou, peuvent aussi provoquer des acouphènes. Leurs mécanismes sont
toujours méconnus, mais ils incluent possiblement les dommages
traumatiques à l’oreille interne et aux voies auditives, ainsi que les
processus inflammatoires et biochimiques complexes qui surviennent à la
suite d’un accident.
Le paradoxe de l’intensité
La troisième courbe du graphique de la figure 3.1, celle qui relie les
losanges, représente pour chaque fréquence la moyenne de l’intensité de
l’acouphène de tous les participants à l’étude et telle qu’ils l’ont estimée
eux-mêmes. On observe que l’intensité de l’acouphène n’est que
légèrement plus élevée que le seuil de détection pour chaque fréquence. Ici,
l’acouphène était en moyenne de seulement 4 décibels au-dessus du seuil.
La faible intensité de l’acouphène, lorsque la personne la juge par rapport à
un son externe qui lui est présenté, alors que la même personne perçoit
l’acouphène comme un son d’intensité élevée en tant que son interne – dans
une oreille, dans les deux ou dans la tête – est un trait caractéristique de
l’acouphène.
La faible intensité des sons externes auxquels les personnes
acouphéniques associent leur acouphène est surprenante. Comment se fait-il
que l’intensité de l’acouphène puisse être décrite comme intolérable dans la
vie quotidienne alors qu’un son externe auquel il est apparié pendant l’étude
n’est que de quelques décibels au-dessus du seuil d’audibilité ? Cela
suggère que l’intensité d’un son généré par le système auditif n’est pas
perçue de la même façon que celle d’un son externe. Étant donné les
changements physiologiques et les altérations de la perception qui
accompagnent l’acouphène, il est possible que le son interne soit perçu
beaucoup plus fort que le son externe désigné par la personne lors de
l’appariement. Il est possible également que d’autres facteurs (comme l’état
psychologique) jouent un rôle important dans le degré de dérangement
vécu, car un acouphène de même intensité chez deux personnes peut être
jugé intolérable par l’une et acceptable par l’autre. Quoi qu’il en soit, on
peut en déduire que l’intensité en décibels estimée dans l’étude
d’appariement ne prédit pas la réaction de la personne dans la vie
quotidienne.
Il se peut aussi que d’autres variables psychoacoustiques de l’acouphène
puissent mieux rendre compte du dérangement causé, par exemple la
masquabilité de l’acouphène ou la possibilité ou non de le masquer au
moyen d’un son externe. Certains acouphènes ne peuvent pas être masqués
par un son externe. Il existe encore peu de données sur cette question, en
particulier sur le lien entre la masquabilité et l’intensité perçue, puis sur le
lien entre la masquabilité et la réaction de la personne, notamment parce
que les méthodes d’évaluation très précises de l’acouphène nécessaires ne
sont pas accessibles à tous les professionnels et chercheurs.
L’acouphène, résultat d’une plasticité cérébrale déréglée ? Le modèle
du gain central L’un des modèles d’acouphène parmi les plus répandus et
associés à la perte auditive est celui du gain central augmenté. Selon ce
modèle, la perte auditive crée une réponse nerveuse inadaptée du système
auditif central. Il s’agit en effet d’une activité neurale, et non d’une activité
vibratoire ou mécanique, puisque même la section du nerf
vestibulocochléaire par chirurgie pour des raisons médicales ne fait pas
disparaître l’acouphène. Au contraire, elle peut en déclencher. Cette
observation suggère que le système auditif central (plutôt que la cochlée)
joue un rôle majeur, si ce n’est dans la production, du moins dans le
maintien de l’acouphène. Des études en neuro sciences ont démontré que
lorsqu’une entrée sensorielle est réduite, un certain degré de plasticité
s’installe pour la compenser. C’est aussi ce qui se produit dans le système
auditif. En effet, plusieurs études convaincantes ont démontré que chez les
animaux qui ont des acouphènes, il y a une augmentation de l’activité
nerveuse spontanée dès les premiers relais du système auditif (le noyau
cochléaire). Cette activité augmentée est accompagnée d’une
synchronisation des réponses nerveuses. En d’autres mots, les neurones
synchronisent leurs réponses pour former une réponse collective. Cette
activité augmentée et cette synchronisation de populations de neurones
pourraient être responsables de la formation d’un percept comme
l’acouphène.
Suis-je à risque ?
Il y a deux aspects au risque posé par l’acouphène : sa présence et sa
sévérité. Le facteur de risque le plus important pour la présence d’un
acouphène subjectif est le dommage auditif, qu’il soit neurosensoriel ou de
transmission. Toutes les personnes exposées à des sons forts dans leur
travail ou dans leurs loisirs sont susceptibles de développer des acouphènes.
Ainsi, les groupes à risque incluent les personnes qui travaillent dans le
bruit, par exemple les employés d’usines et de centrales téléphoniques, les
pompiers et les travailleurs de chantiers de construction, de même que les
militaires, les musiciens professionnels ou amateurs et les chasseurs. La
perte auditive étant associée à l’âge, les personnes âgées étaient
traditionnellement plus à risque que les jeunes de développer des
acouphènes. Mais les jeunes s’ajoutent désormais à cette liste en raison de
leur exposition volontaire aux sons forts par l’entremise des appareils
portatifs. Cela fait beaucoup de monde…
D’autres facteurs de risque associés à l’état de santé s’ajoutent à la perte
auditive pour expliquer la présence d’acouphènes. Le tabagisme, qu’il soit
actuel ou passé, est un facteur de risque documenté à ce propos. Cet effet
est direct et va au-delà du fait que le tabagisme est associé à la perte
auditive neurosensorielle. On soupçonne également l’hypertension et le
diabète comme facteurs de risque, mais les données probantes sont plus
faibles. On croit qu’ils pourraient augmenter la prévalence des acouphènes
par leur rôle dans la perte auditive neurosensorielle, associée à l’apparition
d’acouphènes.
Les facteurs de risque les plus importants pour la sévérité de
l’acouphène sont de nature autre qu’auditive : ce sont l’épuisement
émotionnel, le stress chronique et la présence de dépression et d’anxiété.
L’état psychologique à la survenue des acouphènes est un facteur qui pourra
déterminer comment l’acouphène est interprété. L’âge avancé et le degré de
perte auditive ont aussi été identifiés comme facteurs associés à des
acouphènes plus sévères.
Groupes à risque
1. Les jeunes et moins jeunes qui écoutent de la musique à des niveaux
élevés.
2. Les musiciens.
3. Les militaires.
4. Les chasseurs.
5. Les travailleurs en milieu bruyant ou stressant (pompiers, travailleurs
d’usine, de chantier, opérateurs de centrales téléphoniques, travail-
leuses en service de garde9).
1. Éprouver des difficultés à entendre ce que les gens disent dans les
endroits bruyants.
2. Éprouver des difficultés à entendre ce que les gens disent à la
télévision.
3. Éprouver des difficultés à entendre les gens qui ont des voix faibles.
4. Éprouver des difficultés à entendre ce qui est dit dans les
conversations de groupe.
Difficultés associées aux acouphènes
• L’hyperacousie
Les patients acouphéniques se plaignent souvent d’hyper-acousie, qu’on
pourrait définir comme une sensibilité plus grande que la normale aux sons
; ils sont perçus plus fort par une personne qui a une hyperacousie que par
un auditeur normal. L’hyperacousie peut être subtile et passer inaperçue,
mais dans certains cas elle peut être plus invalidante que l’acouphène. Les
instruments pour mesurer l’hyperacousie sont encore limités, et la définition
ainsi que les critères ne sont pas universels. Cette situation limite
évidemment les moyens pour y remédier. L’hyperacousie et l’acouphène
pourraient être des conséquences de l’hyperactivité neurale. En cas
d’hyperacousie, il ne faut pas porter en permanence des protecteurs auditifs,
car ceux-ci augmentent la sensibilité et aggravent le problème. La solution
réside plutôt au contraire dans la stimulation sonore, qui désensibilise la
perception. Le chapitre 5 porte sur cette question.
S’informer
Savoir que l’acouphène est commun, qu’il s’agit d’un trouble de
l’audition plutôt que d’une maladie, qu’il est rarement causé par une
pathologie et n’est pas dangereux devrait déjà rassurer. On ne meurt pas
d’acouphènes ni de complications associées aux acouphènes. Rechercher de
l’information est une bonne façon de commencer à reprendre le contrôle de
la situation par l’autoresponsabilisation (ou empowerment, en anglais), à
être proactif et à se maintenir au fait des derniers développements.
L’information est un des éléments qui ressort le plus souvent parmi les
préférences des patients concernant les traitements possibles. Beaucoup de
personnes acouphéniques qui consultent en clinique, sans nécessairement
présenter de perte auditive significative, seront apaisées à la suite de leur
rendez-vous et n’auront pas besoin d’autre suivi. Les explications données
par le clinicien, habituellement l’ORL ou l’audioprothésiste (s’il y a une
ordonnance) permettent de mieux comprendre d’où vient l’acouphène et de
faire des choix éclairés quant aux stratégies à utiliser pour leur cas
particulier.
En plus des renseignements donnés par le clinicien, il y a de multiples
façons de s’informer sur les acouphènes. Lire ce livre en est une. Il existe
aussi des sites web sérieux destinés au grand public, en français comme en
anglais. Ces sites peuvent donner beaucoup d’informations bien
documentées sur l’audition et sur les options d’intervention possibles pour
les acouphènes. L’avantage est qu’on peut les consulter aussi souvent qu’on
le veut et en assimiler le contenu à son propre rythme. La qualité de
l’information est toutefois importante. Il faut savoir qu’il existe aussi des
sites frauduleux qui proposent des solutions faciles, onéreuses et souvent
farfelues. La pseudo-science foisonne sur le Web, et les sites sur les
acouphènes ne font pas exception. Il faut particulièrement se méfier des
sites qui proposent des recettes ancestrales, secrètes, naturelles ou
universelles. Un exemple ? Les bougies auriculaires, aussi appelées bougies
d’oreille ou chandelles auriculaires, sont présentées comme une technique
traditionnelle « ancestrale, naturelle, de plus en plus recommandée par les
spécialistes », notamment pour « stimuler l’irrigation sanguine, nettoyer les
oreilles et soigner les otites et les acouphènes ». La méthode propose de
pencher la tête et de tenir une bougie allumée debout dans le canal auditif,
comme si celui-ci était un bougeoir. Mais, surprise, non, se mettre des
bougies allumées dans les oreilles n’est pas recommandé par les
spécialistes, et ce n’est pas non plus une solution pour nettoyer les oreilles,
soigner les acouphènes ou quoi que ce soit. Cela constitue plutôt un geste
dangereux et potentiellement très dommageable. Dans le doute, il vaut
mieux s’informer auprès d’un professionnel de la santé et garder en tête que
si une cure miracle pour supprimer les acouphènes existait, le monde entier
en aurait été informé rapidement.
Si elles pouvaient choisir parmi une panoplie de traitements éliminant
totalement leur acouphène, la grande majorité des personnes acouphéniques
choisiraient de prendre une pilule. Elles seraient à peine moins nombreuses
à choisir une pilule si celle-ci réduisait seulement de moitié l’intensité de
leur acouphène et le désagrément qu’il leur cause. Et certaines personnes
seraient même prêtes à endurer des traitements chirurgicaux très invasifs et
coûteux pour éliminer ou diminuer leur acouphène. Mais soyons clairs :
cette pilule ou ce traitement miracle n’existent pas. Du moins, pas encore.
Dans l’état actuel des connaissances, et à moins de situations
exceptionnelles, un acouphène ne peut pas être éliminé. Et en raison de
l’hétérogénéité des acouphènes, il est très improbable qu’une seule et même
solution puisse éliminer le phénomène chez toutes les personnes
acouphéniques. Les options thérapeutiques actuelles visent plutôt la
réduction des conséquences de l’acouphène par diverses approches de
contrôle, d’habituation, de diversion de l’attention et de modification des
pensées excessivement négatives.
En français
https://acouphenesquebec.org
http://www.cochlea.org
https://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?
doc=acouphenes_pm
En anglais
https://www.ata.org
https://www.tinnitus.org.uk
14. « Peu importe à quel point ce bruit devient désagréable, je peux y faire
face. »
01234
15. « Ce bruit peut être désagréable, mais il ne me rendra pas fou (folle). »
01234
16. « Je pourrai profiter davantage des choses si je ne fais pas attention à
ce bruit. »
01234
17. « Je ne suis pas la seule personne qui ait des acouphènes. »
01234
18. « Il y a des choses pires, dans la vie, que des acouphènes. »
01234
19. « Ce bruit va finir par être moins dérangeant si je tente de me distraire.
»
01234
20. « J’ai fait face à ce bruit avant, alors je peux y faire face encore cette
fois. »
01234
21. « Ça va m’aider si j’essaie de penser à quelque chose d’agréable. »
01234
22. « Je peux apprendre à vivre avec. »
01234
23. « Ce bruit peut être présent, mais je peux quand même profiter de la
vie. »
01234
24. « Pense à quelque chose d’autre que ce bruit. »
01234
25. « Je ne penserai pas à ce bruit. »
01234
26. « Ce bruit est une nuisance, mais je ne le laisserai pas me déranger. »
01234
Résultat global pour les pensées positives (somme des réponses aux
questions 14 à 26) sur un total possible de 52 :
Prévenir et protéger
La première chose à faire pour prévenir l’apparition d’un acouphène est
simple, il faut protéger son audition. Bien qu’on ne puisse pas éviter le
vieillissement ou changer sa génétique, on peut assurément exercer un
certain contrôle sur notre exposition au bruit. Et la meilleure protection
pour prévenir l’apparition d’un acouphène est d’éviter les situations qui
exposent à un bruit excessif lorsque c’est possible, soit lorsqu’elle est
volontaire. Est-il nécessaire de courir les festivals de musique à fort volume
toutes les fins de semaine de l’été ? Les concerts de musique amplifiée
atteignent facilement des niveaux dommageables pour les oreilles. Le fait
d’expérimenter un acouphène temporaire après une exposition à de la
musique ou à du bruit devrait être compris comme un signal d’alarme
signifiant que c’était trop fort.
Si vous êtes en train de lire ce livre, c’est probablement que vous avez
déjà un acouphène, qu’il soit chronique ou non. Dans ce cas, éviter
l’exposition au bruit excessif est une bonne chose. Beaucoup de personnes
acouphéniques rapportent que l’exposition à un bruit fort augmente leur
acouphène. En plus de limiter les dommages auditifs additionnels, éviter le
bruit diminue les occasions d’aggraver l’acouphène.
Évidemment, on ne peut pas toujours fuir la source d’un bruit. Dans ce
cas, le port de bouchons protecteurs est nécessaire. Pour un travail en milieu
bruyant dépassant les normes, l’utilisation de bouchons devrait être
proposée comme mesure de santé et de sécurité au travail. Même hors du
travail, le port de bouchons protecteurs devrait être de mise en cas
d’exposition à des niveaux de bruit ou de musique très élevés. Les
bouchons de mousse peuvent faire l’affaire pour une utilisation
occasionnelle, pourvu qu’on les installe correctement ; après avoir
compressé le bouchon au maximum pour former un boudin, on doit tirer le
pavillon de l’oreille vers le haut et insérer le bouchon compressé en le
maintenant en place dans le conduit environ 30 secondes afin qu’il reprenne
sa forme et accomplisse son travail.
Pour une utilisation plus régulière, les « bouchons de musiciens »
constituent une option souhaitable. Dotés d’un filtre, ils atténuent les hautes
fréquences et les basses, tout en conservant les proportions telles qu’elles
sont entendues naturellement. Bien qu’ils soient plutôt chers (certains sont
moulés sur mesure), il s’agit d’un bon investissement pour les adeptes des
festivals et, bien sûr, pour les musiciens amateurs et professionnels. Les
filtres utilisés dans ces bouchons peuvent procurer une atténuation plus ou
moins marquée en décibels selon le filtre choisi, habituellement 9, 15 ou
25 dB environ. On peut même acheter différents filtres et les changer en
fonction des niveaux de bruit estimés.
En 2018, l’Organisation mondiale de la santé a recommandé pour la
région européenne de limiter le niveau de bruit dans les loisirs à 70 dBA par
vingt-quatre heures d’exposition. Pour déterminer le niveau recommandé
pour des durées plus courtes, on utilise le principe d’égale énergie, qui
stipule qu’à tous les trois décibels d’augmentation du niveau, ce qui
représente deux fois la pression sonore, on divise la durée d’exposition par
deux. Ainsi, pour une durée d’exposition de trois heures par jour, le niveau
maximal recommandé est de 79 décibels. On peut facilement trouver des
applications pour téléphones portables qui mesurent les niveaux de bruit
ambiant. Même si ces applications ne sont pas d’une précision
professionnelle, elles peuvent donner des indications utiles pour la
prévention et inciter à être proactif en matière de protection de l’audition en
baissant le volume. Pour des appareils portables, il est recommandé de ne
pas dépasser 60 % du volume maximal.
Cas de figure
Deux cibles existent pour la prise en charge des acouphènes, soit leurs
deux aspects : le son lui-même (le percept) et la réaction de la personne, ou
la souffrance qu’il cause. Ainsi, les thérapies comprennent deux grandes
catégories, celles qui visent à éliminer le son ou à en diminuer l’intensité et
celles qui visent à diminuer le dérangement qu’il cause. Dans tous les cas,
les thérapies doivent être mises en œuvre uniquement après une évaluation
audiologique appropriée et l’exclusion de problèmes médicaux sous-
jacents.
La première catégorie de thérapies s’attaque à la source même du
problème, le son indésirable. Le concept est que si on diminue l’intensité
des acouphènes, on diminue par conséquent le dérangement qu’ils
provoquent. On trouve dans cette catégorie les thérapies sonores, comme
les appareils auditifs et les générateurs de bruit ou masqueurs, ainsi que les
interventions visant directement la cause de l’acouphène, comme des
traitements pharmacologiques et des thérapies plus invasives et
expérimentales.
La stimulation sonore
La neuromodulation
L’acouphène étant associé à une activité neurale excessive, plusieurs
nouvelles techniques utilisées pour traiter d’autres pathologies ou adaptées
précisément pour les acouphènes ont été développées récemment. Ces
techniques, dites de neuro-modulation, visent à interférer avec cette activité
neurale et à diminuer l’acouphène. Elles peuvent être plus ou moins
invasives, c’est-à-dire qu’elles supposent ou non une intervention directe
sur le corps, et sont toutes expérimentales pour l’instant.
La neuromodulation invasive
La stimulation du nerf vague (SNV), une technique invasive approuvée
par Santé Canada en 2001 pour traiter la dépression sévère chronique, a été
expérimentée pour les acouphènes13.
Elle nécessite l’implantation, sous anesthésie générale, d’un générateur
de type cardiostimulateur (pacemaker) relié à une électrode enroulée autour
du nerf vague dans la région du cou. Une incision abdominale est ensuite
pratiquée, et le cordon attaché au nerf est passé à l’intérieur du corps entre
l’incision du cou et l’incision abdominale afin de pouvoir brancher
l’appareil qui contrôlera les stimulations. Après que les patients ont
récupéré de l’intervention, le traitement peut commencer. Le générateur est
programmé pour envoyer de manière intermittente, le long du nerf vague,
un courant à basse fréquence combiné à une stimulation auditive composée
de fréquences en dessous et au-dessus de la fréquence de l’acouphène. Cette
double stimulation permettrait de moduler la production de
neurotransmetteurs (noradrénaline, sérotonine) et, par conséquent, le
fonctionnement de certaines structures cérébrales. Cette technique comporte
toutefois de nombreux effets indésirables associés à l’intervention, allant
des complications opératoires (anesthésie, infections) à des effets
physiologiques comme une altération de la voix (voix rauque), de la toux,
des infections et des maux de gorge, ainsi que des spasmes musculaires.
Comme ce nerf stimule aussi le cœur, il peut provoquer un ralentissement
de la fréquence cardiaque. Une seule étude pilote avec un groupe contrôle a
fait l’objet d’une publication, et elle a démontré une amélioration dans les
deux groupes de patients (même celui qui n’avait pas reçu de stimulation).
En raison de son caractère invasif et des effets bénéfiques modestes, il est
fort peu probable que ce type de thérapie devienne une option pour la
grande majorité des patients avec acouphènes.
D’autres thérapies invasives, comme la stimulation cérébrale de surface
ou profonde, consistent à implanter des électrodes sur la surface du cerveau
ou plus profondément. Ces thérapies sont extrêmement rares,
expérimentales et réservées à des cas extrêmes, souvent des patients qui
souffrent d’autres pathologies. Leur efficacité pour réduire les acouphènes
est très difficile à établir, puisqu’on peut difficilement tester des
participants dans des groupes contrôles. Il est nécessaire d’obtenir plus
de données avant de les adopter, car on ne sait toujours pas si les
inconvénients dépassent les bénéfices.
En résumé, la compensation de la perte auditive et l’enrichissement
sonore sont les valeurs les plus sûres, actuellement, pour diminuer la
réaction à l’acouphène et l’hyperacousie. La pharmacologie et la
neuromodulation, qu’elles soient invasives ou non, restent des approches
expérimentales qui requièrent plus d’études avant de pouvoir être
employées. S’il est très peu probable que la neuromodulation invasive soit
un jour accessible, des versions moins invasives pourront néanmoins voir le
jour et faire partie des options, du moins pour certains types de patients.
Le counselling
Le counselling est une composante vitale de toutes les options de
traitement pour les patients qui consultent pour des acouphènes en
particulier, et en audiologie de façon générale. On le définit comme un
dialogue qui facilite le changement par l’information, l’orientation et la
responsabilisation (empowerment) des patients. Il peut être plus ou moins
directif. Par exemple, le type de counselling offert dans la TRT est directif –
éducatif et structuré –, tandis que celui des approches centrées sur le
patient est plutôt facilitateur – focalisé sur les besoins particuliers et les
caractéristiques de chaque patient.
Pour les personnes qui ne vivent pas de grande détresse, le counselling
peut se limiter à certains éléments factuels comme de l’information et le
résumé des résultats audiologiques. Pour celles chez qui l’acouphène
constitue un problème majeur, le counselling peut inclure d’autres éléments
comme un entraînement aux techniques de relaxation et au contrôle de
l’attention, l’hygiène de sommeil et la thérapie sonore.
Le counselling se fait habituellement en tête à tête, lors de la première
consultation, mais peut également se faire en groupe. Il comprend
essentiellement les notions d’anatomie et de physiologie de l’audition, le
résumé des tests audiologiques, de l’information et du réconfort à propos de
l’acouphène, des recommandations pour minimiser l’exposition aux bruits
et autres déclencheurs d’acouphènes, et possiblement du matériel verbal ou
écrit à la fin de la séance. Il est primordial que la relation entre le
professionnel et le patient en soit une de confiance et d’ouverture,
bienveillante et personnalisée. Le counselling peut prendre plusieurs
formes, car on l’adapte aux problèmes particuliers de chaque personne, par
exemple une réduction du stress par la relaxation, des stratégies pour
faciliter la communication ou l’identification des facteurs déclencheurs. Le
counselling qui a le plus de succès vise à changer les pensées et les
comportements mal adaptés par rapport aux acouphènes, en tenant compte
des particularités de chaque personne.
La thérapie cognitive comportementale (TCC)
Pour certaines personnes, il arrive que l’acouphène soit la goutte qui fait
déborder le vase. La recherche a en effet démontré que l’état émotionnel qui
prévaut lorsque l’acouphène survient est un prédicteur important de la
réaction à l’acouphène. Ainsi, une personne qui vit des moments difficiles
dans sa vie en général, qui est dans un état anxieux ou en dépression
clinique, qui gère difficilement plusieurs sources de stress, sera beaucoup
moins en mesure de faire face à l’acouphène lorsque celui-ci apparaîtra
comme nouveau symptôme. Dans de tels cas, le counselling ciblé sur
l’acouphène risque de ne pas suffire pour améliorer l’humeur et changer la
réaction à l’acouphène. La consultation d’un psychologue peut s’avérer
essentielle. L’approche thérapeutique qui a reçu le plus d’appuis
scientifiques quant à son efficacité pour traiter le dérangement causé par les
acouphènes est sans conteste la thérapie cognitive comportementale (TCC).
En fait, actuellement, la TCC est la seule thérapie qui puisse être
recommandée sur la base de preuves scientifiques solides. Les études qui
appuient cette approche sont du plus haut calibre scientifique.
Il a été prouvé que la TCC est efficace pour traiter plusieurs troubles,
dont les acouphènes, mais aussi l’anxiété, l’insomnie, les phobies, les états
de stress. Il s’agit d’une thérapie active et structurée offerte par des
psychologues agréés. Elle est centrée sur des symptômes observables dans
le comportement. Le thérapeute intervient sur les processus mentaux à
l’origine des émotions et des comportements non adaptés.
La théorie sous-jacente de la thérapie cognitive comportementale est
que les pensées excessivement négatives sont garantes du développement et
du maintien d’un état émotionnel négatif et mènent, par conséquent, à des
comportements inadaptés. De façon très simplifiée, le thérapeute aide son
client à briser la chaîne quasi automatique entre les pensées négatives et les
émotions et les comportements qu’elles déclenchent. La TCC vise à
décortiquer et à rendre conscient le lien entre les pensées, les émotions, et
les comportements afin de briser le cycle entre la situation et le
dérangement qui en découle. Il est connu que les personnes qui ont des
acouphènes éprouvants ont des pensées catastrophiques. Ces pensées
accroîtront l’attention envers l’acouphène et prédiront la qualité de vie. Le
rôle du thérapeute sera de travailler à remettre en question les pensées
catastrophiques, ou pensées irrationnelles, et de remplacer l’émotion
négative par une émotion gérable et des comportements plus adaptés.
L’exemple de la page suivante illustre comment le mode de pensée et
nos propres anticipations par rapport à une situation banale de la vie
(comme attendre une amie qui est en retard) peuvent produire des émotions
et des comportements totalement différents et exercer une influence énorme
sur la vie quotidienne et le bien-être psychologique.
Cas de figure
Figure 6.1 Remettre en question des pensées qui mènent aux émotions
négatives
Il existe en effet une chaîne quasi automatique entre une situation
donnée (A), les pensées associées (B) et les conséquences émotionnelles
(C). L’élément crucial entre chaque situation (A) et sa conséquence
émotionnelle (C) est le déclenchement des pensées (B), qui sont
conditionnées notamment par les expériences passées et la personnalité. Le
lien entre la situation (A) et l’émotion qui en résulte (C) est si étroit que les
pensées (B) ne sont pas toujours conscientes. On passe alors de A à C sans
se rendre compte de l’élément crucial entre les deux, les pensées (B). En
thérapie, le rôle du thérapeute est d’aider la personne à prendre conscience
de ses pensées (B) et de l’émotion (C) qu’elles suscitent, à remettre en
question les pensées négatives (D) et à générer une nouvelle émotion (E)
plus positive ou, du moins, plutôt neutre, qui à son tour produira un
nouveau comportement.
Dans les exemples précédents, voici comment le thérapeute pourrait
accompagner Jacques et Samia afin de les aider à passer une meilleure
soirée. Avec Jacques, qui se sent déprimé, on peut remettre en question les
raisons qu’il invoque (D) pour expliquer le retard de son amie. Jacques
prête une intention très négative à son amie envers lui. « Si elle faisait
vraiment attention à lui, se dit-il, elle ne serait pas en retard. » Mais le
retard a-t-il vraiment rapport avec lui ? A-t-elle pu avoir un imprévu ? Si
son amie n’avait pas vraiment envie de le voir, aurait-elle accepté d’aller au
restaurant toute la soirée avec lui ? Elle aurait peut-être proposé un simple
appel ou une brève rencontre autour d’un café.
Quant à Samia, elle se sent anxieuse, elle saute directement à la
conclusion que son amie est à l’hôpital en raison d’un accident grave.
Sinon, elle l’aurait appelée pour l’aviser de son retard. Est-ce que d’autres
raisons pourraient justifier ce retard ? Y avait-il trop de monde dans le
métro ou une panne sur la ligne orange ? Son amie se cherchait peut-être
une place de stationnement, puisqu’elle devait venir en voiture. Dans ce
cas, avouons-le, son léger retard deviendrait tout à fait compréhensible, et le
fait qu’elle n’ait pas pu prévenir serait tout aussi compréhensible,
puisqu’elle n’aurait pu utiliser son téléphone cellulaire au volant.
Dans ces deux cas, la remise en question des pensées excessivement
négatives (D) pourrait engendrer des émotions nouvelles (E) tout à fait
différentes et beaucoup moins dévastatrices. Ainsi, parions que Jacques et
Samia auraient passé une soirée au moins aussi agréable que Jean-Sébastien
et Aline. Et leur amie aussi !
On peut comparer la situation « attendre une amie en retard » au fait
d’avoir un acouphène. La section suivante décrit comment les pensées
négatives peuvent produire des états émotionnels négatifs associés aux
acouphènes et des comportements inadaptés.
De façon professionnelle et systématique, le thérapeute aide à remettre
en question les pensées excessivement négatives et à les remplacer par des
pensées plus neutres à propos de l’acouphène, transformant ainsi la
conséquence émotionnelle dévastatrice. Lorsque l’acouphène devient
intolérable, la TCC est une approche thérapeutique efficace qui peut durer
de quelques semaines à quelques mois. Les études sur la TCC et les
acouphènes démontrent de façon convaincante des effets bénéfiques sur le
dérangement causé par des acouphènes et sur les symptômes dépressifs qui
perdurent au moins jusqu’à un an et demi. En plus de la restructuration des
pensées et des émotions, elle peut inclure des exercices de relaxation et de
respiration. La relation de confiance créée avec le thérapeute, ou l’alliance
thérapeutique, de même que la motivation à changer sont des éléments
centraux.
Il existe donc un lien étroit entre les pensées et les émotions. Ainsi,
s’engager dans un mode de pensée excessivement négatif provoquera une
réaction excessivement négative et assurément une dégradation de
l’humeur. Pour reprendre l’exemple de la tumeur, le fait de penser que
l’acouphène découle d’une tumeur génère un état d’anxiété qui se
répercutera sur d’autres aspects de la vie. À son tour, l’état d’anxiété
provoquera une hypervigilance et une concentration encore plus grande sur
l’acouphène, ainsi qu’une surestimation de son importance. Il deviendra
impossible de ne plus penser à l’acouphène et celui-ci sera le centre de
l’attention.
Comment changer ses réactions ? Dans l’exercice de la page précédente,
la pensée du premier exemple s’apparente au style de pensée du tout ou rien
(« Plus jamais ma vie ne sera pareille, je serai toujours fatigué ») et de la
généralisation à outrance (« Toutes les nuits vont être comme ça »). Cela
engendre un maintien du sentiment de dérangement et une humeur
dépressive. Afin de changer la réaction négative, il ne s’agit pas de « penser
positif », mais de prendre conscience que les pensées sont excessivement
négatives et ne reflètent pas une vision équilibrée ou réaliste des choses. Il
s’agit donc de remettre ces pensées en question et de considérer d’autres
possibilités. Quelles sont les preuves qu’à l’avenir, toutes les nuits, je ne
pourrai pas dormir ? Est-ce que, depuis que j’ai des acouphènes, toutes les
nuits, je n’ai pas été capable de dormir ? Quel est le pire qui puisse
vraiment arriver ? Que dirais-je à un ami qui me confierait cette pensée ?
Qu’est-ce qu’un ami me dirait si je lui confiais cette pensée ? Si je n’étais
pas aussi stressé, qu’est-ce que je penserais ? D’autres raisons
pourraientelles expliquer que je me sente découragé ? Et y a-t-il d’autres
sources de détresse dans ma vie qui pourraient expliquer que j’évalue
l’acouphène de façon aussi négative ?
1. Sur une feuille de papier, écrivez vos pensées négatives à propos des
acouphènes. Il n’est pas toujours facile d’identifier immédiatement
nos pensées. Allez-y spontanément, en essayant de découvrir les
images ou les mots qui traversent votre esprit quand vous pensez à
vos acouphènes. Que signifient-ils pour vous ? Lorsque vous songez
à vos acouphènes, quelles pensées vous viennent immédiatement à
l’esprit ? Qu’est-ce que les acouphènes vous obligent à faire ou, au
contraire, qu’est-ce qu’ils vous empêchent de faire ? Par exemple : «
Mes acouphènes sont si intenses qu’ils me réveillent la nuit. »
2. Pour chacune des pensées relevées, qu’est-ce que cela entraîne dans
votre vie ? Par exemple : « Ça veut dire que toutes les nuits seront
comme ça et que je serai toujours fatigué. »
3. Quelles émotions ces pensées et leurs conséquences vous font-elles
ressentir ? Par exemple : « La vie ne sera plus jamais pareille, donc je
me sens triste et sans espoir. »
17. Source: Maes et al., 2013 : 1544 euros ; Goldstein et al., 2015 : $662.60
USD (environ 542 euros) ; Stockdale et al., 2017 : 717 livres sterling
(environ 783 euros).
POUR EN SAVOIR PLUS
INTRODUCTION
La petite histoire
Sommes-nous nombreux ?
Suis-je à risque ?
Prévenir et protéger
La stimulation sonore
La neuromodulation
Le counselling
La thérapie cognitive comportementale (TCC)
Remerciements
Découvrez également
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