Bulletin Monumental

Les constructions du roi Christophe à Haïti

† Henri Paul Eydoux

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Eydoux Henri Paul. Les constructions du roi Christophe à Haïti. In: Bulletin Monumental, tome 138, n°1, année 1980. p. 101;

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 ACTUALITE
vices jordaniens y effectuent méthodiquement d'opportuns
travaux de restauration et de mise en valeur. Le deuxième
château par ordre d'importance, à une trentaine de
kilomètres au nord de Pétra, était le château de Chôbak, le
médiéval Montréal (baptisé ainsi en l'honneur du roi
Baudoin qui participa en personne à sa construction en 1115).
Si son enceinte extérieure est bien conservée, il ne présentait
intérieurement, jusqu'à ces dernières années, qu'une
accumulation confuse de ruines. Il a fait récemment l'objet de
très importants dégagements qui en permettent une
meilleure étude. Il reste cependant assez difficile d'y distinguer
les constructions des Francs de celles dues aux musulmans
après la prise du château par Saladin, qui, ne réussissant pas
à le prendre de force en 1171, le réduisit par la famine après
une siège de vingt mois. Les déblaiements ont fait
apparaître l'entrée d'un ouvrage extraordinaire qu'avait pu
visiter, il y a cinquante ans, le P. Savignac : un escalier de
près de 400 marches, foré dans le rocher et aboutissant à
des réservoirs d'eau. C'est là encore une exploration qu'on
ne saurait conseiller aux touristes de passage [Henri-Paul
Eydoux).
Les constructions du roi Christophe à Haïti. — Au mois
d'octobre 1978, le gouvernement haïtien a décidé de
constituer en parc national une zone de 250 hectares, située à
l'ouest de l'île, au nord de la ville de Cap-Haïtien. Par là
doit être protégée et mise en valeur toute une zone
comprenant deux monuments extraordinaires et inattendus :
le palais de Sans-Souci et la Citadelle. Tous deux sont dus
à un des plus curieux personnages de l'histoire du Nouveau
Monde : Christophe, élu président d'Haïti en 1806 et qui
se proclama roi en 1811, créant une monarchie héréditaire.
Au demeurant, il ne régna que sur une partie de l'île et,
sentant que ses sujets l'abandonnaient, il se suicida neuf
ans plus tard.
De très modeste origine (il était fils d'un affranchi),
soldat dans un corps de troupe français combattant pour
l'indépendance américaine, puis maître d'hôtel dans une
auberge, il s'entoura, monté sur le trône, d'un faste inouï,
se faisant construire des palais somptueux. L'un d'eux,
à la Petite-Rivière de l'Artibonite, était réputé pour être
doté de 365 portes. Il a pratiquement disparu, mais son
palais de Sans-Souci, où le souverain noir résida à peu près
en permanence, nous est parvenu. Ce n'est plus qu'une
ruine grandiose que le service archéologique d'Haïti
s'emploie aujourd'hui à fouiller et sauvegarder.
Sans-Souci constituait une véritable cité royale, où on
pénétrait par une entrée monumentale jalonnée de
puissants pilastres demeurés en place et auprès de laquelle
s'est conservée la chapelle, très belle construction de plan
circulaire, de 25 mètres de diamètre, couverte d'un énorme
dôme. A faible distance, étaient disposées de nombreuses
dépendances aujourd'hui très ruinées : édifices
administratifs et bâtiments militaires, hôpital, arsenal avec fonderie,
atelier monétaire, imprimerie, etc.
Le palais royal lui-même est une très vaste construction
qui, sur la face d'entrée, comporte de majestueux escaliers
encadrant une fontaine ; sur l'autre face s'allonge une large
façade dressée sur une terrasse, avec un corps central en
avancée, couronné par un fronton semi-circulaire. Malgré
son nom, Sans-Souci ne fut en rien inspiré par le célèbre
château de Potsdam. C'est une surprenante réalisation qui
suppose l'intervention d'un architecte étranger, peut-être
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glais, et même d'ouvriers venus de l'extérieur. Il s'agit d'une
œuvre originale, dont on ne décèle pas, à première vue,
un éventuel modèle.
Mais la construction la plus extraordinaire du roi
Christophe est bien la Citadelle, qu'il éleva sur une crête
escarpée, à 950 mètres d'altitude, dans la montagne au-dessus
de Sans-Souci. Les travaux en furent entrepris en 1804.
C'est un ouvrage colossal, aux murs hauts de 30 à 45 mètres,
comportant un ensemble impressionnant de galeries, de
chambres de tir, de casernements. On assure qu'il ne
comptait pas moins de 275 canons, dont un grand nombre est
d'ailleurs resté en place ; certains — des prises de guerre —
sont de magnifiques pièces françaises du xvme siècle.
Qui a conçu et dirigé les travaux de la Citadelle? On
avance un nom : Henri Barré, un mulâtre qui aurait été
chef du génie du roi Christophe et aurait reçu sa formation
en Europe. Je ne sache pas qu'on soit documenté sur lui
et les archives d'Haïti sont, paraît-il, muettes à son sujet.
En tout cas, le maître de la Citadelle était un grand ingénieur
très au courant de l'évolution de la fortification et des
applications novatrices qui pouvaient en être faites.
Ce qui retient notre attention, c'est que cette citadelle
est, dans une large mesure, conforme à la doctrine du
marquis de Montalembert. Officier d'artillerie, il s'éleva à la
fin du xvme siècle contre le conservatisme vaubanesque
en matière de fortification. Pour lui, les forts devaient être
essentiellement des ouvrages d'artillerie, où les pièces
étaient multipliées et puissamment protégées. Ses vues
s'affirmèrent dans un ouvrage en onze volumes, La
fortification perpendiculaire, dont la parution s'échelonna de
1776 à 1796.
Nul n'est prophète dans son pays : Montalembert ne put
appliquer sa doctrine qu'à l'île d'Aix où il avait été envoyé
en 1776 pour faire face aux menaces de la flotte anglaise.
Il y construisit, en collaboration avec le maréchal de camp
Carpilhet et le physicien Coulomb un ouvrage comportant
plusieurs étages de pièces de canon (au total 150) ; mais
celui-ci, hâtivement construit en terre et en bois, n'eut
qu'une durée éphémère. Montalembert n'avait pu vaincre
l'hostilité du corps du génie et secouer les torpeurs
administratives des hautes sphères militaires. Par contre, ses vues
firent école à l'étranger. Le colonel Rocolle, dans son ouvrage
2.000 ans de fortification française, signale que le fort
William à New York et le fort Sumter, dans la baie de Charles-
ton, respectivement construits en 1811 et 1820, obéissaient
à ses conceptions. En tout cas, une application
spectaculaire en a été faite à la citadelle du roi Christophe : elle se
présente comme un énorme bloc de maçonnerie, dans lequel se
superposent sur plusieurs niveaux, desservies par de vastes
couloirs, des chambres à canons placés sur affûts tournants.
Ainsi cette citadelle apparaît-elle comme une œuvre
capitale dans l'histoire de la fortification, une sorte
d'hommage lointain et inattendu rendu aux vues de
Montalembert. Trop longtemps à l'abandon, frappée par un
tremblement de terre au siècle dernier, elle est maintenant,
avec le palais de Sans-Souci, l'objet de soins attentifs de
la part du gouvernement haïtien. L'Unesco apporte sa
collaboration à l'étude des travaux à effectuer. D'éminents
spécialistes sont appelés en consultation, dont l'un des
premiers a été en 1971 notre confrère Jean Sonnier. Un
vaste plan de consolidation et de restauration s'élabore
sous la direction de l'architecte Albert Mangonès,
conservateur des sites et monuments d'Haïti. {Henri-Paul Eydoux).