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1. Préambule épistémologique
l’élément majeur1 qui joue, pour ainsi dire, le rôle de moteur épistémologique
pour la totalité du système.
A présent, en quoi consiste une révolution scientifique dans son essence ?
Elle est d’abord une révolution conceptuelle. En effet, et à titre d’exemple, la
théorie copernicienne ne fût pas le fruit de nouvelles observations astrono-
miques, mais plutôt d’un changement d’angle de vision, qui se traduit par le
passage d’un observateur immobile à un observateur mobile2, tout en gardant
les mêmes anciennes données.
Pour le sujet qui nous occupe présentement, à savoir l’optique d’Alhazen et la
nouvelle relation perceptive que sa théorie de la vision a instituée, nous verrons,
ci-dessous, qu’elle répond totalement aux prérogatives sus-dites. En effet elle
fût, une fois intégrée en occident à l’augustinisme et à l’avicennisme régnants,
un élément majeur dans le processus d’implosion de la théorie aristotélicienne
de la connaissance.
Alhazen (Bassorah, 965 - Le Caire, 1039), de son nom arabe al-H.asan ibn al-
Hayt-am, est un mathématicien et astronome, connu surtout pour son traité d’op-
tique, Kitāb al-manāzir en 7 livres, traduit en latin sous le titre De aspectibus,
probablement à la fin du douzième siècle, par un inconnu mais appartenant vrai-
semblablement au cercle des traducteurs de Tolède sous la direction du célèbre
Gérard de Crémone. Ensuite il a été diffusé à grande échelle par le polonais
Vitellion, qui, dans son encyclopédie Perspectiva, le paraphrase sans pour autant
le nommer, avant d’être publié par Risner, sous le titre d’opticae thesaurus, en
1572, et traduit par la suite en Italien.
Ainsi, il a constitué la principale autorité en optique au moyen âge3, et pra-
tiquement jusqu’à 1604, date de la parution du ad vitellionem Paralipomena de
1 En dehors de la science, il n’y a que les religions révélées au moyen-àge qui ont joué ce rôle, en
imposant à la philosophie des problèmes nouveaux exigeant une refonte des notios de Dieu, du monde
et de l’âme.
2 Et c’est seulement parce qu’il s’agit de mouvement que cette révolution exigea que des éléments
théoriques nouveaux soient élaborés préalablement au XIVème (la théorie dite de l’impetus) pour rendre le
mouvement de la terre possible, et par conséquent les deux hypothèses rivales équivalentes.
3 Tout comme on se contentait au moyen àge de dire le philosophe pour signifier Aristote, le commen-
tateur pour Averroès, il en allait de même pour Alhazen qui passait pour le perspectiviste, ou l’auteur des
perspectivae, comme il est signifié dans ce texte de Petrus Olivi, Quaestiones secundum librum Sententia-
rum, q. 26 [III, p. 446], cité par K.-H. Tachau, Vision and Certitude in the Age of Ockham, optics, episte-
mology and the foundations of semantics 1250-1345, Brill, Leiden-New York-København-Köln 1988, p.
48, note 66: « Circa quaestionem istam est quorundam perspectivorum opinio, ut auctoris Perspectivae,
quod agentia corporalia agunt impressiones suas in tempore, licet nobis imperceptibili [...] ». Ou encore
Petrus Aureoli, scriptum super primum Sententiarum, dist. 3, S. 14a.1 [II, 697], cité par Tachau, Vision
La relation perceptive selon Alhazen et ses retombées philosophiques 151
and Certitude in the Age of Ockham cit., p. 92, note 22: « Talis autem imago vel est spacies realis quae
intimatur subiective in speculo ; et hoc poni non potest ut demonstrat Perspectivus libro IV [...] ».
4 Ce qui atteste de l’existence d’une tradition scientifique en pays d’Islam où la science était cultivée
5 C’est la relation au monde qui commence à changer. Ainsi si la théorie du rayon visuel a favorisé
la vision animiste du monde oǔ la nature était vue à travers le prisme de l’homme et le monde cosidéré
comme un grand être vivant, avec la théorie d’Alhazen c’est le processus inverse qui se trouve entamé. Au
lieu d’aller de l’homme et imposer son modèle à la nature, c’est du macrocosme qu’on ira au microcosme,
et approcher l’homme suivant le modèle géométrique de la nature. Du paradigme optique on passera
progressivement au paradigme mécaniste et de l’enchantement du monde à son désenchantement. Voir
C. Chevalley, Nature et loi dans la philosophie moderne, in D. Kambouchner (éd.), Notions de philosophie,
Gallimard, Paris 1995 (Folio essais, 277), pp. 127-230.
La relation perceptive selon Alhazen et ses retombées philosophiques 153
quelque sorte une extension de l’oeil. Quant à la lumière, elle fonctionne comme
un facilitateur de l’action des rayons visuels. Ainsi, et c’est l’aspect mathéma-
tique de la théorie, la vision se réalise quand la base du cône visuel dont le
sommet se trouve dans l’œil s’applique à l’objet. La perception visuelle est, de
ce fait, une opération totalement sensorielle, et l’optique une science de la vision
et nullement de la lumière. Mais malgré son caractère paradoxal, la théorie du
rayon visuel a connu la plus grande diffusion et gagné le plus de suffrages dans
les deux rives de la Méditerranée, et ce, jusqu’au XVIIème siècle.
Il y a eu aussi, la théorie de Démocrite, pour laquelle la vision se fait par la
pénétration de la lumière dans l’oeil, et la lumière est elle-même la diffusion
d’écorces, des eidola, qui sont autant de copies de l’objet qui se contractent assez
pour pouvoir pénétrer la pupille tout en préservant la forme de l’objet et l’ordre
de ses parties. La théorie atomiste et celle du rayon visuel présentaient des
points forts qu’Alhazen réussira à combiner pour dépasser, et les difficultés de
l’une et les inconvénients de l’autre, issues en fait de leur méthode de traitement
intégral du phénomène, et ouvrira ainsi la voie à sa propre théorie intromission-
niste. La plus importante critique adressée classiquement à la théorie atomiste,
résidait dans la difficulté à expliquer comment des objets aussi gigantesques que
le firmament arrivent à passer à travers la pupille. Elle ne réussissait pas non
plus à expliquer les illusions d’optique.
S’agissant de la théorie des rayons visuels, et malgré sa fécondité mathé-
matique, elle butait elle aussi sur de sérieuses difficultés, à savoir comment
rendre compte du phénomène de la perception des distances d’ordre astrono-
mique, en parfaite disproportion avec les faibles capacités des rayons visuels.
Le premier déblocage de la situation viendra du philosophe arabe al-Kindı̄ (Xème
siècle), adepte justement de la théorie de l’émission, en changeant la méthode
d’approche du phénomène vers un traitement différentiel, et qui consiste en la
décomposition du cône visuel en un flôt de petits cônes qui partent non plus
de l’œil dans sa globalité, mais de chaque point de l’œil vers le point qui lui
correspond dans l’objet. Ce qui se révélera, du reste, extrêmement fécond dans
la grande synthèse qu’opérera Alhazen. La théorie d’al-Kindı̄, exposée dans son
De aspectibus, traduit en latin au XIIème siècle, et en particulier par son idée que
tous les points des corps envoient de la lumière dans tous les sens, alimentera la
métaphysique néoplatonnicienne des docteurs de l’université d’Oxford, dans la
mesure oǔ tous les phénomènes de la nature sont un ensemble de signes venant
de partout et allant dans toutes les directions.
Venons-en à la théorie d’Alhazen.
S’il est vrai que ce que l’on demande à toute nouvelle théorie candidate à
l’entrée dans le système théorique, c’est d’abord embrasser tous les éléments
qu’enveloppait l’ancienne théorie, résoudre les problèmes que celle-ci n’a pu
154 Abdelmajid Baakrime
« que la vision6 ne se fait pas seulement par pure sensation, et qu’elle ne se fait que par
distinction et acqusition de la connaissance, et que sans la distinction et l’acqusition
de la connaissance, l’oeil ne peut rien voir des choses visibles, ni saisir la quiddité de
la chose visible quand il la voit. Par conséquent, si la vision était le fait seulement de
la pure sensation et si tout ce qu’on perçoit des intentions des choses visibles, on les
perçoit par simple sensation, on ne saisirait pas la chose visible à son endroit, à moins
que quelque chose aille la toucher et la sentir »7.
Selon Alhazen, deux choses seulement sont perçues par la seule et pure sensa-
tion – solo sensu –, la lumière en tant que telle, et la couleur en tant que telle,
tout le reste se fait par distinction et comparaison (per distinctionem et compara-
tionem), y compris la nature et l’intensité de la lumière et des couleurs, et ainsi
du reste des intentions, comme la distance, la figure, la position, la grandeur,
les différences, les similitudes... En tout vingt-deux caractéristiques, dont deux
seulement reviennent à la pure sensation, et les vingt autres restent essentielle-
ment l’apanage de la raison.
« Et donc, s’il en est ainsi, tout ce que le sens de la vision perçoit ne le perçoit pas
par simple sensation, mais nombre de choses – res visibilia – perçues, le sont par
distinction et inférence [...]. Et la vue n’est pas la faculté de distinction, mais c’est la
vertu distinctive qui discerne ces intentions »8.
« [...] le plus beau est meilleur, et que le choix du meilleur est le mieux indiqué. Il
[L’enfant] utilise cette prémisse sans s’en apercevoir. Et si l’on observe bien le compor-
tement des enfants, on y trouve nombre d’intentions qui ne se font que par distinction
et inférence »9.
Il en est ainsi pour toutes les visibilia, Et par conséquent derrière la moindre
perception visuelle, il ya des opérations intellectuelles, logiques et mathéma-
tique, qui se font dans un temps imperceptible, d’une manière inconsciente, et
qu’il faut délier pour les rendre présentes à l’esprit, ce qu’Alhazen fait :
8 Al-H.asan ibn al-Hayt-am, Kitāb al-manāzir, ed. Sabra, II, 3, 16 et 17, p. 219.
9 Al-H.asan ibn al-Hayt-am, Kitāb al-manāzir, ed. Sabra, II, 3, 38 et 39, p. 228.
La relation perceptive selon Alhazen et ses retombées philosophiques 157
« En outre, l’homme depuis son enfance et le début de son développement et à tra-
vers le temps, perçoit les choses visibles et de manière répétitive, si bien qu’il n’y a
pas une seule intention particulière que l’oeil perçoit qui n’ait été déjà vue plusieurs
fois, à tel enseignet que toutes les intentions particulières qu’on perçoit par inférence
deviennent comprises par la vertu distinctive et quiescentes dans l’âme. Ainsi, la
vertu distinctive devient âpte à percevoir toutes les intentions particulières qui se
répètent dans les choses visibles par connaissance et habitude, à tel point qu’elle n’a
plus besoin de reprendre le raisonnement pour pouvoir percevoir quoique ce soit des
intentions particulières qui se répètent dans les choses visibles »10.
Selon Alhazen, l’homme est aussi par nature calculateur, ceci transparaît à l’oc-
casion de la perception de diverses intentions, notamment la distance. La di-
mension calculatrice réside dans la mesure de la quantité de la distance et la
comparaison de notre éloignement du corps perçu avec celui d’un autre corps.
Opérations qui se compliquent avec la la nécessité de saisir, et la direction et la
position du corps, sachant que celles-ci requièrent d’autres intentions comme
la perception de la lumière du corps, sa couleur et bien d’autres intentions. Tout
cela se déroule en même temps et non successivement. C’est dire, la complexité
des opérations que l’intellect accomplit en un temps imperceptible et en notre
absence.
La vision est donc un phénomène qui repose sur des opérations enchevetrées,
qui font jouer diverses facultés et divers mécanismes relevant du syllogisme,
du calcul, de la connaissance et de l’habitude, ou par indices. En somme, toute
sensation est une interprétation.
La perception visuelle est de part en part régie par des lois scientifiques.
Celles de la gémétrie que sont les lois de la lumière qui concernent la partie phy-
sique, à savoir le du déplacement des rayons depuis la chose jusqu’ à l’oeil, et de
là jusqu’à l’ultime sentant. Puis celles du calcul, puisque l’intellect pratique des
10 Al-H.asan ibn al-Hayt-am, Kitāb al-manāzir, ed. Sabra, II, 3, 41, p. 229.
158 Abdelmajid Baakrime
En fait, il énumère trois sortes de temps, le temps physique, qui est celui du
mouvement de la lumière qui va de l’objet lumineux ou illuminé, jusqu’à l’oeil,
et le temps physiologique qui est celui des voies nerveuses par lesquels passe
la sensation jusqu’à l’ultime sentant (ultimum sentiens), qui se trouve à l’avant
du cerveau et enfin le temps mental, qui est celui du raisonnement et de la
compréhension.
Aussi, le clou du livre II, c’est cette phrase avec laquelle Alhazen conclut
ce sujet :
11 Al-H.asan ibn al-Hayt-am, Kitāb al-manāzir, ed. Sabra, II, 3, 59, p. 239.
La relation perceptive selon Alhazen et ses retombées philosophiques 159
« Il a été montré au livre II que la vue ne perçoit rien des choses visibles qu’en un
temps, et [donc] s’il en est ainsi, le temps est aussi l’une des intentions grâce aux-
quelles se fait la vision »12.
Ainsi le temps, comme dimension mentale, fait son entrée dans la noétique,
et l’on sait la place qui sera la sienne dans l’éclosion de la nouvelle rationalité à
l’époque moderne. En effet Alhazen, en ajoutant le temps comme intention sup-
plémentaire après avoir arrêté le nombre des visibilia à vingt-deux, prouve qu’il
le considère, bel et bien, comme une entité psychique propre au percevant13,
et s’il est vrai que l’intellect a son mot à dire dans vingt intentions, il s’agit
néanmoins de caractéristiques propres aux choses, mais le temps reste la seule
intention purement subjective.
C’est le fait d’avoir levé le voile sur le raisonnement non conscient accompa-
gnant la moindre perception visuelle, qui a amené Alhazen à conclure que les
évidences sont en fait des conclusions d’un syllogisme latent, oeuvre de la facul-
té estimative virtus aestimativa, et qui se déroule dans un temps imperceptible,
sauf qu’il se fait sans mots ni concepts et sans arrangement des propositions. En
réalité, c’est par la répétition et l’habitude que les conclusions de syllogismes
se transforment constamment en prémisses et donnent l’illusion d’être des évi-
dences et vérités natives. Ainsi, chaque fois que l’intellect se retrouve dans la
même situation, juge d’emblée de la véracité de la chose, et ce qui correspondait
à la conclusion d’un syllogisme, devient une prémisse et un principe premier
de la connaissance.
Par contre, la faculté estimative, quand elle prend conscience que les prin-
cipes premiers ne sont pas vraiment premiers, elle reconstruit l’inférence impli-
cite, mais cette fois-ci avec des mots, avec plus de réflexion et dans un temps
sensible.
En fait, la faculté de discernement ne peut comprendre que ‘le tout est plus
grand que la partie’, qu’après avoir compris le sens des termes de ‘tout’, de ‘par-
tie’ et de ‘plus grand’, sinon elle ne comprendrait pas toute la phrase. Ainsi, ‘plus
grand’ renvoie à autre chose, il signifie qu’il lui est égal en tant que partie, et le
dépasse par le reste. Et d’après la coïncidence de l’intention de ‘plus grand’ en
ce qui excède, et du tout, on conclut que ‘le tout est plus grand que la partie’.
C’est à partir de la proposition universelle, qu’on a conclu ‘le tout est plus grand
que la partie’.
15 Al-H.asan ibn al-Hayt-am, Kitāb al-manāzir, ed. Sabra, II, 3, 37, p. 227.
16 Al-H.asan ibn al-Hayt-am, Kitāb al-manāzir, ed. Sabra, II, 3, 32, p. 224.
17 Al-Hasan ibn al-Haytam, Kitāb al-manāzir, ed. Sabra, II, 3, 33, p. 225.
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La relation perceptive selon Alhazen et ses retombées philosophiques 161
« Item, haec propositio ‘omne totum est maius sua parte’ cognoscitur per rationes vel
per syllogismum vel scientiam et non per intellectum sive habitum, intellectus secun-
dum Alacem [Alhazen] secundo libro capitulo 3 ; sed talis propositio non cognoscitur
per discursum morosum ; ergo ad syllogismum vel ad scientiam non requiritur discur-
sus morusus »19.
18 Pour plus de précisions sur le débat suscité par le problème posé par Alhazen, voir en particulier
l’ouvrage d’E. Perini-Santos, La théorie ockhamienne de la connaissance évidente, Vrin, Paris 2006.
19 Ioannes De Radingia, Scriptum in primum librum sententiarum, ed. F. Fiorentino, Vrin, Paris 2011,
p. 108. L’idée de rechercher dans cette voie l’origine alhazenienne du problème des principes premiers
de la connaissance débattu au sein du nominalisme, nous a été suggérée par l’ouvrage de Périni-Santos,
La théorie ockhamienne cit.
162 Abdelmajid Baakrime
d’Ockham, Auriol, Olivi...) et l’on doit dire que le traducteur n’y est pas tout-à
fait étranger. En effet celui-ci a rendu par le même verbe ‘intuere’, différents
synonymes arabes utilisés par Alhazen, comme ‘‘ ’حدقhaddaqa’, ‘‘ ’تأملtaamma-
la’, ‘ ‘ ’تفقدtafaqqada’, ‘‘ ’أمعنam’ana’, et qui ne veulent pas dire simplement
voir ‘ ‘ ’أبصرabsara’ qu’il a traduit par ‘videre’, mais ‘voir avec perspicacité et
précision’, et donc percevoir avec certitude. Et c’est le sens qu’on retrouvera
d’abord chez Duns Scot en particulier, en réponse aux doutes soulevés par Henri
de Gand à propos de la possibilité d’une connaissance naturelle certaine chez
le viatior.
En effet la connaissance sensible est désormais, gràce à la théorie de la vision
d’Alhazen, une connaissance claire et certaine, et ceci par les deux termes de
la relation perceptive :
Du côté des choses, puisque parmi tous les rayons émanant de chaque point
de l’objet, seul celui qui touche l’oeil perpendiculairement produit une image
distincte, tandisque les autres, qui pourraient provoquer une image confuse,
sont réfractés et déviés.
Du côté psychique, la certitude provient aussi de l’intellect, puisque tous les
sensibles communs ont basculé dans sa zone d’influence, à part la lumière en
tant que telle et la couleur en tant que telle qui sont les seules sensibles, propres
à la pure sensation, mais toutes les autres catégories de l’objet sont l’oeuvre de
l’intellect, aussi. Si bien que l’erreur au niveau des sens est plutôt imputable
à ce dernier, soit par défaut de connaissance ou par défaillance de la mémoire
ou autre.
La théorie de la vision d’Alhazen élargit considérablement la topologie de
l’intelligibilité, jusqu’à integrer le contingent dans sa sphère. L’intellect est opé-
rant aussi bien quand les sens nous trasmettent fidèlement la réalité que quand
elles nous trompent, puisque dans l’un et l’autre cas, il construit et corrige à
la lumière de ses propres principes universelles latents. Ainsi la connaissance
naturelle est possible sans intervention surnaturelle quelconque.
La théorie de la connaissance issue de la tradition aristotélicienne s’est trou-
vée bouleversée, il n’y a plus cette distinction arrêtée et exclusive des sens et
de l’intellect, les prérogatives des sens et de l’intellect seront redistribuée en
faveur de ce dernier. La dichotomie n’est plus celle de la connaissance sensible
et la connaissance intelligible, mais celle de la connaissance intuitive d’un objet
existant et présent et la connaissance abstractive du même objet, inexistant ou
absent. Bien plus, l’objet n’est plus rattaché à la réalité, puisqu’il se définit,
dorénavant, chez Duns Scot en particulier, comme objet possible et donc se
détermine par sa seule non-contradiction formelle.
D’autres couples seront bousculés, comme celui du nécessaire et du con-
tingent qui ne s’applique plus aux choses, puisqu’il n’y a plus de contingence
La relation perceptive selon Alhazen et ses retombées philosophiques 163
Conclusion
20 Ioannes Duns Scotus, Ordinatio, d. 2, p. I, q. 1-2, n. 81 (Vat. II, 177), in D. Demange, Jean Duns
Scot. La théorie du savoir, Vrin, Paris 2007, p. 123 : « Nullum est principium contingenter operare nisi
voluntas vel aliquid concomitatem, quia quodlibet aliud agit ex necessitate naturae, et ita non contin-
genter ».
21 « On sait en particulier que le concept même d’objet tel qu’il s’impose progressivement dans la
philosophie au XIII siècle, résulte essentiellement d’une rencontre entre l’optique et la théorie de la
signification. Or Duns Scot est de toute évidence le premier à généraliser le principe de la connaissance
objective à toute connaissance en général, puisqu’il va jusqu’à traiter la question de la science divine,
c’est-à-dire de la connaissance que Dieu possède, en termes d’une connaissance d’objet » (Demange, Jean
Duns Scot. La théorie du savoir cit., pp. 18-19).
164 Abdelmajid Baakrime
Abstract : The present paper is concerned with Alhazen’s theory of vision and the new
relationship that it developed between the two poles of the perceptual process. As he was
actually understood by the oriental and occidental philosophers of the Medieval times,
Alhazen broke sharply with the Aristotelian model. Eventually, Alhazen’s theory had an
impact not only on the optics , which acquired a new impetus, but more importantly on
philosophy, especially on the theory of knowledge, since a considerable part of the pre-
rogatives of the sense faculty – common sensibles – would become, from there, those of
the intellect. This gave rise to eminent controversies in what regards pairs, like sensible-
intelligible and necessary-contingent, as well as it fed debate between Augustinian and
Aristotelian scholars. That altogether reveals the conceptual feature and, subsequently,
the revolutionary orientation of Alhazen’s theory of vision.
Key words: Vision; Perception; Intellect; Sense; Intuition; Primary Principles; Time;
Revolution
Abdelmajid Baakrime
• Université Moulay Ismail,
École Normale Supérieure
Meknès, Maroc
baak.majid@yahoo.fr