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Lecture linéaire n°1 : « Le mendiant » , Victor Hugo, Les Contemplations (1856)
Un pauvre homme passait dans le givre et le vent.
Je cognai sur ma vitre ; il s'arrêta devant
Ma porte, que j'ouvris d'une façon civile.
Les ânes revenaient du marché de la ville,
Portant les paysans accroupis sur leurs bâts1.
C'était le vieux qui vit dans une niche au bas
De la montée, et rêve, attendant, solitaire,
Un rayon du ciel triste, un liard2 de la terre,
Tendant les mains pour l'homme et les joignant pour Dieu.
Je lui criai : « Venez vous réchauffer un peu.
Comment vous nommez-vous ? » Il me dit : « Je me nomme
Le pauvre. » Je lui pris la main : « Entrez, brave homme. »
Et je lui fis donner une jatte de lait.
Le vieillard grelottait de froid ; il me parlait,
Et je lui répondais, pensif et sans l'entendre.
« Vos habits sont mouillés », dis-je, « il faut les étendre,
Devant la cheminée. » Il s'approcha du feu.
Son manteau, tout mangé des vers, et jadis bleu,
Étalé largement sur la chaude fournaise,
Piqué de mille trous par la lueur de braise,
Couvrait l'âtre, et semblait un ciel noir étoilé.
Et, pendant qu'il séchait ce haillon désolé
D'où ruisselait la pluie et l'eau des fondrières3,
Je songeais que cet homme était plein de prières,
Et je regardais, sourd à ce que nous disions,
Sa bure4 où je voyais des constellations.
Décembre 1834
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1. Bât : Dispositif que l'on place sur le dos des bêtes de somme pour le transport de leur charge / 2. Liard : Pièce de monnaie de l'Ancien Régime de
faible valeur./ 3. Fondrière : Trou (souvent plein d'eau ou de boue), dans un chemin défoncé. / 4. Vêtement en laine grossière pour les religieux et en
particulier les moines.
Lecture linéaire n°2 : Ma bohème , Arthur Rimbaud, Les cahiers de Douai (1870)
Je veux donner l'idée d'un divertissement innocent. Il y a si peu d'amusements qui ne soient pas coupables !
Quand vous sortirez le matin avec l'intention décidée de flâner sur les grandes routes, remplissez vos poches de petites
inventions à un sol, — telles que le polichinelle plat mû par un seul fil, les forgerons qui battent l'enclume, le cavalier
et son cheval dont la queue est un sifflet, — et le long des cabarets, au pied des arbres, faites-en hommage aux enfants
inconnus et pauvres que vous rencontrerez. Vous verrez leurs yeux s'agrandir démesurément. D'abord ils n'oseront pas
prendre ; ils douteront de leur bonheur. Puis leurs mains agripperont vivement le cadeau, et ils s'enfuiront comme font
les chats qui vont manger loin de vous le morceau que vous leur avez donné, ayant appris à se défier de l'homme.
Sur une route, derrière la grille d'un vaste jardin, au bout duquel apparaissait la blancheur d'un joli château frappé par
le soleil, se tenait un enfant beau et frais, habillé de ces vêtements de campagne si pleins de coquetterie.
Le luxe, l'insouciance et le spectacle habituel de la richesse, rendent ces enfants-là si jolis, qu'on les croirait faits d'une
autre pâte que les enfants de la médiocrité ou de la pauvreté.
À côté de lui, gisait sur l'herbe un joujou splendide, aussi frais que son maître, verni, doré, vêtu d'une robe pourpre, et
couvert de plumets et de verroteries. Mais l'enfant ne s'occupait pas de son joujou préféré, et voici ce qu'il regardait :
De l'autre côté de la grille, sur la route, entre les chardons et les orties, il y avait un autre enfant, sale, chétif,
fuligineux1, un de ces marmots-parias2 dont un œil impartial découvrirait la beauté, si, comme l'œil du connaisseur
devine une peinture idéale sous un vernis de carrossier 3, il le nettoyait de la répugnante patine4 de la misère.
À travers ces barreaux symboliques séparant deux mondes, la grande route et le château, l'enfant pauvre montrait à
l'enfant riche son propre joujou, que celui-ci examinait avidement comme un objet rare et inconnu. Or, ce joujou, que
le petit souillon agaçait, agitait et secouait dans une boîte grillée, c'était un rat vivant ! Les parents, par économie sans
doute, avaient tiré le joujou de la vie elle-même.
Et les deux enfants se riaient l'un à l'autre fraternellement, avec des dents d'une égale blancheur.
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1. Fuligineux : de couleur noirâtre, qui a les apparences de la suie. / 2. Paria : personne exclue d’un groupe social ou humain. / 3. Peinture épaisse et grossière
comme sur les carrosses. / 4. Patine : Couleur que prennent es objets sous l’effet du temps et de l’usure
Lecture linéaire n°4 : « Le mort joyeux » , Charles Baudelaire Les Fleurs du mal ( 1857)
Valetaille de rimeurs
Te dédiant leurs primeurs
Et contemplant ton soulier
Sous l'escalier,
Maint page épris du hasard,
Maint seigneur et maint Ronsard
Épieraient pour le déduit
Ton frais réduit !
Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce
droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le
créateur dans sa sagesse ; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et
donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique.
Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’œil sur toutes les
modifications de la matière organisée ; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et
distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils
coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.
L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré,
dans ce siècle de lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un
sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la Révolution, et réclamer ses droits à
l’égalité, pour ne rien dire de plus.
Lecture linéaire n°8: «Préambule et articles I à IV » ( à étudier en les confrontant avec la ddhc) Olympe de
Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ( 1791)
À décréter par l'Assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature.
Préambule
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d'être constituées en Assemblée
nationale.
Considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs
publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une déclaration solennelle, les droits
naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres
du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et
ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique,
en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et
incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.
En conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et
déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.
Article premier. La Femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent
être fondées que sur l'utilité commune.
Article 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la
Femme et de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l'oppression.
Article 3.Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n'est que la réunion de la
Femme et de l'Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
Article 4.La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l'exercice des droits
naturels de la femme n'a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l'homme lui oppose ; ces bornes doivent être
réformées par les lois de la nature et de la raison.
Lecture linéaire n°9 : début du postambule jusqu’à « … vous n’avez qu’à le vouloir. » Olympe de Gouges,
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ( 1791)
Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant
empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau
de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu
besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô
femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? Quels sont les avantages que vous recueillis dans la
révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que
sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de
l'homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu'auriez-vous à
redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos
Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui
n'est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à
répondre. S'ils s'obstinent, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs
principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous
sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces
orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être
Suprême. Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous
n'avez qu'à le vouloir.
Lecture linéaire n°10 : Le plaidoyer de Marceline ; extrait de Le mariage de Figaro ( Scène III,16) 1778
Trois ans après le mariage du comte Almaviva et de Rosine, qui conclut Le Barbier de Séville, Figaro est
devenu concierge du château et va épouser Suzanne, femme de chambre de la comtesse. Mais le comte,
qui délaisse maintenant sa femme, convoite la jolie Suzanne et entend satisfaire son caprice ou
empêcher les noces. Suzanne apprend à Figaro que le comte veut obtenir un rendez-vous de sa part.
Autre obstacle à leur union : Marceline a prêté de l’argent à Figaro contre une promesse de mariage s’il
ne peut pas la rembourser ; or il n’a pas de quoi payer sa dette.
La scène étudiée fait suite à un coup de théâtre , en évoquant la mystérieuse naissance de Figaro ; on
découvre grâce à une marque sur son bras qu’il est le fils que Marceline elle-même a autrefois avec
Bartholo, un médecin de Séville qui a abusé de sa naïve jeunesse…
BARTHOLO.
Oui, déplorable, et plus qu'on ne croit ! Je n'entends pas nier mes fautes ; ce jour les a trop bien prouvées !
Mais qu'il est dur de les expier1 après trente ans d'une vie modeste ! J'étais née, moi, pour être sage, et je la
suis devenue sitôt qu'on m'a permis d'user de ma raison. Mais dans l'âge des illusions, de l'inexpérience et des
besoins, où les séducteurs nous assiègent pendant que la misère nous poignarde, que peut opposer une enfant
à tant d'ennemis rassemblés ? Tel nous juge ici sévèrement, qui, peut-être, en sa vie a perdu dix infortunées !
FIGARO.
MARCELINE, vivement.
Hommes plus qu'ingrats, qui flétrissez par le mépris les jouets de vos passions, vos victimes ! C'est vous qu'il
faut punir des erreurs de notre jeunesse ; vous et vos magistrats, si vains 2 du droit de nous juger, et qui nous
laissent enlever, par leur coupable négligence, tout honnête moyen de subsister. Est-il un seul état pour les
malheureuses filles ? Elles avaient un droit naturel à toute la parure des femmes : on y laisse former mille
ouvriers de l'autre sexe 3.
FIGARO, en colère.
MARCELINE, exaltée.
Dans les rangs même plus élevés, les femmes n'obtiennent de vous qu'une considération dérisoire ; leurrées 4
de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures
pour nos fautes ! Ah ! sous tous les aspects, votre conduite avec nous fait horreur ou pitié !
FIGARO.
1. Expier une erreur, ses imprudences : en être puni (par une
Elle a raison ! conséquence pénible ou un sentiment de culpabilité).
LE COMTE, à part.
2. Si fiers (vaniteux )de pouvoi r nous juger
3. Marceline fait allusion aux travaux de couture que les femmes
Que trop raison ! n’avaient plus le droit d’exercer pour laisser leur place d’ouvrières aux
hommes.
BRID'OISON.5
4. Leurrées : trompées.
Elle a, mon-on Dieu, raison ! 5. Don Gusman Brid’Oison : Juge de Séville, personnage
caractérisé par son bégaiement.