Réanimation (2010) 19, Hors série 1, 7-9
Acidose hyperchlorémique et solutés de
remplissage : l’acidose de dilution revisitée
D’après la communication de P. Houillier
Université Paris Descartes, INSERM U872, CNRS ERL 7226, Hôpital Georges Pompidou, Paris
Article rédigé par M. Solignac*
Analyse de l’état acide-base
Approche physico-chimique
Selon l’approche physico-chimique de l’état acide-base
développée par Stewart, l’acidose hyperchlorémique
observée après un remplissage vasculaire par du soluté
salé isotonique ou par des colloïdes utilisant ce même
solvant serait expliquée par une réduction importante de
la différence des ions fortement dissociés ou SID (strong ion
difference) : (Na+ + K+ ) – (Cl– + lactates). Il paraît néanmoins
difficile d’imputer au soluté salé isotonique qui contient
exactement autant d’ions Na+  que d’ions Cl–  (154  mmol/l)
la création d’une situation caractérisée par un bilan positif
d’acide. La question se pose ainsi de la nature exacte de
l’acidose de « dilution ».
Approche physiologique
Un exemple démonstratif est donné par une femme de
33 ans qui se plaint depuis des années de faiblesse muscu-
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : mariesolignac@free.fr (Marie Solignac)
© 2010 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
laire prédominant à la partie proximale des membres et
qui est suivie depuis quelques années pour un syndrome
sec de l’œil. Cette femme, présentant depuis 48 heures un
tableau de gastro-entérite avec anorexie totale, diarrhée
et fièvre, et, à l’examen clinique une hyperventilation, un
pli cutané, une PA à 80/42 mmHg, une fréquence cardiaque
à 130/min et une perte de poids de 3 kg, a été réhydratée
en quelques heures par une perfusion de 3 litres de soluté
salé isotonique avec potassium (et paracétamol).
L’analyse de l’état acide-base de cette patiente avant
traitement conduit, selon l’approche physiologique (Hen-
derson et Hasselbachl) à un diagnostic d’alcalose ventila-
toire et, selon l’approche physico-chimique (Stewart), au
diagnostic d’alcalose ventilatoire avec PaCO2 diminuée,
SID normal et acidose hyperalbuminémique (Atot élevée)
(Tableau  1). Cette même analyse de l’état acide-base,
après traitement, donne en approche physiologique  un
diagnostic d’acidose métabolique hyperchlorémique avec
adaptation ventilatoire, et, en approche physico-chimique,
un diagnostic d’alcalose ventilatoire avec PaCO2 diminuée,
d’acidose hyperchlorémique avec SID diminuée et une
absence d’acidose hyperalbuminémique (Atot normale)
(Tableau 2).
La question que soulève ce cas est donc celle de la
cause réelle de l’acidose métabolique  : s’agit-il en effet
8 Rédigé par M. Solignac /d’après la communication de P. Houillier

Tableau 1. Analyse de l’état acide-base avant d’une acidose métabolique créée par la perfusion de NaCl
traitement. à 0.9 % ou d’une acidose métabolique révélée ? Il s’agissait
en fait, dans ce cas, d’une acidose métabolique révélée, la
Natrémie 141 mM
patiente souffrant d’un syndrome de Sjögren avec acidose
Kaliémie 2,1 mM tubulaire distale.
L’état acide-base normal peut être perturbé par une
Chlorémie 103 mM
acidose métabolique ou ventilatoire causée par une entrée
Bicarbonatémie 23 mM excessive ou une sortie insuffisante d’acides et/ou une
élimination excessive de bases.
Créatininémie 120 µM
L’approche physiologique de l’état acide-base repose sur
Hématocrite 50 % l’analyse de l’état du système tampon bicarbonate/acide
carbonique, principal système tampon du liquide extracel-
Protidémie 100 g/L
lulaire, en équilibre avec les autres systèmes tampons de
Calcémie 2,25 mM l’organisme (Fig. 1).
La perfusion de solutions de cristalloïdes dépourvues
pH 7,49
de bicarbonate peut induire une acidose métabolique mais
PaCO2 31 mm Hg celle-ci est-elle entièrement explicable par la dilution ou
implique-t-elle une augmentation de la génération d’acides ?

Expériences in vitro

Tableau 2. Analyse de l’état acide-base après Des expériences de dilution menées par S. Garella en 1975
traitement. [1] et par W. Lang en 2005 [2] ont tenté de résoudre cette
Natrémie 141 mM question. Leurs résultats sont les suivants :
• la dilution d’une solution simple (NaCl + NaHCO3) donne :
Kaliémie 2,8 mM HCO3– finale = HCO3– initiale × facteur de dilution
Chlorémie 113 mM • la dilution d’une solution complexe (NaCl + NaHCO3 + tam-
pon fixe) donne :
Bicarbonatémie 15 mM HCO3–  finale =  HCO3–  initiale × facteur de dilution
Créatininémie 100 µM + HCO3– généré par les tampons fermés
• la dilution de sang total donne :
Hématocrite 40 % HCO3–  finale =  HCO3–  initiale × facteur de dilution
Protidémie 70 g/L + HCO3–  généré par les tampons fermés + HCO3– transférés
du milieu intracellulaire
Calcémie 2.10 mM Pour W. Lang, après dilution à PCO2 constante, la concen-
tration finale de bicarbonates est ainsi la résultante :
pH 7,33
• de la dilution, (de réactions chimiques entre les bases
PaCO2 29 mmHg tampons (phosphates) l’hémoglobine et les protéines
plasmatiques), et en outre,
• de transferts de bicarbonate des hématies et du milieu
interstitiel vers le plasma.
La concentration d’acide carbonique reste constante
alors que la concentration des bases tampons est réduite
par la dilution ce qui induit l’acidose.

Production CO2 Production cellulaire

métabolisme cellulaire d’acides fixes

CO2 + H2O H2CO3 HCO3 - + H +

Ventilation pulmonaire Excrétion rénale

pH = 6,1 + log [HCO3 - ]
[H 2 CO3 ]
Figure 1. Approche physiologique de l’état acide-base.
Acidose hyperchlorémique et solutés de remplissage : l’acidose de dilution revisitée 9
30
bicarbonate plasmatique (mmol)
25
20
15
10
100
concentration relative de l’hémoglobine
Figure 2. Evaluation de l’acidose provoquée par la dilution des bicarbonates du plasma. D’après [2].
Etudes in vivo
Parmi les études faites in vivo, celle de S. Scheingraber
[3] utilisant du NaCl à 0,9  % vs Ringer’s lactate, chez des
patientes soumises à une intervention gynécologique
majeure intra-abdominale, a constaté que la perfusion de
soluté salé isotonique mais non de Ringer’s lactate provo-
quait une acidose métabolique avec hyperchlorémie et une
diminution concomitante du SID. Cette étude conclut donc
que l’acidose est associée à l’hyperchlorémie.
Une autre étude a comparé, en alternative, à 4 semaines
d’intervalles, chez des volontaires sains [4], l’impact d’un
hydroxyéthylamidon (HEA) 6 % et de l’albumine 5 %. Trente
minutes après la perfusion IV, une décroissance significative
(p < 0,05) du « base excess » (quantité de base à ajouter
pour corriger le pH, à PCO2 constante) était observée sous
HEA 6 % et se maintenait jusqu’à 210 minutes alors que l’on
n’observait qu’une augmentation significative de l’albumine
sous albumine 5 %.
Une troisième étude [5] a étudié les modifications de
l’état acide-base provoquées par une solution d’albumine
à 5  % ou une solution d’HEA 6  %, après une hémodilution
normovolémique aiguë pré-opératoire.  Le volume sanguin
des patients était maintenu par les 2 stratégies de traite-
ment. On a ainsi observé une acidose métabolique modérée
avec hyperchlorémie et une diminution concomitante du SID
(de durée × 3 sous HEA 6 %) dans les 2 groupes, ainsi qu’une
diminution des concentrations plasmatiques d’albumine
sous HEA et une augmentation sous albumine 5 %. Cepen-
dant, la diminution du pH était pratiquement similaire dans
les 2 groupes. Les auteurs concluent donc que ces 2 solutés
sont susceptibles d’induire une acidose métabolique par
dilution du bicarbonate extracellulaire ou modifications du
SID et/ou des concentrations d’albumine.
Selon les travaux de W. Lang [2], l’acidose provoquée
par la dilution du bicarbonate du plasma est atténuée par la
contribution des protéines plasmatiques et érythrocytaires.
L’acidose péri-opératoire d’origine non respiratoire n’est
prévisible que si l’hémodilution a été réalisée avec des
fluides ne contenant ni bicarbonate, ni précurseur, indé-
pendamment des autres électrolytes (Fig. 2).
actuel
ISF / HCO-3
E / Hb
plasma / Pr
hémodilution
90 80 70 60 50
(%) après hémodilution
Conclusion
En conclusion, l’acidose métabolique après dilution ne crée
pas de bilan positif d’acides mais modifie la distribution du
bicarbonate. En ce sens, il ne s’agit pas d’une authentique
acidose. L’acidose métabolique de dilution est en outre
rapidement réversible lorsque la fonction rénale est nor-
male.
Cependant, l’acidose métabolique de dilution peut
compliquer le diagnostic d’une cause d’acidose métaboli-
que co-existante. Elle entraîne en outre une diminution du
pH intracellulaire qui a ses propres conséquences.
La dilution avec une solution dite « balancée » crée, par
ailleurs, un bilan positif d’alcalins.
Conflits d’intérêts
M. Solignac : Aucun.
P. Houillier : Conférences : invitations en qualité d’interve-
nant pour Frésénius.
Références
[1] Garella S, Chang BS, Kahn SI. Dilution acidosis and contraction
alkalosis: review of a concept. Kidney Int 1975;8:279-83.
[2] Lang W, Zander R. Prediction of dilutional acidosis based on
the revised classical dilution concept for bicarbonate. J Appl
Physiol 2005;98:62-71.
[3] Scheingraber S, Rehm M, Sehmisch C, Finsterer U. Rapid saline
infusion produces hyperchloremic acidosis in patients undergo-
ing gynecologic surgery. Anesthesiology 1999;90:1265-70.
[4] Waters JH, Bernstein CA. Dilutional acidosis following het-
astarch or albumin in healthy volunteers. Anesthesiology
2000;93:1184-7.
[5] Rehm M, Orth V, Scheingraber S, Kreimeier U, Brechtelsbauer
H, Finsterer U. Acid-base changes caused by 5 % albumin ver-
sus 6  % hydroxyethyl starch solution in patients undergoing
acute normovolemic hemodilution: a randomized prospective
study. Anesthesiology 2000;93:1174-83.