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Correspondance avec

Vasile Lovinescu, René


Guénon, non publié, 1934-
1940
p. 33

Le Caire, 14 juillet 1937

 
     Cher Monsieur,
 
     
 
     J’ai
reçu avant-hier votre lettre du 7 juillet, alors que j’avais justement répondu la veille
au deux précédentes. – Aujourd’hui est arrivé l’atlas dont M. Vâlsan m’avait annoncé
l’envoi ; vous serez bien aimable encore de le lui dire et de l’en remercier de ma part en
attendant que je lui écrive, ce que j’espère tout de même arriver à faire d’ici peu. – Rien ne
manque donc de ce qui m’a été envoyé ; mais c’est bien singulier que,
de votre côté, il y ait
ainsi des lettres qui ne vous sont jamais parvenues. M. Clavelle s’inquiétait de n’avoir pas de
réponse de vous ; dans sa dernière lettre, il me dit être heureux d’avoir enfin de vos

nouvelles. Il me parle naturellement de l’affaire Alî Abdul-Haqq-Avramescu, et je vois qu’il
pense tout à fait la même chose que moi à ce sujet, car ses réflexions sont à peu près
exactement ce que
je vous ai écrit l’autre jour. Quel que soit le rôle de M. Avramescu, il est
bien certain qu’il ne suffit pas à tout expliquer là-dedans, puisqu’il y a tout au moins un
troisième personnage, l’intermédiaire X.,
qui existe bien réellement aussi, et qui semble y
avoir une part encore
plus importante. Ce que vous dites cette fois est ce qu’il y a de plus

plausible : M. Avramescu est là l’instrument de quelque chose, mais c’est surtout ce quelque
chose qu’il faudrait arriver à identifier…
 
     Il
est heureux que vous ayez pu réussir à dissuader D. de porter plainte ;
du reste, en règle
  générale, dès lors que des questions d’un certain ordre se trouvent impliquées dans une
affaire quelconque, il est bien évident qu’on ne devrait jamais y faire intervenir les tribunaux
profanes.
 
     Vous avez bien raison de penser que je n’ai jamais attaché une grande importance à ce

qu’Avramescu m’a écrit à votre sujet ; je l’attribuais plutôt à une sorte d’antipathie due à
quelque incompatibilité de vos tempéraments. Mais maintenant la chose prend une tournure
beaucoup plus sérieuse ; je vous serai donc reconnaissant de me faire connaître l’historique
de vos relations comme vous me le proposez ; je comprends que ce soit peu agréable, mais il
vaut tout de même mieux que je sois plus complètement fixé sur tout cela. – M. Avramescu
vous reprochait notamment, comme une imprudence grave, de penser à vous appuyer sur la
G. de F. pour un mouvement de restauration traditionnelle ; mais il semblerait, d’après ce
que dit M. Vâlsan, que ce soit bien lui qui tente actuellement quelque chose de ce côté. – M.
Vâlsan fait allusion à Mircea Eliade ; je
vous demanderai aussi, à lui ou à vous-même, de me
dire quelque chose de plus précis sur celui-ci, dont je ne sais presque rien ; je n’ai pas vu son
livre, et je n’en ai même entendu parler que d’une façon assez vague.
 
     “Fãt” dérivé du latin “fœtus” me paraît une simple fantaisie de philologues ; l’existence de
la forme féminine (en arabe “fatah”, jeune fille) tendrait bien encore à confirmer ce que je
pense de l’origine de ce mot, qui ne serait d’ailleurs pas un cas isolé, car j’en ai remarqué
plusieurs autres dont la provenance arabe est tout à fait évidente.
 
     Croyez, je vous prie, cher Monsieur, à mes sentiments les meilleurs.

René Guénon

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