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Le triomphe des armes ou la défaite de la pensée politique du Hezbollah

Plus de 35 ans après sa création officielle en tant que formation politique, le Hezbollah ou le « Hezb »
s’est imposé comme un acteur incontournable de la scène politique libanaise. Pourtant, la crise
politique et économique existentielle que traverse actuellement le Liban, doublée d’une crise
humanitaire suite à l’explosion meurtrière du 4 août dernier, soulève de sérieux doutes quant à la
capacité et à l’intention du « Parti de Dieu » de repenser le modèle politique, social et économique
libanais et, par conséquent, contribuer à l’émergence d’un nouveau Liban, un Etat de droit, souverain
et indépendant, répondant aux besoins et aspirations du peuple libanais. Pire encore, en bloquant
actuellement la formation d’un nouveau gouvernement, le Hezbollah semble décidé à faire plonger
le Liban dans le chaos.

 Le Hezbollah est avant tout une milice tirant essentiellement sa légitimité de ses actions
militaires et non d’un projet politique visant à bâtir un avenir meilleur pour le Liban

Bien qu’il soit représenté à la chambre des députés depuis 1992, le Hezbollah n’est pas vraiment un
parti politique comme les autres, dans la mesure où il reste avant tout une organisation militaire,
créée à l'initiative des Pasdaran, les gardiens de la révolution islamique iranienne. Officiellement, il
s’agit de faire face à l’occupation israélienne du Liban, alors que l’objectif officieux de cette
organisation est stratégique visant à servir la politique d’influence iranienne au Proche-Orient.
Rappelons que la première version du drapeau du Hezbollah portait la mention « Hezbollah, la
révolution islamique au Liban » (et non pas la révolution islamique libanaise), avant d’être remplacée
par l’expression « Hezbollah, la résistance islamique au Liban » (RIL), ce qui en dit long sur
l’appartenance identitaire de ce parti et son ancrage exogène.

On comprend mieux que le Hezbollah ne s’intéresse à la politique intérieure libanaise, que dans le
but de protéger et renforcer son noyau, sa colonne vertébrale, à savoir sa milice armée. Ainsi, il n’a
pas participé au gouvernement d’union nationale avant 2005, année de l’assassinat de l’ancien
premier ministre Rafic Hariri et de la révolution du Cèdre conduisant au retrait forcé des troupes
syriennes du Liban qui assuraient jusqu’alors une double fonction : le contrôle politico- militaire du
pays et le soutien inconditionnel au Hezbollah. Craignant désormais son éventuel désarmement, le
parti chiite décide donc de prendre le relais de son ancien parrain syrien dans la gouvernance du pays
afin d’assurer sa survie politique. Car, contrairement à l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA) et son
aile politique, le Sinn Fein, le Parti de Dieu est indissociable de sa force armée (pas de différence
entre branche militaire et branche politique), les deux composantes étant régies par un
commandement unique. Raison pour laquelle le Hezbollah n’existerait probablement plus sans sa
milice armée, ou du moins pas sous cette forme et avec une influence politique nettement moindre.
C’est donc la doctrine militaire qui dicte les choix politiques du « Hezb » et non pas l’inverse. La
menace du cheikh Nasrallah, en mai 2008, de « couper la main » à quiconque « touchera aux armes
de la résistance » confirme le lien existentiel entre le Hezbollah et son arsenal militaire. Après tout,
l’Imâm charismatique chiite iranien Moussa Al-Sadr, fondateur du « Mouvement des déshérités » au
Liban, disparu en 1978, n’avait-t-il pas dit un jour « les armes sont la parure des hommes » ?

Disons-le sans détour, ce qui importe le plus pour le « Hezb » n’est pas tant de résister à Israël que de
préserver sa puissance militaire, source principale de sa légitimité politique sur les deux scènes
nationale et régionale.

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’échec majeur de la pensée politique du Hezbollah, voire de la
faillite de l’Islam politique chiite libanais, dont le seul pilier est la résistance armée à Israël, occultant

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ainsi les composantes institutionnelle, économique, sociale et culturelle de l’action politique. Cette
résistance est absurde, illusoire même, quand elle défend un Etat en déliquescence, gangréné par la
corruption, la gabegie, et le clientélisme. Comment cette résistance peut-elle se vanter de la
« dollarisation » de ses finances pour faire face à la crise économique actuelle, alors que le peuple
qu’elle est censée défendre est brisé par la faim, essentiellement causée par une dollarisation
sauvage de l’économie libanais ? La pauvreté, la précarité sociale et sanitaire, la corruption, le
clientélisme, etc…. voilà les vrais ennemis que le « Jihad » devrait combattre en premier, afin de bâtir
un Etat fort, car aucune armure ne peut protéger un corps et un cœur malades.

De plus, ayons le courage de dire que :

- les armes du «Hezb » sont une aubaine pour Israël permettant à ce dernier d’atteindre l’objectif
suivant : renforcer sa posture d’ « d'éternelle victime encerclée et menacée » aux yeux de la
communauté internationale, lui permettant, d’un côté, de relancer incessamment son jeu de
chantage économique, politique et militaire auprès des Etats-Unis d’Amérique et, d'un autre
côté, de justifier devant la communauté internationale toutes ses attaques « défensives et
préventives » contre notre pays, qui est déjà agonisant économiquement et politiquement.
- les conditions de la paix avec Israël seront, tôt ou tard, réunies, conformément aux principes
agréés à la Conférence de paix de Madrid en octobre 1991, notamment celui de l’échange de la
terre contre la paix et l’instauration d’une paix juste et globale dans la région. Vexé car exclu du
processus de paix et risquant, par conséquent, l’isolement international, l’Iran s’était donc
farouchement opposé à la conclusion de la paix avec Israël, qualifié de « petit Satan » - Pourtant,
c’est grâce à ce même « satan » que l’Iran s’était fait livrer des armes américaines pour pouvoir
continuer sa guerre avec l’Irak (Affaire Irangate 1986), montrant ainsi, sinon l’hypocrisie, du
moins la démagogie du régime iranien. C’est la raison principale pour laquelle le Hezb
n’acceptera jamais la paix avec Israël, ce qui est contradictoire avec la souveraineté libanaise et
pourrait conduire à un perpétuel conflit de voisinage entravant tout espoir de stabilité et de paix
au Moyen-Orient.

Soyons courageux et préparons-nous pour la paix. Cet effort de paix, auquel incite explicitement
le Coran (Al Anfal-8/61), est le seul « Jihad » suprême susceptible de garantir un meilleur avenir à
nos générations futures.

Malheureusement, en dehors de son (sinistre) projet initial visant l’instauration d’un Etat islamique
sur le modèle iranien, le Hezbollah n’est jamais parvenu à s'émanciper de son rôle de variable
d'ajustement de la stratégie de domination iranienne au Moyen-Orient, afin de proposer un nouveau
projet politique, véritablement digne de ce nom, apportant des alternatives ou des solutions aux
multiples crises que traversent notre pays. Il a su seulement, par des actions sociales ciblées et un
soutien à certaines populations démunies, amplifier son pouvoir et son influence au sein de la
communauté chiite, notamment suite à l’opération israélienne appelée « Raisins de la colère », en
avril 1996, et à la guerre des Trente - Trois jours, en juillet - août 2006 ; une stratégie souvent
gagnante face à une population martyrisée et prise à la gorge par le chaos de la guerre.

Au pays du cèdre, l’absence d’une véritable vision politique d'avenir, traduisant une impéritie
politique certaine et un non-sens des responsabilités, n’est, hélas, pas l’apanage d’un seul parti
politique, mais concerne l’ensemble de la classe politique actuelle. Cela s’explique notamment, en
dehors du cas du Hezbollah, par le fait que les partis libanais, outil indispensable de l’action politique,
sont majoritairement des partis de « za'âmât » (élites politiques traditionnelles) et de « salons
politiques » se définissant moins par leurs programmes d’action que par leurs simples affiliations
claniques, familiales et communautaires.

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Si l’arsenal militaire, colonne vertébrale du Hezbollah, est un signe majeur de sa défaite politique, la
doctrine de la « wilâyat al-faqîh » constitue, quant à elle, sa moelle épinière, révélant une autre
facette de son incapacité d’intégrer le paysage politique libanais

La wilâyat al-faqîh, moelle épinière du Hezbollah, est une menace pour l’intérêt national et la
souveraineté libanaise

La vision politique du Hezbollah semble condamnée, dans une grande mesure, par la doctrine de la
«wilâyat al-faqîh » ou la « guidance du jurisconsulte », autrement dit, une allégeance quasi-entière
au « walî al-faqîh», le guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei, concernant la gouvernance
politique et la conduite générale des affaires publiques (sans oublier, bien sûr, les questions
religieuses). Le secrétaire général du parti, Hasan Nasrallah, est considéré comme le « wakil » ou le
représentant de khamenei au Liban. Notons au passage que c’est Khamenei même qui, se sentant
vulnérable et grandement menacé par les américains à la suite de la deuxième guerre du Golfe, a
proposé, en 2003, maintes concessions à ces derniers, dont celle consistant à faire pression sur le
Hezbollah pour le désarmer et la reconnaissance indirecte d’Israël, la contrepartie étant la levée des
sanctions à son égard et la reconnaissance de ses intérêts politiques dans la région.

Le « walî al-faqîh » préside à la classification des ennemis et des amis, se prononce sur le « Jihad » et
monopolise la décision de guerre et de paix. Pour mieux comprendre l’empreinte politique de cette
influence doctrinale, rappelons que la participation du « Hezb » aux élections législatives de 1992 n’a
été décidée qu’à la suite d’un avis favorable du guide iranien. La menace réitérée du Hezbollah de
« promettre l’enfer » aux israéliens en cas d’attaque contre l’Iran est une autre illustration de son lien
de subordination à l’égard de Téhéran, pourtant situé à plus de 1500 km de la capitale libanaise.

Cette approche théocratique (et autocratique) de la gouvernance politique est d’autant plus
dangereuse qu’elle porte gravement atteinte à la souveraineté de l’Etat et du peuple libanais et
menace les fondements de la démocratie. Et ce sans oublier les conséquences désastreuses actuelles
sur la diplomatie libanaise et son isolement sur la scène internationale.

Quant à l’alliance politique entre le Hezbollah et le Courant Patriotique Libre, conclue en 2006,
considérée par certains comme preuve irréfutable confirmant la « libanisation » définitive du parti
chiite, et bien qu’elle soit qualifiée de stratégique par les deux parties, elle ne constitue qu’une
entente relevant, surtout pour le courant patriotique libre, d’un opportunisme de circonstance qui a
permis au général Aoun d’accéder, en 2016, à la présidence de la république et au Hezbollah
d’étendre sa légitimité politique et de préserver ses armes.

Face aux crises humanitaire, économique et politique qui menacent l’existence même de notre pays,
n’est-ce pas l’urgence ultime pour que le Hezbollah puisse enfin changer de trajectoire et se
réinventer un nouveau destin politique, commun à tous les libanais, avant qu’il ne soit trop tard !!

Il est temps que la pensée politique chiite sorte de sa léthargie, engage sa mue et fasse sa révolution.

Ibrahim JABRE
Le 31 août 2020

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