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HARRY G. FRANKFURT LA LIBERTE DE LA VOLONTE, ET LE CONCEPT DE PERSONNE” |L?analyse du concept de personne quis’ estimposée révemment ‘en philosophie nest en réalité pas du tout une analyse de ce concept. Strawson, par exemple, définit la notion de personne ‘comme «le concept d'un type d’entité tel que d la fois des orédi- ‘als attribuant des états de conscience et des prédicatsatribuant des caractérstiques corporelle (...] sont également applicables ‘un seul individu de ce type unique d’entités»!, Cette déinition est tout fait représentative de utilisation actuelle de cete notion n'y a pourtant pas que les personnes qui possédent 8 la fois des propriétés mentales et des propriétés physiques. I se trouve = méme si cela paait surprenant qu'il n'y a pas de terme anglais courant pour le type d’entités auguel pense Strawson, un type qui “1.G.Frankfus,¢Froadm of the Wil and the Coney ofa Feson>, The Journal of Photophy, VoL 6B, x1, 1971, p.5.20. Nos remerienents ont eure ausurpour ear aables stations, 1LPE.Stnst00, Individual, Loodon, Methuen, 195% p (O02; tf ‘A Shalom tP.Drong Ler ini, Pcs, Seu, 1978,p 114 Ayeratlseleterme ‘ peionoe» ans sens sina: iles carts des prsomesqie, ute Inteqclcs ponent cvesea proces pigs} on ee tus as es {ecm aries de comeiene» (The Concent ofa Person, New Yor, St Marin’, 1963p. 82) Stawsonet ersten au probleme deacon ene estitel een, et on pate quton fr ize desyois ce quest une ue gh ‘onosulentatn espe, muses ausi ue persone 80 HARRY 6, FRANKFURT inclurait non seulement les étres humains mais aussi bien des ‘animaux despeves varies et moins évoluées. Cela ne justifie pas Pouratantle détournement dun terme philosophique précieux. Pour savoir si les membres de ceraines espéces animales sont des personnes, il ne suffit certainement pas de déterminer s'il est correct de leur appliquer, en plus des prédicats leur attribuant des caractristiques comporelles, des prédicats leur attibuant des tats de conscience, Ce serait faire violence & notre langage (que d'accepter d!étendre I application du terme « personne» aux nombreuses eréatures qui Ceres possédent la fois des propriété pychologiques et matérielles, mais qui ne sont manifestement pas. des personnes au sens normal de ce terme, Ce mauvais usage du langage est sans aucun doute innocent de toute erreur théorique. ‘Copendant, bien que la faute soit «simiplement verbale,ellecause ‘un torteonsidérable, En effet, elle appanvritsansraison notre voca- bulairephilosophique etaugmentelerisquede négliger|'important domaine investigation anquel se rapportenaturellement le terme «personne ». Onuraitpus’attendresice que, de tous les problémes philosophiques, comprendre ce que nous sommes essentellemient soit celui qui passionne avant tout les penseurs. Pourtant le sinter égard de ce probleme est tel qu'on a pu aller jusqu'a, tronquer son intitulé quasiment sans se fare remarquer, et en tout ‘assans susciteraucun sentiment général de pete, Dans l'une de ses significations, le mot «personne» est implement la forme singuliére de «gens» et, & T'instar de ce demier terme, ne tradut rien de plus que Iapparienance & une ‘esptee biologique pariculitre. Mais pour ce qui est des signi- fications ayant un intérét philosophique plus grand, les ertéres qui déterminent ce qu’est une personne ne servent pas avant fut 8 Gistinguer les membres de notre propre espbce de ceux des autres ‘espbces. Is sont piutétdestinés 3 apprébender les aributs qui sont ‘objet de 'intérét que |8tre human pore & lui-miéme et gui sont ‘aTrorigine des aspects de sa condition qu’il considére comme les plus importantst les plus problématiques. r, mémes"is étaient [LALIBERTE DE LA VOLONTEETLE CONCEPT DEERSONNE 81 as de fait particulies et communs & tous les membres de notre propre esptce, ces atributs auraient pour nous la mme impor- tance. Ce qui nous intéress le plus dans la condition humaine ne nous incéresserait pas moins s'il s‘agissait également d'une caractristique de lacondition antes créatures. Les atributs auxquels se réfre noire concept e nous-mémes en tant que personnes ne sont donc pas névessuiement speifiques Anoire espdoe I est logiquement possible que les membres dune nouvelle espéce ou méme d'une espéce non humaine dé connue soient des personnes; de méme qu'il est logiquement possible que certains membres de espace humaine ne soient pas des personnes, Dun autrecOté,c’est un fit ue nous présumons que es membres ‘des autres espbces ne sont pas des personnes, et done que ce qui est * essentiel aux personnesest un ensemble de caractéristiques pénéra- Jement considérées ~ & tort ou 8 raison ~ comme spécifiquement ‘urine, Je pense que l'une des differences essentilles entre les personnes et les autres eréatures réside dans Ia structure de la vyolonté des premires. Les étes humains ne sont pa les seuls & avoir des désirs et des motifs, ou 8 faire des choix. Is partagent ‘es facutés avec les membres dautzes espbces, dont certains partissent méme capables de s'engager dans des détibérations et de prendre des décisios sur la base d'une réflexion amtérieure CCependant, il semble particuliérement caractérstique des étres humains qu’ils puissent former ce que jappllerai des «désirs de secondnivean >, Outre qu'il ont des dirs, font des choix et sont motivés pour {faire coviou cela, les tes humains peuvent aussi désier avoir (ou ‘he pas avoir) certains sits et certains motifs. Is peuvent désirer ue différents, quant leurs préférences ct leurs buts, de ce qu'ils sont. Beaucoup d'animaux possédent apparemment lacapacité de former cequej'appellerai des «désirs de premier niveau», quisont simplement des désits de faire ou non tlle ou tell chose. En revanche, aucun animal autre que homme ne paratt disposer dela 2 HARRY 6. FRANKFURT ‘capacité dauto-évaluation réflexive” qui se manifeste dans la formation des désirs de second niveau |. 1 I est tuts dificile de sais le concept désigné par le verte ‘ se rapport effectivement& un désir de A coneemant le contenu de sa volonté, Dans de tels cas 'énoneé signifie que A désire que le sir de faire X soit celui gui 'améne passer ‘act, Ine désire pas seulement que ce désir fase patie ‘des désirs qui, plus ou moins fortement, le poussent ou 'inclinent ‘agi, mais qu'il sot efficient —c'est-a-dire qu'il soit e motif de son action, Dans ce contexte, lénoneé que A désiredésirer faire X mplique que A désite det faire Xl ne pourrait pas ere vrai 8 la 86 HARRY G, FRANKFURT fois que A désire que le désir de fire Xe pousse 8 agi et qu'il ne désre pas fire X. Ce n'est que si sire faire X qu'il peot ‘de manire cohérentedésirer que le désir de faire X ne sot pas implement un désir parmi d'autres, mais, plus décsiverent, ‘constituesavolonté!. ‘Supposons qu'un individu désire étre motive parle dsr de se ‘eoncenter sur son travail est nécessairement vrai dans ce cas, ‘qu'il désire dja se concentrer sur son travail Ce dsr fat ds & présent patie de ses désits. Cependant, savoir si son désir de second niveau estou non stisfait ne dépend pas seulement de ce aque e dsr qu'il sre soit 'un de ses désis, mais de ce que dsr seit son désir efficient ou sa volont, Si enfin de compte este (p28). Autemen itp Lace i nyapsb autre coneptpeinert eer quceli de ibe 'on. 4 HARRY G, FRANKFURT ‘desa volonté estiéa la question de savoir si cete volonté est celle au'ildésireavoir. Crest donc en conformant sa volonté avec ses voitons de second niveau qu'une personne dispose dune volonté libre. Et ’estdansl cart entre sa volonté et ses volitions de second niveau, ‘4 en se rendant compte que leur concordance n'est pas de son ‘propre faitmais seulement un purhasard qu'une personne rssent ‘son manque deliberté. La volonté du toxicomane malgeé lui nest ‘pas libre, et cola so manifest dans le fait que sa volonté n'est pas celle qu'il désire avoir. I-est vrai également, bien qu'en un sens different, que la volonté du toxicomane iréflexf nest pas libre: i ‘ani lavolonté qu'il désire ni une volonté diferente de celle qu'il «ésire. Puisqu'ln'apas de volitions de second niveau, laliberté de sa volonté n'est pas un probléme pout Ii. Elle Ii manque pour ainsi dire pardéfaut. Les hommes sont généralement beaucoup plus complexes que ne peut le suggérer ton esquisse de Ia structure de la volonté ‘une personne, Les désirs de second niveau, parexemple, peuvent recelet antant d'ambivalence, de conflis, de duperie de soi qu'il y ‘en concernant les désirs de premier nivean, S"ily aun confit non ‘ésol entre les désis de second niveau d'un individu. il risque de 'e pas disposer de voltions de second niveau; car aussi longtemps ‘que perdure ce confit, il n'a pas de préférence quant au désir de ‘premier niveau qui devraitconstituersa volonté, Quand cette situa- tion devient grave au point d’empécher individu de s identifier ‘une manire suffisamment net avec l'un quelconque de ses ‘désrs opposes de premicr niveau, ies détmuiten ant que personne. En effet, soit sa volonté tend éire paralysée et il sera alors dans Vincapacité d’agi, soit il tend & se désengager vis-a-vis de sa ‘volonté, qui va alors opérer sans sa participation. Dans les deux Inypothses il devient. comme le toxicomane malgré lui quoique «une fagon différente, un témoin impuissant des forces qui le ‘meuvent ‘Une autre source de complication est qu'une personne peut avoir, particuligement dans Te cas 00 ses désirs de second niveau LALIRERTE DELA VOLONTEETLE CONGEPTDE PERSONNE 95 sonten cont des sis et des volitions d'un niveau supérieur au second, Théoriquement, il n'y a pas de limite 8 éléation des niveaux de dsirs; ren, si ce nestle bon sense éventellement une fatigue salvatrice, ne peut empécher un individu de refuser sbstinément de s'dentfer& un queleongue de ses sits aussi longtemps qu’iln’apasforméun désird un niveauimmédiatemcat supérieur. La tendance & générer une telle série dactes de formation de désirs, qui corespondrat @ un cas d’humansation evenve chaotique, conduit également & Ia destruction de la personne, est cependant possible de mettre un terme 8 une tlle série «Pacts sans pour sulant'interrompreacbitrarement. Quand une personnes’identfed imemanidredécisive' al unde se: dsirsde in difrencedeM Naber, ous chosinsne de radu deity parade mane déisie» enone mnie dite». Le ee oii aes ‘etsomir le cares lime et indole de Uiemfication que Pack a expt as il mangae néanmois dear aspects de cet denise, id ‘evjenivatexplicies que das Farle wleenficeton and Wholeeardnest» (0967): pan une elle detsicaon sl une disor de prone par laquelle ele se come acinemenselleméne, & appropiate = dsr de ‘aie esponsble duit par ove fait qulperonne pis changers, ‘tte idemiferion ne signifi ps ésesirement fa fn de tout coal ete Ses si pub a ison ee un itn oat eéson ne as paie par Tefult quel pesoene sit conascue vcr ca Ie coli (leet Cares dirs, ojos fees, peut don zerveric)L radecton Se Nevers ‘en done itemugion de ascension vars ds is do ivesax spices oa second plus abicare qu'elle ne esto ait, peat la main aun objctears Fone. Prasat sles pus sns recone, dans le mine ate, (ue sterner «identification» dengagemen ii’ ede ersncanee sont ucobsur tou ea tenance él mle ymologgue expe ‘ono desde ou tomake op one's mind V) is cue cell, pherominologue, “ePcte de prmie um disin (se. VI, monet ben engi I tation de lecsve pa diifea agumention de Fane purement osevlite-« Left 4q'm engagement esoare Sans in a splemert le ft que Pengpemct st lin Cr un engagement xt isi et sleet let ps sans ae, brenéreunenpagment aster sige ue a penscnoe concer coi: ‘iongsueunesureinvesigatonpusprécse'crgerat'ellene changed Soe ine de poursie engute plus ongtespa, Cent présente. 96 HARRY G, FRANKFURT! premier niveau, cet engagement «résonne> & travers le série potentillement infinie des niveaux supérieurs. Reprenonslecasde le personne qui, sans réserve ni hesitation, désire ve motivée par ledésirde se concentrer sur son travail Le faitque cette volition de second nivean soit une volition décisive signfie qu'il n'y a'plus deplace pour des questions portant surla pertinence de désirs ou de Volitions de niveaux supérieurs. Supposons que L’on demande & cette personne si elle désirer désirer désier se concentrer sur son travail. Elle peut & bon droit épondre que cette question & propos d'un désir de troisiéme nivean ne se pose pas. On n’aurit tort afftmer, parce qu'elle ne s'est pas demandée si elle désirat I ‘volition de second niveau qu'elle a formige, quelle est ndiférente Ta question de savoir si elle site que sa volonté sot en accord aver cette volition ou avec une autre, Le earectére d&cisif de son engagement signifie qu'elle a décidé qu'il n'y avait plus de ‘question poser au sujet de sa volition de second niveau, & quelque niveau supérieur que ce soit. Limporte peu gu’on exptigue cela en disant que son engagement nénéreimplicitement une sre infinie de désirs corroborants de niveau supérieurs, ot qu’ est équi- ‘valent 2 une dissolution du sens méme des questions & propos de niveaux supérieur du desir, ‘Des eas comme celui du toxicomane malgré tui incitent & ‘penser que les voitions de second niveau, ou de nivesux supérieurs, doivent éte formées délibérément et que la personne doit parti- cliérement Inter pour assure leur satisfaction. Mais la confor- ‘mitédela volontéd’une personne ses voitionseniveausupérieur ‘peut ére beaucoup plus spontanée et iréfléchie que cela, Certaines ‘personnes sont natrelement mues par la gentillesse quand elles sitent etre geniles et par la méchanceté quand elles désient sésonmanes [Carla seakerason de pours série de ives spies hss] erat ees priseavec uncon sent ouavelapossiblie qu'un cont puis mile: unt dono gels pcsonen’pscete raison pour pours i ‘es gute are quelle ame» (p18). Braman 1998, eat) analyse les varus eos insffissaos dune conegedo dso. [LALIBERTE DEA VOLONTEETLE CONCEPTDE PERSONNE 97 dire méshantes, sans pour autanty penser expliitement et sans avoir besoin de simposer un sévéreautodscipline. D’aures en revanche sont mues parla méchanceté quand elles désirent etre gentilles et par Ia gentillesse quand elles ont ‘intention @'@tre chants, également sans y penser et sans réxster activerment aces violations de leurs désirs de niveau supérieur. Ceriains conguitren facilement la liber alors quo d'autres doivent Iter ourl'atsindre Vv ‘Ma conception de la liberé de la volonté explique aisément pourquoi on répugne & la reconnaitre aux membres d'espces ‘iférieues a la ndtt. Elle satisfait également une autre condition ‘que toute théorc de ce genre doit remplir, en expliquant pourquoi Talbert de Ta volonté devrait éare considérée comme soubaitable CCelui qui jouit d'une volonté libre voit certains de ses désrs (de second nivean ou de niveaur supérieus)satisaits, lorsque celoi qui en est privé les voit frustrés. Les satisfactions en question reviennent individu dont la volonté est sienne, cles frustrations ‘orrespondantes sont vécues par celui qui est éiranger@ i-méme, ‘ouiquise trouve éte le témoin impuissantou pssif des forces guile meuvent, ‘Une personne peut éire libre d agit selon ses désis sns etre en mesure @/avoir la volonté qu'elle désire, Mais supposons qu'elle jouisse la fois dela liber action et dela liberté dela votonté ‘Dans ce cas elle nest pas Seulement libre d'agr selon ses désir, mais elle est libre également de désirer ce qu'elle désie désirer. Eile posséde alors, me semble-til, toute la liberté que l'on peut souhaiter ou concevoir. Ceres iy a d'autres biens soubaitables dans la vie, etl se peut qu'elle soit privée de certains dentre evs. Mais sous aspect de libertine lui manque rien Tin'est pas du tout str que certanes auresthéores cela iberté de la volonté remplissent ces conditions élémentaires mais essen- tielles, & savoir: que l'on comprenne pourquoi nous souhaitons 98, HARRY 6, FRANKFURT ceite iberé pour ous et pourquoi nous refusons de 'tribuer sux animaux. Prenonspér exemple 'interprétation trange qu'adonnée Roderick Chisholm de la thse selon laquelle Ia liberté humaine implique Vabsence de détermination causale!. S'il faut suivre Chisholm, & chaque fois qu'une personne exécute une scion libre, ‘est un miracle’, En effet, lorsqu’une personne bouge la main, ce mouvement est le résultat dune série de causes physiques; mais selon Chisholm ily a un événement dans cette série,

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