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La responsabilité
des générations
Louis Chauvel
L
es générations sont un révélateur de nos difficultés sociales,
économiques, politiques, de long terme. Des retraites... au
reboisement, des politiques scolaires à la modification du climat,
de la gestion des ressources humaines à l’équilibre des
campagnes, la notion de génération est cruciale pour comprendre la
complexité des processus de long terme. Dans chaque cas, la génération
y apparaît sous deux facettes : celle d’une force irrésistible, « océanique »
en quelque sorte, portée par la dynamique du renouvellement, et celle de
la faiblesse et de la dépendance des générations futures qui auront à
subir, qu’elles le veuillent ou non, les conséquences de nos décisions et
de nos indécisions. Nous sommes confrontés ici à la conscience de notre
responsabilité vis-à-vis de ce que nous voulons transmettre, aussi bien
individuellement que collectivement, après nous.
La notion invite aux bons sentiments, mais elle n’est pas non plus au-
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ont cinquante ans en 1944 ; la moitié à peine atteint l’âge de 65 ans, sans
retraite véritable (en 1959, le minimum vieillesse est créé, qui, malgré
son montant dérisoire – de l’ordre du tiers du Smig de l’époque –,
concerne alors la moitié des « vieillards »). Ce destin collectif-là est celui
de la même génération démographique. C’est une conséquence de la
seule équation mathématique s’appliquant à la perfection au monde
social, pourtant rebelle à la formulation numérique : « a=p - c », l’âge
d’un individu est égal à la différence entre l’année de mesure de cet âge
et son année de naissance. La relation est banale, mais permet de
comprendre beaucoup à l’impact de l’histoire sur la vie de chacun. Ce
sens démographique, neutralisé, s’oppose à celui, fortement construit, de
« génération historique », marquée par des intérêts spécifiques,
partageant la conscience forte d’une position dans l’histoire, et y
émergeant comme acteur collectif. On parle ainsi de la génération de
1914 ou de celle de 1968, pour caractériser ces groupes qui ont eu vingt
ans en ces périodes de fracture, dramatique ou plus heureuse. Entre la
génération démographique et celle historique, se repère le même écart
qu’entre la catégorie et la classe sociales, en soi et pour soi, au sens
marxiste du terme. Pour relier ces deux pôles, la « génération sociale »
définit une cohorte en partie structurée, dont les membres peuvent
partager des caractéristiques données sans en avoir nécessairement la
conscience ; plus cette conscience se renforce, plus elle se rapproche
d’une génération historique. Il existe un quatrième sens à ce mot de
génération : celui de génération familiale, correspondant à un rapport
direct de parenté ou de filiation, au sens de la génération des grands-
parents et des petits-enfants, objets de recherche des sociologues de la
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famille, comme Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen
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rien de banal.
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Hans Jonas rappelait que notre responsabilité est de tout mettre en
œuvre pour que les générations futures puissent hériter de conditions
environnementales d’existence – mais on peut généraliser le
raisonnement à la question sociale – au moins aussi favorables que celles
dont nous bénéficions. Il est vrai que les fluctuations de l’histoire
peuvent complexifier le souci de justice ; mais constater, comme
aujourd’hui, que, au même moment, une génération ancienne prolonge
sa trajectoire ascendante alors que les puînés connaissent des difficultés
inédites, voilà un exemple manifeste d’injustice générationnelle,
aggravée par le fait que, sous divers aspects, on sent bien que les
bénéfices des anciennes générations reposent au moins partiellement
sur les conditions plus difficiles des nouvelles.
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Odile Jacob, 1998. Voir aussi Claudine Attias-Donfut, « Rapports de générations : transferts
intrafamiliaux et dynamique macrosociale », Revue française de sociologie, n° 4, 2000.
4 / Hans Jonas, Le principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique, Cerf,
1990.
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