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un cauchemar.
Sa voisine ne l'entend même pas, enfermée elle aussi clans
sa coque douloureuse. Le visage enfoui dans son oreiller de
copeaux, elle sanglote à petits cosups, et des frissons de fièvre
la parcourent, des talons à la nuque, dans sa gangue mouillée.
C'est une fermière du Dauphiné, arrêtée parce qu'elle abritait
chez elle des gars du maquis. Trois de ses fils ont été fusillés
sous ses yeux. Et la malheureuse, jetée nue sur une table, a été
fustigée jusqu'au sang. Elle est infirme cependant, le dos
déformé par une déviation cle vertèbres depuis de longues
années ; et comme lui est enlevé son corset de fer, la station
debout est un supplice pour elle et ce travail de terrassement
qu'elle accomplit chaque jour dans la boue du marécage.
Une tête jeune se penche sur sa détresse, mais sans parvenir
à l'atteindre, tant est profonde et détachée, de tout cette
désespérance :
« Il ne faut pas pleurer, maman Jeanne », répète
doucement,
en'earessant la grise tignasse emmêlée, la petite Yvette, une
jeune femme à l'accent bordelais, brune avec des mèches qui
frisent sous les ondées. Elle est bien jeune, mais a souffert déjà.
Veuve de cette guerre, elle a fait preuve d'un beau courag-
LE 1
« MAGNIFICAT » DES FORÇATS 55
— Tu ne te trompes pas?
— Comment le sais-tu? »
Nous sommes une centaines de femmes dans cette salle
.
— Deo gratias. »
La messe est finie. Alors, quelqu'un dans l'assistance, domi-
nant le murmure des conversations qui s'amorcent :
« Si on chantait un Te Deum d'action de grâce pour la déli-
vrance de Paris?
— Oui, oui, un Te Deum\ — Une acclamation unanime.
.
YVONNE PAGNIEZ.