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Bernard Calmettes
Université Toulouse II - Jean Jaurès
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Bernard Calmettes
Analyse pragmatique de pratiques
ordinaires, rapport pragmatique à
l’enseigner
Étude de cas : des enseignants experts, en
démarche d’investigation en physique
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Référence électronique
Bernard Calmettes, « Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique à l’enseigner », RDST [En
ligne], 2 | 2011, mis en ligne le 15 mars 2013, consulté le 05 décembre 2013. URL : http://rdst.revues.org/354
RÉSUMÉ • L’étude présentée dans cet article porte sur des analyses de situations et
de pratiques ordinaires mises en œuvre par des enseignants « experts », en démarche
d’investigation en collège.
La recherche s’appuie sur des observations de séances de classe menées par trois
enseignants, et sur des entretiens. Les pratiques sont caractérisées à partir d’une analyse
prenant en compte le milieu didactique et son évolution, et les tâches et techniques
utilisées par l’enseignant pour gérer l’étude (analyse praxéologique ascendante).
Les entretiens permettent aux enseignants de justifier le déroulement de la séance et
les éléments sur lesquels ils s’appuient pour gérer la construction des savoirs (analyse
pragmatique).
Les éléments de justification sont déclinés selon trois références : le rapport aux savoirs
épistémologiques, l’aide à l’étude, et les contraintes institutionnelles. Le résultat de
la modélisation didactique de l’ensemble de ces justifications constitue un « rapport
pragmatique à l’enseigner ».
MOTS-CLÉS • Pratique, praxéologie, analyse pragmatique, investigation, expert.
L’étude présentée dans cet article a pour objectif de caractériser des pratiques
d’enseignement ordinaires mises en œuvre par des enseignants experts lors de
séances avec démarche d’investigation en physique, en collège (MEN, 2005, 2007,
annexe 1 de cet article). Il s’agit notamment de s’intéresser aux tâches et aux
techniques mises en œuvre par les enseignants pour gérer les étapes de cette
démarche, et à la manière dont ceux-ci justifient leur pratique.
Ce travail de recherche en didactique de la physique s’inscrit dans la poursuite
des travaux sur les connaissances des enseignants en général (Shulman, 1986 ;
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les classes avec, soit des instructions officielles, soit des descriptifs proposés par des
didacticiens (Morge, 2007), soit des représentations d’enseignants sur la nature de
la science (Tang et al., 2009 ; Windschiltl, 2004 ; Gess-Newsome, 2002). Il ne s’agit
pas non plus de déduire, à partir des résultats de l’analyse, des prescriptions ou des
propositions pour la formation des enseignants.
Ce sont d’abord les situations et les pratiques, puis les analyses des acteurs de
terrain (le point de vue des enseignants) sur les situations, qu’ils considèrent comme
des démarches d’investigation et qu’ils mettent en œuvre, qui sont étudiées. Pour
autant, l’objectif de la recherche n’est pas simplement de décrire les situations ou
de reformuler le point de vue des enseignants, mais bien in fine de modéliser, grâce
à des concepts didactiques, les justifications que ceux-ci produisent.
Nous présentons maintenant, de manière progressive, le cadre théorique utilisé
dans l’étude des pratiques des enseignants. Nous commençons par décliner les
concepts de la théorie des situations didactiques ; ils permettent d’aborder la
dynamique des activités dans la classe. Nous nous intéressons ensuite aux concepts
issus de la théorie anthropologique du didactique et de l’approche praxéologique
des pratiques enseignantes, qui permettent de caractériser les techniques utilisées
par l’enseignant pour gérer l’aide à l’étude et les situations. Enfin nous exposerons
les principes que nous retenons de l’analyse pragmatique.
1.2. La démarche d’investigation dans la littérature didactique
La démarche d’investigation est inscrite dans la longue lignée des démarches
pouvant être mises en œuvre dans l’enseignement scientifique, depuis la mise en
place institutionnelle des « activités d’éveil » dans l’enseignement primaire en
France en 1969.
La démarche d’investigation (en France), dont l’équivalent dans les pays
nordiques, slaves et anglo-saxons correspond aux appellations Inquiry Based
Learning (IBL) ou Inquiry Based Science Education (IBSE) ou Inquiry Based Science
Teaching (IBST), devrait, selon des rapports récents, permettre de faire face à la
désaffection des jeunes pour les études scientifiques et technologiques (Eurydice,
2006 ; Rocard et al., 2007).
Les recherches actuelles concernant la démarche d’investigation, en didactique
des sciences, s’intéressent à ses références épistémologiques (notamment sur la
construction des savoirs scientifiques et sur la nature de la science), aux processus
d’enseignement et d’apprentissage en jeu, et à certains aspects praxéologiques.
Beaucoup ont une visée propositionnelle, innovante, éventuellement dans le cadre
d’une coopération entre enseignants et chercheurs, et elles s’inscrivent dans des
ancrages divers : théorie des situations, action conjointe, didactique professionnelle,
action située, etc.
D’un point de vue épistémologique, la démarche d’investigation est étudiée
au regard de l’éventuelle transposition de démarches de scientifiques et des
modalités de construction des « savoirs savants » scientifiques et relativement aux
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1 Les termes en italique et ceux entre guillemets sont notés ainsi dans le texte de l’auteur.
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2 Abell (2007) décline le “pedagogical content knowledge for science teaching” [le savoir didactique
pour l’enseignement des sciences] selon trois dimensions : “science subject matter knowledge”
[la connaissance des contenus a enseigner, de leurs structures et de la compréhension de ces structures], puis
“pedagogical knowledge” [la connaissance relative à l’« enseignabilité » de la discipline] qui comprend le
« curricular knowledge » [programmes et instructions utilisation des illustrations, des analogies,
des conceptions ; modalités de gestion de classe pour organiser la compréhension des contenus] ; et enfin
“knowledge of context” [connaissance des élèves, de l’école, des contextes régionaux].
3 Il s’agit bien ici des références épistémologiques auxquelles peuvent se rapporter des éléments de pratiques
et de discours d’enseignants quand ils justifient leurs pratiques, les taches à accomplir et les techniques
utilisées. Il ne s’agit pas d’analyser les discours des enseignants à propos des références épistémologiques
des démarches d’investigation ou des démarches scientifiques et donc de discuter les connaissances
de ces enseignants en épistémologie.
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4 Shulman introduit ses réflexions sous la forme d’une série de questions : « what are the sources
of the knowledge base for teaching ? In what terms can these sources be conceptualized ? What are
the processes of pedagogical reasoning and action ? what are the implications for teaching policy
and educational reform ? » Son objectif est de proposer « a redirection in how teaching is to be understood
and teachers are to be trained and evaluated. » Shulman situe ses travaux dans une perspective
de construction d’une base de connaissances pour l’enseignement, perspective a priori différente de la nôtre.
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de ces pratiques comme reproductibles et utilisables comme des « cas » dans une
perspective de formation, ou comme élément de référence pour une évaluation
des pratiques enseignantes.
Le point qui nous paraît le plus sensible, si l’on veut distinguer les propositions
rapidement décrites ci-dessus (courants de recherche américaine, Abell et Shulman)
du cadre théorique que nous proposons, réside dans la différence que nous
faisons entre les « connaissances des enseignants » et les « justifications » que des
enseignants donnent des tâches qu’ils ont à accomplir et des techniques qu’ils
utilisent pour les réaliser. Il semble que chez Shulman, il y ait assimilation des
raisons de l’action et des connaissances des enseignants.
Dans une étude récente portant sur le statut de l’expérimental, Calmettes et
Saint-Georges (2000) relèvent que des enseignants peuvent avoir une certaine
« connaissance » sur la modélisation, le rôle des faits expérimentaux, l’articulation
nécessaire entre les données empiriques et le registre théorique ; tout en mettant
en œuvre en classe des séances dans lesquels ces différents aspects de nature
épistémologique ne se retrouvent pas. Les « justifications » (au sens pragmatique que
nous utilisons) données peuvent être relatives à la perception de diverses contraintes
(matérielles, temporelles) et à la nécessité de valoriser des savoirs formels.
Au-delà de ces différences, il convient de relever deux points d’appui identiques
dans les approches citées. Il s’agit d’une part de la structuration possible, selon
trois références, des connaissances et des justifications des enseignants (déjà relevé
ci-dessus) ; et d’autre part de la capacité de l’enseignant à adopter une posture
réflexive et à communiquer sur son action. En ce sens, Shulman (2007) indique :
« Le professeur n’est pas seulement maître des procédures, mais aussi du contenu
et de la rationalisation, et est capable d’expliquer pourquoi quelque chose est
fait. Le professeur est capable d’une réflexion menant à la connaissance de soi, la
conscience métacognitive qui distingue le dessinateur de l’architecte, le comptable
du commissaire aux comptes. Un professionnel est capable non seulement de
pratiquer et de comprendre son art, mais de communiquer les raisons de ses actions
et décisions professionnelles aux autres. »
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3. Méthodologie
3.1. Des enseignants « experts »
Les pratiques en démarche d’investigation de trois enseignants (désignés par
la suite par P1, P2, P3) ont été étudiées. L’ensemble de leurs caractéristiques
professionnelles permet de les qualifier d’« experts ».
Cette qualification dépend, dans les recherches en sciences de l’éducation et en
didactique, des cadres théoriques utilisés. C’est ainsi qu’un enseignant sera expert
s’il est capable de construire des situations adidactiques (théorie des situations),
s’il est capable d’agir et de construire des connaissances dans l’action (ergonomie
cognitive, théorie du cours d’action), s’il est capable d’analyser et de résoudre des
problèmes non habituels, de nouveaux cas difficiles (didactique professionnelle),
s’il est capable d’expliciter et de mettre en œuvre de nombreux schèmes dans les
activités (théorie de l’action), etc.
Nous n’avons pas cherché à lier la définition de l’enseignant « expert » à un
cadre théorique particulier. C’est pourquoi nous avons utilisé une grande partie
des critères 5 a priori que donne Tochon (1993, p. 133) pour caractériser l’expertise
enseignante, critères qui reposent sur la reconnaissance du professionnalisme de
ces enseignants par diverses institutions (établissement, inspection pédagogique,
institut de formation).
5 Les critères que propose Tochon sont : la réussite des élèves, l’expérience (l’ancienneté), la formation
scientifique dans le domaine enseigné, la formation pédagogique, les activités de formation d’enseignants,
les choix sur recommandation.
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Les enseignants, dont nous avons étudié les pratiques, sont un professeur
agrégé (P3) et deux professeurs certifiés (P1 et P2). Ils sont expérimentés (Ils
ont respectivement 12, 25 et 30 ans d’enseignement). Ils partagent leur temps
professionnel entre des activités d’enseignants dans des collèges de villes moyennes
et des activités en IUFM (formateurs « associés ») où ils assurent la formation initiale
des professeurs stagiaires de physique et chimie. Ils possèdent dans cette fonction
au moins sept années d’exercice.
Dans leur académie ils participent tous, sous la responsabilité des inspecteurs
pédagogiques régionaux, à des actions de formation continue et de recherche-
action, au sein de groupes qui travaillent sur la mise en œuvre de la démarche
d’investigation et sur d’autres dispositifs (les liaisons collège-lycée, l’évaluation des
élèves, le socle commun et les disciplines scientifiques). Deux enseignants (P1 et P3)
participent à la production de fiches de travail et de documents d’accompagnement
mis à disposition sur les sites Internet de deux académies différentes.
Les enseignants pratiquent régulièrement la mise en œuvre des séances avec
démarche d’investigation. Avant même l’institutionnalisation de ces pratiques
(MEN, 2005), ils utilisaient des dispositifs didactiques apparentés : TP-Top, situation-
problème par exemple (Larcher et Peterfalvi, 2006).
3.2. La construction du corpus de données
Nous intéressant aux pratiques ordinaires, nous n’avons formulé aucune exigence
particulière sur l’organisation et le déroulement des séances, et le dispositif de
recueil de données a été construit de manière à perturber a minima les séances.
Cependant, afin d’obtenir quelques points de comparaison entre pratiques et
situations au niveau des objectifs de ces séances et de leur déroulement, nous avons
demandé aux enseignants de nous inviter à observer des séances en électricité,
lorsqu’ils mettaient en œuvre une démarche d’investigation. Dans le cadre de cet
article, nous avons analysé deux séances pour P1 et P3 et six séances pour P2.
Les séances 6 ont porté sur l’étude de circuits en série avec deux lampes identiques
puis deux lampes différentes, en classe de cinquième (P2), sur la conduction
électrique de l’eau (P1), sur les circuits avec trois lampes (P2 et P3) en classe de
troisième (cf. annexe II).
Les séances ont duré 1 heure (P3) et 1 h 30 min (P1 et P2). Elles ont été doublées
(2 séances pour chaque thème, pour chaque enseignant) car elles se sont déroulées
avec deux classes différentes.
Le corpus a été constitué à partir de différents types de données : les
enregistrements des séances, des traces écrites, des entretiens. Ces données sont
mises en correspondance (principe de triangulation) afin, selon l’objectif de l’analyse,
de pouvoir suivre, en les mettant en perspective, les étapes de la démarche, les
6 Les séances ont été enregistrées durant l’année scolaire 2007/2008. Les séances « 3 lampes » analysées
par la suite sont les premières de la séquence « électricité » en classe de troisième.
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Nous donnons, à titre illustratif, des extraits de séances qui ont une valeur
générale, dans le sens où ils sont exemplaires de la technique décrite ; d’autres
exemples du même type existent dans les autres séances. Pour des raisons de
cohérence et pour permettre une lecture plus aisée, les exemples donnés sont
extraits des séances portant sur les circuits électriques à 3 lampes, en classe de
troisième (cf. annexes 2 et 3), en premier lieu de la séance d’une heure (P3).
4.1. La gestion globale de la séance
La question de départ, pour l’enseignant (P3) quand il construit les séances, est
formulée ainsi : « Que faire avec des circuits électriques comportant trois lampes,
au niveau de la classe de troisième, en début de programme d’électricité ? » (fiche
de préparation P3 et Ec3). L’objectif final est d’amener les élèves, par une démarche
utilisant la production d’hypothèses et des expérimentations, à construire les
schémas des circuits prototypiques à trois lampes (cf. annexe 3, circuits A, B, C, D),
et, à partir des savoirs préalablement acquis, à déterminer et à expliquer comment
les lampes des différents circuits éclairent.
Chronologiquement, et à partir des fiches de préparation des enseignants, nous
avons découpé la séance en étapes que l’on peut repérer par une alternance des
modalités de regroupements et de l’aide à l’étude : travail de classe et travaux de
groupes. Dans le travail de classe, l’objectif de l’enseignant est la constitution d’un
milieu didactique dans lequel les élèves vont ensuite, par groupes, construire de
nouvelles connaissances. On caractérise ainsi une suite de micro-structurations du
milieu (travail de classe) et de micro-dévolutions 7 (travaux de groupes). Le milieu
didactique évolue au fur et à mesure, devient moins ouvert (réduction des possibles)
et ses composantes cognitives deviennent plus explicites.
Nous distinguons cinq étapes.
1) La construction de la situation d’entrée (par l’enseignant) : L’étude est présentée
aux élèves (cf. annexe 2). L’enseignant indique qu’il s’agit tout d’abord de construire
des schémas de circuits électriques avec trois lampes, puis de formuler par écrit
des hypothèses sur les « éclairements » 8 des lampes dans chacun des circuits et de
justifier ces hypothèses. Il faut alors réaliser les circuits électriques correspondants
de manière à comparer les résultats des expériences et les hypothèses formulées,
et enfin proposer une conclusion.
Nous considérons ici que le milieu a été réduit, d’une part parce que la question
posée aux élèves n’implique pas de comparer les éclairements des lampes d’un
7 Le terme « micro » fait référence a l’appellation utilisée par Tiberghien et al. (2007). il s’agit ici d’une échelle
de durée de l’ordre de quelques minutes a une dizaine de minutes. « dévolution » et « institutionnalisation »
se référent a la théorie des situations (Brousseau, 1986). Le terme « dévolution » indique que les élèves,
placés en interaction avec un milieu didactique, doivent répondre a une question de manière autonome.
Ils doivent prendre en charges intellectuellement la réponse à la question. Le terme « institutionnalisation »
indique le moment ou des « connaissances » sont validées et prennent le statut de « savoirs ».
8 Le terme « éclairement » est effectivement celui utilisé par l’enseignant.
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circuit à un autre, d’autre part parce que la consigne donne des éléments de
méthode pour répondre au problème posé (structuration du milieu 1).
2) Les élèves, par groupe ou individuellement, inscrivent ensuite par écrit le
résultat de leurs réflexions sur un support spécifique (dévolution 1).
3) Il y a ensuite une confrontation entre certaines des propositions des élèves,
choisies par l’enseignant. Des élèves représentent alors au tableau des schémas de
circuits. Cette confrontation donne surtout lieu à des interactions langagières entre
élèves et enseignant, peu entre élèves. La structuration conduit à une réduction du
milieu par une diminution du nombre de schémas de circuits à étudier (cf. annexe 2 ;
passage à 8 circuits). Dans la même phase, les hypothèses sur les éclairements
sont analysées au regard de préacquis ou de conceptions qui passent de l’implicite
à l’explicite. Cet appel à la mémoire didactique exprime et structure les éléments
pertinents constitutifs de la composante cognitive du milieu didactique, de
manière à ce que les hypothèses formulées soient en nombre limité et argumentées
(structuration du milieu 2).
4) Les élèves travaillent alors, par groupes, avec le matériel électrique et
notent, au regard des hypothèses formulées, leurs observations et les explications
correspondantes (dévolution 2).
5) À la fin du travail de montage des circuits et d’observation des éclairements
des lampes, les savoirs (savoirs scientifiques et savoir-faire) sur les circuits et sur
la démarche sont institutionnalisés ; ce qui conclut la séance : Qu’a-t-on appris
sur les circuits ? Quels sont les 4 circuits électriques avec 3 lampes (schémas
prototypes) ? Comment les lampes éclairent-elles dans chaque circuit ? et pourquoi ?
Quelle démarche a-t-on suivi (comment a-t-on procédé pour construire ces
savoirs ?) Ces savoirs sont inscrits sur le cahier de cours (structuration du milieu 3,
institutionnalisation).
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Présenter en un exposé bref une opération que les élèves doivent réaliser et
demander une reformulation (écrite ou orale) visant à s’assurer que les élèves ont
compris ce qu’ils devaient faire, relativement à la consigne présentée.
P3 : Vous avez une fiche de travail. Vous lisez et vous surlignez les mots qui vous
semblent importants par rapport à ce que vous aurez à faire. […]
P3 : Alors, quels sont les points importants de votre travail […] Essayez de tout
préparer sur votre feuille, comme d’habitude : mon schéma, mes hypothèses, parce
que […]
P3 : Comment allumer trois lampes en même temps ? Comment associer les
lampes ? Comment vont-elles éclairer
Éliminer, par un jeu de rapides échanges, divers « parasitages » (incidents, Ec3)
qui pourraient intervenir dans le déroulement de la phase de dévolution. Par
exemple dans l’étape de dévolution 1, il faut que les élèves travaillent par écrit,
sans matériel électrique :
E1 : Il faut le matériel
E2 : Oui, pour schématiser, il faut du matériel
E3 : Il y a plein de schémas ! Il va falloir 10 pages !
E4 : Oui, il y en a des milliers !
E5 : Non, il n’y en a pas beaucoup
E6 : On peut tester après chaque schéma ?
P3 : Vous commencez par les schémas, tous les schémas possibles, il n’y en a pas
beaucoup. Faites bien des schémas, pas des dessins. Écrivez les hypothèses.
S’appuyer sur des écrits d’élèves choisis sciemment (El3) de manière à ce que la
réponse correcte soit fournie, et ainsi limiter les divergences liées à l’ouverture du
milieu didactique, ou pour réduire en partie le milieu didactique en focalisant le
travail des élèves sur les éléments pertinents à utiliser par la suite…
P3 [montrant au tableau les schémas des circuits sélectionnés] : Voilà les circuits
que nous avons déterminés et sur lesquels vous allez travailler. Si vous en avez d’autres,
vous les éliminez ; s’il vous en manque, vous les ajoutez.
…ou demander à des élèves particuliers (les « bons » élèves [Ec3]) de répondre
dans les cas litigieux (la limitation du nombre de circuits dans la structuration 2
– élimination des schémas A’, C’, C’’ et D’) car s’engager dans des échanges avec tous
les élèves risquerait d’entraîner des divergences importantes (El2).
E1 : M…, je comprends pas pourquoi vous avez effacé ces deux circuits.
P3 : Qu’en pensez-vous [E7] ?
E7 : C’est parce que c’est plusieurs fois le même circuit.
Faire évoluer les interactions vers l’utilisation d’expressions et de concepts
scientifiques. Ainsi, lors de l’étape de structuration 2, les élèves sont conduits à
reformuler leurs hypothèses en utilisant les termes de « lampe », d’« intensité du
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mobiliser les élèves, il ne faut pas pour autant oublier le problème scientifique »
(Ef1) 9.
P1, lors de la séance de formation qu’il anime, indique qu’en cas d’imprévus,
et c’est « assez souvent, […] les élèves disent ou font des choses auxquelles on n’a pas
pensé […] Il est important de réagir rapidement et quand on ne sait pas ou qu’on ne
peut pas répondre, il faut remettre les élèves au travail sur la question initiale posée,
quitte à ne pas répondre à leurs propres questions ».
4.5. Les différences entre les séances
« Parce que les élèves de la deuxième classe sont plus faibles » (Ec3) que ceux de
la première, P3 structure davantage le milieu (ferme le milieu) dans la première
étape en décrivant au tableau sur un exemple (circuit B) le travail que les élèves
auront à réaliser.
P3 : Je vous ai donné des indications sur ce qui sera votre premier schéma et ce qu’il
faut en faire. Vous ferez la même chose pour d’autres circuits […] Vous faites tous les
montages possibles […] Pour l’instant, c’est sur la feuille, avec le crayon à papier et
le stylo. Après, vous ferez les montages.
P2 dispose de davantage de temps pour la séance. On retrouve dans le
déroulement les étapes précédemment citées, avec l’alternance entre micro-
structurations et micro-dévolutions, mais avec, par « nécessité » (Ec2), quelques
incursions de structuration du milieu pendant la dévolution (cf. infra). La
structuration dans l’étape 1 est différente, dans le sens où elle détermine un
milieu plus ouvert pour la dévolution (étape 2), donc des divergences potentielles
et effectives en termes d’activités plus importantes pour les élèves et, in fine, une
durée pour la structuration suivante (étape 3) plus grande. Dans l’étape 1, P2
n’utilise pas, en effet, de fiche de travail pour les élèves. La question de départ
est formulée oralement et écrite au tableau sous la forme : « On veut réaliser des
circuits électriques différents qui comportent tous trois lampes identiques. Comment
vont éclairer les lampes dans chaque circuit ? » Et il ajoute oralement : « Commencez
par réfléchir et après vous ferez les circuits. »
C’est alors, pendant l’étape de dévolution suivante, parce que les élèves
progressent de manière hétérogène et surtout pour gérer le temps, que P2
intervient en classe entière pour apporter des éléments supplémentaires de
structuration et de réduction du milieu, en s’appuyant sur les travaux des groupes
d’élèves les plus avancées (Ec2). Cette structuration porte sur la composante
cognitive du milieu : sur des savoirs scientifiques antérieurs (rappel des symboles
des composants, schémas au tableau) ou sur les étapes de la démarche.
L’enseignant demande aux élèves de réfléchir, proposer des hypothèses et les
9 Cette observation recoupe les remarques de Goigoux (2006) qui note : « le souci pédagogique de rendre
les taches d’enseignement attractives grâce a un habillage ludique peut provoquer de sérieuses incohérences
didactiques, les élèves les plus en difficulté se méprenant sur la nature des apprentissages en jeu. »
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justifier, demander le matériel et fabriquer les circuits pour vérifier ces hypothèses.
Tandis que les élèves élaborent les circuits électriques, P2 contrôle davantage
les demandes de matériels faites par les groupes d’élèves en exigeant une liste
de composants, ce qui lui permet également de vérifier que les hypothèses et
leurs justifications sont clairement précisées, jusqu’à ce que, sous « la pression
du temps » (Ec2), le matériel soit donné par l’enseignant aux groupes les moins
avancés sans qu’ils en aient fait la requête.
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10 La chronogenèse se rapporte à l’évolution dans le temps des connaissances et des savoirs produits
dans la classe (par exemple, Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005).
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La gestion de l’étude relève aussi d’un suivi « au plus près » du travail des élèves,
surtout pendant les étapes de dévolution d’une part pour « repérer l’avancée de leurs
propositions » et pouvoir ainsi s’appuyer dans l’étape suivante sur « les productions
qui semblent pouvoir apporter [à eux, enseignants] des éléments » structurants et
d’autre part pour « engager les élèves rapidement dans l’activité » (El1) ou pour
« mobiliser au mieux les élèves les plus en difficulté » (El3). Cette gestion conduit donc
à « ne pas laisser les élèves faire ce qu’ils veulent, sous prétexte qu’ils sont en autonomie
[…] Il faut recadrer régulièrement » (formation P1).
On retrouve ici des modalités de gestion déjà repérées dans des pratiques
enseignantes lors d’activités en mathématiques. Comiti et al. (1995) relèvent
le « dédoublement de la situation », celle vécue par l’élève et celle vécue par
l’enseignant et la classe. Ils notent qu’alors « le type de gestion adopté par le
professeur (s’appuyer sur le « bon » élève qui fonctionne dans le « bon » milieu) est
le seul possible même s’il ne règle pas le problème d’apprentissage des élèves. »
5.3. Les rapports aux cadres institutionnels
Nous entendons par « rapports aux cadres institutionnels » d’abord les rapports
qu’entretient tout enseignant avec les contraintes de l’activité de classe (durée,
matériels, niveau des élèves en physique), avec les équipes au sein des établissements
(type d’établissement, travaux de préparation en équipe d’enseignants, organisation
matérielle du laboratoire), avec les curriculums formels et leurs déclinaisons
(instructions officielles, programmes, manuels scolaires, fiches sur les sites Internet) ;
mais aussi s’agissant d’enseignants experts, les rapports qu’ils entretiennent avec
les institutions académiques et de formation (Inspection pédagogique régionale,
groupes de recherche-action, IUFM).
C’est ainsi que, même si les étapes repérées dans le déroulement de la séance
peuvent ne pas correspondre exactement aux « moments de la démarche »
(annexe 1), on retrouve de nombreux éléments en commun. On peut citer
notamment : la question/le problème posé, la formulation d’hypothèses, l’idée
d’expérience pour tester les hypothèses, l’exploitation de résultats, la recherche de
justification, la structuration de connaissances. Pour les enseignants experts, « de
toute façon, les textes ne décrivent qu’un cadre général […] et il est tout à fait possible
de se l’approprier, d’adapter, même s’il y a des passages obligés » (Ef1).
Nous avons également repéré les adaptations de la démarche en fonction des
durées des séances (P2 : 1 h 30 min et P3 : 1 h ; § 4.5) et du niveau des élèves d’une
classe. Ces adaptations ne jouent pas ou peu sur l’organisation globale (les étapes
de structuration du milieu et de dévolution) ; il s’agit toujours de « garder le fil des
savoirs en jeu » (El3). Elles jouent surtout sur les durées relatives des étapes et sur
les niveaux de définition des milieux, lors des phases de structuration et donc de
leur degré d’ouverture, et par suite de la potentialité d’activités laissées aux élèves.
Nous ajoutons qu’il s’agit aussi pour les enseignants experts de s’engager,
en suivant les expérimentations discutées et proposées au sein des groupes de
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ne fait effectivement pas partie des programmes 11 (un élément du cadre
institutionnel). Pour les enseignants, « c’est une raison supplémentaire pour ne pas
s’engager sur ce terrain [du traitement des conceptions erronées des élèves] » (El2).
Même s’il « convient de ne pas faire de la question des conceptions, une obsession »
(El3), cette position peut être modulée en fonction des concepts scientifiques en
jeu. Si le traitement des conceptions erronées en électricité semble relever d’une
certaine difficulté pour les enseignants experts, il existe d’autres thématiques
pour lesquelles il est possible de travailler en classe. C’est le cas par exemple sur
les notions de « horizontale et verticale », ou à propos de l’étude du « rapport entre
masse et volume d’un corps » (Formation P1).
Synthèse et conclusions
Synthèse
Nous avons analysé de manière praxéologique, ascendante, et pragmatique, les
pratiques d’enseignants que nous avons qualifiés d’experts et les situations qu’ils
mettaient en place dans le cadre de la démarche d’investigation.
L’analyse a porté d’abord sur la détermination de tâches et de techniques qu’ils
utilisaient pour définir et faire évoluer le milieu didactique pour les élèves et pour
la classe et ensuite sur les justifications qu’ils donnaient de ces tâches et techniques.
Les enseignants construisent des séances organisées selon une suite de phases
de micro-structuration du milieu didactique et de micro-dévolutions.
Pendant les phases de structuration et de réduction du milieu didactique,
ils utilisent diverses techniques : présenter brièvement un dispositif, rappeler
des savoirs formels antérieurs, s’appuyer sur des interventions écrites ou orales
de « bons » élèves, éliminer rapidement par anticipation des phénomènes
potentiellement perturbateurs, conduire les élèves à utiliser un vocabulaire
scientifique, s’appuyer uniquement sur les résultats des expériences qui permettent
d’argumenter dans le sens du savoir en jeu.
Durant les phases de dévolution, les enseignants utilisent d’autres techniques :
maintenir, par un suivi au plus près, les élèves dans l’activité de recherche, repérer
les traces écrites sur lesquelles ils pourront par la suite s’appuyer, veiller à ce que
les élèves utilisent les éléments du milieu structuré précédemment, fournir une
réponse en cas de débat sans solution scientifiquement vérifiable.
Nous avons pu observer que les trois enseignants anticipent des incidents
et repèrent des événements que nous avons caractérisés comme des imprévus
didactiques. Face à ceux-ci, leur réflexion et la décision qui suit sont rapides ; ils ne
s’en laissent pas compter même si l’événement peut perturber leur approche de la
physique scolaire (ce qu’ils ne montrent pas dans le déroulement de l’activité). La
11 L’énergie n’est pas au programme de la classe considérée au moment ou les observations sont réalisées.
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étapes présente localement son propre contrat didactique dont la définition est liée
aux fonctions des activités des élèves et de l’enseignant : structuration du milieu
didactique, réduction de ce milieu, dévolution, institutionnalisation.
Les résultats de cette recherche basée sur des études de cas seraient à confronter à
ceux d’autres travaux qui suivraient la même méthodologie car celle-ci nous semble
avoir une portée heuristique, en jouant sur des variables telles que, par exemple,
d’autres domaines d’enseignement de la physique, d’autres caractéristiques
d’enseignants (enseignants débutants), ou d’autres contextes institutionnels.
Ces travaux peuvent conduire à caractériser, voire à classer des praxéologies
enseignantes déterminées de manière ascendante et des « rapports pragmatiques
à l’enseigner », mais aussi à poursuivre les réflexions sur les concepts utilisés,
notamment celui de milieu didactique.
Ils peuvent également amener à comparer des représentations et des rapports
aux savoirs d’enseignants exprimés sur le mode déclaratif, relativement aux
approches épistémologiques des savoirs en classe ou à la gestion de l’étude
(Shulman, 1987 ; Abell, 2007), avec les justifications telles qu’elles sont déclinées
par l’analyse pragmatique que nous avons proposée et qui apparaissent dans
« le rapport pragmatique à l’enseigner ». De telles comparaisons ont déjà été
développées sur le versant épistémologique (Pélissier et al., 2007). Les auteurs
relèvent à ce propos qu’il est difficile de percevoir le type et le sens des relations
pouvant exister entre les conceptions des enseignants, en épistémologie, et les
pratiques qu’ils mettent en œuvre dans la classe.
Pour autant, nous ne nions pas des influences possibles, et c’est le sens même des
dimensions du « rapport pragmatique à l’enseigner », entre les modalités de mise en
œuvre de la démarche d’investigation en classe et diverses variables : organisation
du savoir par les enseignants, modalités d’aide à l’étude, sensibilité aux imprévus
et par exemple les contraintes institutionnelles, notamment liées à l’évaluation
des élèves. Nous suivons donc, au moins en partie car la question de l’impact
des pratiques et des conceptions des enseignants sont, dans notre perspective, à
discuter, et nous élargissons donc les propos de Lotter et al. (2007, p. 1318) lorsqu’ils
écrivent : « The teachers’conceptions of science, their students, effective teaching
practices, and the purpose of education influenced the type and amount of inquiry
instruction performed in the high school classrooms 12 ».
Bernard CALMETTES
bernard.calmettes@toulouse.iufm.fr
12 Les conceptions scientifiques des enseignants, leurs étudiants, les pratiques pédagogiques employées
et le but même de l’éducation ont un impact sur la quantité et le type de démarche pédagogique
d’investigation pratiquée dans les classes de lycée. [traduit par l’auteur].
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The interviews enable the teachers to justify the unfolding of the session and the elements used
as a basis for the management of the construction of knowledge (pragmatic analysis).
The elements of justification are conjugated according to three references: the relationship to
epistemological knowledge; aid for study; institutional constraints. The result of the didactic modelling
of the totality of these justifications constitutes a “pragmatic connection to the teaching act”.
KEYWORDS • Practice, praxiology, pragmatic analyses, investigations, expert.
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