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Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique à


l’enseigner

Article · March 2010


DOI: 10.4000/rdst.354

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1 author:

Bernard Calmettes
Université Toulouse II - Jean Jaurès
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RDST
2  (2011)
Sciences des scientifiques et sciences scolaires

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Bernard Calmettes
Analyse pragmatique de pratiques
ordinaires, rapport pragmatique à
l’enseigner
Étude de cas : des enseignants experts, en
démarche d’investigation en physique
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Référence électronique
Bernard Calmettes, « Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique à l’enseigner », RDST [En
ligne], 2 | 2011, mis en ligne le 15 mars 2013, consulté le 05 décembre 2013. URL : http://rdst.revues.org/354

Éditeur : Éditions de l’École normale supérieure de Lyon


http://rdst.revues.org
http://www.revues.org

Document accessible en ligne sur : http://rdst.revues.org/354


Ce document est le fac-similé de l'édition papier.
© Éditions de l’École normale supérieure de Lyon
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires,
rapport pragmatique à l’enseigner
Étude de cas : des enseignants experts,  
en démarche d’investigation en physique
Bernard CALMETTES
Université Paul-Sabatier-Toulouse 3, DIDIST-CREFI-T (EA799)
université Le Mirail-Toulouse 2 (IUFM), GRIDIFE (ERT 64)

RÉSUMÉ • L’étude présentée dans cet article porte sur des analyses de situations et
de pratiques ordinaires mises en œuvre par des enseignants « experts », en démarche
d’investigation en collège.
La recherche s’appuie sur des observations de séances de classe menées par trois
enseignants, et sur des entretiens. Les pratiques sont caractérisées à partir d’une analyse
prenant en compte le milieu didactique et son évolution, et les tâches et techniques
utilisées par l’enseignant pour gérer l’étude (analyse praxéologique ascendante).
Les entretiens permettent aux enseignants de justifier le déroulement de la séance et
les éléments sur lesquels ils s’appuient pour gérer la construction des savoirs (analyse
pragmatique).
Les éléments de justification sont déclinés selon trois références : le rapport aux savoirs
épistémologiques, l’aide à l’étude, et les contraintes institutionnelles. Le résultat de
la modélisation didactique de l’ensemble de ces justifications constitue un « rapport
pragmatique à l’enseigner ».
MOTS-CLÉS • Pratique, praxéologie, analyse pragmatique, investigation, expert.

L’étude présentée dans cet article a pour objectif de caractériser des pratiques
d’enseignement ordinaires mises en œuvre par des enseignants experts lors de
séances avec démarche d’investigation en physique, en collège (MEN, 2005, 2007,
annexe 1 de cet article). Il s’agit notamment de s’intéresser aux tâches et aux
techniques mises en œuvre par les enseignants pour gérer les étapes de cette
démarche, et à la manière dont ceux-ci justifient leur pratique.
Ce travail de recherche en didactique de la physique s’inscrit dans la poursuite
des travaux sur les connaissances des enseignants en général (Shulman, 1986 ;

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Grossman, 1995) et les pratiques ordinaires d’enseignement de la physique (par


exemple, Venturini et al., 2007) qui s’appuient sur les analyses praxéologiques
développées par Chevallard (1997, 1999), Bosch et Chevallard (1999).
Il participe aux réflexions sur la démarche d’investigation et sa mise en œuvre
(par exemple, Lotter et al., 2007 ; Grandy et Duschl, 2007 ; Morge, 2007 ; Mathé
et al., 2008 ; Calmettes, 2009a).
Il vise à élaborer des outils méthodologiques didactiques pouvant présenter
une heuristique pour l’analyse de pratiques ordinaires. Nous travaillons à partir de
concepts issus de la théorie des situations didactiques en mathématique (Brousseau,
1986), réinvestis pour leur caractère générique dans le cadre de la didactique
comparée (Schubauer-Leoni et Leutennegger, 2005). Il est nécessaire de discuter ces
concepts dans la mesure où ils sont utilisés pour analyser des démarches qui ont
des spécificités liées en partie à la discipline enseignée (Orange, 2007 ; Calmettes,
2009b).
Il propose une méthodologie d’analyse dont certains principes sont issus de
la philosophie et de la sociologie pragmatiques (Cometti, 2010 ; Nachi, 2009) et
conduit à la définition d’un concept pour la didactique : le « rapport pragmatique
à l’enseigner ».
Après avoir rappelé la définition des « pratiques ordinaires » sur laquelle s’appuie
cet exposé, seront présentés et discutés les concepts des différentes approches
théoriques utilisés pour l’étude des pratiques des enseignants experts. Suivront les
éléments méthodologiques et les résultats de la recherche.

1. La construction progressive du cadre théorique


1.1. Des pratiques ordinaires
Selon Laborde et al. (2002, p. 95), « les recherches en didactique se situent entre
deux perspectives : la construction de dispositifs de formation et d’apprentissage ou
l’analyse de dispositifs d’enseignement ou de formation ordinaires, non construits à
des fins de recherche ou d’expérimentation […]. L’objectif est [dans ce dernier cas]
de forger les outils pertinents d’analyse de ce système [didactique] qui permettent
de caractériser [son] fonctionnement habituel […]. Il n’y a pas en arrière-plan de
volonté de transformation des dispositifs. »
La présente recherche se situe dans cette seconde perspective. Les situations
de classe et les pratiques des enseignants qui sont étudiées ne relèvent d’aucune
ingénierie ou recherche-action ; le chercheur n’intervient pas dans les préparations
et les déroulements des séances qui sont donc considérées comme « ordinaires ».
Il est important aussi de noter qu’il ne s’agit pas pour le chercheur de dire ce que
doivent être, selon lui, des démarches d’investigation (pas de prescription, pas de
recherche de normalisation, pas de proposition), ni même in fine de comparer et de
caractériser en termes d’écarts les démarches d’investigation mises en œuvre dans

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les classes avec, soit des instructions officielles, soit des descriptifs proposés par des
didacticiens (Morge, 2007), soit des représentations d’enseignants sur la nature de
la science (Tang et al., 2009 ; Windschiltl, 2004 ; Gess-Newsome, 2002). Il ne s’agit
pas non plus de déduire, à partir des résultats de l’analyse, des prescriptions ou des
propositions pour la formation des enseignants.
Ce sont d’abord les situations et les pratiques, puis les analyses des acteurs de
terrain (le point de vue des enseignants) sur les situations, qu’ils considèrent comme
des démarches d’investigation et qu’ils mettent en œuvre, qui sont étudiées. Pour
autant, l’objectif de la recherche n’est pas simplement de décrire les situations ou
de reformuler le point de vue des enseignants, mais bien in fine de modéliser, grâce
à des concepts didactiques, les justifications que ceux-ci produisent.
Nous présentons maintenant, de manière progressive, le cadre théorique utilisé
dans l’étude des pratiques des enseignants. Nous commençons par décliner les
concepts de la théorie des situations didactiques ; ils permettent d’aborder la
dynamique des activités dans la classe. Nous nous intéressons ensuite aux concepts
issus de la théorie anthropologique du didactique et de l’approche praxéologique
des pratiques enseignantes, qui permettent de caractériser les techniques utilisées
par l’enseignant pour gérer l’aide à l’étude et les situations. Enfin nous exposerons
les principes que nous retenons de l’analyse pragmatique.
1.2. La démarche d’investigation dans la littérature didactique
La démarche d’investigation est inscrite dans la longue lignée des démarches
pouvant être mises en œuvre dans l’enseignement scientifique, depuis la mise en
place institutionnelle des « activités d’éveil » dans l’enseignement primaire en
France en 1969.
La démarche d’investigation (en France), dont l’équivalent dans les pays
nordiques, slaves et anglo-saxons correspond aux appellations Inquiry Based
Learning (IBL) ou Inquiry Based Science Education (IBSE) ou Inquiry Based Science
Teaching (IBST), devrait, selon des rapports récents, permettre de faire face à la
désaffection des jeunes pour les études scientifiques et technologiques (Eurydice,
2006 ; Rocard et al., 2007).
Les recherches actuelles concernant la démarche d’investigation, en didactique
des sciences, s’intéressent à ses références épistémologiques (notamment sur la
construction des savoirs scientifiques et sur la nature de la science), aux processus
d’enseignement et d’apprentissage en jeu, et à certains aspects praxéologiques.
Beaucoup ont une visée propositionnelle, innovante, éventuellement dans le cadre
d’une coopération entre enseignants et chercheurs, et elles s’inscrivent dans des
ancrages divers : théorie des situations, action conjointe, didactique professionnelle,
action située, etc.
D’un point de vue épistémologique, la démarche d’investigation est étudiée
au regard de l’éventuelle transposition de démarches de scientifiques et des
modalités de construction des « savoirs savants » scientifiques et relativement aux

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représentations des enseignants sur la science (Abd-El-Khalick et al., 2000 ; Lotter


et al., 2007). Boilevin (2007, p. 20) note quelques points communs entre une
démarche d’investigation et une démarche scientifique, permettant de discuter
cette possible transposition. Il relève par exemple que : « comme dans le cas de
la pratique de recherche scientifique, [la démarche d’investigation propose] un
problème à résoudre, un travail en équipe et des communications [et demande
l’] abandon de la vision inductiviste pour une approche hypothético-déductive. »
En ce qui concerne le travail d’élaboration des connaissances par les élèves, Mathé
et al. (2008) précisent que la démarche d’investigation « suppose un déplacement
d’un point de vue transmission-application vers un cadre socioconstructiviste qui
donne davantage de responsabilités aux élèves en termes de développement de
démarches et d’élaboration de savoirs. » L’enseignant devrait être médiateur (Weil-
Barais & Dumas-Carré, 1998) car, tout en guidant les élèves, il leur laisse la possibilité
« de choisir, d’argumenter et de discuter la validité de leurs propositions. » Pour
Morge (2007, p. 31-40), l’enseignant en effet délègue aux élèves des activités qui,
dans un cadre habituel (Richoux et Beaufils, 2005), leur échappent. Ils construisent
ainsi des apprentissages par la réalisation de tâches qui dépassent le simple
réinvestissement, ne relèvent pas seulement du domaine empirique, et permettent
l’entrée dans le registre conceptuel.
Les aspects socioconstructivistes, à la fois d’un point de vue scientifique (les
concepts de la science sont construits par des chercheurs travaillant au sein d’une
communauté) et du point de vue des modalités d’enseignement-apprentissage,
paraissent donc des références possibles pour la démarche d’investigation. Il s’agit,
pour les élèves, de construire des savoirs scientifiques à partir d’une question posée,
par la mise en œuvre d’une problématisation puis d’une démarche hypothético-
déductive en interaction avec les pairs et avec l’enseignant.
Mais dans les séances ordinaires, et c’est sur celles-ci que porte l’étude que
nous présentons, le déroulement de la démarche ne semble pas pouvoir être
décrit toujours selon ce point de vue socioconstructiviste. Certaines difficultés sont
perçues par les enseignants et par les chercheurs (Calmettes, 2009a) d’un point
de vue épistémologique, avec d’abord la difficile mise en œuvre des phases de
problématisation et de formulation d’hypothèses parfois artificielles et trop guidées ;
avec ensuite la place accordée à l’observation posée avec une vision inductiviste
naïve (Chalmers, 1987, p. 20) comme la première étape de la démarche ; avec enfin
une interaction aux contours flous entre les représentations des enseignants sur la
science et leurs pratiques (Pélissier et al., 2007).
Ces difficultés sont perçues également dans les préparations des enseignants et
dans le déroulement de l’activité, en fonction de l’espace accordé à l’expression des
difficultés des élèves, notamment liées à l’émergence dans l’activité de conceptions
erronées. In vivo, la gestion de ces difficultés semble pouvoir même amener les
enseignants à revenir à des stratégies relevant de la « coutume didactique » des travaux
pratiques et à un guidage fort des activités par l’enseignant (Richoux et Beaufils, 2005).

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1.3. Le rôle central du milieu didactique


Étudier des séances avec démarche d’investigation nécessite de préciser un
cadre conceptuel permettant d’investir des situations didactiques dynamiques.
L’évolution, dans les contextes successifs de la séance, des connaissances en jeu
vers les savoirs finalement institutionnalisés est un élément important à considérer.
Parce qu’il a été éprouvé à l’occasion de recherches précédentes (Orange, 2007 ;
Amade-Escot et Venturini, 2009 ; Calmettes, 2009b) et qu’il est apparu comme
porteur d’une valeur heuristique certaine, le concept central choisi pour analyser
ces situations est celui de « milieu didactique ». Ce concept a été introduit par
Brousseau (1986) dans le cadre de la théorie des situations en mathématique. Il le
définit alors, dans un cadre constructiviste, « [comme] le système antagoniste du
système enseigné ».
Milieu didactique – Mésogénèse
Ce concept a été depuis largement investi, notamment par la prise en compte
du rôle de l’enseignant. C’est le cas, par exemple, dans le cadre de la didactique
comparée (Schubauer-Leoni & Leutennegger, 2005) ou dans la théorie de l’action
conjointe (Sensevy, 2007). Nous considérons que certaines des idées ; qui y sont
développées ; possèdent des caractéristiques permettant d’analyser des pratiques
et des situations dynamiques du type de celles avec démarche d’investigation.
Nous retenons ici la composition du milieu et son évolution en situation
(mésogénèse) et son rôle dans la circulation ascendante des connaissances vers
les savoirs à institutionnaliser. Nous pouvons ainsi aborder les questions liées à la
constitution et à la justification de la situation de départ et aussi à la justification
des différentes étapes de la démarche d’investigation.
Schubauer-Leoni et Leutenegger (2005) précisent que, dans la construction
et l’évolution des situations, il convient prioritairement de décrire « l’évolution
des objets qui viennent à exister dans la co-construction des agents » et donc de
saisir la construction et la modification dans le temps des milieux didactiques, en
perspective avec la répartition des tâches et des responsabilités entre les élèves et
l’enseignant et avec la définition et l’avancée dans le temps des connaissances et
des savoirs.
Le milieu didactique de l’enseignant
Notons que le milieu didactique peut être défini aussi pour l’enseignant (Bloch,
1999). Il comporte deux composantes :
– la situation qu’il a conçue et mise en œuvre initialement dans la classe avec le
milieu de l’élève ;
– les réactions des élèves dans le déroulement de l’action.
Nous précisons, pour compléter la proposition de Bloch, que le milieu didactique
de l’enseignant comporte son propre projet d’enseignement, dont le déroulement
de la situation et les objectifs d’apprentissage qu’il a fixés dans ses préparations.

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On peut considérer, toujours avec Bloch, que l’enseignant contrôle jusqu’à


un certain point la première de ces composantes mais qu’il ne contrôle qu’en
partie la seconde puisqu’une fraction de celle-ci n’est pas connue a priori. Elle
constitue l’incertain de la situation et est porteuse potentiellement d’événements
perturbateurs, de difficultés pour les enseignants, que l’on peut considérer, en
suivant Bénaïoun-Ramirez (2009, p. 68-72) comme des incidents critiques ou des
imprévus. Les « incidents critiques » sont des incidents qui peuvent être repérés par
un observateur extérieur (le chercheur). Ils peuvent conduire à des « imprévus » si
leurs conséquences conduisent à des perturbations perçues par l’enseignant.
Ces incidents et imprévus sont « didactiques » s’ils sont liés à un élément de
savoir scientifique en jeu, un matériel expérimental (une panne), une difficulté
d’apprentissage ou d’enseignement (prévisions d’activités non réalistes sous les
contraintes de la séance).
Le caractère ouvert du milieu didactique dans les séances avec démarche
d’investigation (possibilité d’imprévus plus importante que dans une situation
avec fiche de travaux pratiques) et le fait d’analyser des pratiques d’enseignants
experts qui possèdent, selon Tochon (1993, p. 99-100) une capacité à repérer les
imprévus et à les gérer, peuvent donc conduire à mettre en évidence des imprévus
didactiques dans le déroulement des séances et des techniques de gestion par les
enseignants (Bloch, 1999).
Cet étayage conceptuel générique doit être mis en perspective avec les modalités
d’élaboration des savoirs dans la discipline scolaire en jeu, ici la physique. C’est dans
l’idée de milieu didactique elle-même que des éclaircissements peuvent être apportés.
Quelques spécificités du milieu didactique en physique
En physique, les situations de classe s’appuient souvent sur des expérimentations.
C’est le cas des situations qui sont étudiées dans cet article. Le milieu didactique
initial comporte donc pour les élèves – au-delà de leurs connaissances préalablement
acquises, des consignes et des questions posées – des objets matériels, des dispositifs,
des protocoles et des observations.
Pour les élèves, les connaissances scientifiques, même lorsqu’elles peuvent
paraître seulement descriptives, ne sont pas immédiates et on ne peut pas considérer
que le travail des élèves va conduire de facto aux savoirs en jeu à partir d’une
simple attention à l’objet (ce qui correspondrait à une vision inductiviste naïve).
La « réalité » à laquelle les élèves sont confrontés, même si elle est « didactisée »,
est souvent plus complète et plus compliquée que ce que le savoir scientifique en
dira à un niveau scolaire donné. Il s’agit bien, dans le cadre scolaire, d’inscrire le
discours à propos d’un objet, d’un fait ou d’un phénomène, dans un rapport au
savoir scientifique, un rapport au savoir de la physique.
En classe de physique, la réalité est objet de simplification, de conceptualisation,
de modélisation par le travail de description ou d’explication que produit in fine

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Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 241

l’élève. L’orientation de la perception et la réduction de la réalité perçue à un


référent empirique utile pour le scientifique (le « réel dont on va parler ») correspond
à la construction d’un milieu didactique scientifique, pour l’élève et/ou pour
la classe, nécessaire pour la construction des savoirs visés. Des activités liées à
cette construction sont étudiées par Orange (2007) dans une discipline scolaire
voisine de la physique, les sciences de la vie et de la Terre. L’auteur discute ainsi
de la problématisation dans le cadre d’un débat scientifique et de la constitution
des différents milieux au cours du temps, en insistant notamment sur le milieu
didactique interne à la classe en tant que lieu collectif de réflexions.
La transposition ascendante, que l’on peut lier à l’émergence des savoirs
programmés par adaptation au milieu (dans le sens donné dans la théorie des
situations), par simple action des élèves ou même par les interactions enseignant-
élèves, lorsque ces dernières existent, semble ne pas aller de soi. Nous rejoignons ici
les propos de Amade-Escot et de Venturini (2009) lorsqu’ils discutent des difficultés
que peuvent rencontrer des enseignants pour « générer avec leurs élèves les
conditions d’un milieu didactique approprié relativement au savoir visé », posant
ensuite la « question théorique centrale » des « conditions de possibilité et de
fonctionnement des milieux didactiques. » Cette question semble au cœur de la
problématique liée à la construction des séances avec démarche d’investigation.
Elle fait donc l’objet dans l’étude présente ici d’une attention particulière.
L’hypothèse est alors que la conduite du milieu didactique par l’enseignant, c’est-
à-dire la manière dont il gère l’évolution de ce milieu, parfois en interaction avec
les élèves, au cours des différentes étapes de la démarche d’investigation, constitue
un ensemble de tâches particulières relevant de techniques que les enseignants
mettent en œuvre. Le terme « technique » est utilisé selon le sens développé par
Chevallard dans l’analyse praxéologique des pratiques (1999).
1.4. Une analyse praxéologique ascendante des pratiques enseignantes ordinaires
Il ne s’agit pas ici de présenter de manière formelle et exhaustive la théorie
anthropologique du didactique et les principes des analyses praxéologiques
proposées par Chevallard mais plutôt de relever ses principes fondateurs et les
concepts qui sont utilisés dans nos travaux.
Pour Chevallard (1997, 1999), l’étude de l’homme aux prises avec l’enseignement
ou l’apprentissage de savoirs relève d’une « théorie anthropologie du didactique »
(TAD) et les activités de l’enseignant peuvent être déclinées et analysées, comme
toute activité humaine, en différents « types de tâches T, accomplis au moyen d’une
certaine manière de faire, ou technique t ».
L’ensemble (tâche et technique) constitue un « savoir-faire » que l’on peut mettre
en relation avec un « environnement technologique ou logico-technologique […]
formé d’une technologie θ […] discours censé justifier et rendre intelligible la
technique […] et à son tour justifié et éclairé par une théorie Θ ». Le système
des tâches professorales fait « apparaître deux grandes composantes solidaires.

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242 Bernard CALMETTES

La première est formée des tâches de conception et d’organisation de dispositifs


d’étude […], la seconde, des tâches d’aide à l’étude […] dont l’accomplissement
est appelé par la mise en œuvre, dans le cadre des dispositifs mentionnés, de
techniques didactiques particulières. »
La conception des séances et la gestion des activités et des situations, dont la
conduite du milieu didactique en démarche d’investigation, relèvent de tâches
dont l’accomplissement est appelé par des techniques particulières que l’étude
doit décrire et expliciter. La justification de ces tâches et de ces techniques peut
permettre de décrire l’environnement logico-technologique auquel on peut les
référer. L’analyse des pratiques enseignantes que nous proposons comprend, en
suivant Chevallard, deux pôles, celui du savoir-faire – à partir des tâches et des
techniques –, et celui du discours, du « logos », de la justification. C’est en ce sens
qu’elle est « praxéologique » (Chevallard, 1999).
L’analyse didactique que nous proposons, en cohérence avec la définition des
pratiques ordinaires que nous avons précédemment donnée (§ 1.1), est ascendante
(Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005) dans un double sens :
D’une part, elle prend pour point de départ les observations des séances
avant d’être développée vers la caractérisation et la description des tâches et des
techniques, puis vers les justifications de ces techniques. D’autre part, elle s’appuie
d’abord sur les situations de classe et les discours des enseignants sur ces situations
(entretiens) avant la formalisation réalisée par le chercheur (le chercheur interprète
et modélise dans un second temps).
1.5. Une analyse pragmatique des pratiques enseignantes ordinaires
Fondements de l’analyse pragmatique
L’analyse décrite repose sur des principes dérivés de ceux énoncés dans le
cadre théorique de la philosophie pragmatique contemporaine (Cometti, 2010) et
de la sociologie pragmatique (Corcuff, 2007 ; Nachi, 2009) prenant appui sur les
travaux fondateurs de Boltanski et Thévenot (1991). Nous reprenons maintenant
ces principes, en les reformulant dans un cadre didactique.
Il s’agit pour construire l’analyse didactique, d’« établir des passages entre le
point de vue extérieur de l’observateur (du chercheur) adossé aux concepts et
méthodes » de la didactique « et les façons dont les acteurs perçoivent et vivent
ce qu’ils font dans le cours de leurs actions » (Corcuff, 2007, p. 10). L’analyse est
donc une « construction des constructions édifiées par les acteurs sur la scène
[didactique] ». Ce n’est « pas ce qu’est le monde “objectivement” qui est visé, mais le
monde à travers les sens ordinaires de ce qu’est le monde mobilisé par les personnes
dans des cours d’action » (Corcuff, 2007, p. 103) 1.

1 Les termes en italique et ceux entre guillemets sont notés ainsi dans le texte de l’auteur.

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Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 243

En philosophie pragmatique, le chercheur n’a pas pour objectif d’expliquer ou


de comprendre, il s’implique dans une posture spécifique en s’engageant à prendre
en compte les discours des acteurs (Cometti, 2010, p. 328-329), en prenant « au
sérieux [leurs] actions et [leurs] justifications » (Nachi, 2009, p. 211), notamment
leur système de référence. « [Il s’agit de produire] un dispositif de justification
conceptuelle de l’ordre établi » (Cometti, 2010, p. 282). L’analyse pragmatique pose
que « ceux qui possèdent les compétences pour vivre et agir en commun, […] ce sont
les acteurs » enseignants. Ceux-ci sont capables d’adopter « une posture réflexive. »
La tâche du chercheur est « de prendre appui sur ces moments réflexifs pour […]
chercher à élever le niveau de la réflexivité » didactique (Boltanski, 2009, p. 12).
C’est ainsi que le chercheur, « en s’appuyant sur les justifications déployées par les
acteurs dans des situations données », modélise les actions des enseignants et leurs
justifications (Nachi, 2009, p. 46).
Cet ancrage théorique « se distingue […] des paradigmes [de recherche]
qui reposent sur l’hypothèse d’un guidage interne au moyen d’un programme
préalablement inscrit dans les personnes [et il vise] au contraire à préserver une
incertitude concernant les agissements des personnes » (Nachi, 2009, p. 46). Ainsi, les
justifications ne restent à terme ni liées à des acteurs particuliers, ni à des situations.
L’analyse pragmatique pose le principe d’un pluralisme des termes des
justifications que le chercheur doit tenter de modéliser sous la forme « d’idéal
types » (Nachi, 2009,p. 47), et le principe d’existence d’une multitude d’actants,
au-delà des personnes (Nachi, 2009, p. 54).
Notre cadre d’analyse est qualifié de « pragmatique » au regard de l’ancrage
théorique dont nous venons de poser les principes.
Il convient de noter que le cadre théorique que nous proposons n’a pas une
« visée pragmatique » (définition de sens commun) dans la mesure où il n’est
pas construit pour « contribuer à la transposition, la « didactisation », la mise
en perspective pour la formation de l’ensemble éclectique de divers travaux en
sciences humaines afin de résoudre un certain nombre de problèmes qu’en tant que
formateurs et chercheurs nous avions identifiés » (Bucheton et Soulé, 2009). Nous
ne cherchons pas en effet à résoudre des problèmes ou à fournir des propositions
pour la formation (cf. § 1.1).
Le cadre d’analyse que nous décrivons et que nous utilisons ne correspond
pas non plus à la « pragmatique didactique » développée pour l’analyse des
interactions langagières entre l’enseignant et les élèves. Celle-ci prend pour objectif
de « reconnaître, au sein d’une approche actionnelle des discours, tout ce que la
logique qui gouverne la production des énoncés et leur interprétation doit aux usages
que ces énoncés actualisent » (Sensevy et Quilio, 2002). Même si les interactions
langagières participent de l’action enseignante, notre regard sur les pratiques englobe
un ensemble plus large de tâches et techniques, et surtout notre analyse prend appui
sur les justifications des enseignants à propos de ces tâches et techniques.

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244 Bernard CALMETTES

Formalisation des justifications : le « rapport pragmatique à l’enseigner »


Nous avons choisi de structurer les justifications exprimées par les enseignants
selon trois axes, trois références, décrites ainsi :
– les références épistémologiques qui permettent aux enseignants de justifier ce
qui, pour eux, semble concourir à la construction des savoirs en jeu dans les
situations : contenus, méthode et démarche scientifiques ;
– les références aux modalités d’enseignement, d’apprentissage, d’« aide à
l’étude » (Chevallard, 1997) qui permettent de comprendre la manière dont les
enseignants guident les élèves vers les savoirs en jeu ;
– les références et les rapports aux cadres institutionnels qui semblent en partie
déterminer ou du moins contraindre l’organisation générale de la séance ou
certaines de ses étapes.
Cette présentation selon ces trois axes est relativement commune en didactique
(Calmettes, 2008). Elle est notamment utilisée, dans une version proche, dans les
recherches américaines sur les connaissances des enseignants (cf. A model of science
teacher knowledge 2 présenté par Abell, 2007 3, à la suite de Shulman, 1986, 1987
et de Magnusson et al., 1999) ; elle s’avère, à terme, heuristique au regard de nos
corpus et de nos propres analyses et elle peut conduire à des comparaisons entre
les « connaissances » et les « justifications » des enseignants.
Mais cette présentation des justifications, selon trois références, ne signifie pas
que chaque élément de justification peut-être rattaché à un axe en particulier. Par
exemple, dans les justifications exprimées à propos de l’évolution et de la gestion dans
le temps du milieu didactique, c’est une imbrication de ces références qui permet de
rendre compte des savoirs et d’en comprendre les jeux et les enjeux, et finalement la
dynamique des situations et les justifications des pratiques des enseignants.
Nous désignons ce système des justifications (du logos), modélisé selon les trois
références utilisées, par l’appellation « rapport pragmatique à l’enseigner ».
Un « rapport pragmatique à l’enseigner » correspond à un idéal-type didactique
(donc un modèle) et n’a pas pour vocation de caractériser une pratique d’un
enseignant en particulier ou une situation précise. Il est envisageable, et les études
complémentaires que nous sommes en train de conduire vont dans ce sens, qu’un

2 Abell (2007) décline le “pedagogical content knowledge for science teaching” [le savoir didactique
pour l’enseignement des sciences] selon trois dimensions : “science subject matter knowledge”
[la connaissance des contenus a enseigner, de leurs structures et de la compréhension de ces structures], puis
“pedagogical knowledge” [la connaissance relative à l’« enseignabilité » de la discipline] qui comprend le
« curricular knowledge » [programmes et instructions utilisation des illustrations, des analogies,
des conceptions ; modalités de gestion de classe pour organiser la compréhension des contenus] ; et enfin
“knowledge of context” [connaissance des élèves, de l’école, des contextes régionaux].
3 Il s’agit bien ici des références épistémologiques auxquelles peuvent se rapporter des éléments de pratiques
et de discours d’enseignants quand ils justifient leurs pratiques, les taches à accomplir et les techniques
utilisées. Il ne s’agit pas d’analyser les discours des enseignants à propos des références épistémologiques
des démarches d’investigation ou des démarches scientifiques et donc de discuter les connaissances
de ces enseignants en épistémologie.

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 245

« rapport pragmatique à l’enseigner » puisse être mis en perspective avec les


pratiques (tâches, techniques, et surtout logos) de différents enseignants ou que
les pratiques et les discours d’un même enseignant, dans différents contextes par
exemple, puissent être référés à divers « rapports pragmatiques à l’enseigner »
(cf. § 1.5 : principes de pluralité et de multiplicité).
Les descriptions des « rapports pragmatiques à l’enseigner » s’inscrivent en
complément d’autres travaux portant sur les pratiques enseignantes.
La modélisation que nous proposons s’inscrit ainsi par exemple en prolongement des
analyses relevant du courant des recherches initiées aux États-Unis par Naveh-Benjamin
et al. (1986), qui étudient d’un point de vue structural les connaissances de l’enseignement
avec des visées de comparaison entre des connaissances de type « expert » et d’autres
de type « novice ». Mais les méthodologies utilisées par ces chercheurs sont différentes
des nôtres : analyse praxéologique ascendante et pragmatique vs analyse à partir
d’entretiens de type ethnographique, avec une construction de cartes conceptuelles et
une analyse statistique des liens entre les concepts.
De par la méthodologie et les fondements théoriques qui permettent de le
déterminer (analyse ascendante praxéologique et pragmatique), et même si certains
recoupements s’avèrent probables, le « rapport pragmatique à l’enseigner » ne
semble pas pouvoir être rattaché directement à des problématiques relevant d’un
autre courant de recherche aux États-Unis, à la suite de Shulman (1987 4).
Shulman vise une caractérisation des connaissances des enseignants afin de
pouvoir orienter la formation, l’action et l’évaluation des enseignants puis les
politiques d’enseignement. Par exemple, les résultats des analyses des « entretiens
avec des professeurs réputés », dont les pratiques semblent efficaces pour la gestion
des apprentissages des élèves, sont utilisés comme des « cas » à investir pour les
enseignants novices : « L’identification de la connaissance par cas, la littérature de
cas, et la formation des professeurs centrée sur des cas, figurent en tant qu’éléments
centraux dans nos discussions et enquêtes, et produisent un programme de
recherche riche, et vital » (Schulman, 2007).
Les différences entre cette approche et la nôtre relèvent surtout de l’aspect
prescriptif, ou au moins normatif, donné par Shulman à ses avancées, alors que
l’analyse pragmatique modélise des pratiques ordinaires qui ont pour objectif
de caractériser les justifications des enseignants, c’est-à-dire de les inscrire dans
un « rapport pragmatique à l’enseigner ». Il faut donc noter qu’à aucun moment
nous ne nous engageons, d’un point de vue de la recherche, à considérer des
pratiques comme « efficaces » pour les apprentissages ou à inscrire les éléments

4 Shulman introduit ses réflexions sous la forme d’une série de questions : « what are the sources
of the knowledge base for teaching ? In what terms can these sources be conceptualized ? What are
the processes of pedagogical reasoning and action ? what are the implications for teaching policy
and educational reform ? » Son objectif est de proposer « a redirection in how teaching is to be understood
and teachers are to be trained and evaluated. » Shulman situe ses travaux dans une perspective
de construction d’une base de connaissances pour l’enseignement, perspective a priori différente de la nôtre.

N° 2-2010 | RDST
246 Bernard CALMETTES

de ces pratiques comme reproductibles et utilisables comme des « cas » dans une
perspective de formation, ou comme élément de référence pour une évaluation
des pratiques enseignantes.
Le point qui nous paraît le plus sensible, si l’on veut distinguer les propositions
rapidement décrites ci-dessus (courants de recherche américaine, Abell et Shulman)
du cadre théorique que nous proposons, réside dans la différence que nous
faisons entre les « connaissances des enseignants » et les « justifications » que des
enseignants donnent des tâches qu’ils ont à accomplir et des techniques qu’ils
utilisent pour les réaliser. Il semble que chez Shulman, il y ait assimilation des
raisons de l’action et des connaissances des enseignants.
Dans une étude récente portant sur le statut de l’expérimental, Calmettes et
Saint-Georges (2000) relèvent que des enseignants peuvent avoir une certaine
« connaissance » sur la modélisation, le rôle des faits expérimentaux, l’articulation
nécessaire entre les données empiriques et le registre théorique ; tout en mettant
en œuvre en classe des séances dans lesquels ces différents aspects de nature
épistémologique ne se retrouvent pas. Les « justifications » (au sens pragmatique que
nous utilisons) données peuvent être relatives à la perception de diverses contraintes
(matérielles, temporelles) et à la nécessité de valoriser des savoirs formels.
Au-delà de ces différences, il convient de relever deux points d’appui identiques
dans les approches citées. Il s’agit d’une part de la structuration possible, selon
trois références, des connaissances et des justifications des enseignants (déjà relevé
ci-dessus) ; et d’autre part de la capacité de l’enseignant à adopter une posture
réflexive et à communiquer sur son action. En ce sens, Shulman (2007) indique :
« Le professeur n’est pas seulement maître des procédures, mais aussi du contenu
et de la rationalisation, et est capable d’expliquer pourquoi quelque chose est
fait. Le professeur est capable d’une réflexion menant à la connaissance de soi, la
conscience métacognitive qui distingue le dessinateur de l’architecte, le comptable
du commissaire aux comptes. Un professionnel est capable non seulement de
pratiquer et de comprendre son art, mais de communiquer les raisons de ses actions
et décisions professionnelles aux autres. »

2. Questions de recherche et cadre théorique


Les questions de recherche peuvent donc être formulées ainsi :
– Comment des enseignants experts mettent-ils en œuvre dans leurs classes des
séances avec démarche d’investigation ? Et comment justifient-ils leurs pratiques ?
Les réponses à ces questions sont données grâce à une analyse des situations
et des pratiques ordinaires (§ 1.1) enseignantes, lors de séances avec démarche
d’investigation (§ 1.2) ; analyse basée sur un cadre théorique que nous avons
construit à partir :
– des concepts de « milieu didactique » et de « mésogénèse », concepts déjà utilisés
dans d’autres recherches portant sur le même type d’activités. Ces concepts

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 247

permettent a priori de suivre la construction des savoirs pendant la séance, de


caractériser les étapes de cette séance, de repérer d’éventuelles difficultés chez
les élèves et la gestion de celles-ci par les enseignants (§ 1.3) ;
– des concepts de « tâches » et de « techniques » qui permettent d’explorer
les manières d’agir de l’enseignant (notamment dans la gestion du milieu
didactique) ; et le concept de « technologie » (de logos) pour atteindre, par une
analyse ascendante, la justification de ces techniques (§ 1.4) ;
– des principes et des concepts, à partir desquels nous avons défini ce que peut
être une analyse pragmatique (§ 1.5), et que l’on peut résumer ainsi : ceux
qui possèdent les compétences pour vivre et agir dans la classe, ce sont les
enseignants ; le chercheur intervient dans un deuxième temps, en décrivant, en
interprétant, en expliquant, en modélisant les observations et les justifications
produites par les enseignants.
Avant de présenter les résultats de notre étude, il convient maintenant
d’expliciter, au regard de ces questions de recherche et de ce cadre théorique, la
méthodologie de recherche mise en œuvre, en nous intéressant tout d’abord à la
caractérisation d’un « expert ».

3. Méthodologie
3.1. Des enseignants « experts »
Les pratiques en démarche d’investigation de trois enseignants (désignés par
la suite par P1, P2, P3) ont été étudiées. L’ensemble de leurs caractéristiques
professionnelles permet de les qualifier d’« experts ».
Cette qualification dépend, dans les recherches en sciences de l’éducation et en
didactique, des cadres théoriques utilisés. C’est ainsi qu’un enseignant sera expert
s’il est capable de construire des situations adidactiques (théorie des situations),
s’il est capable d’agir et de construire des connaissances dans l’action (ergonomie
cognitive, théorie du cours d’action), s’il est capable d’analyser et de résoudre des
problèmes non habituels, de nouveaux cas difficiles (didactique professionnelle),
s’il est capable d’expliciter et de mettre en œuvre de nombreux schèmes dans les
activités (théorie de l’action), etc.
Nous n’avons pas cherché à lier la définition de l’enseignant « expert » à un
cadre théorique particulier. C’est pourquoi nous avons utilisé une grande partie
des critères 5 a priori que donne Tochon (1993, p. 133) pour caractériser l’expertise
enseignante, critères qui reposent sur la reconnaissance du professionnalisme de
ces enseignants par diverses institutions (établissement, inspection pédagogique,
institut de formation).

5 Les critères que propose Tochon sont : la réussite des élèves, l’expérience (l’ancienneté), la formation
scientifique dans le domaine enseigné, la formation pédagogique, les activités de formation d’enseignants,
les choix sur recommandation.

N° 2-2010 | RDST
248 Bernard CALMETTES

Les enseignants, dont nous avons étudié les pratiques, sont un professeur
agrégé (P3) et deux professeurs certifiés (P1 et P2). Ils sont expérimentés (Ils
ont respectivement 12, 25 et 30 ans d’enseignement). Ils partagent leur temps
professionnel entre des activités d’enseignants dans des collèges de villes moyennes
et des activités en IUFM (formateurs « associés ») où ils assurent la formation initiale
des professeurs stagiaires de physique et chimie. Ils possèdent dans cette fonction
au moins sept années d’exercice.
Dans leur académie ils participent tous, sous la responsabilité des inspecteurs
pédagogiques régionaux, à des actions de formation continue et de recherche-
action, au sein de groupes qui travaillent sur la mise en œuvre de la démarche
d’investigation et sur d’autres dispositifs (les liaisons collège-lycée, l’évaluation des
élèves, le socle commun et les disciplines scientifiques). Deux enseignants (P1 et P3)
participent à la production de fiches de travail et de documents d’accompagnement
mis à disposition sur les sites Internet de deux académies différentes.
Les enseignants pratiquent régulièrement la mise en œuvre des séances avec
démarche d’investigation. Avant même l’institutionnalisation de ces pratiques
(MEN, 2005), ils utilisaient des dispositifs didactiques apparentés : TP-Top, situation-
problème par exemple (Larcher et Peterfalvi, 2006).
3.2. La construction du corpus de données
Nous intéressant aux pratiques ordinaires, nous n’avons formulé aucune exigence
particulière sur l’organisation et le déroulement des séances, et le dispositif de
recueil de données a été construit de manière à perturber a minima les séances.
Cependant, afin d’obtenir quelques points de comparaison entre pratiques et
situations au niveau des objectifs de ces séances et de leur déroulement, nous avons
demandé aux enseignants de nous inviter à observer des séances en électricité,
lorsqu’ils mettaient en œuvre une démarche d’investigation. Dans le cadre de cet
article, nous avons analysé deux séances pour P1 et P3 et six séances pour P2.
Les séances 6 ont porté sur l’étude de circuits en série avec deux lampes identiques
puis deux lampes différentes, en classe de cinquième (P2), sur la conduction
électrique de l’eau (P1), sur les circuits avec trois lampes (P2 et P3) en classe de
troisième (cf. annexe II).
Les séances ont duré 1 heure (P3) et 1 h 30 min (P1 et P2). Elles ont été doublées
(2 séances pour chaque thème, pour chaque enseignant) car elles se sont déroulées
avec deux classes différentes.
Le corpus a été constitué à partir de différents types de données : les
enregistrements des séances, des traces écrites, des entretiens. Ces données sont
mises en correspondance (principe de triangulation) afin, selon l’objectif de l’analyse,
de pouvoir suivre, en les mettant en perspective, les étapes de la démarche, les

6 Les séances ont été enregistrées durant l’année scolaire 2007/2008. Les séances « 3 lampes » analysées
par la suite sont les premières de la séquence « électricité » en classe de troisième.

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 249

évolutions du milieu didactique, l’avancée des connaissances et des savoirs, les


tâches et les techniques de l’enseignant. Il n’est donc pas possible d’associer une
fonction précise et unique à chacune de ces données.
L’analyse de la gestion des phases d’échanges entre élèves et enseignant peut
ainsi, par exemple, prendre appui sur les interactions orales (enregistrement de
la séance), sur les schémas des circuits discutés, sur les résultats des expériences
effectivement mises en œuvre par les élèves (traces écrites) et sur les justifications
que donne l’enseignant de la gestion de ces échanges (entretiens).
Concernant le déroulement des séances de classe, une prise de notes en continu
a été réalisée par le chercheur et les séances ont fait l’objet d’enregistrement audio
(P2, P3) ou vidéo (P1).
En ce qui concerne les traces écrites, nous avons recueilli les fiches de préparation
des enseignants indiquant les objectifs des séances, les déroulements prévus et les
matériels à utiliser (expériences), les fiches avec les consignes de travail données
aux élèves et les productions des élèves comportant leurs hypothèses et leurs
justifications, les schémas des circuits électriques, les résultats de leurs observations
et la conclusion qu’ils ont rédigée.
Des entretiens ont été réalisés avec les enseignants afin de recueillir leurs
observations, leurs commentaires, leurs explications sur les séances. Nous avons
procédé à des entretiens courts (Ec1, Ec2, Ec3) avant et juste après les séances visant
à préciser certaines informations sur les déroulements a priori et à faire formuler
une première analyse des séances. Nous avons aussi réalisé des entretiens plus longs
(El1, El2, El3), de 1 heure environ, deux à trois semaines après les séances visant à
approfondir les premières observations et les premières analyses.
Ces entretiens ont été suivis par l’observation de deux séances de formation à
la démarche d’investigation, réalisées dans deux IUFM différents par deux des trois
enseignants, dans le cadre de la formation continue (par P1, 6 heures) ou dans celui
de la formation initiale (par P3, 6 heures) des professeurs de physique-chimie. À la
suite de ces séances, des entretiens (Ef1, Ef2), d’une durée de 1 heure environ, ont
été réalisés (P1, P3). Les discours, tenus par les enseignants pendant les séances
et au cours des entretiens, participent à la définition et à la mise en évidence
des justifications données (pôle « logos », Chevallard) relativement aux tâches et
techniques mises en œuvre.

4. Les tâches et les techniques des enseignants


En ce qui concerne l’organisation globale des séances, la gestion des situations et
les pratiques des enseignants, on retrouve de nombreux aspects semblables d’une
séance à une autre pour un même enseignant ou pour des enseignants différents.
Les résultats présentés dans un premier temps portent sur les régularités observées
(§ 4.1 à 4.4). Les spécificités des situations et des pratiques, en particulier liées aux
modifications des durées des séances, sont relatées dans un second temps (§ 4.5).

N° 2-2010 | RDST
250 Bernard CALMETTES

Nous donnons, à titre illustratif, des extraits de séances qui ont une valeur
générale, dans le sens où ils sont exemplaires de la technique décrite ; d’autres
exemples du même type existent dans les autres séances. Pour des raisons de
cohérence et pour permettre une lecture plus aisée, les exemples donnés sont
extraits des séances portant sur les circuits électriques à 3 lampes, en classe de
troisième (cf. annexes 2 et 3), en premier lieu de la séance d’une heure (P3).
4.1. La gestion globale de la séance
La question de départ, pour l’enseignant (P3) quand il construit les séances, est
formulée ainsi : « Que faire avec des circuits électriques comportant trois lampes,
au niveau de la classe de troisième, en début de programme d’électricité ? » (fiche
de préparation P3 et Ec3). L’objectif final est d’amener les élèves, par une démarche
utilisant la production d’hypothèses et des expérimentations, à construire les
schémas des circuits prototypiques à trois lampes (cf. annexe 3, circuits A, B, C, D),
et, à partir des savoirs préalablement acquis, à déterminer et à expliquer comment
les lampes des différents circuits éclairent.
Chronologiquement, et à partir des fiches de préparation des enseignants, nous
avons découpé la séance en étapes que l’on peut repérer par une alternance des
modalités de regroupements et de l’aide à l’étude : travail de classe et travaux de
groupes. Dans le travail de classe, l’objectif de l’enseignant est la constitution d’un
milieu didactique dans lequel les élèves vont ensuite, par groupes, construire de
nouvelles connaissances. On caractérise ainsi une suite de micro-structurations du
milieu (travail de classe) et de micro-dévolutions 7 (travaux de groupes). Le milieu
didactique évolue au fur et à mesure, devient moins ouvert (réduction des possibles)
et ses composantes cognitives deviennent plus explicites.
Nous distinguons cinq étapes.
1) La construction de la situation d’entrée (par l’enseignant) : L’étude est présentée
aux élèves (cf. annexe 2). L’enseignant indique qu’il s’agit tout d’abord de construire
des schémas de circuits électriques avec trois lampes, puis de formuler par écrit
des hypothèses sur les « éclairements » 8 des lampes dans chacun des circuits et de
justifier ces hypothèses. Il faut alors réaliser les circuits électriques correspondants
de manière à comparer les résultats des expériences et les hypothèses formulées,
et enfin proposer une conclusion.
Nous considérons ici que le milieu a été réduit, d’une part parce que la question
posée aux élèves n’implique pas de comparer les éclairements des lampes d’un

7 Le terme « micro » fait référence a l’appellation utilisée par Tiberghien et al. (2007). il s’agit ici d’une échelle
de durée de l’ordre de quelques minutes a une dizaine de minutes. « dévolution » et « institutionnalisation »
se référent a la théorie des situations (Brousseau, 1986). Le terme « dévolution » indique que les élèves,
placés en interaction avec un milieu didactique, doivent répondre a une question de manière autonome.
Ils doivent prendre en charges intellectuellement la réponse à la question. Le terme « institutionnalisation »
indique le moment ou des « connaissances » sont validées et prennent le statut de « savoirs ».
8 Le terme « éclairement » est effectivement celui utilisé par l’enseignant.

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 251

circuit à un autre, d’autre part parce que la consigne donne des éléments de
méthode pour répondre au problème posé (structuration du milieu 1).
2) Les élèves, par groupe ou individuellement, inscrivent ensuite par écrit le
résultat de leurs réflexions sur un support spécifique (dévolution 1).
3) Il y a ensuite une confrontation entre certaines des propositions des élèves,
choisies par l’enseignant. Des élèves représentent alors au tableau des schémas de
circuits. Cette confrontation donne surtout lieu à des interactions langagières entre
élèves et enseignant, peu entre élèves. La structuration conduit à une réduction du
milieu par une diminution du nombre de schémas de circuits à étudier (cf. annexe 2 ;
passage à 8 circuits). Dans la même phase, les hypothèses sur les éclairements
sont analysées au regard de préacquis ou de conceptions qui passent de l’implicite
à l’explicite. Cet appel à la mémoire didactique exprime et structure les éléments
pertinents constitutifs de la composante cognitive du milieu didactique, de
manière à ce que les hypothèses formulées soient en nombre limité et argumentées
(structuration du milieu 2).
4) Les élèves travaillent alors, par groupes, avec le matériel électrique et
notent, au regard des hypothèses formulées, leurs observations et les explications
correspondantes (dévolution 2).
5) À la fin du travail de montage des circuits et d’observation des éclairements
des lampes, les savoirs (savoirs scientifiques et savoir-faire) sur les circuits et sur
la démarche sont institutionnalisés ; ce qui conclut la séance : Qu’a-t-on appris
sur les circuits ? Quels sont les 4 circuits électriques avec 3 lampes (schémas
prototypes) ? Comment les lampes éclairent-elles dans chaque circuit ? et pourquoi ?
Quelle démarche a-t-on suivi (comment a-t-on procédé pour construire ces
savoirs ?) Ces savoirs sont inscrits sur le cahier de cours (structuration du milieu 3,
institutionnalisation).

4.2. La gestion des étapes de la séance


Deux grands types de tâches peuvent être distingués, en association avec les deux
types d’étapes : structuration du milieu et dévolution.
Pendant les étapes de structuration du milieu, la tâche de l’enseignant est de
réduire et de formaliser certains éléments des composantes matérielles et cognitives
de ce milieu : passage de connaissances et de vocabulaires « communs » à un
vocabulaire et des connaissances scientifiques, formulation d’une consigne (parfois
sous forme de question) par laquelle les élèves vont pouvoir être impliqués pendant
l’étape de dévolution qui suit, réduction de l’activité à réaliser. Par exemple, il s’agit
ici de comparer les « éclairements » des lampes dans un circuit et non de comparer
les « éclairements » des lampes d’un circuit à l’autre, ou bien de réduire le nombre
de circuits électriques pris en compte.
Différentes techniques sont utilisées pendant ces structurations.

N° 2-2010 | RDST
252 Bernard CALMETTES

Présenter en un exposé bref une opération que les élèves doivent réaliser et
demander une reformulation (écrite ou orale) visant à s’assurer que les élèves ont
compris ce qu’ils devaient faire, relativement à la consigne présentée.
P3 : Vous avez une fiche de travail. Vous lisez et vous surlignez les mots qui vous
semblent importants par rapport à ce que vous aurez à faire. […]
P3 : Alors, quels sont les points importants de votre travail […] Essayez de tout
préparer sur votre feuille, comme d’habitude : mon schéma, mes hypothèses, parce
que […]
P3 : Comment allumer trois lampes en même temps ? Comment associer les
lampes ? Comment vont-elles éclairer 
Éliminer, par un jeu de rapides échanges, divers « parasitages » (incidents, Ec3)
qui pourraient intervenir dans le déroulement de la phase de dévolution. Par
exemple dans l’étape de dévolution 1, il faut que les élèves travaillent par écrit,
sans matériel électrique :
E1 : Il faut le matériel
E2 : Oui, pour schématiser, il faut du matériel
E3 : Il y a plein de schémas ! Il va falloir 10 pages !
E4 : Oui, il y en a des milliers !
E5 : Non, il n’y en a pas beaucoup
E6 : On peut tester après chaque schéma ?
P3 : Vous commencez par les schémas, tous les schémas possibles, il n’y en a pas
beaucoup. Faites bien des schémas, pas des dessins. Écrivez les hypothèses.
S’appuyer sur des écrits d’élèves choisis sciemment (El3) de manière à ce que la
réponse correcte soit fournie, et ainsi limiter les divergences liées à l’ouverture du
milieu didactique, ou pour réduire en partie le milieu didactique en focalisant le
travail des élèves sur les éléments pertinents à utiliser par la suite…
P3 [montrant au tableau les schémas des circuits sélectionnés] : Voilà les circuits
que nous avons déterminés et sur lesquels vous allez travailler. Si vous en avez d’autres,
vous les éliminez ; s’il vous en manque, vous les ajoutez.
…ou demander à des élèves particuliers (les « bons » élèves [Ec3]) de répondre
dans les cas litigieux (la limitation du nombre de circuits dans la structuration 2
– élimination des schémas A’, C’, C’’ et D’) car s’engager dans des échanges avec tous
les élèves risquerait d’entraîner des divergences importantes (El2).
E1 : M…, je comprends pas pourquoi vous avez effacé ces deux circuits.
P3 : Qu’en pensez-vous [E7] ?
E7 : C’est parce que c’est plusieurs fois le même circuit.
Faire évoluer les interactions vers l’utilisation d’expressions et de concepts
scientifiques. Ainsi, lors de l’étape de structuration 2, les élèves sont conduits à
reformuler leurs hypothèses en utilisant les termes de « lampe », d’« intensité du

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 253

courant électrique », de « branche », de types de circuit de référence, par exemple


« circuit série » :
P3 : On revient sur les hypothèses
E1 : Les ampoules brillent bien dans le schéma [D]
P3 : Qui peut reformuler ?
E2 : Elles éclairent normalement
P3 : Oui, mais encore ? […] Je vous rappelle que vous avez déjà étudié les circuits
et que vous n’avez pas fait que regarder des lampes
E3 : On a fait des mesures de tension et de courant
P3 : Alors maintenant vous justifiez avec les mots corrects. On reprend
E2 : Les trois lampes éclairent normalement car c’est un circuit avec dérivation et
la tension […]
P3 : La tension ? […]
E7 : Est la même aux bornes de toutes les lampes.
Cette technique est conservée, même si l’hypothèse exprimée par les élèves
correspond à une conception erronée (étape 3) :
P3 : Et ici ? [Schéma B]
E4 : L1 brille plus
P3 : Pourquoi ?
E4 : Parce qu’elle plus proche du générateur
E5 : Et l’intensité du courant diminue quand il traverse les lampes.
Pendant les étapes de dévolution, les tâches de l’enseignant sont d’abord de
maintenir les élèves dans l’étude, ce qu’il fait en circulant dans les rangs de la
classe, en passant de groupe en groupe, en montrant ostensiblement qu’il lit ce
qu’ils écrivent, ou en demandant des explications. Il veille également à ce qu’ils
utilisent les éléments de milieu qui ont été présentés précédemment Par exemple,
lors de la dévolution 1 :
E1 : Je fais des lampes en série
P3 : Comment elles brillent dans un montage en série ? Rappelez-vous ce que vous
avez appris et ce que l’on a dit.
E1 : Celle-là, beaucoup… [Il montre], celle-là, moins… [Il montre]
P3 : Utilisez leur numéro.
E2 : Mais pourquoi les numéroter puisque ce sont toutes les mêmes ?
E3 : C’est pour les repérer.
P3 : Je veux vos hypothèses sur les éclairements des lampes dans les montages. Vous
écrivez L1 va briller […] comment ? Et L2 ? Et L3 ? Et vous expliquez pourquoi elles
brillent comme vous le pensez.

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254 Bernard CALMETTES

… Ou pendant la phase de dévolution 2 :


P3 : Travaillez sur tous les montages […] N’oubliez pas d’écrire : j’observe que… Je
pensais que… et vous expliquez […] Écrivez si vos hypothèses étaient bonnes ou pas, et
pourquoi il faut aller un peu plus loin. Dites pourquoi une lampe éclaire plus ou moins.
4.3. Les conceptions erronées et autres difficultés des élèves
L’analyse des productions des élèves met en évidence des conceptions erronées sur
les fonctionnements des circuits et donc des « éclairements » des lampes (par exemple,
Johsua et Dupin, 1993, p. 171-178). Les conceptions que l’on peut repérer sont liées :
– à des raisonnements « séquentiels » amenant les élèves à dire que dans un circuit
série (B), L1 éclaire davantage que L2 qui éclaire davantage que L3 : « En série, la
première sera plus éclairée car elle prend l’énergie dont elle a besoin en en laissant
moins aux autres », « L3 est éloignée, elle brille presque pas » ;
– à des raisonnements « à courant constant » ou à des associations de ce
raisonnement et du précédent qui conduisent à dire que les lampes L1, quels
que soient les circuits (A, B, C, D), éclairent normalement : « L’électricité prend le
chemin le plus court et apporte toujours le même courant à cette lampe. »
Au niveau des justifications données à propos des éclairements des lampes, les
termes « électricité », « courant », « énergie » sont utilisés sans réelle distinction :
« En série, le générateur envoie une dose de courant que les lampes se partagent […] En
dérivation, le générateur envoie cette dose dans chaque fil » ; « Les lampes se partagent
l’électricité » ; « L3 brille peu car l’électricité est basse » ; « Les lampes brillent pareil
et bien car l’intensité est élevée et mieux répartie. »
Les enseignants (P2 et P3) n’abordent pas de front les conceptions erronées
pendant la séance (étape 5), alors qu’ils les ont repérées (Ec2, Ec3). Pour répondre
aux difficultés des élèves liées à ces conceptions, trois techniques sont utilisées.
D’une part, les enseignants peuvent utiliser les « bons » élèves (Ec3) pour introduire
les réponses correctes qui sont alors validées ; d’autre part, ils ramènent
systématiquement les élèves sur le « terrain » des savoirs préalablement acquis
(circuits série et dérivation, lois d’additivité des tensions et des intensités) qu’ils font
reformuler (Ec3) ; enfin, ils utilisent les résultats des observations expérimentales.
Autrement dit, ils font appel à la mémoire didactique, relativement aux lois de
l’électricité et à l’observation scientifique, pour formaliser des éléments de la
composante cognitive du milieu didactique :
P3 : Là [circuit B], vous dites que l’on a un circuit série. Rappelez-vous comment
éclairent les lampes dans un circuit série.
P3 : Là [circuit A], il y a deux branches qui partent. Que peut-on dire de l’intensité
du courant dans les deux branches puisque les lampes sont identiques ?
4.4. Les incidents et les imprévus didactiques
Certains incidents potentiels et prévus par les enseignants (El2, El3) apparaissent
dans le déroulement des séances. Il s’agit notamment, lors des mises en œuvre

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 255

d’expériences par les élèves, de courts-circuits, de lampes qui grillent ou de


mauvais positionnements du contacteur de sélection de tension du générateur.
Les enseignants rappellent, à haute voix, les consignes de gestion du matériel et
remettent les matériels en état.
Un imprévu didactique est mis en évidence dans la séance avec l’enseignant
P2. Lors de l’étape de dévolution 2, un groupe de trois élèves étudie le circuit C
(annexe 2) et échange à propos de l’éclairement) des lampes. Deux d’entre eux disent
observer que « L2 et L3 éclairent de la même façon », le dernier dit que « L2 brille
plus que L3 ». Ils font alors appel à l’enseignant. Celui-ci prend un moment pour
écouter, observer, douter puis finalement déclare que « les lampes L2 et L3 sont en
série, donc elles sont parcourues par le même courant. »
Cet événement a deux conséquences. La première est liée au déroulement de
la séance. La technique mise en œuvre par l’enseignant stoppe chez les élèves (du
moins dans le déroulement collectif) toute poursuite de discussion. Mais ce faisant,
seconde conséquence, elle le conduit à dire que ce n’est plus le fait scientifique (le
résultat d’une observation ou d’une mesure) qui est pris en compte pour conduire
ensuite à une explication, mais un élément de la théorie scientifique (une loi des
circuits série) qui commande, en quelque sorte, l’observation qui doit être réalisée.
Le moment de doute repéré (Ec2) correspond au passage de ce qui pourrait paraître
comme un simple incident lié à une conception erronée (la conception dite « à
épuisement de courant ») ou à la constitution d’un imprévu didactique lié à la
méthodologie utilisée dans l’expérimentation (construction d’un savoir à partir des
sens physiologiques plutôt qu’à partir d’un dispositif instrumental indépendant
des sens).
L’enseignant est tout à fait conscient de ce qui se joue dans cet épisode ; pour
lui, le fait d’utiliser « des sens [la vision humaine] pour qualifier un phénomène
physique pose un problème scientifique. » Selon lui, « en sciences, on utilise
habituellement pour caractériser des faits, des matériels de mesure indépendants
des sens » et « ce n’est pas le cas dans cette expérience réalisée par les élèves »
(Ec2). Après la séance, durant l’entretien court, il reprend d’ailleurs le montage B
et utilise un luxmètre pour mesurer les « éclairements » qui ne s’avèrent de fait pas
parfaitement identiques, ce qui le trouble un instant, puis il remarque : « Cela doit
venir des incertitudes de mesure et des tolérances de fabrication sur les caractéristiques
des lampes. On ne peut pas entrer dans ces aspects avec les élèves. » (Ec2)
Enfin, le passage par une accroche de type bande dessinée, habituelle sur
les fiches de démarche d’investigation des élèves (Mathé et al., 2008), est aussi
à l’origine d’un imprévu didactique, certains élèves ne sachant plus très bien
ce qu’ils ont à faire : travailler avec leurs propres hypothèses ou avec celles de
l’Inspecteur Gadget (annexe 2). P3 relève la confusion possible et indique aux
élèves que ce sont leurs hypothèses qu’ils doivent exprimer. Pour P1, « il faut être
attentif à l’habillage de la question […] Si l’accroche ludique est nécessaire pour

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256 Bernard CALMETTES

mobiliser les élèves, il ne faut pas pour autant oublier le problème scientifique »
(Ef1) 9.
P1, lors de la séance de formation qu’il anime, indique qu’en cas d’imprévus,
et c’est « assez souvent, […] les élèves disent ou font des choses auxquelles on n’a pas
pensé […] Il est important de réagir rapidement et quand on ne sait pas ou qu’on ne
peut pas répondre, il faut remettre les élèves au travail sur la question initiale posée,
quitte à ne pas répondre à leurs propres questions ».
4.5. Les différences entre les séances
« Parce que les élèves de la deuxième classe sont plus faibles » (Ec3) que ceux de
la première, P3 structure davantage le milieu (ferme le milieu) dans la première
étape en décrivant au tableau sur un exemple (circuit B) le travail que les élèves
auront à réaliser.
P3 : Je vous ai donné des indications sur ce qui sera votre premier schéma et ce qu’il
faut en faire. Vous ferez la même chose pour d’autres circuits […] Vous faites tous les
montages possibles […] Pour l’instant, c’est sur la feuille, avec le crayon à papier et
le stylo. Après, vous ferez les montages.
P2 dispose de davantage de temps pour la séance. On retrouve dans le
déroulement les étapes précédemment citées, avec l’alternance entre micro-
structurations et micro-dévolutions, mais avec, par « nécessité » (Ec2), quelques
incursions de structuration du milieu pendant la dévolution (cf. infra). La
structuration dans l’étape 1 est différente, dans le sens où elle détermine un
milieu plus ouvert pour la dévolution (étape 2), donc des divergences potentielles
et effectives en termes d’activités plus importantes pour les élèves et, in fine, une
durée pour la structuration suivante (étape 3) plus grande. Dans l’étape 1, P2
n’utilise pas, en effet, de fiche de travail pour les élèves. La question de départ
est formulée oralement et écrite au tableau sous la forme : « On veut réaliser des
circuits électriques différents qui comportent tous trois lampes identiques. Comment
vont éclairer les lampes dans chaque circuit ? » Et il ajoute oralement : « Commencez
par réfléchir et après vous ferez les circuits. »
C’est alors, pendant l’étape de dévolution suivante, parce que les élèves
progressent de manière hétérogène et surtout pour gérer le temps, que P2
intervient en classe entière pour apporter des éléments supplémentaires de
structuration et de réduction du milieu, en s’appuyant sur les travaux des groupes
d’élèves les plus avancées (Ec2). Cette structuration porte sur la composante
cognitive du milieu : sur des savoirs scientifiques antérieurs (rappel des symboles
des composants, schémas au tableau) ou sur les étapes de la démarche.
L’enseignant demande aux élèves de réfléchir, proposer des hypothèses et les

9 Cette observation recoupe les remarques de Goigoux (2006) qui note : « le souci pédagogique de rendre
les taches d’enseignement attractives grâce a un habillage ludique peut provoquer de sérieuses incohérences
didactiques, les élèves les plus en difficulté se méprenant sur la nature des apprentissages en jeu. »

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 257

justifier, demander le matériel et fabriquer les circuits pour vérifier ces hypothèses.
Tandis que les élèves élaborent les circuits électriques, P2 contrôle davantage
les demandes de matériels faites par les groupes d’élèves en exigeant une liste
de composants, ce qui lui permet également de vérifier que les hypothèses et
leurs justifications sont clairement précisées, jusqu’à ce que, sous « la pression
du temps » (Ec2), le matériel soit donné par l’enseignant aux groupes les moins
avancés sans qu’ils en aient fait la requête.

5. Les entretiens : expression des justifications,


« rapport pragmatique à l’enseigner »
Les entretiens avec les enseignants et le suivi des séances de formation, que
certains d’entre eux animent, (cf. § 3) permettent de construire un ensemble de
justifications des tâches et des techniques mises en avant dans le paragraphe
précédent. Partant de ce que disent les enseignants, nous sommes donc toujours
ici dans une perspective analytique et praxéologique ascendante et pragmatique.
Conformément à ce que nous avons précédemment présenté, les justifications
sont décrites selon chacune des trois références, puis en prenant en compte des
éléments relevant de plusieurs références. C’est ici le cas, par exemple, pour les
justifications portant sur le découpage de la séance. Nous donnerons par la suite
d’autres exemples de cette complexité travaillant les références « ensemble ».
5.1. Les références épistémologiques
Les présentations des tâches et des techniques, les fiches de travail des élèves et
de l’évolution des séances permettent de mettre en exergue les éléments importants,
pour les enseignants, dans la construction des savoirs en jeu dans la démarche
d’investigation.
La démarche d’investigation permet d’investir des savoirs scientifiques et des
savoirs méthodologiques.
La démarche comporte des étapes essentielles qui respectent un ordre
précis. L’activité de recherche dans la classe est articulée autour des étapes de
structurations de connaissances/de savoirs et des étapes de dévolutions. La démarche
d’investigation commence, avant tout, par une question (un problème), puis par
une réflexion (activité uniquement cognitive) avant des activités expérimentales.
En creux, on peut lire ici que les élèves ne sont pas placés dans une activité où
ils commenceraient par l’observation ou la manipulation. Ils n’ont pas à suivre,
même si leur parcours est balisé, une fiche de travail qui décrit de manière précise
l’ensemble des activités qu’ils doivent réaliser.
Réfléchir à la question posée conduit les élèves à formuler des hypothèses
qui doivent être argumentées, soit par des savoirs antérieurs dont les élèves se
saisiraient, soit aussi, éventuellement, par des conceptions qui peuvent s’avérer
par la suite erronées.

N° 2-2010 | RDST
258 Bernard CALMETTES

Les expériences réalisées permettent d’abord de valider les « bonnes »


hypothèses ; les « mauvaises » hypothèses sont alors éliminées. En creux, on peut
dire que les expériences servent à dire surtout ce qui est « juste » (El2) et donc ce
qui sert à terme dans l’institutionnalisation.
Les étapes de structuration du milieu (réduction) sont sous contrôle de
l’enseignant. S’il y a débat, celui-ci est rapidement circonscrit par l’enseignant
aux aspects qui peuvent être utilisés pour définir le milieu dans lequel les élèves
travailleront ensuite. Cet aspect est particulièrement sensible dans le tri des schémas
de circuit (structuration, étape 3).
Durant toute la séance, l’enseignant cherche dans les interactions langagières,
« à coups de pourquoi » (El1, comme dans les extraits de séance P3), à « faire parler
les élèves de manière scientifique et rigoureuse » (El3).
5.2. L’aide à l’étude
Si le découpage de la séance précédemment évoqué peut être interprété en
référence à l’épistémologie des savoirs et des démarches, il a aussi à voir avec la
gestion de l’étude. L’enseignant a un objectif, inscrit sur sa fiche de préparation et
sur les fiches de travail des élèves et « [il y tient] » (El2). Pour lui, il s’agit de « garder
le fil des savoirs » (El3) par les étapes envisagées en réduisant le milieu didactique de
manière progressive, de « reprendre la main pour dire ou faire dire [aux élèves] ce qui
est important et ne garder que ça » car il « ne faut pas perdre de vue ce que les élèves
doivent apprendre » (formation P1), et ceci par une gestion du temps relativement
stricte car « à un moment, il faut de toute façon passer à autre chose » (formation
P1) quitte à « influencer les élèves […] Il faut en être conscient ; on ne peut pas faire
autrement ; il faut avancer […] C’est dans ce contrat implicite que tout le monde,
l’enseignant comme les élèves, joue » (Ef1).
Les étapes de la séance sont ainsi scandées suivant le rythme prévu et indiqué
sur les fiches de préparation, en prenant appui sur les « opportunités » (déterminées
ainsi par les enseignants) qui émergent pendant la séance grâce à la « réussite
de certains élèves » (El3), par le « nombre de propositions d’hypothèses ou de
circuits assez important » (El2), ou « si nécessaire, [par] le rappel des connaissances
antérieures nécessaires pour résoudre le problème posé » (El1). C’est ainsi que, selon
P1 (formation), « il n’est pas indispensable et de toute façon pas possible de répondre
à toutes les propositions des élèves. »
Cette volonté de « garder le fil des savoirs » (rendre compatible la chronogenèse 10
et la mésogenèse prévues) conduit les enseignants, même attentifs aux événements
perturbateurs d’une part à anticiper les incidents et y répondre immédiatement,
d’autre part à limiter les conséquences et les divergences possibles suite aux
imprévus didactiques (cf. § 4.4).

10 La chronogenèse se rapporte à l’évolution dans le temps des connaissances et des savoirs produits
dans la classe (par exemple, Schubauer-Leoni et Leutenegger, 2005).

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Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 259

La gestion de l’étude relève aussi d’un suivi « au plus près » du travail des élèves,
surtout pendant les étapes de dévolution d’une part pour « repérer l’avancée de leurs
propositions » et pouvoir ainsi s’appuyer dans l’étape suivante sur « les productions
qui semblent pouvoir apporter [à eux, enseignants] des éléments » structurants et
d’autre part pour « engager les élèves rapidement dans l’activité » (El1) ou pour
« mobiliser au mieux les élèves les plus en difficulté » (El3). Cette gestion conduit donc
à « ne pas laisser les élèves faire ce qu’ils veulent, sous prétexte qu’ils sont en autonomie
[…] Il faut recadrer régulièrement » (formation P1).
On retrouve ici des modalités de gestion déjà repérées dans des pratiques
enseignantes lors d’activités en mathématiques. Comiti et al. (1995) relèvent
le « dédoublement de la situation », celle vécue par l’élève et celle vécue par
l’enseignant et la classe. Ils notent qu’alors « le type de gestion adopté par le
professeur (s’appuyer sur le « bon » élève qui fonctionne dans le « bon » milieu) est
le seul possible même s’il ne règle pas le problème d’apprentissage des élèves. »
5.3. Les rapports aux cadres institutionnels
Nous entendons par « rapports aux cadres institutionnels » d’abord les rapports
qu’entretient tout enseignant avec les contraintes de l’activité de classe (durée,
matériels, niveau des élèves en physique), avec les équipes au sein des établissements
(type d’établissement, travaux de préparation en équipe d’enseignants, organisation
matérielle du laboratoire), avec les curriculums formels et leurs déclinaisons
(instructions officielles, programmes, manuels scolaires, fiches sur les sites Internet) ;
mais aussi s’agissant d’enseignants experts, les rapports qu’ils entretiennent avec
les institutions académiques et de formation (Inspection pédagogique régionale,
groupes de recherche-action, IUFM).
C’est ainsi que, même si les étapes repérées dans le déroulement de la séance
peuvent ne pas correspondre exactement aux « moments de la démarche »
(annexe  1), on retrouve de nombreux éléments en commun. On peut citer
notamment : la question/le problème posé, la formulation d’hypothèses, l’idée
d’expérience pour tester les hypothèses, l’exploitation de résultats, la recherche de
justification, la structuration de connaissances. Pour les enseignants experts, « de
toute façon, les textes ne décrivent qu’un cadre général […] et il est tout à fait possible
de se l’approprier, d’adapter, même s’il y a des passages obligés » (Ef1).
Nous avons également repéré les adaptations de la démarche en fonction des
durées des séances (P2 : 1 h 30 min et P3 : 1 h ; § 4.5) et du niveau des élèves d’une
classe. Ces adaptations ne jouent pas ou peu sur l’organisation globale (les étapes
de structuration du milieu et de dévolution) ; il s’agit toujours de « garder le fil des
savoirs en jeu » (El3). Elles jouent surtout sur les durées relatives des étapes et sur
les niveaux de définition des milieux, lors des phases de structuration et donc de
leur degré d’ouverture, et par suite de la potentialité d’activités laissées aux élèves.
Nous ajoutons qu’il s’agit aussi pour les enseignants experts de s’engager,
en suivant les expérimentations discutées et proposées au sein des groupes de

N° 2-2010 | RDST
260 Bernard CALMETTES

recherche-action menés par les inspections pédagogiques, et d’être à même de


rapporter dans ce groupe, aux fins d’échanges et de « constructions d’outils pour la
classe » des comptes rendus de « vraies séances » (El1).
5.4. Quelques exemples mettant en perspective plusieurs références
Nous avons repéré précédemment (§ 4.4) que les trois enseignants experts
étaient capables d’opérer des réflexions sur l’action ; notamment à propos du
statut de l’observation scientifique et de l’utilisation des sens vs des instruments.
Ces réflexions de nature épistémologique ne conduisent pas pour autant à une
remise en question de l’activité – ne peuvent pas, pour les enseignants, conduire à
cette remise en cause – pour des raisons que nous pouvons attribuer d’une part aux
cadres institutionnels, « parce que les matériels nécessaires ne sont pas disponibles
pour les élèves » et que « les connaissances en jeu ne sont pas [inscrites] dans les
programmes de la classe » (El2) considérée et d’autre part parce que certaines
connaissances « de base » (incertitudes de mesure, tolérances de fabrication sur les
caractéristiques des composants), nécessaires à la compréhension de la question
de l’observation scientifique, ne sont pas acquises par les élèves.
L’analyse du statut de l’observation scientifique relèverait donc, si elle était
réalisée en classe, d’une gestion de l’étude différente de celle prévue, « de
modifications importantes dans le déroulement de l’activité » (El2), d’un écart
notable relativement « au fil des savoirs » (El3) prédéterminés et au programme.
L’enseignant choisit donc sciemment de ne pas l’aborder. Le résultat de l’expérience
est donc exprimé sur la base de ce qui est observé par certains élèves et surtout
par l’enseignant. Ce dernier n’est pas satisfait de la réponse qu’il fournit en classe à
cet événement perturbateur, sans pour autant pouvoir donner une réponse qui le
satisferait sur le plan scientifique ; et il regrette que ce soit finalement « [lui qui a]
validé [par l’observation] la réponse et non un résultat expérimental scientifique » (El2).
L’analyse du traitement des conceptions erronées dans la séance relève aussi
du croisement des références. D’un point de vue épistémologique, l’accent est
mis sur ce qui est « juste » et argumenté par les résultats de l’expérience et par la
cohérence déductive avec les savoirs formels antérieurs (les lois des circuits) qui ne
doivent pas être remis en cause. En ce qui concerne la gestion de l’étude, pour les
enseignants, « aborder dans le détail la question des conceptions erronées demanderait
beaucoup de temps […] sans être certain que tous les élèves aient compris à la fin […]
Et le temps est compté » (El2) « surtout que la démarche d’investigation est déjà
largement chronophage » (El1). « L’important reste les savoirs en jeu et la démarche
expérimentale » (El3).
Il est à noter que lors de la séance de formation en IUFM, suite à une question d’un
professeur stagiaire, l’enseignant expert et formateur répond que « de toute façon,
sur les conceptions erronées, les didacticiens n’ont pas encore trouvé la solution » (P3).
Les conceptions erronées sont liées au courant électrique mais aussi à des
confusions entre des concepts scientifiques. Un de ceux-ci, l’énergie en l’occurrence,

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 261

ne fait effectivement pas partie des programmes  11 (un élément du cadre
institutionnel). Pour les enseignants, « c’est une raison supplémentaire pour ne pas
s’engager sur ce terrain [du traitement des conceptions erronées des élèves] » (El2).
Même s’il « convient de ne pas faire de la question des conceptions, une obsession »
(El3), cette position peut être modulée en fonction des concepts scientifiques en
jeu. Si le traitement des conceptions erronées en électricité semble relever d’une
certaine difficulté pour les enseignants experts, il existe d’autres thématiques
pour lesquelles il est possible de travailler en classe. C’est le cas par exemple sur
les notions de « horizontale et verticale », ou à propos de l’étude du « rapport entre
masse et volume d’un corps » (Formation P1).

Synthèse et conclusions
Synthèse
Nous avons analysé de manière praxéologique, ascendante, et pragmatique, les
pratiques d’enseignants que nous avons qualifiés d’experts et les situations qu’ils
mettaient en place dans le cadre de la démarche d’investigation.
L’analyse a porté d’abord sur la détermination de tâches et de techniques qu’ils
utilisaient pour définir et faire évoluer le milieu didactique pour les élèves et pour
la classe et ensuite sur les justifications qu’ils donnaient de ces tâches et techniques.
Les enseignants construisent des séances organisées selon une suite de phases
de micro-structuration du milieu didactique et de micro-dévolutions.
Pendant les phases de structuration et de réduction du milieu didactique,
ils utilisent diverses techniques : présenter brièvement un dispositif, rappeler
des savoirs formels antérieurs, s’appuyer sur des interventions écrites ou orales
de « bons » élèves, éliminer rapidement par anticipation des phénomènes
potentiellement perturbateurs, conduire les élèves à utiliser un vocabulaire
scientifique, s’appuyer uniquement sur les résultats des expériences qui permettent
d’argumenter dans le sens du savoir en jeu.
Durant les phases de dévolution, les enseignants utilisent d’autres techniques :
maintenir, par un suivi au plus près, les élèves dans l’activité de recherche, repérer
les traces écrites sur lesquelles ils pourront par la suite s’appuyer, veiller à ce que
les élèves utilisent les éléments du milieu structuré précédemment, fournir une
réponse en cas de débat sans solution scientifiquement vérifiable.
Nous avons pu observer que les trois enseignants anticipent des incidents
et repèrent des événements que nous avons caractérisés comme des imprévus
didactiques. Face à ceux-ci, leur réflexion et la décision qui suit sont rapides ; ils ne
s’en laissent pas compter même si l’événement peut perturber leur approche de la
physique scolaire (ce qu’ils ne montrent pas dans le déroulement de l’activité). La

11 L’énergie n’est pas au programme de la classe considérée au moment ou les observations sont réalisées.

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262 Bernard CALMETTES

question des conceptions en électricité, sensible dans le monde de la didactique,


est évacuée dans le sens où ces conceptions ne font pas l’objet d’une réflexion pour
les élèves sur les phénomènes physiques en jeu et où la solution adoptée s’appuie
sur un recours aux lois de la physique précédemment étudiées et sur les résultats
de certaines expériences.
« Rapport pragmatique à l’enseigner »
Le discours des enseignants a permis de mettre en évidence les références de
leurs activités, les tâches qu’ils réalisent et les techniques qu’ils utilisent pour
arriver à leurs objectifs initiaux. Le cadre institutionnel des séances, et notamment
la durée des séances, semble avoir une influence sur les définitions et les modalités
de gestion du milieu didactique. C’est ainsi qu’une augmentation de la durée des
séances permet des étapes de dévolution plus longues et des structurations plus
ouvertes.
Les observations des pratiques et les discours des enseignants mettent en exergue
les éléments de construction des savoirs sur lesquels ils s’appuient : une rigueur
scientifique (langage notamment), l’expérience qui valide la réponse correcte, le
passage par la réflexion et la formulation écrite d’hypothèses avant la mise en
œuvre des expériences.
La gestion de l’étude peut être caractérisée par l’expression souvent utilisée (par
des enseignants différents) « garder le fil du savoir ». Il s’agit donc de faire coïncider
au mieux la mésogénèse et la chronogénèse et, quoi qu’il arrive, de conclure sur
les savoirs (au sens large comprenant aussi les éléments de démarche) initialement
prévus.
Perspectives
Notre analyse a considéré le concept de milieu didactique pour construire les
tâches et techniques des enseignants. D’autres concepts, issus aussi de la théorie
des situations permettraient de poursuivre les études. On perçoit par exemple
comment la notion de « topos » (Brousseau, 1986), c’est-à-dire de positionnement
didactique, aiderait à caractériser les étapes de la démarche. L’enseignant a ainsi
un positionnement plutôt surplombant et directif dans les étapes de structuration
et de réduction du milieu didactique car, même s’il y a interaction avec les élèves,
c’est surtout parce qu’il connaît a priori les réponses sur lesquelles il peut s’appuyer.
Son positionnement joue davantage sur la médiation (Weill-Barais & Dumas-Carré,
1998) dans les étapes de dévolution desquelles il n’est jamais absent, s’inscrivant
de fait de lui-même dans la composante sociale du milieu didactique.
Dans la démarche d’investigation, la classe (élèves et enseignants experts)
fonctionne de fait dans une coutume didactique (Balacheff, 1988) singulière,
différente des coutumes liées à d’autres formes d’activités expérimentales (Richoux
et Beaufils, 2005). Les séances sont régies par des règles implicites mais aussi
parfois explicitées (cf. les rappels sur la suite d’activités à réaliser) comprenant les
ruptures de contrats liées aux passages par les différentes étapes. Chacune des

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 263

étapes présente localement son propre contrat didactique dont la définition est liée
aux fonctions des activités des élèves et de l’enseignant : structuration du milieu
didactique, réduction de ce milieu, dévolution, institutionnalisation.
Les résultats de cette recherche basée sur des études de cas seraient à confronter à
ceux d’autres travaux qui suivraient la même méthodologie car celle-ci nous semble
avoir une portée heuristique, en jouant sur des variables telles que, par exemple,
d’autres domaines d’enseignement de la physique, d’autres caractéristiques
d’enseignants (enseignants débutants), ou d’autres contextes institutionnels.
Ces travaux peuvent conduire à caractériser, voire à classer des praxéologies
enseignantes déterminées de manière ascendante et des « rapports pragmatiques
à l’enseigner », mais aussi à poursuivre les réflexions sur les concepts utilisés,
notamment celui de milieu didactique.
Ils peuvent également amener à comparer des représentations et des rapports
aux savoirs d’enseignants exprimés sur le mode déclaratif, relativement aux
approches épistémologiques des savoirs en classe ou à la gestion de l’étude
(Shulman, 1987 ; Abell, 2007), avec les justifications telles qu’elles sont déclinées
par l’analyse pragmatique que nous avons proposée et qui apparaissent dans
« le rapport pragmatique à l’enseigner ». De telles comparaisons ont déjà été
développées sur le versant épistémologique (Pélissier et al., 2007). Les auteurs
relèvent à ce propos qu’il est difficile de percevoir le type et le sens des relations
pouvant exister entre les conceptions des enseignants, en épistémologie, et les
pratiques qu’ils mettent en œuvre dans la classe.
Pour autant, nous ne nions pas des influences possibles, et c’est le sens même des
dimensions du « rapport pragmatique à l’enseigner », entre les modalités de mise en
œuvre de la démarche d’investigation en classe et diverses variables : organisation
du savoir par les enseignants, modalités d’aide à l’étude, sensibilité aux imprévus
et par exemple les contraintes institutionnelles, notamment liées à l’évaluation
des élèves. Nous suivons donc, au moins en partie car la question de l’impact
des pratiques et des conceptions des enseignants sont, dans notre perspective, à
discuter, et nous élargissons donc les propos de Lotter et al. (2007, p. 1318) lorsqu’ils
écrivent : « The teachers’conceptions of science, their students, effective teaching
practices, and the purpose of education influenced the type and amount of inquiry
instruction performed in the high school classrooms 12 ».
Bernard CALMETTES
bernard.calmettes@toulouse.iufm.fr

12 Les conceptions scientifiques des enseignants, leurs étudiants, les pratiques pédagogiques employées
et le but même de l’éducation ont un impact sur la quantité et le type de démarche pédagogique
d’investigation pratiquée dans les classes de lycée. [traduit par l’auteur].

N° 2-2010 | RDST
264 Bernard CALMETTES

BIBLIOGRAPHIE
ABD-EL-KHALICK F., El-KHALICK F. & LEDERMAN N. (2000). Improving science
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268 Bernard CALMETTES

Annexe 1 : la démarche d’investigation


dans les textes institutionnels
Les textes institutionnels relatifs à l’enseignement en collège (MEN, 2005 ; MEN,
2007) proposent, dans l’« introduction commune à l’ensemble des disciplines
scientifiques » (mathématiques, SVT, physique et chimie) une description de la
démarche d’investigation.
La démarche d’investigation « privilégie la construction du savoir par l’élève
[…Elle] s’appuie sur le questionnement des élèves sur le monde réel (en sciences
expérimentales) et […] chaque fois qu’elles sont possibles […] l’observation,
l’expérimentation ou l’action directe par les élèves sur le réel doivent être
privilégiées. » Les modes de regroupements d’élèves « favorisent l’expression sous
toutes ses formes et permettent un accès progressif à l’autonomie. » La phase
finale de synthèse et de structuration doit mettre en évidence à la fois les apports
scientifiques en termes de contenus – axe privilégié –, mais aussi dégager et
expliciter les méthodes mises en œuvre.
La démarche d’investigation est présentée sous la forme d’un canevas en « sept
moments » sans que cependant « l’ordre dans lequel ils se succèdent […] constitue
[…] une trame à adopter de manière linéaire […] Le temps consacré à chacun [des
moments] doit être adapté au projet pédagogique de l’enseignant. »
Les sept moments sont présentés ainsi dans les instructions officielles :
1. Le choix d’une situation-problème par le professeur : analyse des savoirs visés,
détermination des objectifs, identification des difficultés des élèves, élaboration
d’un scénario ;
2. L’appropriation du problème par les élèves : travail guidé par l’enseignant qui
aide à reformuler les questions et à faire émerger des conceptions par les élèves
de manière à faire naître le questionnement ;
3. La formulation de conjectures, d’hypothèses explicatives, de protocoles
possibles à communiquer et permettant d’élaborer des expériences tests ;
4. L’investigation ou la résolution du problème conduite par les élèves : débat
interne, contrôle des modalités des expériences, description des méthodes et
exploitation des résultats, recherche de justification et de preuve, confrontation
avec les hypothèses ;
5. L’échange argumenté autour des propositions élaborées : communication des
résultats, confrontation, débat, recherche d’arguments, élaboration collective
du résultat attendu ;
6. L’acquisition et la structuration des connaissances : mise en évidence avec
l’enseignant des nouveaux éléments de savoirs (notion, technique, méthode),
confrontation avec le savoir établi (recherche documentaire, manuel) ;
7. L’opérationnalisation des connaissances : exercices et problèmes de
réinvestissement, évaluation des connaissances et compétences méthodologiques.

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 269

Annexe 2 (P3) : fiche de travail pour les élèves (3 Lampes)


Mes recherches
L’inspecteur Gadget dispose d’un générateur et de 3
lampes IDENTIQUES dont les caractéristiques sont :
6V ; 100mA. Il sait faire des circuits électriques mais
il pense que, quel que soit le montage, les lampes
brilleront toujours de la même façon !
À VOUS DE L’AIDER EN RESPECTANT LES CONSIGNES !!
1 – Faire le schéma de tous les circuits possibles
comportant obligatoirement les 3 lampes identiques
(on les appellera L1, L2 et L3).
2 – Formuler, par écrit, les hypothèses concernant
l’éclairement des lampes (beaucoup, un peu, pas du
tout ? etc.) et DIRE pourquoi.
3 – Réaliser le montage électrique
4 – Comparer le résultat de l’expérience et l’hypothèse
formulée quant à l’éclat des lampes.
5 – Conclure.
Attention : NE RIEN BRANCHER
SANS L’AUTORISATION DU PROFESSEUR
lors du premier montage !
Exemple de présentation :

Le schéma du circuit N° 1 :

[…]

Mes hypothèses sur les éclats des lampes :

L1 brille................................................................ car je pense que : ..................................................

L2 brille................................................................

L3 brille................................................................

Avec l’expérience, j’observe que :

J’en conclus que :

N° 2-2010 | RDST
270 Bernard CALMETTES

Annexe 3 : les circuits électriques avec 3 lampes


Schémas « prototypes » des circuits avec 3 lampes

RDST | N° 2-2010
Analyse pragmatique de pratiques ordinaires, rapport pragmatique… 271

Exemples d’autres schémas de circuits proposés par les élèves

Abstracts • Zusammenfassungen • Resúmenes


Pragmatic analysis of ordinary practices. Pragmatic connection
to the teaching act. Case study: Expert teachers in an investigative approach
in physics
The study presented in this article concerns the analysis of ordinary situations and practices
implemented by “expert” teachers, in an investigative approach in lower high schools.
The research is based on the observation of classroom sessions conducted by three teachers and
subsequent interviews. The practices are characterized using an analysis which takes into consideration
the didactic environment and its evolution as well as the tasks and techniques employed by the teachers
to manage the study (ascending praxeological analysis).

N° 2-2010 | RDST
272 Bernard CALMETTES

The interviews enable the teachers to justify the unfolding of the session and the elements used
as a basis for the management of the construction of knowledge (pragmatic analysis).
The elements of justification are conjugated according to three references: the relationship to
epistemological knowledge; aid for study; institutional constraints. The result of the didactic modelling
of the totality of these justifications constitutes a “pragmatic connection to the teaching act”.
KEYWORDS • Practice, praxiology, pragmatic analyses, investigations, expert.

Pragmatische Analyse von alltäglichen Praktiken. Pragmatisches Verhältnis


mit dem Unterrichten. Fallstudie : fachkundige Lehrer
in der Untersuchungsmethode in Physik
Die in diesem Artikel vorgelegte Studie betrifft die Analyse von Situationen und alltäglichen
Praktiken, die von „fachkundigen“ Lehrern in der Untersuchungsmethode am Collège (6. bis 9. Klasse)
benutzt werden.
Die Forschung stützt auf Beobachtungen von Unterrichtssequenzen bei drei Lehrern und auf
Gespräche. Die Praktiken werden auf Grund einer Analyse charakterisiert, die das didaktische Umfeld
und seine Entwicklung, und die Aufgaben und Techniken berücksichtigen, die der Lehrer benutzt, um
das Lernen zu leiten (praxeologische Analyse nach oben).
Die Gespräche geben den Lehrern Anlass dazu, den Verlauf der Sequenz und die Elemente zu
rechtfertigen, auf die sie sich stützen, um den Kenntnisaufbau zu gestalten (pragmatische Analyse).
Die Elemente zur Rechtfertigung werden nach drei Schwerpunkten gegliedert: das Verhältnis mit
den epistemologischen Kenntnissen, die Hilfe zum Lernen und die institutionellen Zwänge. Das Ergebnis
der didaktischen Modellierung sämtlicher Rechtfertigungen bildet ein „pragmatisches Verhältnis mit
dem Unterrichten“.

Análisis pragmático de prácticas ordinarias. Relación pragmática


con el docente. Estudio de casos: Docentes expertos, en conducta
de investigación en física
El estudio presentado en este artículo trata de los análisis de situaciones y de prácticas ordinarias
puestas en práctica por docentes “expertos”, en conducta de investigaciones en la Enseñanza Secundaria
Obligatoria.
La investigación se apoya sobre observaciones de secuencias de clase realizadas por tres docentes,
y sobre entrevistas. Las prácticas se caracterizan à partir de un análisis que toma en cuenta el ámbito
didáctico y su evolución, y las tareas y técnicas utilizadas por el docente para dirigir el estudio (análisis
praxeológico ascendente).
Las entrevistas permiten a los docentes justificar el desarrollo de la secuencia y los elementos sobre
los que se apoyan para gestionar la construcción de los saberes (análisis pragmático).
Los elementos de justificación se han declinado en tres referencias: la relación con los saberes
epistemológicos, la ayuda al estudio, y los imperativos institucionales. El resultado de la modelización
didáctica del conjunto de estas justificaciones constituye una “relación pragmática al acto docente”.

RDST | N° 2-2010

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