Vous êtes sur la page 1sur 10

 

Il y a plus d’un siècle, René Guénon (1886 – 1951) avait « pressenti » et


anticipé les conséquences du matérialisme conduisant l’Humanité vers
un transhumanisme reflétant la dégénérescence humaine dans sa
phase la plus froide et la plus artificielle qui soit : « Parler de « propriétés
de la matière » et affirmer en même temps que « la matière est inerte »,
c’est là une insoluble contradiction ; et curieuse ironie des choses, le «
scientisme » moderne, qui a la prétention d’éliminer tout « mystère », ne
fait pourtant appel, dans ses vaines tentatives d’explication, qu’à ce qu’il
y a de plus « mystérieux » au sens vulgaire de ce mot, c’est-à-dire de plus
obscur et de moins intelligible ! »[26].

« Quant à ce que vous me dites que les médecins paraissent n’y rien
comprendre, je n’en suis pas très surpris, car, d’une façon générale, je
n’ai jamais eu grande confiance dans la médecine moderne… »[27].

« La médecine traditionnelle chinoise, en particulier, est en quelque sorte


basée tout entière sur la distinction du yang et du yin : toute maladie est
due à un état de déséquilibre, c’est-à-dire à un excès de l’un de ces deux
termes par rapport à l’autre ; il faut donc renforcer ce dernier pour
rétablir l’équilibre, et on atteint ainsi la maladie dans sa cause même, au
lieu de se borner à traiter des symptômes plus ou moins extérieurs et
superficiels comme le fait la médecine profane des Occidentaux modernes
»[28].

« Le malheur est qu’ici l’ancienne médecine traditionnelle a complètement


disparu devant l’invasion de la médecine moderne, à laquelle, pour ma
part, je me suis toujours soigneusement abstenu d’avoir recours ! »[29].

« Je me demande si déjà certains médicaments qu’on lance à grand


renfort de publicité ne seraient pas destinés en réalité à produire des
résultats du genre de ceux dont il parle ; en tout cas, ce qu’il y a de
certain, c’est que la science moderne tourne de plus en plus à la
sorcellerie ! »[30].

« Et, à propos de « trucages chimiques », que dire aussi de la médecine


actuelle, et, plus généralement, de tout ce qu’on fait pour que les gens ne
puissent plus avoir qu’une vie presque entièrement artificielle à tous les
points de vue ? »[31].

« Oui, comme vous le dites, tout est truqué aujourd’hui ; on veut obliger
les gens à vivre artificiellement pour les changer plus facilement en des
sortes de machines, et la médecine a sûrement un grand rôle à jouer
dans la réalisation de ce plan diabolique. Je regrette souvent de n’avoir
ni le temps ni la facilité d’examiner de plus près la dite médecine avec
toutes les précisions voulues ; il serait bien à souhaiter qu’il se trouve
quelqu’un qui puisse et ose entreprendre cette tâche »[32].
« [au sujet des médecins de leurs « tracasseries »]. Ces gens-là en sont
arrivés à s’emparer en quelque sorte du monde entier, et bientôt on
n’aura plus le droit de vivre sans leur permission »[33].

« Oui, à notre époque où tout est industrialisé et commercialisé, les


médecins ne pensent plus guère qu’à leurs intérêts, et les fabricants de
médicaments « à la mode » également ; mais il y a aussi dans le
lancement de certains produits des « dessous », dont probablement ceux
qui les recommandent sont généralement inconscients, et qui sont encore
moins rassurants … »[34].

    Tout cela doit concorde avec l’enseignement qurânique : « Nous


faisons descendre du Qur’ân, ce qui est une guérison et une miséricorde
pour les croyants » (Qur’ân 17, 82).

   Le philosophe italien, poète, écrivain et « politologue » (formé aussi


dans les mathématiques et l’ingénierie) Julius Evola (1898 – 1974) avait
lui aussi analysé toutes les horreurs de la modernité, dont le
totalitarisme économique avilit la plupart des autres activités
humaines :  « On n’entend parler que d’économie, de consommation, de
travail, de rendement, de classes économiques, de salaires, de propriété
privée ou socialisée, de « marché du travail » ou d’« exploitation des
travailleurs », de « revendications sociales », etc. Pour les uns comme pour
les autres on dirait vraiment qu’il n’existe que cela au monde. (…). Tout
cela témoigne d’une véritable pathologie de la civilisation. C’est une
hypnose, une démonie que l’économique est en train d’exercer sur
l’homme moderne. Et comme il arrive souvent dans l’hypnose, ce sur quoi
l’esprit se focalise finit par devenir réel. L’homme d’aujourd’hui est en
train de donner corps à ce qui, dans une civilisation normale et complète
serait apparu comme une aberration ou une plaisanterie de mauvais
goût, à savoir, précisément, que l’économie, et le problème social en
fonction de l’économie, « sont un destin » » »[35].

    « L’inégalité est vraie de fait pour la seule raison qu’elle est vraie de
droit, elle est réelle pour la seule raison qu’elle est nécessaire. Ce que
l’idéologie égalitaire voudrait dépeindre comme un état de justice, serait
au contraire, d’un point de vue plus élevé et à l’abri des rhétoriques
humanitaires, un état d’injustice. C’est une chose qu’Aristote et Cicéron
avaient déjà reconnue. Imposer l’inégalité veut dire transcender la
quantité, veut dire admettre la qualité. C’est ici que se distinguent
nettement les concepts d’individu et de personne »[36].

« Le système qui s’est établi en Occident avec l’avènement de la


démocratie – le système majoritaire à suffrage universel – impose
d’emblée la dégradation de la classe dirigeante. En fait, la majorité, libre
de toute restriction ou clause qualitative, ne peut être que du côté des
classes sociales les plus basses ; et pour gagner de telles classes et être
porté au pouvoir par leurs votes, il faudra toujours parler la seule langue
qu’elles comprennent, celle qui met en avant leurs intérêts prédominants,
les plus grossiers, matériels et illusoires, celle qui promet et jamais
n’exige. Ainsi toute démocratie est, dans son principe, inscrite à l’école de
l’immoralité ; Elle est une offense à la dignité et à la stature qui convient
à une véritable classe politique »[37].

   « (…) en se promenant dans les rues d’une grande capitale ou de


retour chez soi[38], devant la télévision, par exemple, on subira sans y
prendre garde de multiples formes de violence hypocrite et souterraine,
qui s’exercent au nom de la « liberté » et du « pluralisme » démocratiques :
la violence de l’argent qui achète les âmes, du mensonge politique qui les
berne, de l’exploitation économique qui les enchaîne, de la grande presse
qui les abrutit, de la pornographie qui les avilit, de la publicité qui flatte
leurs plus bas instincts. (…) ils se rallient bon gré mal gré à une société
« qui pense que rien n’est pire que la mort, même pas l’esclavage », en
oubliant seulement ceci : « L’inconvénient est que ce type de société finit
toujours par mourir », après avoir été esclave »[39].

« S’il devait être question d’une réaction de fond contre le système, ce qui
revient à dire contre les structures de la société et du monde moderne en
général, selon moi, il y a peu de perspectives […] Il ne s’agirait pas de
contester ou de polémiquer mais de tout faire sauter : ce qui, à ce jour, est
évidemment de l’ordre de la fantaisie ou de l’utopie, en laissant une
bonne place à l’anarchisme sporadique. La chose possible et importante
est l’action de défense intérieure individuelle, pour laquelle la formule
adaptée est : “Fais en sorte que ce sur quoi tu n’as pas prise, ne puisse
avoir de prise sur toi” »[40].

« Le démocratisme vit sur un vieux préjugé optimiste tout à fait gratuit. Il


ne se rend pas du tout compte du caractère irrationnel de la psychologie
des masses (…). La masse est portée non par la raison, mais par
l’enthousiasme, par l’émotion, par la suggestion. Comme une femme, elle
suit qui sait mieux la séduire, l’effrayer, l’attirer, par des moyens qui
n’ont rien de logique en soi. Comme une femme, elle est inconstante, et
passe de l’un à l’autre, sans qu’un tel deuil puisse être expliqué
uniformément par une loi rationnelle ou par un rythme progressif »[41].

« Aucune civilisation traditionnelle ne vit jamais des masses aussi


nombreuses condamnées à un travail obscur, sans âme, automatique, à
un esclavage qui n’a même pas pour contrepartie la haute stature et la
réalité tangible de figures de seigneurs et de dominateurs, mais se trouve
imposé d’une façon apparemment anodine par la tyrannie du facteur
économique et les structures absurdes d’une société plus ou moins
collectivisée. Et du fait que la vision moderne de la vie, dans son
matérialisme, a enlevé à l’individu toute possibilité d’introduire dans son
destin un élément de transfiguration, d’y voir un signe et un symbole,
l’esclavage d’aujourd’hui est le plus lugubre et le plus désespéré de tous
ceux que l’on ait jamais connus »[42].
« A titre d’entrée en matière, nous dirons que rien n’apparaît plus
absurde que cette idée de progrès qui, avec son corollaire de la
supériorité de la civilisation moderne, s’était déjà créé des alibis « positifs
» en falsifiant l’histoire, en insinuant dans les esprits des mythes
délétères, en proclamant sa souveraineté dans ces carrefours de
l’idéologie plébéienne dont, en dernière analyse, elle est issue. Il faut être
descendu bien bas pour en être arrivé à célébrer l’apothéose de la
sagesse cadavérique, seul terme applicable à une sagesse qui, dans
l’homme moderne, qui est le dernier homme, ne voit pas le vieil homme, le
décrépit, le vaincu, l’homme crépusculaire, mais glorifie, au contraire, en
lui le dominateur, le justificateur, le vraiment vivant. Il faut, en tout cas,
que les modernes aient atteint un bien étrange état d’aveuglement pour
avoir sérieusement pensé pouvoir tout jauger à leur aune et considérer
leur civilisation comme une civilisation privilégiée, en fonction de laquelle
était quasiment préordonnée, l’histoire du monde et en dehors de laquelle
on ne pourrait trouver qu’obscurité, barbarie et superstition »[43].

 Frithjof Schuon : « (…) Logiquement, la démocratie s’oppose à la tyrannie,


mais en fait, elle y mène ; c’est-à-dire : comme sa réaction est sentimentale —
sans quoi elle serait centripète et tendrait vers la théocratie, seule garantie
d’une liberté réaliste — elle n’est qu’un extrême qui, par sa négation irréaliste
de l’autorité et de la compétence, appelle fatalement un autre extrême et une
nouvelle réaction autoritaire, autoritaire celle-ci et tyrannique par son principe
même. L’illusion démocratique apparaît surtout dans les traits suivants : en
démocratie, est vrai ce que croit la majorité ; c’est elle qui « crée »
pratiquement la vérité ; la démocratie elle-même n’est vraie que dans la mesure
où — et aussi longtemps que — la majorité y croit, elle porte donc en son sein
les germes de son suicide. L’autorité, qu’on est bien obligé de tolérer sous
peine d’anarchie, vit à la merci des électeurs, d’où l’impossibilité de gouverner
réellement ; l’idéal de « liberté » fait du gouvernement un prisonnier qui doit
suivre constamment les pressions des divers groupes d’intérêt ; les campagnes
électorales elles-mêmes prouvent que les aspirants à l’autorité doivent duper
les électeurs, et les moyens de cette duperie sont si grossiers et stupides, et
constituent un tel avilissement du peuple, que cela devrait suffire pour réduire à
néant le mythe de la démocratie moderne. Ce n’est pas à dire qu’aucun genre
de démocratie ne soit possible : mais alors il s’agit d’abord de collectivités
restreintes — nomades surtout — et ensuite d’une démocratie intérieurement
aristocratique et théocratique, non d’un égalitarisme laïc imposé à de grands
peuples sédentaires (…)»

L’intellectuel, logicien, historien et métaphysicien Titus Burckhardt écrivait


judicieusement ceci : « La différence entre la psychologie moderne et la
psychologie sacrée apparaît déjà dans le fait que, pour la plupart des
psychologues modernes, la morale n’a plus rien à faire avec la psychologie.
Généralement, ils réduisent l’éthique à la morale sociale, plus ou moins forgée
par de simples habitudes et la considèrent comme une sorte de barrage
psychique, utile à l’occasion, mais le plus souvent contraignant, voire néfaste,
pour l’épanouissement « normale » de la psychè individuelle. Cette conception
a surtout été propagée par la psychanalyse freudienne, qui, comme on le sait,
est devenu d’un usage courant dans certains pays, où elle joue pratiquement le
rôle qui revient ailleurs au sacrement de la confession. Le psychiatre remplace
le prêtre et l’éclatement des instincts refoulés sert d’absolution. Dans la
confession sacramentelle, le prêtre n’est que le représentant impersonnel – et
donc tenu au secret – de la Vérité divine, qui à la fois juge et pardonne ; en
confessant ses fautes, le pécheur transforme les tendances qui les sous-
tendent en quelque chose qui n’est plus « lui-même » ; il les « objectivise » ; en
se repentant, il s’en détache, et en recevant l’absolution, son âme retrouve son
équilibre initial, centré sur son axe divin. Dans le cas de la psychanalyse
freudienne, en revanche (1), l’homme met à nu ses entrailles psychiques non
pas devant Dieu, mais devant son prochain ; il ne prend pas de recul par
rapport aux fonds chaotiques et obscurs de son âme que l’analyse lui dévoile,
mais au contraire se les approprie, puisqu’il doit se dire à lui-même : « C’est
ainsi que je suis fait en réalité ». Et s’il ne parvient pas à surmonter cette
désillusion avilissante grâce à quelque influence salutaire, il en conserve
comme une souillure intérieure. Dans la plupart des cas, il tente de se sauver
en se plongeant dans la médiocrité psychique du plus grand nombre, car on
supporte mieux son propre avilissement en le partageant avec autrui. Quelle
que puisse être l’utilité occasionnelle et partielle d’une telle analyse, son
résultat est généralement celui-là, étant donné les prémisses dont elle part. (2)

Si la médecine traditionnelle – c’est-à-dire celle qui s’inspire d’une religion


authentique – ne connaît rien de comparable à la psychothérapie moderne,
c’est que la psychè ne se laisse pas traiter selon des moyens psychiques ; sa
nature est l’instabilité, le flux et le reflux infini entre effet et contrecoup ; elle
trompe autrui et se trompe elle-même, et ne saurait être soignée que par
quelque chose d’ « extérieur à elle, ou de « supérieur » à elle, donc soit à partir
du corps, en rétablissant l ‘équilibre des humeurs généralement troublé par les
affections psychiques(3), soit à partir de l’esprit, par des formes et des actions
qui sont l’expression et la garantie d’une présence supérieure. Ni la prière, ni le
séjour dans un lieu sacré, ni même l’exorcisme, que l’on applique en certains
cas (4), ne sont de nature psychique, même si la psychologie moderne tente
d’expliquer ces moyens et leur efficacité d’une manière purement
psychologique.

Pour la psychologie moderne, l’effet d’un rite et sa motivation théologique ou


mystique sont deux choses totalement différentes. Si elle attribue au rite un
effet quelconque, dont elle ne reconnaît naturellement la valeur que sur le plan
subjectif uniquement, elle le ramène à certaines prédispositions héréditaires
auxquelles le rite ferait appel. Du sens éternel et supra-humain du rite ou du
symbole, il n’est bien entendu jamais question. On considère donc comme
possible que l’âme peut être soignée par une sorte d’auto-illusion, par la «
projection-confiante » de ses propres angoisses et instincts généraux et
particuliers. La scission entre vérité et réalité inhérente à cette théorie ne
trouble pas le moins du monde la psychologie moderne, et elle ne craint même
pas d’interpréter les formes fondamentales de la pensée, les lois de la logique,
comme les traces d’habitudes héritées à la naissance. Ce faisant, on en arrive
bientôt à nier ce qui fait de l’entendement ce qu’il est, en le ramenant à de
simples nécessités biologiques, si tant est que la psychologie puisse jamais y
parvenir sans se détruire elle-même.

(1) Cette précision est nécessaire dans la mesure où il existe également


aujourd’hui des formes plus inoffensives de psychanalyse, ce qui ne veut pas
dire que nous entendons par là justifier une forme quelconque de
psychanalyse.

(2) Il y a une règle selon laquelle quiconque pratique la psychanalyse doit


auparavant avoir subi lui-même la psychanalyse. D’où la question de savoir qui
a inauguré cette série, qui imite étrangement la « succession apostolique ».

(3) Il en résulte généralement un cercle vicieux, puisque le déséquilibre


psychique engendre une intoxication physique, laquelle à son tour entretient le
trouble psychique.

(4) Si les cas de possessions (qui exigent bien entendu des rites d’exorcisme)
sont devenus plus rares, c’est sans doute parce que les influences
démoniaques, n’étant plus « endiguées » comme jadis par le barrage de la
religion universellement adoptée, peuvent dès lors exercer leurs effets plus
librement, sous une forme « diluée » ». (Titus Burckhardt, Science moderne et
Sagesse traditionnelle, Chap. 4 : Psychologie moderne et sagesse
traditionnelle, éd. Archè, 1986, pp. 94-97).

Au niveau des examens médicaux approfondis (analyses biologiques,


physiologiques, neurologiques, …), beaucoup de cas de schizophrénie et de
bipolarité ne révèlent rien d’anormal et sont incapables d’en déceler les causes
profondes, qui sont avant tout psychiques et souvent en lien avec le monde
occulte. L’écoute du Qur’ân, de formules et chants sacrés et traditionnels
permet dans bien des cas d’apaiser les âmes, de soigner les maux psychiques
ou d’en limiter du moins les dégâts.

  

René Guénon avait bien cerné les enjeux autour du satanisme, quand il écrivait
ceci : « Il est convenu qu’on ne peut parler du diable sans provoquer, de la part
de tous ceux qui se piquent d’être plus ou moins « modernes », c’est-à-dire
l’immense majorité de nos contemporains, des sourires dédaigneux ou des
haussements d’épaules plus ou moins méprisants encore ; et il est des gens
qui, tout en ayant certaines convictions religieuses, ne sont pas les derniers à
prendre une semblable attitude, peut-être par simple crainte de passer pour «
arriérés », peut-être aussi d’une façon plus sincère. Ceux-là, en effet sont bien
obligés d’admettre en principe l’existence du démon, mais ils seraient fort
embarrassés d’avoir à constater son action effective ; cela dérangerait par trop
le cercle restreint d’idées toutes faites dans lequel ils ont coutume de se
mouvoir. C’est là un exemple de ce « positivisme pratique » auquel nous avons
fait allusion précédemment : les conceptions religieuses sont une chose, la «
vie ordinaire » en est une autre, et, entre les deux, on a bien soin d’établir une
cloison aussi étanche que possible ; autant dire qu’on se comportera en fait
comme un véritable incroyant, avec la logique en moins ; mais quel moyen de
faire autrement, dans une société aussi « éclairée » et aussi « tolérante » que
la nôtre, sans se faire traiter à tout le moins d’ « halluciné » ? Sans doute, une
certaine prudence est souvent nécessaire, mais prudence ne veut pas dire
négation « à priori » et sans discernement (…) si ce n’est pas encore une ruse
du diable que de se faire nier, il faut convenir qu’il n’y a pas trop mal réussi (…)

Le diable n’est pas seulement terrible, il est souvent grotesque ; que chacun
prenne cela comme il l’entendra, suivant l’idée qu’il s’en fait ; mais que ceux qui
pourraient être tentés de s’étonner ou même de se scandaliser d’une telle
affirmation veuillent bien se reporter aux détails saugrenus que l’on trouve
inévitablement dans toute affaire de sorcellerie, et faire ensuite un
rapprochement avec toutes ces manifestations ineptes que les spirites ont
l’inconscience d’attribuer aux « désincarnés ».

En voici un échantillon pris entre mille : « On lit une prière aux esprits, et tout le
monde place ses mains, qui sur la table, qui sur le guéridon qui lui fait suite,
puis on fait l’obscurité… La table oscille quelque peu, et Mathurin, par ce fait
annonce sa présence (…) ».

Il serait difficile d’imaginer quelque chose de plus puéril ; pour croire que les
morts reviennent pour se livrer à ces facéties de mauvais goût, il faut
assurément plus que de la naïveté ; et que penser de cette « prière aux esprits
» par laquelle débute une telle séance ? Ce caractère grotesque est
évidemment la marque de quelque chose d’un ordre fort inférieur ; même
lorsque la source en est dans l’être humain (et nous comprenons dans ce cas
les « entités » formées artificiellement et plus ou moins persistantes), cela
provient des plus basses régions du « subconscient » ; et tout le spiritisme, en
y englobant pratiques et théories, est, à un degré plus ou moins accentué,
empreint de ce caractère. Nous ne faisons pas d’exception pour ce qu’il y a de
plus « élevé », au dire des spirites, dans les « communications » qu’ils
reçoivent : celles qui ont des prétentions à exprimer des idées sont absurdes,
ou inintelligibles, ou d’une banalité que des gens complètement incultes
peuvent seuls ne pas voir ; quant au reste, c’est de la sentimentalité la plus
ridicule.

Assurément, il n’y a pas besoin de faire intervenir le diable pour expliquer de


semblables productions, qui sont tout à fait à la hauteur de la « subconscience
» humaine ; s’il consentait à s’en mêler, il n’aurait certes aucune peine à faire
beaucoup mieux que cela. On dit même que le diable, quand il veut, est fort
bon théologien ; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s’empêcher de laisser
échapper quelque sottise, qui est comme sa signature ; mais nous ajouterons
qu’il n’y a qu’un domaine qui lui soit rigoureusement interdit, et c’est celui de la
métaphysique pure (…).

Mais revenons aux divagations de la « subconscience » : il suffit que celle-ci ait


en elle des éléments « démoniaques », au sens que nous avons dit, et qu’elle
soit capable de mettre l’homme en relation involontaire avec des influences qui,
même si elles ne sont que de simples forces inconscientes par elles-mêmes
n’en sont pas moins « démoniaques » aussi ; cela suffit, disons-nous, pour que
le même caractère s’exprime dans quelques-unes des « communications »
dont il s’agit. Ces « communications » ne sont pas forcément celles qui, comme
il y en a fréquemment, se distinguent par la grossièreté de leur langage ; il se
peut que ce soient aussi, parfois, celles devant lesquelles les spirites tombent
en admiration (…)

Si le diable peut être bon théologien quand il y trouve avantage, il peut aussi, et
« à fortiori », être moraliste, ce qui ne demande point tant d’intelligence ; on
pourrait même admettre, avec quelque apparence de raison, que c’est là un
déguisement qu’il prend pour mieux tromper les hommes et leur faire accepter
des doctrines fausses. Ensuite, ces choses « consolantes » et « moralisantes »
sont précisément, à nos yeux, de l’ordre le plus inférieur, et il faut être aveuglé
par certains préjugés pour les trouver « élevées » et « sublimes » ; mettre la
morale au-dessus de tout, comme le font les protestants et les spirites, c’est
encore renverser l’ordre normal des choses ; cela même est donc « diabolique
», ce qui ne veut pas dire que tous ceux qui pensent ainsi soient pour cela en
communication effective avec le diable.

A ce propos, il y a encore une autre remarque à faire : c’est que les milieux où
l’on éprouve le besoin de prêcher la morale en toute circonstance sont souvent
les plus immoraux en pratique ; qu’on explique cela comme on voudra, mais
c’est un fait ; pour nous, l’explication est toute simple, c’est que tout ce qui
touche à ce domaine met en jeu inévitablement ce qu’il y a de plus bas dans la
nature humaine (…)

Nous n’avons voulu qu’apporter ici quelques faits, que chacun soit libre
d’apprécier à son gré ; les théologiens y verront probablement quelque chose
de plus et d’autre que pourraient y trouver de simples « moralistes ». En ce qui
nous concerne, nous ne voulons pas pousser les choses à l’extrême, et ce
n’est pas à nous qu’il appartient de poser la question d’une action directe et «
personnelle » de Satan ; mais peu importe, car, quand nous parlons de «
satanisme », ce n’est pas ainsi que nous l’entendons. Au fond les questions de
« personnification », si l’on peut s’exprimer ainsi, sont parfaitement indifférentes
à notre point de vue ; ce que nous voulons dire est tout à fait indépendant de
cette interprétation particulière aussi bien que de toute autre, et nous
n’entendons en exclure aucune, sous la seule condition qu’elle corresponde à
une possibilité. En tout cas, ce que nous voyons dans tout cela, et plus
généralement dans le spiritisme et les autres mouvements analogues, ce sont
des influences qui proviennent incontestablement de ce que certains appellent
la « sphère de l’Antéchrist » ; cette désignation peut encore être prise
symboliquement, mais cela ne change rien à la réalité et ne rend pas ces
influences moins néfastes. Assurément, ceux qui participent à de tels
mouvements, et même ceux qui croient les diriger, peuvent ne rien savoir de
ces choses ; c’est bien là qu’est le plus grand danger, car beaucoup d’entre
eux, très certainement, s’éloigneraient avec horreur s’ils pouvaient se rendre
compte qu’ils se font les serviteurs des « puissances des ténèbres » ; mais leur
aveuglement est souvent irrémédiable, et leur bonne foi même contribue à
attirer d’autres victimes ; cela n’autorise-t-il pas à dire que la suprême habileté
du diable, de quelque façon qu’on le conçoive, c’est de faire nier son
existence ? ». (René Guénon, L’erreur spirite ; chap.10 : La question du
satanisme, éd. Etudes Traditionnelles, 1991).

René Guénon avait encore une fois vu juste, lorsqu’il dit : « Un autre point qui est à
retenir, c’est que les Supérieurs Inconnus, de quelque ordre qu’ils soient, et quel que
soit le domaine dans lequel ils veulent agir, ne cherchent jamais à créer des «
mouvements », suivant une expression qui est fort à la mode aujourd’hui ; ils créent
seulement des « états d’esprit », ce qui est beaucoup plus efficace, mais peut-être un
peu moins à la portée de tout le monde. Il est incontestable, encore que certains se
déclarent incapables de le comprendre, que la mentalité des individus et des
collectivités peut être modifiée par un ensemble systématisé de suggestions
appropriées ; au fond, l’éducation elle-même n’est guère autre chose que cela, et il n’y
a là-dedans aucun « occultisme ». Du reste, on ne saurait douter que cette faculté de
suggestion puisse être exercée, à tous les degrés et dans tous les domaines, par des
hommes « en chair et en os », lorsqu’on voit, par exemple, une foule entière
illusionnée par un simple fakir, qui n’est cependant qu’un initié de l’ordre le plus
inférieur, et dont les pouvoirs sont assez comparables à ceux que pouvait posséder un
Gugomos ou un Schroepfer (1). Ce pouvoir de suggestion n’est dû, somme toute,
qu’au développement de certaines facultés spéciales, quand il s’applique seulement
au domaine social et s’exerce sur l’ « opinion », il est surtout affaire de psychologie :
un « état d’esprit » déterminé requiert des conditions favorables pour s’établir, et il faut
savoir, ou profiter de ces conditions si elles existent déjà, ou en provoquer soi-même la
réalisation. Le socialisme répond à certaines conditions actuelles, et c’est là ce qui fait
toutes ses chances de succès ; que les conditions viennent à changer pour une raison
ou pour une autre, et le socialisme, qui ne pourra jamais être qu’un simple moyen
d’action pour des Supérieurs Inconnus, aura vite fait de se transformer en autre chose
dont nous ne pouvons même pas prévoir le caractère. C’est peut-être là qu’est le
danger le plus grave, surtout si les Supérieurs Inconnus savent, comme il y a tout lieu
de l’admettre, modifier cette mentalité collective qu’on appelle l’ « opinion » ; c’est un
travail de ce genre qui s’effectua au cours du XVIIIème siècle et qui aboutit à la
Révolution, et, quand celle-ci éclata, les Supérieurs Inconnus n’avaient plus besoin
d’intervenir, l’action de leurs agents subalternes était pleinement suffisante. Il faut,
avant qu’il ne soit trop tard, empêcher que de pareils événements se renouvellent, et
c’est pourquoi, dirons-nous avec M. Copin-Albancelli, « il est fort important d’éclairer le
peuple sur la question maçonnique et ce qui se cache derrière » ». (René
Guénon, Réflexions à propos du « Pouvoir Occulte », 11 Juin 1914, La France
antimaçonnique).

Vous aimerez peut-être aussi