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Stephen Chauvet, 1885-1950

In: Journal de la Société des océanistes. Tome 7, 1951. pp. 219-222.

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Stephen Chauvet, 1885-1950. In: Journal de la Société des océanistes. Tome 7, 1951. pp. 219-222.

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CHRONIQUE

NECROLOGIE

Stephen CHAUVET (1885-1950). — Notre confrère, le docteur Stephen


Ghauvet, né le 27 novembre 1885, à Béthune (Pas-de-Calais) était normand
d'origine, riche d'une magnifique hérédité scientifique et intellectuelle. Son père
inventa la lampe à arc ; découvrit le « treuil Chauvet » qui révolutionna les
conditions d'exploitation des mines; construisit le premier carburateur d'auto;
son grand-père assécha les marais de la Somme. Entraîné dans ce courant, très
jeune, Stephen Chauvet manifesta une vivacité d'intelligence dont on rencontre
peu d'exemples. Lauréat au concours général, bachelier de philosophie à 15 ans,
le naturaliste Mangin, directeur du Muséum, frappé par ses dons d'observation,
l'arrache à la préparation de Polytechnique pour l'orienter vers la médecine
et les sciences naturelles. Tour à tour élève de Henri Roger, de Manouvrier,
de Sergent, de Babinski et de Dupré, il achève de brillantes études par un
internat à Paris (1909-1914). Le nombre de récompenses qu'il recueille au
cours de ses années de médecine est exceptionnel. Il jongle avec les titres
de lauréat de la Faculté, de l'Académie de Médecine, les prix de thèses, les
médailles d'Or de l'Assistance publique. La liste de ses publications professionn
elles ne comprend pas moins de 300 titres — articles de mise au point et
revues générales sur divers sujets de médecine, aussi bien que livres et travaux
originaux exposant ses découvertes médicales. Et cela, malgré un état de santé
déplorable. Parti au front en août 1914, le docteur Chauvet avait été blessé dès
le 4 septembre 1914, à Saint-Maurice, dans les Vosges, d'un éclat d'obus qui
détermina une hémiplégie gauche et lui occasionnera des douleurs chroniques
dont il eut à souffrir plus ou moins sévèrement tout le reste de son existence.
Chauvet était le type de ces médecins humanistes qui semblent posséder un
don d'ubiquité intellectuelle et dont les curiosités polyvalentes s'achèvent tou
jours, — note de 3 pages ou gros volume in-folio — en études précises.
Depuis le jour où, après la guerre 1914-18, il obtint de la veuve du com
mandant Bertrand, revenant de Zinder, une petite statuette féminine du Soudan
et un masque double, Chauvet fut touché par la grâce de l'art nègre et par le
démon de la collection. De 1920 à 1935, quinze années durant, il sera un des
plus sûrs animateurs de ce mouvement qui oriente l'opinion publique vers les
arts indigènes et en particulier vers celui des Mers du Sud qui nous intéresse
au premier chef. Avec ce surprenant bonheur qui récompense parfois le flair
des collectionneurs passionnés et persévérants, il s'impose tout de suite à cette
corporation si jalouse et si fermée par un coup de filet qui fait de lui un prince :
l'achat de la collection océanienne Festetics de Tolna. Ce riche et noble Hongrois
avait circulé dans le Pacifique, sur un yacht personnel, à la fin du XIX6 siècle.
Et il en avait rapporté beaucoup de « solivenirs ». Ces souvenirs, après guerre,
se trouvaient sous séquestre — il était sujet Autrichien — dans sa propriété des
Eucalyptus sur la Côte d'Azur. Après mille démarches, Chauvet fut assez heu-
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reux pour rentrer en possession de cette collection, si importante, qu'il fut obligé
de louer une remise boulevard de Grenelle pour l'entreposer en attendant qu'il
pût lui trouver un gîte dans un étage de son logis de la rue de Grenelle, dans
cette vieille maison dont il avait fait un musée et où de nouvelles pièces
venaient sans cesse trouver un cadre digne d'elles. Pour l'Océanie, c'est surtout
dans les musées des missions, dans la collection Oldman, chez des marchands
d'Anvers, de Bruxelles ou de Hambourg qu'il découvrit ses plus chers trésors :
sans compter les achats français, effectués ici ou là, en province, ou à Paris,
chez le Père Moris, chez Heyman. C'est Chauvet qui recueillit, à la vente Loti,
en janvier 1929, les objets rapportés de l'île de Pâques par l'auteur de Rarahu...
Ainsi se forma une collection, sans doute une des plus belles de France.
Mais la passion de Chauvet est communicative. Son intérêt pour l'art indi
gène se traduit par du prosélytisme, et anime de nombreuses manifestations.
C'est lui qui, au début de l'hiver 1923-1924, conçoit, écrit et édite, en toute hâte,
le guide de l'exposition consacrée aux arts indigènes des colonies françaises au
Pavillon de Marsan. Déjà il bataille pour un « musée colonial », un Tervueren
français « pour l'instruction de nos compatriotes » et rêve d'un musée suscept
iblede provoquer, « chez de nombreux adolescents, l'éclosion d'une vocation
coloniale ». Il est du reste curieux, à lire ce catalogue, de voir à quoi se résume
alors « l'art océanien ».
Le succès de cette exposition fut tel qu'il s'en dégagea l'indication formelle
d'organiser, de temps en temps, de semblables manifestations consacrées aux
arts dits sauvages. Et ses promoteurs songent à une exposition plus vaste. Il
faudra sept ans pour qu'elle se réalise. Pendant ces années, les collectionneurs
commencent de découvrir l'Océanie en tant que province artistique et font le
départ entre l'art et la curiosité ethnographico-scientifiques jusqu'alors prépon
dérantes en ces matières. « II n'y avait guère, a écrit Chauvet, avec deux ou trois
autres, que MM. Breton, Éluard, Moris, Rupalley, Tuai, et le soussigné qui
eussent le goût pervers d'apprécier semblables œuvres... Il a sum de cette expos
ition et de deux ventes à l'Hôtel Drouot [il s'agit sans doute des ventes Roland
Tuai et Rupalley], pour que des goûts nouveaux germassent chez maints colle
ctionneurs ».
En février 1930, il participe à l'Exposition d'Art Nègre qui présente près de
400 pièces de « très bonne qualité » — et dont quelques-unes sont même
« triomphales » — dans la Galerie du Théâtre Pigalle. Mais il se plaint que bien
des navets côtoient ces « pièces triomphales », hélas ! mal présentées, manquant
d'explications, de logique, d'indications de provenance. Il regrette que les collec
tions de province ne soient pas représentées, et que l'on n'offre qu'un maigre
échantillonnage des collections parisiennes, 52 sur 147, qu'il a repérées. Tout
cela, déjà magnifique, lui paraît bien maigre au prix de son but, « faire de
Paris le centre du mouvement en faveur des arts indigènes ».
Trois mois plus tard, c'est une Exposition d'Art Océanien des colonies fran
çaises, à la Galerie de la Renaissance, dont la préparation lui demande plusieurs
semaines de travail et de nombreux voyages en province. A la fin de cette même
année, il participe à l'Exposition d'Art Nègre au Palais des Beaux-Arts de
Bruxelles pour faire connaître l'art des colonies françaises.
Cette même année 1930, l'amitié du Maréchal Lyautey et du Gouverneur génér
alAntonetti lui méritent la charge de réaliser, dans le cadre de l'Exposition
Coloniale, au Palais de Synthèse, une Exposition des Arts Indigènes de toutes
CHRONIQUE. *2*2 1
les colonies françaises. La préparation de ces salles lui demanda neuf mois de
travail. Mais les résultats le payeront de ces efforts. C'est lui aussi qui, à la
demande du Gouvernement de l'A. E. F. réali§e l'Exposition d'Art Nègre au
pavillon de cette colonie.
Et comme il ne sépare pas, dans sa ferveur, la musique des arts plastiques,
c'est lui qui organisa la soirée de gala donnée le 17 octobre 1931 par l'Institut
International pour l'étude des langues et civilisations africaines au cours de
laquelle il fait entendre des airs et des chants de véritable musique nègre. Les
2.000 personnes présentes furent surtout frappées par les chœurs de chanteurs
noirs, accompagnés par des instrumentistes de leurs pays respectifs, que le
docteur Stephen Chauvet avait sélectionnés parmi les soldats indigènes du camp
de Saint-Maur, et qu'il était allé exercer durant des mois.
Tout en collectionnant pour lui-même, Chauvet songe aussi aux musées fran
çais et se montre très généreux avec eux. En février 1929, il fait don d'une
très grosse collection d'objets d'art et d'armes, africains ou océaniens, au Musée
du Trocadéro qui le compte parmi ses bienfaiteurs insignes, et a gravé son
nom dans le hall d'entrée. Le Musée Ethnographique de Rouen (1931), celui
de Lyon (1930), le Musée de la Marine à Brest (1931-1932), le Musée Ethno
graphique de Cherbourg (1933), furent également l'objet de ses largesses. Mais,
parmi les musées de province, c'est certainement le Musée Lafaye, de La Rochelle,
que dirige avec autant d'entrain et de compétence que d'ingéniosité notre ami
le docteur Loppé, qui est l'objet de ses soins les plus attentifs. Une salle de ce
musée porte son nom, en souvenir de nombreuses donations.
Ses goûts le mettent en rapport avec tout ceux qui, entre les deux guerres,
s'intéressent aux arts indigènes : antiquaires comme Pierre Loeb, rue de Seine;
Paul Guillaume, rue de La Boétie; Le Vel, qui habite les quais; Bêla Hein,
antiquaire de la rue des Saints-Pères; et aussi avec les purs collectionneurs dont
le docteur Poncetton, médecin lettré, à ses heures journaliste au Figaro et aux
Débats, et Francis Fénéon, sont Ie3 plus notoires.
Après l'Exposition Coloniale, les goûts du docteur Chauvet s'affirment par
de grandes publications. C'est d'abord son volume sur l'Art de la Nouvelle-
Guinée; puis c'est un ouvrage où il veut rassembler toute notre documentation
sur l'île de Pâque3.
Ces travaux se ressentent un peu de la rapidité avec laquelle ils sont exé
cutés. Les techniciens y découvrent quelques imperfections, les missionnaires
des localisations un peu hâtives ou erronées. Nous sommes loin, peut-être, des
grandes publications de Van den Steinen et de Sarazin. Il jette toute sa docu
mentation sur papier avec une facilité et un brio tout français. Mais malgré
leurs imperfections, ce sont cependant des œuvres qu'il est bon d'avoir sous la
main et que l'on consulte. Son ouvrage sur « la médecine dans les peuples pri
mitifs », fut originellement un des premiers chapitres d'une Histoire de la Médec
ine.
La guerre et un mauvais état de santé interrompirent pratiquement les tra
vaux du docteur Chauvet. Il avait sur le chantier un « Art de Tahiti et de la
Polynésie française » qui n'alla pas au delà d'une première ébauche. Les ci
rconstances n'y prêtaient pas. De fait, il passa une bonne partie de la guerre à
Monpazier (Dordogne), où il avait acquis une maison au hasard d'un voyage.
Il mourut à Paris, le 2 avril 1950. Il était Commandeur de la Légion d'honneur.
Patrick O'Reilly.
SOCIETE DES OCEANISTES.

Bibliographie des travaux ethnographiques du docteur Stephen Chauvet

Stephen -Chauvet. Les arts indigènes des du 17 octobre (1931 lors du) Congrès de
colonies françaises. Paris, Maloine, 1923, Paris de l'Institut international des Lan
47 p., ill. gues et civilisations africaines. Paris, 1931,
Les enseignements d'une exposition 16 p., ill.
d'arts indigènes (Exposition du Pavillon de L'Art noir de l'Afrique équatoriale
Marsan, hiver 1923-1924). [Bulletin de française [réponse à une enquête]. (La
l'Agence générale des Colonies, Paris, Vie, Paris, 20e an., n" 5, 1er mars 1931,
17 an., n° 195, mars 1924, p. 499-507, ill.] p. 84-86.)
L'art en médecine indigène. (Le Pro Initiation à l'étude de l'art nègre. (Lyon
grès médical. Supplément illustré, Paris, universitaire, Lyon, 14e an., n° 101, avril-
nu 7, 1924, p. 49-52, ill.) mai 1931, p. 3-10, ill.)
La musique nègre, Paris. Éditions géo Les origines mystérieuses des habitants
graphiques, maritimes et coloniales, 1929. de l'île de Pâques. (Atlantis, Vincennes,
6e
Sur l'art de l'Archipel des Salomon, en an., n° 45, janv.-fév. 1933, p. 66-70.)
général, et celui, inconnu, d'une de ses Musiques et chants nègres. (Visages du
îles an.,
4e : îlen°Trésorerie.
2-3, mars-avril
(Cahiers1929,
d'Art,
p. 83-90,
Paris, monde, Paris, n° 4, 15 avril 1933, p. 78-
86, ill.)
Ul.) L'Art funéraire au Gabon. (L'Immacul
À propos de l'exposition à la Galerie ée, Castres, 3e an., n° 8, janv. 1933, p. 8-
Pigalle, à Paris. Les arts indigènes d'Afri 11, pi. hors-texte.)
L'Art funéraire au Gabon. Paris, Mal
que
2e an.,et n°d'Océanie.
12, 15 avril
(Variétés,
1930, p.Bruxelles,
849-855, oine, 1934 [4] 4 [2] p., 6 pi. hors-texte,
5 pi. hors-texte, ill.) 8°.
Considérations sur les Expositions d'art * Présentation d'un hameçon archaïque de
africain l'île de Pâques. (Bulletin de la Société
n° 9, 1eret océanien. mai 1930, (La
p. Vie, Paris, 19e an.,
185-189.) préhistorique française, Paris, mars 1935.)
Objets d'or, de bronze et d'ivoire dans L'île de Pâques et ses mystères. La pre
l'art nègre. (Cahiers d'art, Paris, 5e an., • mière étude réunissant tous les documents
1930, n° 1, p. 33-40, ill.) connus sur cette île mystérieuse. Préface
Les arts indigènes en Nouvelle-Guinée. du Dr E. Loppé. Paris, éditions Tel, 1935,
Paris, Éditions géographiques, 1930, 350 86 p., 68 pi. hors-texte, [8] p., ill., bi-
+ 114 p. in-4°, ill. bliogr., in-4°.
Musique et Arts nègres en A. E. F. (Le La isla de Pascua, y sus misterios; tra-
Sud-Ouest économique, Bordeaux, n° 202, duccion especial de Raula S. Castro. San
sept. 1930, p. 987-997, ill.) tiago de Chile, Zig-Zag, 1946, 9, 461 p.,
Repris et augmenté dans : Apollon, Paris, pi. hors-texte, cartes, fac sim., bibliogr. 8°.
juillet 1931, p. 1-39, ill. (Colleccion : Viajes y panoramas.)
Musique et chants des nègres. (Pr La Médecine chez les peuples primit
ogramme-Catalogue de la) soirée de gala ifs.Paris, Maloine, 1936, 125 p., ill.

TRAVAUXET RECHERCHES EN COURS

Commission du Pacifique-Sud. — La Commission du Pacifique Sud pours


uit ses travaux sur les trois plans de son programme : développement sani
taire, développement économique et développement social des sociétés indi
gènes des mers du Sud. Elle a tenu sa septième session à Nouméa, le 28 avril
1951, en présence de représentants des six gouvernements membres. D'ores et
déjà, la Commission prépare la seconde Conférence du Pacifique Sud qui doit
avoir lieu en 1953.
Sur le plan sanitaire, la Commission a fait le point des diverses réalisations :
Miss Sheila Malcolm et le Dr. E. Hipsley ont préparé en collaboration deux

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