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Goût du terroir et tourisme vert àl'heure de l'Europe

Author(s): Jean Pierre Poulain


Source: Ethnologie française, nouvelle serie, T. 27, No. 1, PRATİQUES ALİMENTAİRES ET
İDENTİTÉS CULTURELLES (Janvier-Mars 1997), pp. 18-26
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40989824 .
Accessed: 21/06/2014 05:36

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Goûtdu terroir
ettourisme
vertà l'heurede l'Europe

JeanPierrePoulain
de ToulouseLe Mirail
Université

I RÉSUMÉ
L'intérêt
pourles culturesrégionaleset les traditions
gastronomiques localespeutêtrelu commeunecompensation à l'in-
dustrialisation
de la sphèrealimentaireet unerésistanceà la constructionde l'identité
européenne. Dans untelcontexte,
le tourismevertet sa composantegastronomique, l'occasiond'uneredéfinition
qui offre de la missiondes agriculteurs et
du monderural,peutjouer un rôle régulateur face aux angoissesde dilutiondes identitésnationalesdans l'entitéeuro-
péenne.
Mots clés : Alimentation.Europe. Identité.Tourisme.Tradition.

JeanPierrePoulain
Responsablede la Cellule RechercheIngénierie
Tourisme, Hôtellerie,Alimentation
Maison de la recherche
5 allées Antonio-Machado
31058 Toulouse Cedex 1

Expressionde l'identité culturelle1 de la régionvisi- rellerégionaleet la ré-appropriation des composantes


tée pourles uns,moyende promouvoir des produc- de l'identitéfrançaise, il estsusceptible l'in-
de faciliter
tionsagricolespourles autres,surle thèmedes gas- tégration dansl'entitéeuropéenne.
tronomies régionales convergent le désir des
consommateurs et l'intérêt
des opérateurs du tourisme
rural.L'éditiond'ouvragesde cuisinerégionales'em- I Une d'intérêts
balle,le ministère de la culturecommandite uninven- convergence
tairedu patrimoine gastronomique des provincesfran- Le tourismevertamènele vacancierau cœurdes
çaises, les grands chefs étoiles se lancent dans la régionset le meten contactavec leurscomposantes
« nouvellecuisinede terroir » ; plus modestement les naturelles(les siteset leur écologie,flore,faune...),
Logis de Francetentent de revivifier quelques plats architecturales (habitatprofane etsacré),leurstissuséco-
régionaux. Le débat sur l'Europe de 1993 a vu le nomiques et sociaux (paysannerie, leurs
artisanat...),
camembert au laitcrus'érigeren « totem» de la nation coutumeset traditions, plus ou moinsvivantes,en un
française et les débordements qui accompagnent régu- motleurculture.La cuisineet les manièresde table,
lièrement les négociationsagricolesdu GATT,pren- parcequ'ellessonttoutà la fois,lieude lectureetd'ex-
nentpourciblesexpiatoires les restaurants Mac Donal- pressiond'uneidentité régionale,constituent unecom-
d's et réactualisentdes comportementssociaux, posanteessentiellede cetteformede tourisme.
- « attaque» defastfood,« immolation » de drapeaux Face à la dévitalisationdes zones rurales,consé-
américains - que l'on croyaitdisparusde nos espaces quencede l'augmentation de la productivitéagricole,de
culturelsoccidentaux.Derrièreces phénomènes éco- la concentration des exploitations dansles zonesoù la
nomiqueset sociauxse repèrent les signes,et parfois mécanisation estla plusaisée,le développement d'une
les symptômes, d'unecriseidentitaire qui trouvedans activité touristique peutêtrede nature à fixerou re-dyna-
la sphèrealimentaire, malmenéeparl'industrialisation,miserun tissuéconomiqueet social,dansdes espaces
unlieude cristallisation. Dans ce contexte, le tourisme en voie de désertification.
vertpeutjouerunrôlerégulateur. Il offrel'opportunité Le tourismese pose en moteurd'unepolitiquede
d'unredéploiement du monderuralsur de nouvelles conservationet d'entretien des paysages. Certaines
activitéspéri-agricoles, pouvantconduireà une redé- zones ruralespourraient trèsvitedevenirécologique-
finitionpartiellede la missiondes agriculteurs. Dans mentfragiles, si l'habitattraditionnelse transforme en
le mêmetemps,parla rencontre de la diversitécultu- résidences secondaires etles espacescultivésen friches.

Ethnologie
française, et identités
XXVII,1997,1,Pratiquesalimentaires p. 18 à 26.
culturelles,

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Goût du terroiret tourismevertà l'heurede l'Europe 19

Le tourisme peutêtreconsidéré commeunmédia.Non un brinde « patois», un soupçonde photosvieillies,


seulement il permetde vendredes marchandises (pro- quelquesanecdotessurles veilléeset le carnaval...la
duitsagricolesetartisanaux), ou des services(gîtes)au recetteest « inratable »...
momentdu séjour,maisil offrel'occasiond'accroître Les agriculteurs, confrontés aux problèmesde sur-
la notoriétéde produits régionaux, stimulant ainsileur production, sontcontraints à une reconversion quali-
commercialisation, en dehorsdes périodestouristiques, tative.Produiremoinssupposede vendreplus cher;
dansles réseauxtraditionnels. deuxstratégies nonexclusivesse dessinentalors:
Du cotédu client,le tourisme verts'intègre dansdes - créerdes alimentsde hautevaleursymbolique(pro-
logiquesde consommation diverses: duitsrares)d'où la nécessitéde les enraciner culturel-
- Résultantd'unesururbanisation des grandesmétro- lement,
poles,et d'unbétonnagedu littoral, le retourà la cam- - court-circuiterla filièrecommercialetraditionnelle
pagne,articulésurle thèmeplus ou moinsdiffusde distributeur)
(grossiste, ce que permetle tourisme vert,
l'écologie,est vécu commeun bain de jouvence,un dans ses diversescomposantes: campingà la ferme,
retourà un édenprimitif. ferme-auberge, gîtesruraux,ventedirecte...
- Les tarifsobjectivementattractifsde ce typede L'artisanatalimentaire, les PME agro-alimentaires
vacances,auxquelss'ajouteun universnonsollicitant, etviticolesnaturellement positionnés surles productions
rompent avec la récupération du « tempslibre» par localestrouvent ici unnouvelaxe de valorisation. « On
l'économique. mangebiendans les régionsfrançaises», nonseule-
- La recherche de « racines» concomitante à l'urbani- mentparcequ'onestprochedu lieude production, mais
sationorientela demandetouristiquesur le « patri- aussiparceque ceuxqui y viventsemblent gardiens d'un
moine»2; tantdansses composantes matérielles(archi- patrimoinegastronomique,peut-êtremême d'une
tecture,collectionsd'objets...),
qu'immatérielles (histoire « sagesse », dans laquelle intimement le sens et les
etethnologie régionales,artsettraditions populaires...). saveurss'entremêleraient.

I L'aliment,
unproduit
central I Les fonctions
de l'actealimentaire
Qu'ils soientliés à la production elle-même, comme Pourfaireémergerles significations qui s'attachent
les agriculteurs ou les viticulteursaccueillantdes tou- à la composantegastronomique de la demandesociale
ristesdansdes gîtes,en campingà la ferme, en fermes du tourisme vert,rappelons quelquesprincipes de socio-
auberges...ou à la transformation commeles hôteliers- logie de l'alimentation. L'hommese nourrit de nutri-
restaurateurs, les artisansdes métiersde bouche,les ments, (protéines,glucides,lipides,selsminéraux, vita-
gestionnaires de structurestouristiques,beaucoupd'opé- mines...),maisaussi de signes,de symboles,de rêves
rateursde « tourismevert» sont,de façonplus ou etde mythes. Les représentations sociales,les pratiques
moinsdirecte,en contactavec la filièrealimentaire. de distinction,les croyances, les coutumes, les mythes,
La gastronomie régionalese trouvedoncau cœurde ce le sensdu sacréorganisent l'ordredu mangeable,tout
marchédu touristique. autantque la nicheécologique,qui offreavec plusou
Sous l'impulsion de guidecommele « GaultetMil- moinsde générosité unegammed'aliments potentiels,
lau » (qui décernedes « Lauriersdu terroir»), ou le ou les structuressocio-économiques qui permettent leur
Champérard, (à qui l'on doit l'expression« nouvelle production, leurconservation, leurtransformation ou
cuisinede terroir»), les grandscuisiniersprofession- leur commercialisation. L'acte alimentaire convoque
nelsenfourchent, avec ardeur,le thèmede la « cuisine l'hommedanssa globalité,corporelle, psychologique et
de terroir». Des livresde cuisinesavanteadoptent une sociologique,il est un acte « humaintotal»4.
attituderésolument régionale3.Mais c'estaussi vraide Mangermobilisedes croyances,des structures ima-
la restauration de moyennegamme,voirede bas de ginairesfondamentales. D'un pointde vuepsychophy-
gamme.La chaînehôtelièreLogis de Franceorganise, siologique,le mangeurdevientce qu'il consomme.
depuis1989,unconcoursde cuisinerégionale parmises Mangerc'estincorporer, fairesiennesles qualitésde l'ali-
adhérents et éditeles meilleuresrecettes.Nombreuses ment.Ceci estvraid'unpointde vueobjectif; les nutri-
sontles structures institutionnelles liées au tourisme mentsdevenantle corpsmêmedu mangeur, maisaussi
(comitésrégionauxou départementaux de tourisme, du pointde vue imaginaire; le mangeurs'appropriant
officede tourisme,syndicatd'initiative, chambrede les qualitéssymboliques de l'aliment.Le cannibalisme
commerce...) qui communiquent et mobilisent les res- en estl'exempleidéal typique,que ce soitl'exo-canni-
taurateurs autourde cettethématique. balismequi consisteà consommer sa victimepours'ap-
Dans des versions« cuisinesde bonnesfemmes», il propriersa force,l'endo-cannibalisme qui chercheà
n'estplus une régionqui ne disposeaujourd'huid'un fairevivreà traverssoi le corpsdévoréde l'ancêtreou
livrede recettes« authentiques ». De la « tanteToi- de l'êtreaiméou encorele cannibalisme judiciairedans
nette», aux« secretsde nosfermesduPérigord Noir»... lequella miseà mortet la consommation d'unmembre

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déviantdu groupeconstitue unefaçonde « lefaireren- aussi vitalementessentielles que quotidiennes,se


trerdansVordre »5.Socialement plusprèsde nous,des construit le sentiment d'appartenance ou de différence
pratiques aussidiversesque le riteeucharistique catho- sociale. C'est par la cuisineet les manièresde table
lique ou l'usagedes appellationsculinairesde la gas- que s'opèrent sociauxfondamentaux,
les apprentissages
tronomie française post-révolutionnaire rendent compte etqu'uneculturetransmet etpermet de
l'intériorisation
de cettefonction.Alors que la noblesses'exile,que ses valeurs.Si l'alimentnourrit l'êtrebiologique,l'ali-
Louis XVI vientd'êtreguillotiné,la bourgeoisiequi mentcuisiné,quantà lui, nourrit le « corpssocial ».
accède au pouvoiret commandite la cuisinese régale Dès lors,aux grandesmutationsde l'organisation
de « Bouchée à la Reine », de « Consomméà la sociale correspondent des mutations culinaireset gas-
Royale», de « PoulardeRégence», de « FruitsCondé», tronomiques.
de « PotageConti». Ce faisant,elle « cannibalise»
métaphoriquement l'aristocratie,et incorpore la
« classe » (au sens de avoirde la classe), qui seule I La modernité
alimentaire
peut légitimerl'accession à cettepositionsociale à
laquelleelle aspire,depuisdéjà deuxsiècles,dansune Parmiles différents bouleversements qui affectent
attitudestigmatisée parle « BourgeoisGentilhomme » le comportement alimentaire occidental,deuxsontsus-
de Molière,et que la révolutionest en passe de lui ceptiblesd'éclairerl'intérêt portéau terroir : l'indus-
offrir(Poulain,85). de la sphèrealimentaire
trialisation et le basculement
Surle versantpsychosociologique, le mangeurs'in- du commensalisme versle vagabondagealimentaire.
sère dans une culture.L'aliment,la cuisine et les L'industrialisationcoupe le lien entrel'alimentet la
manières de table,parcequ'ilssontculturellement déter- nature.En mordant surles fonctionssocialesde la cui-
minés,incorporent le mangeur dansununiverssocial, sine,elle déconnectepartiellement le mangeurde son
dansunordreculturel. L'actealimentaire estfondateur universbio-culturel surlequels'articulel'appareilnor-
de l'identitécollectiveet du mêmecoup,de l'altérité. matifdu « système culinaire». L'industrialisation pos-
De RolandBarthes(1961) à PierreBourdieu(1979),de sède deuxversants:
Jean-Paul Aron(1976) à Claude Fischler(1990), sans
omettre biensûrClaude Lévi-Strauss(1964 et 1968), Industrialisation de la production
de nombreux travauxde perspectives théoriques diffé- La production animaleestsurce planparticulièrement
rentes,rendent comptede cettefonction de l'acteali- significativede la modernité alimentaire. Conçuesurun
mentaire. Qu'il soitperçucommesigne,emblèmeou modetaylorisé, alorsmêmeque ce modèleestprofon-
symbole, l'aliment insèrele mangeurdansun système démentrejetédansla sphèrede l'organisation des acti-
de significations. vitésproductives humaines,elle contribue à une cho-
sificationde l'animaldestinéà l'alimentation. Réduità
l'ordrede la matièrepremière,la viandes'en trouve
I Le culinaire; unoutild'identité désanimalisée, dévitalisée.Corrélativement etde façon
paradoxalement compensatoire, l'animalvivantà « l'état
« II n'existe
yà cejour,aucunecultureconnuequi soit de nature» s'entrouvepersonnifié. Volantles premiers
complètement dépourvue d'unappareilde catégorieet rôlesaux starsde cinéma,c'estlui qui nousdonnedes
de règlesalimentaires, qui ne connaisseaucunepres- leçonsd'éthique naturelle,commedansL'Ours,de Jean-
criptionou interdiction concernant ce qu'ilfautman- JacquesAnnaux; on estloindes fablesde La Fontaine
ger, et comment il »
fautmanger (Fischler,1990,p. 58). où les animauxpersonnifient des figureshumaines.
Qu'elless'articulent surdes logiquestotémique (Lévi- L'animalde compagniebénéficielui ausside cetteper-
Strauss,1962),sacrificielle (DétienneetVernant 1979), sonnification etdevientl'objetd'attentions exorbitantes
hygiéniste, ou esthétique7
rationaliste6 toutesles cultures (Fischler,1990 ; Digard,1991).Le marchéalimentaire
fixent un« ordredu mangeable». Elles classentles ali- animalierexploselittéralement (Neffusi,1989) et les
ments endeuxcatégories
potentiels : consommable - non du
spécialistes marketing explorent, avec le plusgrand
consommable,définissent les modalitésde mise en sérieuxdu monde,les « stylesde vies » de nos chiens
œuvredu meurtre alimentaire,de consommation des ali- et de nos chats.
de et
ments, partage d'échange ainsi que les relations Ce qui pourrait apparaître à première vue,commele
au divinetau surnaturel. Cetensemble de règles,de rites prolongement du phénomène de refoulement de la cor-
sacrés ou profanes,forme« le systèmeculinaire» poralité et du spectacle de la chair morte, identifié par
(Fischler1990,p. 78), organiseet structure la «filière Norbert Elias8(1939,p. 194-199)commele moteurdu
du manger» (Corbeau,1992) d'unesociétéconnectant « processusde civilisation», est sans douteplus fon-
le naturelau culturel.Ce faisantet de façonradicale, damentalement, le signed'unedésacralisation de l'ali-
l'acte alimentairefondel'identitéd'un groupe,dans mentation etde la difficulté à gérerle meurtre alimen-
l'originalité de sa connexion« bio-anthropologique » taire.Il traduitun bouleversement dans la perception
(Morin, 1973 et De Garine, 1991). Sur ces pratiques, de la placede l'homme moderne dansla nature etl'ordre

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etidentités

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dontla criseactuellede la « vache


desespècesanimales, production agricole)que de préparations culinaireset
folle» estunrévélateur
(Cazes-Valette,1996). de consommation. Dans ce contexte,le mangeurne
prendpas ou trèspeu de décisions.La tradition, les
L'industrialisation de la transformation règlessociales,religieuses...décidentpourlui. L'ali-
Le changement de valorisation sociale des activités mentation estdoncici « télérégulée », inséréedansun
ménagères amène les industries agro-alimentaires à se appareil normatif qui débordetrèslargementl'indi-
déployersurl'espaced'auto-production que représen- vidu.
taitla cuisinefamiliale.En proposantdes produitsde - « Le vagabondagealimentaire» se caractérise par
plusen plusprèsde l'étatde consommation, l'industrie une prisealimentaire plus fractionnée pouvantcom-
mordsurla fonction socialisatricede la cuisine,sans prendre des repasconviviauxstructurés, mais,aussiet
pourautantparvenir à l'assumer. Ce faisantl'aliment se surtout, des prisesalimentaires plus ou moinsindivi-
trouveperçuparle consommateur comme« manquant dualisées,toutau longde la journée.Il correspondrait,
d'identité», de « qualitésymbolique », comme« ano- quantà lui, à des biotopesdans lesquelsl'alimentest
nyme», « sans âme », « sortidu non-lieuindustriel », abondant,et des structures sociales plus lâches,plus
en unmotdésocialisé.Il estpossibled'emprunter à la détendues, laissantplusde place aux valeursde l'indi-
psychanalyse kleinienne la notionde «fantasmed'in- vidu. Dans ce contextele mangeurdoit régulerlui-
corporationdu mauvaisobjet » (Klein, 1952) pour mêmeson alimentation. Il est donccontraint de déci-
rendrecomptede l'angoissegénéréeparl'alimentation derce qu'il doitmangeret quandil doitle faire.
industrielle.L'incorporation qui estdéjà un acted'une La mise en évidencede ces deux structures com-
certainegravité, parceque répondant à des enjeuxà la portementales se réfèreà des champsculturelsaussi
fois vitauxet symboliques,s'accompagne,lorsqu'il diversque l'étudedes primates - primates arboricoles
s'agitd'unproduit industriel « sans identité », d'une le et
pro- pratiquant grappillage primates de la savanecom-
fondeanxiété.Sociologuesetpublicitaires se trouvent mensaux-, de l'anthropologie préhistorique - groupe
alorsconvoquéspourtenter d'endiguer le phénomène. de cueilleurspratiquantle vagabondage,société de
Les réponsespassentla plupartdu temps,parunenra- chasseurs,d'éleveursou d'agriculteurs pratiquant le
cinement affectif,ruralou culturel du produit; les cui- commensalisme -, ou encorede l'anthropologie reli-
sinesde terroir et la cuisinetraditionnelle paropposi- gieuse- l'édenoù l'alimentest à profusion et à dis-
tionétantvécuespar les consommateurs surle mode positionde l'hommeetla « terrede souffrance » où « il
du « bonobjet». Qu'onse réfèreaux imagessur-affec- fautgagnersonpain à la sueurde sonfront» -, (Mor-
tives de la « Tartelière», de la confiture« Bonne ris,1976,Fischler1979,Poulain,1985-1etPoulainet
Maman», à l'arbrede la tradition de « William Saurin» Neirinck,1988).
qui s'enracine simultanément dans le terroir et la cul- Jusqu'àun passé récent,la culturealimentaire des
turegastronomique française, ou encoreau « goûtdes Françaisétaitde typecommensal, de nombreux signes
chosessimples» d'Hertaqui flirtent avec la mémoire annoncentun déplacementvers le pôle du vagabon-
de nos vacances,si ce n'estde nos enfancescampa- dage.
gnardes.Le toutsurfondde mise en scènede trans- Conséquence de phénomènessocio-économiques
missionintergénérationnelle de valeursou de savoir- aussidiversque le travailféminin, la pratiquede la jour-
faire.(Poulain,1992). néecontinue, le moded'urbanisation des grandescités,
ou la baisse relativede la partdu budgetdes ménages
consacréeà l'alimentation au profitdes activitésde
I De la « gastro-anomie»... loisir,le comportement alimentairedes occidentaux
connaîtde profondesmutations qualitativesdontles
Prenant pourhypothèse que les formes de sont
pratiques principalescaractéristiques (Poulain, 1996-1) :
alimentaires se distribuent sur un continuum reliant - La déstructuration du repas traditionnel ; le repas
deuxgrandesstructures comportementales que seraient classique organiséen entrée-plat garni-fromage-des-
le commensalisme et le vagabondage,les mutations sert-caféest de plus en plus fréquemment remplacé
contemporaines peuvents'interpréter commeundépla- pardes combinaisons simplifiées (entrée-plat garniou
cementversle vagabondage. Présentons les deuxpôles platgarni-dessert ou encoreentrée-dessert). Dans les
de ce continuum : populationsd'actifsurbanisésle repasstructuré com-
- « Le commensalisme alimentaire » se caractérise par plet ne représenteaujourd'hui,qu'à peine 50 % des
un systèmede prisesalimentaires centrésurdes repas repasle midiet moinsde 40 % le soir.
structuréspris en commun 2 à 3 fois parjour,selondes - L'augmentation du nombrede prisesalimentaires
formesfortement ritualisées.Il correspondrait à des quotidiennes : entreles repasorganisésetrepéréssous
biotopesdanslesquelsl'alimentestrareet seraitasso- des nomsprécisparles mangeurs (petitdéjeuner, déjeu-
cié à des organisations sociales fortement codifiées, ner,dîner)se glissentdes prisesalimentaires plus ou
tantdansles opérations de conquêtealimentaire (chasse, moinsinstitutionnalisées. C'est le règnedébutant des

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coupe-faim, « crackers», barresetautresspécialitésde mationsetauxcyclesdes modesde l'économiede mar-


biscuiteries. ché,et authentique, paroppositionà l'artificiel de l'ur-
- La baissede la pressiondu groupe; la montéede l'in- banitéoù le « construit » prendle pas surle naturel.
dividualisme, réduction de la pressionde la structure Dans cet « espace authentique», les produitset les
familialeopèresinonunedéritualisation au moinsune pratiquesreposeraient surdes valeursd'usageetnondes
transformation de la ritualisation
de l'alimentationquo- logiques de distinction.Emergede la demandedu
tidienne. consommateur, une visionédéniquede la ruralité éle-
- Les succèsconsidérables de l'agronomie ontfaitbas- vée au rangd'universanthropologique d'harmonie des
culerle mondeoccidentald'ununiversde « l'aliment hommesentreeux et avec la nature.
rare» à un mondede surabondance.Dans le même Cettemythologie du « paradis culinaireperdue»
temps, le droità la nourritures'affirmecommeaussifon- convoquele sociologueet l'anthropologue dans une
damentalque le droità la santéet l'esthétique corpo- doubleperspective :
rellerenverseson modede distinction. - Se posenttoutd'abord,les conditionsde la partici-
Toutse passecommesi les mutations socialescontem- en scienceshumaines à la construc-
de la filièrealimentaire pationdu chercheur
poraineset l'industrialisation tionde « produitstouristiques » s'étayant surunetelle
venaientperturber l'appareilnormatif traditionnel
qui demande, lorsqu'ily estconviéparles opérateurs dutou-
correspond à des pratiques commensales. Commesi risme? La réponse,de touteévidence,passe par une
« le mangeurmoderne», confronté à un universde « subversion » de la demandepouren révélerles signi-
surabondance, et à des formessocialesdanslesquelles les fonctions socialesetfaireapparaître,
les valeursde l'individus'affirment de plus en plus fications, grâce
aux acquis de l'ethnologiede la France(Cuisenieret
importantes, se trouvait projetédansl'anomie9 (Fischler, Segalen, 1986) et de l'Europe(Cuisenier,1995), les
1979,Corbeau,1995,Rivière,1995)etavaità se recons- culturesdites« traditionnelles » sous un anglemoins
truire,une nouvelleculturealimentaire, une nouvelle
« gastro-nomie », capablede dénouerl'angoissede l'in- mythifiant.
- Sur le plan de la recherchefondamentale, au-delà
corporation. de l'émergence du tourisme(Corbin1995) et de l'ali-
mentaire (Poulain,1985 et 1996-3)commedes objets
anthropologiques autonomeset des réellesopportuni-
I ...à la mythologiedu terroir tésde valorisation des connaissancesqu'offre le déve-
loppement de ces formes de tourisme, les phénomènes
L'intérêtcontemporain pourles cuisinesde terroir sociaux qui l'accompagnent fournissent un matériau
est à restituer dansla nostalgied'un« espace social » de nourrir deux centralesdes
susceptible
où le mangeurvivaitsans angoisse,à l'abrid'unecul- sciencessociales l'identité thématiques
Dans ; et le changement.
tureculinaire clairement identifiéeetidentifiante.
un rapport de causalitécirculaire, la crisealimentaire Une approchesociologique,historique, anthropolo-
s'associeà unecriseidentitaire, renforcée parle contexte gique des cuisines régionales faitvoler en éclats la
de la construction et le risquede dilution vision folkloriste naïve. Les grandsplats embléma-
européenne
de la Francedansuneentitépluslarge.Dès lorsle culi- tiques de nos cuisinesditesde « terroir» utilisent,
nairedevientun lieu où se concentrent des enjeuxqui pour la plupartdes produitsoriginairesdu nouveau
dépassentle champde l'alimentaire. mondequi se sontinstallésdansune« nicheculinaire»
Avec l'urgencequi rappelle la frénésie des recen- existante avant leur introduction,c'est-à-direun
sionsethnographiques de culturesen voie de dispari- ensemblede représentations, de techniquesde prépa-
tiondes annéessoixante,les ministères de l'agricul- rationet de consommation construites surdes produits
tureet de la cultureont lancé, en 1990, un vaste autochtones. C'estle cas parexempledu haricotamé-
inventaire dupatrimoine gastronomique Dans ricainqui se glissedansle « cassoulet» languedocien
français10.
lesturbulences de la crisedumondeagricole, le Big Mac à la placede la « mougette », légumineuse traditionnelle,
incarnele degrézérode la culturegastronomique, l'an- originaire du bassinméditerranéen ou bienencorede
tithèsede la nourriture française, de la « vraienourri- la pommede terredansle « millassou» et la « farce-
ture»... Face à l'Europeen coursde constitution,le fro- dure» du limousin(Poulain1984 et 1996-2).
mage au laitcru émerge comme le symbole d'un enjeu La vitalitéd'unecuisinese caractérise par sa capa-
identitaire. citéà intégrer des produits nouveauxetdes influences
Le « terroir» est,dans les discoursspontanésdes culinairesen les traitant à sa manière,à sa « sauce »
consommateurs, maisaussisouventdes acteursdu tou- serait-on tentéde dire.C'estdansl'adaptation auxmuta-
rismeeux-mêmes, posé commeun « universtradition- tionsécologiques(pressiondu biotope,introduction de
nel », au sensnaïfdu termeque JeanCuisenierse pro- produits nouveaux),socio-économiques (évolutions des
pose de décoder dans un ouvrage récent (1995). techniques de production agricoles,de transformation,
C'est-à-dire : supposéstableet anhistorique fondésur de conservation...) etculturelles (changement des ima-
une tradition immuable,par oppositionaux transfor- ginairessociaux,des systèmesde valeurs,des rôles

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française, culturelles
et identités

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Goûtdu terroir
et tourisme
vertà l'heurede l'Europe 23

sociaux...)que s'exprime d'uneculture


l'originalité culi- lyse des particularismesalimentairesrégionauxfait
naire. apparaîtredes nuancesplus fines,que les spécialistes
nommeront les cuisinesde payset qui renvoient à des
sous-ensembles géographiques etculturelsde la région
et des départements.
Resituerles traditions
régionales
dansla gastronomie française
La gastronomie aristocratique de l'ancienrégimese I La cuisine,c'estplusque des recettes
caractérise par la distanciation à l'égardde la nécessité, On éviterale piège de la recherchede la « vraie
la noblesseaffirme son statutsocial parla consomma- recette» qui fixerait uneorthodoxie culinaire.Ce vain
tion de produitschers et lointains(les épices par
projetdes sectarismes régionaux stérilisel'espritdesgas-
exemple)et ce faisants'opposeaux pratiquesalimen- tronomieslocales en momifiantles plats dans des
tairespopulaires plussoumisesà la pressionde la niche recettesimmuables,alors qu'au contraireles non-dit
écologique.Avecle centralisme politiqueet l'installa- de la tradition orale ontpourfonctiond'accueillirles
tionde la courà Versaillesqui draineversla capitale variationsindividuelles et de permettre à la cuisinière
une grandepartiede l'aristocratie provinciale, la gas- ou au cuisinierde signerson œuvre,d'en marquer
tronomie française se fondesurle refoulement des pra-
l'époqueou le lieu.Parodiant ClaudeLévi-Strauss, nous
tiquesrégionaleset populaires.Touteréférence à une
poseronsque commele mythe,une recette« est la
régiondansles appellations culinairesne renvoyant au sommede ses variantes». Celles-ci dès lors cessent
mieuxqu'à l'originedu produit.Les régionsn'ontd'in- d'êtrelues commedes « déviances» et deviennent des
térêtque parles produits qu'ellesoffrent. Témoincette « versions» dontla fonction êtrede marquer,
sentencede Grimodde la Reynière: « La plus aimable pourrait
dansunedialectiqueintégration - différenciation, des
galanterieque les provinciaux puissentleurfaire(aux nuancesgéographiques, socialesou familiales.
Parisiens),est sans contredit une bourriched'huîtres Dès 1962,EdgarMorinrepérait la fonction touristique
dontle port est acquitté» (Grimodde la Reynière, de l'actealimentaire : « Le touriste n'estpas seulement
1802,p. 231). La bonnecuisinene sauraitse fairequ'à un spectateuren mouvement.... Il communique per-
Paris. sonnellement avec la contréevisitée, par quelquesmots
Si la cuisinebourgeoisepeutparaîtreplus marquée élémentaires etsalutations cérémonielles échangésavec
par son inscription régionale,elle est trèsdépendante les indigènes...Par quelques achats d'objetssymbo-
du modèlearistocratique qu'ellen'a de cesse de copier. liques dits souvenirs...,il s'appropriemagiquement
Cetteattitude se litdansles livresde cuisine,dès la fin l'Espagne ou l'Italie. Enfin,il consommel'êtrephy-
du 17 ème siècle. Massialot,cuisinierau servicede sique dupays visité,dans le repasgastronomique, rite
l'aristocratie,
inaugure, en 1692avec le CuisinierRoyal cosmophagede plus enplus répandu.» (Morin,1962,
etBourgeoiscettelonguetradition. La cuisinière Bour- p. 82 et 83).
geoise,publiéeen 1774parMenon,organisateur desfes- Le repastransforme le touristede spectateur enacteur,
tinsde Versailles, enestl'affirmation. Elle connaîtra plus il lui permetune rencontre intimeavec une autrecul-
de 30 éditionssuccessives.La bourgeoisieprovinciale turedansce qu'ellea de plusconcretet de plussavou-
a le goûtrivéversles pratiquesaristocratiques pari- reux,retrouvant la confusion de la saveur
siennes.Seulesles pratiquespaysannes, étymologique
parceque plus et du savoir.Le décodage,la miseen perspective his-
dépendantes du rapport à la nécessité, ontunesignature toriquedes rituelsde table (Rivière,1995 et Picard,
régionale. 1995), « posés commemiseen scènedes valeursfon-
La départementalisation révolutionnaire de 1793fait damentalesd'une culture» (Corbeau,1992), consti-
voleren éclatles anciennesprovinces.Apparaîtalors, tuentune « voie royale » vers sa compréhension.
un premiermouvement de régionalismede la table. « Parmitoutesles autres,on l'a vu,les consommations
Les traditions alimentaires, dans leurfonction emblé- alimentaires présentent uneparticularité essentielle:
matique,deviennent un lieu de résistanceculturelle. elles sontphysiquement et littéralement incorporées.
Le félibrige, etparla suiteles différents courantsfolk- C'estsans doutecetteintimité ultimede l'incorporation
loristes,verront en elles un des marqueurs fondamen- qui donneaux consommations orales uneprégnance
tauxde l'identité régionale, au mêmetitreque la langue symboliquetoutà faitparticulièreet qui contribueà
ou lespratiques vestimentaires. Fait,on nepeutpluspar- fairede l'alimentunesortede machineà voyagerdans
lant,lorsqueles pionniersdu félibrige, Mistral,Rou- l'espace social etdans l'imaginaire» (Fischler,1990).
manille, Aubanel...,fondent la revuequi deviendra l'or- Sous réservede sortird'unelecturemystifiante des
ganedu militantisme occitan,ils choisissent pour titre: cuisinesrégionales, qui,dansuneattitude régressive et
« L'Aïoli ». infantile,fermesimultanément à l'autreet au futur, le
En 1923,Austinde Crozetenteraun inventaire gas- tourisme vertet sa composante gastronomique peuvent
tronomiquedes provinces Petità petitl'ana-
françaises. participerà la réappropriation de notrehistoireali-

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française, et identités
culturelles

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24 Jean Pierre Poulain

mentaire,de ses composantes sociales et culturelles. Alors et alors seulement,il pourra dire avec Miguel
Le tourismepeut donc avoir une fonction« remémo- Torga : « l'universel,c'est le local moinsles murs». A
rative», selon l'expressionde Roland Barthes.Offrant l'heure où aux portes de l'Europe, les particularismes
les conditionsd'une véritableanamnèse,il aide le man- locaux s'exacerbent,il se pourraitque cettetâchene soit
geur moderne à comprendresa propre identitédans pas toutà faitinutile.
l'originalitéde son actualisation contemporaine et à
voir dans l'altérité l'enrichissementde la rencontre. J.-P.P., Toulouse

I Notes 2. Pourl'intérêt portéaux traditions


lairesvoirCuisenier,1995,pourle déve-
popu- mine à son tour les conditionsalimen-
taires aberrantes. » (Fischler, 1979, p.
loppement de l'histoirelocale et de la ges- 206). «... nous considérons l'anomie
tion du patrimoinepar les collectivités commeune béance institutionnelle rom-
1. Socio-anthropologue JeanPierrePou-
lain enseigneau Centred'étudedu tou- territoriales, Thuillier et Tulard, 1992. pant l'unanimité,voire la solidarité en
3. A titred'exemple voir Bras, 1992 et arrachantl'acteur à la reproduction de
risme et des industries de l'accueil normes coutumières.Il en résulte une
(CETIA) de l'Universitéde Toulouse Le Vanel, 1992.
créativitécollectiveou individuelle(dont
Mirail, établissementdans lequel il est 4. Selon l'heureuseexpressiond'Edgar certainesformesfurentou sontconsidé-
également responsable de la Cellule Morinprolongeant le conceptmaussiende rées commecatastrophiquesou patholo-
rechercheingénierie,tourisme,hôtelle- «fait social total» (Mauss, 1950 et Morin
rie, alimentation,(CRITHA). Avec Jean giques) orientéeversuneexpériencepos-
1973, p. 218). sible pour laquelle la conscience
PierreCorbeau, il co-anime,le Comité collective ne dispose d'aucun concept
de recherche n° 17 : Sociologieet anthro- 5. Pour un exposé des structures imagi-
nairesdu cannibalisme, voirJeanPouillon, régulateur. Dans uncontexte économique,
pologiede l'alimentation de l'Association
internationale des sociologuesde langue •1972. sociologique,idéologiquemarquépar les
6. C'est l'attitudeépistémologiquede la mutations,l'effondrement des grands
française(AISLF). La CRITHA poursuit consensus,la dilutionde referents tradi-
des recherches surl'évolution de pratiques diététiqueoccidentale.
alimentaires des Françaiset surles patri- tionnels,la réponsedes acteurssociaux
7. Partiprisde la gastronomie.
moinesgastronomiques en Europe et en s'organiseselon deux paradigmes: elle
8. NorbertElias interprète la disparition s'inscritdans un procès d'inventionaux
Asie du sud est. En collaborationavec le
progressive,à partirdu XVIIe siècle, du formesplurielles; elle peutaussi vouloir
département d'ethnologiede l'Université découpage des viandes,sur la table,par exorciserla crise comportementale. La
de Hué (Vietnam),elle termineun inven- le gentilhommelui-même,jusqu'à l'ai- la catégorisation et la mul-
taire des traditionsgastronomiquesdu classification,
guillettede canardcontemporaine qui ne tiplicationdes informations relativesau
CentreVietnam, qui s'inscritdansla dyna- nécessitemêmeplus l'usage du couteau, produitou aux techniquesdontil estl'ob-
mique de conservationdu patrimoine commeun « processusde civilisation» jet à différents stades de la filièresécu-
immatériel initiéeparGeorgesCondomi- risentalors le consommateurau même
croissante,qui, par un déplacementdu
nas,dansce pays.En septembre1997,un seuil de sensibilité, entraîneraitles titreque les normesqui lui sontproposées,
colloque international, sur le thèmedu
« Patrimoine du Vietnam » hommesà refoulerce qu'ils ressentent en soulignantet privilégianttelle ou telle
gastronomique eux-mêmescommeleur natureanimale. caractéristiquede l'aliment,au gré des
se tiendraà Hanoi, dans lequel seront découvertesscientifiquesou d'intérêts
abordéesles questionsde collecteetd'ana- 9. Claude Fischler,JeanPierreCorbeauet
Claude Rivièreontproposéde voirdans économiques particuliers ». (Corbeau,
lyse des systèmesalimentaires,de lec- un 1995, p. 94). Voirégalementle chapitre
turedes identitésgastronomiques vietna- le contextealimentaire contemporaine « Modes modernes: anomie sans ané-
mienneset de valorisationde ce typede espace d'anomie(« gastro-anomie» s'op- mie » (Rivière,1995, p. 206 à 210).
recherchedans les filièresdes industries posant à la « gastro-nomie » pour
touristiques et agro-alimentaires. Fischler).« C'estdans la brèchede Vano-
mieque prolifèrent les pressionsmultiples 10. Mission confiéeau CNAC (Conseil
Pour toutesinformations, contacterJean et contradictoiresqui s'exercentsur le Nationaldes ArtsCulinaires)et dontles
PierrePoulain ou Muriel Gineste,Uni- mangeurmoderne: publicité,suggestions travauxsont édités aux éditionsAlbin
versitéde Toulouse le Mirail,CRITHA, et prescriptionsdiverses,et surtoutde Michel, dans une série intituléeInven-
Maison de la recherche,5 allées Antonio plus en plus, avertissementsmédicaux. tairedupatrimoine culinairede la France.
Machado, 31058 Toulouse cedex, tél. 05 La libertéanomiqueest aussi un tiraille- En juillet 1996,une dizained'inventaires
61 50 42 31, fax.05 61 50 37 45. mentanxieux,et cetteanxiétésurdéter- étaientdisponibles

Ethnologie XXVII,1997,1,Pratiquesalimentaires
française, culturelles
etidentités

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Goût du terroiret tourismevertà l'heurede l'Europe 25

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26 JeanPierrePoulain

I ABSTRACT
in thesoil and « greentourism» at Europe'stime
Interest
The interestin regional culturesand local gastronomictraditionsmay be interpretedas a compensationforthe industria-
lization of the food chain and a resistanceto the constructionof a European identity.In this context,« greentourism» and
its gastronomiccomponent,which helps redefinethe role of farmersand the ruralworld,may act as a regulatortowardsthe
fearthatthe national identitiesmightdisappear into a European entity.
Keywords: Food. Europe. Identity.Tourism.Tradition.

I ZUSAMMENFASSUNG
Die VorliebefürdenBodenunddergrüneTourismuszurZeit Europas
der Nah-
Die VorliebefürLandkulturenund lokale gastronomischeTraditionenkannals Ausgleich fürdie Industrialisierung
rungsketteund als Widerstandgegen den Aufbau einer europäischenIdentitäterklärtwerden.In diesem Rahmen könnteder
« grüneTourismus», dessen gastronomischeKomponentedazu hilft,das Landwirtslebenund die Landwelt neu zu bestim-
men,die Angst vor der AuflösungnationalerIdentitätenin einer europäischenEinheit regulieren.
Stichwörter : Nahrung. Europa. Identität. Tourismus. Tradition.

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XXVII,1997,1,Pratiquesalimentaires
française, culturelles

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