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CNRS

Éditions
Éducation et formation  | Jean Bourdon,  Claude Thelot

Croissance,
formation et
accumulation du
1
capital humain
Pierre Ralle
p. 203-219

Texte intégral
1 Depuis deux siècles, les économistes qui s’intéressent à
la croissance cherchent à comprendre pourquoi les
économies développées sont caractérisées par une
croissance de la production (graphique  1), qui n’a pas
simplement résulté d’une augmentation de la quantité
de travail mais aussi d’une hausse de la productivité
(graphique 2).
Graphique 1 : Le PIB français depuis 1870

Graphique 2 : Productivité horaire du travail

2 Depuis les années 1980, les théories de la croissance ont


été profondément renouvelées, à tel point qu’il est
légitime de considérer qu’il existe un ensemble de
«  nouvelles théories  » généralement qualifiées de
«  théories de la croissance endogène  ». Ces théories
puisent leur inspiration dans plusieurs courants de la
pensée économique (qui sont présentés dans la
première partie). Elles étudient les liens entre
croissance et accumulation du capital immatériel (en
particulier le capital humain). Elles sont présentées
dans la deuxième partie.

À la recherche de la croissance
3 L’analyse de la croissance traite du long terme. Ceci
nécessite une définition : le long terme est le moment où
les effets de l’accumulation du capital jouent.
L’investissement n’est plus alors simplement un élément
de la demande, mais aussi (et surtout) un facteur
d’offre.
4 Les nouvelles théories de la croissance puisent une
large part de leurs idées dans des courants plus anciens
de la pensée économique  : classiques, keynésiens,
néoclassiques. Ces courants sont abordés à partir d’une
question centrale  : une croissance durable est-elle
possible ?

Les classiques
5 Fondateurs de l’économie politique moderne, les
auteurs classiques anglais ont aussi posé les premiers
jalons d’une théorie de la croissance. Smith et Ricardo
présentent tous deux la croissance économique comme
résultant de l’accumulation du capital, c’est-à-dire de la
quantité des instruments («  moyens de production
produits », selon Smith) à la disposition des travailleurs.
L’augmentation de la richesse par tête provient de celle
du capital par tête. Cependant, les classiques partagent
une vision plutôt pessimiste du long terme  : la
croissance est destinée à disparaître progressivement, à
s’annuler dans un «  état stationnaire  ». La dynamique
économique peut être résumée de la façon suivante.
L’accumulation du capital entraîne une augmentation
de la demande de main-d’œuvre. Une quantité plus
grande de travailleurs induit une demande plus grande
de produits agricoles. Des nouvelles terres, moins
productives que les anciennes, sont mises en culture. Le
profit diminue jusqu’à atteindre le niveau auquel cesse
l’investissement  : c’est l’état stationnaire. La croissance
disparaît car les rendements marginaux de la terre sont
décroissants.
6 Au-delà de cette représentation, un certain nombre de
remarques et d’intuitions des auteurs classiques
permettent d’anticiper un dépassement de la fatalité de
l’état stationnaire. Le premier de ces éléments est le
chapitre bien connu qui ouvre La Richesse des nations,
sur le thème de la division du travail. Smith avance
l’idée que la division du travail est une source de gains
de productivité  : par l’économie faite sur les temps de
changement d’opération par un même individu, et
surtout par l’augmentation de l’expertise qui naît de la
spécialisation.  Il s’agit non seulement de l’habileté à
mener une opération donnée, mais aussi de la capacité à
inventer des techniques et des outils plus spécialisés et
donc plus efficients. La division du travail «  verticale  »
est également soulignée  : des «  philosophes  » peuvent
consacrer leurs efforts à améliorer les techniques de
l’industrie.
7 Le progrès technique est donc présent, mais il reste
cantonné dans une position périphérique. Il n’est pas
intégré à l’analyse globale de la croissance et n’est pas
invoqué pour éloigner la perspective de l’état
stationnaire. Ainsi, Ricardo, dans le chapitre qu’il
consacre au machinisme, ne s’intéresse qu’aux effets de
celui-ci sur l’emploi. La machine est vue comme
destructrice d’emploi, substituant le capital au travail, et
non comme source de gains de productivité. Ce sont
donc les effets de court terme du progrès technique qui
sont examinés et non les effets de long terme. Cela peut
se comprendre par l’objectif que Ricardo donnait à ses
réflexions théoriques  : comprendre les conséquences
des lois sur le blé, qui, en restreignant les importations
en Angleterre, tendaient à augmenter la surface des
terres cultivées, et donc à réduire le profit.
8 Les conclusions de Marx rejoignent celles des
classiques. La croissance économique n’est pas un
phénomène durable. Mais l’analyse de Marx est sans
doute plus riche sur ce thème que celle des classiques.
D’une part, le déclin inéluctable de la croissance trouve
son origine dans des rendements d’échelle décroissants
dans l’industrie (hausse de la «  composition organique
du capital  ») et non dans l’agriculture. D’autre part,
Marx identifie et analyse le progrès technique comme
facteur de productivité. Mais celui-ci n’est pas suffisant
pour contrecarrer l’épuisement de la croissance.

Domar, Harrod et Solow


9 À la fin des années  1930  et au cours des années  1940,
plusieurs auteurs, essentiellement Domar et Harrod, ont
prolongé au long terme les analyses de Keynes, en
introduisant l’accumulation des facteurs capital et
travail. Domar et Harrod sont très pessimistes quant à la
possibilité d’une croissance durable et assurant le plein
emploi. Cependant, contrairement aux classiques, ils
n’attribuent pas cela à des facteurs techniques
(rendements d’échelle décroissants), mais aux
problèmes de rigidités et de coordination identifiés par
Keynes. En particulier, il n’existe pas de lieu où les
agents puissent se communiquer leurs projets
d’investissement et coordonner leurs anticipations de
demande.
10 En  1956, Solow apporte une réponse aux prédictions
pessimistes de Harrod. Il construit un modèle qui
engendre un déplacement au cours du temps de
l’équilibre économique, le niveau d’activité devenant de
plus en plus élevé. La succession d’équilibres, qualifiée
de sentier de croissance, est de plus stable, c’est-à-dire
que si, à un moment donné, pour une raison
quelconque, l’économie s’en éloigne, elle y retournera
par la suite.
11 Pour obtenir ce résultat, Solow lève l’hypothèse de
rigidité de la technique de production, que Harrod
retenait. Mais il fait plus, en postulant qu’à chaque
instant les décisions ex ante d’épargne et
d’investissement coïncident. Le problème de la
coordination des agents privés est donc d’emblée résolu
et le plein emploi des facteurs de production obtenu.
12 Le modèle de Solow décrit un monde où il existe un seul
bien, qui sert à la fois à la production et à la
consommation et qui est produit à partir de lui-même et
de travail. Par hypothèse, la «  fonction de production  »
possède un certain nombre de propriétés qui vont
impliquer l’existence, l’unicité et la stabilité de
l’équilibre. La principale de ces hypothèses est que le
rendement marginal du capital est décroissant.
Robinson venait d’arriver sur l’île déserte. De son
naufrage il n’avait sauvé qu’un sac de blé. Robinson le
considéra  : voilà de quoi vivre, mais pendant combien
de temps  ? Il regarda l’île. Elle était composée d’une
bonne terre dont la quantité était telle qu’un homme
seul ne pourrait jamais la cultiver tout entière. Ce
constat soulagea Robinson. Toute sa vie il avait vécu de
son travail. Sur cette terre, ce serait comme ailleurs.
Cette année, il sèmerait. L’an prochain, la récolte lui
permettrait de vivre et de semer de nouveau. Robinson
décida de planter une certaine proportion de son stock
de blé. Les premières années celui-ci augmenta
rapidement. En maintenant constante la proportion du
stock qu’il plantait, Robinson consommait, plantait et
récoltait toujours plus.

13 L’accumulation du capital provient de l’écart entre


l’investissement et le déclassement. Ce dernier est une
fraction constante du capital installé. Quant à
l’investissement, c’est une fraction constante de la
production. Or, la fonction de production est telle que le
rendement marginal du capital est une fonction
décroissante du capital  : plus le niveau du capital
installé est élevé (relativement à la quantité de main-
d’œuvre), plus sa rentabilité marginale est faible. Ainsi,
quand il y a peu de capital dans l’économie, la partie de
la production qui est investie permet d’accroître
fortement le capital. Plus il y a de capital, moins c’est le
cas. À la limite, lorsque la quantité de capital est infinie,
sa production marginale devient nulle.
14 Imaginons tout d’abord que le nombre de travailleurs
soit constant et que la technologie n’évolue pas. Au
cours du temps, la productivité va diminuer, puisque le
seul facteur de production qui se modifie est le capital et
que son accumulation réduit son efficacité. Il y a une
valeur du stock de capital telle que l’augmentation
d’une unité de l’investissement induit un accroissement
de la production épargnée plus faible que
l’accroissement du déclassement. À cette valeur limite,
l’accumulation s’arrête. À ce niveau de capital,
l’investissement permet simplement de renouveler le
stock de capital. À un niveau de capital légèrement
inférieur, il serait rentable d’investir (puisque
l’investissement supplémentaire rapporterait plus que
le déclassement du capital). À un niveau légèrement
supérieur, ce ne le serait plus. L’équilibre est donc
stable  : quand l’économie se trouve à ce niveau
d’équilibre du capital, elle y reste.
Robinson se rendit compte que son stock de blé
s’accroissait de moins en moins vite. C’est que plus la
quantité de grain semé était élevée, plus le rendement
de chaque grain était faible. Un jour, il s’aperçut qu’il
n’avait plus d’intérêt à accroître la quantité de grain
semé  : la quantité supplémentaire de blé qu’il semait
devenant supérieure à la quantité qu’elle permettait de
récolter. Il arrêta donc son expansion.  La quantité de
grain semé se stabilisa ainsi que les quantités produites
et consommées.

15 La situation obtenue semble paradoxale. À long terme, il


n’y a pas de croissance économique. On retrouve la
crainte des économistes classiques  : au fur et à mesure
du développement économique, on utilise des
ressources dont la productivité marginale est
décroissante. La croissance économique doit donc
naturellement s’arrêter un jour.
16 Imaginons maintenant que le nombre de travailleurs
croisse à un rythme constant et que l’efficacité de la
fonction de production croisse à un rythme constant
(Solow suppose que le progrès technique est « neutre au
sens de Harrod  », ce qui revient à considérer que la
démographie et le progrès technique jouent à peu près
le même rôle économique : la démographie détermine le
nombre d’unités de main-d’œuvre, le progrès technique
celui de l’efficacité d’une unité de main-d’œuvre). Le
mécanisme précédent va jouer, une fois prise en compte
la nécessité de doter en capital les nouvelles unités
efficaces de travail. Comme dans le cas précédent, il
existe une valeur d’équilibre du capital, mais ici, elle
croît à un rythme constant au cours du temps. De plus,
si le capital s’éloigne du sentier de croissance
d’équilibre (l’ensemble des valeurs d’équilibre au cours
du temps) à cause d’un choc exogène au champ de
l’économie (qui, par exemple, détruirait du capital), il y
revient ensuite. Il y a stabilité du sentier de croissance,
ce qui est la réponse optimiste aux thèses de Domar et
Harrod.
Un matin, Robinson rencontra le perroquet. Ce qu’il
avait d’abord considéré comme un simple compagnon
de jeu s’avéra d’une aide précieuse. Ce perroquet avait
manifestement été en contact avec les plus grands
savants et les cultivateurs les plus experts. Chaque jour,
il transmettait à Robinson un peu de savoir appris
auprès d’eux. Et Robinson pouvait ainsi améliorer
l’efficacité de son travail. La production se mit alors à
croître et rien ne semblait pouvoir l’arrêter.

17 Dans le modèle de Solow, le taux de croissance de long


terme est égal au taux de croissance de la population
auquel s’ajoute un progrès technique. Ainsi, à long
terme, la croissance économique ne dépend que des
évolutions démographiques et technologiques. Le
résultat a priori paradoxal obtenu est que les
comportements économiques (résumés dans ce modèle
par le choix d’un taux d’épargne) n’ont pas d’influence
sur le rythme de croissance de long terme (la croissance
provient du perroquet, pas du choix que réalise
Robinson entre consommer et investir). Toutes choses
égales par ailleurs, ce n’est que dans la période de
transition, où l’économie n’a pas encore rejoint son
sentier de croissance de long terme, que le taux
d’épargne influence positivement la croissance. Une fois
ce sentier rejoint, la croissance ne dépend plus de
l’effort d’épargne. Ce n’est que le niveau d’équilibre du
capital (et de la production) qui dépend de l’effort
d’épargne.
18 Ainsi, dans ce modèle, la croissance peut être qualifiée
d’exogène, car le progrès technique est défini en dehors
du modèle (le savoir du perroquet a été acquis en
dehors de l’île, et Robinson en bénéficie largement).
19 C’est dans ce cadre que les travaux sur la comptabilité
de la croissance ont été réalisés (voir annexe).

L’accumulation du capital humain dans les


nouvelles théories de la croissance
20 À la question de l’origine de la croissance, les nouvelles
théories apportent une autre réponse que le progrès
technique exogène. Tout d’abord, c’est l’accumulation
des savoirs elle-même qui résulte de choix
économiques.
21 Un jour, le perroquet disparut. Au bout de quelques
années, la production se stabilisa de nouveau. Robinson
comprit alors qu’en étudiant ses expériences passées et
en procédant à de nouvelles expérimentations, il
pourrait améliorer l’efficacité de son travail. Mais une
telle étude prendrait du temps qu’il ne pourrait pas
utiliser à produire du blé. Il se posa alors une question :
quelle part de son temps allait-il consacrer à accroître
son savoir-faire  ? Et combien pouvait-il en consacrer à
produire ?
22 La question posée à Robinson est celle de l’arbitrage à
réaliser entre le temps consacré à produire et celui
consacré à améliorer l’efficacité du système de
production.  La part du temps disponible consacré à
l’accumulation de «  savoir  » est en quelque sorte un
taux d’épargne. Cette question est posée directement
par les nouvelles théories de la croissance. Ce qui ne
veut pas dire qu’elle était ignorée auparavant. Le choix
d’accroître son capital humain en se formant a de
longue date été considéré comme un arbitrage à réaliser
entre travailler (donc produire pour pouvoir
consommer aujourd’hui) et se former (donc accroître
son efficacité pour produire et pouvoir consommer plus
demain). Cependant, la théorie traditionnelle de la
croissance ne prenait pas en compte le coût du progrès
des connaissances. Alors que la théorie
macroéconomique a admis, depuis Walras, une
définition large du capital et même, depuis Smith, le rôle
des facteurs immatériels, les modèles
macroéconomiques ont continué à privilégier
l’accumulation du capital matériel (Hénin et Ralle,
1994). Ainsi, la théorie traditionnelle de la croissance
considérait l’accumulation du capital immatériel
comme exogène et en ignorait les motivations
économiques. L’originalité des nouvelles théories est de
considérer que le choix d’accumuler du capital
immatériel est endogène (Robinson doit faire lui-même
un effort pour acquérir de nouveaux savoirs).
23 C’est à Romer que l’on doit le premier modèle qualifié
de «  croissance endogène  » (1986). Lucas (1988) et
Romer (1990) construisent ensuite les modèles de
référence sur l’accumulation du capital immatériel.
Celui de Lucas est consacré au capital humain, celui de
Romer au progrès technique.
24 Le capital humain désigne ici le stock de connaissances
valorisables économiquement et incorporées aux
individus. Ce sont non seulement les qualifications, mais
aussi (et pour l’analyse du développement surtout) l’état
de santé, par exemple. Le capital humain est donc
appropriable par l’individu qui en est porteur,
contrairement au capital technologique qui est pour
partie un bien public. Par exemple, le théorème de
Thalès fait partie du capital technologique  : il n’est pas
nécessaire de le redécouvrir pour l’utiliser. Mais la
connaissance ou non de ce théorème est une
caractéristique d’un individu donné  : on peut le
connaître ou ne pas le connaître. Il y a donc une
différence essentielle entre les mécanismes de
rémunération du capital humain et du capital
technologique  : le rendement de l’accumulation du
capital humain est privé (même s’il existe des
externalités, ainsi, le fait d’être entouré de personnes
efficaces rend sans doute plus efficace), alors que celui
du capital technologique est d’abord public (même si la
technologie est d’usage partiellement exclusif).
25 Lucas n’a pas été le premier à incorporer le capital
humain  : Denison (1967) avait déjà procédé à une
amélioration du modèle de Solow. Lucas attache
cependant une importance plus grande au capital
humain en tant que moteur de la croissance. Le modèle
canonique de croissance avec capital humain est un
modèle à deux secteurs. Le premier secteur est consacré
à la production. Un bien de consommation est fabriqué
à partir d’une technique de production tout à fait
traditionnelle. Le second secteur est consacré à la
formation du capital humain.  Le capital humain
disponible dans l’économie est réparti en deux
catégories  : celui qui est utilisé dans la production (les
travailleurs) ; celui qui est dans le système de formation
(c’est-à-dire à la fois les professeurs et les élèves). La
part des professeurs et des élèves dans la population
active est en quelque sorte un taux d’investissement de
l’économie. En effet, de même que l’investissement est
la partie de la production qui n’est pas consommée, les
personnes qui ne sont pas employées dans le secteur de
la production soustraient une ressource (il y a moins de
bien produit)., mais permettent d’accroître l’efficacité
future du travail (puisque les personnes formées sont
plus efficaces), donc la production et la consommation.
26 Pour qu’un tel modèle puisse engendrer une croissance
auto-entretenue, il suffit que le rendement marginal du
capital humain dans la formation du capital humain soit
constant. S’il est décroissant, il n’y aura pas de
croissance à long terme ; s’il est croissant, il y aura une
croissance explosive. La question est alors de savoir si
l’activité d’accumulation du capital humain est à
rendements décroissants, constants ou croissants. Par
exemple, une heure de formation d’un professeur
produit-elle un accroissement de son capital humain
(relativement à son niveau initial) plus faible, égal ou
supérieur à ce qu’une heure de formation d’un écolier
produit d’accroissement du capital humain
(relativement à son niveau initial)  ? La réponse à cette
question n’est évidemment pas triviale.
27 Deux premiers résultats sont directement issus des
modèles de référence (Romer et Lucas)  : l’équilibre
économique résultant des comportements individuels
n’est pas nécessairement optimal  ; les «  petits  » ne
rattrapent pas nécessairement les «  grands  ». Ce
deuxième résultat conduit assez naturellement à une
autre conclusion : le passé compte. Enfin, une quatrième
conclusion est que les anticipations du futur comptent
aussi.

Les comportements individuels ne sont pas


nécessairement optimaux
28 L’accumulation du capital immatériel (technologique ou
humain) est telle que de nombreuses interactions (des
extemalités) sont à l’œuvre. Ainsi, le comportement d’un
agent économique affecte son environnement : à partir
du moment où Vendredi est présent, l’environnement
de Robinson est modifié, ce dont il doit tenir compte. En
règle générale, il faut que plusieurs conditions soient
vérifiées pour que la recherche par chacun de ses
intérêts propres aboutisse à une gestion efficace des
ressources disponibles par l’ensemble des agents privés.
Dans le domaine de l’analyse de la croissance, c’est
rarement le cas. L’innovation a souvent des effets
directs non seulement sur les agents qui la réalisent,
mais aussi sur leur environnement, c’est-à-dire sur les
autres agents.
Vendredi apparut. Les deux hommes se partagèrent l’île,
chacun cultivant sur sa partie la quantité de blé
nécessaire à sa consommation et à son investissement,
chacun partageant son temps entre production du blé et
étude. Robinson surveillait attentivement les
modifications que Vendredi apportait à sa façon
d’organiser la production : en les appliquant à son tour,
il pouvait accroître la productivité de son travail. Quand
Vendredi consacrait une grande partie de son temps à
étudier, les progrès de Robinson étaient considérables
[...] À vrai dire, celui-ci aurait souhaité que Vendredi
consacre une part plus importante de son temps à
étudier et une part plus faible à produire. Cependant,
Vendredi était d’un naturel égoïste. Quand il comprit
que son compagnon profitait ainsi de ses travaux
d’étude, il décida de construire une palissade pour se
protéger de l’espionnage. Ainsi, au bout de quelques
temps, les méthodes de production des deux hommes
devinrent différentes. Le blé de Robinson fournissait de
hauts rendements, mais était d’une qualité médiocre,
utile pour les usages courants. Celui de Vendredi était
meilleur et pouvait servir dans les occasions
exceptionnelles, mais ses rendements étaient faibles.
Les deux hommes se mirent à échanger. Vendredi se
rendit compte que les quantités de son blé que Robinson
souhaitait se procurer étaient d’autant plus importantes
que le prix fixé était bas. Ce dont il tint compte pour
fixer le prix de son blé.

29 Ainsi, Robinson espionne Vendredi et profite de ses


découvertes. Si Vendredi n’arrive pas à se protéger, il y
a une extemalité  : Robinson préférerait que Vendredi
travaille moins et étudie plus car il bénéficierait alors
des effets des investissements intellectuels
supplémentaires de son compagnon.  Mais le
comportement spontané de Vendredi n’aboutit pas à
cela : il ne prend pas en compte les conséquences de ses
actes sur Robinson.  Dans un tel cas d’existence d’une
extemalité, une forme de coopération entre agents est
justifiée, puisque les comportements individuels
spontanés ne sont pas optimaux.
30 Si Vendredi arrive à protéger ses découvertes (en
construisant une palissade ou... en les brevetant), il n’y a
plus d’extemalité. Mais, dans ce cas, les nouveaux biens
vont se différencier des biens antérieurement
disponibles. De ce fait, la concurrence va devenir
imparfaite, ce qui, là encore, va conduire les
comportements spontanés des agents à ne pas être
socialement efficaces (chacun se trouve en situation de
monopole et n’est donc soumis qu’à une faible pression
concurrentielle).
Les « petits » ne rattrapent pas nécessairement les
« grands »
31 Si les rendements marginaux sont constants, le rythme
de croissance va dépendre de l’effort de
« l’investissement » en capital humain (contrairement à
ce qui se produit dans le modèle de Solow pour le
capital matériel). Par contre, il ne dépend pas du niveau
de développement (être professeur ou écolier). En
particulier, si l’effort de formation d’un écolier et d’un
professeur sont égaux, l’écolier ne rattrapera pas le
professeur.
32 Le développement d’une réflexion sur le lien entre
croissance et formation du capital humain répond à un
besoin d’explication des mécanismes du
développement. Dans les modèles de croissance
exogène, les nations les plus riches (où il y a beaucoup
de capital) sont rattrapées par les plus pauvres,
mouvement qui est la conséquence du rendement
décroissant du capital et de la diffusion gratuite de la
technologie  ; dans les modèles de croissance endogène,
les évolutions d’économies ayant les mêmes taux
d’épargne peuvent être parallèles et les écarts relatifs
peuvent perdurer.

Le passé compte
33 Le paragraphe précédent indique déjà que le passé peut
avoir une influence importante sur le niveau de
production et de revenu présent. D’autres mécanismes
peuvent renforcer encore cette influence.
34 Considérons le cas où le rendement marginal du capital
humain est très faible quand le niveau du capital
humain est très faible, très fort quand le niveau du
capital humain est moyen, puis retrouve un niveau
intermédiaire (par exemple, un rendement marginal
unitaire) ou faible. Il est alors possible qu’une économie
« pauvre » (c’est-à-dire ayant un faible niveau initial de
capital humain) ne puisse jamais se développer,
puisqu’elle ne pourra jamais atteindre un niveau tel que
la rentabilité marginale du capital humain soit élevée.
En revanche, une économie «  riche  » partant d’un
niveau initial de capital humain élevé (c’est-à-dire
supérieur au seuil où la rentabilité est fortement
croissante) aura une croissance endogène régulière. Une
situation voisine est modélisée par Azariadis et Drazen
(1990).
35 Un exemple caricatural permet d’illustrer ce
mécanisme. Imaginons que l’apprentissage de la lecture
nécessite 26 jours de travail consécutifs (1 pour chacune
des lettres de l’alphabet). Supposons, de plus, que la
rémunération d’un salarié ne dépende que du fait qu’il
sache ou non lire (et non du nombre de lettres qu’il
connaît). Nous sommes dans un monde où le rendement
marginal du capital est d’abord nul (les  25  premiers
jours de formation ne rapportent rien) puis fortement
croissant (le  26e jour on sait lire et on passe dans la
catégorie des salariés « qualifiés »). Seules les personnes
pouvant ne pas travailler 26 jours (donc disposant d’une
épargne suffisante pour leur permettre de subvenir à
leurs besoins pendant cette période) peuvent apprendre
à lire. Pour ceux qui n’ont pas cette épargne, la
possibilité d’apprendre à lire est exclue. Ainsi une
personne ne pouvant s’arrêter de travailler que 13 jours
n ’ apprend pas à lire «  à moitié  » et sa rémunération
sera la même que celle qu’elle avait auparavant. Elle est
donc dans une «  trappe  » dont elle ne peut sortir sans
aide.

Les anticipations du futur comptent


36 Dans de nombreux modèles de croissance endogène,
une fois fixées les hypothèses naturelles2, il peut exister
plusieurs équilibres (qualifiés d’«  équilibres
multiples  »). Le système économique peut alors se
stabiliser sur différentes trajectoires. Cela peut provenir
du fait que l’efficacité d’un agent dans une certaine
activité est d’autant plus élevée que les autres agents
font eux-mêmes des efforts dans cette activité (par
exemple en présence de complémentarités
technologiques). La stratégie optimale de chaque agent
dépend alors de celle qu’il anticipe pour les autres
agents.
37 Un autre exemple permet de l’illustrer. Imaginons
qu’une personne souhaite apprendre une langue. Elle
choisit celle qui lui apportera la plus forte
rémunération.  Supposons que ce soit celle qui sera la
plus utilisée au moment où la personne aura achevé son
apprentissage (c’est la complémentarité  : plus une
langue est utilisée, plus il est rentable de la connaître).
Dans ce cas, le choix ne peut résulter des seules
considérations objectives (le nombre de personnes
connaissant déjà chaque langue, la difficulté
d’apprentissage, etc.). Il dépend aussi des anticipations
sur ce que vont faire les autres personnes qui sont en
train de choisir la langue qu’elles vont apprendre.
38 De nombreux modèles théoriques ont formalisé de telles
situations  –  par exemple, Krugman (1991) ou
Matsuyama (1991). Ils aboutissent en général à une
incertitude sur le choix du couple taux d’épargne
(matériel ou immatériel) et taux de croissance. Les
anticipations peuvent être optimistes ou pessimistes : si
elles sont optimistes, la croissance sera forte et le taux
d’investissement élevé. Ces modèles théoriques ont une
conséquence commune, soulignée par d’Autume et
Michel (1993). Dire que les anticipations peuvent être
optimistes ou pessimistes ne signifie nullement que
chaque individu puisse choisir entre les deux termes de
l’alternative. L’option est collective. Il s’agit de savoir si
les agents sont capables de se coordonner pour
atteindre l’équilibre haut, ce que rien n’assure dans le
modèle. Une intervention extérieure peut contribuer à
obtenir la « bonne » solution du système.
39 L’État peut être l’instance coordinatrice permettant de
converger vers le bon équilibre. L’engagement de l’État
rend probable pour chaque individu le fait que les
autres aussi vont investir, ce qui en soi accroît la
rentabilité de l’investissement. Cependant, l’État n’est
pas le seul à pouvoir modeler les «  esprits  ». Les
«  institutions  » peuvent aussi jouer un rôle. Les
institutions sont ici comprises comme étant l’ensemble
des mécanismes de coordination, y compris les règles de
la concurrence sur le marché  : dispositifs collectifs
explicites ou implicites tels que les normes de
comportement. En présence d’incertitudes, des normes
de comportement partagées par les agents peuvent
fournir des points de repère sur les réactions mutuelles.
En particulier, si l’on souhaite rendre compte des écarts
de revenus entre les pays, il convient d’analyser aussi
les facteurs institutionnels, politiques et sociaux
susceptibles d’influencer la croissance économique.
Maddison (1995), North (1981  et  1990) et Abromovitz
(1986) soulignent ainsi l’importance des institutions et
des différentiels de capacité d’adaptation sociale dans
l’explication de la croissance. La croissance dépend
aussi, dans le long terme, de facteurs institutionnels. Les
nouvelles théories partagent cet enseignement avec des
représentations « hétérodoxes » telles que la théorie de
la régulation ou la théorie des conventions.

Conclusions
40 Une première conclusion a trait aux avancées des
nouvelles théories par rapport aux représentations
antérieures. Les nouvelles théories sont, par certains
aspects, assez proches de Domar et Harrod. D’une part,
elles considèrent que les rendements d’échelle sont
constants. D’autre part, les problèmes de coordination
sont réintroduits dans les nouvelles théories, pour
lesquelles l’équilibre décentralisé peut être sous-
optimal. Il ne s’agit pas d’une instabilité de l’équilibre,
comme pour Domar et Harrod, mais le message général
est identique : le marché ne régule pas parfaitement les
mécanismes d’accumulation.  Par d’autres aspects (en
particulier la formation du progrès technique), les
nouvelles théories s’inspirent de Schumpeter ou de
Kaldor.
41 Selon les nouvelles théories, le capital immatériel (donc
le capital humain) est un facteur de croissance. En soi, il
n’y a là rien de nouveau et les théories antérieures le
soulignaient déjà. Ainsi, dans le modèle de Solow, la
croissance provient, d’une part, de l’augmentation de la
population active (la quantité de capital humain est liée
au nombre de personnes actives) et, d’autre part, de
l’accroissement de l’efficacité de la combinaison
productive (ce qui peut s’interpréter par l’accroissement
de la «  qualité  » du capital humain). Cependant,
contrairement aux anciennes théories, les nouvelles
analysent les fondements économiques de la formation
du capital humain. Dans les années 1950 et 1960, Solow
étudiait comment la croissance économique et la
formation du capital humain étaient liées tandis que
Becker se penchait sur les raisons économiques de
l’accumulation du capital humain.  En reliant ces deux
approches, on trouve naturellement un modèle de
croissance économique endogène, où le capital humain
joue un rôle fondamental.
42 Une deuxième conclusion a trait aux conseils de
politique économique que l’on peut tirer des nouvelles
théories. Celles-ci doivent être interprétées
prudemment, ne serait-ce que parce que la macro-
économie travaille sur des agrégats. En matière de
dépenses publiques (telles celles affectées à l’éducation
ou à la formation), la mesure directe de la production
est difficile. On fait, dans les modèles, l’hypothèse que la
dépense est efficace. Il serait trompeur d’arguer de ces
résultats théoriques pour assigner à une politique
d’enseignement ou de recherche des objectifs purement
quantitatifs, sans veiller dans le même temps à réunir
les conditions de l’efficacité microéconomique (Hénin et
Ralle, 1994).
43 On peut cependant esquisser quelques règles qui font
dépendre l’intervention publique du type d’extemalité
et du type d’information dont dispose l’ État. Il est ainsi
légitime que la recherche fondamentale soit financée
par des fonds publics. Ce type de recherche est en effet
d’une rentabilité économique incertaine et lointaine. En
ce qui concerne la recherche appliquée, le rôle de la
puissance publique est plutôt de créer les conditions
d’une reconnaissance des droits de la propriété
intellectuelle. En effet, la «  fabrication  » d’extemalités
est (au moins en partie) coûteuse. En pratique, la
distinction entre recherche fondamentale et recherche
appliquée n’est cependant pas toujours aisée à établir.
44 En ce qui concerne l’éducation, l’existence d’extemalités
ne peut justifier à elle seule un financement
entièrement public : une part des gains de formation est
réalisée par les agents qui se forment. Mais par ailleurs,
même en l’absence d’extemalités, une intervention
publique se justifierait. Ainsi, l’accès des plus pauvres
aux marchés financiers (afin de trouver le financement
d’une formation) n’est sans doute pas ce qu’il serait
dans un marché «  parfait  »  ! Et cette imperfection
légitime l’intervention publique.
45 Une troisième conclusion est liée à l’existence possible
de plusieurs équilibres. L’équilibre qui se réalise dépend
alors de la manière dont les agents privés coordonnent
leurs anticipations, laquelle est influencée par les
institutions. Quelles institutions déterminent le meilleur
équilibre économique  ? On touche là les limites de
l’approche économique de la croissance économique. La
croissance dépend aussi, dans le long terme, de facteurs
institutionnels.

Bibliographie

Bibliographie
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février.

Annexes

ANNEXE : LA MESURE DU RÔLE DE


L’ÉDUCATION
On n’a heureusement pas attendu les nouvelles théories
pour s’intéresser à l’effet du capital humain sur la
croissance. Au contraire, de nombreux travaux ont
mesuré le capital éducatif (entre autres facteurs) et
l’influence de son évolution sur la croissance
économique. On peut citer, pour la France, Carré,
Dubois et Malinvaud (1972) et Dubois (1985). Plus
récemment, Villa (1995) calcule plusieurs indicateurs
permettant d’évaluer le capital humain sur longue
période et jusqu’aux années  1990. En ce qui concerne
les comparaisons internationales, on peut citer les
nombreux travaux réalisés par Maddison (voir par
exemple Maddison, 1995).

Selon Carré, Dubois et Malinvaud (1972), du début du


siècle à la fin des années  1960, la qualité du travail
progresse à un rythme annuel inférieur à 0,5  %. Les
progrès imputables à l’élévation du niveau d’éducation
s’accélèrent à partir des années  1960, en raison de
l’arrivée sur le marché du travail des générations plus
instruites de l’après-guerre. Cette accélération est plus
que compensée par l’augmentation de la part des actifs
jeunes et peu expérimentés, liée à l’arrivée de ces
mêmes générations. Selon Dubois (1985), à partir des
années  1970, l’accroissement de la qualité de la
population active devient plus forte : 1 % par an environ
(tableau  1). Le niveau d’éducation s’élève de plus en
plus vite. La réduction de l’activité aux âges jeunes et
élevés conduit à une hausse de la proportion des
personnes les plus efficaces dans la population active.
Caracosta, Fleurbaey et Leroy (1991) considèrent que
l’accroissement de la qualité du travail va continuer à
un rythme élevé dans les années  1990  : environ  0,8  %
par an.

Tableau 1  : Évolution du niveau d’éducation de la


population active en % par an

1896-1929 0.35
1929-1951 0.30
1951-1973 0.40
1973-1979 0.70
1979-1984 0.70

Dubois (1985)

Maddison (1995) considère que le capital éducatif peut


être apprécié par le nombre d’années d’études, même si
l’on n’a ainsi qu’un instrument grossier : il ne prend pas
en compte les différences de capacité des systèmes
éducatifs à transmettre les compétences  ; il néglige les
formes non académiques d’acquisition des
compétences. Maddison calcule le nombre d’années de
scolarité depuis  1820  pour six pays (tableau  2).
L’enseignement primaire se voit attribuer un coefficient
de pondération de 1, l’enseignement secondaire de 1.4 et
l’enseignement supérieur de  2  : ces coefficients
permettent d’introduire une «  correction grossière  »
rendant compte de la rémunération à laquelle les
différents niveaux d’éducation donnent accès.

Tableau 2 : Années de scolarité (personnes âgées de 15 à


64 ans)
Maddison (1995). L’enseignement primaire a une
pondération de  1, l’enseignement secondaire de  1,4, et
l’enseignement supérieur de 2.

Depuis deux siècles, une très forte élévation du niveau


moyen d’éducation s’est produite. Au début du
xixe  siècle, la majorité de la population était
analphabète. En  1820, le nombre d’années de scolarité
est égal au plus à 2 (au Royaume-Uni). Avec l’inscription
obligatoire à l’école primaire, le nombre d’années de
scolarité augmente. Au début du xxe  siècle, il vaut
entre 6 et 9 dans les principaux pays développés (un peu
moins au Japon). Depuis, la proportion des élèves
recevant un enseignement secondaire puis supérieur
n’a cessé d’augmenter. Il en est de même pour le
nombre moyen d’années de scolarité. Ainsi, si l’on se
fonde sur ce critère, le capital humain moyen aurait été
multiplié par dix depuis  1820, au Japon et aux Etats-
Unis.

À partir de ces données, on peut calculer la contribution


de l’éducation au PIB, en restant dans le cadre d’un
modèle traditionnel, «  à la Solow  ». Dans une première
étape, on calcule l’évolution de la quantité de chacun
des facteurs de production.  La qualité des facteurs
(essentiellement l’éducation en ce qui concerne le
facteur travail) est ensuite prise en compte. L’ensemble
des facteurs est ensuite agrégé (pour ce faire, on
pondère généralement chacun d’entre eux par la part de
sa rémunération dans le PIB). On obtient alors
l’évolution du «  volume  » des facteurs de
production. L’écart entre cette évolution et celle du PIB
est attribué à la productivité des facteurs de production
(résiduelle par construction). Maddison (1995) a ainsi
calculé la contribution de l’éducation au PIB pour les
États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon depuis
1820 (tableau 3).

Tableau 3 : Contribution de l’éducation au PIB


Notes
1. Certaines parties de ce texte s’inspirent du livre Les Nouvelles
Théories de la croissance, rédigé en commun avec Dominique
Guellec (OCDE/STI).
2. Les fonctions d’utilité et de production qui représentent les
contraintes physiques, les caractéristiques des marchés (type de la
concurrence, etc.) qui représentent l’environnement institutionnel
dans lequel évoluent les agents économiques, les comportements
des agents (maximisation du bien-être ou du profit)

Auteur

Pierre Ralle

Sous-directeur à la direction de la
Recherche, des études, de
l’évaluation et des statistiques du
ministère de l’Emploi et de la
Solidarité, était au moment de la
rédaction de ce texte, rapporteur
au conseil supérieur de l’emploi,
des revenus et des coûts (CSERC). Il
a participé à la lecture renouvelée
des théories de la croissance
économique, celles-ci mettant en
avant le facteur éducatif en
relation avec les performances
économiques.
© CNRS Éditions, 1999

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

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Référence électronique du chapitre


RALLE, Pierre. Croissance, formation et accumulation du capital
humain In  : Éducation et formation  : L’apport de la recherche aux
politiques éducatives [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 1999 (généré
le 04 avril 2022). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/editionscnrs/31391>. ISBN  :
9782271127938. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.31391.

Référence électronique du livre


BOURDON, Jean (dir.) ; THELOT, Claude (dir.). Éducation et
formation  : L’apport de la recherche aux politiques éducatives.
Nouvelle édition [en ligne]. Paris : CNRS Éditions, 1999 (généré le 04
avril 2022). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/editionscnrs/31201>. ISBN  :
9782271127938. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.editionscnrs.31201.
Compatible avec Zotero

Éducation et formation

L’apport de la recherche aux politiques éducatives

Ce livre est cité par


Rusitoru, Mihaela-Viorica. Kallioniemi, Arto. (2019) Religious
education and spiritual development as a cultural
component of the lifelong learning policy in Romania. The
example of orthodox Christianity. Journal of Beliefs & Values,
40. DOI: 10.1080/13617672.2018.1519688

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