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LL11 

: L’aveu

La 1er moitié du 17ème siècle, le classicisme, voit paraitre de très long roman avec de nombreux
rebondissement et des personnages très idéalisés comme L’astrée d’Honorée d’Urfé en 12 volumes.
Ces pastorales ou romans héroïques et précieux finissent par lasser le public quand Madame de La
Fayette fait paraitre anonymement en 1678 une courte nouvelle historique. Elle invente une nouvelle
manière de raconté : une période historique pas trop éloigné, des personnages réelles et fictifs, une
intrigue simple fondée sur la passion et une concentration sur les débats douloureux de l’héroïne : le
roman d’analyse psychologique est né. La PDC raconte l’histoire d’une femme mal marié qui s’éprend
d’un autre homme auquel elle refuse de céder. La complicité amoureuse qui s’est créé entre la
princesse et le duc amène cette dernière à quitter la cour pendant les fêtes du mariage d’Elisabeth de
France avec le roi d’Espagne pour se réfugier à Coulommiers. De son coté, Nemours s’est retirée chez
sa sœur. M. de Clèves retrouve sa femme et la presse de question, la princesse lui avoue les raisons
de sa retraite sans savoir que Nemours est dissimulé dans un pavillon à proximité. L’aveu est donc
double, puisqu’elle le fait en même temps, sans le savoir, à Nemours.

En quoi la princesse de Clèves acquiert-elle un statut d’héroïne tragique ?

1er mouvement l 1 à 12 : l’aveu

2ème mouvement l 13 à 17 : la réaction de M. de Clèves

3ème mouvement l 18 à la fin : la réponse douloureuse du mari

1er mouvement : l'aveu de la princesse : paroles rapportées directement

Phrase 1: Après avoir été pressée de questions par son mari, Mme de Clèves prend la parole.
Le recours au discours direct donne plus de force à l'aveu. On remarque une forme de
dramatisation pathétique grâce à la gestuelle très théâtrale du CC de manière au gérondif l.1:
« en se jetant à ses genoux » et l'interjection exclamative « Eh bien », marque la violence sur
soi, l'effort que fait la Princesse sur elle pour livrer cette confession. La proposition principale
au futur proche « je vais vous faire un aveu » permet une dramatisation d’autant plus forte
que la relative qui suit met l’accent sur le caractère exceptionnel de cet acte : « que l’on n’a
jamais fait à son mari ». On relèvera l'hyperbole : Mme de Lafayette montre par là le
caractère héroïque de son personnage qui se distingue de la masse des autres femmes
représentées par le pronom indéfini "on". La conjonction de coordination "mais" introduit les
raisons qui motivent l'aveu : c'est sa vertu. On relèvera le rythme binaire dans le GN
"innocence de ma conduite et de mes intentions" et l'utilisation d'un vocabulaire religieux :
"conduite" renvoyant à ses actes et "intentions" à la conscience. Cette proposition décrit sa
qualité morale extraordinaire.

Phrase 2 : La phrase suivante poursuit l’aveu sous forme de non-dit et explique le


comportement de la Princesse. La formule impersonnelle à valeur concessive : « Il est vrai
que » introduit un aveu indéfini : « j’ai des raisons ». Le mot "raisons" reste abstrait et évite de
nommer le sentiment éprouvé et la personne qui l'inspire. De même, le danger que la jeune
femme cherche à éviter est décrit sous la forme d’une périphrase : « je veux éviter les périls
où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge ». La princesse use d'une formule
généralisante au présent de VG et joue sur l’implicite : ce sont les dangers de la galanterie qui
sont sous-entendus (le non-dit = respect de la bienséance). A ce moment, Mme de Clèves sait
que son époux la comprend parfaitement à demi-mot. Il en est d’ailleurs forcément de même
de M. de Nemours.

Phrase 3: L’héroïne affirme sa force morale en la prouvant par ses actions passées (le passé
composé : « Je n’ai jamais donné »); la négation renforcée « n’ai jamais donné nulle marque de
faiblesse» accentue le caractère irréprochable du personnage. NB : l'héroïne semble avoir
oublié l'épisode du portait volé et du tournoi. Le verbe “craindre" montre qu'elle associe la
passion à un danger et les deux subordonnées de condition introduites par "si" victimisent la
princesse ; si elle continuait à côtoyer le monde, il lui faudrait Mme de Chartres à ses côtés
pour la guider. Celle-ci n’étant plus là, la seule solution est donc que Mme de Clèves ne
reparaisse plus à la cour. C'est une façon pour la jeune femme d'exhorter son mari à accéder
à sa demande de ne plus paraître à la cour, c'est aussi une façon d'impliquer son mari dans la
responsabilité d'une faute à venir.

Phrase 4 : La phrase qui suit, par l’expression de la concession "Quelque dangereux que soit
le parti" met encore une fois l’accent sur la force morale du personnage, la tournure met en
effet l'accent sur l'adjectif "dangereux", mais également sur sa volonté de respecter son
engagement vis-à-vis de son époux et de trouver le bonheur non dans la passion d’une
galanterie mais dans le repos de la vie conjugale.

Phrase 5 : Même si la confession, l’aveu, n’a été fait que de manière implicite, Mme de Clèves
demande le pardon de son époux dans une formule hyperbolique "mille pardons". La suite
de ses propos est assez cruelle pour le mari qui l'aime : dans un chiasme, la Princesse oppose
la pensée à l’action : la pensée est coupable (elle aime Nemours) mais l'action (= sa conduite)
sera toujours innocente, irréprochable : "si j'ai des sentiments qui vous déplaisent (=
euphémisme), du moins je ne vous déplairai jamais par mes actions" : le futur souligne sa
volonté ferme de ne pas céder à cette passion et la litote signifie qu'elle ne le trompera jamais.

Phrase 6 : La fin de la confession a une valeur conclusive et un caractère très théâtral. L’aveu
est une dernière fois exprimé par une périphrase : « pour faire ce que je fais » (qui signifie :
« pour vous avouer que j’aime un autre homme »). Mme de Clèves réaffirme alors le
caractère extraordinaire de son acte avec le comparatif de supériorité « il faut avoir plus
d’amitié et plus d’estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu ». Le pronom « je » (l.10: "pour
faire ce que je fais")) s’oppose à l’indéfini « on », qui renvoie en fait à toutes les autres
femmes, et le caractère exceptionnel de l’héroïne est rendu visible par la quatrième
utilisation, dans cette tirade, de l’adverbe « jamais » (l.2, 5, 10 et 11). L’époux doit prendre
l’acte d’aveu qui vient d’avoir lieu comme la preuve la plus haute de la fidélité conjugale.

Phrase 7 : La dernière phrase se caractérise par un changement de rythme, du fait d'une


juxtaposition de trois impératifs : « Conduisez-moi, ayez pitié de moi, et aimez-moi encore si
vous pouvez. » Le pathétique du début (« se jetant à ses genoux ») réapparaît : « ayez pitié »,
et la répétition du pronom objet « moi » montre à quel point le personnage met son sort entre
les mains de son époux. Le verbe "conduire" montre que l'héroïne attend de son mari qu'il
soit un guide de conscience et ce verbe rappelle le rôle de Mme de Chartres. Un effet de
gradation et de chute est produit par l’ordre dans lequel apparaissent les verbes, par l’emploi
de l’adverbe « encore » associé au verbe « aimer », et par l’ajout que constitue la
circonstancielle hypothétique : « si vous pouvez ». Cette conclusion sous forme de
supplication fait attendre au lecteur (et au spectateur caché) la réaction de l’époux.

Cette prise de parole souligne la grandeur tragique du personnage, pathétique, dominé


par une force supérieure (la passion) et qui ne trouve que la retraite comme solution pour
garder sa vertu.

2. La réaction de M. de Clèves : retour au récit

Phrase 1 : La narratrice décrit l’attitude de M. de Clèves pendant le discours de sa femme et


souligne son intense émotion au plus que parfait : « était demeuré », l'aspect pathétique de la
posture est décrit sur un rythme binaire : « la tête appuyée sur ses mains, hors de lui-même ».
Ces CC de manière évoquent un état de prostration. Le choc est tel qu’« il n’avait pas songé à
faire relever sa femme », ce qui est pour le parfait amant courtois un manque de délicatesse,
cela suggère ainsi son intense douleur.

Phrase 2 : L'énumération "à ses genoux, le visage couvert de larmes, et d'une beauté si
admirable" souligne la souffrance de Mme de Clèves. L’ensemble du tableau est pathétique :
on trouve le motif des larmes, mais aussi la supplication à genoux. Le fait que des larmes
coulent sur un visage d’une si parfaite beauté (la princesse allie perfection physique et
morale) engendre le pire chagrin possible car ces larmes sont la preuve de la plus innocente
sincérité. La formule : « il pensa mourir de douleur » est évidemment proleptique et l’on sent
ici que l’aveu qui vient d’avoir lieu a enclenché la machine tragique. Le participe présent
"l'embrassant" présente le prince comme le parfait amant et annonce les paroles qu'il va
prononcer. On notera que la longueur des phrases repousse le moment de la prise de paroles
du mari: effet d'attente créé, dramatisation.

3. La réponse du prince : paroles rapportées directement

Phrase 1 : La complicité des deux personnages est rendue visible par la reprise de la même
formule qu'à la ligne 12 : « Ayez pitié de moi, vous-même, Madame… ». "J'en suis digne"
répond à "si vous pouvez" l.12. Le personnage accorde le pardon demandé en implorant lui-
même le pardon de sa femme : « Je vous demande mille pardons » l.9 / « pardonnez » l.18, les
deux répliques se font écho, pour montrer combien ce malheur unit les deux époux. M. de
Clèves est « digne » de « pitié » comme Mme de Clèves est « digne » d’« admiration ». Sa
grandeur d'âme s'impose au lecteur, il correspond à un modèle social du XVIIème : celui de
l'honnête homme. Phrase 2 : M. de Clèves souligne la sincérité de sa femme par le biais d'une
hyperbole : "plus digne d'estime ... au monde" mais il montre aussi son extrême douleur par
une autre hyperbole l.22. La dernière phrase est ainsi construite sur un parallélisme
syntaxique (reprise d’un superlatif et de l’adverbe « jamais ») mettant en valeur ce qui
rapproche les deux personnages et qui constitue une ironie tragique : l’héroïsme moral de la
princesse, sa sincérité et sa fidélité, provoquent chez son époux le plus grand malheur.
L’engrenage tragique est enclenché : M. de Clèves a demandé un aveu, l’aveu a été fait, les
deux époux n’ont jamais été aussi unis et en même temps aussi malheureux. Au caractère
incomparable de l'aveu répond son désespoir incomparable.

Conclusion

- Bilan

- Un aveu paradoxal : forcé et pas spontané, jamais clairement exprimé (seulement par du
non-dit et de l’implicite).

- Dans une scène éminemment théâtrale : dialogue (échange ressemblant à des tirades),
équivalent de didascalies (dans la gestuelle des personnages), personnage caché.

- Qui permet à la princesse d’acquérir son statut d’héroïne tragique :

- héroïsme moral mis en évidence,

- ironie tragique : au moment où les époux sont le plus unis, ils sont le plus
malheureux ; au moment où la princesse croit se protéger, elle se livre sans le savoir à
M. de Nemours qui acquiert une double certitude : celle de l'amour de la princesse et
celle de la fidélité à son mari.

Engrenage tragique, fatalité : l’aveu suscite la jalousie, qui provoquera la mort de M. de


Clèves, qui rendra impossible, pour Mme de Clèves, la réalisation de son amour quand les
convenances l’autoriseront pourtant

- Ouverture : prolongement sur d'autres scènes d'aveu (textes de Racine et Corneille dans le
Parcours ou comparaison avec une autre scène d'aveu dans le roman : aveu de la princesse à
Nemours) ou revenir sur le débat suscité par cette scène dans la presse (Mercure galant,
Fontenelle et Bussy-Rabutin.

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