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L'écrivain est-il doué d'une sensibilité particulière ?

“Ne mépriser la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c'est son génie.” Charles Baudelaire.
La sensibilité est une vertu commune que tout un chacun est possible de posséder, elle se définit par
l'expression du « moi », des sentiments, des sensations de l'individu. Néanmoins chaque homme
possède une sensibilité différente, parfois certains sont privés d’un sens et abordent le monde d’une
manière propre à eux même. L’écrivain est au contraire perçu comme extralucide, doué de sens
particulier qui dépasse la moyenne, mais est-ce profondément vrai ? La sensibilité occupe une place
privilégiée en littérature dès le XVIIIe siècle en Europe avec le mouvement du romantisme et du
préromantisme amorcée par Rousseau avec La Nouvelle Héloïse en France et par Goethe avec Les
Souffrances du jeune Werther en Allemagne. Un florilège d’auteurs européens se font ainsi remarquer:
Victor Hugo, George Sand, Alfred de Musset… Ainsi l’écrivain doit-il être différent de la majorité, et
doué d’une sensibilité qui voit au-delà du commun et se distingue de la société ?

De prime abord, on peut affirmer que les écrivains sont des individus au sens démultiplié qui
voient des éléments parfois invisibles. En effet, le poète peut parfois être un "élu" qui ferait le lien
entre la nature et l’homme, c’est ce que met en exergue Baudelaire dans les fleurs du mal. Dans un
premier aspect, Charles Baudelaire révèle l’importance de la figure de la synesthésie dans les Fleurs
du Mal. On entend synesthésie comme mode de perception selon lequel, chez certains individus, des
sensations correspondant à un sens évoquent spontanément des sensations liées à un autre sens. Par
exemple, dans le poème Correspondance, Baudelaire écrit : “Comme de longs échos qui de loin se
confondent” mais encore “Les parfums, les couleurs et les sons se répondent”. Mais cela va plus loin
qu’une simple association entre perceptions : chez Baudelaire ce n’est plus seulement l’Art qui décrit
la Nature, mais un dialogue où la Nature tient aussi un discours sur l’Art. Le Poète est alors celui qui
est capable de déchiffrer les signes cachés de l’univers. Cette idée va marquer les artistes qui viennent
après lui, car elle est à la fois musicale, picturale, architecturale…
De plus, l’homme le plus sensible est le plus qualifié pour distinguer les éléments de manière
claire et d’ainsi transmettre l’image précisément. Cette idée est affirmée par Henri Bergson dans Le
rire au chapitre III intitulé “le comique de caractère”, on peut le comprendre à l'aide de cette citation :
“Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, [...], est-ce bien notre sentiment lui-même qui
arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les mille résonances profondes qui en font
quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes,[...].”. En effet le
langage s'avère être grossier et ne peut faire comprendre à l’autre de manière précise ce que l’on
perçoit, ce que l’on comprend; il ne se borne qu'à poser des "étiquettes” à nos sentiments. Mais cela
ne s’applique pas à l'homme sensible qui, lui, sait faire la part des choses et montrer par les mots la
profondeur de ses sentiments. D’autre part, Bergson ajoute dans Histoire des théories de la mémoire.
que tout le monde n'a pas la même sensibilité face à l'art, cette sensibilité est personnelle et diffère en
fonction du vécu de chaque individu. C'est la raison pour laquelle tous les hommes ne disposent pas
de la même conscience artistique, certains d'ailleurs en sont dépourvus.
Enfin, parfois cette sensibilité est due à une maladie ou une malformation, un grand nombre
d'auteurs on fait de leur manque, une qualitée et on outrepassé leur nature qui les restreint. Cela ne
s’applique pas seulement au milieu de l'écriture mais à l'art en général: peintre, musicien sculpteur …
C’est le cas avec Francis Bacon peintre britannique aurait souffert d'un trouble neurologique rare
appelé dysmorphobie Sa vision était trouble, et déformait de manière continue les formes et les corps.
Bacon lui-même avait expliqué que sa perception des visages était en constante évolution, et que les
têtes ne cessaient de faire des mouvements. Une caractéristique qui se reflète dans ses œuvres, dont on
peut trouver des similitudes avec les dessins réalisés par des patients atteints de dysmorphose.
,
Néanmoins on peut observer une opposition avec cette thèse, chaque homme possède une
sensibilité propre à lui même et on ne peut affirmer qu’un artiste bénéficie d’une sensibilité supérieure
A première vue on peut voir que la beauté n’est que révélée par l’écriture et non pas par la sensibilité,
ainsi la sensibilité d’un auteur peut-être commune mais la manière dont il la présente romance les
sujets qu’il présente. On voit cela avec l'œuvre Le Partis pris des choses de Francis Ponge, de manière
analytique l’auteur étudie des mots et forme presque un dictionnaire : « A mi-chemin de la cage au
cachot, la langue française a cageot ». Le poète étudie alors l’objet pour en établir les caractéristiques
physiques et biologiques. Il élabore ainsi des « leçons de choses », qui définissent l’objet pour
réfléchir et interroger la poésie. La sensibilité n’a qu’une place minime dans ce texte, on s'intéresse à
la délicatesse des mots employés. « Le parti pris des choses » est un véritable titre-manifeste par
lequel Ponge signifie qu’il se détourne d’une poésie jugée trop centrée sur l’homme et le sentiment
dans son sens détournée.
De plus, chaque homme possède une sensibilité particulière mais n’a parfois pas les mots
exact pour la signifier ; il en convient donc un manque de langage qui fait barrière à l'expression de la
sensibilité. Roland Barthès, éminent sémiologue et écrivain français, le met en avant avec son poème
J’aime, Je n’aime pas. Ce poème est une audiodescription de l’auteur en faisant une liste poétique
de ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas. Les divers éléments de domaines différents ne sont pas dans
leur essence issue d’une sensibilité particulière : chacun peut y accéder (“la salade, la cannelle, le
fromage, les piments,..”). Cet exercice permet tout à la fois de s’affirmer, de se découvrir, de mieux se
faire connaître des autres, à travers les choses, les êtres, les actes, les situations que l’on recherche ou
que l’on évite, qu’on apprécie ou qu’on a en horreur : on met ainsi en avant sa propre sensibilité avec
le monde qui nous entoure. Présentée de façon spontanée, sans ordre autre que celui dicté par la
musique des mots et le défilement des images, comme un exercice d’écriture automatique, la liste
révèle doublement celui ou celle qui l’écrit sans contraindre celui qui l’écrit par la difficulté du
langage. Cette impasse à l'expression des sentiments est retrouvée dans le livre Cyrano de Bergerac,
d’Edmond Rostand avec le personnage de Christian profondément amoureux qui ne peut déclarer son
amour, il doit ainsi s’allier à un grand homme de lettres savant; Cyrano.
Enfin, l’écriture qu’elle soit de différent registre, format n’est pas la seule voie pour
l'expression des sentiments, les champs artistiques pour communiquer ces sentiments sont vastes.
Ainsi un sculpteur, un danseur, un peintre n’ont donc pas une sensibilité semblable à celle d’un
écrivain ? Cette thèse de l'expression des sentiments à travers l’art en général est prise par Hegel dans
Esthétique : “Le pouvoir spécifique de la musique comprend un aspect sous lequel sont exprimées un
contenu, des sensations : situation de joie de douleur etc”. Hegel précise ainsi le pouvoir propre à la
musique qu’est l'expression (au sens d'une révélation d'une extériorisation) d'un contenu de la vie
intérieure, joie aux douleurs. On peut ainsi étendre cet exemple, à la peinture, à la sculpture…tant ils
expriment des sentiments. Aussi, l'art le plus réaliste est toujours transfiguratif, l'œuvre d'un artiste est
le miroir de ses passions, de ses idées, de sa conception du monde. Néanmoins, il ne s'agit pas de
comprendre l'art comme l'expression d'un égocentrisme. Ce qui fait l'intérêt d'une grande oeuvre, c'est
l'originalité ou la pénétration du regard de l'artiste sur le monde et sa capacité à en déceler la réalité
cachée, insaisissable pour beaucoup d'êtres humains, absorbés par leurs occupations quotidiennes qui
sont contraint à délaisser le sensible. Les impressionnistes nous ont, par exemple, fait découvrir la
variété des couleurs de la nature, et cela grâce à « la connaissance intuitive de la vie » que possède
chaque artiste (Bergson, L'évolution créatrice).
De prime abord, nous avons pu voir la sensibilité particulière qu’un artiste possède, ce dernier
peut en effet voir des choses invisibles à l’aide de sens démultipliés à l’aide des synesthésies
baudelairiennes. Mais également la capacité de lucidité des auteurs sur eux même et le
monde, fruit d’un long travail sur soi, qui amène a démêlé les pensées furtives du profond de
notre cœur ou esprit. Et enfin, que cette particularité est parfois naturelle. Néanmoins, en
opposition nous avons pu voir que dans la littérature, malgré la sensibilité, c'est l'écriture en
elle-même qui prime avec comme exemple un livre qui a pour thèmes des objets, sujets
communs à la portée de tous. Et de ce fait la difficulté du langage qui peut délaisser une
grande majorité des hommes qui n'ont pas le temps de travailler à améliorer leur paroles. Et
pour terminer, du caractère exclusif que de penser que seuls les écrivains auraient une
sensibilité particulière. On peut ainsi se demander si cette sensibilité particulière qui se
rapporte au romantisme ne serait pas une imitation de la nature.

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