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A. Beitone, L. Lorrain, C.

Rodrigues, La dissertation de science économique © Armand Colin, 2016

Sujet 3
Les monnaies fortes sont-elles des atouts et les monnaies faibles
des handicaps ?
Décembre 2016

1. Se préparer à la rédaction

1.1 L’enjeu du sujet


Dans un contexte de « guerre des monnaies », dénoncée depuis les débuts du quantitative easing
(QE) aux Etats-Unis en réponse au choc de la crise financière de 2007 et renforcée par les politiques
monétaires menées par la Banque du Japon ou la Banque centrale européenne, il est légitime de se
demander s’il est préférable pour une économie d’avoir une monnaie forte ou une monnaie faible.
Cette question ne peut se poser en dehors de tout contexte historique puisque l’organisation des
relations monétaires internationales influence la politique de change que peuvent mener les
autorités monétaires de chaque pays. Ainsi la France a longtemps eu la réputation de jouer sur la
faiblesse du franc pour gagner en compétitivité-prix, notamment après la Deuxième Guerre mondiale
en menant des politiques de dévaluation compétitive, avant de devenir un modèle de rigueur
monétaire avec les politiques de franc fort menées au cours des années 1980 puis 1990.

Le discours convenu veut qu’une monnaie forte soit un signe de vertu et apparaisse comme un
élément positif pour une économie, alors qu’une monnaie faible est perçue péjorativement. Ainsi, il
est souvent question du cercle vertueux de la monnaie forte qui permet de limiter l’inflation
importée et incite les producteurs à améliorer leur compétitivité structurelle, et du cercle vicieux de
la monnaie faible qui renchérit le coût des exportations (notamment lorsque l’élasticité-prix est
faible comme pour les hydrocarbures) et entretient l’inflation. Pourtant, dans l’histoire, les monnaies
faibles ont être un atout pour certaines économies, à l’image du franc Poincaré (dévalué de 80% par
rapport à la valeur or du franc Germinal en 1928) ou du yen japonais au cours des Trente Glorieuses.

1.2 Le cadrage et les concepts clés


Les notions de force ou de faiblesse des monnaies sont au cœur du sujet et doivent être précisées.
Une première approche peut consister à qualifier de « forte » une monnaie dont le taux de change
courant est supérieur à sa valeur d’équilibre fondamental. Elle est alors dite sur-évaluée. A l’inverse,
une monnaie est « faible » si son taux de change est inférieur à sa valeur d’équilibre. Elle est alors
dite sous-évaluée. La difficulté consiste cependant à déterminer la valeur du taux de change
d’équilibre. Les économistes utilisent plusieurs méthodes reposant sur les « fondamentaux » du taux
de change : la compétitivité des économies (excédent ou déficit de la balance des transactions
courantes, différentiel d’inflation, différentiel d’intérêt). Dans ces conditions, dire du yuan chinois,
par exemple, qu’il est sous-évalué, c’est dire que son taux de change ne reflète pas les fondamentaux
économiques et financiers de ce pays. C’était vrai au cours des années 1990 et au début des années
2000, ce ne semble plus être le cas aujourd’hui malgré les déclarations récentes venant des Etats-
Unis.
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La force ou la faiblesse d’une monnaie repose ainsi sur les offres et demandes de monnaie sur le
marché des changes. C’est la raison pour laquelle la confiance accordée à une monnaie au niveau
international peut également être considérée comme un indicateur de force ou de faiblesse. En effet,
si les acteurs du marché des changes, dont les volumes de transactions dépassent aujourd’hui les
5000 milliards de dollars quotidiennement selon la Banque des règlements internationaux, perdent
confiance dans une monnaie, ils vont se porter vendeurs et celle-ci va se déprécier, voire s’effondrer.
La confiance repose alors surtout sur les autorités monétaires et leur crédibilité, c’est-à-dire leur
capacité à agir comme annoncé et comme attendu par les acteurs du marché des changes.

Enfin, il convient de tenir compte du contexte historique des relations monétaires internationales
pour définir quelle monnaie est forte. En effet, un système monétaire international repose
généralement sur une monnaie qui joue le rôle de pivot en assurant les trois fonctions
d’intermédiaire des échanges, d’unité de compte et de réserve de valeur internationale. On parle
alors de « devise clé ». La Livre sterling a joué ce rôle dans le cadre de l’étalon-or et le dollar dans le
cadre du système de Bretton Woods. La perte de confiance dans cette capacité à fonder les
règlements internationaux peut être perçue comme un signe de faiblesse. La livre sterling était ainsi
une monnaie forte jusqu’en 1913 mais n’a plus depuis retrouvé ce rôle de pivot dans le système
monétaire international.

1.3 La construction de la problématique


S’interroger sur les atouts et les handicaps des monnaies fortes et des monnaies faibles c’est se
demander s’il est préférable pour une économie d’avoir une monnaie sur-évaluée ou sous-évaluée,
c’est également se demander pour les autorités monétaires comment obtenir le plus haut degré de
confiance dans la monnaie nationale. Il convient de se demander pour quoi (la compétitivité, le coût
du financement) ou pour qui (l’économie nationale, l’économie régionale, l’économie mondiale)
chaque situation pourrait être un atout ou un handicap.

Plusieurs niveaux d’analyse doivent être considérés concernant ce sujet. Il convient en premier lieu
de se demander s’il est préférable pour une économie nationale de disposer d’une monnaie forte ou
d’une monnaie faible au regard de ses fondamentaux. Il est ainsi fréquemment admis qu’une
monnaie faible peut être un facteur important de rattrapage pour les économies en développement
quand une monnaie forte est une incitation à améliorer la compétitivité hors-prix des économies
développées. En second lieu, l’organisation des relations monétaires internationales ne peut reposer
sur une « guerre des monnaies ». Pour l’économiste et historien américain Ch. Kindleberger, seule
une monnaie forte, celle de la puissance hégémonique, peut permettre d’en garantir la stabilité.
C’est ce que furent la livre sterling puis le dollar dans l’histoire monétaire internationale. Il parle de
« stabilité hégémonique ». M. Aglietta considère quant à lui que le système monétaire international
ne peut plus reposer sur une « devise clé », ce qui nécessite une coopération forte entre autorités
monétaires, dans le cadre d’un système multipolaire reposant sur le dollar, l’euro et le yuan.

1. Rédiger le devoir : une proposition

L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a relancé la question de l’intérêt d’un
dollar fort pour les Etats-Unis. En effet, la monnaie américaine s’est appréciée, notamment face à
l’euro mais également face aux monnaies des pays émergents, les marchés anticipant un
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accroissement des taux directeurs de la Fed et de la rentabilité des placements financiers aux Etats-
Unis. Pourtant, le Président élu a passé son temps à fustiger la supposée faiblesse du yuan, la
monnaie chinoise, et à promettre la réindustrialisation de l’Amérique. Cela semble contradictoire
avec l’évolution de la devise américaine puisque par définition, lorsqu’une monnaie nationale
s’apprécie, une autre se déprécie (ici le yuan), et lorsqu’une monnaie nationale s’apprécie, toutes
choses étant égale par ailleurs, la compétitivité-prix des produits nationaux se détériore. Une
monnaie est qualifiée de forte ou de faible selon qu’elle est sur-évaluée ou sous-évaluée par rapport
à sa valeur d’équilibre. D’autre part, une monnaie sera considérée comme forte si elle inspire
confiance aux agents économiques, dans le sens où elle reste stable et permet d’éviter des pertes de
change. Le discours convenu considère qu’une monnaie forte est un signe de vertu alors qu’une
monnaie faible traduit un manque de rigueur des gouvernements, voire un comportement de
passager clandestin visant à manipuler la monnaie nationale pour rendre les produits nationaux plus
compétitifs. Il convient cependant de questionner cette approche. Si une monnaie forte peut
apparaître comme un atout, est-ce toujours le cas ? N’existe-t-il pas des situations pour lesquelles
c’est la faiblesse de la monnaie qui l’est et la force qui devient un handicap ? Par ailleurs, les relations
monétaires internationales se sont historiquement fondées sur une monnaie forte. En ce sens, il faut
se demander si les monnaies fortes peuvent être un atout pour la stabilité monétaire internationale.
Afin de répondre à la question posée, nous nous proposons d’analyser les atouts et handicaps d’une
monnaie forte ou faible pour les économies nationales (I). Nous analysons ensuite la question des
relations monétaires internationales et l’intérêt, ou la possibilité, de disposer d’une monnaie forte
(II).

***

I. Les monnaies fortes sont-elles toujours des atouts


et les monnaies faibles des handicaps pour les économies nationales ?
Le discours convenu souligne que disposer d’une monnaie forte est vertueux pour une économie
nationale. Si une monnaie forte peut être un atout pour une économie forte (A), une monnaie faible
n’est pas toujours un handicap et peut même dynamiser une économie nationale (B).

A. Une monnaie forte, atout pour une économie forte


Une monnaie forte tend à être surévaluée par rapport à sa valeur d’équilibre. Cela traduit une
situation économique favorable et un haut niveau de confiance dans cette monnaie. Le franc suisse
est considéré comme une monnaie forte dans le sens où l’économie suisse est l’une des plus
développées au monde, dispose d’une industrie compétitive et de services financiers efficaces.

En quoi une monnaie forte peut-elle être un atout pour les produits nationaux ? Une monnaie qui
tend à s’apprécier permet aux consommateurs et producteurs nationaux de s’approvisionner à
moindre coût. En effet, lorsque la monnaie nationale s’apprécie, la valeur des produits étrangers se
réduit puisqu’il faut moins de monnaie nationale pour régler les achats. L’appréciation de l’euro face
au dollar au milieu des années 2000 a permis de limiter les effets négatifs sur la balance des
transactions courantes de la forte hausse des prix des matières premières. Par exemple, du fait que
les livraisons de pétrole se règlent en dollars, la hausse du prix du baril en dollar a été compensée par
l’appréciation de l’euro et a limité l’accroissement de la facture énergétique. De manière plus
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générale, dans le cadre de la décomposition internationale des processus productifs, disposer d’une
monnaie forte permet d’accroître la compétitivité des producteurs nationaux sur le segment
productif dans lequel ils sont inscrits. J. Héricourt, Ph. Martin et G. Orefice du Cepii montrent ainsi
que les gains de compétitivité permis par une dépréciation du change à court terme sont effacés à
long terme et qu’une monnaie forte est davantage propice à la recherche de gains de productivité.
C’est d’ailleurs cette idée qui a guidé la mise en œuvre de la politique du franc fort en France au
cours des années 1980 après l’échec de la relance Mauroy de 1981-1982. Le franc français avait été
dévalué à trois reprises dans le cadre du Système monétaire européen (fondé en 1979) en raison
d’un différentiel d’inflation élevé, notamment vis-à-vis de l’Allemagne. Le tournant de la rigueur
opéré par le gouvernement Fabius reposait, entre autres décisions, sur la volonté de renforcer la
monnaie nationale par une politique de taux d’intérêt attractif. Le gouvernement cherchait à
enclencher le cercle vertueux d’une monnaie forte.

En revanche, si l’économie n’est pas suffisamment forte, une monnaie forte peut devenir un
handicap. Sur la période d’entre-deux guerres au cours de laquelle les Etats ont cherché à
réorganiser le système monétaire international sur la base d’un régime de change-or (Accords de
Gênes en 1922), le cas britannique permet de comprendre comment une monnaie forte a été un
handicap. En effet, cherchant sans doute à retrouver la grandeur de l’empire, Winston Churchill,
alors chancelier de l’Echiquier, annonce en 1925 le retour de la convertibilité-or de la livre sterling à
sa valeur d’avant-guerre. Au regard des fondamentaux économiques du pays (réserves en or,
capacité industrielle et compétitivité), la devise britannique est sur-évaluée. Cette décision conduit
d’ailleurs J.-M. Keynes à signer un pamphlet, Les conséquences économiques de Monsieur Churchill,
dénonçant les méfaits de cette décision pour l’économie. Et de fait, l’activité économique ne repart
pas suffisamment pour réduire le chômage et les politiques d’austérité visant à accroître la
compétitivité des produits nationaux (politique de déflation) conduisent de nombreux travailleurs à
se mettre en grève pour protester, renforçant encore le ralentissement de l’économie.

Les pays en développement n’échappent pas non plus à ce risque et peuvent être victimes de crises
de change très violentes. A cet égard, la crise mexicaine de 1994-1995 peut apparaître comme un cas
d’école. L’économie mexicaine est dynamique au début des années 1990 et les perspectives de
croissance sont bonnes, notamment du fait de la signature de l’Accord de libre-échange nord-
américain avec les Etats-Unis et le Canada. Le pays doit se financer auprès du reste du monde mais sa
réputation est ternie par le défaut sur sa dette en 1982. Pour donner confiance aux investisseurs, les
titres de dette publique, les teso bonos, sont indexés sur le dollar et les autorités monétaires
mexicaines s’engagent à maintenir la parité peso-dollar. Cependant, le peso s’avère être trop fort
dans le sens où il est sur-évalué au regard des fondamentaux comme le différentiel d’inflation.
Rappelons que selon l’analyse économique standard, initiée par la théorie de la parité des pouvoirs
d’achat de G. Cassel, dans un cadre de libre-échange, un différentiel d’inflation positif doit conduire à
une dépréciation/dévaluation de la monnaie nationale pour compenser ces évolutions différentes
des prix. Or la défense de la parité peso-dollar est une nécessité pour que la confiance dans la
capacité du Mexique à respecter ses engagements perdure. Cependant lorsque les réserves de
change de la banque centrale s’épuisent, les agents financiers anticipent une dépréciation du peso.
Un mouvement de panique s’en suit, ils recherchent des placements sûrs (« flight to quality ») et les
capitaux fuient l’économie mexicaine. Cela conduit à l’effondrement de la devise mexicaine et à un
nouveau défaut sur la dette, mais également à une récession importante. Cet épisode montre que si
une monnaie forte peut être un atout pour établir la confiance, une monnaie trop forte peut devenir
un handicap sévère.
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Ainsi, la force d’une monnaie semble être un atout lorsque celle-ci repose sur une économie forte,
c’est-à-dire une économie dynamique, capable d’innover et dans laquelle les agents économiques et
financiers ont confiance. Elle permet de réduire le coût des importations, elle incite les producteurs à
innover et réduit le coût de financement vis-à-vis du reste du monde. Il semble cependant que cela
ne suffise pas à conclure qu’une monnaie faible soit toujours un handicap, d’autant qu’une monnaie
forte peut devenir un handicap.

B. Une monnaie faible n’est pas toujours un handicap


Il est souvent question du cercle vicieux d’une monnaie faible : lorsque la monnaie se déprécie, le
prix des exportations se réduit et ne conduit pas nécessairement à un accroissement de celles-ci (cela
dépend de l’élasticité-prix, c’est-à-dire de la sensibilité de la demande à la variation des prix), et dans
le même temps le prix des produits importés s’accroît (sans nécessairement réduire les quantités
importés) ce qui dégrade la balance commerciale et engendre de l’inflation. Ces éléments conduisent
à un nouvel affaiblissement de la monnaie. Par ailleurs, la faiblesse d’une monnaie a des effets sur les
relations financières avec le reste du monde. La valeur des dettes et des créances en monnaies
étrangères varie avec le change. Pour les économies endettées ou qui doivent s’endetter auprès du
reste du monde, avoir une monnaie faible est un handicap qui peut être très lourd. La période
d’hyperinflation allemande est significative de cette situation. En effet, suite au Traité de Versailles
de 1919, les réparations exigées par la France notamment sont très élevées. L’Allemagne ne dispose
pas suffisamment de réserves en or pour les régler et le pouvoir fait face à des difficultés importantes
pour lever l’impôt. Lorsque la valeur de la monnaie allemande s’effondre, le prix des produits
importés explose et le pouvoir d’achat des allemands se réduit fortement. La hausse des prix conduit
à un accroissement de la création monétaire et le système monétaire allemand s’enfonce dans une
spirale hyper-inflationniste destructrice.

A l’inverse, toujours au cours de l’entre-deux-guerres, le gouvernement français décide en 1928, sous


la férule de Raymond Poincaré alors Président du Conseil des ministres, de dévaluer le franc
Germinal de 80% de sa valeur. Le franc Poincaré est alors une monnaie faible dans le sens où il est
sous-évalué. Il va permettre un redressement spectaculaire de l’économie française
comparativement à la situation britannique. Ce n’est qu’après la crise de 1929 et la tentative de
maintenir cette parité-or, dans un contexte de dévaluations compétitives (la livre abandonne la
parité-or en 1931 par exemple) que le franc sera de nouveau fort et sur-évalué, mais au détriment de
l’économie dans un contexte post-crise de 1929 déjà très récessif.

Par ailleurs, une monnaie faible peut également être considérée comme un élément structurel des
économies en rattrapage, en particulier pour les pays émergents de la fin du XXe siècle. Cette analyse
a été proposée initialement par B. Balassa et P. Samuelson, et est connue sous le nom d’effet
Balassa-Samuelson. Ils montrent que pour des pays à niveau de développement différent, c’est le
rapport des productivités relatives des secteurs exposés des deux économies qui détermine le taux
de change d’équilibre et non la parité des pouvoirs d’achat. Les économies sont composées d’un
secteur exposé soumis à la concurrence internationale (industrie et agriculture) et d’un secteur
protégé qui n’y est pas soumis (services et artisanat). Or, si la productivité est généralement plus
forte dans le secteur exposé que dans le secteur protégé pour les deux économies, celle du secteur
exposé des pays en développement ou rattrapage est plus faible que celle de celui des pays
développés. Ainsi, la valeur du change compense les écarts de productivités. Lorsque des gains de
productivité apparaissent dans le secteur exposé, les rémunérations s’y accroissent et cela se diffuse
au secteur protégé ce qui est source d’inflation. L’inflation se traduit par une appréciation du taux de
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change réel qui se définit approximativement comme la somme entre le taux de change nominal et le
différentiel d’inflation. Mais si le taux de change nominal ne change pas, la monnaie s’affaiblit de fait
(elle est sous-évaluée) et permet au PED de renforcer encore plus sa compétitivité et sa capacité
exportatrice. Ainsi, au cours des années 1960 et 1970 les Etats-Unis reprochent au Japon de
maintenir un yen sous-évalué pour gagner des parts de marché. Au cours des années 1990 et 2000,
c’est le yuan chinois qui subit les mêmes critiques.

Enfin, les atouts d’une monnaie faible peuvent également être mis en évidence à travers le cas
particulier et paradoxal de la zone euro. En effet, la dynamique économique de l’Allemagne pourrait
bien s’expliquer, entre autres éléments, par la faiblesse de l’euro pour l’Allemagne. En effet,
l’intégration monétaire en Europe n’a pas conduit à une convergence réelle des économies et des
écarts de compétitivité sont apparus au bénéfice de l’industrie allemande notamment. L’Allemagne
présente en effet depuis plusieurs années des excédents commerciaux très importants qui auraient
dû conduire à une appréciation de sa monnaie nationale. Elle n’en dispose plus depuis le passage à
l’euro et les pressions à la hausse sont moindres sur l’euro. A l’inverse, l’économie française présente
des déficits extérieurs chroniques depuis plusieurs années et sa monnaie nationale devrait se
déprécier, ce qui n’est pas possible non plus avec la monnaie unique. Ainsi, le Fonds monétaire
international a calculé que l’euro était trop faible de 15% pour l’Allemagne et trop fort de 6% pour la
France. L’économie la plus forte est ici celle qui dispose de la monnaie la plus faible en quelque sorte.

Ainsi, nous avons pu montrer qu’assimiler systématiquement une monnaie forte à un atout et une
monnaie faible à un handicap pour les économies nationales n’était pas légitime. Nous allons
aborder cette question à présent sous l’angle des relations monétaires internationales.

***

II. L’intérêt ou la possibilité de disposer d’une monnaie forte


pour stabiliser les relations monétaires internationales
Pour Ch. Kindleberger, la stabilité des relations monétaires internationale repose sur l’existence
d’une monnaie forte, au sens où la confiance qu’elle inspire n’est pas discutée. L’économiste
américain parle à ce propos de « stabilité hégémonique » (A). Cependant la question semble
aujourd’hui se poser quant à la possibilité d’une telle régulation des relations monétaires
internationales en présence d’un rééquilibrage de l’économie mondiale autour de trois pôles. Plutôt
que de chercher une monnaie forte ne convient-il pas plutôt de rechercher des coopérations fortes
entre plusieurs monnaies fortes (B) ?

A. Monnaie forte et stabilité hégémonique


Historiquement, il est possible d’identifier deux monnaies fortes ayant joué un rôle fondamental
dans l’organisation des relations monétaires internationales : la livre sterling et le dollar. Sous le
régime de l’étalon-or qui se généralise à la fin du XIXe siècle lorsque les Etats-Unis abandonnent le
bimétallisme, c’est l’or qui est théoriquement la monnaie internationale de référence. La confiance
accordée au métal jaune relève d’une croyance qui a conduit J.-M. Keynes à le qualifier de « vieille
relique barbare ». Les paiements internationaux pouvaient être réglés en devises sous forme de
lettres de change (la valeur de chaque monnaie étant définie en or) ou sous forme métallique. Ce
système devait garantir la stabilité du change puisque les mouvements d’or se substituaient aux
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mouvements de devises si des pressions apparaissaient sur le marché des changes. Par ailleurs, ces
mouvements monétaires devaient conduire au rééquilibrage automatique de la balance des
paiements comme l’avait montré D. Hume au XVIIIe siècle : les variations induites de la base
monétaire doivent conduire à des accroissements/réductions du niveau général des prix et en
conséquence à des détériorations/améliorations de la compétitivité-prix des produits nationaux.
Mais dans les faits, le régime de l’étalon-or correspondait davantage à un étalon-sterling. Dans ce
régime, la livre sterling est la devise-clé du système monétaire international et la Banque
d’Angleterre l’institution qui garantit la liquidité des paiements internationaux. Comme le souligne
M. Aglietta dans ses nombreux ouvrages sur la question, la banque centrale anglaise est celle qui
dispose des réserves de change les plus faibles de l’époque. Le régime repose sur la confiance
accordée à l’institution et à la livre sterling, c’est-à-dire à la monnaie de la première puissance
économique, financière et militaire. D’ailleurs, la pénurie potentielle d’or, dont la quantité dépend
des découvertes, rend nécessaire l’utilisation de la livre sterling pour les investissements
internationaux qui vont à cette période de l’Europe (Angleterre, France) vers le reste du monde
(empires coloniaux, Amériques, Europe de l’est). Cependant les tensions nationalistes et les
préparatifs du financement de la Première Guerre mondiale déstabilisent l’étalon-or. En effet, le
financement monétaire des dépenses publiques conduit à un accroissement considérable de la
masse monétaire au regard des réserves d’or et la convertibilité de la livre sterling en or, comme
celle des autres devises hormis le dollar, est suspendue. La période de l’entre-deux-guerres ne
permet pas d’établir un régime de change stable car en définitive elle correspond à une période de
transition au cours de laquelle la nouvelle puissance dominante, les Etats-Unis, n’assume pas sa
position hégémonique.

Malgré les difficultés liées au rôle attribué à l’or, et malgré les recommandations de J.-M. Keynes, le
système monétaire international de l’après Seconde Guerre mondiale repose sur une devise-clé, le
dollar, que les autorités américaines ont voulu légitimer comme seule monnaie « as good as gold ».
Cette volonté de fixer irrémédiablement la valeur-or du dollar (35 dollars l’once d’or) repose sur le
fait que les Etats-Unis disposent du premier stock mondial d’or. Par ailleurs le dollar est la monnaie
de l’économie la plus forte : les Etats-Unis sont à la frontière technologique, ils présentent une
balance commerciale excédentaire et financent la reconstruction à travers le Plan Marshall. Mais
comme l’a rapidement mis en évidence R. Triffin, vouloir faire d’une monnaie nationale la monnaie
des paiements internationaux soulève un dilemme. En effet, dans un monde en reconstruction puis
en rattrapage économique (les économies européennes et japonaises convergent vers celle des
Etats-Unis) le besoin en liquidité internationale est croissant. Les Etats-Unis fournissent cette
liquidité à travers le plan Marshall puis par les investissements étrangers réalisés par les firmes états-
uniennes et enfin par un déficit commercial croissant à partir des années 1970. Or la quantité de
dollars croît plus rapidement que la quantité d’or. En conséquence, le dollar doit être dévalué ou la
quantité de dollars en circulation dans le monde doit être réduite. Le système finit par s’effondrer au
début des années 1970, dans le cadre d’une amplification des mouvements internationaux de
capitaux, et malgré des tentatives pour le maintenir (création du pool de l’or au début des années
1960 afin de stabiliser la valeur du métal sur le marché, création des droits de tirage spéciaux en
1968 pour élargir la liquidité en dehors du dollar). Le 15 août 1971, le Président Nixon annonce
unilatéralement l’inconvertibilité du dollar en or. Le dollar se déprécie du fait d’une perte de
confiance. Il reste cependant au cœur du système monétaire international. D’une part, une grande
partie des biens reste évaluée en dollars sur les marchés mondiaux (comme le pétrole ou les
céréales), et d’autre part il est rationnel d’utiliser la monnaie de références des partenaires
commerciaux afin de limiter les coûts du change. Par ailleurs, il n’existe pas à ce jour de remplaçant
potentiel au dollar. Pourtant, aujourd’hui, même si le dollar s’apprécie de nouveau, un nouveau
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paradoxe de Triffin est apparu et un mouvement de panique sur le dollar pourrait conduire à une
catastrophe économique et financière mondiale. C’est pourquoi certains envisagent de repenser le
système monétaire international non pas autour d’une monnaie forte qui finit toujours par s’affaiblir,
mais autour d’une coopération forte entre monnaies fortes.

B. Une coopération forte entre plusieurs monnaies fortes plutôt qu’une


seule monnaie forte comme atout pour la stabilité des relations monétaires
internationales
Il ne s’agit pas ici de faire œuvre de prospective mais d’explorer quelques évolutions institutionnelles
possibles pour surmonter les difficultés engendrées par la régulation des relations monétaires
internationales autour d’une devise-clé. Deux pistes semblent se dessiner : un système multidevises
ou multipolaire ; la transformation du droit de tirages spéciaux (DTS) en liquidité internationale
ultime. La première piste est notamment analysée par A. Benassy-Quéré et J. Pisani Ferry dans un
rapport de 2011 du Conseil d’analyse économique français intitulé Réformer le système monétaire
international. Sur la base d’une travail comparatif entre un système hégémonique dans lequel une
monnaie nationale joue le rôle de liquidité internationale et un système multidevises, ils concluent
que les régulations monétaires internationales gagneraient à être fondées sur trois devises-clés, les
monnaies des trois pôles économiques dominants aujourd’hui (dollar, euro et yuan). Ces devises
flotteraient entre elles dans un cadre de libre circulation des capitaux mais cela nécessiterait
qu’existe une coordination forte entre banques centrales pour éviter toute guerre des monnaies,
c’est-à-dire toutes tentatives d’influencer la valeur externe des monnaies pour accroître la
compétitivité-prix des produits régionaux. Cette coordination permettrait de diluer le dilemme de
Triffin et de partager le privilège exorbitant d’avoir une monnaie nationale simultanément monnaie
internationale. Cependant, cela nécessite que l’euro et le yuan deviennent des monnaies
équivalentes au dollar. L’euro doit en cela être complété par un budget de la zone euro et la création
d’eurobonds (c’est-à-dire de titre de dette publique émis au nom de ce budget) afin de fournir un
actif financier sûr aux institutions financières à l’image des bons du Trésor américains. Le yuan doit
achever son internationalisation qui a débuté par la modification des règles de fixation de sa valeur
externe par la Banque populaire de Chine et son intégration dans le panier de monnaies composant
le DTS.

Cependant ce type de solution ne règle pas vraiment la question de la liquidité internationale ultime
et de l’ajustement des balances des paiements. M. Aglietta est beaucoup plus sévère sur la capacité
à réguler les relations monétaires internationales dans un système multidevises. En effet, dans le
cadre d’une intégration financière complète il ne peut exister plusieurs formes de liquidité, et si elles
existent leur prix est indéterminé. Intuitivement, cela s’explique du fait que la monnaie, fondée sur la
souveraineté, est la mesure ultime de toute valeur. Or au niveau mondial, en l’absence de
souveraineté universelle, il est impossible que plusieurs monnaies soient simultanément mesure
ultime de toute chose puisque chaque monnaie est mesurée dans une autre monnaie. Il propose
alors de s’inspirer du plan proposé par J.-M. Keynes. Créer une liquidité mondiale ultime ne reposant
sur aucune devise nationale permettrait d’éviter les écueils d’un système multidevises ou d’un
système hégémonique. Les paiements internationaux seraient réglés par les banques centrales
nationales (ou régionales) dans cette monnaie dans le cadre d’une chambre de compensation. En cas
de risque systémique mondial, c’est-à-dire de perturbation délétère de l’ensemble du système
monétaire et financier à l’image de la crise des subprimes, l’institution garante de cette liquidité
ultime pourrait jouer le rôle de prêteur en dernier ressort international. Le DTS et le FMI seraient les
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candidats idéaux à condition que les puissances mondiales s’entendent pour redéfinir les statuts du
fonds et rééquilibrer les rapports de force au sein de cette institution toujours dominée par les Etats-
Unis.

Ainsi, l’histoire a montré que fonder les relations monétaires internationales sur une monnaie
nationale, aussi forte fut-elle au départ, est apparu comme un handicap à long terme plutôt que
comme un atout. C’est la raison pour laquelle il serait préférable d’imaginer un nouveau système
monétaire international.

***

En définitive, la question posée est complexe et considérer une monnaie forte comme un atout et
une monnaie faible comme un handicap serait insuffisant. Une monnaie sous-évaluée peut
permettre le rattrapage économique et la convergence des niveaux de développement économique
et apparaître ainsi comme un atout. A plus long terme en revanche il semble important que les
monnaies nationales soient correctement évaluées et gravitent autour de leur valeur d’équilibre.
Pour ce qui concerne les relations monétaires internationales, une monnaie forte peut être un atout
mais de courte durée puisqu’une monnaie forte finit par s’affaiblir. C’est pourquoi il semble pertinent
que les monnaies nationales gravitent autour de leur valeur d’équilibre et puissent s’ajuster en cas
de besoin, ce qui nécessite de mettre en œuvre une coopération monétaire internationale forte. Si
l’on admet que le système monétaire international pourrait reposer sur le dollar, le yuan et l’euro,
encore faudrait-il que les gouvernements de la zone euro parviennent à s’entendre pour « compléter
l’euro ».

Références bibliographiques

Livres

 Aglietta M. (1986), La fin des devises clés, La Découverte, Coll. « Agalma ».


 Aglietta M. (2016), La monnaie. Entre dettes et souveraineté, Odile Jacob.
 Beitone A. (dir.) (2016), Économie, sociologie et histoire du monde contemporain, Armand
Colin, Coll. « U » (notamment le chapitre 8, « La dynamique de la mondialisation
financière »).
 Bénassy-Quéré A. (2015), Économie monétaire internationale, Economica, Coll. « Corpus
Economie ».
 Joubert M. et Lorrain L. (2015), Économie de la mondialisation, Armand Colin, Coll.
« Cursus ».
 Lelart M. (2011), Le système monétaire international, La Découverte, Coll. « Repères ».
 Lemoine M. et alii (2016), Les grandes questions d’économie et de finance internationale.
Décoder l’actualité, de boeck, Coll. « Ouvertures économiques ».
 Plihon D. (2012), Les taux de changes, La Découverte, Coll. « Repères ».

Articles et textes en ligne


A. Beitone, L. Lorrain, C. Rodrigues, La dissertation de science économique © Armand Colin, 2016

 Artus P. (2016), « Les pays (régions) de l’OCDE devraient tous essayer d’avoir une monnaie
forte »,
https://www.research.natixis.com/GlobalResearchWeb/main/globalresearch/ViewDocumen
t/4I919sYNuCMbV2kclVPMVQ
 Benassy-Quéré A. et alii (2014), « L’euro dans la ‘’guerre des monnaies’’ », http://www.cae-
eco.fr/IMG/pdf/cae-note011-2.pdf

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