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Zappino Communisme Queer Cap. Mieli
Zappino Communisme Queer Cap. Mieli
COMMUNISME QUEER
POUR UNE SUBVERSION DE L’HÉTÉROSEXUALITÉ
federico zappino
traduit de l’italien par stefania caristia et romain descotttes
5
conclusion
Vers le Nouveau Prolétariat Révolutionnaire des Femmes
et des Tarlouzes
« Vous ne devez pas craindre de vous faire enculer lorsque
vous passerez de notre côté, vous devez plutôt avoir peur
de ce que vous êtes aujourd’hui, des mâles hétérosexuels
comme la norme l’exige, et de surcroît en crise. N’est-il
pas grand temps de s’opposer pour toujours à la crise, à
la castration et au sentiment de culpabilité, et d’“effacer
le mot flip du dictionnaire” ? N’est-il pas grand temps de
refuser gaiement le malaise que la société nous a imposé
et d’arrêter la machine totalitaire du capital, créant ainsi
de nouveaux rapports totalisants, et puisque nous sommes
des corps, des rapports érotiques entre tous ? […] La terreur
que vous éprouvez à l’égard de l’homosexualité est une ter-
reur capitaliste, c’est un terrorisme paternel, c’est la terreur
à l’égard du père que vous n’avez pas encore dépassée »,
Mario Mieli, Éléments de critique homosexuelle.
Avec Éléments de critique homosexuelle, ouvrage publié en Italie
en 1977, Mario Mieli nous donnait ce que toutes et tous ceux qui,
aujourd’hui, veulent lutter pour révolutionner les présupposés de leur
propre oppression doivent bien garder à l’esprit.
Deux choses sont à mon avis à souligner dans son œuvre. La pre-
mière est que, loin de libérer les « différences », le système capitaliste
dans lequel nous sommes plongés les exploite. La deuxième est que,
toutefois, cette exploitation peut avoir lieu précisément parce que le
capitalisme laisse complètement inaltérée la structure sociale qui produit
ces différences en tant que telles, en des modes qui ne peuvent être
distingués des inégalités, des oppressions, des violences, de la haine,
ainsi que des formes de tolérance et d’inclusion conditionnelle. D’autre
part, si le capitalisme peut exploiter les différences, c’est qu’il s’est édi-
fié sur elles et que sa possibilité de survie en dépend. Par conséquent,
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1. Mario Mieli, Éléments de critique homosexuelle : Italie, les années de plomb, op. cit., p. 144.
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2. « La perspective du mariage des homosexuels intéresse beaucoup plus le système que les gays
réformistes. Aux États-Unis, la presse, qui a pourtant passé sous silence le massacre de trente et un
homosexuels à la Nouvelle-Orléans en 1973 (un des nombreux massacres perpétrés par l’Hétéro-
État), a consacré la même année de longs articles à la célébration des mariages entre femmes et entre
hommes. En Suède (comme en Norvège) la presse et la télévision discutent du droit au mariage
des homosexuels, alors même que les organisations gays modérées se limitent à la revendication
d’une complète acceptation par la société. Le statu quo hétérosexuel, par son « progressisme », vise
l’intégration totale de l’homosexualité : retour (par la porte de service) aux structures de la famille »
(idem.)
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4. Mario Mieli, Éléments de critique homosexuelle : Italie, les années de plomb, op. cit., p. 348-349.
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qui, cependant, sont un peu plus gay friendly ou, plus simplement, indif-
férents) aime à le penser. À travers ses déclarations d’homme politique
hétérosexuel, il rend plutôt explicites deux questions : la première est
que l’hétérosexualité constitue une majorité politique, avant que numé-
rique ; la deuxième est que cette majorité politique, même lorsqu’elle
refuse poliment de le dire, pense que toutes les modalités d’existence
et de relation non conformes à l’hétérosexualité sont et restent des
perversions – ou des pratiques « dégoûtantes », justement.
Notre statut politique minoritaire en témoigne. Mais nous sommes
minoritaires également d’un point de vue numérique, même si nous
nous leurrons souvent en disant qu’il y a de plus en plus de personnes
obligées d’être hétérosexuelles – comme cela continue d’arriver pour
toute nouvelle naissance et est également arrivé à nous toutes, tout
comme nous a été imposé le genre socialement conforme à notre
sexe – qui se sentent plus libres de ne pas respecter ces obligations et
de renégocier les termes généraux du contrat avec le reste de la société
hétérosexuelle. Il faut dire que la perception de cette liberté accrue,
en termes strictement numériques, est faussée par le fait que les Pride
sont pleines d’hommes hétérosexuels5 – qui, par d’ailleurs, tiennent
beaucoup à y clarifier qu’ils ne sont pas du tout « comme nous », par
des banderoles explicites pour éliminer toute ambiguïté autour de leur
présence6. Il faut également dire que, aujourd’hui encore, lorsque nous
nous retrouvons entre nous, dans certaines piscines thermales publiques
où nous nous réfugions pour défouler la tension et le stress d’être
constamment en contact avec des personnes qui nous méprisent, nous
5. « Défiler à la Pride signifiait protester », disait Paul Ellis, activiste gay historique du quartier Castro
de San Francisco : « Aujourd’hui ce n’est plus qu’une occasion pour des jeunes hétéros de montrer
leurs pectoraux et de faire la fête », voir « Gay Pride parades used to mean protests. Now they’re an
excuse for straight kids to party », USA Today, 25 juillet 2018.
6. Parmi les plus récentes : « J’aime les foufounes mais je soutiens la parade » (juin 2018). Cette pan-
carte a toutefois été perçue par peu de personnes comme homophobe et sexiste, ainsi que « despo-
tiquement hétérosexuelle » : cette expression avait déjà été utilisée par Eve Kosofsky Sedgwick qui
commentait alors une manifestation « d’alliance », avec les étudiants gays, des hommes hétérosexuels
se déroulant à l’université de Amherst (Massachusetts) au milieu des années 1980 : « Je me souviens
d’une manifestation pro-gay […] durant laquelle, bien que personne n’ait pris le risque de faire un
coming out, quelques hommes en soutien des droits des personnes gays se sentaient dans l’obligation
de préciser que, tout en étant sensibles à la thématique, ils étaient tout de même hétérosexuels. À
cet instant j’ai compris que je ne voulais pas me retrouver dans cette position despotique et assez
répréhensible. […] Il n’est pas possible de dire, à la première personne, qu’on est “hétérosexuel”
sans évoquer fatalement une symétrie fallacieuse entre les deux termes » (Epistemology of the Closet,
op. cit.).
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haïssent ou, dans le meilleur des cas, nous tolèrent, nous avons toutefois
parfaitement conscience que nous constituons une minorité. Cela m’est
arrivé hier, dans une ville du Nord du monde. Nous sommes mal à
l’aise, nous nous regardons entre nous comme si nous étions des crimi-
nels, nous intériorisons le regard des hétérosexuels à notre encontre, en
vivant une forme d’attraction réciproque qui est toutefois indissociable
de la perception de l’insécurité et de la culpabilité. Nous nous sentons
ensorcelés, limités dans le désir de nous rapprocher et de parler – tan-
dis qu’autour de nous les couples hétérosexuels sont parfaitement à
leur aise, lorsqu’ils ne sont pas occupés à se galocher à la piscine, au
parc, à la plage, n’importe où, qu’il y ait des enfants autour d’eux ou
pas. Nous nous sentons comme si nous occupions abusivement l’espace
public, comme si cet espace ne nous appartenait pas légitimement,
comme si nous étions des hôtes constamment indésirés. Et la majo-
rité des personnes nous le confirme sans hésiter, à travers les regards
insistants, même lorsqu’on ne nous dit ou ne nous fait rien d’explici-
tement « offensif ». Nous pouvons être examinés par les hétérosexuels,
ils peuvent nous scruter, impunément, comme si cela ne constituait pas
une violation à notre égard. Et nous pouvons faire l’objet d’insultes,
d’offenses et d’agressions physiques. Le traitement que nous subissons
est, dans un certain sens, très similaire à celui que subissent les femmes,
même si, pour nous, la possibilité de subir un harcèlement sexuel ou un
viol est plus faible ; cette possibilité n’est pas nulle pour autant, notam-
ment si nous différons des normes hégémoniques de la masculinité7.
Mais s’ils – les hommes hétérosexuels – se sentent libres de le faire,
c’est évidemment qu’ils ne craignent pas une réaction de notre part. Ils
sont pleinement conscients qu’ils occupent une position majoritaire, de
supériorité. « Espace public » signifie, d’ailleurs, « espace hétérosexuel ».
Les brillants intellectuels de gauche peuvent trouver ici la raison pour
laquelle, pour beaucoup d’entre nous, il est plus simple, et souhaitable,
de se retirer dans l’obscurité de l’espace privé (pour ceux qui peuvent
s’en permettre un), de la maison, de la chambre à coucher, dans les bars
gays, dans le consumérisme le plus effréné, dans les nombreux « ghettos
dorés ». L’anticapitalisme est en de piètres mains, chers camarades : l’indifférence
olympique de cette brillante intelligentsia de gauche à l’égard des conditions
7. Pour Mieli, la nature d’une agression d’un homme hétérosexuel contre un homosexuel – bien
qu’elle diffère du viol ou du harcèlement réservé généralement aux femmes – reste toutefois
d’ordre sexuel.
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8. Mario Mieli, Éléments de critique homosexuelle : Italie, les années de plomb, op. cit., p. 112.
9. Ibid., p. 137.
10. Ibid., p. 138.
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14. Ibid., p. 87. « En un mot, ils [les gays] savent ce que signifie être considérés comme des êtres
humains de seconde zone, comme le deuxième sexe », idem.
15. Ibid., p. 293.
16. Ibid., p. 88.
17. Idem.
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18. Ibid., p. 294. « Pour un homme, s’habiller en “femme” ne signifie pas nécessairement représenter
la “femme-objet”. Tout d’abord, parce qu’il n’est pas une femme, et que le fétichisme masculin
imposé par le capital réclame qu’il soit habillé tout autrement, réifié en une tout autre tenue, habillé
comme un homme ou bien “unisexe” », idem.
19. Ibid., p. 297
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Mieli sait très bien que les effets de la norme hétérosexuelle consistent
à la fois dans le tabou anti-homosexuel et dans l’assujettissement de la
femme à l’homme. Cet assujettissement devient intelligible à travers la
violence sexuelle, le viol, ainsi que l’exploitation du travail reproductif
gratuit ou sous-payé des femmes, à l’intérieur ou à l’extérieur de la
maison. La féministe matérialiste Christine Delphy20 affirme que, en
termes de pourcentage, cette donnée demeure inaltérée depuis 1977. Le
travail gratuit ou sous-payé des femmes, à l’intérieur ou à l’extérieur de
la maison, ne cesse de constituer le grand allié du capitalisme. De plus,
grâce à la réflexion de Deborah Ardilli, nous pouvons également saisir
le pouvoir performatif du travail domestique gratuit, à savoir l’ensemble
des effets qu’il produit sur celles qui sont destinées à l’accomplir ainsi
que, plus généralement, en termes d’occultation et de réification du
mode de production hétérosexuelle du genre21.
Si l’on se bornait à ne concevoir le travail domestique gratuit qu’en
tant qu’allié du capitalisme, on risquerait en effet de véhiculer l’idée
que seul le capitalisme en tire des bénéfices, et non pas, à travers lui,
les hommes et la reproduction de la société hétérosexuelle. Il serait
d’ailleurs ardu d’essayer de comprendre quel avantage pourrait tirer
le capitalisme du viol de la femme par l’homme (ou par un groupe
d’hommes), ou du passage à tabac d’un gay par un homme (ou par un
groupe d’hommes).
Toutefois, c’est précisément à ce niveau que l’on peut questionner
la relation que Mieli théorise entre le capitalisme et la norme hétéro-
sexuelle. Car pour Mieli, le capitalisme – conçu en tant que mode de
production et rapport social – tire tous les bénéfices, non seulement du
travail gratuit des femmes, ou des nouvelles formes d’exploitation des
homosexuels. Le capitalisme tire tout d’abord ses bénéfices de l’action
répressive qu’accomplit la norme hétérosexuelle sur ce qu’il définit
comme « transsexualité originaire ».
L’emploi que Mieli fait du mot « transsexualité » est assez différent
de la manière dont le concevait le sexologue David Oliver Cauldwell
(qui forgea le terme en 194922) ou l’endocrinologue Harry Benjamin,
qui publia, en 1966, l’un des premiers ouvrages scientifiques importants
20. Christine Delphy, Pour une théorie générale de l’exploitation, op. cit.
21. Deborah Ardilli, « Introduzione », dans Manifesti femministi op. cit.
22. David Oliver Cauldwell, « Psychopatia transexualis », Sexology, n° 16, 1949.
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23. Harry Benjamin, The Transsexual Phenomenon : A Scientific Report on Transsexualism and Sex
Conversion in the Human Male and Female, New York, The Julian Press, 1966
24. Éléments de critique homosexuelle : Italie, les années de plomb, op. cit., p. 36. Il me semble que la trans-
sexualité originaire définie par Mieli peut corresponde à l’unité de l’être qu’on trouve chez Wittig.
25. Ibid., p. 34-35.
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28. Mario Mieli, Éléments de critique homosexuelle, op. cit., p. 112. NdT : l’édition française ayant omis
ce passage, nous traduisons du texte original : Mario Mieli, Elementi di critica omosessuale, Turin,
Einaudi, 1977.
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les hommes, aussi bien que les femmes et les pédés ; sont assujettis à la
norme, les femmes et les pédés sont également, à leur tour, assujetties
aux hommes – culturellement, économiquement et érotiquement. Ils
sont asservis mais, « au lieu de diriger leur rage et leur haine contre
le système, ils les dirigent contre ceux qui paraissent encore plus bas
qu’eux : la femme et le pédé29 ». C’est là la substance de la conformité dif
férentielle à la norme. C’est la forme sociale que prend et perpétue l’aliénation
de la transsexualité. Et c’est naturellement de là que découle le rôle que Mieli
accorde aux sujets historiques de l’antithèse à la norme, dans la subversion de
la norme elle-même.
Considérons à ce propos la réponse de Mieli à Luciano Parinetto
et à son urgence de penser la transsexualité hors de la dialectique qui
l’oppose à la norme hétérosexuelle. Pour Parinetto, « si elle ne veut
pas [confirmer] la négation des rôles sexuels, sur laquelle elle pourrait
se fonder », la contestation des gays et des femmes devraient penser la
transsexualité en des termes « totalement alternatifs à la fois à la pré-
tendue normalité et à ce qui en constitue l’opposition dialectique30 ».
En principe, Mieli partage cette exhortation. La question politiquement
ouverte reste toutefois qu’il est difficile que le « totalement alternatif »,
que Parinetto souhaite voir, se produise, en l’absence d’une subversion
de ce qui, à l’état actuel, l’inhibe, le réprime, ou le fétichise et le réifie
dans les relations capitalistes. Mieli est bien sûr un partisan de l’utopie,
mais d’une « utopie concrète » :
Je tiens à insister sur le fait que la conquête de la transsexua-
lité passe nécessairement par le mouvement des femmes et
la libération complète de l’homoérotisme, mais aussi des
autres composantes de l’érotisme polymorphe de l’être hu-
main. Par ailleurs, l’idéal utopique de la transsexualité ne
peut s’entendre comme « utopie concrète » qu’à condition
qu’il nous fasse sortir de la dialectique concrète actuelle
entre les sexes et entre les différentes tendances sexuelles
(notamment entre hétérosexualité et homosexualité) et qu’il
nous en éloigne. Les sujets qui s’opposent dans un rapport
antithétique à la norme hétérosexuelle masculine sont les
seuls qui peuvent lutter pour le dépassement de l’actuelle
opposition entre les sexes et entre génitalités hétérosexuelles
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34. Mario Mieli, Éléments de critique homosexuelle, op. cit., p. 312. Et il continue : « Mais ce n’est pas
la seule. Il en existe d’autres et, en particulier, celle qui considère la norme hétérosexuelle, et donc
le mariage et la famille, comme l’institutionnalisation de l’assujettissement de la femme au mâle. »
35. Ibid., p. 313.
36. Herbert Marcuse, Éros et civilisation, Paris, Minuit, 1968, p. 54.
37. Mario Mieli, Éléments de critique homosexuelle, op. cit., p. 313
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38. Idem.
39. Idem. Il ajoute : « Si l’on continue d’accepter les produits vraiment obscènes et pervers que le
capital impose sur le marché sous l’étiquette de sexualité « perverse », si certains se contentent de
« défouler » leurs pulsions « particulières » en se limitant à éprouver une excitation médiocre devant
les suppôts fétiches misérables du sexe bradés par le système, alors il est évident que les tendances
érotiques définies comme « perverses » ne peuvent que demeurer réprimées. Aujourd’hui, la lutte
pour la libération de l’Éros consiste aussi en un refus du sexe libéralisé et donc emboîté dans la
société permissive, un refus du consumérisme sexuel. »
40. Ibid., p. 315.
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pourquoi ils sont mis à valeur et au travail dans leur totalité, que ce
soit par sublimation ou par désublimation. « norme hétérosexuelle »,
en ce sens, semblerait définir le mode de production des ressources
humaines et symboliques sur lesquelles s’organisent la société et l’éco-
nomie. J’emploie cette expression, « mode de production », en la tirant
librement du vocabulaire marxiste, pour insister sur le fait que, pour
Mieli, ce bios qui, selon certains, serait génériquement mis à valeur et
au travail, est déjà, et depuis toujours, genré. C’est précisément cette
genrisation qui permet sa mise à valeur selon les modalités dans les-
quelles elle se manifeste matériellement. La « multitude », par consé-
quent, n’est pas encore composée de « singularités » – selon cette ligne
de pensée allant de Deleuze à Negri –, mais, de façon obstinée, elle se
compose de sujets genrés et racisés, tout comme la productivité qui en
découle est genrée et racisée. C’est ici, je crois, que s’inscrit la critique
actuelle du « travail du genre », sur lequel insiste aujourd’hui en Italie le
SomMovimento NazioAnale :
Le genre est un moyen de production sociale : nous faisons
toutes et tous notre entrée en société en incorporant un
genre, et toutes les prestations sociales, soient-elles profes-
sionnelles ou non, passent par des caractéristiques de genre
qui sont mises en production de manière spécifique. Nos
performances de genre ont tendance à être toujours mises à
profit : lorsque nous le construisons à travers la consomma-
tion ; lorsque nous le performons en partageant (comme sur
les réseaux sociaux) des informations sur nous-mêmes, sur
nos préférences, sur notre personnalité ; lorsque nos carac-
téristiques de genre (présumées) sont mises au travail dans
une entreprise, dans un chantier, derrière le comptoir d’un
bar, à l’université41.
Selon le SomMovimento NazioAnale, l’idée selon laquelle le genre
constitue un « moyen de production sociale » conduit tout d’abord à
reconnaître la gratuité du travail du genre, et donc l’exploitation qui
se déploie à travers l’ordre constitué des genres, tout simplement en le
faisant nôtre :
41. Voir à ce propos Renato Busarello, « Diversity management, pinkwashing aziendale e omo-
neoliberismo. Prospettive critiche sul caso italiano », dans Federico Zappino (éd.), Il genere tra neoli-
berismo e neofondamentalismo, op. cit., p. 80.
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42. SomMovimento NazioAnale, « Sciopero sociale : sciopero dai generi/dei generi », 2014, som-
movimentonazioanale.noblogs.org.
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46 Ibid., p. 238.
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