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9
B!
I. Contexte géographique
et politique de la Sardaigne contemporaine .......................................... p. 8
a. Un statut politique particulier ................................................................ p. 10
b. Entre culture hégémonique et subculture,
des contrastes violents ......................................................................... p. 11
F3URFHVVLRQGHWRXULVWHVULWXHOVGHO¶DUJHQW
Une transition patrimoniale ...................................................................... p. 13
Nouvelles orientations du sacré ? ............................................................ p. 14
_____________
PREMIÈRE PARTIE.
La fabrication scientifique du religieux subalterne ............................ p. 24
1
a. La magie, « valeur sociale » ................................................................ p. 25
b. La magie, « science embryonnaire » ................................................... p. 26
c. La magie, « religion primitive » ............................................................. p. 27
Peut-RQSDUOHUG¶XQ© syncrétisme » magico-religieux ? .......................... p. 30
2
_____________
DEUXIÈME PARTIE.
Us et rituels de la société paysanne organique .................................. p. 63
3
_____________
TROISIÈME PARTIE.
Les spiritualités sardes émergentes, un fait social global .............. p. 110
4
____________
&RPSDUHUSRXUQHSDVV¶HQIHUPHU......................................................... p. 151
Sacré. Banalité. Individualité. Une fin de la subalternité ? ..................... p. 152
Vers un différentialisme égalitaire ? ....................................................... p. 154
Étudier une île, pas un isolat. Pistes de recherche ................................ p. 157
_____________
5
TABLE DES ANNEXES p.166
Annexe 1 :
Les « Paraulas mannas », grandes paroles du pouvoir subalterne
Annexe 2 :
Le patrimoine populaire devient hégémonique (1)
Annexe 3 :
Le patrimoine populaire devient hégémonique (2)
Annexe 4 :
Mythologie contemporaine et sacralisation de la nature : la « Nuraghelogia »
Annexe 5 :
([WUDLWGHO¶RXYUDJHNuraghelogia, de R. Altana (p.100)
Annexe 6 :
Exemple de stage énergétique auprès des mégalithes (1)
Annexe 7 :
Exemple de stage énergétique auprès des mégalithes (2)
Annexe 8 :
Mythes, rites et brebus VDUGHVDXMRXUG¶KXL
Annexe 9 :
Le « Nuragisme », une spiritualité « archéo-contemporaine » ?
Annexe 10 :
Géobiologie ésotérique
Annexe 11 :
La posture provocatrice du Black Metal sarde « sataniste »
6
INTRODUCTION. Une présentation générale
Sardaigne « magique ª /H FDXFKHPDU G¶rWUH VRL GDQV OH UHJDUG GH
O¶$XWUH
1
http://www.idemec.cnrs.fr/spip.php?article158&lang=fr.
7
En outre, ces démonstrations du sacré populaire ne sont ni tout à fait
conformes aux dogmes édictés par la papauté, ni tout à fait « magiques »,
dans la mesure où des prières catholiques peuvent aussi bien permettre le
VXFFqV G
XQH RSpUDWLRQ GH VRUFHOOHULH TX¶XQH VWDWXH GH VDLQW SHXW rWUH
« punie ª VL HOOH Q¶DFFqGH SDV DX[ GHPDQGHV GH SpOHULQV FRQWUH OD
sécheresse. En quelque sorte, si nous devions reprendre la définition de la
religiosité populaire de Marc Augé dans son Génie du PaganismeF¶HVWSDU
le rituel -entendu comme bras actif de la pensée spirituelle- que nous
suivrons le fil de ses transformations, car : « Appréhendé tour à tour sous son
aspect étrange, puis familier, le paganisme se laisse définir, au bout du
compte, par sa dimension rituelle » (Augé, 1982 : 16). Les rituels magico-
religieux constatés dès le XIXè s. par les anthropologues et les voyageurs
ont contribué à fixer de manière scientifique un caractère d'étrangeté
subalterne, forgée patiemment tout au long des deux derniers millénaires par
les classes dominantes issues des invasions successives.
8
tour à tour les contrastes entre nature et culture. Essayer de décrire cette île
UHYLHQW VRXYHQW j GUHVVHU XQ FDWDORJXH G¶XQ © paysage type »
méditerranéen ; toutefois, son originalité réside dans la prodigieuse
FRH[LVWHQFH G¶XQ ELRWRSH H[WUrPHPHQW ULFKH QDWXUH VXU ODTXHOOH VHPEOH
V¶rWUH JUHIIpH comme dans une admirable symétrie, une multiplicité de
ressources culturelles.
2
6RXUFHLQWHUQHWLVVXHGHO¶,VWDW,VWLWXWR1D]LRQDOHGL6WDWLVWLFDpTXLYDOHQWGHO¶,16((IUDQoDLV :
http://www.tuttitalia.it/sardegna/statistiche/popolazione-andamento-demografico/
3
Mer de Sardaigne
4
Mer Tyrrhénienne
9
Ponente5) certains mois, alors que les pluies sont rares. Les hivers rigoureux
GX FHQWUH GH O¶vOH FRQQDLVVHQW OD QHLJH VXU OHV VRPPHWV Ges monts
Gennargentu et Bruncuspina, principalement.
/D YpJpWDWLRQ GHV IRUrWV GH O¶LQWpULHXU VH FRPSRVH GH YDULpWpV GH
chênes-lièges, de noyers, de châtaigniers et de hêtres, alors que les côtes
dispensent des kilomètres de maquis planté de myrtes, de genévriers ou de
figuiers de Barbarie, le tout formant une flore typique du Bassin
PpGLWHUUDQpHQ 'HV FHUIV pODSKHV SHXSOHQW OHV IRUrWV GH O¶LQWpULHXU WRXW
FRPPHOHVGHUQLHUVFKHYDX[VDXYDJHVG¶(XURSHGHODUDFHRPEUDJHXVHGX
plateau de la Giara occupent encore une partie du territoire, tandis que le
faucon protégé dit G¶eOpRQRUH surplombe le ciel des cîmes.
5
Autre nom du Mistral
6
Loi constitutionnelle italienne du 26/02/1948 sur le sWDWXW G¶DXWRQRPLH VDUGH :
http://www.br3nn0s.org/costituzioni/sardo.htm
10
Son économie principalement agro-pastorale et rurale subit de profonds
bouleversements depuis les années 1950, et la transition vers l'économie de
marché globalisée s'avèUHGLIILFLOHPDOJUpFHVWDWXWG¶H[FHSWLRQ
/D6DUGDLJQHGHVDQQpHVG¶DYDQWFRPSWDLWHQFRUHXQHSRSXODWLRQ
à dominante paysanne contrastant par son mode de vie précaire, ses travaux
DJUDLUHV HW VHV FRQGLWLRQV G¶pOHYDJH SpQLEOHV DYHF OD YLH GHV JUDQGV
propriétaires terriens, des notables continentaux, ou avec les oligarchies
étrangères établies par les invasions successives, lesquelles, en démarquant
volontairement leur mode de vie des populations autochtones, auront
11
cristallisé le repli identitaire de ces dernières. Une société « dualiste » était
née, entre population autochtone dominée et oligarchie étrangère
hégémonique.
Ainsi, depuis le Ier millénaire avant Jésus-&KULVWMXVTX¶au rattachement
GH OD 6DUGDLJQH DX 5R\DXPH GH 6DYRLH DX ;9,,,q V O¶LPDJH G¶XQH VRFLpWp
sarde fractionnée et asymétrique se traduit par un discours parfois
YLROHPPHQW VpSDUDWLVWH DFFRUGDQW O¶H[SUHVVLRQ YHUQDFXODLUH UHOLJLHXVH j XQH
« culture populaire dominée ª &HSHQGDQW O¶pWXGH GX PDJLFR-religieux en
Sardaigne nous permet aussi de comprendre comment les représentations
SpMRUDWLYHV SRUWpHV GHSXLV O¶H[WpULHXU RQW FRQWULEXp j FRQVWUXLUH DXWDQW GH
matrices réflexives à penser le Soi $LQVL TXH %DUWK O¶H[SUimait dans son
pWXGH VXU O¶LGHQWLWp HW OD IURQWLqUH F¶HVW XQ FHUWDLQ UDSSRUW j O¶DOWpULWp
immédiate qui détermine sa propre identité. Ainsi, ce champ permet de
comprendre comment, à partir de stigmates historiques persistants, les
insulaires ont fait de péjorations répétitives un atout de revendication
identitaire valorisant depuis le XXè s. la « spécificité » de leurs
SDUWLFXODULVPHVUHOLJLHX[HWPDJLTXHVOHVTXHOVVµLOVSHUVLVWHQWGDQVOHWHPSV
sont également inscrits dans une dynamique contemporaine en constante
transformation.
En appliquant dans une Première partie les outils analytiques
G¶© hégémonie » et de « culture dominée » issus des ouvrages de Gramsci,
Lanternari ou Cirese, nous tenterons de comprendre comment se fabriquent,
se répartissent et finissent par être se muséifier7, ces représentations
positivistes8 de la pensée subreligieuse, assimilant souvent populaire à
inférieur, et magique à sauvage.
7
Comme nous dirions un peu... se momifier. NdlA.
8
$X VHQV R O¶HQWHQGDLW $XJXVWH &RPWH ORUVTX¶LO pFULYLW HQ VRQ Cathéchisme positiviste,
GRFWULQH G¶XQH QRXYHOOH UHOLJLRQ VFLHQWLVWH TX¶LO HQWHQGDLW GpYHORSSHU j SDUWLU GHV SURJUqV
VFLHQWLILTXHVHWWHFKQLTXHVDFFRPSOLVSDUO¶2FFLGHQWLQGXVWULHO
12
F 3URFHVVLRQ GH WRXULVWHV ULWXHOV GH O¶DUJHQW 8QH WUDQVLWLRQ
patrimoniale
9
&RPPHO¶eWDWLWDOLHQOD5pJLRQDXWRQRPH6DUGDLJQHRXGHQRPEUHX[ILQDQFHPents privés bancaires.
13
Nouvelles orientations du sacré ?
10
Branche de la néo-sorcellerie anglo-saxonne créée par Gerald B. Gardner au XXè s. à partir de
UHSUpVHQWDWLRQVGHO¶© Ancienne religion » chamanique, druidique, sorcellaire vieille-anglaise. Une
branche italienne de la Wicca, nommé Stregheria existe également aux USA et en Italie. Cette
religion magique, initiée par Raven Grimassi -un ex-wiccan dans les années 1970-, est le fruit
G¶XQH UpIOH[LRQ UHOLJLHXVH HW FXOWXUHOOH VXU XQ SDJDQLVPH PRGHUQH TXL VHUDLW culturellement plus
proche GHO¶,WDOLHTXHGXQRUG-Europe, une « Ancienne religion » représentant la diaspora italienne
tout en se distinguant de la Wicca dont elle est pourtant issue : « There are many elements in our
tradition of Stregheria that are different from Wicca. We follow a slightly different Mythos from
Wicca and thus the Treguenda (Sabbat) that appear in the Wheel of the Year are culturally
different from Wiccan Sabbats. Our rituals are very structured and reflect a philosophy of "adding
but never removing" elements from our rites. We have a strong commitment to family and clan,
reflected in our practices of ancestor reverence through spirits know as Lare »
(http://www.stregheria.com/faq.htm).
14
O¶DQWKURSRORJLH UHOLJLHXVH 6XLYDQW XQ FKHPLQ PDUJLQDO DX SULVPH GH
nouveaux paradigmes spirituels ouverts par la globalisation, ces spiritualités
V¶pSDQRXLVVHQW j IRLVRQ j O¶RPEUH GHV © traditions » officielles, du folklore
balisé et du patrimoine muséal.
/¶RXWLOFKURQRORJLTXHjO¶DSSXLGHO¶DQWKURSRORJLH
,O QH V¶DJLW SDV G¶pQXPpUHU GHV IDLWV KLVWRULTXHV VDQV TX¶LOV VRLHQW HQ
lieQ DYHF OH PRQGH FRQWHPSRUDLQ pWXGLp SDU O¶DQWKURSRORJLH 'DQV QRWUH
SURSRV OH ILO GH O¶KLVWRLUH MXVWLILH TXH QRXV QRXV LQWpUHVVLRQV DX[ SURFHVVXV
de transformation anthropologiques du magico-religieux comme à des
dynamiques jouant entre des continuités anciennes et des ruptures ou des
réorientations plus récentes, lesquelles ressortent du domaine de
O¶DQWKURSRORJLHFXOWXUHOOHHWVRFLDOH'DQVQRWUHSURSRVO¶KLVWRLUHQRXVVHPEOH
donc un support pertinent et fonctionnel pour comprendre les logiques ayant
entraîné les transitions du domaine contemporain que nous étudions. Les
15
racines des événements cités ici plongent en effet assez loin dans le « choc
culturel ªGHOD0RGHUQLWpHXURSpHQQHHWVHSURORQJHQWDXMRXUG¶KXLHQGpSLW
mais aussi grâce à la globalisatLRQ /H FKRL[ G¶XQH FKURQRORJLH KLVWRULTXH
dans le développement de notre Première partie est donc un outil
méthodologique contextualisant qui aide à articuler les faits importants du
passé à ceux du présent.
0DLVVLO¶KLVWRLUHFRPPHO¶DQWKURSRORJLHGRLYHQWDLGHUjO¶DQDO\VHGHFHV
faits magico-religieux, rappelons que le récit de ces phénomènes passés ou
pPHUJHQWV Q¶DSSDUWLHQW j DXFXQH GLVFLSOLQH SDUWLFXOLqUH PDLV ELHQ DX
SDWULPRLQHFRPPXQHWYLYDQWG¶XQHKXPDQLWpHQSHUSpWXHOGHYHQLU
$ERUGHUXQHLGpHDXVVLYDVWHTXHOHVUHSUpVHQWDWLRQVG¶XQH subculture
GX VDFUp VDQV WRPEHU GDQV OHV WUDYHUV GH O¶HPSLULVPH UHODWLYLVWH QL GX
FXOWXUDOLVPHLPSOLTXHGHFLUFRQVFULUHG¶DERUGXQFKDPSSOXVSUpFLVRFHOles-
FLV¶LQVFULYHQWKDELWXHOOHPHQWRHOOHVQDLVVHQWV¶LOOXVWUHQWHWVHWUDQVPHWWHQW
aussi : le rituel.
Les discours portés sur le rituel magico-religieux sont à la fois exprimés
par des représentations paysannes immatérielles au niveau emic et analysés
par un corpus théorique anthropologique, sociologique et historique
essentiellement etic. Pour les besoins de cet ouvrage, nous nous attacherons
à saisir quasi-exclusivement ces représentations à travers la littérature
VFLHQWLILTXH$ILQG¶pWD\HUFHVSURSositions théoriques et bibliographiques par
des exemples pratiques, nous avons volontairement restreint les récits de
ces manifestations festives, maléfiques ou thérapeutiques traditionnelles à
quelques cas représentatifs.
Entrer dans le domaine magico-religieux subalterne suppose en effet
G¶HQ UHODWHU GHV © actes spirituels » de manière tangible, car ces derniers
possèdent forcément une existence et une densité temporelle, un contenu
16
historique lisible dans les gestes accomplis, les paroles proférées et les
objets manipulés accessibles, selon la définition de Claude Lévi-Strauss dans
/¶+RPPH 1X &¶HVW j WUDYHUV OH ULWXHO pJDOHPHQW HW VHORQ O¶DFFHSWLRQ emic,
TXH OD PDJLH VRLJQH GpOLYUH RX HQVRUFHOOH VHORQ OHV FDV j O¶DSSXL G¶XQ
arrière-plan mythique partagé dans lequel cette action prend tout son sens.
Les maux dont le rituel sarde peut guérir appartiennent à toutes sortes
G¶RULJLQHV TX¶LOV VRLHQW GH QDWXUH VRUFHOODLUH PDXYDLV °LO), traités comme
maladies « naturelles » (sciatiques, infections, dermatites) ou même des
accidents. Hommes comme femmes peuvent être guérisseurs, thérapeutes,
sorciers, dans des proportions parfois inégales selon le genre de
compétences ou le type de contexte dans lequel le praticien intervient
(femmes sardes dans les rituels autour de la naissance, hommes dansant
O¶Argia). Cependant, de diverses qualifications peuvent aussi se cotoyer chez
XQ PrPH LQGLYLGX VHORQ O¶DFWH TX¶LO GpOLYUH : être guérisseur dans un cas,
PDLVVRUFLHUPDOpILTXHGDQVXQDXWUHO¶ambivalence païenne étant la seule
définition recouvrant sans équivoque le sens holiste et non dualiste du
polythéisme : « Rappeler ce rôle alternativement étiologique et thérapeutique
GHV GLHX[ GHV GLHX[ TXL GDQV OD ILFWLRQ SRpWLTXH RX GDQV O¶LQWHUSUpWDWLRQ
religieuse tantôt UHQGHQW PDODGHV WDQW{W JXpULVVHQW F¶HVW GLVWLQJXHU OH
paganisme du christianisme (encore que dans sa version catholique celui-ci
DLW DXVVL VHV VDLQWV JXpULVVHXUV j SDUWLU G¶DX PRLQV WURLV FULWqUHV : la
conscience persécutive du mal, le sens de la force, O¶LPPDQHQFH GX PRQGH
divin au monde humain » (ibid. : 72). Les animaux et les récoltes peuvent
GRQFIDLUHOHVIUDLVG¶XQHYHQJHDQFHRXEpQpILFLHUG¶XQWUDLWHPHQWSDUFHW\SH
de rituel ambivalent.
En outre, le recours au « sorcier ª Q¶H[FOXW SDV TXH G¶DXWUes solutions
soient tentées en amont ou en parallèle par le même patient, la même
victime. Autrefois ou bien plus encore de nos jours, la norme punitive est
représentée quasi-exclusivement par le Ministère de la Justice, et le rôle
thérapeutique par le médHFLQ HW O¶K{SLWDO &HSHQGDQW VHORQ OH FRQFHSW
17
G¶© itinéraire thérapeutique ª GpFULW SDU O¶DQWKURSRORJXH GH OD 6DQWp -HDQ
Benoist, la pluralité des conduites de santé est déterminée par une logique
sociale non réductible à un schéma préformé des soins. Ces comportements
SOXULHOV VRQW SURSUHV j FKDTXH SDWLHQW HW Q¶REpLVVHQW SDV j XQ TXHOFRQTXH
RUGUH FKURQRORJLTXH RX SUpIpUHQWLHO GDQV OH FKRL[ GHV WUDLWHPHQWV G¶XQH
DIIHFWLRQ/HVHQVGHFHVFKRL[VHPEOHVHXOHPHQWVLJQLILHUTXHO¶RQGRLYHse
donner toutes les chances de guérir grâce à un « Empirisme qui ne consiste
pas à trouver par essais et erreurs le bon médicament, mais bien plus à gérer
en les mettant en système les multiples réponses au mal que les sociétés ont
engrangées ª $LQVL F¶HVW en utilisant toutes les solutions offertes par son
propre panel culturel que peut se manifester : « La dialectique de la nature et
GH O¶LPDJLQDLUH », laquelle « est elle-même constitutive des maladies
humaines, qui ne se résument jamais à un état, à un donné biologique »
(Benoist, 1996 : 26). Ce dialogue permanent et pérenne entre nature et
culture se lit particulièrement bien, nous le verrons, dans les formes
thérapeutiques magico-religieuses sardes, où, quoique le choix du médecin
WHQGH j VH V\VWpPDWLVHU DXMRXUG¶KXL OHV GRPDLQHV GH O¶pQHUJpWLTXH GX
magnétisme et des incantations représente une solution thérapeutique
alternative des plus en vogue. Dans ce cas encore, le magico-religieux
incarne le paradoxe absolu, quelque part entre « archaïsme » et hyper-
modernité, entre une ville aux postulats scientistes et une ville aux
expérimentations spirituelles et énergétiques alternatives.
18
ou Turner, nous tenterons donc de circonscrire en les définissant -les
champs de la « magie », du « magico-religieux » et du « rituel ».
Le rituel magico-religieux que nous étudierons se situe dans un cadre
délimité par la tutelle (et le mépris) chrétiens, soit - le paganisme -, lequel,
selon Marc Augé se différencierait des monothéismes par certaines
caractéristiques bien marquées : « ,OUHVWHTXHO¶RSSRVLWLRQODSOXVSHUWLQHQWH
TXLSXLVVHrWUHIDLWHGDQVOHGRPDLQHUHOLJLHX[VLWXHUDLWG¶XQF{té les religions
GX 'LHX XQLTXH HW SHUVRQQHO GH O¶DXWUH OHV UHOLJLRQV GH O¶LPPDQHQFH G¶XQ
F{Wp OHV UHOLJLRQV PLVVLRQQDLUHV GH O¶DXWUH OHV SRO\WKpLVPHV /¶KLVWRLUH GX
PRQGH TX¶RQ OH YHXLOOH RX QRQ HVW SRXU XQH ERQQH SDUW FHOOH GH OHXU
rencontre » (Augé, 1982 : 78). Ce travail situe donc méthodologiquement son
objet entre deux perspectives, celle de la longue histoire de la rencontre
obligée entre Dieu majeur et dieux mineurs, et celui du processus
anthropologique descriptif produisant une démarcation subtile du même type,
entre une Science réifiée et une pensée religieuse sauvage mineure.
0DLV O¶KLVWRLUH GH FHV UHQFRQWUHV VH VLWXH pJDOHPHQW GDQV O¶LQWHUIDFH
SROLWLTXH ODTXHOOH Q¶HVW MDPDLV WRWDOHPHQW VpSDUDEOH GH O¶DXWRULWp GLYLQH
(surtout lorsque le monothéisme religieux rencontre la forme étatique du
SRXYRLU G¶un seul &¶HVW DLQVL TXH G¶XQH UHQFRQWUH UHOLJLHXVH HQWUH GHX[
formes de pouvoir temporels - O¶XQ WROpUDQW HW O¶DXWUH LQWROpUDQW-, naît une
configuration religieuse et politique asymétrique basée sur une supériorité
normative dominante opposable à un niveau inférieur combattu, relégué aux
IURQWLqUHVGHO¶KXPDQLWp : « >@/HVPpODQJHVOHV³VXUYLYDQFHV³OHVHPSUXQWV
divers qui font, aux yeux des observateurs européens (croyants ou non) le
charme un peu folklorique des versions locales du monothéisme, témoignent
jWRXWOHPRLQVGHODSHUVLVWDQFHG¶XQUHIXVHWG¶XQpWRQQHPHQWHVVHQWLHOVDX
génie du paganisme FRPPHQW DGPHWWUH TX¶XQ 'LHX SXLVVH HQ FKDVVHU XQ
autre, ou plus exactement en nier un autre ? [...] Ainsi il faudrait opposer le
SDJDQLVPHDXFKULVWLDQLVPHFRPPHODWROpUDQFHjO¶LQWROpUDQFH » (Ibid. : 79).
6DQV FpGHU DX PLUDJH GHV FDWpJRULHV DEVROXHV OH FDUDFWqUH G¶LQWROpUDQFH
19
religieuse du monothéisme aura souvent favorisé ce dernier aux dépens des
populations païennes vaincues -qui ne sont de ce fait païennes TX¶en vertu
de leur différence. Cependant, si cette « religion des vaincus ª V¶LOOXVWUH
encore particulièrement bien en Sardaigne, ne pourrait-on pas objecter que
sa tolérance cultuellH DXUDLW DXVVL SDUDGR[DOHPHQW SHUPLV G¶DVVXUHU OD
continuité -et donc quelque part la victoire ?- de cette forme spirituelle sur
XQH eJOLVH GRPLQDQWH DXMRXUG¶KXL HQ GpFOLQ JUkFH SUpFLVpPHQW j VHV
G\QDPLTXHV G¶DGDSWDWLRQ internes dont la globalisation actuelle fournirait
O¶DFWXDOLVDWLRQODSOXVUpFHQWH"
11
Terme sarde désignant une « sorcière » ou bien une « prostituée ».
22
O¶DEVROXH LPSHUIHFWLRQ HW O¶DOWpULWp WRWDOH TX¶HOOHV LQFDUQHQW IDFH j XQ PRGqOH
évolutionniste héritieU G¶XQH FRQFHSWLRQ XQLYHUVHOOH GX © progrès ». Cette
YLVLRQGHO¶KLVWRLUHHVWLVVXHGHVLumières françaises du XVIIIè s. mais aussi
de la « révolution rationnelle » moderne avant elles, dont la principale rupture
fut opérée par Descartes au XVIIè s. contre des schémas philosophiques
antérieurs eux-mêmes fondés sur une conception cyclique et sacrée du
PRQGH/¶KLVWRLUHQRXVO¶DYRQVYXHVWXQHFOpSHUPHWWDQWLFLGHFRPSUHQGUH
FRPPHQW V¶HVW FULVWDOOLVpH XQH LPDJH © scientifique » durable du « religieux
sauvage », ce domaine-H[XWRLUH FKDUJp G¶LQFDUQHU SRXU OD QRUPH
progressiste O¶LGpHG¶XQcontre-progrès total à éliminer. Le XIXè s. représente
dans ce sens une acmè dans cette image dichotomique projetée de façon
autocentrée sur le monde des croyances autres.
----------------------
23
PREMIÈRE PARTIE. La fabrication scientifique du religieux subalterne
$XWLWUHG¶XQHpWRQQDQWHGLIIXVLRQJOREDOH G¶XQHSHUVLVWDQFHVLQJXOLqUH
en parallèle aux modes religieux officiels, mais aussi grâce à sa relative
ressemblance avec le raisonnement scientifique, le phénomène magique
24
LQWHUURJH O¶DQWKURSRORJLH QDLVVDQWH GHSXLV OH ;,;q V WRXW FRPPH OHV
explorateurs de nouveaux mondes bien avant eux. Ce regard
anthropologique -souvent univoque-, a souvent cristallisé le sorcier, la bruxa,
le chaman et leurs productions dans une image fidèle aux représentations
occidentales, coloniales et dominantes : celle du Sauvage, GHO¶,QGLJqQHLVVX
G¶XQH subculture irrationnelle, peu évoluée. Cette constante de regard
traverse les Écoles et les courants anthropologiques, elle court au fil de la
littérature scientique comme un non-dit HW FRQVWLWXH ELHQ VRXYHQW O¶pWLTXHWWH
préformée sur laquelle nous nous appuyons toujours pour désigner
(dénigrer ?) le praticien magique dans toute son altérité.
De la rencontre entre magie et religion naissent cependant des
combinaisons originales là où les cultures dialoguent, résistent ou
V¶DIIURQWHQW '¶DSUqV OD GpILQLWLRQ TX¶HQ ILW 5RJHU %DVWLGH HQ
O¶H[SUHVVLRQ GX VDcré subalterne se trouve aux confins malaisés entre une
sécularisation impossible et une posture de marginal social : « Le sauvage
F¶HVW G¶DERUG HW DYDQW WRXW OD GpFRPSRVLWLRQ OD GHVWUXFWXUDWLRQ OD FRQWUH-
FXOWXUHTXLQHSHXWQLQHYHXWV¶DFKHYHUHQXQH nouvelle culture » (Bastide,
1973 &¶HVW XQ IDLW O¶LQWHUVWLFH VRFLDO GX © sauvage sacré ª V¶HVW
HIIHFWLYHPHQW SHUSpWXp HQ 6DUGDLJQH j O¶pSUHXYH GHV FDKRWV G¶XQH O¶KLVWRLUH
dominante.
25
et de posiWLRQVRFLDOHFRwQFLGHQWGDQVODPHVXUHRF
HVWO
XQHTXLIDLWO¶DXWUH
Il s'agit toujours au fond, en magie, de valeurs respectives reconnues par la
société. Ces valeurs ne tiennent pas, en réalité, aux qualités intrinsèques des
choses et des personnes, mais à la place et au rang qui leur sont attribués
par l'opinion publique souveraine, par ses préjugés. Elles sont sociales et non
pas expérimentales » (Mauss, 1902 : 76).
3RXU 0DXVV OD PDJLH VRUW G¶XQ FKDPS UHOLJLHX[ VpSDUp GH OD VRFLpWp
dont le caractèrHpPRWLRQQHOQHSHXWVHPDQLIHVWHUTX¶jWUDYHUVO¶H[SpULHQFH
SHUVRQQHOOH /D PDJLH QRQ HVVHQWLDOLVpH DWWHLQW LFL OH GHJUp G¶XQH IRQFWLRQ
VRFLDOH SDUIDLWHPHQW LQWpJUpH DX IRQFWLRQQHPHQW RUGLQDLUH G¶XQ JURXSH (OOH
reflète alors les hiérarchies sociales humaLQHV SDU OH ELDLV G¶XQH
hiérarchisation des objets investis de puissance magique de plus ou moins
bonne valeur.
/H UHJDUG RFFLGHQWDO GH O¶DQWKURSRORJLH QDLVVDQWH GH OD ILQ GX ;,;q
VLqFOH V¶HVW HQ HIIHW FRQVWUXLW DXWRXU G¶XQ SRVWXODW pYROXWLRQQLVWH DPELJ :
RVFLOODQW HQWUH XQH XQLYHUVDOLWp GX GHVWLQ GH O¶+RPPH HW XQ GLIIpUHQWLDOLVPH
isolant chaque société, les « retards » technologiques furent mesurés à
O¶DXQHGHO¶(XURSHLQGXVWULHOOH$XWRXUGHFHWWHPLVHHQ°XYUH HWKnocentrée
G¶XQ SURJUqV SURVpO\WH j WUDYHUV XQH FRORQLVDWLRQ bienfaitrice V¶HVW DORUV
développé un schéma scientifique dissymétrique, essentialisant en quelque
sorte la frontière entre les savoirs scientifiques occidentaux et des savoirs
autres, notamment FROOHFWpVSDUO¶HWKQRORJLH
« /HSUHPLHUGLVSRVLWLIWKpRULTXHDpWpFHOXLGHO¶pYROXWLRQQLVPHYLFWRULHQ
DYHFVDIDPHXVHOLJQHG¶pYROXWLRQSDUODTXHOOHGRLYHQWSDVVHUQpFHVVDLUHPHQW
toutes les sociétés : magie, religion, science. Cette hypothèse a été rendue
FpOqEUHSDU-DPHV*HRUJH)UD]HUPDLVHOOHDG¶DERUGpWpSURSRVpHSDU7\ORU
VRXV O¶LQIOXHQFH GXGDUZLQLVPH HW GH OD JpRORJLH GH /\HOO &HWWH ORLG¶pYROXWLRQ
26
se donne comme une sorte de dialectique : la magie est une forme de science,
SXLVTX¶HOOHWHQWH G¶DJLUVXUODQDWXUHPDLVF¶HVWXQHIDXVVHVFLHQFHFDUHOOHQH
propose que des explications partielles, et il faut en passer par la généralisation
produite par la religion pour parvenir à une véritable science (Keck, 2002 : §
4) ».
Ainsi, pour Frazer, OD PDJLH VHUDLW WRWDOHPHQW GpSRXUYXH G¶XQ DUULqUH-
plan théorique ; pour le magicien le résultat compterait plus que la logique
FRQGXLVDQW VD GpPDUFKH 3DU FHW DVSHFW FH GHUQLHU V¶pORLJQH GH OD VFLHQFH
occidentale. Toutefois, par le cheminement implicite dHVRQPRGHG¶DJLULOVH
rapproche également de « la plupart des hommes ». Dans une phrase
décrivant le magicien tirée du 5DPHDXG¶2UO¶DXWHXUVHPEOHDORUVFRQGHQVHU
WRXWH O¶DPELYDOHQFH GX UHJDUG pYROXWLRQQLVWH j OD EDVH GH O¶DQWKURSRORJLH
contemporaine : « Il ne se préoccupe pas d'analyser l'opération mentale sur
laquelle sa pratique se fonde ; il ne s'inquiète aucunement des principes
abstraits qui le font agir ; chez lui, comme chez la plupart des hommes, la
logique est implicite et non pas explicite : il fait son raisonnement de même
TX¶LOIDLWODGLJHVWLRQGHVHVDOLPHQWVGDQVO¶LJQRUDQFHDEVROXHGHVSURFpGpV
WDQW LQWHOOHFWXHOV TXH SK\VLRORJLTXHV HVVHQWLHOV j O¶XQH HW j O¶DXWUH
opération » (Frazer, 1981 : 41).
12
6HORQ 5 2WWR OH FDUDFWqUH QXPLQHX[ G¶XQ SKpQRPqQH HVW SURSUH j LQVSLUHU j XQ LQGLYLGX j
travers une expérience personnelle ambivalente, un sentiment de terreur (mysterium tremendum)
et de fascination (fascinans). Ce sentiment du « sacré » est traduit par un respect absolu, écrasant
face à une entité omnipotente dont on dépendrait. NdlA.
28
commune dont les aspects seraient très difficilement subordonnables les uns
DX[ DXWUHV GDQV XQH SHUVSHFWLYH WD[LQRPLTXH /¶REMHFWLI WRWDOLVDQW GH OD
sphère magico-religieuse semble plutôt fonctionner par paires : à la fois soin
et maléfice des individus, contre et pour la maladie, rappel exemplaire des
limites sociales du groupe et attaque des structures sociales adverses. Dans
les deux cas, corps individuel et corps social sont les « cibles » principales du
domaine magico-religieux, et le rituel en accomplit tout le discours.
/¶DQWKURSRORJXH GH OD VDQWp 5D\PRQG 0DVVp UpVXPH FHV intimes
conjonctions de sens en quatre points :
29
un propos cohérent, à mi-chemin entre la transcription ethnographique de
O¶XVDJHULWXHOHQDPRQWHWOHVFRQFHSWVVFLHQWLILTXHVGLVFRXUDQWGHFHWXVDJH
en aval. Tous nos postulats relèvent donc, à la fois de deux catégories
SDUIDLWHPHQWDUWLILFLHOOHVUpXQLHVSDUO¶KLVWRLUHRXO¶LGpRORJLHHWOpJLWLPpHVSDU
O¶DQWKURSRORJLH GDQV OH FRQWH[WH SDUWLFXOLHU GX syncrétisme sarde. Dans ce
sens, le terme « magico-religieux ª UHOqYH ELHQ G¶XQ GLVFRXUV KpULWDQW DXVVL
ELHQ GH O¶eYROXWLRQQLVPH TXH G¶XQH UpDOLWp emic véritable, mais en cela :
« &HWWH GLVWLQFWLRQ >@ HVW G¶DERUG OH IDLW GH FHX[ SRXU TXL OD PDJLH HVW
essentiellement la religion des autres » (Augé, 1982 : 101).
30
8QH ORQJXH VLWXDWLRQ GH FRQWDFWV IRUFpV DYHF O¶pWUDQJHU DXUD QRQ
seulement engendré un contexte propice à des syncrétismes, mais aussi à la
IRUPDWLRQRXDXPDLQWLHQFRQVFLHQWG¶HQWLWpVFXOWXUHOOHVLQWHUQHVGDQVXQEXW
de résistance manifeste, de distinction identitaire. Le caractère hétérogène
de ces syncrétismes se lit dans les multiples variantes régionales,
villageoises des incantations, des mythes, des chants. Deux strates sociales,
O¶XQH © hégémonique ª pWUDQJqUH DXWRSURFODPpH HW O¶DXWUH © subalterne »,
native V¶RSSRVHQWHWpFKDQJHQWDXVVLVXUOHVSODQVUHOLJLHX[YHVWLPHQWDLUHV
linguistiques. Au sein de ce dualisme apparent, la Sardaigne soutient dans
XQH FHUWDLQH ODWLWXGH XQH FRPSDUDLVRQ DYHF O¶$IULTXH SRVW-coloniale de
0EHPEp R O¶RQ FRQVWDWH j TXHO SRLQW GH UpHOOHV GLYLVLRQV VRFLDOHV HW
HWKQLTXHVQ¶HQWUDYHQWSDVFHUWDLQHVORJLTXHVUHOLJieuses combinatoires entre
cultures dominantes-dominées, et même, en conditionnent le fait :
$LQVL VL XQH VLWXDWLRQ GH GRPLQDWLRQ G¶XQ JURXSH VRFLDO SDU XQ DXWUH
engendre des frontières internes, celles-ci deviennent aussi, paradoxalement
la condition sine qua non GH O¶DSSDULWLRQ G¶XQ V\QFUpWLVPH en dialogue,
véritable MHXG¶HPSUXQWVHWGHUHMHWVDXWRXUGHFHWWHIURQWLqUH
31
Or, notre propos sur le magico-religieux est directement aux prises
avec la notion de combinaison, le principe de syncrétisme religieux comme
« traces sociales » attestant que les symboles et les influences mutuelles
FLUFXOHQW GH SDUW HW G¶DXWUH GH IURQWLqUHV SDUIRLV ELHQ WURS nettes au niveau
théorique et normatif.
Cependant, aux fins de mener à bien cette courte étude, nous
UHSUHQGURQV WRXW GH PrPH OHV WHUPHV KLVWRULTXHV G¶hégémonie et de
subculture afin de fournir à notre axe méthodologique un cadre théorique
cohérent, dans la mesure ou la caricature de subalternité UpVXOWH G¶XQH
rupture réelle entre des images de soi emic et une représentation officielle
apauvrie, déformée de cette image initiale.
7RXWHIRLVOHU{OHGHO¶DQWKURSRORJXHQ¶HVWSDVGHWUDQFKHUVXUOHELHQ-
fondé de telle ou telle posture idéologique, de démarquer les territoires en
termes de valeurs « positives » ou « négatives », mais bien de donner
TXHOTXHV SLVWHV SHUPHWWDQW GH VLWXHU VRFLRORJLTXHPHQW O¶LPDJHULH UHOLJLHXVH
YHUQDFXODLUHWHOOHTX¶HOOHHVWIRUPpHHWGpIRUPpHGHPDQLqUHLQFHVVDQWHSDU
le ressac GHO¶KLVWRLUHWRXUjWRXUHQULFKLHHWWDLOODGpHDXSULVPHGXPLURLUGH
O¶$XWUH
I. Axes théoriques
32
fonctionnerait selon des dynamiques socio-économiques où la religion
devient enjeu de pouvoir.
6L O¶RQ GHYDLW UHSODFHU 3LQQD GDQV XQH FKURQRORJLH VH UHSUpVHQWDnt le
VXG LWDOLHQ LO VHUDLW O¶XQ GHV GHUQLHUV avatars G¶XQH ORQJXH OLJQpH
SKLORVRSKLTXHGHSXLV*UDPVFLTXLWURXYHVDFRKpUHQFHGDQV O¶DQDO\VHGHOD
religion populaire comme instrument de contre-pouvoir, de libération ou
G¶DOLpQDWLRQ &HV GHUQLHUV DVSHFWV G¶DQDO\VH profanes sont cependant aussi
utiles à une compréhension du fait magico-UHOLJLHX[GHSXLVO¶© extérieur » que
le discours spirituel lui-PrPHORUVTX¶LOWHQWHGHVHGpILQLUGHSXLVO¶© intérieur »
par une argutie du sacré.
D/¶D[HGXDOLVWH:HEHUPareto, Gramsci
33
VXJJpUDQW XQH FHUWDLQH IL[LWp GH FHV FDWpJRULHV O¶DQDO\VH GH 3LQQD FRQGXLW
donc à essentialiser deux principes ethno-politiques ontologiquement
VpSDUpV V¶DXWRUHSURGXLVDQW j O¶LGHQWLTXH DX FRXUV G¶XQH VXFFHVVLRQ
G¶LQYDVLRQV GLIIpUHQWHV 7RXWHIRLV OD simplicité G¶XQ WHO V\VWqPH DQDO\WLTXH -
V¶LO VHPEOH D SULRUL XQ VXSSRUW SUDWLTXH SRXU O¶DQDO\VH G¶XQ SKpQRPqQH
social,- amène à évacuer toute aspérité rendant compte de relations,
G¶LQWHUSpQpWUDWLRQVSOXVFRPSOH[HVHQWUHFHVGHX[© niveaux » de pouvoir en
Sardaigne. Tout événement extérieur à ces catégories ne peut donc être
pensé en dynamique, mais uniquement grâce à une hégémonie réifiée en
butte à une subculture tout aussi fixe. Mais des passerelles existent
forcément.
34
O¶DUPpH HW OD MXVWLFH QH VHUDLW GRQF SDV OH VHXO PR\HQ GH FRHUFLWLRQ
TX¶HPSORLHUDLW OH SRXYRLU /D UHOLJLRQDX-delà du seul discours transcendant
dont il se réclame le privilège, serait alors un moyen efficace de constituer
une domination totale, des corps et des âmes.
Envisager une « culture officielle des élites » émettant à destination des
masses une idéologie pernicieuse de la « supériorité » pourrait être, toujours
selon la vision du marxiste Gramsci, une arme efficace pour comprendre, par
WUDQVSRVLWLRQODUpFXUUHQFHKLVWRULTXHG¶XQVFKpPDGXDOLVWHDXVVLWUDQFKpHQ
6DUGDLJQH 'DQV OH FDV GH O¶vOH FHSHQGDQW OH © consentement » de la
population face aux théories diabolisantes et infériorisantes GH O¶,QTXLVLWLRQ
Q¶DXUDMDPDLVSXrWUHTXHGHIDoDGH
3RXU $OEHUWR 0 &LUHVH GH O¶eFROH DQWKURSRORJLTXH GH &DJOLDUL OH
concept dualiste gramscien synthétise la somme des inégalités sociales
visibles entre classes différentes, mais il donne également un sens à la
UpSDUWLWLRQ GHFHV LQpJDOLWpV JUkFH j XQH SHUVSHFWLYH G¶© éloignement » plus
ou moins grand depuis un « centre » décisionnel par rapport à une périphérie
et une subalternité dominées. /¶DXWHXU GRQQH WURLV UDLVRQV IRQGDPHQWDOHVj
O¶H[LVWHQFHGHFHGXDOLVPHVRFLDO
35
par les Conciles et les Synodes ecclésiastiques, les statuts communaux et ainsi
de suite13 » (Cirese, 1972 : 11).
0DLV SRXU O¶DQWKURSRORJXH &ODUD *DOOLQL F¶HVW VXUWRXW OH PRGH GH
diffusion écrit des lois et des informations à destination du peuple qui
UHSUpVHQWH XQ PR\HQ G¶H[HUFHU VRQ © droit hégémonique » sur une
population ostracisée, laquelle ne possède alors plus de biais pour
FRPSUHQGUH V¶RSSRVHU RX QpJRFLHU FH VWDWXW G¶LQIpULRULWp : « Depuis des
PLOOpQDLUHV G¶KLVWRLUH RFFLGHQWDOH LO HVW LQGpQLDEOH TXH OH VHFUHW GH O¶pFULWXUH
soit l¶DSDQDJH GHV FODVVHV KpJpPRQLTXHV SHQGDQW TXH OHV VXEDOWHUQHV RQW
été laissées au stade du medium oral. Le moyen écrit est un moyen de
FRPPXQLFDWLRQ KpJpPRQLTXH SDU UDSSRUW j O¶RUDOLWp FHWWH GHUQLqUH pWDQW
caractérisée par une position de subalternité. NRXV VDYRQV TXH O¶eJOLVH D
pODERUp XQ FRUSXV GH ³OLYUHV VDLQWV³ pFULWV GDQV XQH ODQJXH -le latin-,
compréhensible par une seule élite, cultivée, sacerdotale ou bien laïque »
(Gallini, 1977 : 121-122).
Au crédit de son hypothèse, il faudrait rajouter que les documents
OpJDX[ Q¶pWDLHQW SDV pFULWV HQ ODQJXH YHUQDFXODLUH VDUGH PDLV SRXU FLWHU
seulement deux exemples, en Espagnol ou en Italien, ce qui, ne devait pas
faciliter une grande communication entre les classes, étant donné que la
plupart des dominés, beUJHUV SD\VDQV HW PDQ°XYUHV DJULFROHV pWDLW
DQDOSKDEqWHVHWPRQRODQJXHV/¶DSSDULWLRQG¶XQYpULWDEOHELOLQJXLVPHVDUGH-
italien remonte seulement au XIXè s., et à la tentative de normalisation
OLQJXLVWLTXHLQLWLpHSDUO¶pFROHG¶eWDWORUVGHO¶XQLILFDWLRQ
« 1XOQ¶HVWXQHvOH14 »
36
HQYLVDJp LVROpPHQW G¶XQ DXWUH VXU XQ PrPH WHUULWRLUH VDQV TXH O¶DVSHFW
essentiel des échanges, des contacts, des combinaisons entre cultures soit
en même temps occulté. Dans le monde sarde « véritable ªLOQ¶H[LVWHSDVGH
IURQWLqUHUHOLJLHXVHPRUDOHRXOLQJXLVWLTXHTXLFRQVDFUHG¶XQF{WpXQHFODVVH
dirigeante toute puissante et non communiquaQWH HW GH O¶DXWUH OH servum
pecusO¶pWHUQHO Indigène exploité. Ce discours serait alors idéologique et non
DQWKURSRORJLTXH XQ SHX j OD PDQLqUH XQLYRTXH GRQW O¶H[SRVH OH PpGHFLQ
pathologiste Coudereau au XIXè s. : « Repliés dans leur île, les Sardes [...]
Q¶RQWSDVUpXVVLjPHWWUHHQSODFHODGLYLVLRQGXWUDYDLOPDLVQ¶RQWpJDOHPHQW
SDVpWpFDSDEOHVG¶DVVLPLOHUODFLYLOLVDWLRQGHVSHXSOHVDYHFOHVTXHOVLOVRQW
pWpHQFRQWDFW&HFLHQXQHSUHXYHVXSSOpPHQWDLUHG¶LQIpULRULWp 15 » (Cité dans
Mattone, 1986 : $XFXQHIURQWLqUHQ¶HVWVXIILVDPPHQWpWDQFKHTXLSXLVVH
MXVWLILHU GDQV XQH VRUWH G¶DEVROXH DSSOLFDWLRQ GH OD QRUPH TX¶XQH © culture
des élites » soit le pendant « supérieur » et « séparé ª G¶XQH © subculture
opprimée ª TX¶XQH IURQWLqUH pWDQFKH GLYLVe parfaitement non plus ces deux
SDUWLHV G¶inégale valeur 'DQV OD WHQHXU PrPH GH QRWUH WLWUH O¶H[SUHVVLRQ
« magico-religieux ª DWWHVWHUDLW D FRQWUDULR TX¶XQH DSSURSULDWLRQ UHOLJLHXVH
des symboles chrétiens se soit faite dans les deux sens. Dans ce contexte
des pratiques vernaculaires spirituelles, nous savons que certains éléments
SURYHQDQWGHO¶KpJpPRQLHFKUpWLHQQHRQWpWpDEVRUEpVHWWUDQVIRUPpVGqVOH
9,q V ,O HVW GqV ORUV DYpUp TXH FHV pFKDQJHV PDUTXHQW ELHQ TX¶XQH
symbolique de pouvoir à caractère UHOLJLHX[HVWPDQLSXOpHGHSDUWHWG¶DXWUH
de la « frontière » et que ces échanges signent en même temps de nouvelles
DSSDUWHQDQFHV GH QRXYHDX[ WHUULWRLUHV HQ UHODWLRQ j SDUWLU G¶XQH EDVH
commune OD UHOLJLRQ FKUpWLHQQH G¶LPSRUWDWLRQ pWUDQJqUH GpVRUPDLV en
situation de contact. Entre hégémonie et subculture, la religion détermine en
effet la majeure partie des échanges à partir de procès catalano-aragonais
SRXUIDLWVGHVRUFHOOHULHFKURQLTXpVjSDUWLUGX;9qVVXUO¶vOH
15
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQ par nos soins.
37
b. De Martino, Di Nola. La « subalternité » comme force de réaction
16
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
17
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
38
Cette idée de surmonter une crise existentielle de manière ritualisée
SHUPHW G¶HQYLVDJHU FKDTXH pYpQHPHQW UHOLJLHX[ GDQV O¶HQVHPEOH GH VRQ
FRQWH[WHKLVWRULTXHSROLWLTXHHWpFRQRPLTXH GXPRPHQWRO¶DXWHXUDUWLFXOH
de manière holiste le fait religieux au champ des causalités externes qui en
provoquent la nécessité 'DQV O¶DVFHQGDQFH SKLORVRSKLTXH G¶XQ 'L 1ROD
nous trouvons Ernesto De Martino, pour qui la « présence au monde »
PHQDFpHWURXYHVRQH[XWRLUHFDWKDUWLTXHGDQVODWKpkWUDOLVDWLRQVDFUpHG¶XQH
idée matérielle du monde : « >@/¶LQWpUrWGRPLQDQWGXPRQGHPDJLTXHQ¶HVW
pas de réaliser des formes particulières de la vie spirituelle, mais de
FRQTXpULU HW GH FRQVROLGHU O¶rWUH DX PRQGH pOpPHQWDLUH RX SUpVHQFH GH OD
SHUVRQQH 1RXV VDYRQV PDLQWHQDQW TX¶LGpRORJLH SUaxis, institutions du
monde magique ne révèlent leur vraie signification que si on les reconduit à
O¶H[SUHVVLRQG¶XQVHXOSUREOqPH GpIHQGUHPDvWULVHUUpJOHUO¶rWUHDXPRQGH
PHQDFpHWFRUUpODWLYHPHQWIRQGHUHWPDLQWHQLUO¶RUGUHGXPRQGHPHQDFpOXL
aussi de dissolution) » (De Martino, 1967 : 189). Ici, le « monde magique »
est despiritualisé, il exprime des affects uniquement liés au « monde réel ».
3DU FRQVpTXHQW O¶DXWHXU QH GLVVRFLH SDV OH IDLW UHOLJLHX[ GH OD WUDPH
KLVWRULTXH TXL O¶HQJHQGUH $ O¶LQVWDU G¶ePLOH 'XUNKHLP GDQV Les formes
élémentaires de la vie religieuse, le fait magico-religieux peut être envisagé
de manière « scientifique » en relation avec un contexte dans lequel son
efficacité et sa spécificité sont pleinement reconnues, et par rapport auquel il
Q¶HVWGRQFMDPDLVWRWDOHPHQWVpSDUp'HSOXVVLVHORQ'XUNKHLPODVRFLpWpVH
représente elle-même dans la manifestation collective du sacré, alors
histoire, politique et économie dans leurs dimensions à la fois sacrées et
profanes, sont donFELHQG¶XQHPDQLqUHRXG¶XQHDXWUHFRUUpOpHVDXVHLQGX
fait religieux dans un rapport dialectique et asymétrique de dons et contre-
GRQV G¶DSSRUWV GH UHMHWV G¶HPSUXQWV G¶DSRWURSHV GH SURSLWLDWLRQ 1RXV
laisserons donc Mauss conclure que le domaine magico-religieux, à travers
WRXV FHV SDUDPqWUHV HVW ELHQ XQ IDLW VRFLDO WRWDO MXVWLILDQW G¶DXWDQW SOXV XQH
pWXGH HQ FH ;;,q V TXH OD JOREDOLVDWLRQ V¶pWHQG WRXMRXUV SOXV DX PRQGH
39
connu, que les contextes économiques, politiques décrits comme
incontournables par ces auteurs du XXè s. se trouvent maintenant
transformés par ce récent phénomène. Le réveil de la ferveur religieuse au
niveau mondial semble lié aux mutations locales, accréditant le principe
G¶XQH LQWULFDWLRQ LQWLPH GH WRXWHV OHV LQIOXHQFHV IRQGDQt le religieux grâce à
O¶HQWUHPLVH GH O¶agency, cette négociation de pouvoir permanente des
SRSXODWLRQV DYHF FH TX¶HOOHV UHoRLYHQW GHSXLV OH JOREDO 4X¶HOOHV VRLHQW
XQLYHUVHOOHVFRPPHOHVPRQRWKpLVPHVRXELHQTX¶HOOHVV¶H[SULPHQWHQPDUJH
comme les spiritualités nouvelles, les religions accompagnent bon gré mal
gré O¶HVVRUGHODJOREDOLVDWLRQHWV¶HQWURXYHQWVRXYHQWPrPHUHQIRUFpHV
c. Dépasser Gramsci ?
« Régénérer le monde »
41
dialoguent mais conservent aussi leur identité séparée, les termes de
subculture, de culture subalterne ou dominée conservent ici une légitimité
PpWKRGRORJLTXH (PSOR\p SDU G¶LPSRUWDQWV DQWKURSRORJXHV KLVWRULHQV
écrivains ou folkloristes italiens au background politique bien différent, cet
D[H V¶HVW LPSRVp GDQV OH SD\VDJH GHV VFLHQFHV VRFLDOHV FRPPH VLJQLILFDWLI
SRXU FHV FHQW GHUQLqUHV DQQpHV (Q SOXV G¶RIIULU XQH SHUVSHFWLYH
supplémentaire -laïque-, au fait magico-religieux sarde, cette dichotomie de
fait ou de principe était donc assez incontournable dans le traitement de
notre sujet.
7RXWHIRLVVLFHVGHUQLHUVO¶RQWDERQGDPPHQWUHOD\pMXVTX¶jQRVMRXUV
GHSXLV *UDPVFL 'H 0DUWLQR RX WDQWG¶DXWUHV HQFRUH DSUqV HX[ FHFRQFHSW
nous limite à une perspective en forme G¶LPSDVVH GLDORJLTXH ELQDLUH GRQW
O¶DV\PpWULH UpHOOH RX VXSSRVpH GHV WHUPHV Q¶DERXWLUDLW MDPDLV j XQH
« rédemption » post-crise, à une forme de sécularisation dans un troisième
terme, qui serait un domaine magico-UHOLJLHX[SRVVpGDQWVRQPRGHG¶agency
propre, entité reconnue pour elle-même et débarrassée de tout pathos
G¶RSSUHVVLRQ6HUDLW-LOGRQFSRVVLEOHGHGpSDVVHU*UDPVFLGDQVO¶DQDO\VHGX
magico-UHOLJLHX[HQ6DUGDLJQHDXMRXUG¶KXL ?
18
Du latin, Caralis 'pVLJQH O¶DFWXHOOH FDSLWDOH &DJOLDUL VLWXpH DX 6XG GH O¶vOH (Q VDUGH VH GLW
encore Casteddu ou Casteddu de Callaris, NdlA.
42
malgré une forte résistance opposée par les populations du centre-est
montagneux sarde.
Au lendemain de la première guerre punique menée contre la
domination carthaginoise en Sardaigne, la tutelle passe alors aux mains de
5RPH /¶vOH HVW XQH QRXYHOOH IRLV SLOOpH /H © peuple des montagnes » fut
alors qualifié de « barbare », et la région où ils sévissent, de « barbaria »
O¶DFWXHOOH UpJLRQ GH %DUEDJLD 0DOJUp GH QRPEUHX[ DXWUHV VRXOqYHPHQWV
entre -215 et -31 av. J.-C, Rome réussit à maintenir son emprise sur la quasi-
WRWDOLWpGHO¶vOHJUkFHjXQV\VWqPHFRHUFLWLIGHVSOXVVpYqUHV
En 227 ap. J-C ., la Corse-Sardaigne devient officiellement Province
URPDLQH (Q PrPH WHPSV TXH OHV IRUFHV GH O¶(PSLUH V¶DPHQXLVHQW FHOXL-ci
DEDQGRQQH SHWLW j SHWLW O¶vOH DX[ 9DQGDOHV G¶$IULTXH HW VXELW DORUV OHXUV
assauts depuis le début du Vè s.. Le territoire est alors abandonné au profit
GHFDSLWDLQHVYDQGDOHVHWG¶LQFXUVLRQVDUDEHVOHVTXHOV$UDEHVOD razzient à
QRXYHDX7HUUHGHFRQTXrWHVHWG¶DEDQGRQVOD6DUGDLJQHHVWDXVVLXQHWHUUH
G¶H[LOSRXUWRXVOHVUpSURXYpVTXH5RPHHWVHVVXLYDQWVRQWEDQQLVGHOHXUs
rangs. Terre de ressources au carrefour stratégique tant convoité, la
6DUGDLJQHV¶DFFRPPRGHDXVVLGHO¶pWLTXHWWHLQIkPDQWHGHterre de rebut. Elle
DSSDUDvW VRXYHQW GDQV O¶KLVWRLUH VRXV OHV WUDLWV G¶XQH SULVRQ DX[ EDUUHDX[
marins.
43
Sardaigne. Dans cette perspective constructiviste19, deux grandes époques
VDLOOHQWFHOOHGHODFRQYHUVLRQDXFKULVWLDQLVPHGHOD6DUGDLJQHSDUO¶(PSLUH
byzantin au Vè s. et plus encore, celle de la tutelle aragonaise au XVè s. qui
DYXLPSRUWHUVHVWULEXQDX[G¶,QTXLVLWLRQFDWKROLTXHGHSXLVO¶(VSDJQH$SDUWLU
de cette période, de nouveaux systèmes de coercition basés sur une
GLVFULPLQDWLRQ UHOLJLHXVH YLHQQHQW V¶DMRXWHU j GHV FULWqUHV GH VRXPLVVLRQ
politique plus ou moins souples selon la nature des dominations antérieures.
/¶(PSLUH E\]DQWLQ WULRPSKH GH OD GRPLQDWLRQ YDQGDOH HQ HW SDUW
GpVRUPDLV j O¶DVVDXW GH O¶,WDOLH 0DLV IDLW OH SOXV UHPDUTXDEOH O¶RFFDVLRQ GH
cette énième conquête, est peut-être la conversion quasi-totale de la
SRSXODWLRQVDUGHDXFKULVWLDQLVPHE\]DQWLQDYHFQRWDPPHQWO¶LQWURGXFWLRQGH
rites spécifiquement orientaux. Des églises sont alors bâties sur le modèle de
O¶Hagía Sophía, la Basilique Sainte-Sophie de Costantinople. Seule la région
de la Barbaria, réputée « séparatiste », résiste à la diffusion de la religion
monothéiste, du fait que son territoire se trouve doublement isolé par une
géographie montagneuse et par le caractère réputé belliqueux de ses
KDELWDQWV /H WRXULVPH H[SORLWH DXMRXUG¶Kui cette image de la Barbagia20
FRPPHXQJDJHG¶authenticité, de grande pureté, du fait que cette région ait
réellement ou non conservé une grande partie des us religieux antérieurs au
ULWH FDWKROLTXH HW OH SOXV GH WRSRQ\PHV DYpUpV G¶RULJLQH SUp-romaine. La
6DUGDLJQH IDLW DORUV SDUWLH GH OD 3UpIHFWXUH G¶$IULTXH HW GHV IRUWHUHVVHV
19
« Le terme de constructivisme désigne une posture philosophique pour laquelle toute réalité
Q¶HVW FRQQDLVVDEOH TX¶j WUDYHUV GHV FDWpJRULHV SUpDODEOHV 1RWUH PRQGH VHUDLW WRXMRXUV SUp-
construit par des filtres, des grilles de lecture, des systèmes de représentation ou des IDoRQVG¶DJLU
qui configurent notre inscription en son sein et nos interactions avec lui.
Le constructivisme est devenu depuis deux décennies une sorte de porte-étendard pour de
nombreux praticiens des sciences sociales. À ce titre, il désigne à la fois lH UHIXV G¶XQH UpDOLWp
sociale naturalisée en un état de chose immuable - et partant non révisable - par un discours
officiel (religieux, étatique, bourgeois, scientifique...) et une volonté de rupture avec des
épistémologies antérieures des sciences humaines (le fonctionnalisme et le structuralisme, conçus
de façon réductrice comme des avatars du positivisme) ». Source :
http://www.hypergeo.eu/spip.php?article407.
20
Le nom de Barbagia est le nom acWXHOGHODUpJLRQVDUGHVLWXpHjO¶HVWGHO¶vOHTXLIXWQRPPpH
FRPPH QRXV O¶DYRQV YX SOXV KDXW © Barbaria ª GDQV O¶DQWLTXLWp SDU O¶HQYDKLVVHXU URPDLQ &H
TXDOLILFDWLI IDLW pWDW G¶XQH © altérité absolue » caractérisant tous les « non Romains » de façon
générique. De fait, les habitants de « Barbarie ªD\DQWUpVLVWpGHIDoRQSOXVPDVVLYHjO¶LQWUXVLRQ
URPDLQH LOV DXURQW pWp PRLQV VRXPLV TXH G¶DXWUHV UpJLRQV DX MRXJ HW j O¶LQIOXHQFH GH O¶(PSLUH
NdlA.
44
intérieures comme celles de Samugheo, Nuragus ou Armungia protègent
maintenant les Byzantins contre les autochtones de Barbaria, lesquels sont
contraints de verser de lourdes taxes additionnelles - les suffragia-, du fait de
leur seule identité « barbare ».
$X FRXUV GX 9,,,q V ORUVTXH O¶(PSLUH HQWUH HQ FULVH OHV $UDEHV
briguent le contrôle de la Méditerranée. De 710 à 821, les Sardes résistent à
des assauts côtiers récessifs juVTX¶jpSXLVHUODPRWLYDWLRQDUDEHDXWHUPHGH
111 ans de siège et de révoltes sanglantes.
21
Logu, « lieu » en sarde, NdlA.
22
De giudice, « juge » en Italien, NdlA.
23
Curatoria, direction, NdlA.
24
Maiore, « maire » en sarde, NdlA.
45
/H MXGLFDW G¶$UERUHD HVW FHOXL GRQW LQIOXHQFH SROLWLTXH GpSDVVH
largement les frontières maritimes et dure aussi le plus longtemps25. A la tête
GHFHWWHMXULGLFWLRQSUHVWLJLHXVHXQHIHPPH(OHRQRUDG¶$UERUHDTXLLQVWDXUH
le premier Code civil de ce type coQQXHQ(XURSHPpGLpYDOHHWFHMXVTX¶HQ
Pologne, sous le nom de Carta de Logu26. La date de sa promulgation tourne
autour de 1392 FHSHQGDQWFHWWHFKDUWHUHVWHUDHQYLJXHXUMXVTX¶HQ !
6L QRXV LQVLVWRQV WHOOHPHQW VXU OHV DVSHFWV FRPSOH[HV G¶XQ V\VWqme
politique autochtone SDUUDSSRUWDX[WXWHOOHVpWUDQJqUHVF¶HVWELHQSRXUDLGHU
j UHODWLYLVHU XQH LPDJH G¶DUULpUDWLRQ VRFLDOH LPSULPpH SDU FHV SXLVVDQFHV
DOORJqQHV VXU O¶vOH &HWWH UHSUpVHQWDWLRQ SpMRUDWLYH HVW VXIILVDPPHQW GXUDEOH
et intériorisée pour KDQWHU HQ TXHOTXH VRUWH OD WUDPH GH O¶KLVWRLUH VDUGH
MXVTX¶j QRV MRXUV XQ SHX FRPPH XQ sambenito27 identitaire TX¶HOOH VHUDLW
condamnée à porter ad vitam eternam ,O QRXV SDUDLVVDLW LQWpUHVVDQW G¶RIIULU
au moins un exemple tangible de gouvernement autonome sarde en
contrepartie du cliché récurrent de « sauvagerie pré-coloniale ».
25
-XVTX¶DXPDUVGDWHGHVDFDSLWXODWLRQ
26
Carta de Logu, ou « Charte du Lieu », NdlA.
27
Vêtement grossier de toile jaune que les accusés en sorcellerie devaient porter publiquement en
signe de repentance.
46
FUpHODFRXURQQHG¶(VSDJQH6HXOOHMXGLFDWG¶$UERUHDSHUGXUHPDOJUp
les tutelles qui se succèdent alors. Ce territoire rassemble à présent presque
toute la Sardaigne, avec à sa tête cependant... un roi espagnol.
/¶,QTXLVLWLRQHVSDJQROHHQ6DUGDLJQHXQHJXHUUHG¶DFFXOWXUDWLRQ
/¶pSRTXH PRGHUQH HQ 6DUGDLJQH VLJQH DXVVL FHOOH G¶XQH H[SORVLRQ GH
O¶LQWROpUDQFH UHOLJLHXVH pULJpH HQ IRUPLGDEOH PDFKLQH GH JXHUUH SROLWLTXH HW
FXOWXUHOOH $YHF O¶importance grandissante et la compilation systématique
G¶DUFKLYHVpFULWHVGqVOH;9qV28, nous assistons dès lors à une cristallisation
GH O¶LGpH GH subculture sociale directement liée au statut de soumission
SROLWLTXH GDQV OD PHVXUH R OHV WH[WHV GH O¶eJlise décrivent les bruxas
FRQGDPQpHV FRPPH GHV SURWRW\SHV GH O¶DOWpULWp diabolique GRWpHV G¶XQH
infériorité primitive typiquement sarde. Le domaine du religieux devient alors
OH PR\HQ SROLWLTXH SULYLOpJLp SDU O¶(VSDJQH SRXU pWDEOLU FODLUHPHQW GHX[
espaces politiques entre un niveau « officiel » (citadins ecclésiastiques,
juges, nobles espagnols et notables sardes acquis à la cause dominante)
contre un niveau « populaire » composé par le reste de la population
(principalement paysanne, précaire, et rurale). Or, le champ magico-religieux
Q¶DSSDUDvWYpULWDEOHPHQWHQWDQWTXHWHOGDQVO¶KLVWRLUHVDUGH TXHORUVTXHFH
révélateur GH O¶,QTXLVLWLRQ IL[H GH PDQLqUH OpJDOH-UDWLRQQHOOH O¶LGpH G¶XQH
opposition atavique, populaire DX[ GRFWULQHV GH O¶eJOLVH &¶HVW HQ TXHOTue
VRUWH O¶eJOLVH HOOH-même qui crée à ce moment précis le concept de
« subalternité religieuse » en Sardaigne, qui lui donne corps et existence par
OH ELDLV G¶XQ WULEXQDO RPQLSRWHQW DFFRPSDJQDQW GH ORXUGHV FRQWUDLQWHV
SXQLWLYHV WRXWH GpULYH KRUV G¶XQH ORL GpVRUPDLV VFHOOpH SDU O¶pFULWXUH HW OHV
Écritures) :
« Le symbolisme mythico-rituel dépourvu de garanties
institutionnelles, élaboré et pratiqué à un niveau subalterne devient apparent
28
7UDYDLOGpYROXDX[FKURQLTXHXUVGHO¶,QTXLVLWLRQHVSDJQROH
47
ORUVTX¶RQ OH PHW HQ UHODWLRQ DYHF OH QLYHDX GX SRXYRLU HW GH O¶KpJpPonie,
référence sans laquelle on ne peut le comprendre. Ce symbolisme prend
DORUV OD IRUPH GH OD ³PDJLH³ GH OD ³VXSHUVWLWLRQ³ RX GH TXHOTX¶DXWUH
connotation du genre. Magie et superstition sont à comprendre cependant,
comme des catégories créées par le pouvoir culturel et religieux pour définir -
WRXWHQOHVFRQGDPQDQWHWOHXURIIUDQWDXVHLQG¶XQHVSKqUHG¶DOWpULWpSULYpH
de dignité et de légitimité, les productions symboliques des groupes qui
correspondent à une position dominée dans la structure sociale (ou, comme
le relève Bourdieu, dans la structure de distribution du capital religieux),
OHVTXHOOHV Q¶RQW SDV DFTXLV OHV IRUPHV RIILFLHOOHV - GRQF ³RUWKRGR[HV³- de la
vie religieuse29 » (Pinna, 2000 : 89).
29
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
30
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
48
FULVHODIRQFWLRQSRVLWLYHG¶XQHFRPSHQVDWLRQIDFHjODSUpFDULWpjO¶LQVpFXULWp
quotidienne : « /DSUpFDULWpGHVELHQVpOpPHQWDLUHVGHODYLHO¶LQFHUWLWXGHGHV
prospectives concernant le futur, la pression exercée sur les individus de la
part de forces naturelles et sociales non contrôlables, la carence des formes
G¶DVVLVWDQFH VRFLDOH OHV kSUHV IDWLJXHV GDQV OH FDGUH G¶XQH pFRQRPLH
DJULFROHDUULpUpHODGLIILFXOWpTXDQGLOQHV¶DJLWSDVFDUUpPHQWG¶LPSRVVLELOLWp
à) affronter de façon pragmatique les PRPHQWV FULWLTXHV GH O¶H[LVWHQFH
constituent également des conditions qui favorisent le maintien des pratiques
magiques » (De Martino, 1976 : 66).
0DOJUp XQH UHODWLYH DXWRQRPLH G¶LQLWLDWLYH ODLVVpH j O¶vOH VXU OH SODQ
politique, lorsque des « trublions » VDUGHVFULHQWOHXUUpYROWHFRQWUHO¶(VSDJQH
HW FRQWUH O¶eJOLVH LOV OH IRQW DYHF OHV DUJXPHQWV SUDJPDWLTXHV PDLV DXVVL
DYHF O¶DPHUWXPH UpVLJQpH GH O¶KRPPH GpSHQGDQW SRXU VD SURSUH YLH G¶XQ
FOLPDWVRFLDOHWPpWpRURORJLTXHDXWDQWFDSULFLHX[TX¶LQFRQWU{ODEOH ; ils le font
DYHF OHV PRWV TXH O¶RQ GRLW DXVVL UDSSRUWHU j XQ QLYHDX G¶DOSKDEpWLVDWLRQ
SRSXODLUH TXDVL QXO /H SD\VDQ 6 0HOH LOOXVWUH ELHQ O¶DVSHFW GpULVRLUH GHV
rébellions populaires contre la culture alors dominante en cette seconde
moitié du XVIè s.. 2ULJLQDLUHGXYLOODJHG¶,VLOLFHGHUQLHUUHIXVDGHSD\HUXQH
taxe supplémentaire à un membre du clergé, lequel membre lui rappela que
VD GpVREpLVVDQFH OH PHWWDLW HQ pWDW G¶LQIUDFWLRQ j OD %XOOH SDSDOH In cena
Domini FH j TXRL 0HOH UpSRQGLW TX¶© Avec cette bulle de merde, il pourra
aller se rincer le cul31 » (Pinna, 2000 : 112). Cet homme semble rejeter sous
XQ PrPH YRFDEXODLUH G¶RSSUHVVLRQ HW HQ O¶HVSDFH G¶XQH VHXOH SKUDVH j OD
IRLV O¶DXWRULWp DGPLQLVWUDWLYH OD GRPLQDWLRQ UHOLJLHXVH HW OD SpGpUDVWLH cette
dernière accusation étant communément attribuée par les paysans à la
fonction avilie GH SUrWUH QRQ PDULp LVVX G¶XQH FODVVH © supérieure »
dégénérée.
31
7UDGXLW GH O¶HVSDJQRO SDU QRV VRLQV © Con aquella bulla de mierda él se limpiará el culo », en
langue originale dans le texte.
49
Dès le XVè s., des premiers « faits de sorcellerie et de mauvaise
moralité32 » (Fois, 1999 : 11-17) font leur apparition dans les archives de
O¶,QTXLVLWLRQ &H WRXUQDQW LPSRUWDQW PrODQW GH IDoRQ H[SOLFLWH GRPLQDWLRQ
SROLWLTXH HW UHOLJLRQ VH UpYqOHUD GpFLVLI GDQV OD FRQVWUXFWLRQ G¶XQH LGHQWLWp
magico-religieuse péjorative en Sardaigne pour les siècles à venir.
E/D6RUFLqUHVRXVO¶,QTXLVLWLRQXQHDOWpULWpVRFLDOHWRWDOH
/¶H[HPSOH OH SOXV GRFXPHQWp HW OH SOXV UHSUpVHQWDWLI GH O¶pSRTXH
LQTXLVLWRULDOH HQ 6DUGDLJQH HVW HQFRUH FHOXL pYRTXp SDU O¶KLVWRULHQ GHV
religions Tomasino Pinna au sujet de Julia Carta, jeune mère de famille
accusée de sorcellerie. Une description très précise du milieu socio-culturel
GH FHWWH IHPPH HVW GRQQpH SDU O¶DXWHXU GDQV VHV GHX[ RXYUDJHV VXU OD
religion populaire en Sardaigne que sont Storia di una Strega et Il Sacro, il
Diavolo e la magia Popolare. Puisant dans les chroniques judiciaires tenues
SDU O¶,QTXLVLWLRQ HVSDJQROH VXU XQ SURFqV WHQX HQWUH HW 3LQQD
dépeint une « victime idéale ª WDQW -XOLD LQFDUQH XQH IRUPH G¶DOWpULWp
correspondant aux fantasmes de la nouvelle classe, riche, patriarcale et
monothétiste dirigeante.
32
Document daté de 1678.
50
PDOpILFHV DX VHLQ G¶XQH FOLHQWqOH VXUWRXW FRPSRVpH GH YRLVLQV GH YLOODJH
immédiats : « De telles représentations et pratiques rituelles sont surtout de
type pré-chrétien, mais, insérées depuis longtemps dans la réalité religieuse
dominante, elles ont été largement influencées et apparaissent parsemées
G¶pOpPHQWV FKUpWLHQV *HVWXHOOH SULqUHV IRUPXOHV SHUVRQQDJHV VXSSRUWV
sacrés propres au christianisme concourent à former, de façon syncrétique,
un matériel archaïque à la symbolique étrangère [...] aux pratiques et à
O¶LGpRORJLH RIILFLHOOH GH OD UHOLJLRQ FDWKROLTXH » (Pinna, 2000 : 90). Mais en
outre, si ses capacités de hechizera33 sont dénoncées de manière
catégorique comme « sorcellerie diabolique » et « hérésie » au niveau
hégémonique, elles sont aussi reconnues de façon ambivalente au niveau
micro-social, entre acceptation nécessaire (rôle de régulateur normatif, entre
thérapie et justice sociales), et exclusion défiante du danger représenté par
des pouvoirs paradoxalement hors-normes.
$LQVL GDQV O¶H[HPSOH VXLYDQW V¶LOOXVWUH WRXW OH SDUDGR[H GX WUDLWHPHQW
doublement marginal -j OD IRLV IDFH j O¶KpJpPRQLH HW IDFH DX PLFURFRVPH
villageois rétif tout ensemble- de la sphère magico-religieuse sarde. Un client
bandit témoigne ici à charge contre Julia. Il raconte comment elle lui offrit son
DLGHDORUVTX¶LODOODLWSUREDEOHPHQWrWUHFRQGDPQpSRXUPpIDLWV© Recourant
à une pierre gardée en poche pendant le procès et à des poudres obtenues à
SDUWLUG¶RVGHFDGDYUHVjUpSDQGUHVXUOHVHXLOGHODSRUWHGX*RXYHUQHXUGH
Sassari, elle promettait à Pedro Virde - capturé par la justicia et soumis à
procès (et dont le beau-fils est aussi en prison)-, de le sauver, soit lui, soit
son beau-fils. Virde reçut de Julia au jour même du jugement un sachet
accompagné de la recommandation de garder celui-ci dans sa poche ³0HWV-
OH HQ SRFKH HW WXYHUUDV TXH QL OD MXVWLFH QL SHUVRQQH G¶DXWUH Q¶pPHWWUD GH
33
« Faiseuse ªG¶DPXOHWWHVGHSURWHFWLRQOHVnóminas (castillan) ou pungas (sarde), NdlA.
51
sentence dpIDYRUDEOH j WRQ HQFRQWUH HW WX VHUDV OLEpUp³ &H TXL DGYLQW 34 »
(Ibid.: 105).
Julia utilise également des méthodes divinatoires pour connaître le tour
TX¶DOODLHQW SUHQGUH OD PDODGLH FKH] VHV FOLHQWV : « Le système divinatoire
TX¶HOOH XWLOLVDLW HVW H[WUrPement simple ; il repose sur un code binaire. Elle
plaça des braises sur un carreau et jeta des monnaies (detrés, ochinas35) à
O¶LQWpULHXUTX¶HOOHIL[DHQVXLWHVXUGHVERXWVGHOLQGLVSRVpVHQFURL[/¶LVVXH
GH OD PDODGLH HVW DORUV LQGLTXp SDU O¶DVSHFW TXH prendra la flambée : si les
IODPPHVFRQVXPHQWOHVSLqFHVFHVHUDOHVLJQHG¶XQHJXpULVRQSURFKDLQH ; si
SDUFRQWUHOHVIODPPHVV¶pWHLJQHQWWRXWGHVXLWHODSUpYLVLRQHVWLQYHUVpH 36 »
(Ibid.: 101).
La parole performative dans de nombreux rituels sardes se nomme
brebus37 (OOH UHYrW OD IRUPH G¶LQFDQWDWLRQV TXH OH SUDWLFLHQ UpFLWH j YRL[
EDVVHHWTX¶LOQHGLYXOJXHJpQpUDOHPHQWSDV$LQVL© à travers la puissance
des paroles, des verbos (en sarde, brebus), elle réussissait à savoir à
O¶DYDQFHVLXQHSHUVRQQe malade aurait été guérie ou aurait dû succomber à
VRQPDO,OHQIXWDLQVLSRXUODILOOHG¶$QJHOD6ROLQDVTXLO¶DYDLWDSSHOpH>-XOLD
ndlt@ DILQ TX¶HOOH OXL IDVVH O¶LQFDQWDWLRQ -XOLD DYDLW SURQRVWLTXp TXH ³FHWWH
petite fille devait mourir en cette nuit même38³ » (Ibid.: 101).
F/¶LPSRVVLEOHSODFHVRFLDOHGXSUDWLFLHQPDJLFR-religieux
/DPDJLHQpHG¶XQHFRPELQDLVRQHQWUHODIRLODIRUPHGXULWHFKUpWLHQ
et des usages antérieurs, apparaît en effet à travers cet exemple comme à la
fois complètement inFOXVH GDQV OHV XV RUGLQDLUHV G¶XQ V\VWqPH YLOODJHRLV HW
jamais vraiment assumée comme « banale ». De son exceptionnalité
quotidienne QRXV SRXUULRQV GLUH GH FHWWH SUDWLTXH KpWpURJqQH TX¶HOOH
34
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
35
Sortes de monnaies en cours en Sardaigne au XVè s..
36
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
37
« Parole magique sarde », Traduit du sarde par nos soins.
38
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQHWGHO¶HVSDJQROSDUQRVVRLQV
52
ressemble à un « méfait social total », pour paraphraser Mauss. Julia incarne
jODIRLVOHVYDOHXUVG¶DLGHGHVRLQG¶LQWHUFHVVLRQHQWUHOHVPRQGHVYLVLEOHV
et invisibles, de maîtrise du hasard - ce qui correspond à peu près aux
PDQTXHVGHJDUDQWLHVGRQWVRXIIUHXQHVRFLpWpjO¶pFRQRPLHSUpFDLUH-, et les
contre-valeurs G¶LQLPLWLpGpYHORSSpHVDXVHLQGHVDSURSUHVRFLpWp : maléfices
de mort, intrigues néfastes, maladies, accidents... autant de catastrophes
« surnaturelles » dont la responsabilité doit forcément incomber
QRPLQDWLYHPHQWjTXHOTX¶XQXQERXF-émissaire, un fusible nommé Julia.
39
« Sermon », ou « avertissement ª7H[WHOXjO¶DFFXVpHORUVGHVDSDUXWLRQGHYDQWOH7ULEXQal de
O¶,QTXLVLWLRQ
53
O¶© étrange ª SRUWHXVH ORFDOH G¶XQH ULWXDOLWp LQLTXH MXJpH SDU XQH LQVWLWXWLRQ
elle-même « étrangère ».
Le paradoxe le plus frappant de la magie envisagée dans ce contexte
villageois semble en effet tenir au fait que le sorcier placé relativement à la
marge de sa société, intervienne dans et pour un collectif dont il ferait à peine
partie. Ce groupe a recours à lui pour ramener à la normale des relations
sociales devenues défectueuses. Le « client » fait par conséquent appel à
une personne à la fois interQH j VD VRFLpWp HW KRUV G¶HOOH SRXU WUDQFKHU XQ
problème personnel qui concerne par extension tout le groupe social, dans
un environnement dont les solidarités organiques basées sur le don et le
contre-GRQ REOLJDWRLUHV Q¶RQW SDV HQFRUH VXEL OHV PRGLILFDWLRns de
O¶LQGLYLGXDOLVPH XUEDLQ FRQWHPSRUDLQ /¶DVSHFW RULJLQHO DPELJ GXDO G¶XQH
« classe » magico-religieuse tantôt acceptée tantôt repoussée mais qui soit
en même temps constitutif de la norme sociale autochtone est une
SHUVSHFWLYH TXH 3LQQD Q¶DXUD SHXW-être pas assez exploré dans ses
RXYUDJHV PDLV TXL PpULWHUDLW QpDQPRLQV G¶rWUH UHSHQVp j O¶RFFDVLRQ G¶XQH
prochaine étude de terrain en Sardaigne40.
40
1RXVYHUURQVSDUFRPSDUDLVRQVLGDQVOHFRQWH[WHUHODWLYHPHQWGpFKULVWLDQLVpG¶DXMRXUG¶KXLOD
société récemment ouverte à des afflux spirituels nombreux et variés désigne ou non la même
place sociale marginale aux rituels magico-religieux comme aux grandes pSRTXHV GH O¶HPSULVH
hégémonique politico-religieuse chrétienne.
54
Julia, interface de communication entre deux strates sociales
$O¶LQYHUVH-XOLDUHSUpVHQWHDXVVLXQPR\HQGHFRPPXQLFDWLRQWUDJLTXH
et privilégié -TXRLTX¶HOOHQ¶DLHSDVpWpH[pFXWpH-, entre deux niveaux culturels
qui ne communiquent a priori pas officiellement :
'DQVFHWH[HPSOHSOXVTX¶HQWRXWDXWUHO¶DV\PpWULHVHPHVXUHGHSDUW
HW G¶DXWUH G¶XQH © frontière ª IRQGpH SDU O¶hégémonie et par rapport à elle
VHXOH FH TXL Q¶H[FOXW SDV OHV WHQWDWLYHV VRXYHQW SXQLWLYHV FRPPH LFL GH
communication.
Cependant, si nous imaginions un scénario historique différent, Julia la
catholique aurait bien pu être un vecteur de communication entre deux
DVSHFWV GX FKULVWLDQLVPH VL VHXOHPHQW O¶,QTXLVLWLRQ DYDLW FRQVLGpUp OHV
variantes religieuses de la subculture sarde comme autant de passerelles
vers une identité communautaire en devenir. La religion est ici peut-être
PRLQVHQFDXVHTXHO¶LQVWUXPHQWDOLVDWLRQTXLHQDpWpIDLWHGDQVOHVSURFqVHQ
sorcellerie. La religion pourrait donc être considérée en quelque sorte comme
XQ DYDWDU GH O¶REMHW-frontière de Leigh-Star et Greisemer ; assez ambivalent
pour diviser, mais assez rassembleur pour que deux strates culturelles le
41
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
55
partagent en dénominateur commun : « Les objets-frontière sont
VXIILVDPPHQW IOH[LEOHV SRXU V¶DGDSter aux besoins particuliers, pour se plier
aux contraintes des différents groupes qui les utilisent et cependant
suffisamment robustes pour garder une identité commune sur leurs différents
sites. Utilisés par tous, ils présentent une structure lâche, alors que dans
O¶XVDJH LQGLYLGXHO OHXU VWUXFWXUH HVW WUqV VROLGH >@ /D FUpDWLRQ HW OH
PDQLHPHQWG¶REMHWV-frontière sont des processus essentiels pour développer
et conserver une cohérence entre différents mondes sociaux qui se
rencontrent » (Leigh-Star & Griesemer, 2008 : 242).
6L QRXV GpYHORSSRQV DXWDQW O¶H[HPSOH GH -XOLD SDU UDSSRUW j G¶DXWUHV
WpPRLJQDJHV GH FH W\SH F¶HVW TXH G¶XQH SDUW LO SURYLHQW GH VRXUFHV
archivistiques retraçables (donc suffisamment fiables pour être citées), et que
G¶DXWUH SDUW VRQ H[HPSOH QRXV SDUDvW GRXEOHPHQW SRUWHXU G¶XQ VHQV VRFLDO
contemporain. En effet, la sorcellerie telle que décrite par Pinna au travers
GHV GRFXPHQWV GH O¶,QTXLVLWLRQ SRVVqGH GpMj EHDXFRXS GHV FDUDFtéristiques
ULWXHOOHV HPSOR\pHV MXVTX¶j QRV MRXUV SDU GHV IUDQJHV HQFRUH ELHQ YLYDQWHV
GH OD VRFLpWpVDUGH SD\VDQQH 'HSXLV OH 6\QRGH GH &DVWUR MXVTX¶DX
Synode de Cagliari au XIXè s., Pinna remarque la permanence historique du
GpWRXUQHPHQW G¶REMHWV rituels chrétiens à des fins magiques : « -XVTX¶DX
V\QRGH GH &DJOLDUL GH GHPHXUH HQFRUH ³O¶XVDJH VDFULOqJH³ sacrilegus
mosGHYROHUjO¶pJOLVHGHO¶HDXEpQLWHGHVKXLOHVVDLQWHVGHO¶HQFHQVEpQL
des morceaux de textes sacrés pour en faire des amulettes : tout ceci pour
se fournir en outils puissants et adaptés à la guérison des maladies, faire de
la divination pour connaître le futur, accomplir des maléfices » (Pinna, 2012 :
190).
0DLV FH Q¶HVW SDV WRXW VL OD © tradition paysanne » offre un certain
FRQWLQXXPKLVWRULTXHjFHVSUDWLTXHVV\QFUpWLTXHVF¶HVWVRXYHQWVXUODEDVH
56
extrapolée et romancée de ces formes, que les néo-sorcières et les
chamanes insulaires du XXIè s. ont reconstruit leurs propres rituels, donnant
G¶HX[-mêmes une image tradi-globale très personnelle.
0DLV VL -XOLD QRXV SDUDvW HQFRUH VL H[HPSODLUH F¶HVW TX¶HOOH IXW XQH
femme, et que le sexe féminin réunit la majorité des praticiens magiques, à
en croire la bibliographie compulsée. Entre la « Modernité ªGHO¶,QTXLVLWLRQOD
« tradition » paysanne du XXè s. et les praticiennes néo-païennes
G¶DXMRXUG¶KXL-XOLDHVWXQILOFRQGXFWHXUHWXQVRFOHSRXUSHQVHUOHGRPDLQH
GH OD UHOLJLRQ YHUQDFXODLUH VDUGH 7RXW HQ UHODWLYLVDQW O¶LGpH GH © tradition »
GDQV O¶LGpH GH +REVEDZP FH YRFDEOH est néanmoins une image didactique
emic importante qui désigne une continuité mythique ou réelle fédérant la
SRSXODWLRQDXWRXUG¶pYpQHPHQWVVRFLDX[VLJQLILFDWLIV
Plus encore, nous entendons ici tradition GDQV O¶XVDJH G\QDPLTXH HW
SRO\PRUSKH TX¶HQ IDLW Oa communitas ORUVTX¶HOOH UqJOH ODQRUPHV¶\ VRXPHW
PDLVDXVVLO¶DGDSWHHWODWUDQVIRUPHVDQVFHVVHDXEpQpILFHGXFROOHFWLI© Le
lien à la tradition doit être finalement conçu comme un moment de la
dialectique historique qui pourvoit [...] au contrôle et à la redéfinition
systématique de la tradition elle-même » (Massenzio, 1999 : 60). Pour toutes
ces raisons, Julia représente à la fois le syncrétisme religieux révélé par sa
propre époque, mais aussi la tradition magique paysanne sarde à venir telle
TX¶HOOHIXWSUDWLTXpHMXVTX¶jODLVVHUODSODFHjODsorcière contemporaine, dont
cette lointaine ancêtre pourrait faire figure de fantasme référentiel.
,,,/¶LPSRVVLEOH© modernité »
/RUV GH OD JXHUUH GH 6XFFHVVLRQ G¶(VSDJQH HQ OD 6DUGDLJQH
passe moPHQWDQpPHQW VRXV OD JRXYHUQH GH OD 0DLVRQ G¶$XWULFKH PDLV
redevient « espagnole ªVRXV3KLOLSSH9GqV&HSHQGDQWO¶vOHUHVWHDX
F°XU GHV SUpRFFXSDWLRQV VWUDWpJLTXHV LWDOLHQQHV &¶HVW ORUV GH OD VLJQDWXUH
57
du traité de Londres en 1718 que Victor-Amédée II de Savoie échange la
Sicile contre la Sardaigne, accord qui prendra effet dès 1720, annonçant
DLQVL OD QDLVVDQFH G¶XQ 5R\DXPH GH 6DUGDLJQH FRPSUHQDQW VRXV VD
juridiction les États de Piémont, de Savoie ainsi que le Comté de Nice.
D1DLVVDQFHG¶XQHNation
8QH GHUQLqUH WHQWDWLYH G¶LQYDVLRQ PLOLWDLUH IXW WHQWpH SDU OD )UDQFH HQ
1793 à dessein de contrôler la Méditerranée depuis son « centre », mais les
6DUGHV VH UpYROWHQW XQH IRLV GH SOXV HW ERXWHQW O¶DUPpH IUDQoDLVH KRUV GHV
côtes. La féodalité de la société sarde ayant toujours cours, cette dernière se
rebelle de la même façon contre le roi Victor-Amédée III, alors coupable de
mépriser les propositions statutaires des états généraux sardes, les
Stamenti &¶HVW DORUV TX¶XQH pQLqPH UpYROWH pFODWH HQ 6ardaigne contre la
tutelle. Les fonctionnaires piémontais sont renvoyés de la capitale Cagliari
YHUV O¶,WDOLH HW OHV VHLJQHXUV VDUGHV GH 6DVVDUL42 SURILWHQW GH O¶RFFDVLRQ SRXU
UpFODPHU O¶DXWRQRPLH GX 6XG /HV GLIIpUHQWHV IDFWLRQV VDUGHV WHQWHQW GH
secouer lH MRXJ GH FH TX¶LOV UHVVHQWHQW FRPPH XQH ORQJXH VXLWH GH
servitudes, mais la Maison de Savoie reprend le contrôle de leur territoire et
réprime une nouvelle fois très durement la « subversion ».
Le décret du 30 novembre 1847 légitima le rattachement de la
Sardaigne avec les États continentaux de Piémont, Ligurie et Savoie,
pYpQHPHQWTXLSUpFqGHODJXHUUHG¶LQGpSHQGDQFHDSSHOpHGHVHVY°X[SDU
OH5RLGH6DUGDLJQHGDQVOHEXWG¶XQLILHUO¶,WDOLH&HIXUHQWOjOHVSUpPLVVHVGX
Risorgimento43, mouvement qui enthousiasme alors littéralement la
Sardaigne, tant les promesses de développement économique véhiculées
SDU OH 5R\DXPH QDLVVDQW G¶,WDOLH SDUDLVVHQW j SRUWpH G¶HVSRLU &HSHQGDQW
PDOJUpGHVHIIRUWVFRQVHQWLVGDQVOHVHFWHXUG¶H[SORLWDWLRQPLQLHURXGDQVOD
42
Ville située au nord-RXHVWGHO¶vOH
43
Risorgimento signifie « renaissance », ou « résurrection ª&¶HVWHQFHVWHUPHVTXHIut qualifiée
O¶XQLILFDWLRQSROLWLTXHLWDOLHQQHjSDUWLUGHODSUHPLqUHPRLWLpGX;,;qV
58
diVWULEXWLRQG¶LQIUDVWUXFWXUHVURXWLqUHVO¶pJDOLWpDWWHQGXHHQWUHOHVQLYHDX[GH
vie continentaux et insulaires reste lettre morte ; le système féodal repose
alors toujours principalement sur une économie vivrière à dominante agro-
pastorale tandis que la RéYROXWLRQ LQGXVWULHOOH HW O¶eYROXWLRQQLVPH
anthropologique éclataient partout ailleurs en Europe. Les raisons qui firent
échouer toute tentative de normalisation politique, économique et culturelle
de la Sardaigne furent donc plurielles et dépendent de facteurs autant
LQWHUQHVTX¶H[WHUQHVjO¶vOH8QHqUHQRXYHOOHGHGRPLQDWLRQVVHSURILODLWDORUV
pour la Sardaigne. Celle du mépris scientifique.
/RUVTXH OD 6RFLpWp G¶$QWKURSRORJLH IUDQoDLVH VH UpXQLW j 3DULV XQ VRLU
GX DYULO QRPEUH GH ]RRORJXHV G¶Dnthropologues physiques, de
pathologistes-FULPLQRORJXHVGHSV\FKLDWUHVRXGHYpWpULQDLUHVV¶HPSRLJQHQW
au nom du positivisme scientifique sur le « cas sarde ». Dans la perspective
G¶RIIULUDXOHFWHXUXQHGHVFHQWH© archéologique » vers les origines du savoir
HWKQRORJLTXHO¶DUWLFOHG¶$QWRQHOOR0DWWRQHQRXVUHSORQJHGDQVOHVDIIUHVG¶XQ
débat rationaliste sur les « attardés » restés en marge des « progrès
culturels ª j O¶KHXUH GH OD 5pYROXWLRQ LQGXVWULHOOH © nous révélant par la
même occasion, le reflet frRLG G¶XQH FXOWXUH G¶XQH VFLHQFH G¶XQH PpWKRGH
G¶DQDO\VH44 » (Mattone, 1986 : 701).
b. « Des Pygmées en Italie ª /H 6DUGH DUFKpW\SH GH O¶DOWpULWp DEVROXH
GDQVO¶LPDJLQDLUHSRVLWLYLVWHGHV;,;qHW;;qV
44
7UDGXLW GH O¶LWDOLHQ SDU QRV VRLQV DLQVL TXH OHV FLWDWLRQV VXLYDQWHV H[WUDLWHV GH O¶DUWLFOH GH
Mattone.
59
en Sardaigne eurent pour but de dépasser les visions données par La
0DUPRUDGRQWO¶RXYUDJHVoyage en Sardaigne de 1819 à 1825 constituerait
O¶DUFKpW\SH G¶XQH OLWWpUDWXUH URPDQWLTXH QRQ VFLHQWLILTXH QRQ YDOLGH GLWH de
voyage.
6L OHV 6DUGHV H[DPLQpV SDU *LOEHUW G¶+HUFRXrt sont une belle race, le
débat qui suivit consista surtout à déconstruire cette assertion positive : «
Tous les Sardes ont la peau blanche ; les cheveux droits et noirs ; leurs yeux
sont grands, ouverts horizontalement et surmontés de sourcils bien dessinés
et légèrement arqués ; leur front est droit et bien développé ; leur visage est
ovale ; les mâchoires sont peu saillantes ; leur nez est droit [...] » (Mattone,
1986 : 703). A la suite de cette déclaration plutôt élogieuse, Charles
Letourneau en 1886 se penche sur le folklore de la Sardaigne. Se basant sur
une étude du médecin Zannetti, il conclut que les Sardes du XIXè s. forment
une société dégénérée : « Comparant les crânes sardes modernes à ceux de
O¶pSRTXH URPDLQH OH GRFWHXU =DQQHWWL FRQVWDWDLW Tue la capacité des crânes
VDUGHV DYDLW GLPLQXp DSUqV O¶$QWLTXLWp -¶DMRXWH TXH OD GLVFXVVLRQ TXL HQ IXW
suivie mit en lumière ce fait exemplaire MDPDLVOD6DUGDLJQHQ¶DYDLWSURGXLW
XQVHXOKRPPHLOOXVWUHQLG¶KRPPHpPLQHQW » (Mattone, 1986 : 704, cité de
Zannetti, 1885 : 46-48). Le célèbre criminologue italien Lombroso surenchérit
à son tour en accolant au caractère de petitesse des crânes un atavisme
criminogène ,O VXSSRVH HQ HIIHW TX¶XQ pWURLW UDSSRUW GH FDXVH j HIIHW
relationne la diminution de volume crânien à une propension supposée au
banditisme. Ainsi, la dégénérescence physique « GHODUDFHF¶HVW-à-dire de la
partie fixe et immuable du plasma germinal transmis par une génération à
une autre, fut considérée par les anthropologues et par les criminologues de
O¶pFROH SRVLWLYLVWH FRPPH OD FDXVH SULQFLSDOH GH OD ³YLH SULPLWLYH³ HW GH
O¶DUULpUDWLRQ VRFLDOH GH OD 6DUGDLJQH » (Mattone, 1986 : 706). Expliquant ce
fait par un long isolement dû au caractère insulaire de ce peuple, Letourneau
poursuit : « Les Sardes [...] ne sont pas [...] différents d'autres sociétés
primitives ».
60
Les comparaisons mettant en évidence les différences culturelles et
biologiques entre populations sont alors un prétexte à hiérarchie : « De ce
débat émerge avec clarté une analyse biologique, historique, géographique
des diversités culturelles et raciales (ainsi que leur classification hiérarchique)
qui rassemble non seulement les soi-GLVDQW³SHXSOHVSULPLWLIV³PDLVDXVVLOHV
SRSXODWLRQV G¶DLUHV PDUJLQDOHV HW pFRQRPLTXHPHQW PRLQV Géveloppées de
O¶(XURSH PpGLWHUUDQpHQQH » (Mattone, 1986 : 705). Mais les plus belles
définitions reviennent à l'Ambassadeur savoyard Joseph de Maistre en 1805,
lequel, ne souffrant pas le climat « pestilentiel ª GH O¶vOH HVWLPH SDU DLOOHXUV
TX¶© Aucune race humaine n'est plus étrangère à tous les sentiments, à tous
les goûts, à tous les talents qui honorent l'humanité. Les Sardes sont vils
sans obéissance et rebelles sans courage. Ils ont des connaissances sans
science, une jurisprudence sans justice et un culte sans religion [...]. Le
Sarde est plus sauvage que le sauvage, car le sauvage ne connaît pas la
lumière et le Sarde la hait. Il est dépourvu du plus bel attribut de l'homme, la
perfectibilité » (Mattone, 1986 : 710-711, cité de Blanc, 1858 : 61).
Cependant, ce petit rappel des orientations de notre discipline
naissante ne serait pas complet sans citer Sergi, un anthropologue italien de
la fin XIXè s. pour lequel « le peu de capacité du cerveau et la petite stature »
des Sardes « sont deux faits corrélés qui démontrent l'existence de Pygmées
en Italie » (Mattone, 1986 : 715 cité de Sergi, 1893 : 18).
&HWWHLPDJHGHOD6DUGDLJQHDORQJWHPSVYpKLFXOpOHVIDQWDVPHV G¶XQ
Européen primitif qui aurait survécu à tous les « progrès » en vivant en totale
autarcie jusqu'à nos jours. Mais nous abordons ici les conséquences
DQWKURSRORJLTXHV G¶XQH UHSUpVHQWDWLRQ KLVWRULTXH ELHQ SOXV ORQJXH SXLVDQW
ses racines dans un contexte de contacts et de conflits permanents mettant
en scène la Sardaigne contre le « monde des invasions venues de la mer ».
Depuis lors, une longue succession de clichés va se mettre en place
TXL FULVWDOOLVHUD O¶LPDJH -en partie vraie- G¶XQ WHUULWRLUH UHFURTXHYLOOp VXU VRQ
KLVWRLUHGRXORXUHXVHUHSRVDQWVXUODILJXUHG¶XQSDVWHXUVROLWDLUHV¶H[Srimant
61
SDUERUERU\JPHVHWUHSOLpSRXUGHORQJVPRLVHQVHVWHUUHVDULGHV/¶,PDJH
rousseauiste du « Bon Sauvage ª OH GLVSXWH DORUV j FHOOH GH O¶arriéré
congénital se montrant incapable de suivre le mouvement occidental du
développement industriel.
Dès le XIXè s., un pas « scientifique » est franchi qui marque
O¶DPDOJDPH HQWUH OHV © Sauvages ª FRORQLVpV G¶$PpULTXH OHV FULPLQHOV OHV
VLPSOHVG¶HVSULWHWFHUWDLQHVDLUHVHXURSpHQQHVpFRQRPLTXHPHQWattardées.
La différence économique locale est alors quasi-criminalisée tandis que le
capitalisme de masse se voit sanctifié par le blanc-VHLQJ G¶XQ SURJUqV
XQLYHUVHOREOLJDWRLUHH[SDQVLRQQLVWHHWLQWUXVLI/D6DUGDLJQHLWDOLHQQHQ¶DXUD
pas subi officiellement le statut de colonie, néanmoins le traitement
idéologiqXHGRQWHOOHIXWO¶REMHWHQIDLWUpHOOHPHQWXQH colonie HQSOHLQF°XU
GHO¶(XURSH/HVQRXYHDX[LQWHUrWVFRPELQpVGHODFRORQLVDWLRQ G¶eWDWHWGH
O¶$QWKURSRORJLHFRQIOXHQWGqVORUVGHPDQLqUHWUqVYLVLEOHGDQVFHVpFKDQJHV
de visions mi-paternalistes mi-caORPQLDWULFHVSRUWpHVVXUO¶vOH
----------------------
62
DEUXIÈME PARTIE. Us et rituels de la société paysanne organique
/D6DUGDLJQHHQWKRXVLDVWHDXOHQGHPDLQGHVRQUDWWDFKHPHQWjO¶,WDOLH
HQ D OHQWHPHQW ODLVVp OD SODFH j XQH DPHUWXPH TXH O¶Rn imagine au
PRLVSURSRUWLRQQHOOHjO¶HVSRLUGHGpYHORSSHPHQWpFRQRPLTXHGpoX'HYDQW
OD UHODWLYH LQFXULH GH O¶eWDW LWDOLHQ YLV-à-YLV GH O¶vOH SHQGDQW WRXWH OD SUHPLqUH
PRLWLp GX ;;q V GHV LGpHV G¶DXWRQRPLH VH IRQW MRXU GDQV O¶HQWUH-deux-
guerres. La République italienne est instaurée en 1948, dans un climat
SROLWLTXHKRXOHX[RO¶DXWRULWpGHO¶eWDWQDLVVDQWVHWURXYHjQRXYDXIRUWHPHQW
FRQWHVWpHGDQVO¶vOH/HVSRXVVpHVVpSDUDWLVWHVVRQWDORUVDSDLVpHVJUkFHDX
statut spécial donné aux Sardes, mais aussi à cinq autres régions situées
DX[ PDUFKHV GH O¶,WDOLH /H QRXYHDX SD\V FRPELQH DORUV GHX[ SURMHWV
politiques O¶XQLWp QDWLRQDOH LVVXH G¶XQH LGpH FHQWUDOLVDWULFH GH O¶eWDW HW OD
GLYHUVLWpG¶XQSD\VDJHFRPSRVpGH© minorités » régionales au dimorphisme
social accusé.
63
économique délaissé par les profits économiques du Nord qui serait alors à
même de se soulever contre le centralisme italien (Campanie, Pouilles,
Calabre, Sicile, Sardaigne). Dans la perspective complexe du rituel magico-
religieux, nous envisagerons à présent les cycles cérémoniels traditionnels
en Sardaigne à la fois comme un catalyseur des valeurs du collectif dans un
émissaire individuel (le sorcier/thérapeute et son malade soigné), et comme
OHSURFHVVXVG¶XQHUHSURGXFWLRQVRFLDOHjO¶LGHQWLTXHGRXEOpG¶XQPpFDQLVPH
de transformation interne : « La forme et le décorum constituent le moment
FHQWUDOGHO¶pYpQHPHQW ULWXHOF¶HVWXQHVpTXHQFHULWXHOOHTXL transforme, qui
DJLW j WUDYHUV OH ULWH TXL SHUPHW OH SDVVDJH G¶pWDW GHSXLV XQH FRQGLWLRQ
VRFLDOHjXQHDXWUH/D³IRUPH³HVWGLFWpHSDUOHFRPSRUWHPHQWUpSpWpSDUOD
SUpVHQFH G¶pOpPHQWV FRQYHQWLRQQHOV SDU OHV PRXvements et attitudes
LQKpUHQWVjO¶DFWLRQSDUOHUDSSRUWVSDWLR-temporel rituel46 » (Satta, 2009 : 86).
/D IRUPH GX ULWXHO H[SULPHUDLW DLQVL XQH SDUWLH GH OD VWUXFWXUH G¶XQ IRQG
symbolique propre à chaque société, sans toutefois en épuiser toutes les
ressources, car si les systèmes rituels correspondent à un modèle cognitif ou
LQFRQVFLHQWGDQVGHVIRUPHVORFDOHVSDUWLFXOLqUHVLOVQHV¶LQFDUQHQWHQRXWUH
que de manière imparfaite dans la forme observée. Aucune taxinomie
explicative aussi ethno-historique, structuraliste ou symboliste soit-elle ne
VDXUDLW UpGXLUH WRXWH O¶pWHQGXH G¶XQ © paysage mental » à une quelconque
désignation rituelle, aussi représentative que soit cette dernière. Cependant,
lorsque ce mythscape SURIRQGVHGRQQHjYRLUF¶HVWWRXMRXUVVRus la forme
tangible de paroles, de gestes et de supports-REMHWVTX¶LODSSDUDvW
Pour remettre la magie sarde dans son contexte, il est auparavant
QpFHVVDLUH GH UHFRQVWUXLUH OD WUDPH GH IRQG TXL OXL SHUPHW G¶H[LVWHU
KLVWRULTXHPHQW G¶DJLU V\PEROLTXHPHQW MXVTX¶j QRV MRXUV G¶rWUH TXDOLILpH
idéologiquement de subalterne SDU O¶DQWKURSRORJLH LWDOLHQQH GH ILOLDWLRQ
JUDPVFLHQQH &HW HQYLURQQHPHQW R VH SDUWDJH HW V¶H[SULPH XQ FRUSXV
mythologique, lequel -tout en admettant des variantes, de multiples
46
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
64
interprétations et des transformations-, reste relativement stable dans le
WHPSV (Q HIIHW VL OH WHPSV GX P\WKH V¶pWLUH HW VH WUDQVIRUPH GDQV OHV
VLqFOHV LO QH V¶\ SHUG MDPDLV WRWDOHPHQW QL Q¶REpLW DX[ LPSpUDWLIV GH
« modernité ªWHOVTXHO¶KLVWRLUHOHVLPSRVHjXQH société réelle par rapport à
O¶pWHUQHOOH FRPPXQDXWp GHV IpHV GHV RJUHVVHV RX GHV IDQW{PHV YHQJHXUV
Nous reprendrons ici le concept-outil du sociologue Duncan Bell, selon lequel
un mythscape est « [...] the temporally and spatially extended discursive
realm in which the myths of the nation are forged, transmitted, negociated,
and reconstructed constantly » (Bell, 2003 : 63). Cette « social agency » met
GRQF HQ VFqQH GHV LQWHUSUpWDWLRQV GH O¶LGHQWLWp VDUGH GDQV OH VHQV G¶XQH
justification gardienne de ses positions morales et normatives : « Myths are
constructed, they are shaped, whether by deliberate manipulation and
intentional action, or perhaps through the particular resonance of works of
literature and art » (Bell, 2003 : 75). En ce sens, la sorcière du conte pour
enfants entre en résonnance avec les principes formant les garde-fous de la
VRFLpWp SD\VDQQH VDUGH WRXWH HQWLqUH F¶HVW SRXUTXRL QRXV HQ GpFULURQV
quelques exemples-types. En effet, le mythscape magico-religieux produit du
VRFLDO HW O¶HQWUHWLent sous forme de transmissions
orales transgénérationnelles par les personnes âgées lors de veillées ou par
les mères aux enfants. Ce social produit aussi la figure réelle de la
« sorcière » et du « thérapeute », sorte de créatures issues des contes à mi-
FKHPLQ HQWUH OD WHUUHXU VDFUpH TX¶HQJHQGUH O¶DX-delà inconnu et la banalité
G¶XQH SHUVRQQH VRFLDOHPHQW LQVpUpHGDQV ODFRPPXQDXWp $XVHLQ GHFHWWH
représentation identitaire et méditerranéenne de la société, la position
« matricentrale » de la femme dans un environnement familial patriarcal
semble jouer un rôle médiateur essentiel entre les forces invisibles et la
norme quotidienne à tenir. A la fois exemple et contre-H[HPSOHjO¶LPDJHGH
la « bénéfique et maléfique Julia », la femme est aussi une figure
incontournable de ce mythscape sarde.
65
I. Le mythscape sarde
66
IRLV OH SUHPLHU SDU UDSSRUW DX VHFRQG RX PrPH G¶HQYLVDJHU FRPPH
SDUDGR[DOOHFDUDFWqUHWRWDOLVDQWG¶XQHGLYLQLWp
47
« Spavento da visione ªWUDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV9RLU6DWWDS
48
Fables et légendes dans les traditions populaires de la Sardaigne. NdlT.
67
PDOKHXUVjO¶HQVHPEOHGHODFRPPXQDXWp
&HV HVSULWV LOOXVWUHQW FH TX¶LO DGYLHQW ORUVTXH OH PHPEUH GH OD VRFLpWp
villageoise omet de respecter dans le code des réciprocités, dans le devoir
envers le collHFWLI GDQV OH IDLW G¶DWWHQWHU j VD YLH HW GH YROHU GDQV OH FHUFOH
pWURLW GHV IDPLOLHUV &HSHQGDQW O¶DPELYDOHQFH GX YROHXU PRQWUH FH GHUQLHU
également capable de « désenvoûter ªO¶KRPPHPDOFKDQFHX[GDQVOHFDVGX
Boe Muliache. Cet aspect place finalement le voleur dans la position
malaisée du guérisseur magique marginal, dont le pouvoir plénier est exercé
hors de la communauté mais paradoxalement, toujours au service ou aux
dépens de celle-FL6¶LOH[LVWHXQHIRXOWLWXGHGHFDWpJRULHVUHSUpVHQWDWLYHVGH
la QRUPHHWGHVDWUDQVJUHVVLRQGDQVO¶LPDJLQDLUHP\WKLTXHO¶XQHG¶HQWUHHOOH
pPHUJH SDUWLFXOLqUHPHQW ORUVTXH O¶RQ FRQVLGqUH O¶LPSRUWDQFH GX FDUDFWqUH
magico-UHOLJLHX[HQ6DUGDLJQH&¶HVWHQFRUHOD)HPPH
49
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQVDLQVLTXHOHVFLWDWLRQVVXLYDQWHVGXPrPHDXWHXU
68
les historiens avaient décelé, à savoir que la femme lunaire, associée à
O¶officieux HW j O¶DUFKDwVPHFRQVHUYDWHXU VHUDLW OLpH j OD SDUWLH V\PEROLTXH HW
magique du social, aux mystères souterrains de la reproduction, au règne du
IR\HU j O¶© en-dedans », mais aussi au « GDQJHU GH O¶HQVDXYDJHPHQW »
résultant de la trangression de ces mêmes normes. Elle disputerait son
pouvoir à une frange officielle GHODVRFLpWpUHSUpVHQWpHSDUO¶KRPPHsolaire,
OH PDvWUH GH O¶© en-dehors », de la chasse, le garant du patrilignage et du
VDQJ /D GLVWLQFWLRQ V¶RSqUH pJDOHPHQW DX QLYHDX UHOLJLHX[ où la femme
prend le rôle de la sorcière, accédant par une voie spirituelle directe,
naturelle à un sacré dit de la main gauche : « La transmission des pouvoirs
magiques revient quasi exclusivement par la voie matrilinéaire, dans la
mesure où cette ritualité est étroitement connexe aux grands rites de la terre
R OH FRGH PDJLTXH HW OH FRGH ULWXHO ³RIILFLHO³ SURGXLVHQW OD PrPH WHQVLRQ
TX¶HQWUHP\WKHHWULWH » (Satta, 2009 : 34). A une femme-mythe immémoriale
répondrait donc analogiquement un homme-rite dont elle accoucherait.
Cette connexion entre Terre-Mère et agriculture remonte
vraisemblablement à la révolution agraire du Néolithique, dont certains rites
sardes traditionnels SUpWHQGHQW HQFRUH GpULYHU DXMRXUG¶KXL : « La forte
solidarité entre la tellus mater HW O¶KRPPH OLpH DX GpYHORSSHPHQW GH
O¶DJULFXOWXUH SHUVLVWH HQFRUH GDQV OH ULWH DUFKDwTXH GH O¶LPEUXVVLQDWXUD VH
URXOHUSDUWHUUHHQIRUPDQWXQHFURL[&HULWHHVWWRXMRXUVSUpVHQWDXMRXUG¶KXL
&¶HVW XQH SUDWLTXHWKpUDSHXWLTXHFRQoXH FRPPH UHPqGH DXx fortes peurs50
ou phobies inconscientes FDXVpHV SDU GHV YLVLRQV G¶HVSULWV GpIXQWV /H
rite de guérison est lié à la terre : le corps est alors associé à la terre-mère
GDQV OH EXW G¶rWUH UpJpQpUp MXVTX¶j REWHQLU XQ UHWRXUQHPHQW GH OD VLWXDWLRQ
initiale de maladie » (Satta, 2009 : 56). Le cas emblématique de cette
WKpRSKDQLHFODVVLTXHUHSODFHO¶KRPPHGDQVXQHVLWXDWLRQG¶LQIpULRULWpIDFHj
la maladie et à la guérison, deux « forces ª j O¶RULJLQH SHX GpWHUPLQpHV HW
50
Désigné en Italien sous le nom de « spavento ª FH WHUPH TXDOLILH XQ PDO G¶RULJLQH VXUQDWXUHO
bien connu des folkloristes et ethnologues WUDYDLOODQWVXUO¶vOH
69
traditionnellement dominées par un mystérieux ascendant féminin. Si le
domaine magico-religieux appartient à la sorcière G¶DSUqV O¶,QTXLVLWLRQ
espagnole, selon la tradition sarde, il appartient simplement et quasi-
exclusivement à la femme, cet obscur objet de pouvoir. Celle-ci possèderait
en eIIHW XQ HVSDFH FHUWDLQ GH OLEHUWp HW G¶DXWRULWp DX VHLQ PrPH GHV
patrilignages, quelque part entre les pratiques rituelles, thérapeutiques et les
UpFLWVP\WKLTXHVG¶XQHFODVVH subalterne dont elle serait en quelque sorte à
OD IRLV XQ HPEOqPH HW O¶H[SUHVVLRn directe. Pour reprendre des termes
gramsciens, au royaume mythologique de la femme « hégémonique »,
O¶KRPPH OXL GHYLHQW XQ © inférieur », impuissant à contrer les attaques de
O¶LPSUpYLVLEOH IHPPH-nature. Cette idée déborde cependant sur les craintes
du mRQGHUpHOGDQVOHTXHOO¶KRPPH© hégémonique » possédant les clefs de
la parenté et du monde extérieur, soumet et contient dans les tâches
domestiques une femme « subalterne » considérée encore une fois comme
GDQJHUHXVH'DQVODSHUVSHFWLYHG¶XQHIHPPH-nature crainte et abritée, à la
fois gibier sauvage, divinité surnaturelle et gardienne des lois du foyer des
Pères, elle représenterait alors peut-être bien une totalité sociale à elle seule
au sein du groupe villageois, aussi bien dans son acception réelle que
P\WKLTXH /¶LPDJH GH OD IHPPH VH FRPSOqWH LFL HOOH-PrPH TXRLTX¶LO H[LVWH
également une polarité des deux sexes articulée par une exagération des
JHQUHVTXLVHFRUUHVSRQGHQWVHIRQGHQWHWV¶RSSRVHQWGDQVOHGLVFRXUV
&H V\VWqPH KROLVWH PHW HQ VFqQH O¶LQversion et la correspondance de
symboles genrés entre eux comme une forme de complétude allégorique
apprivoisant en quelque sorte culturellement le langage dangereux de la
« nature » et en naturalisant de façon à les rendre légitimes, certains
éléments de FXOWXUH 7RXWHIRLV FHWWH YLVLRQ WRWDOH GH O¶XQLYHUV VRFLDO WURXYH
effectivement son développement le plus accompli dans bon nombre de
figures féminines de la mythologie sarde, dont voici quelques exemples
supplémentaires.
70
b. Femmes élémentales, incarnations de la norme
La figure de 6¶$UUH\XOWD n'est connue par des sources orales que dans
OHYLOODJHGH%HVVXGH9RLOjXQHJpDQWHTXLQ¶DSSDUDvWVHXOHPHQWTX¶HQWUHOH
31 juillet et le 1er août de chaque année. Habitant une grotte hors du pays,
elle traîne de lourdes chaînes derrière elle. Cette femme s'introduit dans les
maisons et punit les jeunes filles qui ont filé moins de huit écheveaux de laine
en leur tranchant mains et pieds. Cette géante à l'aspect pierreux est
également une voyante que l'on invoque aux croisements des routes afin de
connaître la date de sa propre mort.
Le domaine de 6D 0DPD H¶ VX 6ROH est tout autre. Voilà une vieille
femme couverte d'un drap blanc sévissant aux heures les plus chaudes de la
journée contre les enfants refusant de faire la sieste. D'après l'écrivain Grazia
Deledda, si jamais Sa Mama croise un imprudent, elle lui brûle le front en le
contraignant à garder le lit avec une forte fièvre et une cicatrice. Dans le cas
de 6D0DPDH¶VX%HQWX, les enfants désobéissants se font griffer le visage
s'ils ont le malheur de croiser la famille de Sa Mama, le mari Uragano et ses
turbulents enfants. 6D 0DPD H¶ VX )ULWWX comme 6D 0DPD H¶ VX )RJX
représentent des contreparties hivernales et incendiaires ayant pour fonction
G¶LQFDUQHUGHVSKpQRPqQHVQDWXUHOVF\FOLTXHVHWVDLVRQQLHUV
71
appartient à l'ancienne race des Gentili constructeurs de nuraghi. Dotée de
grandes mamelles généreuses, elle évoque l'abondance, les terres fertiles.
Toutefois, un jour la voici qui refuse la charité à un moine, ce qui pousse Dieu
à la transformer en géante pétrifiée et à changer en pierre tout ce qui lui
appartenait. Désormais, la Sardaigne est recouverte de traces de Luxia,
comme à Esterzili où l'on peut encore voir la « maison » de Luxia, « Sa
Domus de Orgia rabiosa ». Associée à la nature hivernale, la mère Luxia est
avare de ses productions, elle refuse aux hommes sa nourriture. Transposée
au niveau culturel, cette « charité manquée » représente une « faute » au
sein d'une communauté villageoise paysanne aux ressources précaires
reposant entièrement sur la chaîne obligatoire des solidarités réciproques.
Tout manquement au contre-don est alors sévèrement puni par le village, et
la pétrification vient ici pousser à son paroxysme l'idée de la vindicte sociale
face au danger.
Autre alliée du mal, la Koga est une sorcière négative. Son aspect
physique est aussi affreux que celui de Sa Surbile. La Koga est vêtue de noir,
elle manipule la propriété des herbes, confectionne des poupées magiques et
connaît le secret des paraulas mannas (« mots de pouvoir ») pour jeter le
PDXYDLV °LO HW WXHU OHV WURXSHDX[ &HWWH © amie du Diable » est née
« mauvaise » mais aussi « voyante », puisqu'elle interprète également, dit-
on, le langage des oiseaux et lit dans le marc de café. Elle vit, misérable et
crainte, à la frontière du village. Ses clients sont des bandits, des fiancées
trompées, des femmes jalouses. La Koga incarne ce que devient la femme
hors de sa société. Habillée comme les veuves sardes, elle n'a pas de
descendance. Dans une société villageoise fondée sur la transmission des
biens et des valeurs dans les générations, la Koga représente une femme
« inutile », « mutilée », vieille et stérile. Son rôle bénéfique auprès des
renégats et des marginaux en fait doublement une ennemie de la société qui
l'a jadis mise DXEDQ'HSOXVHQWDQWTX¶© amie du Diable », on voit bien ici
la dynamique de causalité établie par l'Eglise entre la nature hors du village
où habite la Koga et le diable associé à cette nature... donc à la Koga.
)pHV9LHUJHVHW0qUHVGHO¶,QIUDPRQGH
Les Janas sont des vierges féériques minuscules habitant des grottes
préhistoriques nommées Domus de Janas. Dotées d'une beauté
exceptionnelle, elles se dédient aux tâches ménagères typiques de la femme
DX IR\HU GX WHPSV G¶DORUV HOOHV ILOHQW OD ODLQH HQ FKDQWDQW HW WLVVHQW
merveilleusement. Très timides, elles sont bénéfiques à qui leur demande de
SUpGLUHO¶DYHQir. Certains clans de Janas comme celui des Vati se sont unis
autrefois aux hommes, mais n'ont révélé leur nature qu'au moment de leur
mort. Figures ambivalentes, les plus cruelles d'entre elles peuvent être des
vampires ou des dévoreuses d'hommes. Les Janas représentent à la fois
l'idéal féminin d'une société patriarcale et une menace contre l'équilibre
social.
Femmes damnées
L'Argia GRQW QRXV DXURQV O¶RFFDVLRQ GH UHSDUOHU SOXV ORLQ j O¶RFFDVLRQ
de la transition symbolique de ladite fête, est une forme de Tarentisme sarde
mettant en scène l'âme d'une femme trompée, morte en couches incarnée
dans la piqûre d'une l'araignée, le latrodectus. Ce terme désigne donc à la
IRLV OD GDQVH H[SLDWRLUH HW O¶Argia-SHUVRQQDJH TXH O¶RQ GRLW FKDVVHU &HWWH
femme changée en insecte sévit parmi les agriculteurs travaillant dans les
champs l'été, ce qui explique que la majeure partie des personnes
« possédées » par cette Argia soit des hommes. La thérapie employée pour
chasser l'esprit et soulager les douleurs de la victime est une danse
V\QFRSpH DFFRPSDJQpH G¶XQH IRUPH GH FKDQW U\WKPLTXH O
attitu funèbre),
exécutée soit par le possédé lui-même dans la ville de Nuoro, soit par la
communauté villageoise presque partout ailleurs. Dans un rite d'inversion
propre aux expressions carnavalesques, l'homme se déguise alors en femme
et adopte l'identité capricieuse de l'Argia, exigeant des contreparties à
l'assistance pour son départ. Il se peut également qu'entre l'Argia féminine et
la victime masculine soit scellé un pacte du type compérage spirituel ou
prenant l'aspect contractuel d'un mariage. Cette thérapie, entre catharsis et
exorcisme fut pratiquée, selon son ethnographe Clara Gallini, jusque dans les
années 1960, avec des variantes notables entre la région de la Barbagia et le
reste du territoire. Elle vise a rétablir un équilibre social symbolique mis en
danger par une injustice subie autrefois par une femme délaissée, violentée
par un homme ou par la maladie.
75
7RXWHV FHV IHPPHV GX P\WKH DVVXPHQW QRXV O¶DYRQV YX XQ VWDWXW
ambivalent -sinon totalisant- au sein du règne symbolique, puisqu'elles
incarnent à la fois la norme à tenir et la transgression de cette norme. Les
antidotes prescrits contre l'intervention de ces personnages décrivent la
plupart du temps un rituel d'inversion (pour un homme, porter un chapeau à
l'envers, ou se déguiser en femme). Leur rôle de justicières apparaît au
symétrique opposé de leur apparence négligée, marginale, dans un jeu
constant entre nature, culture et transgression. La chrétienté aura fixé cette
ambivalence dans les notions réductrices de bien et mal, confondant souvent
OD ILJXUH UpHOOH GH OD IHPPH DYHF VHV DWWULEXWV P\WKLTXHV 6L O¶KRPPH
apparaît parfois au détour de ces discours en tant que sorcier (Cogus), sa
présence est toutefois considérée comme mineure. Ces Cogus viennent en
RXWUHUHQIRUFHUO¶LQIOXHQFHGRPLQDQWHGXVH[HIpPLQLQGDQVOHVU{OHVVRFLDX[
métaphoriques de « gardiennes » ou de « contre-exemples » que décrivent
les personnages : « /H SOXV VXUSUHQDQW HVW HQFRUH OD SUpVHQFH G¶KRPPHV
dans la légende populaire, considérés comme des images de sorcières au
masculin possédant néanmoins un terme propre : cogus, qui répond à coga
FRPPH XQH ILJXUH VXSHUSRVLWLRQQDEOH j O¶LPDJH IpPLQLQH &HV FRJXV VRQW
envisagés comme des figures mineures malgré leur présence attestée
auprès de leurs compagnes lors des vols nocturnes52 » (Bucarelli & alii,
2004 : 71). Cette idée de « pièce rapportée » masculine sans autonomie
SURSUH pYRTXH O¶K\SRWKqVH G¶XQH VRFLpWp TXL D SX DXWUHIRLV IRQFWLRQQHU
réellement comme une organisation sociale matricentrique, dont les codes
sociaux non écrits se seraient diffusés dans le conte sans se perdre
WRWDOHPHQW/¶pOpPHQWPDVFXOLQYLHQGUDLWGRQFLFLVHVXUDMRXWHUjXQGLVFRXUV
féminin plus élaboré lui prééxistant peut-être.
52
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
76
revendiquer une nouvelle identité sarde et féminine, en communion avec des
représentations particulières de la nature, dans un mouvement contradictoire
GH UHMHW FRQWUH OHV DVSHFWV KpJpPRQLTXHV GH O¶eJOLVH RX GH O¶pFRQRPLH GH
PDVVH HW G¶DFFHSWDWLRQ GHV IOX[ PDVVLILpV G¶pFKDQJHV VSLULWXHOV JpQpUpV
par ce même monde global). Il est intéressant de constater que des
mouvements dits « New Age » anglo-saxons diffusés par la globalisation
comme la Wicca tentent aujourd'hui de s'implanter dans le paysage spirituel
sarde des grandes villes. La plasticité de la mythologie emprunte le
changement pour s'inscrire dans une continuité, et c'est là l'une des
ressources employées par les Sardes versés dans le domaine magico-
religieux pour prolonger une certaine image de la femme tout en adoptant
paradoxalement les codes d'une nouvelle « tutelle » mondiale, qui soit à la
fois hégémonique par le caractère LQH[RUDEOH GHV FKDQJHPHQWV TX¶HOOH
entraîne dans la morphologie des peuples, et assez souple pour autoriser le
ORFDOjV¶H[SULPHUHWjLQWHUSUpWHUGHQRXYHOOHVtraditions.
53
Du grec demos -peuple. Etude des « pratiques populaires ».
77
culturels qui V¶DFFRPSDJQHQWRXFRUUHVSRQGHQWDX[GLYHUVLWpVHWDX[FRQWUDVWHV
entre classes hégémoniques et classes subalternes » (Cirese, 1972 : VII).
6LODGpPRORJLHV¶RFFXSHSUpFLVpPHQWGHVIDLWVHWLQWpUDFWLRQVFXOWXUHOV
ORUVTX¶LOV VRQW représentatifs, nous rajouterons que ces faits peuvent être,
néanmoins différemment représentatifs selon les personnes qui les
SUDWLTXHQW RX ELHQ TXL OHV SURPHXYHQW GDQV OH VHQV G¶XQH LGpRORJLH
particulière. En effet, la fête du Redentore à Nuoro ou la conservation des
brebus sardeV Q¶DXURQW SDV OH PrPH VHQV SRXU GHV LQVWLWXWLRQV
JRXYHUQHPHQWDOHVHW WRXULVWLTXHV TXH SRXU O¶LQGLYLGX HQ TXrWH VSLULWXHOOH /D
démologie, en réifiant en quelque sorte le « populaire », réactualise de
manière implicite une fracture absolue entre hégémonie et subalternité. Tout
comme le concept gramscien, elle porte à reproduire deux groupes non
totalement réductibles à ces mêmes catégories. Cependant, utilisée comme
biais méthodologique dans son contexte historique, la démologie telle que
QRXV O¶HPSOR\RQV définit aussi un champ disciplinaire tout à fait légitime
RFFXSDQWXQHSODFHGHFKRL[GDQVO¶DQWKURSRORJLHLWDOLHQQH
$LQVL HW VHORQ OD GpILQLWLRQ TX¶HQ IDLW OD GpPRORJLH LWDOLHQQH OH ULWXHO
magico-religLHX[IDLWSDUWLHLQWpJUDQWHGHFHFKDPSG¶pWXGHVVFLHQWLILTXHVHW
78
F¶HVWjFHWLWUHTXHQRXVDYRQVFKRLVLFHUWDLQHVSUDWLTXHV© représentatives »
des catégories habituelles de ces études.
79
a. Cycles de la nature
54
Arnold van Gennep, 1909, Les Rites de Passage : étude systématique des rites de la porte et du
seuil, de l'hospitalité, de l'adoption, de la grossesse et de l'accouchement, de la naissance, de
l'enfance, de la puberté, de l'initiation, de l'ordination, du couronnement, des fiançailles et du
mariage, des funérailles, des saisons, etc., Paris, 288 p..
80
lourde charge de sonnailles de bovins. Les issokadores ensuite, portent des
pantalons de velours noir, une chemise blanche, une blouse rouge, et sa
berritta55 UHWHQXH SDU XQ IRXODUG FRORUp ,OV VRQW SRXUYXV G¶XQH soca, une
corde de jonc avec laquelle ils attrapent les spectateurs au lasso. Ces deux
personnages défilent le long des rues selon une « procession dansée », au
rythme très cadencé. Pour seule musique, les sonnailles « lugubres » et le
JUDQG VLOHQFH GH OD IRXOH HQ SULQFLSH /¶DWPRVSKqUH GH FH &DUQDYDO Q¶HVW
pas joyeuse. Seuls les dynamiques issokadores contrastent avec la peine
DIILFKpH GH O¶KRPPH-sauvage, le mamuthone « domestiqué ». Nous
FpOpEURQV LFL OD PpWDSKRUH GH O¶KRPPH-KLYHU WHUUDVVp O¶KRPPH GX FKDRV
naturel subalternisé, rendu « animal ª SDU O¶KRPPH GH O¶hégémonie. Ce
&DUQDYDO FpOqEUH OH UHSUpVHQWDQW GH O¶RUGUH VRFLDO WULRPSKDQW DYHF OH UHWRXU
du soleil.
/¶XQHGHVIrWHVPDJLFR-UHOLJLHXVHVPDMHXUHVGHO¶eWpUHVWHODMRXUQpHHW
la nuit de la Saint-Jean, ou San Giovanni. 7RXWHO¶vOHSUDWLTXHOHVROVWLFHG¶pWp
auquel est accolé un vernis chrétien qui ne laisse néanmoins pas grand
55
Le bérêt traditionnel des hommes sardes.
81
doute sur une vivace origine pré-chrétienne. Ce cérémonial se déroule selon
des constantes rituelles communes au monde indo-européen en général.
Elles consistent notamment à cueillir des herbes médicinales, à allumer des
feux au-dessus desquels on saute et autour desquels on danse le Ballu
Tundu56 SRXUV¶DWWULEXHU ODFKDQFH &HMRXU OH SOXV ORQJ GH O¶DQQpHFpOpEUDLW
avec force dolci57 HWYLQVXQPRPHQWOLPLQDLUHGHO¶DQQpHHQWUHGHX[SpULRGHV
DJULFROHV SpULOOHXVHV 6HORQ O¶LQWHUSUpWDWLRQ FRPPXQe, le solstice célèbre
O¶XQLRQP\WKLTXHGHOD/XQHSULQFLSHIpPLQLQHWGX6ROHLOSULQFLSHPDVFXOLQ
&¶HVWORUVGHFHWWHQXLWPDJLTXHTXHVRQWpJDOHPHQWVFHOOpVOHVFRPSpUDJHV
et commérages58 traditionnels.
56
'DQVHVDUGHFRPSRVpHG¶XQHRXSOXVLHXUVURQGHVjO¶LQWpULHXUGHVTXHOOHVVHWURXYHQWHQJpQpUDO
OHV PXVLFLHQV &HWWH GDQVH VH SUDWLTXDLW j O¶RULJLQH XQLTXHPHQW DSUqV OHV IrWHV UHOLJLHXVHV $
présent, elle fait également partie des démonstrations folkloriques principalement à destination des
touristes. NdlA.
57
6SpFLDOLWpGHJkWHDX[VDUGHVSUpSDUpVjO¶RFFDVLRQSDUOHVIHPPHVNdlA.
58
9LHLOOH DOOLDQFH RX SDFWH G¶DPLWLp DVVLPLOp j XQH H[WHQVLRQ GH VD SURSUH IDPLOOH ELRORJique et
VHORQ OHTXHO GHX[ DPLV VH MXUDQW ILGpOLWp MXVTX¶j OD PRUW GRLYHQW VDXWHUHQVHPEOH OH IHX SDU WURLV
IRLV HW ERLUH XQH FRXSH GH YLQ VFHOODQW ODGLWH SURPHVVH 6HORQ 6DOYDWRUH G¶2QRIULR
(http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-
4216_1991_num_31_118_369381# LO V¶DJLW Oj G¶XQ W\SH GH © parenté spirituelle » induisant les
PrPHVSUHVFULSWLRQVHWOHVPrPHVLQWHUGLWVTX¶HQWUHdeux consanguins.
59
En sarde « Santa Maria de is Abbas » ou encore, « Santa Mariaquas ». NdlA.
60
Village situé au Sud-2XHVWGHO¶vOHNdlA.
61
Dans le cadre de messes, de pélerinages chrétiens, mais aussi de visites aux « Pozzi sacri », ou
Puits sacrés.
82
MXVTX¶DX VDQFWXDLUH FKDPpêtre situé hors du village. Le mardi, soit après
quatre jours de fêtes, de danses et de ripailles, la statue de la Vierge
réintègre le village, sorte de guide passant du « civilisé villageois » au
« sauvage en-dehors », et inversement.
b. Cycles humains
Selon les régions, les indications suivantes peuvent subir des variantes.
$LQVL G¶DSUqV 5DLPRQGR 6DWWD LO H[LVWH EHDXFRXS G¶LQWHUGLWV HQWRXUDQW OD
femme enceinte et le nouveau-né en région de Gallura. Selon ses sources, il
serait interdit à la future-mèUHGHWXHUO¶DQLPDOVDFUp-le cochon-QLG¶DVVLVWHU
à sa préparation, au risque de voir se gâter la viande. Il lui est également
interdit de manger des têtes de poisson sans que son accouchement ne
V¶DQQRQFH PDO ,O OXL HVW pJDOHPHQW GpIHQGX GH UHJDUGHU Ges choses à
O¶DVSHFW GpIRUPp VDQV TXRL VRQ SURSUH I°WXV OH VHUDLW DXVVL ,O OXL HVW WRXW
DXVVL LPSRVVLEOH GH GHYHQLU PDUUDLQH G¶XQ HQIDQW GH SURIHVVHU XQ
TXHOFRQTXH WpPRLJQDJH RX G¶HQWUHU GDQV XQ FLPHWLqUH QL GH UHSDVVHU OH
pantalon de son mari, au péril G¶DYRUWHUVLOHOLQJHWRPEDLWjWHUUH(OOHQHSHXW
non plus porter de ceinture qui pourrait « lier ª O¶DFFRXFKHPHQW OH UHQGUH
GLIILFLOH 'qV O¶DFFRXFKHPHQW SUDWLTXp SDU OD mastra di paltu, la matrone,
cette dernière se signe et récite deux prières, donW O¶XQH IDLW UpIpUHQFH j
O¶DQJXLOOHJOLVVDQWHPpWDSKRUHDSRWURSDwTXHGHO¶HQIDQWVRUWDQWGHODPDWULFH
La matrone laisse ensuite le père cracher sur le visage du bébé de façon
propitiatoire ; Ce dernier prononce également une formule : « Benediti siani li
mè peni62 » $SUqV OH GpS{W G¶XQ FKDSHOHW VRXV OH PDWHODV XQH SpULRGH GH
quarante jours précède la réintégration de la mère par une bénédiction à
O¶pJOLVHO¶inghisgiàssi'HQRPEUHX[VLJQHVLQGLTXHQWOHIXWXUGHO¶HQIDQWGDQV
des caractères physiques. Ainsi, qui naît à Noël, un dimanche ou avec des
cheveux possède la chance et son corps ne se décomposera pas après sa
62
« Bénies soient mes fatigues ªHQUpIpUHQFHDX[pSUHXYHVPRUDOHVHWSK\VLTXHVVXELHVMXVTX¶j
la naissance par des parents inquiets du bon déroulement de la gestation et de la naissance.
NdlA.
83
mort. Naître en pleurant signifie une longue vie. De peur de transmettre
consciemment ou à son insu le « PDXYDLV °LO ª OHV YLVLWHXUV GH O¶enfant
devront prononcer : « Deu lu binidichia, Deu lu mantenghia63 ». Des punghi64
ou des breves65 sont des talismans protégeant le nouveau-Qp G¶HVSULWV
PDOLQVGHSRLVRQVGXPDXYDLV°LORXGHPRUWYLROHQWH&HVREMHWVVRQWGHV
morceaux de tissu portés sur soi, autour du cou ou bien cousus aux
vêtements contenant une relique, un morceau de corail, ou un texte de
prière.
63
« Que Dieu le bénisse. Que Dieu le conserve en santé », traduiWGHO¶LWDOLHQG¶DSUqV6DWWDS
par nos soins.
64
Aussi appelés pungasSDUDLOOHXUVDLQVLTXHOHQRWH3LQQDGDQVOHUpFLWKLVWRULTXHTX¶LOIDLWGHOD
sorcellerie de Julia au XVè s..
65
Sorte de scapulaire magique préparé par un désenvoûteur contenant des parcelles de feuilles
DUUDFKpHVjG¶DQFLHQVOLYUHVOLWXUJLTXHVD\DQWWUDLWjFHUWDLQVVDLQWVFRPPH$QWRLQHGH3DGRXH
66
Chant funèbre entonné par la communuté villageoise.
67
Dériverait de sa titta OD PDPHOOH /¶attitadora, par son chant funèbre, « donne le sein » au
nouveau-mort, et offre un parallélisme analogique avec la naissance. Voir Satta, p.139.
84
termes de la tradition votive chrétienne68 (où les Saints semblent avoir
définitivement enterré les Ancêtres), Satta, lui, évoque la persistance
historiTXH WDUGLYH G¶XQ ULWXHO G¶incubation funéraire pré-chrétien connu
autrefois de la Méditerranée entière et des Nuragiens eux-mêmes, stipulant
TX¶XQ PHPEUH GH OD IDPLOOH SRXYDLW VH UHQGUH DXSUqV GH OD WRPEH G¶XQ
parent, y dormir cinq jours sans discontinuer69 DILQGHVHIDLUHSUpGLUHO¶DYHQLU
GHVHGpEDUUDVVHUG¶XQHKDQWLVHGHJXpULUG¶XQPDOTXHOFRQTXHjWUDYHUVOH
biais du rêve70. Ces tombes sont le plus souvent des monuments remontant à
O¶pSRTXH PpJDOLWKLTXH GX W\SH Tombes de Géants ou Domus de Janas).
Entourées la plupart du temps de simples ressauts de pierre ou de
cabanons-cumbessías, le parent en quête de sa réponse existentielle venait
y dormir en compagnie de son clan ou bien seul, le corps de bâtisses en
pierres sèches formant un village provisoire cultuel très excentré. Selon
Satta, il existerait bien un lien direct entre ce phénomène attardé de
O¶incubation antique71 et les pélerinages champêtres de neuf jours tels que
décrits par Gallini dans les années 1960.
/HWHUPHGHSUpVHQFHHQFULVHHVWWLUpGHO¶DQDO\VHGH'H0DUWLQRSRXU
qui les données de la réalité ne correspondent pas à une structure immuable.
Pour assurer la bonne continuation de la vie terrestre, il faut accéder aux lois
du cosmos par le rituel magico-religieux. Par ce biais, le mage, le chamane,
OHWKpUDSHXWHGHYLHQWSHUVRQQDJHSV\FKRSRPSHFDSDEOHG¶DJLUVXUFKDFXQH
GHV GLPHQVLRQV HQWUH PRUW HW YLH DILQ GH UpWDEOLU O¶pTXLOLEUH VRFLDOFROOHFWLI HW
individuel. Cependant, si De Martino ne distingue pas cette « crise » en
68
1RXVIDLVRQVUpIpUHQFHjO¶RXYUDJHIl Consumo del Sacro. Feste lunghe du Sardegna, dont nous
DXURQVO¶RFFDVLRQGHUHSDUOHUSOXVORLQGDQVOHFRQWH[WHGHs transformations de la fête religieuse.
69
Probablement au moyen de psychotropes, comme le précise Massimo Pittau, dans Sardegna
nuragica (Ed. della Torre, 2013).
70
Voir la description de cette pratique en Sardaigne au IIIè s. ap. J.-C. par Solin, Collectanea
Rerum Mirabilium.
71
Si un tel culte des morts est effectivement encore pratiqué -HW ULHQ Q¶HVW PRLQV VU- LO O¶HVW
certainement de façon très résiduelle.
85
WHUPHVG¶LQGLYLGXDOLWpRXGHFROOHFWLYLWpOD© crise » de la présence au monde
SHXWFRQFHUQHUOHVGHX[QRXVSUHQRQVO¶LQLWLDWLYHGHOHIDLUHDILQGHUHQGUHOD
démarcation plus compréhensible entre deux types de rituels, lesquels
demeurent toutefois fortement intriqués sur le plan des pratiques.
Le mot brebus72 signifie « 9HUEH ª HQ VDUGH 6L GDQV G¶DQFLHQV WH[WHV
remontant à la période des Judicats, torrare berbos signifiait simplement
« répondre », le sens magique traditionnel de brebus désigne une parole
GDQV VRQ DFFHSWLRQ OD SOXV IRUWH F¶HVW-à-dire un acte induisant son résultat
GDQV OH IDLW PrPH GH O¶pQRQFHU /H brebus est une action performative
censée guérir de maladies naturelles ou de malpILFHV-XVTX¶jSUpVHQWSDUOH
brebus, sont entendues des formules magiques rimées et des prières
syncrétiques scandées à voix basse selon une rythmique particulière, dont le
VHQV UHVWH VRXYHQW REVFXU j O¶DXGLWHXU H[WpULHXU TXL Q¶DXUDLW SDV G
O¶HQWHQGUH). Une légende insiste sur le fait que le brebus doive être transmis
depuis une personne âgée à une personne jeune, et en aucun cas divulgué,
sans quoi la force magique quitterait la formule. Souvent, une rémunération
HQQDWXUHHVWSUpIpUpHjO¶DUJHQW
74
« Les Douze paroles », ou encore « Dòichi paràgula », « Paràuli folti » ou « Paràulas mannas ».
75
« 'LHXOH3qUH'LHXOH)LOV'LHXO¶(VSULW6DLQW ». Traduit du sarde par nos soins.
76
« Le soleil a des vertus plus puissantes que la lune ». Traduit du sarde par nos soins.
77
©¯LO ». Traduit du sarde par nos soins.
78
Une femme possédant et récitant à voix basse des brebus.
87
dans la droite ligne de théories plus anciennes, parmi lesquelles le pneuma
des stoïciens semble à la fois donner corps et continuité historique. Ce
substrat, moitié matériel et moitié spirituel sert en effet de base pour
FRPSUHQGUH FH TX¶HVW OH PDXYDLV °LO pour une société sarde héritière de la
Grèce antique.
Selon Aristote en effet, toute pensée alliée à ce véhicule aérien ou igné
possédait alors une direction et un but. En outre, dans son article dédié au
malocchio, Max Caisson cite un certain Gaïus dont le langage semble
traduire un modèle de pensée similaire : « Les émissions des êtres méchants
ne sont pas essentiellement exemptes de sentiments ni d'intentions et [...]
elles sont au contraire chargées de toute la malignité et de toute l'envie de
celui dont elles émanent ; c'est avec cela qu'elles s'impriment, demeurent et
s'installent dans la victime, dont elles troublent et corrompent ainsi le corps
en même temps que l'esprit » (Caisson, 1998 : 5, cité de Plutarque Symp.:
625 C-($WUDYHUVFHWWHLGpHGHUpIOH[LRQHWG¶HIIHWVXUOHsimilaire par le
UHJDUGF¶HVWO¶LPDJHGXPLURLUTXLYLHQWDXVVLW{WjO¶HVSULW :
88
La Sardaigne paysanne aura donc développé une « médecine
sauvage », dite de bonu e po malu ou « médecine », du murrungiu ou encore
dei brebus, XWLOLVDQW OD WHFKQLTXH SXULILFDWULFH GH O¶HDX &HV GHUQLqUHV
formules magiques et prières à la fois, sont les paroles performatives
également utilisées dans le traitement de V¶RJX En voici un exemple
SURYHQDQWG¶2OLHQD&HOXL-ci est réputé tenir cependant une double efficacité,
à la fois contre V¶XPEUDPDOD79 des esprits-Panas et contre le PDXYDLV°LO :
79
« /¶RPEUHPDXYDLVH » des Panas, voir plus haut. NdlA.
89
PDQLqUH LQQpH PDLV GDQV WRXV OHV FDV VHXOH OD PRWLYDWLRQ G¶DLGHU GRLW OD
SRXVVHU j JXpULU OHV SHUVRQQHV TXL OH GHPDQGHQW HW QRQ O¶DUJHQW /D
« PpGHFLQHGHO¶°LO » est toujours pratiquée de nos jours80.
'HSXLVODILQGHOD'HX[LqPH*XHUUHPRQGLDOHHWOHVWDWXWG¶DXWRQRPLH
ODLVVpHSDUO¶,WDOLHjOD6DUGDLJQHHQOHFRQWH[WHDJUR-pastoral envisagé
comme substrat de la subculture magico-religieuse est bouleversé par
O¶RXYHUWXUH EUXWDle des cadres nationaux à une économie de marché
PDVVLILpH 'H QRXYHDX[ SDUDGLJPHV G¶pFKDQJHV DX QLYHDX PRQGLDO
V¶LPSRVHQW FRQMRLQWHPHQW j O¶DEDQGRQ SURJUHVVLI GH OD FXOWXUH SD\VDQQH TXL
VH IDLW DX SURILW GH O¶KDELWDW XUEDLQ 'HSXLV XQH WUHQWDLQH G¶DQQpHV le
processus de changement économique, politique et social amorcé a pu
contribuer à cristalliser, à normaliser et à codifier, dans un réflexe de
sauvegarde identitaire les rituels antérieurs liés à une économie agraire
désormais soumise à des impératifs de progrès, de productivité et de
concurrence.
Les fêtes qui scandaient jadis les moments de l'année agricole
réaffirmaient en même temps une appartenance communautaire fondée sur
un système familial de type patriarcal. De cette « reconnaissance » officielle
GHO¶REMHWGXULWHGHODIrWHHVWQpHOD© tradition » telle que peut la fixer une
société « GH O¶pFULW » contre les pratiques mouvantes des communautés
DQFLHQQHPHQWEDVpHVVXUGHVFRGHVWDFLWHVRUDX[WHOTXHOHFRGHG¶KRQQHXU
des bandits de Barbarie selon lequel : « Toute personne vivant et opérant
dans le milieu de la communauté peut subir les effets de la vendetta pour tout
acte jugé offensant81 ».
80
/¶DXWHXUUHFRQQDvWVDSURSUHH[SpULHQFHFRQWHPSRUDLQHGDQVOHVSURSRVSUpFpGHQWVWHQXVVXUOD
transmission, et globalement sur le contenu des techniques de cette thérapie, avec quelques
variations cependant dans les pratiques reconnues.
81
Voir : http://web.tiscali.it/Banditismo/Codice%20barbaricino.htm.
90
a. Années 1960-&RPPHQWO¶LQVWLWXWLRQhégémonique V¶HVWHPSDUpH
des rites subalternes
/¶DQQpH VLJQH OH GpEXW SOXV RX PRLQV DLVp G¶XQH ORQJXH
« routinisation » institutionnelle des revendications populaires
G¶LQGpSHQGDQFH PDUJLQDOLVDQW DPHQXLVDQW YRLUH © neutralisant » totalement
ODSRUWpHGXGLVFRXUVVpSDUDWLVWHGHO¶HQWUH-deux-guerres, alors portée par les
DXWRQRPLVWHV/HVFRXWXPHVHWXVDJHVSD\VDQVG¶arriérés furent peu à peu
changés en valorisante « identité patrimoniale », « objets de conservation
muséale », ce qui explique peut-être -jODVXLWHGHO¶DQDO\VHGH*DOOLQLjODILQ
des années 1960- TX¶XQ SDUDGR[H - O¶HIIRQGUHPHQW GH O¶pFRQRPLH YLYULqUH
agro-pastorale au profit de la massification des échanges-, ait donné
naissance à un revival institutionnalisé des fêtes patrimoniales de village :
« En Sardaigne, la vieille économie agro-pastorale tombe en ruine, et avec
elle, tout le grand système calendaire du cycle festif qui scandait tout au long
GH O¶DQQpH OH UDSSRUW RUJDQLTXH HQWUH PRPHQW SURGXFWLI HW PRPHQW GH
FRQVRPPDWLRQ FRPPXQDXWDLUH >@ $ O¶LQYHUVH : dans ces dernières années
O¶LQVWLWXWLRQ D IDLW O¶REMHW GH QRPEUHXVHV WHQWDWLYHV GH UHODQFH GRQW GHV
reconstructions de chapelles champêtres en ruine. La fête entre
WULRPSKDOHPHQW GDQV O¶pFRQRPLH GHV ELHQV GH FRQVRPPDWLRQ » (Gallini,
2003 : 44). La fête magico-religieuse subit un glissHPHQWGHVHQVORUVTX¶HOOH
devient une « institution » extraite du contexte initial dans lequel elle
V¶H[SULPDLWHQSHUGDQWVRQFDUDFWqUH© populaire » dont le déroulement était
autrefois régi par les codes villageois, elle entre petit à petit dans la cour des
« biens et des services officiels », des « distractions ªUpJLVSDUO¶pFRQRPLHj
une échelle plus vaste que le village. Elle est à présent étroitement liée aux
DFWLYLWpVGHOD5pJLRQRXGHO¶eWDWjO¶DSSRUWGHGHYLVHVpWUDQJqUHV
91
consommation de la fête récréative. A cette demande touristique
déchristianisée toujours plus importante, répond une offre de service locale
alimentée par des apports financiers provenant en partie de pélerins
donateurs et dans une mesure toujours plus grande, de banques, de fonds
UpJLRQDX[GHVXEYHQWLRQVQDWLRQDOHV/DQpFHVVLWpG¶REWHQLUWRXMRXUVSOXVGH
financements et toujours plus de subsides conduit également les
organisateurs locaux de fêtes patrimonialisées telles que la procession du
Redentore82 à Nuoro ou le carnaval des Mamuthones83 de Mamoiada à
reconsidérer leur propre image identitaire directement en rapport aux clichés
G¶archaïsme, de pureté culturelle, de paradis perdu que véhicule la Sardaigne
des tour operators :
« >@ ,O V¶DJLW LFL G¶XQ H[HPSOH FODVVLTXH GH OD UpLILFDWLRQ IRONORULTXH GHV
traditions populaires sardes, selon toutefois, les critères normatifs adoptés suite
j O¶XQLILFDWLRQ LWDOLHQQH HW j O¶LQVHUWLRQ IRUFpH GH OD 6DUGDLJQH GDQV VRQ
environnement politique et culturel. Au tournant des XIX et XXè s. (entre crise
agricole et bancaire, bantitisme, expéditions militaires et guerres mondiales),
une voie définitive (du moins juVTX¶j QRV MRXUV V¶HVW DIILUPpH : le mythe des
6DUGHV FRPPH ,WDOLHQV VSpFLDX[ UpVLGXV HWKQLTXHV G¶pSRTXHV UHFXOpHV HW
sauvages, ramenés dans le giron de la civilisation par un accueil au sein de la
haute culture italienne. Les distances, les différences (linguistiques,
toponymiques, anthropologiques, musicales, économiques, etc.) devaient être
UHFRQGXLWHV G¶XQH IDoRQ RX G¶XQH DXWUH GDQV OHV WHUPHV GHV SDUDGLJPHV
dominants. Cependant, ne pouvant réduire à si peu de critères tous les
éléments structurels de la sardité de cette époque, il fut bien accepté de les
folkloriser, de les dialectiser, les insérant comme éléments exotiques,
³SDUWLFXOLHUV³ VRXV OH SURWHFWRUDW GH O¶LWDOLDQLWp /D IrWH GX 5pGHPSWHXU HQWUH
parfaitement dans un tel schéma. On y trouve la même chosification de
costumes soi-GLVDQW WUDGLWLRQQHOV PDLV TXL QH VRQW ULHQ G¶DXWUH TXH OD
FULVWDOOLVDWLRQ DUWLILFLHOOH G¶XQ PRPHQW 7 FKRLVL SDUPL G¶DXWUHV YDULDQWHV
82
Fête du Christ Rédempteur avec parade costumée et procession religieuse qui se tient à Nuoro
tous les 29 août.
83
Carnaval de Mamoiada qui a lieu chaque année en février à la Saint Antoine, mettant en scène
des hommes déguisés en bétail portant de lourdes sonnailles.
92
vestimentaires sardes. Et le costume fut alors changé en canon classique, une
référence ORUVTX¶RQSDUOHGHWUDGLWLRQVDUGH(WG¶LGHQWLWp84 ».
(WTXHGLUHGHVLQVWLWXWLRQVORUVTX¶HOOHVILQLVVHQWSDUFUpHUHOOHV-mêmes
des « traditions populaires » ? Les rôles sont à présent symétriquement
inverses : le Conseil Régional institue Sa Die de sa Sardigna85 au 14
septembre 1993 et la décrit comme "Giornata del popolo sardo86", alors que
les membres de la société civile participent en acceptant une collaboration
avec cette institution sous forme de Comité pour la Renaissance de Sa Die
de sa Sardigna. Ce jour rend hommage au soulèvement populaire87 du 28
DYULOFRQWUHODW\UDQQLHGHV3LpPRQWDLVHWSRXUODUHFRQQDLVVDQFHG¶XQH
SUpIpUHQFH LQVXODLUH j O¶HPSORL GRXEOpH G¶XQH DXWRQRPLH GpFLVLRQQHOOH SOXV
large.
Si nous osions un parallèle hardi entre hier eW DXMRXUG¶KXL YRLOj SHXW-
être une manière hégémonique supplémentaire de déposséder la frange
subalterne de la population de son contre-pouvoir culturel... en « O¶DQQH[DQW »
pour neutraliser tout débordement politique. Cet encadrement légal de
O¶LGHQWLWp Kistorique sarde englobe également les manifestations du sacré
IrWHVSDWURQDOHVSpOHULQDJHVFRPPHQRXVO¶DYRQVYXSOXVKDXWSXLVTXHOD
majeure partie des fêtes sardes institutionnalisées ont une haute teneur
religieuse, suivent le calendrier paysan ancien et se rattachent
paradoxalement toujours aux us populaires du religieux. Mais cette
institutionnalisation du « VDFUp LGHQWLWDLUH ª QH VH IHUDLW SDV VDQV O¶DFFRUG
médian des « notables associatifs ª G¶DXMRXUG¶KXL LVVXV GH OD VRFLpWp FLYLOH
grâce à la raPSHG¶DFFqVFXOWXUHOOHTXHOHVFODVVHVVXSpULHXUHVLQVXODLUHVRQW
jetée entre le colon et la subalternité : « Le Comité de Sa Die de Sa
84
Extrait du blog Sardegnamondo - Storia, cultura e politica tra Sardegna e resto del mondo - ,
consulté le 14 février 2014 : http://sardegnamondo.blog.tiscali.it/2010/08/30/folklore/. Traduit de
O¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
85
« Le Jour de la Sardaigne ».
86
« Journée du Peuple sarde ».
87
Appelé aussi I Vespri Sardi, ou « Les Vêpres sardes ». Rappelle un événement historique plus
connu, les « Vêpres siciliennes », pendant lesquelles les Siciliens se révoltèrent contre le joug
IpRGDOGH&KDUOHVG¶$QMRXHQNdlA.
93
Sardigna. Au siège cagliaritain de la Fondation Sardaigne sis 5, place du
Saint Sépulcre se sont réunis les premiers membres du nouveau Comité,
hommes de culture des associations et des institutions de Cagliari. Ils
entendent collaborer avec la Région (Président, Assesseurs, Conseillers
régionaux) dans le but de faire reconnaître le Peuple sarde comme acteur de
son histoire HW SRXU PLHX[ IDLUH TXH OH SDVVp GDQV O¶KLVWRLUH SUpVHQWH HW
future88 ».
Pour ces associations intermédiaires, point de salut hors du blanc-seing
GH O¶LQVWLWXWLRQ LWDOLHQQH &HWWH GpPDUFKH DFFUpGLWH ELHQ OD WKqVH EDUWKLHQQH
selon laquelle une identité dépHQG DYDQW WRXW G¶XQH UHFRQQDLVVDQFH
H[WpULHXUHSRXUV¶H[SULPHUHQWDQWTXHWHOOH
$LQVL O¶pFRQRPLH HW OH VHQV V\PEROLTXH RUJDQLTXH GHV IrWHV PDJLFR-
religieuses changent avec les mutations sociales et les nouveaux impératifs
économiques de reconstruction GDQV O¶DSUqV-guerre. Absorbés, tout comme
F¶HVW OH FDV SRXU Q¶LPSRUWH TXHOOH DXWUH UpJLRQ GX PRQGH GDQV OH PRGqOH
GRPLQDQWGHO¶pFRQRPLHGHPDVVHOHVHQVGHVULWXHOVVDUGHVDGRSWHOHSURILO
folklorique G¶XQH © caricature culturelle » construite sur les ruines de la
paysannerie féodale.
Afin de survivre à la disoccupazione89 et au relâchement des anciennes
VROLGDULWpVFRPPXQDXWDLUHVOD6DUGDLJQHULWXHOOHV¶HVWWURXYpG¶DXWUHVP\WKHV
GHUULqUHOHULWHO¶DUJHQW© facile » derrière un tourisme attractif).
88
Source : http://www.fondazionesardinia.eu/ita/.
89
« Chômage ªWUDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
94
b. Années 1960-1970 : les débuts du « loisir sacré »
- La Novena -
90
La Consommation du Sacré. Fêtes longues de Sardaigne. NdlA.
91
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
95
0DGRQQDGHOO¶$QQXQ]LDWD%LWWLFHOOHGH6DLQW&{PHHW'DPLHQ0DPRLDGD
mais aussi celle du village de Gonara.
92
« Quête ª7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
96
de la fête, la consommation opulente des biens était majoritairement tournée
vers des significations sociales : ce n'était jamais un acte à accomplir de
manière privée, parce qu'alors, on aurait pu croire à une faute commise en
secret. La fête était l'occasion de profiter de l'événement ensemble, en
groupe. Dans la fête et dans le groupe, se réalisait de façon exemplaire une
loi de mutualité complexe, qui liait par une chaîne potentiellement infinie, les
uns aux autres autour de prestations et contre-prestations, la famille et la
famille en rapport au groupe, et plus largement encore, communauté et
communauté, groupe humain et nature, cette dernière entendue comme
première donneuse93 » (Ibid. : 43).
93
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
94
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
97
HW SDUHQWLTXH VXU OH PrPH pFKHYHDX FRPPXQDXWDLUH /¶DSSDULWLRQ VRXGDLQH
des logiques de production-consommation dH PDVVH HW O¶LPPL[WLRQ GH
O¶LQVWLWXWLRQ GDQV OD IrWH UHOLJLHXVH EURXLOOH DORUV GHV FRGHV ORFDX[ GpMj
fragilisés. Ce qui était jusque là dépensé dans la fête de façon ostentatoire
SDU OH JURXSH pWDLW OH UpVXOWDW G¶XQH DFFXPXODWLRQ DQQXHOOH LQGLYLGXHOOH GH
rpFROWHV HWGHVDODLUHV /DIrWH G¶DSUqV *DOOLQLVHUYDLW GH UHPLVH j SODW GHV
« comptes » de la communauté, dans la mesure où une fête « profane »
DFFROpH j OD IrWH UHOLJLHXVH SHUPHWWDLW GH ERLUH PDQJHU HW G¶DFKHWHU GH
O¶DUWLVDQDW ORFDO /HV ELHQV DPDVVés et dépensés étaient alors envisagés
FRPPH XQ EpQpILFH FRPPXQDXWDLUH RSSRVp j XQH LGpH G¶HQULFKLVVHPHQW
individuel. Le « trop-plein » de biens était donc redistribué sous forme de
YHQWH G¶DFKDW GH VHUYLFHV RX G¶RIIUHV HQ QDWXUH GDQV OH FLUFXLW G¶pFRQRPie
LQWHUQH DILQ TXH O¶pJDOLWp GH O¶HQVHPEOH QH VRLW SDV OpVpH SDU OH SURILW GH
quelques individus : « De mai à septembre, la vieille économie agropastorale
DYDLW XQ SHX SOXV G¶DUJHQW j GpSHQVHU HW HOOH OH GLODSLGDLW GDQV OD IrWH TXL
remettait les compteuUV j ]pUR &¶HVW OH FDV HQFRUH PDLQWHQDQW TXRLTXH OH
premier moteur économique réside à présent ailleurs, les vieux rythmes
saisonniers étant tout de même respectés95 » (Ibid. : 55). Autrement dit, toute
XQHFLUFXODWLRQG\QDPLTXHGHVELHQVV¶DXWRUpJXODLWGans le cadre spécial de
ODIrWHUHOLJLHXVHDXVHLQG¶XQWHPSVVDFUpQRQRUGLQDLUH
95
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV.
96
Si tant est que ce terme hyper-usité de nos jours recouvre vraiment une réalité historique et
scientifique.
98
« patrimoine sarde archaïque », une certaine « figure du Sauvage » à
sauvegarder, des us traditionnels à « marchandiser » ; tout ceci en dehors du
sens premier que ces formes désormais à peu près vides prenaient jadis
dans leur contexte : « Même S. Francesco de Lula reçoit des subventions
G¶HQWUHSULVHVSXEOLTXHV : le Préfet et la Région ont déboursé en tout, rien de
PRLQVTX¶XQPLOOLRQ>GHOLUHV, Ndla] entre 1965 et 1966. Le bilan de cette fête
est sans conteste le plus conséquent de toutes les novene de cette zone [...].
Désormais, les offres sont de deux types, modernes et traditionnelles, et les
premières tendent à liquider les secondes97 » (Ibid. : 166).
Gallini insiste ici sur le rôle social du religieux, tout en évacuant un peu
rapidement pour nous le signifié du religieux pris pour lui-même. La
V\PEROLTXHGHO¶DFWHULWXHOQ¶HVWSDVYUDLPHQWDQDO\VpHHQGHKRUVGXSULVPH
G¶XQHLQpJDOLWppFRQRPLTXHUpLILpHHWLQGpSDVVDEOH/¶DQWKURSRORJXHLWDOLHQQH
axe son analyse sur un rapport de conflit de pouvoir bilatéral qui opposerait
une société sarde passive à un ennemi extérieur actif, tout en délaissant les
WUDQVIRUPDWLRQV LQWpULHXUHV FRQWLQXHV G¶XQH VRFLpWp G\QDPLTXH FDSDEOH GH
produire elle-même ses changements historiques. En renversant la
perspective, ce sont ces facultés internes qui, de par leur plasticité et leur
adaptabilité ont aussi bien pu permettre aux bouleversements extérieurs
G¶DJLU DXVVL SURIRQGpPHQW GDQV OD VRFLpWp subalterne. Comme le soulignait
Lanternari dans sa description des « religions opprimées », que le contexte
VRFLDO VRLW FRORQLDO RX TXH OH FKDQJHPHQW VRLW ILQDOHPHQW O¶DERXWLVVHPHQW
G¶XQH FULVH LQWHUQH GH OD VRFLpWp LQGLJqQH GH QRXYHOOHV IRUPHV OLEpUDWRLUHV
émergent dans tous les cas sous une forme religieuse : « Tout changement
EUXVTXH WRXW FRQIOLW LQWHUQH RX H[WHUQH TXHO TX¶LO VRLW SURGXLW XQH FULVH : à
chaque crise la société répond en élaborant peu à peu de nouvelles formes
HW GH QRXYHDX[ PR\HQV G¶pTXLOLEUH GDQV OH FDGUH GH Va propre culture [...].
Ce sont les formes de la vie religieuse » (Lanternari, 162 : 109). Or, ces
97
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
99
formes religieuses, si elles changent de forme, ne changent pas forcément
de nature. Le sacré populaire UpFXSpUp SDU O¶LQVWLWXWLRQ RIILFLHOOH GX
gouvernemenW GX PXVpH HW GH OD EDQTXH V¶HVW SHXW-être tout bonnement
GpSODFp LO DXUD VXUYpFX DX GpPHPEUHPHQW GH O¶pFRQRPLH SDVWRUDOH TXL OXL
donnait sa précédente forme et se sera adapté à un nouveau contexte.
Le spectacle « religieux »
100
la touristisation de la Novena [...]. Désormais, la fête dérive vers une
YLOOpJLDWXUH j FDUDFWqUH GpYRWLRQQHO '¶DLOOHXUV QRXV DYRQV GpMj OH FDV GX
petit village-sanctuaire de Saint Léonard, lequel a totalement perdu son
caractère sacré pour se transformer en un plaisant village de loisirs
UpVLGHQWLHO IUpTXHQWp SHQGDQW OHV PRLV G¶pWp SDU GHV IDPLOOHV GH OD SHWLWH
bourgeoisie98 » (Gallini : 2003, 46). Les Sardes rassemblés peu à peu dans
OHV JUDQGHV YLOOHV VRXV OD SUHVVLRQ GX FK{PDJH HW O¶Dttrait des emplois
tertiaires vont maintenant à la fête comme ils vont au cinéma... à présent
FDQWRQQpV GDQV OD SRVLWLRQ UHODWLYHPHQW SDVVLYH G¶XQ VSHFWDWHXU-
consommateur99 :
/¶DXWHXUDYUDLVHPEODEOHPHQWFKRLVLFHVGHX[IHVWLYDOVFDULOVFRwQFLGHQW
avec un moment liminaire dans le cycle agro-pastoral annuel, dont ils
UHSUpVHQWHQWHQTXHOTXHVRUWHO¶H[WHQVLRQULWXHOOHHWV\PEROLTXHODILQGHOD
FURLVVDQFHGHVFXOWXUHVHVWPDUTXpHSDUODIrWHGHO¶$VVRPSWLRQOHDRWj
0RQWHUXMXWDQGLVTXHO¶DQQpHULWXHOOHHWSDVWRUDOHLQLWLHXQQRXYHDXF\FOHGqV
le 1er septembre suivant, lequel moment correspond à la célébration de Santa
Maria di Runaghes le 8 septembre.
106
« Runaghes » serait une variante du mot « Nuraghes ª 'DQV O¶LGpH G¶XQ © recyclage
syncrétique » des sites sacrés entre paganisme HW FKULVWLDQLVPH LO HVW G¶DLOOHXUV H[WUrPHPHQW
fréquent de trouver le sanctuaire champêtre chrétien accolé à un, voire plusieurs nuraghes. NdlA.
103
séquences se prolongeant sur trois jours. Cette célébration présente une
« Vierge morte » vraisemblablement associée à la « mort du grain » en août :
« The symbolic representation of the Assunta as a sleeping or dead
Madonna, her dress adorned with ripe wheat, points clearly to the chtonic
associations [...] » (Ibid. /¶DXWHXUQHFODVVHSDVFHWWHFpOpEUDWLRQGDQV
la « catégorie sérieuse », car celle-FL UHOqYH G¶XQ HVSULW © progressiste »
V¶RXYUDQWDXORLVLULQGLYLGXHOELHQSOXVTXHG¶XQHYpULWDEOHGpYRWLRQUHOLJLHXVH
coPPH F¶HVW OH FDV j 6DQWD 0DULD GL 5XQDJKHV OH VHSWHPEUH &HWWH
dernière, justement, fait partie des « fêtes longues », de la sorte des
pélerinages décrits par Gallini précédemment. Ici, la célébration chrétienne
est associée à la fertilité et au culte de O¶HDXSDUDLOOHXUVWUqVSUpJQDQWSDUWRXW
en Sardaigne : « The symbolic associations of Santa Maria di Runaghes with
rain and fertility [...] and the location of her shrine next to a prehistoric ruin
would lead us to believe it likely that her cult developped in medieval times on
the site of the earlier shrine of a pre-christian deity » (Ibid. : 87). Cette
0DGRQH HVW UpSXWpH SRXU IDLUH SOHXYRLU ORUV GHV VpFKHUHVVHV HW G¶DUUrWHU OD
pluie lorsque celle-ci menace hommes, bêtes et champs.
/DJOREDOLVDWLRQUpDFWLYHG¶DQFLHQVFOLYDJHVSROLWLTXHV
104
Chez cet auteur également, le changement de paradigmes sociaux
entraîne un bouleversement de sens profond de la fête rituelle ancienne :
« Major changes in social or economic structure can be expected to directly
affect folkloric expression as manifested in festivals, not only in terms of the
IHVWLYDO¶VRUJDQL]DWLRQDQGILQDQFLQJEXWLQLWVV\PEROLFFRPSRQHQWVDVZHOO
%HFDXVHIHVWLYDOVV\PEROLFDOO\GLVSOD\DQGHQDFWDVRFLHW\¶VYDOXHVWKH\PD\
serve as an accurate barometer of the way in which a community perceives
itself and the way it wishes to present itself to outsiders » (Ibid. : 5).
105
6XUOHPrPHPRGqOHGHFRUUHVSRQGDQFHVO¶pWDWGHO¶pFRQRPLHHWO¶pWDW
du religieux seraient révélés à travers ces changements dans la fête,
véritables « baromètres » du fait social présent :
« The economic and social changes of the past thirty years have been
paralleled by significant changes in the observance of traditionnal year-cycle
customs. Since most year-cycle rites were at one time linked with the
agricultural year, and agriculture has declined dramatically in Sardinia, is it not
surprising that many year-cycle rites have declined or disappeared altogether
[...]. the touristicization of the Assumption and the revival of Santa Maria di
Runaghes must be understood within the context of these changes [...]. A
number of other customary observances have been modified through contact
with the mass media and their portrayal of the ideals of the dominant culture »
(Ibid. : 43).
'DQVFHWWHLGpHG¶DIILUPDWLRQGHVU{OHVVRFLDX[SDUOHUHOLJLHX[O¶DXWHXU
QRWHpJDOHPHQWTXHF¶HVWO¶LGHQWLWpWRXWHHQWLqUHGHVYLOODJHVTXLV¶\Gonne à
OLUHV¶RSSRVHDX[DXWUHVLGHQWLWpVHWV¶DIILUPHQRWDPPHQWJUkFHjO¶H[LVWHQFH
de ces « autres » : « Santa Maria di Runaghes plays a pivotal role in the
PDQWHQDQFH RI 0RQWHUXMX¶V VHQVH RI LGHQWLW\ DQG GLVWLQFWLYHQHVV YLV-à-vis
nearby communities » (Ibid. : 85). En page 96, le chercheur cite Clara Gallini
jO¶DSSXLGHFHWWHLGpHODTXHOOHLQVLVWHGDQVXQpFULWGHVXUO¶LPSRUWDQFH
GHODPHVVHGLWHHQVDUGHjO¶RFFDVLRQGHODIrWHGH6DQWD0DULD0DJOLRFFR\
voit un exemple supplémentaire apporté au crédit de la thèse gramscienne :
« This is another example of the growing desire for Sardinian regional identity
-as opposed to identification with the dominant Italian culture- which is
sweeping the island » (Ibid. : 96-97). Cependant, dans une volonté de
réaffirmer la validité du fameux « dualisme sarde ªO¶DXWHXULQGLTXHWRXWHIRLV
que les tenants actuels de cet oppositionnalisme subalterne sont à présent
les classes bourgeoises éclairées des centres urbains, ce que sont
également les nationalistes séparatistes. La subalternité contemporaine en
Sardaigne serait-elle donc devenue la posture militante exclusive des classes
aisées nouvellement dominantes ? En outre, ces fêtes rendraient aussi
visible le rôle émergent du touriste étranger comme spectateur, alors que
baisse de manière concomitante la participation active de la population
villageoise : « The lack of active participation and the clear role of the tourists
as spectators mark the transformation of the year-cycle custom into a
consumer product ; the custom is reduced to a show or spectacle, losing
some of its former affective charge » (Ibid. ,FL O¶DXWHXU RFFXOWH XQH
QRXYHOOH IRLV O¶DVSHFW UHOLJLHX[ SRXU HQ IDLUH UHVVRUWLU FH TXL VHUDLW VRQ
corollaire émotionnel, la « charge affective » censée traduire en une si
pauvre expression toute la densité spirituelle de la religiosité dévotionnelle
107
SD\VDQQHHQJDJpHGDQVOHVULWXHOVG¶DXWUHIRLV
----------------------
109
TROISIÈME PARTIE. Les spiritualités sardes émergentes, un fait social
global
/¶DVSHFW UpFUpDWLI GHV IrWHV DVVRFLp j O¶qUH GHV ORLVLUV VXUSasse donc
bien souvent une attirance devenue marginale pour la composante
véritablement « sacrée » de ces rites. Les nouveaux pélerins en expulsent le
contenu religieux pour verser dans la distraction « profane », exotique ou
esthétisante que procurent ces rassemblements : « /¶RUJDQLVDWLRQ GHV
événements festifs répond (ou répond aussi) à des finalités plus ou moins
marquées de spectacle et de demande touristique : il en est ainsi pour les
grandes fêtes de Saint Efisio de Cagliari, des Chandeliers de Sassari, du
5pGHPSWHXU GH 1XRUR GH OD 6DUWLJOLD G¶2ULVWDQR GH 6DLQW &RQVWDQWLQ GH
6HGLORHWG¶DXWUHVHQFRUH108 » (Pinna, 2012 : 247). La théâtralisation inhérente
au rite devient le rite lui-PrPH PDLQWHQDQW PLV DX VHUYLFH G¶XQ VSHFWDFOH
social montrant des reprpVHQWDWLRQV GH O¶LGHQWLWp VDUGH FRQIRUPHV j FH TXH
O¶LGpHGRPLQDQWHHWOHPRWHXUpFRQRPLTXHV¶HQVRQWIDLW-DPDLVDXWDQWTX¶HQ
ce tournant du XXè au XXIè s., on aura autant parlé de « culture » en
Sardaigne. Serait-ce là un signe des temps qui conforterait la vision
debordienne, selon laquelle « La culture devenue intégralement marchandise
doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire »
(Debord, 1992 : 187 § 193) ?
I. « Communautés » de spectacle
108
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQs.
110
HQWUH O¶vOH HW VRQ SD\V GH WXWHOOH DXMRXUG¶KXL OD © domination ª TXL V¶H[HUFH
en Sardaigne est multiple, et multiples sont aussi les facteurs économiques,
politiques qui induisent en Sardaigne des décalages culturels, des
dépendances, des orientations culturelles issues de la mondialisation, des
concepts idéologiques pluriels. Comme le soulignait très justement Arjun
Appadurai dans Après le colonialisme, le sens de la mondialisation pris
FRPPH RULHQWDWLRQ GLUHFWLYH Q¶H[LVWH SDV ; seules des interprétations locales
FRORUHQW FH VHQV GH OHXUV SURSUHV SDUWLFXODULVPHV OHV LQYHVWLVVDQW G¶XQH
charge culturelle particulière. /¶qUH post-coloniale de la Sardaigne magico-
UHOLJLHXVH GHSXLV O¶DSUqV-JXHUUH j DXMRXG¶KXL FUHXVH j JUDQG EUXLW GHV
contrastes sociaX[ DEUXSWV TXHOTXH SDUW HQWUH K\SHUPRGHUQLWp GH O¶DFFqV j
O¶LQWHUQHWHWODSHUWHGHVVROLGDULWpVRUJDQLTXHVOHUHFXOGXPRQROLQJXLVPHHW
les durcissements identitaires. La globalisation est ce paradoxe contemporain
grâce auquel se réinventent et se cristallisent selon des mouvements
contraires -entre ouverture et repli-, des traditions vernaculaires en constante
réinvention grâce aux nouveaux supports de communication issus des mass
media : « [...] Les moyens de communication électroniques et les migrations
GH PDVVH V¶LPSRVHQW DXMRXUG¶KXL FRPPH GHV IRUFHV QRXYHOOHV PDLV PRLQV
VXU XQ SODQ WHFKQLTXH TXH VXU OH SODQ GH O¶LPDJLQDLUH » (Appadurai, 2005 :
31).
111
En effet, aux cycles traditionnels saisonniers paysans se surajoutent de
nos jours des cycles artificiels de travail 109 alternant avec une période de
consommation productive. Cependant, la structure des temps artificiel et
naturel semble souvent se confondre, notamment lorsque Clara Gallini décrit
les périodes creuses dédiées à la Novena des années 1970 pendant laquelle
se croisaient ensemble la dépense somptuaire entre deux temps de récolte
et les congés dépensiers des employés de la ville. Le loisir festif, avec la
forme récréative de « religiosité ª TXL V¶\ GpSORLH QH VHUDLW peut-être, après
WRXWTX¶XQHWUDQVSRVLWLRQGHODIRUPHDQFLHQQHGHGpSHQVHSURGXFWLYHDYHF
FHWWHREOLJDWLRQGHGpSHQVHDFWLYHDXVHLQG¶XQHSpULRGHGH vacances. &¶HVW
HQWRXWFDVQRWUHK\SRWKqVHLVVXHG¶XQHOHFWXUHFURLVpHGH*DOOLQL0DJOLRFFR
et Appadurai : « Mais quiconque a pris des vacances dans les conditions de
IRUWH FRQWUDLQWH G¶XQH VRFLpWp LQGXVWULHOOH VDLW TXH O¶KRUORJH PDUFKDQGH GX
temps productif ne cesse jamais de tourner. Cela mène parfois au paradoxe
de plus en plus caractéristique du loisir industriel : des vacances sans répit,
GRQW O¶REMHFWLI HVW GH FUpHU XQ K\SHUWHPSV GH ORLVLU UHPSOLHV G¶XQH WHOOH
TXDQWLWpG¶DFWLYLWpVGHVFqQHVHWGHFKRL[TX¶HOOHVVRQWHQUpDOLWpXQHIRUPH
de travail, de loisir frénétique et pourtant toujours conscient de son rendez-
vous prochain avec le temps de travail » (Ibid. : 133). Cette assertion
G¶$SSDGXUDL QRXV UDPqQH TXHOTXH SDUW DX[ WUDYDX[ SLRQQLHUV GH 7KRUVWHLQ
Veblen110 sur la question de la consommation des loisirs. Mais plus encore,
nous entrevoyons un lLHQ HQWUH O¶H[HPSOH G¶$SSDGXUDL HW OHV SpOHULQV GH OD
Novena décrits par Gallini, pour lesquels la fête constitue le « rituel de
passage » obligé entre deux saisons, deux périodes de travail. Ces quatre
109
Ces temps de travail et de congés sont découpés selon les rythmes particuliers aux métiers
D\DQWSHUGXOHXUOLHQGHGpSHQGDQFHDXFOLPDWHWDX[VDLVRQVGHO¶DJULFXOWXUHFRPPHOHVRQWOHV
métiers « citadins ªG¶RXYULHULQGXVWULHOGHFDGUHGHEXUHDXG¶HPSOR\pGHODYHQWH
110
6L9HEOHQSDUODLWHQG¶XQHclasse de loisir dont les dépenses ostentatoires étaient rendues
PRUDOHPHQW REOLJDWRLUHV SDU OH SUHVWLJH TX¶HOOHV FRQIqUHQW $SSDGXUDL XWLOLVH SOXW{W OH FRQFHSW GH
loisir GDQV OD SHUVSHFWLYH G¶XQH PDssification actuelle de la récréation, dont les dépenses
somptuaires correspondraient à une véritable obligation, un « travail hors période de travail ».
Cette notion serait alors finalement assez proche de la notion véblenienne de « consommation de
prestige ª ODTXHOOH QDvW GDQV OD FODVVH GRPLQDQWH DULVWRFUDWLTXH GX ;,;q V G¶XQH FXOWXUH GH
O¶RLVLYHWp © active ª DXWUHPHQW GLW G¶XQH IRUPH GH © travail moralement obligatoire » hors de tout
travail.
112
temporalités -passée et présente, naturelle et sociale- se superposent et
finissent par assimiler dans une même structure évolutive, sociabilités
REOLJpHVHWLPSpUDWLIVPDWpULHOVGRQWO¶acmè demeure la fête ostentatoire en
fin de pélerinage.
'DQV OD SHUVSHFWLYH G¶XQH RXYHUWXUH GH OD GpSHQVH IHVWLYH j G¶DXWUHV
buts que la seule spiritualité et les solidarités villageoises, nous constatons
GDQVO¶pWXGHGH0DJOLRFFRTXHOHV© pélerins ªFKDQJHQWSHXjSHXG¶REMHWGH
convoitise (la grâce accordée par la Vierge autrefois cède la place à une
113
distraction laïque immédiate), que la fête se consumérise. Le nouveau
modèle global viendrait ainsi remplacer le « vide » laissé par la disparition du
système organique ancien. Cette forme de consommation désacralisée
V¶LPSRVH FRPPH /$ QRXYHOOH tradition festive légitime, celle qui
correspondrait le mieux aux valeurs de notre temps : « [...] On peut supposer
que là où elles sont inventées [les traditions, ndla@F¶HVWVRXYHQWQRQSDUFH-
que les vieux modèles ne sont plus valables ou viables, mais parce-TX¶LOVQH
sont délibérément plus utilisés ou adaptés » (Hobsbawm & Ranger, 2012 :
155). Aussi, à une forme rituelle paysanne disparue en succède cette autre,
dont la fonction sociale structurante reste cependant similaire (scander la
PDUFKH GX WHPSV FDOHQGDLUH $X YX GHV IDLWV G¶K\EULGDWLRQ GpFULWV SDU
Magliocco dans les années 1980 et de la généralisation de ces tendances en
WRXWHVFHVFDUDFWpULVWLTXHVFRQVWLWXHQWELHQO¶DYDQW-JDUGHG¶Xn nouveau
fond « traditionnel » contemporain, officiel et maintenant bien routinisé.
En outre, si la scansion calendaire des fêtes demeure et garde son
VHQV VWUXFWXUHO HQ V¶DGDSWDQW j OD SURSRVLWLRQ JOREDOH HW RIILFLHOOH OH sacré
subalterne a-t-il totalement disparu de Sardaigne, ou bien aurait-il suivi un
JOLVVHPHQW SDUDOOqOH YHUV G¶DXWUHV IRUPHV SOXV DGDSWpHV j VRQ WHPSV ?
(QYLVDJHU DXMRXUG¶KXL OH GRPDLQH GX PDJLFR-religieux insulaire est un bon
moyen de suivre ces déplacements religieux de forme et de fond, ces
WUDQVIHUWV GH VDFUDOLWp GH WUDFHU j OD PDQLqUH G¶XQ 0DUFXV OD SHUPDQHQFH
éventuelle de structures spirituelles « contre-culturelles » (ou non), à la
lumière des stimuli du monde global. Mais cette comparaison interne des
formes anciennes et actuHOOHVGHULWXHOQ¶HVWSRVVLEOHTXHGDQVODPHVXUHR
GHV IRUPHV LQVWLWXWLRQQHOOHV FRH[LVWHQW DXMRXUG¶KXL DYHF XQ © autre chose »,
XQH GLPHQVLRQ UHOLJLHXVH GHPHXUpH LQFODVVpH $ FHV WLWUHV O¶REMHW-frontière
magico-religieux est bien le domaine paradoxal qui recouvre à la fois le
SDVVp WHO TXH O¶RQW QRUPDOLVp HW © annexé » les organismes institutionnels
LWDOLHQV HW OH ELDLV SDU OHTXHO V¶LPDJLQHQW GH QRXYHDX[ SD\VDJHV ULWXHOV
UHOLJLHX[DXMRXUG¶KXLVRXYHQWHQGHKRUVGHO¶LQVWLWXWLRQ
114
II. Identités religieuses polysémiques
a. Le rituel FRQWHPSRUDLQ/DVSLULWXDOLWpVDQVO¶LQVWLWXWLRQ
113
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
116
clichés de la subalternité : « Neopagans consider the medieval witch cult as a
continuation of a pre-Christian fertility religion and see themselves as modern
practitioners of an ancient female-centered religion that survived Indo-
European invasions and later Christianization » (Fedele, 2013 : 10). En ce
sens, la Julia Carta du XVè s. est la mère spirituelle de nombreuses sorcières
FRQWHPSRUDLQHV TXL UHSUHQQHQW j OHXU FRPSWH O¶LGHQWLWp RX OH YRFDEXODLUH
SpMRUDWLIV DWWULEXpV SDU O¶eJOLVH j FHWWH ORLQWDLQH © ancêtre ». Afin de
réenchanter un monde moderne matérialiste notamment grâce aux
mediascapes partagés par tous et en tous lieux, ces dernières opèrent une
sorte de « résilience constructive » et fondent leur identité, revendiquent leur
« marginalité », faisant -ainsi que le suggère Roger Bastide en 1973-, des
PDUTXHVG¶LQIkPLHDQFLHQQHVXQHLGHQWLWpUHOLJLHXVHQRXYHOOH :
« 6HXOHPHQW FH VDFUp TXH O¶RQ YRLW j QRXYHDX UpDSSDUDvWUH GDQV OD
FXOWXUH HW GDQV OD VRFLpWp G¶DXMRXUG¶KXL VH YHXW XQ VDFUp VDXYDJH ,O FKHUFKH
pourtant parfois ses modèles dans les transes collectives des populations dites
primitives, dans les cultes de possession, que le cinéma, la télévision, le théâtre
nègre ont popularisés. Non certes pour les copier, puisque par définition un
sacré sauvage est création pure, et non-répétition ± TX¶LO se situe dans le
GRPDLQHGHO¶LPDJLQDLUHQRQGDQVFHOXLGHODPpPRLUH ± mais pour y puiser tout
de même ce que nous pourrions appeler une pédagogie de la sauvagerie.
André Gide, fatigué par notre civilisation mécanique, artificielle, rationnelle,
appelaiWGHVHVY°X[LO\DTXHOTXHVDQQpHVGpMjXQHQRXYHOOHLQYDVLRQGHV
%DUEDUHV TXL GpWUXLVH QRWUH PRQGH HW OXL GRQQH XQH FKDQFH G¶DOWpULWp ; ces
Barbares ne sont pas venus. Alors les jeunes les ont recréés ± mais en
V¶LQVSLUDQW WRXW GH PrPH GHV FXOWHV H[WDtiques violents et sanglants qui les
définissaient aux yeux de certains historiens » (Bastide, 1973 : § 3).
117
hégémonie (ecclésiastique, capitaliste, consumériste, spéciste, paternaliste
etc. ...) à une subalternité (spirituelle, religieuse, idéologique, minoritaire,
séparatiste), cette dichotomie que nous pensions avoir abandonnée avec
O¶HVVRU GH OD JOREDOLVDWLRQ HQ 'HX[LqPH SDUWLH " 3HUVRQQHOOHPHQW GDQV OH
cas des revendications spirituelles émergentes, nous émHWWRQV O¶K\SRWKqVH
G¶XQ VHQWLPHQW différentialiste égalitaire SOXW{W TX¶XQH UHFRQGXFWLRQ j
O¶LGHQWLTXH GH O¶DV\PpWULH HQWUH GHX[ WHUPHV GRQW O¶XQ KXPLOLHUDLW IRUFpPHQW
O¶DXWUH GDQV XQH QRXYHOOH UHODWLRQ GH W\SH doloriste. Ainsi, les adeptes de
O¶pQHUJpWLTue, de la Nuraghelogia ou de la Wicca peuvent se sentir différents
des croyants catholiques tout en empruntant parfois à leur mythologie, mais
toutefois sans se sentir politiquement ni économiquement opprimés ou même
humiliés par une hégémonie et un pouvoir officiel ecclésiaux. Tout comme il
WUDQVSDUDvW pJDOHPHQW GDQV O¶RXYUDJH GH )HGHOH DX ORQJ GHV QRPEUHX[
témoignages recueillis114, ces nouveaux phénomènes semblent effectivement
plutôt traduire des singularités UHOLJLHXVHV YpFXHV DXMRXUG¶KXL VDQV O¶RPEUH
G¶un pathos inégalitaire, dans un esprit de « pacte de non agression » fondé
sur la base des libertés individuelles. Ces approches holistes et apaisées du
religieux indiquent que des emprunts créatifs aux religions officielles peuvent
se faire, mais de manière tolérante, non dogmatique, et dans un but
UHODWLYLVWHG¶DFFHSWDWLRQVLQRQGHUHVSHFWPXWXHOGHVFUR\DQFHV$O¶LQVWDUGH
cette hypothèse différentialiste, Roger Bastide plaide pour des « réveils »
spirituels contemporains, plaçant le sacré sauvage dans une continuité
KLVWRULTXH VDQV UpHOOH UXSWXUH VRFLDOH QL FRQWUH OH SDVVp QL FRQWUH G¶DXWUHV
classes :
« (W FHUWHV FHV UpYHLOV TXL SHXYHQW V¶DFKHYHU HQ GDQVHV FHV
PHVVLDQLVPHV TXL SHXYHQW V¶DFKHYHU HQ WUDQVHV FHV SHQWHF{WLVPHV TXL
inventent de nouvelles langues extatiques, ne rompent pas entièrement avec le
passé LO V¶DJLW G¶XQHGLVFRQWLQXLWp FRQWLQXHSOXV TXH GH UXSWXUHj SURSUHPHQW
parler FHSHQGDQWQRXVVRPPHVELHQDYHFO¶DYqQHPHQWGHWRXVFHVQRXYHDX[
114
Looking for Mary Magdalene. Voir Bibliographie.
118
dieux rêvés, très proches déjà de la recherche de ce sacré sauvage qui va faire
>@VRXGDLQHPHQWLUUXSWLRQDXMRXUG¶KXL>@ » (Bastide, 1973 : § 21).
,QWHUQHW HVW DXMRXUG¶KXL OH PR\HQ SULQFLSDO SDU OHTXHO FHV QRXYHOOHV
pratiques se donnent à voir, se diffusent, où les adeptes échangent avec
G¶DXWUHV JURXSHV GDQV OH PRQGH HW SODQLILHQW GHV UHQFRQWUHV115 : « Ces
nouvelles formes de communication électroniques commencent à créer des
voisinages virtuels qui ne sont plus limités par le territoire, les passeports, les
impôts, OHVpOHFWLRQVHWG¶DXWUHVGLDFULWLTXHVSROLWLTXHVFRQYHQWLRQQHOOHVPDLV
SDU O¶DFFqV DX[ ORJLFLHOV HW DX[ DSSDUHLOV UHTXLV SRXU VH FRQQHFWHU j FHV
réseaux mondiaux » (Appadurai, 2005 : 279). La relative bonne distribution
des moyens électroniques en Sardaigne offre de nos jours un accès
démultiplié aux influences en provenance du monde. Mais paradoxalement,
ces manifestations placées sous le signe de la spiritualité, des ressources
115
Voir Annexe 6.
119
énergisantes de la Nature-Mère116, des percorsi nuragici117 passent encore
une fois totalement inaperçues des médias, du tourisme classique, de
O¶(JOLVH HW HQFRUH XQH IRLV GHV DQWKURSRORJXHV 3DU FRQVpTXHQW OHV
orientations les plus récentes de la sacralité et de la ritualité sarde ne sont
SDVUpSHUWRULpHVSDUO¶DQWKURSRORJLHGX moment où celles-ci ne portent pas le
« label officiel authentique ªOpJLWLPpSDUOHVLQVWLWXWLRQVPXVpDOHVO¶2IILFHGX
7RXULVPH RX O¶8QLYHUVLWp (OOHV VRUWHQW HQ HIIHW GX FDGUH GHV IrWHV GLWHV
« traditionnelles » en costume, du giron légitimiste des administrations
politiques et des homologations patrimoniales folklorisant -tout en les
aseptisant-, les pratiques vivantes en péril : « Faut-il ajouter que cette
aseptisation labellisée ouvre une voie royale à la folklorisation touristique,
une conséquence qui a été largement dénoncée ? » (Bromberger, 2014 :
149). Les spiritualités émergentes en Sardaigne suivent donc le mediascape
OHSOXVUpFHQWHWV¶DIILFKHQWGHIDoRQRVWHQWDWRLUHVXUOHVUpVHDX[VRFLDX[OHV
plus en vue118. Ces nouvelles formes seraient-elles donc si peu marginales et
si peu importantes -ou bien, trop dynamiques, trop vivantes ?- SRXU TX¶HOOHV
Q¶LQWpUHVVHQWSOXVOHF{WpH[SORUDWRLUHGHQRWUHGLVFLSOLQH ?
121
G¶hégémonie-subalternité qui a nRXUULQRWUHWKpPDWLTXHMXVTX¶LFLSRXUUDLWELHQ
V¶DUUrWHU Oj /HV PRGqOHV GH YDOHXUV GLIIpUHQFLDQW DXWUHIRLV QHWWHPHQW HQWUH
IUDQJHV HW FODVVHV VRFLDOHV VRQW DXMRXUG¶KXL IRUWHPHQW DWWpQXpHV GDQV OH
relativisme mis en place par une globalisation sans autre cadre que le droit
GH O¶+RPPH DQRQ\PH j GLVSRVHU GH OXL-même : « La post-modernité se
UpVXPHHQO¶pPDQFLSDWLRQGHO¶LQGLYLGXPDLVVDQVHQFDGUHPHQWGLVFLSOLQDLUH »
(Ibid. : &H FDGUH TXL Q¶DGPHW LGpRORJLTXHPHQW SOXV GH FDGUHV IHUDLW
donc sauter la légitimité absolue des sphères anciennes (frontières
nationales et liminarités sociales immédiates), de celles qui justifiaient à la
fois des appartenances très tranchées et des discriminations tout aussi
UDGLFDOHVDXVHLQG¶XQPrPHWHUULWRLUH&¶HVWSRXUTXRL les spiritualités sardes
dites « marginales ª ORLQ GH VH WDULU DXMRXUG¶KXL DYHF OD PRUW GH OD
SD\VDQQHULHIpRGDOHHQGRVVHQWOHFRVWXPHGHO¶exceptionnel quotidien, de la
« banalité » fondue dans la foule des propositions « équivalentes » du sacré :
« ToXWHV OHV FKRVHV V¶pTXLYDOHQW WRXV OHV VW\OHV VRQW SHUPLV HW FH WDQW HW
DXVVL ORQJWHPSV TX¶LOV QH SRUWHQW SDV DWWHLQWH j O¶LQWpJULWp GHV GURLWV GH
O¶KRPR-aequalis » (Ibid. : §12). Les choses, les idées et les hommes se
rejoignent dans une même « normalité » transcendant les frontières et les
limitations traditionnelles. Un médecin et un avocat peuvent aussi bien
FRWR\HU XQH FDLVVLqUH GDQV XQ VWDJH G¶pQHUJpWLTXH ILQDQFLqUHPHQW HW
idéologiquement accessible à tous. Ces engagements spirituels seraient
donc moLQVFOLYDQWVTX¶DGMRQFWLIVFXPXODWLIVILGqOHVjO¶LGpHTXH0DUF$XJp
se fait des paganismes.
119
Voir Annexe 4.
122
GX SKpQRPqQH 291, &H FRXUDQW HVW LQWpUHVVDQW GDQV OH VHQV R O¶RQ
SRVVqGH GpMj XQH WHQWDWLYH GH WKpRULVDWLRQ OLYUHVTXH TX¶LO HVW SRVVLEOH
G¶DQDO\VHUVRPPDLUHPHQWGDQVOHFDGUHGHFHPpPRLUHELEOLRJUaphique... ce
TXL Q¶HVW SDV OH FDV G¶DXWUHV SKpQRPqQHV PDJLFR-religieux émergents
SHLQDQWjVHFRQVWLWXHUHQDVVRFLDWLRQKRUVG¶LQWHUQHWHWjSXEOLHUQHVHUDLW-ce
que des brochures papier explicatives.
'DQV O¶DSSURFKH GH 5DLPRQGR $OWDQD - SKDUPDFLHQ G¶$Uzachena et
IRQGDWHXU GH O¶DVVRFLDWLRQ © Uomo Natura Energia122 »- O¶RXYUDJH WULORJLTXH
en un tome « Nuraghelogia, nuragheterapia, nuraghesofia123 » apparaît
FRPPH XQ FRUSXV GRFWULQDO UHOLJLHX[ HW VFLHQWLILTXH j OD EDVH G¶XQH UHOLJLRQ
nuragique nouvelle124, révélée autrefois par les extra-terrestres et proclamant
DXMRXUG¶KXL GpWHQLU OHV FOpV GX VDOXW SRXU O¶KXPDQLWp&H GLVFRXUV SXLVH j OD
fois dans le champ traditionnel de la religion chrétienne, du patrimoine
mégalithique historique des dolmens, des menhirs, des hypogées, autant que
dans celui, très en vogue actuellement, de la géobiologie125 dite
« ésotérique » (celle des pratiques de sourciers et non celles des géologues
XQLYHUVLWDLUHV GH O¶pQHUJpWLTXH126 GH O¶XIRORJLH127. De nombreux sardes
regroupés ou non en asVRFLDWLRQVRUJDQLVHQWDXMRXUG¶KXLGHV© percorsi128 »
énergétiques et expérimentaux autour des sites mégalithiques dans le but de
120
Quoique le terme de chamanisme appartienne en propre au contexte des sorciers sibériens,
son appropriation par les mouvements dits New Age et sa large diffusion globale justifient à eux
VHXOV O¶HPSORL GX WHUPH GDQV QRWUH WH[WH 'DQV OH GLVFRXUV GH OD 1XUDJKHORJLD SUpFLVpPHQW
chamanisme apparaît plusieurs fois. Nous le considérons donc paradoxalement comme un terme
emic, comme un marqueur revendiqué pour se décrire par « science des nuraghes » sarde, et
comme un terme issu des flux de la globalisation anonyme.
121
Voir Annexe 10.
122
« Homme Nature Énergie », NdlA.
123
« Science des Nuraghes, Thérapie des Nuraghes, Sagesse des Nuraghes », NdlA.
124
Voir Annexe 9.
125
Étude de l'influence de la terre et de son environnement sur la vie de chacun ou de tout être
vivant, dans une maison ou un lieu de vie (source : http://www.geobiologue.net/definition.htm).
126
Pratique de médecine « non conventionnelle ª GH W\SH 5HLNL XWLOLVDQW O¶pQHUJLH GLYLQH RX
O¶pQHUJLH pOHFWURPDJQpWLTXH GDQV OH FDGUH GH VRLQV VXU O¶KXPDLQ O¶DQLPDO OD SODQWH OHV OLHX[
perturbés.
127
Formé de UFO, mot anglo-américain formé des initiales de Unidentified Flying Object « objet
volant non identifié », remplacé dans l'usage français par Ovni (source :
http://www.cnrtl.fr/definition/ufologie).
128
« Parcours », NdlA.
123
UHVVHQWLU OD FRPPXQLRQ HQWUH O¶KRPPH HW OH sacré sauvage de la nature, et
SOXVSDUWLFXOLqUHPHQWHQWUHO¶KRPPHHWOHPHVVDJHGpOivré dans la pierre par
OHELDLVG¶XQULWXHOPpGLWDWLIGHJURXSH3RXUQRPEUHG¶HQWUHFHVSUDWLTXDQWV
OH OLYUH G¶$OWDQD HVW XQH ERQQH SUpSDUDWLRQ WKpRULTXH DX[ VWDJHV
énergétiques. Ainsi, pour la géobiologie, comme pour ce que le sens
commun nomme chamanisme, la pierre est un organisme vivant capable
G¶encoder GHVPpPRLUHVSHUGXHVVXUG¶DQFLHQQHVFLYLOLVDWLRQVHWGHVRLJQHU
au même titre que certaines plantes, animaux ou humains thérapeutes. Selon
cette vision holiste et paganisante du monde, il existerait donc une interaction
positive entre la pierre -ici le nuraghe129 sarde-HWO¶KRPPH&HWWHLQWHUDFWLRQ
O¶RXYUDJH G¶$OWDQD OD SHUPHW JUkFH j XQ ULWXHO PpGLWDWLI GpFRPSRVp HQ WURLV
temps, la Nuraghelogia (science du contact entre Terriens et Extra-terrestres
via le nuraghe), la Nuragheterapia (fonction thaumaturge du nuraghe à
WUDYHUVOHULWHG¶LQFXEDWLRQODNuraghesofia (philosophie des connaissances
transcendantales nuragiques). Cette forme de géobiologie ésotérique
V¶LQVqUH GDQV XQ PRXYHPHQW SOXV ODUJH réinterprétant les fonctions de tous
les sites mégalithiques de la civilisation nuragique130 en Sardaigne (Domus
de Janas131, Tombe dei Giganti132, Dolmens). Elle se nomme aussi
quelquefois Nuraxia133 en sarde.
$YDQW G¶HQWUHU SOXV ORLQ GDQV OHV FRQVLGpUDWLRQV GH IRQG TXH SURSRVH
cet ouvrage, il nous paraît nécessaire de comprendre comment se construit
129
Les nuraghes, comme vu brièvement plus haut sont des constructions lithiques de granit. Il
Q¶H[LVWH DXFXQ FRQVHQVXV VFLHQWLILTXH VXU OHXU IRQFWLRQ SUpFLVH 7emple ou habitation, ces tours
antiques furent néanmoins souvent placées à des emplacements stratégiques (sommets de
collines). Il existe de simples tours tronquées (Nuraghe Ruggiu, à Macomer), et de plus complexes
(tours reliées entre elles par des cheminV GH JDUGH DYHF GRQMRQ FHQWUDO j OD PDQLqUH G¶XQH
forteresse), comme ceux de Barumini (région du Campidano).
130
XVIIIè s. av J.-C. au IIè s. av J.-C..
131
Grottes-sépultures du Néolithique, NdlA.
132
Tombes collectives du Néolithique situées près des nuraghes, NdlA.
133
Prononcer « Nouragyia ». Voir :
http://www.momizanda.altervista.org/Sciamanesimo/nuraxia.htm.
124
la trame de cette forme magico-UHOLJLHXVH GX ;;,q V 3RXU FHOD O¶DXWHXU
emploie la forme dialogique dans une première partie dédiée à la
Nuraghelogia, puis une succession de définitions consistant à répéter de
manière énumérative les grands points abordés plus tôt dans le dialogue. La
voie dialogique est ici « magiquement ª LQWpUHVVDQWH SXLVTX¶LO V¶DJLW G¶XQH
LQWHUDFWLRQ VXUQDWXUHOOH 3DUFH ELDLV H[FHSWLRQQHO O¶RXYUDJH QRXV UHQVHLJQH
déjà sur une technique propre à la Nuraghelogia -le voyage hors du corps,
hors du temps, hors du monde des vivants- /¶pFKDQJH VH SURGXLW HQWUH
5DLPRQGR'H0XURO¶LQVSLrateur décédé de Raimondo Altana, et ce dernier.
Les deux Raimondo communiquent par channeling134 via une méthode
nuraghelogique, appelée « Andare in Galazzoni135 ªGRQWO¶DXWHXUQRXVOLYUH
quelques clés :
« /¶RQV¶DVVRLWVXUXQHSODTXHG¶REVLGLHQQHjO¶KHXUHRO¶pWRLOHGLWHGX&DQFHU
VHOqYHODTXHOOHHQODQJXHSURWRVDUGHV¶DSSHOOH08/7=-ARZ-SAZ), juste après
le coucher du soleil ; puis, en dosant sa force, on donne sur sa poitrine un coup
VHFHWYLEUDQWVXUOHSRLQWQRPPp³V¶HQQDGHV¶DQLPD 136³HQSURQRQoDQt : ETH-
KOL-ASER-ENOS-<20 /¶RQ VH VHQW HQVXLWH WRPEHU SURIRQGpPHQW GDQV GHV
DEvPHV WUqV QRLUHV HW F¶HVW DORUV TXH O¶RQ SHUoRLW XQH VRUWH GH GpWDFKHPHQW
sans douleur, accompagné par un son vaste et muet ; à ce moment on se
retrouve en apesanteur, avec le VHQWLPHQW GH Q¶rWUH SOXV DWWDFKp j SHUVRQQH
GH QH SOXV DYRLU GH F°XU QL G¶DXWUH RUJDQH GDQV OH FRUSV >@ /H WHPSV G¶XQ
flash, on se sent propulsé dans cet autre monde XQ OLHX Q¶D\DQWDXFXQ SRLQW
FRPPXQDYHFOHQ{WUHXQHVSDFHKRUVGHO¶HVSDFHXQDQti-espace où tout est
DXWUH j FRPPHQFHU SDU OD OXPLqUH TXL W¶LPSUqJQH GH O¶LQWpULHXU HW j O¶H[WpULHXU
G¶XQHIDoRQH[WUDRUGLQDLUH137 » (Altana, 2012 : 108).
134
Terme ésotérique dérivant de l'anglais " channel ", « canal ». Un « médium channel » est donc
une personne douée d'une réceptivité particulière, lui permettant d'établir un lien entre notre
monde terrestre et un monde de sagesse, parallèle et confondu au nôtre. Ce lien transite par un
guide de cet autre monde, qui lui est personnellement rattaché et lui communique toutes les
informations qui lui sont données de savoir (source : http://www.arcetmedia.com/channeling.php).
135
Galazzone, ou « bassin de décantation » destiné à SXULILHUO¶HDXSDUGHVSDVVDJHVVXFFHVVLIV
G¶XQHYDVTXHjO¶DXWUH7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
136
« /DSRUWHGHO¶kPH ». Traduit du sarde par nos soins.
137
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
125
7RXWXQODQJDJHGXVHQWLPHQWGHODSHUFHSWLRQGLUHFWHSDUO¶H[SpULHQFH
personnelle est ici employé SRXU GpFULUH OH SDVVDJH j O¶pWDW PRGLILp GH
conscience, ce « coma du sixième degré » (p.107) nommé « Galazzoni ». Au
sein de cet entre-deux chamanique où tout est permis, De Muro peut alors
transmettre sa connaissance au « prophète » Altana.
138
Sauf que nous avons tout de même retrouvé cet ouvrage jO¶DGUHVVHVXLYDQWHWpOpFKDUJHDEOH
gratuitement : http://www.scribd.com/search?query=I+Racconti+Della+Nuraghelogia+Vol+I. Voir
aussi notre Bibliographie.
139
Traduit de O¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
126
souvent de cette façon les « preuves » scientifiques140, alors
remarquablement absentes :
&HWWH IRUPH GH JpRELRORJLH LVVXH GHV WUDYDX[ G¶XQ LQJpQLHXU HW G¶XQ
pharmacien-ELRORJLVWH VH YHXW GRQF FRPPH O¶pWDLW DXWUHIRLV O¶DOFKLPLH j
équidistance de la science et de la religion. Bastide énonçait déjà un tel
SKpQRPqQH ORUVTX¶LO FRQVWDWDLW TXH GqV OD ILQ GX ;;q V pPHUJHDLHQW GHV
formes ésotériques nouvelles au sein de sociétés occidentales peu à peu
déchristianisées :
« $X IXU HW j PHVXUH TXH O¶eJOLVH SHUG VHV ILGqOHV RQ YRLW SXOOXOHU HQ
particulier dans les grandes métropoles, les petites sectes ésotériques, les
FDELQHWV G¶DVWURORJXHV OHV FOLQLTXHV GHV QRXYHDX[ Juérisseurs. Espèces de
FRPSURPLVHQWUHOHUDWLRQDOLVPHTXLFRQVWLWXHO¶LGpDOGHQRWUHQRXYHOOHVRFLpWp
SODQLILFDWULFH HW OH EHVRLQ GH UHOLJLRQ FDU O¶pVRWpULVPH VH IRQGH VXU GHV
140
0DLV TX¶HVW-FH TX¶XQH © preuve » scientifique sinon une sorte de dogme laïc ? Sur ce thème
nous nous associons à la proposition suivante : « Véritable mantra, on dirait que la preuve
scientifique, à certains égards, est la nouveOOHUHOLJLRQ/DSUHXYHVFLHQWLILTXHDO¶DLUG¶rWUHGHYHQXH
O¶DUJXPHQWSXEOLFLWDLUHXOWLPHSRXUYHQGUHSkWHVGHQWLIULFHJpOXOHVDPLQFLVVDQWHVHWDXWUHVSRXGUHV
à lessive. La preuve scientifique a le dernier mot dans les tribunaux du monde entier. Et pourtDQW«
/D SUHXYH VFLHQWLILTXH Q¶H[LVWH SDV » (source :
http://www.podcastscience.fm/dossiers/2010/09/01/dossier-la-preuve-scientifique/).
141
7UDGXLWGHO¶LWDOien par nos soins.
127
V\VWqPHV G¶LGpHV V\PEROLTXHV ELHQ OLpHV ± O¶DVWURORJLH D XQ FDUDFWqUH
mathématique qui rassure notre pensée ± les guérisseurs opposent à
O¶HPSLULVPH GHV PpGHFLQV XQH WKpRULH WKpUDSHXWLTXH XWLOLVDQW OH ODQJDJH GHV
physiciens, ondes, fluides ou atomes. On peut ainsi se laisser guider par le
religieux sans crainte, puisque ce religieu[ V¶H[SULPH DSSDUHPPHQW GDQV OH
langage même de la science (Bastide, 1973 : § 23).
/RUVTXH O¶RQ pYRTXH OD FRVPRORJLH F¶HVW OH P\WKH O¶RQWRORJLH HW
O¶HVVHQFHGHVFKRVHVTXLVHSUpVHQWHQWHQSUHPLHUjO¶HVSULW'DQVO¶RXYUDJH
G¶$OWDQD OH P\WKH GHV RULJLQHV H[WUD-terrestres142 de la sagesse humaine
apparaît comme le fondement polygéniste des théories développées plus loin
SDUO¶DXWHXU
142
Voir : http://laportadellestelle.blogspot.fr/2011_10_01_archive.html.
128
médaille unique comportant deux faces O¶XQHDSSDUWHQDQWjO¶8QLPPRELOHHW
VWDWLTXHHWO¶DXWUHGpYROXHDX[rWUHVFUppVjO¶DYHQLULQcertain143 » (Ibid. : 81).
Le Dieu de la science des nuraghes est un Dieu extérieur, impersonnel,
UHMHWpGDQVO¶DXWUHIDFHGHO¶XQLYHUV-ODSDUIDLWHO¶LQFUppH-FHOOHTXLQ¶DSDVj
souffrir de la lointaine infirmité humaine. La part incréée abrite le paradis.
/¶HVSDFH HW OH WHPSV GH FHW HQGURLW VH FRQIRQGHQW WRXW VLPSOHPHQW DYHF OD
figure de Dieu : « /HSDUDGLVHVWXQXQLYHUVLPPRELOHIL[HTXLQ¶DMDPDLVpWp
créé ni inventé par personne car il existe depuis toujours et que jamais il ne
finira F¶HVW FH TXH YRXV DSSHOH] 'LHX XQH VRXUFH G¶LQWHOOLJHQFH SpUHQQH
TX¶LOQ¶HVWSDVSRVVLEOHGHVHILJXUHUPDLVHQPrPHWHPSVTXLFRQWLHQWWRXWHV
OHVLPDJHVOHVIRUPHVODYLHOHGHYHQLUO¶LPPRELOLWpDEVROXHHWUHODWLYH 144 »
(Ibid. : 1pDQPRLQV FH 'LHX Q¶HVW SDs le Dieu biblique. Dans la
SHUVSHFWLYH G¶$OWDQD FH GHUQLHU Q¶HVW TX¶XQ HVSULW VXSpULHXU H[WUD-terrestre,
un « Homme Bleu » : « 6HORQOD1XUDJKHORJLDMHSHQVHTXH<DYHKQ¶HVWSDV
O¶eWHUQHO&UpDWHXUGHO¶8QLYHUV,QFUppPDLVGHIDoRQSOXVUpDOLVWHXQH[tra-
WHUUHVWUH GH OD 3ODQqWH %OHXH GRWp G¶RPQLVFLHQFH G¶RPQLSUpVHQFH HW
G¶LPPRUWDOLWp>@&H'LHXSURPHWODYHQXHGX0HVVLHHWO¶HQYRLH ; il choisit la
vierge à travers de laquelle il implante par son regard la semence de son fils
(selon la technique coïtale des Hommes Bleus), puis Jésus naît145 » (Ibid. :
111).
0DLVWRXWFHFLQ¶HVWSDVQpGHQXOOHSDUW8QUpFLWGHVRULJLQHVSUpVLGHj
XQHWHOOHRUJDQLVDWLRQGHODYLHSDUWRXWGDQVO¶XQLYHUV :
« /DSUHPLqUHGHVRULJLQHVV¶H[SOLTXHDYHFODSRXGUHVHPpHGDQV le ciel
SDUODTXHXHG¶XQHpWRLOHILODQWH : une comète de ce type contient les virus qui
créent la vie de laquelle sont nés les embryons qui ont généré à leur tour les
KRPPHV G¶DXMRXUG¶KXL >@ /D VHFRQGH RULJLQH V¶H[SOLTXH FRPPH OH
raccontaient les Anciens voilà 6 ou 7000 ans, avec les hommes de la Planète
Bleue atterris en Sardaigne FHVGHUQLHUVQ¶RQWSXUHSDUWLUYHUVOHXUSODQqWHHW
143
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
144
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
145
TraduiWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
129
VRQW GRQF UHVWpV GDQV OD UpJLRQ GH OD %DUEDJLD HW IXUHQW j O¶RULJLQH GH FHV
EDQGHV G¶KRPPHV TXL VH VRQW GLVWLQJXpV Sar les rapines, les saccages, les
rapts, etc146 » (Ibid. : 47).
146
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
147
Extra-terrestres échoués sur Terre et provenant de la Planète Bleue.
148
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
130
Au sein de O¶XQLYHUV FUpp HQ UHYDQFKH YLYHQW GHV rWUHV GH QLYHDX HW
de statuts différents, comme les Terriens (les moins intelligents de tous), les
extra-terrestres (Altana ne cite que les Hommes Bleus), et les Démons : « Le
diable, Satan, le Malin, Lucifer etc. n¶DSDVGHFRUQHVQLGHTXHXHQLG¶DVSHFW
KRUULEOHF¶HVWXQrWUHKXPDLQDYHFXQFRUSVVLPLODLUHDXY{WUHVDXITX¶LOQ¶HVW
SDV IRUPp GH FKDLU G¶RV GH QHUIV GH WHQGRQV G¶HDX LO HVW IDLW G¶pQHUJLH
XQHpQHUJLHLPPDWpULHOOHTXLQ¶H[LVWHSDVVXU7HUUH et grâce à laquelle il lui
est possible de vivre une existence éternelle non liée aux lois physiques.
&¶HVWSRXUTXRLDYHFVRQFRUSVGHOXPLqUHLOSHXWVHGpSODFHUGDQVO¶XQLYHUV
KRUV GX WHPSV HW GH O¶HVSDFH149 » (Ibid. : &RPSDUp j O¶© anomalie
humaine ª TXH FRQVWLWXH XQ JpQLH G¶LQWHOOLJHQFH SDUPL VHV KXPEOHV IUqUHV
humains, le diable -être supérieur- Q¶HVW SDV PDUTXp GH OD PrPH FKDUJH
négative que dans le christianisme. Il est juste différent PrPH VL O¶RQ QH
comprend pas toujours comment ni pourquoi -étant un être humain-, ses
capacités et sa nature énergétique, son immortalité diffèrent à ce point des
DXWUHV KRPPHV FUppV /HV GLIIpUHQFHV HQWUH FDWpJRULHV G¶rWUHV KXPDLQV
ainsi étendues vers toutes les créatures créées, ne sont en effet jamais
explicitées.
&DSDEOHV GH FRPPXQLTXHU DYHF O¶XQLYHUV SDU OH VHXO SRXYRLU GH OHXU
esprit, les Nuragiens sardes150 de la Très Haute Antiquité sont confondus
dans le discours de De Muro-Altana avec les Hommes Bleus, lesquels
possédaient un savoir technologique immense, notamment dans la manière
de construire les nuraghes : « Dans la Nuraghelogia, il y a un verset antique
de la théologie cosmique qui dit que pour construire eux-mêmes les
Nuraghes de la Lumière151, les Nuragiens se servirent de gros blocs de pierre
choisis par les hommes bleus. Pour pouvoir les travailler et les transporter
149
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
150
+DELWDQWV GH O¶$JH QXUDJLTXH PpJDOLWKLTue. Terme valide scientifiquement comme
ésotériquement.
151
Sortes de nuraghes surdotés HQWHUUpVSDUOHV1XUDJLHQVjO¶DUULYpHGHVHQYDKLVVHXUV© De fait,
OD 1XUDJKHORJLD DIILUPH TX¶j FDXVH GHV JHQV YHQXV GH OD PHU OHV 6DUGHV RQW pWp FRQWUDLQWV
G¶HQWHUUHU les Nuraghes de la Lumière et à vider les autres Nuraghes, certainement pour cacher
aux étrangers la parole perdue, le secret oublié » (Altana : 2012, 80).
131
VXUOHOLHXRLOVGHYDLHQWVHUYLULOVSODoDLHQWXQEkWRQQHWG¶REVLGLHQQHGDQV
un endroit secret ; le bloc devenait aussitôt léger comme la pensée et volait
MXVTX¶DX OLHX H[DFW R WRXt en devenant mou comme de la crème) il se
laissait modeler pour prendre la forme adéquate. Il était modelé non pas avec
OHV PDLQV FDU OH EORF pWDLW DUGHQW FRPPH O¶DFLHU HQ IXVLRQ PDLV DYHF OH
PDQFKH G¶XQ ERLV GXU HW OHV \HX[ IHUPpV152 » (Ibid. : 71). Si la fonction de
FHV WRXUV XQLTXHV DX PRQGH Q¶HVW WRXMRXUV SDV pOXFLGpH SDU O¶DUFKpRORJLH
contemporaine, la Nuraghelogia possède en outre une réponse
« scientifique » pour chacune de ces énigmes historiques.
(Q RXWUH SDU OD IDXWH G¶XQH PpWpRULWH WRXWH O¶KXPDQLWp SHUGLW VHV
facultés transcendantes premières. De chamane, de passeur entre les
PRQGHV O¶KRPPH GHYLQW PDWLqUH FUpDWXUH © autiste » dont la vie sociale se
réduit à la seule pauvre communication interterrestre : « Tout coïncide avec
le récit de lD 1XUDJKHORJLD TXL UDFRQWH TXH GDQV O¶$QWLTXLWp XQH pWRLOH HVW
tombée et a heurté la Terre, la faisant tressaillir sur des tremblements de
WHUUH HW DX ILQDO GpSODoDQW O¶D[H WHUUHVWUH KRUV GHV RQGHV FRVPLTXHV GH
Dieu VXU OD 7HUUH WRXW V¶HVW DORUV REVFXUFL HW GDQV O¶HVSULW GH O¶KRPPH VH
VRQWpWHLQWHVOHVIDFXOWpVUpFHSWULFHV'HSXLVO¶KRPPHHVWGHYHQXGpILFLHQW
GLPLQXp SV\FKLTXHPHQW HW OHV FRQWDFWV DYHF OHV FUpDWXUHV GH O¶XQLYHUV RQW
FHVVp/¶KRPPHHVWUHVWpVHXO153 » (Ibid. : 77). Ici, point de « péché originel »
DWWULEXDEOH j O¶hubris humaine ou à une quelconque volonté divine, mais un
simple concours de circonstances cosmologiques contribuant à
O¶DIIDGLVVHPHQWGHVSHUFHSWLRQVH[WUDOXFLGHVHWH[WUD-terrestres des Terriens :
©$XFXQ'LHXQ¶DSXQLO¶KRPPH jFDXVHG¶XQHGpVREpLVVDQFH154 » (Ibid. : 75).
0DLVVLODIDXWHG¶$GDPVHPEOHLFLUHPSODFpHSDUOHKDVDUGG¶XQH© mauvaise
rencontre stellaire », le concept de salut, de « rachat ªGH O¶KXPDQLWp SDU OH
IDLW G¶XQ VXUKRPPH G¶XQ GpPLXUJH RX G¶XQH TXHOFRQTXH Givinité demeure
152
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
153
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
154
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQpar nos soins.
132
inscrit dans la Genèse des Nuraghes. Ainsi, comme pour assurer une
FRKpVLRQHWVXVFLWHUO¶DWWHQWHIpEULOHG¶XQUHWRXUGHO¶KXPDQLWpGDQVVD gloire
ontologique, Altana suggère que les extra-terrestres soient le but de toute
préparation spirituelle terrestre à travers la science des Nuraghes. Ces
derniers incarneraient donc le rôle que revêt le « Christ en gloire » des
&KUpWLHQV DSUqV OD ILQ GX PRQGH /¶pSRTXH GH FHWWH parousie G¶XQ QRXYHDX
genre, le « prophète ª 'H 0XUR OD VLWXH HW O¶H[SULPH à travers Altana :
« 4XDQGOHV6DUGHVUHVVHQWLURQWjQRXYHDXOHEHVRLQG¶pPLJUHUYHUVG¶DXWUHV
terres, le temps sera proche où les Nuraghes se réveilleront et serviront à
QRXYHDX O¶KXPDQLWp : ce sera une ère nouvelle pendant laquelle chaque
homme possèdera à nouveau en lui la vérité en chaque lieu155 » (Ibid. : 39).
E1XUDJKHVRILDSURSKpWLVPHG¶XQVDOXWFRVPLTXH ?
155
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
133
terrestre156 » (Ibid. : 47). Dans cette optique, la vision théorique de la
Nuraghelogia pYRTXH XQ GXDOLVPH SURFKH G¶XQ PRQRWKpLVPH GRQW RQ DXUDLW
pYDFXp O¶LGpH G¶XQ 'LHX DFWHXU DX SURILW G¶XQ esprit parfait cosmique et
souverain YHQDQWGpOLYUHUO¶KXPDLQGHVRQLPSHUIHFWLRQ
De même que Lanternari constatait le lien fort entre formes de
subalternités sociales, religieuses et la récurrence de la notion de salut
syncrétique en contexte colonial, nous pourrions rapprocher cette proposition
j FHUWDLQV DVSHFWV GH OD GRFWULQH G¶$OWDQD SRXU TXL OH VHXO H[XWRLUH j OD
médiRFULWp DFWXHOOH HVW OD YRLH VSLULWXHOOH SURYHQDQW HQ WRXW RX SDUWLH G¶XQH
source exogène, « libératoire ». La Nuraghelogia semble en effet construite
pour répondre à une exigence spirituelle inconsciente appelée à « réparer »
des frustrations historiques de type subalternes :
&KH] $OWDQD FHSHQGDQW OD GpYRWLRQ Q¶HVW SDV GLULJpH FRQWUH XQH
« Église dominante », mais bien contre un certain aveuglement humain
empêchant la Réalisation parfaite. Une autre caractéristique de ce salut est la
SHUVpFXWLRQOHGHYRLUG¶RFFXOWDWLRQHWOHVHFUHWFRQGLWLRQV garantissant que la
vérité triomphe un jour intacte par-delà les injustices historiques qui imposent
pour le moment de la taire :
156
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
134
« La Nuraghelogia est la plus vraie de toutes les croyances inventées par
OHV KRPPHV FDU HOOH UDFRQWH VDQV DXFXQH P\WKRORJLH QLGpLWp G¶DXFXQ JHQUH
FHTXLV¶HVWUpHOOHPHQWSURGXLWGDQVO¶XQLYHUVTXHFHVRLWGDQVle nôtre ou dans
FHOXLR'LHXUpVLGH>@0DLQWHQDQWO¶RQFRPSUHQGPLHX[SRXUTXRLODFKUpWLHQWp
a cherché à supprimer la Nuraghelogia, à la rendre incomprise de tous : car
F¶HVW ELHQ FRQQX OHV 6DUGHV QRQ MDPDLV pWp PDvWUHV FKH] HX[ >@ HW VL FHWWH
vpULWp WKpRORJLTXH DYDLW pWp FRQQXH FRPPH DXMRXUG¶KXL FHOD DXUDLW FKDQJp OD
YLHHWO¶KLVWRLUHGHO¶KXPDQLWp » (Altana, 2012 : 44).
135
un comportement populaire « victimaire » face à une oppression de type
hégémonique.
157
Ou Géométrie Vectorielle Unifiée (UVG) : grille énergétique parcourant la Terre dont la forme
VHUDLWXQWULDFRQWDqGUHURPERwGDOG¶DSUqV$OWDQDS
158
Voir Annexe 5.
136
démonstration in vivo de la « force de guérison divine », la science des
QXUDJKHVHPSUXQWHODYRLHG¶XQHWKpUDSLHPLUDFXOHXVHV¶DGUHVVDQWjWRXVHW
sans restrictions aucune, sinon à la condition de respecter la « liturgie » du
rituel et de laisser le champ libre à la MEX MUR PULUMXVIU SVAL YUH159
une fois entré dans le vortex nuragique.
F1XUDJKHWHUDSLD6RLJQHUSDUO¶pQHUJLHFRVPR-tellurique
159
« Âme » dans le langage fourni par De Muro à Altana lors du channeling.
137
« La Nuragheterapia -VRLWOHULWHG¶LQFXEDWLRQ- VHGpURXOHjO¶LQWpULHXUG¶Xn
Nuraghe, lequel donne forme à la loi qui règle la relation subtile existant entre
les êtres et les choses >@&HSULQFLSHYLWDOHVWODIRUFHTXLV¶H[SULPHjO¶HQWUpH
de chaque Nuraghe (la baguette du rhabdomancien y accomplit des tours vers
la gauche, aucun tour au centre, et treize tours à droite). À travers les
pOHFWURGHVGHJUDQLWGHODQLFKHF¶HVWODSRODULWpSRVLWLYHTXLV¶H[SULPHHQWDQW
TX¶HVVHQFH QHXWUH SXLV XQH SRODULWp QpJDWLYH ; une telle disposition triple
représente la base de toute la matière en mouvement et en phase
G¶H[SUHVVLRQ160 » (Ibid. : 129).
160
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
161
Mode de divination à l'aide de baguettes, pratiquée notamment dans la recherche des sources,
des trésors ou des mines. Synon. radiesthésie. Source : http://www.cnrtl.fr/definition/rabdomancie.
162
En endocrinologie, se dit du « stress positif ».
138
puncture qui utilise de pures fréquences énergétiques de lumière et de son
traitant les maladies » (p.139).
Le but de toute thérapie -outre la guérison-HVWO¶pTXLOLEUHpQHUJpWLTXH
du corps humain (synchronisation biorythmique et homéostasie). Cette
KDUPRQLVDWLRQ HVW SHUPLVH SDU OHV FKDPSV PDJQpWLTXHV WUDYHUVDQW O¶pGLILFH
lesquels mêlent ondes cosmiques et telluriques. Ces champs se croisent
SUpFLVpPHQW j O¶LQWpULHXU GX QXUDJKH HW ORUVTXH FHV GHUQLHUV DWWHLJQHQW
O¶RUJDQLVPHKXPDLQSODFpjO¶LQWHUVHFWLRQGHVGHX[© faisceaux ». Il se produit
alors un « massage cosmique » de « nature subtile » perceptible au niveau
des systèmes nerveux et circulatoire. Cette « rencontre ªHQWUHpQHUJLHVQ¶D
SDVOLHXQ¶LPSRUWHRPDis au sein de la « niche » de granit représentée par
le centre même du cylindre lithique.
Ce « bombardement » énergétique agirait sur les radicaux-libres
UHVSRQVDEOHV GX YLHLOOLVVHPHQW GHV WLVVXV SDU O¶LQWHUPpGLDLUH G¶XQH
modification du métabolisme celluODLUH FRPPDQGp GLUHFWHPHQW DX F°XU GH
O¶$'1 KXPDLQ SDU OD PpGLWDWLRQ QXUDJLTXH /H U{OH GH OD SLHUUH JUDQLWLTXH
intervient également dans cette forme de thérapie, mais au titre de « granito-
laser » (p.151), faisceau constitué des mémoires et des propriétés piézo-
pOHFWULTXHV GH OD SLHUUH DORUV FDSDEOH GH GLULJHU HW G¶RUJDQLVHU OH
« message ªGHO¶pQHUJLHUHoXGHODWHUUHHWGXFLHOYHUVOHSDWLHQW(QHIIHW
selon Altana, « La structure cristalline du granit est sensible à un large
VSHFWUHG¶pQHUJLHVGRQWODFRXOHXUODOXPLqUHODSUHVVLRQOHVRQO¶pOHFWULFLWp
les rayons gamma, les micro-ondes, la bioélectricité et même les énergies de
la conscience163 [...] » (p.151). Dans ce sens, le nuraghe agirait comme un
accélérateur de particules, quelque part entre IXVLRQ QXFOpDLUH GH O¶DWRPH164
et ordinateur quantique : « Les sites mégalithiques et les Nuraghes sont de
163
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
164
« Les accélérateurs linéaires statiques sont les Tombes de Géants, les accélérateurs à
impulsion sont les Domus de Janas, les accélérateurs cycliques sont les Nuraghes à couloir
(cyclotron), mais les Nuraghes mono-tour sont des syncrocyclotron, les Nuraghes polylobés sont
des bétatron, les Nuraghes composés sont des cyclotron doubles, un Temple ou Tombeau sont
GHV DQQHDX[ G¶DFFXPXODWLRQ XQ &HUFOH GH W\SH $ HVW XQ DQQHDX G¶DFFXPXODWLRQ FURLVp HW XQ
Puits sacré un accélérateur statique + un cyclotron » (ibid p.160).
139
YUDLV ³VWDUJDWHV³ GHV SRUWDLOV HQWUH OHV UqJQHV XOWUDWHUUHVWUHV SDUDGLV RX
enfers) où les chamanes nuragiens programmaient eux-mêmes la destination
de leur voyage » (Ibid. : 188).
(QWUH O¶pQHUJpWLTXH QXUDJKHORJLTXH HW O¶eJOLVH G¶eWDW GHV GLVFRXUV
cosmologiques se croisent (créationnisme, existence de Dieu et Diable,
prophétisme et salut), des interprétations divergent (Jésus est un extra-
terrestre), GHVLQIRUPDWLRQVELEOLTXHVVRQWUpIXWpHVOHP\WKHG¶$GDPHWÊYH
OHSpFKpRULJLQHO(QUHYDQFKHGDQVOHFDVVXLYDQWO¶RSSRVLWLRQHQWUHeJOLVH
et Satanisme est un dialogue de valeurs bipolaires comme le seraient deux
termes à la fois contraires et alliés contenant un langage commun.
140
satanisme sont issus de toutes les catégories sociales. On part du jeune en
UHFKHUFKH GH VHQVDWLRQV QRXYHOOHV MXVTX¶j O¶DYRFDW DX PpGHFLQ DX
politicien165 ».
165
Source consultée le 04/04/14 : http://www.castedduonline.it/don-max-prete-esorcistavi-svelo-
segreti-satanisti-cagliarivideo#sthash.LT5Pbu7O.dpuf. Article de Marcello Polastri daté du
04/08/2013.
141
O¶pSRTXHRQSDUODG¶pWUDQJHVUpXQLRQVWHQXHVDXF°XUGHODQXLWHWTXHOTX¶XQ
assura avoir aperçu plusieurs fois la lumière des feux et des torches, ou avoir
trouvé le matin suivant des vêtements qui trahissaient sans équivoque, la
présence de sectes sataniques166 » (Bucarelli & alii, 2004 : 113).
166
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
142
E /H -XULVWH HW OH 'LDEOH 2 O¶RQ UHMRXH OH SURFqV GH -XOLD &DUWD SDU
contumace
4XLPLHX[TXHOH'LDEOHHWVHVVXSS{WVSRXYDLHQWLQFDUQHUO¶HQQHPLGX
juriste " ,O QH UHVWDLW SOXV TX¶j débusquer des exemples de rituels attestant
G¶XQH© conspiration subalterne » pour donner vie au fantasme. Comme pour
O¶HQVHPEOHGHFH SUpVHQWWUDYDLO OH ULWXHO HVW OD SRUWH G¶DFFqV TX¶RQW FKRLVLH
nos auteurs pour parvenir à saisir la « pensée sataniste ». Pour ce faire, le
GLVFRXUV GH OD MXVWLFH V¶HPSDUH DORUV GH IDLWV GLYHUV WpQXV UHODWpV GDQV OD
presse locale afin de cristalliser dans des « preuves pFULWHVª O¶H[LVWHQFH
PDWpULHOOHG¶XQ(QQHPLHWTXHOHQQHPL !) à combattre.
&¶HVWjO¶RFFDVLRQGHODSURIDQDWLRQG¶XQFLPHWLqUHGXYLOODJHG¶2ULVWDQR
DXMXLOOHWTXHOHVDXWHXUVVHPEOHQWWURXYHUFHTX¶LOVHVSpUDLHQW
167
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
143
(?). Ces gestes, ces paroles satanistes supposés deviennent effectivement
transgressives du moment où ils empruntent les codes inverses de
O¶KXPDQLVPHODwFGHODUHOLJLRQFKUpWLHQQH GHVLQVWLWXWLRQVGRPLQDQWes pour
les parodier, les détruire, les détourner. Par conséquent, cette forme de
pseudo-VDFUDOLWp Q¶D SDV G¶H[LVWHQFH VDQV O¶REMHW TX¶HOOH DEKRUUH : le Dieu
ERQO¶eJOLVHFKUpWLHQQHO¶KXPDQLVPH
Malgré le caractère alarmiste des termes employés par les
tpPRLJQDJHVpYDVLIVDXFXQHSUpFLVLRQQ¶HVWIDLWHVXUOHJHQUHGHULWXHOVXUOH
type de public participant, éléments qui auraient pu donner de la chair au
récit. Les « on-dit ªVHVXFFqGHQWVDQVWpPRLJQDJHVGLUHFWVHWVDQVTXHO¶RQ
Q¶DSSUHQQHULHQGHVDFFXsés de cette histoire... Histoire qui discourt bien plus
VXUVHVDXWHXUVO¶LQVWLWXWLRQTX¶LOVUHSUpVHQWHQWHWOH mythscape dont ils sont
porteurs, que sur les « Satanistes » fantômes :
Ces deux exemples, bien loLQ G¶DWWHVWHU XQH SUpVHQFH UpHOOH HW
FRQVpTXHQWHUHQIRUFHQWOHVRXSoRQTXHO¶RQSHXWSRUWHUVXUOHUHJDUGSDUWLDO
des juristes eux-PrPHV6LFHVDXWHXUVRQWpFULWXQOLYUHUHPSOLG¶DOOpJDWLRQV
et de projections supputatives, ce dernier témoigne en effet bLHQ SOXV G¶XQH
168
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
144
grille de lecture « classique » du rituel subalterne en Sardaigne, que de faits
UpHOOHPHQWFRQWHPSRUDLQVHWUpSDQGXV'¶DSUqVQRWUHK\SRWKqVHOHGLVFRXUV
des juristes sardes de cet ouvrage fait simplement169 sens dans le paysage
magico-religieux dont il est issu. Ces hommes de loi rappellent la nécessité
G¶XQ FDGUH PRUDO UHOLJLHX[ HW OpJDO QRUPDWLI j O¶DLGH GH VWpUpRW\SHV
détonnants. Ces clichés sont malgré tout investis de la continuité historique
G¶XQregard subalterne bien antérieur :
Une fois encore, les symboles violés -lesquels sont sacralisés par la
norme catholique ou éthique comme les calices, le lieu consacré, le corps
mort-, sont aussi ceux que les juristes mettent en exergue pour justifier une
sorte de nouvelle « chasse aux sorcières ª/D/RLG¶eWDWIDLWDORUVFROOXVLRQ
DYHF OD UDLVRQ GH O¶KpJpPRQLH HFFOpVLDOH SRXU GpQRQFHU G¶XQH VHXOH YRL[ HW
officiellement O¶K\SRWKpWLTXH PHQDFH GpYLDWLRQQLVWH GDQJHUHXVH G¶XQH
nouvelle pseudo-subalternité.
169
3UpFLVRQV TX¶LFL © simplement » est à entendre comme « aisément compréhensible dans »,
mais certainement pas dans le sens péjoratif du contraire de « complexe ». NdlA.
170
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
145
Les nouveaux sbires diaboliques de Julia Carta sont pourtant
cruellement invisibles dans le paysage réel sarde, même si quelques blogs
mal informés, quelques sites de Black Metal ou quelques journaux
accréditent cette piste fantasmagorique : « 1RWUH vOH HVW O¶XQH GHV FLQT
UpJLRQVG¶,WDOLHDXVHLQGHVTXHOOHVOHFXOWHGX'pPRQHVWOHSOXVGLIIXVp/HV
premiers dRFXPHQWV TXL WpPRLJQHQW GH O¶DGRUDWLRQ GX 'pPRQ HQ 6DUGDLJQH
VRQW OHV DFWHV MXGLFLDLUHV GX 7ULEXQDO GH /¶,QTXLVLWLRQ 171 » (Andrea Governi,
2014). Contrairement aux nombreuses arrestations du XVIè s., les suppôts
du Démon du XXIè s. restent des figures virtuelles, agitées par la « nouvelle
Inquisition » soft issue de la domination institutionnelle italienne et
contemporaine.
Seul le « satanisme » musical -souvent associé au paganisme sarde-,
VHPEOH pSRXVHU SHX RX SURX O¶LPDJH TXH OHV DXWRULWpV RQW LPDJLQpH SRXr
qualifier la « marge spirituelle » sarde172. Mais la poésie -un peu brute,
certes- GH OHXUV FKDQVRQV Q¶D MDPDLV pJRUJp GH SRXOHW /D UKpWRULTXH
employée par ces groupes musicaux est celle de la peur, du pouvoir occulte
GLDEROLTXH GH O¶DQWL-norme absolue, socialement et spirituellement
dangereuse. Parfois, cette rhétorique liminaire rejette également le discours
« religieux ª TX¶HOOH VHPEOH SRXUWDQW DIILUPHU D SULRUL GDQV O¶HVWKpWLTXH
DIILFKpH FURL[ j O¶HQYHUV EODVSKqPHV QRLUFHXU SDURGLH UHOLJLHXVH Slaçant
DLQVL O¶RSSRVLWLRQ j OD QRUPH GX F{Wp G¶XQ GLVFRXUV VDUGH LGHQWLWDLUH ©
6¶8UWKX : Les thèmes principaux de nos chansons sont liés étroitement à la
FXOWXUH VDUGH GHSXLV OD ILJXUH GH O¶$FFDEEDGRUD173 dans chacun de ses
aspects à celui des légendes et des traditions locales ; évidemment chaque
WH[WH HVW OH IUXLW G¶XQH UHFKHUFKH VpULHXVH HW OHV WKpPDWLTXHV VDWDQLVWHV HW
SVHXGR GLQJXHV VRQW LQWHUGLWHV FDU FH TXL QRXV LQWpUHVVH F¶HVW IDLUH GH OD
171
http://www.sandalyon.it/storie/item/77-satanismo-in-sardegna.html. 7UDGXLW GH O¶LWDOLHQ SDU QRV
soins.
172
Voir Annexe 11.
173
'H PrPH TX¶XQH IHPPH kJpH PHWWDLW DX PRQGH OHV HQIDQWV GDQV O¶DQFLHQ PRQGH SD\VDQ
VDUGH F¶HVW XQH YLHLOOH IHPPH VDJH TXL SUDWLTXDLW O¶HXWKDQDVLH GHV PRXUDQWV VXU GHPDQGH GH OD
famille. Elle les exécXWDLW OD SOXSDUW GX WHPSV j O¶DLGH G¶XQ PDUWHDX Su Mazzolu. Les dernières
accabbadores sont recensées jusque dans les années 1960 en Sardaigne. NdlA.
146
culture, pas de la religion »174. Mais de ce point de vue également, la
rhétorique du Black Metal rejoint le discours de la norme, précisément parce-
TX¶HOOH VHPEOH UpSRQGUH HQ WRXW SRLQW DX IDQWDVPH GH FHWWH GHUQLqUH HQ
épousant la cause de la sardité comme « fait culturel » subalterne et
underground. Dans tous les cas de figure, le courant Sardinian Occult Black
Metal VH SODFH G¶HPEOpH GDQV OH FDPS GHV maudits désignés par la morale
RIILFLHOOH '¶DXWUH SDUW O¶HPSORL GH OD ODQJXH VDUGH GDQV OHV FKDQVRQV GX
groupe sus-cité pourrait être agité comme un contrepoint notable à la norme
de la langue officielle italienne, mais ce serait négliger encore une fois la
dimension esthétique et artistique manipulée à travers ce prétexte identitaire :
« &HUWDLQHPHQWGDQVFHFKRL[>FHOXLG¶pFULUHHWGHFKDQWHUHQVDUGHNdT], il y
D SOXV G¶DYDQWDJHV TXH G¶LQFRQYpQLHQWV (Q SUHPLHU QRXV YDORULVRQV QRWUH
SDWULPRLQH OLQJXLVWLTXH HW HQ VHFRQG EHDXFRXS G¶H[SUHVVLRQV HQ VDUGH
VRQQHQWPLHX[TX¶HQLWDOLHQ/H6DUGHHVWXQHODQJXHPDJLTXHTXLWHSHUPHW
de rendre expressivement au mieux les nuances des sujets traités [...]175 ».
'¶DSUqV OHV EORJV OHV VLWHV HW OHV UpSRQVHV GLUHFWHV G¶LQIRUPDWHXUV OD
présence du Black Metal en Sardaigne -comme peut-être partout ailleurs, qui
sait ?-Q¶HVWDXFXQHPHQWOHVLJQHGHO¶H[LVWHQFHG¶XQ© complot subalterne »
FRQWUHO¶eJOLVHQLFRQWUHO¶eWDW1LPrPHODSUHXYHTXHOH6DWDQLVPHDFFROpDX
phénomène musical Black Metal soit une forme spirituelle sarde réelle plutôt
TX¶XQ PRGH FRQWHPSRUDLQ GH FRQWHVWDWLRQ YDJXHPHQW LGHQWLWDLUH HW
transgressif.
'¶DXWUH SDUW GDQV OD GpQRQFLDWLRQ G¶XQ (QQHPL DEVROX OD QRUPH
MXULGLTXHV¶LPSRVHHQILOLJUDQHFRPPHOH© bon modèle » à suivre, appuyé par
174
Extrait en ligne G¶XQ HQWUHWLHQ DFFRUGp DX JURXSH $FFDEEDGRUD HW j VRQ FKDQWHXU 6¶8UWKX
http://www.mondometalwebzine.com/interviste/intervista.php?id=16 7UDGXLW GH O¶LWDOLHQ SDU QRV
soins.
175
Voir http://www.mondometalwebzine.com/interviste/intervista.php?id=167UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDU
nos soins.
147
O¶DXWRULWp GHV LQVWLWXWLRQV : « Le fait que dans notre île restent enracinés la
coutume et le maintien de telles pratiques -limitées cependant dans
O¶H[WHQVLRQGHVIDLWV-, réclame une grande attention de la part des institutions
sociales, administratives et judiciaires, étant donné la dangerosité émulative
du phénomène176 » (Bucarelli & alii, 2004 : 143). Dans cette affirmation de
O¶KpJpPRQLHLQVWLWXWLRQQHOOHF¶HVWODFXOWXUHFDWKROLTXHDVVRFLpHjO¶eWDWLWDOLHQ
qui est présentée comme seule légitime, par rapport à une déviance
antisociale essentialisée sous la forme du Satanisme : « Le patrimoine
historique, artistique, social de notre île -IDFH j OD PDQLIHVWDWLRQ G¶XQH
mentalité parfois déviante ou antisociale-, sont les aspects les plus forts de la
³VDUGLWp³ TXL QRXV FDUDFWpULVH ; la première expression est à conserver et à
transmettre, mais la seconde est à blâmer et à reconduire à son juste niveau
dans la culture177 » (Ibid/¶LGHQWLWpVDUGHHVWLFLFODLUHPHQWDVVRFLpHj
O¶LGpHG¶XQSDWULPRLQHGRQWO¶KpJpPRQLHLQVWLWXWLRQQHOOHVHUDLWO¶XQLTXHJDUDQWH
la seule force capable de le contenir dans une expression socialement
« dominante ». Or, le rituel magico-UHOLJLHX[VDUGHQ¶HVW© patrimonialisable »
que dans la mesure où il est reconnu comme « pertinent ª SDU O¶eWDW DLQVL
TXH O¶LQGLTXH FH WH[WH GH ORL LVVX GX 0inistère de la Culture et du Tourisme
italien : « La Direction générale pour la valorisation du patrimoine culturel
développe des fonctions et des devoirs dans les secteurs de la promotion de
la connaissance, de la réalisation publique et de la valorisation du patrimoine
FXOWXUHOHQFRQIRUPLWpjFHTXLHVWGLWGDQVO¶DUWGXFRGHHQUHVSHFWjWRXV
OHVLQVWLWXWVHWOLHX[GHODFXOWXUHGpFULWVGDQVO¶DUWDX[SDUDJUDSKHVHW
GXPrPH&RGHOHVTXHOVVRQWSHUWLQHQWVSRXUO¶eWDWRXELHQFRQVWLWXpVSDU
O¶eWDW178 ».
176
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
177
7UDGXLWGHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
178
Texte de loi : 2009, 10, § 8. Source :
http://www.sardegna.beniculturali.it/MW/mediaArchive/Pdf/2cecb8aba1327afe91430a4711a64f3d_
DPR_233_2007_aggiornato.pdf. Consulté le 06/04/2014. Traduit dHO¶LWDOLHQSDUQRVVRLQV
148
$LQVL F¶HVW O¶hégémonie culturelle elle-même qui tend à fabriquer et à
reproduire une forme de subalternité artificielle, en sélectionnant en amont ou
HQ H[FOXDQW G¶HPEOpH FHUWDLQV pOpPHQWV GH OD © sardité » de façon
autocratique. Les faits divers sur lesquels se basent les « preuves » de
O¶H[LVWHQFHGHFHSKpQRPqQHVDWDQLVWHVRQWYDJXHVHWQ¶DSSRUWHQWGRQFSDV
GHWpPRLJQDJHDFFUpGLWDQWODSRVVLEOHFRQWLQXLWpG¶XQHsubalternité religieuse
UpHOOHGDQVO¶qUHGXWRXW-global sarde.
149
de nouveaux foyers néo-païens que les paradigmes anciens ne pourront plus
QL UpGXLUH QL FRQWHQLU GDQV O¶HQYLURQQHPHQW G¶XQ oppositionnalisme
systématique.
----------------------
150
CONCLUSION
&RPSDUHUSRXUQHSDVV¶HQIHUPHU
151
la lecture lorsqXHO¶RQVRXKDLWHJDUGHUXQHGLVWDQFHjSHXSUqVREMHFWLYH 179 à
son sujet. Toutes les fois où notre thème apparaissait à la fois « trop
proche », « trop compris », « trop évident ªV¶LPSRVDLW DORUV OD QpFHVVLWpGH
OD FLUFRQYROXWLRQ FRPSDUDWLYH DILQ G¶pYLWHU GH YRLU O¶île mentale théorique se
refermer sur elle-même.
La comparaison entre les mouvements mondiaux de salut et la
6DUGDLJQHWRXWHIRLVV¶DUUrWHOjFDUOHULWXHOPDJLFR-UHOLJLHX[LQVXODLUHQ¶DSDV
FRQVWLWXp MXVTX¶j SUpVHQW XQH TXHOFRQTXH XQLWp DXWRXU G¶XQ LQGLYLGX
charismatique et prophète ; ce courant diffus, acéphale, fut et demeure une
réponse collective et populaire non concertée, laquelle a été révélée en tant
TX¶HQWLWpUHOLJLHXVHVXUWRXWSDUGHVGRPLQDWLRQVpWUDQJqUHVGpVLUDQWV¶DIILUPHU
en contrepoint. Si Altana récemment prétend fonder à lui seul un courant
spirituel autour de la Nuraghelogia F¶HVW Oj XQ SKpQRPqQH LVROp TXL UHOqYH
SOXVG¶XQFKRL[SHUVRQQHOTXHG¶XQ© ressort insulaire » habituel ou récurrent.
La teneur de ses textes, par contre, correspond assez bien aux tendances
religieuses alternatives OHVTXHOOHV VRQW VRXUFH G¶agency et de créativité
ULWXHOOHSRXUOHVSUDWLTXDQWVG¶pQHUJpWLTXHOLWKLTXHRXGHUKDEGRPDQFLH'DQV
les nouveaux contextes post-humanistes180 qui se dessinent, le terme
« subalterne » conserve-t-il encore toute sa pertinence ?
179
6L WRXWHIRLV O¶REMHFWLYLWp Q¶HVW SDV pJDOHPHQW XQ GRJPH LOOXVRLUH HW YDULDEOH WRXW FRPPH OD
« preuve » scientifique ! NdlA.
180
Idéologie de la fin du XXè s. qui postule un dépassement égalitariste du cadre humain pour
UHQGUHO¶LGpHG¶XQHFDWpJRULHXQLYHUVHOOHGHODGRPLQDWLRQSDUO¶LQWHOOLJHQFHSDUWDJpH/D© fin » de
ODVHXOHGRPLQDWLRQKXPDLQHKXPDQLVWHLQFOXWO¶DFFHSWDWLRQG¶XQHFRH[LVWHQFHGHSRXYRLUDYHFOD
machine « KXPDQRwGHªHWO¶DQLPDODORUV© despécisé ».
152
faire ce quelque chose de nouveau, G¶LGHQWLWDLUH SROLWLTXH HW VSLULWXHO que
Vittorio Lanternari a si bien décrit dans Les Mouvements religieux des
peuples opprimés : « 2QQ¶DSDVXQHSHUPDQHQFH³VWDWLTXHHWLQIpFRQGH³GH
OD UHOLJLRQ ³SDwHQQH³ DQWpULHXUH DX KHXUW QL XQH DFFHSWDWLRQ SDVVLYH GH OD
religion européenne, mais bien une série de formations substantiellement
³QHXYHV³/HXUQRXYHDXWpFRQVLVWHVXUWRXWHQXQDFFURLVVHPHQWGHODYDOHXU
³VDOYDWULFH³ GH OD UHOLJLRQ WUDGLWLRQQHOOH HW HQ O¶DIILUPDWLRQ pQHUJLTXH GH OD
liberté » (Lanternari, 962 : 270). Entre salut religieux et liberté politique, il y a
le rituel magico-religieux, cet objet-frontière éternellement créatif, mais aussi
marginal UHIOHW HW DFWHXU G¶XQ FOLYDJH SRUHX[ GHV SRSXODWLRQV HQWUH ILGpOLWpV
SDwHQQHV HW HPSUXQWV FRORQLDX[ '¶DXWUH SDUW O¶DQDO\VH KLVWRULTXH GH
quelques chroniques du procès de Julia Carta montrent que des ressources
spirituelles non officielles peuvent se développer comme contre-pouvoir
craint par une hégémonie. De par sa créativité et cet aspect de contre-
SRXYRLU O¶LGHQWLWp UHOLJLHXVH subalterne pouvait bien se situer quelque part
HQWUHXQHILHUWpG¶DSSDUWHQDQFHTXLUHYHQGLTXHHWVHGLVWLQJXHYRORQWDLUHPHQW
GHO¶officiel, et une forme de résignation collective qui pousse à la soumission
ou au séparatisme. Cependant, les cadres structurels anciens (nation,
village, famille), les séparateurs sociaux tels que la classe ou la religion,
GLVWLQJXHQW DXMRXUG¶KXL PRLQV TX¶LOV QH FRPPXQLTXHQW HW UHoRLYHQW
O¶LQIRUPDWLRQSDUO¶LQWHUPpGLDLUHGHVPrPHVPDWULFHVPpGLDWLTXHVpPLVVLRQV
GH WpOpYLVLRQ WHFKQRORJLH PRELOH &¶HVW DLnsi que les discours alternatifs
actuels semblent sortir la spiritualité des impasses oppositionnelles passées,
WRXWERQQHPHQWHQLJQRUDQWOHXUDQFLHQVWDWXWG¶© indépassabilité » grâce181 à
la prégnance moindre de ces séparateurs.
181
Ou bien « à cause ª,OQ¶HVWSDVGHQRWUHUHVVRUWG¶HQMXJHU
153
sociale des néo-paganismes en Sardaigne qui devrait être relativisée. Ces
derniers empruntent en effet les voies de traverse de la globalisation des
spiritualités créatives dites New Age pour redécouvrir le local, la mythologie
et les mégalithes sardes, pour conquérir les publics désacralisés, désabusés
et institutionnalisés que décrivait Magliocco. Le sacré subalterne disparu au
lendemain de la spectacularisation des fêtes dans les années 1980
reviendrait-LO DXMRXUG¶KXL VRXV OD IRUPH VWDELOLVpH G¶XQH VSLULWXDOLWp QRQ SOXV
subalterne, mais... banale, au sein d¶XQH© équivalence entre différences » ?
&¶HVWQRWUHSURSRVLWLRQ
154
mouvements néo-païens sortent bien du cadre subalterne pour entrer dans la
banalité globalisée des conduites individuelles. Ceci reste vrai toutefois
lorsque ces derniers restent en-deçà de la nouvelle « morale laïque » et post-
KXPDQLVWH SRUWpH SDU O¶DFFHSWDWLRQ GX VWDQGDUG GHV 'URLWV j OD 3HUVRQQHHW
GHO¶$QWL-Spécisme182. Ainsi, un Nuraghelogue ne sera pas forcément désigné
comme un « asocial » par la nouvelle norme qui se dessine, alors que le
YLROHXU G¶HQIDQW OH WRUHUR RX OH GLFWDWHXU GpJUDGDQW WRXU j WRXU O¶LPDJH GH
O¶+RPPH GH O¶$QLPDO HW GHV OLEHUWpV LQGLYLGXHOOHV RXL 0DLV TXL VH VRXFLH
encore des déprédations dans les églises ? Sans hégémonie étatique et
ecclésiastique, que devient donc la subalternité ?
182
/¶DQWL-spécisme est un mouvement soutenu par le philosophe australien Peter Singer défendant
un droit animal sur le modèle des droits humains, sur la base de cette affirmation : « Le spécisme
est l'idéologie qui justifie et impose l'exploitation et l'utilisation des animaux par les humains de
manières qui ne seraient pas acceptées si les victimes étaient humaines». Source :
http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article13. Consulté le 02/04/2014.
155
de la pensée rituelle sarde, à la fois plurimillénaire et WUDYHUVpHTX¶HOOHHVWSDU
les idéaux provenant des flux du mediascape ? Cet aspect récessif de la
transformation conjointe à une forme de permanence du rituel sacré fut
facilité de tout temps en Sardaigne par un double facteur cyclique et
G\QDPLTXHjODIRLVG¶RUGUHUHOLJLHX[HWG¶RUGUHSROLWLTXH1RXVDYRQVG¶DERUG
la conquête chrétienne hégémonique puis le recul de son emprise de nos
MRXUV PDLV DXVVL O¶LPSRVLWLRQ G¶RUGUHV SROLWLTXHV pWUDQJHUV j TXRL VXFFqGH
DXMRXUG¶KXL XQ UHOkFKHPHQW GHV VWUXFWXUHV pWDWLTXHV DX EpQpILFH G¶XQ
« nouvel ordre mondial » plus diffus et moins prégnant localement.
En regard de la longue histoire des invasions en Sardaigne et au
prisme de la dualité gramscienne, nous pourrions presque dégager une
tendance historique de ce double mouvement jO¶LQIODWLRQG¶XQHFULVHVRFLDOH
H[SULPpH GDQV O¶H[DFHUEDWLRQ GHV VWDWXWV VRFLDX[ pFRQRPLTXHV HW UHOLJLHX[
succède souvent un effacement brutal de ces contrastes. Les guerres, les
révolutions183 RQWpWpWUDGXLWVSDU0D[:HEHUFRPPHOHVUHYHUVDWWHQGXVG¶XQ
même cycle historique, lorsque la tradition décatie avait épuisé toutes
UHVVRXUFHVDXEpQpILFHG¶XQHQRXYHDXWpFHUWHVSOXVDEUXSWHPDLVDXVVLSOXV
idoine. Il en serait peut-être de même, qui sait, avec la globalisation, laquelle
opère une transition vers des conséquHQFHV LQFRQQXHV GH O¶HWKQRORJXHFHW
historien du présent.
Cette « révolution » appelle aussi la révision de certains postulats des
sciences humaines, dont le cadre fournissait autrefois des analyses étayées
par des réalités de terrain. De quelle subalternité spirituelle parle-t-on
FRQFUqWHPHQW DXMRXUG¶KXL ? De quelle hégémonie ? Si le cas sarde fut
particulièrement illustratif pour ce genre de contrastes socio-religieux
DXWUHIRLV TXL SHXW SUpWHQGUH DXMRXUG¶KXL TXH OHV DGHSWHV GHV VSLULWXDOLWpV
lithiques ou de la Stregheria doivent être persécutés ? Au nom de quelle
autorité hégémonique le pourrait-RQG¶DLOOHXUV ?
183
Tout comme les changements de paradigmes scientifiques pour Kuhn !
156
Ceci nous amène à vouloir comprendre quels sont ces nouveaux
publics décrits par Sabina Magliocco il y a trente ans maintenant et qui
conjuguent jSUpVHQWOHULWXHOVSLULWXHOjODUpFUpDWLYLWpG¶XQORLVLULQGLYLGXHO ?
,OVUHVWHQWHQFRUHjGpFRXYULUjWUDYHUVO¶XVDJHHWOHVGLVFRXUVTX¶LOVGRQQHQW
autour de cette forme hybride de religiosité contemporaine. Hors de
O¶LQVWLWXWLRQFHWWHIRLV
184
Lesquels ?
185
Voir : http://www.dourish.com/classes/readings/Marcus-MultiSitedEthnography-ARA.pdf
157
phénomènes étudiés186 et non les réifier dans des catégories imperméables a
priori. La décomposition en six aspects de cette ethnographie dite post-
moderne nous donne un cadre souple dans lequel insérer nos propres
thèmes de recherche futurs. Ainsi, nous pourrions suivre les membres des
associations ou des individus pratiquant une forme émergente de spiritualité
sur les lieux de leurs manifestations dévotionnelles ou énergétiques
publiques ou privées QRXV HVVDLHURQV G¶LGHQWLILHU GH UHWUDFHU HW GH
FRQWH[WXDOLVHU OH SDUFRXUV G¶XQ VDFUp alternatif plutôt que de rechercher la
perspective subalterne à tout prix. Nous tenterons également de « suivre la
métaphore » des discours des pratiquants, sans oublier le background des
mythes sardes en constant réinvestissement dans ces pratiques (les
« allégories ª7RXWHIRLVGDQVODSRXUVXLWHGHO¶pOpPHQW© conflictuel » en jeu
dans ces dynamiques contemporaines, il nous faudra nous pencher sur
O¶pYHQWXDOLWpGHO¶DVSHFWPLOLWDQWRXSURVpO\WHGHFHVQRXYHOOHVVSLULWXDOLWpVHW
comprendre contre quoi un côté subalterne en lutte peut réémerger
DXMRXUG¶KXL3RXUUDLW-RQGHFHIDLWHQYLVDJHUO¶pPHUJHQFHGHQRXYHOOHVIRUPHV
de dualisme « hégémonie-VXEFXOWXUHª DX F°XU GX UHODWLYLVPH GHV
propositions religieuses ? Seul un terrain prolongé, approfondi et
comparatiste sera bien entendu en mesure de donner une suite à de telles
questions démologiques fondamentales.
186
Les six « piliers ªRULJLQDX[GHODPpWKRGHG¶HQTXrWHmulti-située de Marcus sont les suivants :
Follow the people ; Follow the thing ; Follow the metaphor ; Follow the Plot, Story and Allegory ;
Follow the conflict.
158
cosubstantielle aux changements dus à la globalisation récente et aux
permanences structurelles de la pensée mythique sarde. Selon Marc Augé,
la continuité de cette paganité VHUDLWGXHjXQLPSpUDWLIVRFLDOGHO¶pFKDQJHj
ODQpFHVVLWpGHSDVVHUSDUO¶H[SpULHQFHGHO¶$XWUHSRXUVHVDLVLUGX6RL&HW
auteur envisage donc la reproduction des schémas symboliques un peu
comme Bourdieu envisage la reproduction sociale : « Nous dirons [...], que le
SDJDQLVPHHVWDFWXHOGDQVOHVVRFLpWpVFKUpWLHQQHVQRQSDVjODIDoRQG¶XQH
survivance ou à la faveur de la déchristianisation mais précisément du fait de
sa dimension anthropologique. Cette actualité ou cette pérennité de la
SHQVpHSDwHQQHQRXVSDUDvWOLpHSUpFLVpPHQWjO¶LPSRVVLELOLWpSRXUO¶LQGLYLGX
G¶rWUHSRXUOXL-même objet de pensée sans référence à autrui et sans figures
G¶LGHQWLILFDWLRQ » (Augé, 1982 : 103).
159
SURFHVVXVDIILQpSDUOHWHPSVHWOHVFLUFRQVWDQFHVKLVWRULTXHVTXHG¶XQHSULVH
de conscience individuelle et spontanée ? Quelques décennies de recul sur
les effets du « monde global ªQRXVO¶DSSUHQGURQWFHUWDLQHPHQW
'¶DXWUH SDUW QRQ SOXV pWXGLp j OD IDoRQ pYROXWLRQQLVWH GHV 7\ORU HW
Frazer, le paganisme des temps contemporains doit être envisagé
aXMRXUG¶KXLSRXUOXL-même, et pas seulement comme le pendant négatif des
« grands monothéismes ª WRXW FRPPH O¶RQ SRXYDLW GLUH DXWUHIRLV TXH
O¶,QGLJqQHQ¶H[LVWDLWSDVHQSURSUHVDQVOHrévélateur colonial. Le parallèle est
certes hardi, mais en outre, il noXVSDUDvWLPSpUDWLIGHV¶H[WUDLUHGHVVFKpPDV
asymétriques périmés pour entrer de plain-pied dans les logiques mouvantes
de la globalisation présente (désirée ou non), de se laisser guider par
O¶LQFRQQX SOXV TXH SDU QRV YLHX[ UpIOH[HV GLVFLSOLQDLUHV HW LGpologiques.
eYLGHPPHQWFHODQHUDVVXUHSDV&HSHQGDQWLOV¶DJLWOjGHUHQRXHUDYHFOHV
DXGDFHVIRQGDPHQWDOHVGHO¶DQWKURSRORJLHTXLHVWSRXUQRXVDYDQWWRXWXQH
VFLHQFH GX GpIULFKHPHQW HW GH OD GpFRXYHUWH SOXV TX¶XQ JDUGLHQQDJH
assermenté de la conservation patrimoniale. Aux religions, aux patrimoines
VUV GH OD YDOHXU GH OHXU REMHW SHUVRQQHOOHPHQW QRXV SUpIpURQV O¶pWXGH
aventurière du sacré sauvage FHOOH TXL SHUPHW j 0DXVV G¶DIILUPHU WRXW
O¶LQWpUrWG¶XQHUHFKHUFKHVFLHQWLILTXHDX[FRQILQVDQRPLTXHVGHV disciplines et
des cadres sociaux.
160
cadres scientifique doit rester un indice de nos propres représentations sur le
monde et non les remplacer. Nos représentations, tout comme celles des
pratiquants nos « informateurs », désigneront toujours un moment évolutif de
ODVFLHQFHRXGHO¶KLVWRLUHLQFDUQpHVTX¶HOOHVRQWO¶XQHHWO¶DXWUHGDQVOHIOX[
des idéologies et des modes : « LHVWKpRULHVVFLHQWLILTXHVQ¶RQWSDVSRXUEXW
de décrire, même en partie, la réalité. Elles ont seulement pour but
G¶RUGRQQHUHWGHUHSUpVHQWHUDXPLHX[QRVREVHUYDWLRQV » (Chaberlot, 2012 :
185). Tout phénomène nouveau devrait donc questionner nos anciens
cadres.
De ce point de vue, les « nouvelles » formes sardes de sacralité
possèdent toute la légitimité pour nécessiter de plus amples analyses dans
un proche avenir. Afin de sortir ce sujet sauvage des limbes fantasmatiques
dans lesquelles la science, la rHOLJLRQRXO¶LJQRUDQFHWRXWHQVHPEOHO¶RQWSODFp
au cours des tâtonnements ou des condamnations précédents, gageons que
nous puissions nous acquitter de cette tâche dans ces prochaines années, et
aussi bien que cette étude le mérite.
----------------------
161
ANNEXES
- 8QXFKLHHVWFXVW¶XQX ?
- Custu est Martine in su fuchile nudu.
- E da chi ses Martine, de sas dòichi paràgulas adornDGDVPLQG¶DVDQjUUHUXQD !
- Una : prus est su sole chi no est sa luna.
- 0LQG¶DVDQjUUHUGXDV !
- Duas : pro sas duas tàulas de Moisè, cando Gesù Gristu abbascesi a pè in terra
in Jerusalèm, nande Deus Babbu, Deus Fizzu, Deus Ispìridu Santu. Amen. Una,
prus est su sole chi no est sa luna.
- 0LQG¶DVDQjUUHUWUHV !
- Tres pro sas tres Marias, duas pro sas duas tàulas de Moisè, una... etc.
RQUpSqWHHQVXLWHODIRUPXOHHQUHSDUWDQWYHUVO¶DUULqUHjPHVXUHTXHO¶RQDYDQFH
GDQVO¶pQRQFLDWLRQGHVQRPEUes vers le chiffre douze).
- 0LQG¶DVDQjUUHUEDWWRU !
- Battor : pro sos battor evangèlios, tress pro sas tres Marias, etc.
- Chimbe PLQG¶DVDQjUUHUFKLPEH !
- Chimbe : pro sas chimbe pragas, battor pro sos battor evangèlios, etc.
- Ses PLQG¶DVD nàrrer ses !
- Ses : pro sas ses candelas, chimbe pro sas chimbe pragas, etc.
- Sette PLQG¶DVDQjUUHUVHWWH !
- Sette : pro sos sette donos, ses pro sas ses candelas, etc.
- Otto PLQG¶DVDQjUUHURWWR !
- Otto : pro ses otto coros, sette pro ses sette donos, etc.
- Nove PLQG¶DVDQjUUHUQRYH !
- Nove pros sos nove ordinamentos, otto pro sos otto coros, etc.
- Deche PLQG¶DVDQjUUHUGHFKH !
- Deche : pro ses deche cumandamentos, nove pro sos nove ordinamentos, etc.
- Undichi PLQG¶DVDQjUUHU ùndichi !
- Undichi pro sas undichimizza virgines, deche pro sos deche cumandamentos, etc.
- Dòichi PLQG¶DVDQjUUHUGzLFKL !
- Dòichi : pro sos dòichi apostolos, ùndichi pro sas ùndichimizza virgines, etc.
- Trèichi PLQG¶DVDQjUUHUWUqLFKL !
- TrèLFKLQRQE¶HVWLQOq !
162
Annexe 2. Le patrimoine populaire devient hégémonique (1).
&HGRFXPHQWpPLVSDUO¶8QLYHUVLWpGH&DJOLDULHQSDUWHQariat avec la Région
Autonome de la Sardaigne propose un colloque sur le patrimoine sarde ainsi
que sur sa perception par les chercheurs en anthropologie démologique et en
ethno-histoire depuis A. M. Cirese.
163
Annexe 3. Le patrimoine populaire devient hégémonique (2).
/H&RPLWpSRXUOH'pYHORSSHPHQWeFRQRPLTXHHWOH7RXULVPHV¶DVVRFLHLFLj
O¶,QVWLWXW6XSpULHXU(WKQRJUDSKLTXHHWjODFDSLWDOH&DJOLDULSRXUSURSRVHUGHV
conférences sur le sujet confondu du vêtement populaire et des processions
religieuses (toujours populaires ?).
164
Annexe 4. Mythologie contemporaine et sacralisation de la nature : la
« Nuraghelogia ».
Article « Les révélations de la Nuraghelogia », extrait du journal sarde Millo,
storie inedite di Sardegna QSDU$QWRQLR6DQQDGDWpG¶DRt 2011.
Source : http://scienzeolistiche.files.wordpress.com/2011/08/millo.pdf
165
Annexe 5([WUDLWGHO¶RXYUDJHNuraghelogia, de R. Altana (p.100).
« Les Versets de la Nuraghesofia ».
166
Annexe 6. Exemple de stage énergétique auprès des mégalithes (1).
Ce dépliant recto-verVR DQQRQFH OH SURJUDPPH G¶XQ VWDJH GH SUDWLTXHV
énergétiques et spirituelles pour le 12 août 2011, dans le nord-HVW GH O¶vOH
émanant de « O¶,QVWLWXW GHV VFLHQFHV +ROLVWLTXHV », une association privée à
buts thérapeutiques.
167
Annexe 7. Exemple de stage énergétique
auprès des mégalithes (2).
Dépliant posté sur Facebook annonçant
un parcours énergétique à Arzachena
(nord-HVWGHO¶vOHSRXUOHDYULO
Source :
https://www.facebook.com/Nuraghelogia/p
hotos/gm.557964754310570/5500880417
73437/?type=1
187
« Cagliari Lieux énergétiques ».
168
Annexe 9. Le « Nuragisme », une spiritualité « archéo-contemporaine » ?
Ce dépliant posté sur Facebook annonce une conférence sur la spiritualité
FRVPLTXH GHV 1XUDJLHQV $ QRWHU OD SUpVHQFH G¶XQ MRXUQDOLVWH $QWRQLR
Sanna (La nuova Sardegna FKDUJp GH FRRUGRQQHU FHWWH MRXUQpH HW G¶XQ
prêtre missionnaire catholique, Padre Nicola Manca188, qui est également un
WKpRORJLHQUHFRQQXSDUOD3DSDXWpHWXQJUDQGDPDWHXUG¶DUFKpRORJLHVDUGH
188
/H3qUH0DQFDHVWpJDOHPHQWUHVSRQVDEOHGHO¶,QVWLWXWGHV0LVVLRQV3RQWLILFDOHV([WpULHXUHVHW
un ami de feu-Jean-3DXO ,, 3RXU SOXV G¶LQIRUPDWLRQV VXU OD GpILQLWLRQ GH O¶DQFLHQQH UHOLJLRQ
nuragique par le Père Manca, voir :
http://lanuovasardegna.gelocal.it/sassari/cronaca/2013/06/05/news/i-pozzi-sacri-simbolo-di-liberta-
sociale-1.7204406. Consulté le 15/04/2014.
169
Annexe 10. Géobiologie
ésotérique.
Dépliant cagliaritain
posté sur Facebook
DQQRQoDQW OD WHQXH G¶XQ
séminaire de géobiologie
ésotérique organisé par
Mauro Aresu sur le
thème des lieux
énergétiques de Cagliari.
189
Ou « rituel obscur », NdT.
190
Ou « démons sardes », NdT.
170
BIBLIOGRAPHIE
171
URL : http://terrain.revues.org/3304 ; DOI : 10.4000/ terrain.3304.
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172
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LQVWLWXWLRQQHOOH ³WUDGXFWLRQV³ HW REMHWV IURQWLqUHV : des amateurs et des
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URL : http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/
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VIDEOGRAPHIE et SITOGRAPHIE
- 3UpVHQWDWLRQGHO¶DVVRFLDWLRQ :
http://www.uomoterra.it/ et
https://www.facebook.com/ilfilodAriannanet?fref=pymk.
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- Témoignages sur la pratique pendant un stage GHO¶DVVRFLDWLRQ :
https://www.youtube.com/watch?v=iRppGiKXmvY.
- ePLVVLRQWpOpYLVpHVXUO¶pQHUJLHOLWKLTXHOHFKDPDQLVPHVDUGH :
https://www.youtube.com/watch?v=BQBkTdrVk2c.
Sites consultés le 25/04/2014.
177
FACEBOOK, quelques groupes :
178
Oui, je veux morebooks!