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Mise en place de
l’information épigénétique
dans le gamète mâle
Valérie Grandjean1, Sophie Rousseaux2
1
Université de Nice, Unité 636 de l’Inserm, 06100 Nice Cedex
<grandjea@unice.fr>
2
Unité Inserm-UJF U309, 38706 La Tronche Cedex
<sophie.rousseaux@ujf-grenoble.fr>
génome des gamètes, et celui des spermatozoïdes en particulier, porte des marques épigéné-
tiques héréditaires indispensables au développement normal de l’embryon. Ces marques
comprennent un profil spécifique de méthylation de l’ADN ainsi que des modifications
précises et spécifiques de la structure d’empaquetage du génome spermatique. La mise en
place de cette information épigénétique paternelle est un processus complexe impliquant une
réorganisation globale majeure des profils de méthylation, ainsi que des changements globaux
et localisés de la structure nucléaire au cours de la différenciation de la cellule germinale mâle.
La manière dont ces changements interagissent, dont ils affectent l’information épigénétique
paternelle, et l’importance de la contribution épigénétique paternelle au développement du
futur individu, sont des questions majeures à explorer.
Reprogrammation NH2
des profils de méthylation
du génome des cellules
4 CH3
de la lignée germinale mâle
3 5
La méthylation de l’ADN est une modification chimi-
que covalente, ayant pour résultat l’addition d’un groupe-
ment méthyl (CH3) sur le cinquième carbone de l’anneau
2 6
de pyrimidine d’un résidu cytosine (figure 1). La méthyla-
tion de l’ADN se produit essentiellement sur les cytosines O 1
associées aux dinucléotides CpG. Dans le génome de
mammifères, environ 80 % des cytosines associées aux 5-méthylcytosine
dinucléotides CpG sont méthylées. Cette méthylation est
principalement localisée au niveau des régions génomi-
ques répétées comme l’ADN satellite et les éléments para- Figure 1. La méthylation de l’ADN chez les mammifères. En
présence du cofacteur S-adénosyl-méthionine, les méthyltransfé-
sites comme les séquences LINES (long interspersed trans- rases de l’ADN méthylent les résidus cytosines.
posable elements) ou encore les séquences virales et
rétrovirales. Un groupe de séquences échappe, cepen-
dant, à cette modification. Ce sont les régions de 1kb Dynamique de la méthylation de l’ADN
riches en CpG ou îlots CpG, souvent localisées en amont
chez les mammifères
de gènes à expression ubiquitaire. Chez les mammifères, Si l’on considère l’ensemble du génome, les profils de
la méthylation de l’ADN réprime la transcription en inhi- méthylation de l’ADN sont, en majorité, stables au cours
bant directement la liaison de certains facteurs transcrip- du développement comme dans les tissus somatiques de
tionnels ou indirectement via le recrutement de protéines l’adulte. Ceci est lié à la symétrie des sites CpG qui
qui se lient aux dinucléotides CpG méthylés (methyl bin- fournissent une base moléculaire pour la transmission
ding protein ou MBD) [3]. C’est pourquoi, chez les mam- semi-conservative de la méthylation de l’ADN après répli-
mifères, la méthylation est essentielle à la régulation de cation. Deux périodes, cependant, voient un remanie-
nombreux processus cellulaires tels que le développe- ment draconien de ces structures : la période la plus
ment embryonnaire, la transcription, la structure de la précoce du développement embryonnaire (blastocyste
chromatine, l’inactivation du chromosome X, l’empreinte avant implantation) et la gamétogenèse. Ainsi, au cours de
génomique et la stabilité des chromosomes. Le nombre ces périodes, les profils globaux de méthylation des dinu-
croissant de désordres humains associés à des altérations cléotides CpG sont complètement remaniés. Cela débute
dans l’établissement et/ou le maintien de la méthylation par une vague de déméthylation massive suivie par une
de l’ADN souligne l’importance de cette information épi- vague de re-méthylation (méthylation de novo) tout aussi
génétique dans le fonctionnement normal d’un individu massive. Ces périodes permettent une reprogrammation
adulte [4]. du génome des cellules germinales primordiales leur assu-
dine d’un résidu cytosine (figure 1). Chez les mammifères, après leur naissance [6].
on compte 4 DNMTs principales, appelés Dnmt1,
Dnmt3a, Dnmt3b et Dnmt3L. Les protéines de la famille Dynamique de la méthylation
des Dnmt3 sont essentielles pour établir de nouveaux dans le génome des cellules germinales mâles
profils de méthylation. Cette famille comprend 3 mem- Les gamètes dérivent des cellules germinales primor-
bres, deux à activité enzymatique, Dnmt3a et Dnmt3b, et diales (PGC). Les précurseurs de ces cellules apparaissent
une autre protéine, Dnmt3L, sans activité méthyltransfé- très tôt au cours du développement embryonnaire. Les
rase connue. Tout comme les protéines Dnmt3a et précurseurs de PGC dérivent de l’épiblaste (formé de
Déméthylation
Génome maternel Méthylation de novo
passive
ADN méthylé
· Séquences uniques via
Dnmt3a
· Séquences satellites des
Déméthylation active centromères Dnmt3b
de l'ADN du génome · Autres séquences
paternel. Maintien de la · Dnmt3a, Dnmt3b Dnmt3L?
Fécondation méthylation des gènes à
empreinte via Dnmt1o 10,5 J
Embryon 13,5 J
Déméthylation globale
du génome des PGC
Spermatogenèse
Méthylation globale des 12,5 J
°°°°°°°°°
gènes soumis à empreinte
paternel et de séquences Méthylation de novo
uniques · des séquences répétées
via Dnmt3L Cellules germinales
· Des gènes à empreinte primordiales (PGC)
paternel via Dnmt3a
Naissance 18,5 J et Dnmt3L
· Dnmt3b
Figure 2. Cycle de reprogrammation de la méthylation chez la souris. Au cours de la vie d’un organisme, les génomes voient leurs profils
de méthylation complètement remaniés au cours de deux périodes : celle de la gamétogenèse et lors de la période la plus précoce du
développement embryonnaire. Les gamètes dérivent des cellules germinales primordiales (PGC). Leur génome subit une vague de
déméthylation entre les jours 10,5 et 12,5 du développement. Après cette déméthylation globale, les génomes des gamètes subissent une
méthylation de novo par les méthyltransférases Dnmt3a et Dnmt3L. Le rôle de la Dnmt3b dans ce processus n’a pas encore connu. Ce
processus se produit principalement jusqu’au jour 18,5 de développement. La deuxième vague de reprogrammation se produit après
fécondation. Le gamète mâle est déméthylé activement alors que celui du gamète femelle est déméthylé passivement. Contrairement à
la phase de déméthylation qui a lieu lors de la gamétogenèse, certaines séquences échappent à cette reprogrammation. C’est le cas
notamment des gènes soumis à empreinte. Le principe de ce mécanisme est peu clair mais un variant de la protéine Dnmt1, appelé
Dnmt1o, semble jouer y jouer un rôle.
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
Dnmt3a
Dnmt3b Établissement de nouveaux profils
Dnmt3L de méthylation : méthylation de novo
me
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
me
Réplication
me
ATCAACGTCTTCGAT ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA TAGTTGCAGAAGCTA
me
DNMT1 DNMT1
Maintien de la méthylation
Copyright © 2022 John Libbey Eurotext. Téléchargé par Othmane ADLI le 13/11/2022.
me me
ATCAACGTCTTCGAT ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA TAGTTGCAGAAGCTA
me me
Figure 3. Établissement et maintien de la méthylation de l’ADN et enzymes impliqués. À des périodes données dans la vie d’un organisme
et suite à des signaux cellulaires, les méthyltransférases de l’ADN, Dnmt3a, Dnmt3b et Dnmt3L établissent de nouveaux profils de
méthylation. Ces profils de méthylation sont ensuite maintenus, au cours des divisions cellulaires par la méthyltransférase de l’ADN,
Dnmt1. Après réplication de l’ADN, cette enzyme reconnaît les dinucléotides CpG hémiméthylés puis les méthyles.
cellules pluripotentes) adjacent à l’ectoderme extra- ble que ces allèles soient marqués différemment. Plusieurs
embryonnaire. Dans l’embryon de souris, les premières éléments indiquent que la méthylation de l’ADN est l’une
PGCs apparaissent à environ 7,5 jours de gestation. Dès de ces marques. Tout d’abord, les gènes soumis à em-
leur arrivée dans le mésoderme extra-embryonnaire entre preinte possèdent pour la plupart des régions riches en
les jours 8,5 et 10,5 de gestation, les PGCs prolifèrent, puis CpG différentiellement méthylées en fonction de l’origine
migrent dans les crêtes génitales entre les jours 10,5 et parentale de l’allèle. Un autre élément fort qui montre que
11,5 de gestation. C’est au cours de cette période qu’une la méthylation joue un rôle critique dans le contrôle de
déméthylation globale du génome des cellules germinales l’expression des gènes soumis à empreinte fut apporté par
mâles primordiales se produit. Ensuite, entre les jours 13,5 l’analyse des mutants invalidés pour le gène Dnmt1. En
et 16,5 de gestation, la méthylation globale du génome effet, chez les embryons invalidés pour le gène Dnmt1, les
des cellules germinales augmente [5]. gènes Igf2 et Igf2r, normalement exprimés par les allèles
paternel et maternel, sont silencieux, tandis que le gène
Effacement et mise en place de l’empreinte paternelle
H19, normalement exprimé par l’allèle maternel, est
L’empreinte parentale est un mécanisme de régulation
transcrit de façon biallélique [8].
génique qui se manifeste par une expression monoalléli-
que de certains gènes dits « gènes soumis à empreinte Or, afin que deux allèles d’un même gène soient
génomique». Chez les mammifères, plus de 70 gènes marqués différemment, il est nécessaire que cette marque
soumis à empreinte ont été identifiés. L’expression mono- soit mise en place lorsque les deux allèles sont séparés à
allélique de ces gènes est indispensable au développe- savoir lors de la gamétogenèse. Des analyses réalisées sur
ment normal de l’embryon. Plusieurs maladies humaines l’ADN de cellules germinales primordiales murines à dif-
comme le syndrome de Beckwith-Wiedeman, de Prader- férents âges du développement embryonnaire montrent
Willi et de Angelman, pour ne citer que les plus connus, clairement que les régions différentiellement méthylées
sont le résultat d’une perte de l’expression monoallélique des gènes Rasgrf1, H19 et Gtl2 sont totalement déméthy-
d’un ou plusieurs gènes soumis à empreinte. Cette perte lées au jour 12,5 de développement. Dans les cellules
d’expression est la conséquence d’une altération dans germinales mâles, la reméthylation se fait progressivement
l’établissement et/ou le maintien de la marque épigénéti- entre les jours 12,5 et 17,5 du développement embryon-
que qui permet à la machinerie transcriptionnelle de naire pour n’être totale que dans le génome des sperma-
reconnaître l’origine parentale de l’allèle [7]. En effet, afin tozoïdes. Chez l’homme, la reprogrammation de la mé-
que deux allèles d’un même gène soient reconnus diffé- thylation des gènes soumis à empreinte est beaucoup
remment selon leurs origines parentales, il est indispensa- moins bien documentée que chez la souris. Cependant,
naissance. Cette dynamique de reméthylation est donc sont très semblables mais néanmoins quelque peu diffé-
différente de celle des séquences différentiellement mé- rentes. L’hypothèse proposée est que la protéine Dnmt3L
thylées des gènes soumis à empreinte, indiquant que le augmenterait l’activité enzymatique de Dnmt3a. Pour
mécanisme de reméthylation de ces séquences est diffé- cette raison, ces deux protéines pourraient avoir des cibles
rent. en commun mais aussi des cibles différentes. Les cibles
Effacement et mise en place communes pourraient être les gènes soumis à empreinte,
de la méthylation de séquences uniques puisque dans les contextes Dnmt3a-/- et Dnmt3L-/-, les
Quant aux gènes non soumis à l’empreinte, les modi- empreintes paternelles des gènes soumis à empreinte
fications consistent aussi bien en une méthylation qu’une comme le gène H19 sont altérées. Les cibles différentes
déméthylation, même pour les gènes qui s’expriment au pourraient être les séquences répétées comme les séquen-
cours de la spermatogenèse [11]. Parfois, le statut de ces IAP ou LINE-1 puisque la protéine Dnmt3L, contraire-
méthylation n’est modifié qu’une seule fois durant la ment à la protéine Dnmt3a, est indispensable à leur remé-
spermatogenèse, et persiste jusque dans les gamètes mâles thylation. Afin de mieux définir les rôles respectifs de ces
mâtures. La transition entre des statuts de méthylation deux protéines dans l’établissement des profils de méthy-
différents se produit le plus souvent entre les spermatogo- lation du génome des cellules germinales mâles, la com-
nies et les spermatocytes primaires. La dynamique de paraison des profils de méthylation dans ces deux contex-
méthylation de certaines séquences uniques est probable- tes génétiques est indispensable. Quoi qu’il en soit, et
ment importante pour le bon fonctionnement de la sper- quelles que soient les séquences cibles de ces deux DNA
matogenèse mais cela reste à démontrer. méthyltransférases, ces analyses génétiques indiquent
d’une part que les DNA méthyltransférases 3a et 3L sont
La méthylation de l’ADN responsables, au moins en partie, de la re-méthylation
est indispensable à la différenciation normale globale du génome paternel, et d’autre part que l’établis-
des cellules germinales mâles sement correct de la méthylation est indispensable à la
Bien que l’on ait depuis longtemps démontré le rôle maturation des cellules germinales mâles.
important de la méthylation dans le développement em- Bien qu’actuellement la méthylation de l’ADN soit
bryonnaire ainsi que dans divers processus de différencia- encore la seule marque épigénétique clairement identifiée
tion, le rôle exact de la méthylation dans la différenciation dans les cellules germinales, il est hautement probable,
des cellules germinales mâles était jusqu’à ces dernières qu’à l’instar de ce qui est observé dans les cellules soma-
années très hypothétique. Les seules données indiquant tiques, la structure spécifique d’empaquetage du génome
que la méthylation pouvait jouer un tel rôle reposaient sur spermatique joue un rôle important comme support molé-
l’utilisation d’inhibiteurs de méthylation comme la culaire d’une information qui sera épigénétiquement
5-azacytidine [12]. En effet, après traitement de souris transmise à l’embryon.
adultes par cet inhibiteur, des altérations de la spermato- La composition de l’épigénome dans le spermatozoïde
genèse étaient observées. Par ailleurs, une relation directe est le résultat d’une restructuration majeure qui a lieu au
existait entre l’expression spécifique de certains gènes lors cours de la spermatogenèse, et notamment au cours de la
de la méiose et leur état de méthylation. Ce sont les maturation post-méiotique des spermatides. Les acteurs
analyses des souris portant à l’état homozygote une muta- moléculaires de cette réorganisation de l’épigénome com-
tion nulle sur les gènes Dnmt3a et Dnmt3L, qui ont montré mencent seulement à être élucidés [18, 19].
Restructuration globale du génome nucléosome au sein duquel l’ADN est enroulé autour d’un
au cours de la spermatogenèse octamère formé des protéines histones, H2A, H2B, H3 et
H4 [1]. Au cours de la spermatogenèse, plusieurs variants
Au cours de la spermatogenèse, la chromatine subit d’histone remplacent les histones somatiques convention-
des transitions structurales majeures, notamment dans les nelles au cours de la spermatogenèse, et nombres d’entre
cellules post-méiotiques, les spermatides, où le génome eux sont incorporés au cours de la méiose et ont proba-
haploïde est globalement réorganisé. Lors de la conden- blement un rôle au cours de cette phase de la spermato-
sation du noyau des spermatides, notamment, la plupart genèse (pour revue voir [19, 20]). En revanche, les fonc-
des histones sont enlevées et remplacées par les protéines tions de certains variants d’histones spécifiques de
dites « de transition » ou TPs, elles-mêmes remplacées par testicule, tels que TH2A, TH2B, TH3 (chez le rat) ou H3t
les protamines (figure 4). Bien que ces événements aient (chez l’homme) n’ont pas encore été précisément définies.
été décrits depuis longtemps, les mécanismes moléculai- Nous avons récemment identifié d’autres variants des
res dirigeant cette réorganisation du génome mâle et la histones H2A et H2B spécifiques du testicule chez la
mise en place de l’épigénome associé sont encore très mal souris. Ces variants sont présents très tardivement au cours
connus. Nous savons cependant qu’elle implique l’incor- de la spermiogenèse dans les spermatides en condensa-
poration de variants d’histones [20], ainsi qu’une hyper- tion (Govin, et al. données non publiées). Nos données
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acétylation des histones [21, 22] avant leur remplacement suggèrent qu’ils pourraient participer à la définition de
par les TPs et les protamines. sous-régions génomiques dans ces cellules, lesquelles
pourraient être impliquées dans le bon déroulement du
Incorporation de variants d’histones développement précoce de l’embryon.
au cours de la spermatogenèse Parmi les variants de l’histone de liaison [23], le va-
Dans la cellule somatique, la chromatine est organisée riant prédominant incorporé au cours de la spermatoge-
en une structure nucléosomale, dont l’unité de base est le nèse est le variant spécifique de testicule H1t, qui apparaît
Méiose Spermiogènese
Nucléosomes Nucléoprotamines
protamines
5. Compaction de la
Ac Ac Ac chromatine
4. Dégradation
Ac
et remplacement
des histones
3. Recrutement de BRDT
1. Incorporation de 2. Acétylation et d'autres protéines à
variants d'histones d'histones bromodomaines
Figure 4. Facteurs et événements moléculaires impliqués lors de la restructuration post-méiotique de l’épigénome mâle dans le modèle
murin.
ainsi que le phénotype des souris chez lesquelles ce gène 5 [35]. Les fonctions potentielles des protéines de transi-
est inactivé, suggèrent un rôle majeur de ce variant au tion et leur capacité à remodeler la chromatine ont été
cours de l’élongation et la condensation post-méiotique étudiées in vitro, conduisant à des conclusions différentes
[28, 29]. parfois même contradictoires concernant leur capacité à
condenser/relaxer la molécule d’ADN ou le nucléosome.
Profil d’acétylation des histones Des souris TP1 nulles produisent des spermatozoïdes
au cours de la spermatogenèse subnormaux, mais leur fertilité est réduite (60 % des souris
Des modifications post-traductionnelles des histones TP1-/- sont infertiles), malgré l’expression augmentée de
de cœur, en particulier leur acétylation, pourraient aussi TP2 [36]. Des souris TP2 nulles ont une spermatogenèse
être des éléments très importants pour leur enlèvement et pratiquement normale, avec des testicules de taille nor-
leur remplacement. male et des numérations de spermatozoïdes épididymai-
Ainsi, une acétylation globale de la chromatine sur- res normales, mais sont subfertiles (fertiles mais à portées
vient dans les spermatides en élongation de nombreuses réduites) [37, 38]. D’après une étude plus détaillée de la
espèces animales dont la majorité des histones est rempla- structure des noyaux de spermatozoïdes provenant de ces
cée [21, 22, 30] (figure 4). Bien que cet événement ait été souris, TP2 ne serait pas un facteur déterminant pour la
décrit depuis de nombreuses années, ce n’est que très formation du noyau spermatique, l’enlèvement des histo-
récemment que l’on a pu le relier à l’enlèvement et à la nes, l’initiation de la condensation chromatinienne, la
dégradation des histones. Une hypothèse est que l’hyper- fixation de l’ADN aux protamines ou même la fertilité,
acétylation observée au cours de la spermiogenèse servi- mais il serait important pour la maturation de la protamine
rait de signal pour le recrutement de facteurs et/ou de 2, et donc pour la finalisation de la condensation chroma-
complexes permettant la condensation et la réorganisa- tinienne [37]. De plus, l’augmentation des transcrits TP1
tion chromatinienne, l’enlèvement des histones et leur dans les testicules des souris déficientes en TP2 suggère
remplacement. De bons candidats sont les facteurs conte- qu’une partie des défauts créés par la mutation du gène
nant des motifs appelés les bromodomaines. En effet, les TP2 est compensée par le recrutement de TP1.
bromodomaines étant des motifs protéiques spécifiques La manière dont les protéines de transition sont incor-
reconnaissant les lysines acétylées des histones [31], les porées puis elles-mêmes remplacées est encore inconnue.
protéines contenant des bromodomaines sont par consé- Nos données (Govin, et al., données non publiées) suggè-
quent de bonnes candidates pour contrôler les événe- rent que des protéines chaperonnes pourraient participer à
ments qui suivent l’acétylation des histones au cours de la ce processus.
spermiogenèse. L’étude fonctionnelle de BRDT (bromo- Enfin, lors des étapes finales de la condensation des
domain testis-specific), une protéine à doubles bromodo- spermatides, les protéines nucléaires majoritaires devien-
maines à haut niveau d’expression testiculaire, a montré nent les protamines.
que cette protéine présente en effet la capacité de remo-
deler et condenser spécifiquement la chromatine hypera- Les protamines
cétylée [32]. La protéine BRDT est présente dans les et le complexe nucléoprotamine
spermatides en élongation où elle colocalise avec les Les protamines sont des protéines très basiques, de bas
histones acétylées [33] (figure 4). Au cours de la spermio- poids moléculaire et, dans de nombreuses espèces, sont
genèse, BRDT lui-même, et/ou d’autres facteurs à bromo- les protéines majoritaires associées à l’ADN nucléaire
domaines, pourraient faire partie de complexes agissant dans le spermatozoïde [39, 40].
La structure du nucléoprotamine est très différente de cule, et la protéine a été retrouvée dans une sous-
celle des nucléosomes. Une neutralisation pratiquement population (20 %) de spermatozoïdes matures, où elle est
complète des charges négatives de l’ADN par les acides localisée dans une région basale du noyau. Ce variant
aminés basiques des protamines résulte en un empaque- d’histone ayant la capacité de se lier aux télomères, pour-
tage très condensé de l’ADN [41, 42]. rait avoir un rôle lors de la décondensation du noyau
Chez la souris, Cho et al. [43], ont montré que les deux spermatique immédiatement après fécondation.
protamines sont essentielles pour une fonction spermati- Une hypothèse est que la structure spécifique
que normale. Utilisant l’électrophorèse de l’ADN de cel- nucléoprotamine/nucléohistone du noyau spermatique
lules uniques (essai comet), et une analyse ultrastructu- pourrait transmettre une information épigénétique et
rale, les auteurs montrent de plus une corrélation directe contrôler les étapes précoces du développement.
entre l’haploinsuffisance de la protamine 2 et un ADN
spermatique endommagé ayant une compaction moindre
de la chromatine. Utilisant la microinjection (ICSI) avec Importance des marques
des spermatozoïdes déficients en protamine 2, les auteurs épigénétiques du gamète mâle
ont observé que, bien que la plupart des œufs soient pour la fécondation
réactivés, seulement quelques-uns sont capables de se et le développement précoce
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thylation asymétrique des deux génomes est un méca- suggère fortement que, d’une part, les molécules d’ARN
nisme général puisqu’il a été observé dans tous les mam- peuvent modifier l’expression de gènes zygotiques et que,
mifères analysés à l’exception du mouton et du lapin [5, d’autre part, cette altération est transmissible. Ces obser-
53]. Ainsi, et étant donné que le génome paternel est vations soulèvent de nombreuses questions. Notamment,
largement déméthylé dans le zygote, on pourrait penser quel est le mécanisme moléculaire impliqué ? Une hypo-
que l’état de méthylation du génome mâle n’est pas impor- thèse possible serait que l’ARN paternel est important pour
tant pour le développement précoce et tardif de l’em- préserver certains profils de méthylation de l’ADN
bryon. Cependant, cela est loin d’être le cas. En effet, de (comme ceux des gènes à empreinte) et pour restructurer
récentes études montrent une association entre le déve- la chromatine des génomes paternels dans l’œuf fécondé
loppement précoce anormal d’un embryon au stade 2 lors du remplacement des protamines par les histones.
cellules et le taux de méthylation du génome du gamète Cette nouvelle vision du gamète mâle porteur de molé-
mâle. Dans une autre étude indépendante, il a été montré cules d’ARNs importantes pour le développement pré-
que le taux de méthylation global de l’ADN paternel coce de l’embryon pourrait avoir également des implica-
influencerait non pas le taux de fécondation mais le déve- tions en médecine de la procréation.
loppement précoce de l’embryon. Cela pourrait être lié au
fait que la déméthylation du génome paternel dans le Dynamique des échanges nucléoprotéiques
zygote n’est pas complète puisque certaines séquences dans le zygote
échappent à ce processus [54]. Ce sont, notamment les Après fécondation, les protamines du pronoyau mâle
régions hétérochromatiniennes dans et autour des centro- sont rapidement remplacées par de nouvelles histones
mères, les séquences des rétrotransposons IAP, et les gènes incorporées à partir du stock ovocytaire. Cependant, il a
soumis à empreinte. Ces séquences doivent, très proba- été observé in situ dans les œufs murins que la composi-
blement, rester méthylées pour la stabilité du génome, la tion du pronoyau mâle reste différente de celle du pro-
suppression de la rétrotransposition et le maintien des noyau femelle en ce qui concerne les modifications d’his-
empreintes paternelles, respectivement. L’établissement tones [58]. Dans les cellules somatiques, les modifications
normal de la méthylation au cours de la spermatogenèse d’histones considérées comme « permissives », c’est-à-
serait donc un prérequis pour le développement normal dire favorable à la transcription, sont l’acétylation d’H3 et
de l’embryon [5]. d’H4, et la méthylation d’H3 sur sa lysine 4, alors que les
modifications « répressives » sont une méthylation d’H3
Quel rôle pour l’ARN paternel sur ses lysines 9 et 27 et une méthylation d’H4 sur sa lysine
dans la mise en place 20. Les histones du pronoyau maternel présentent une
des marques épigénétiques dans le zygote ? acétylation d’H4, une mono-, di- et triméthylation d’H3
Étant donné le faible volume cytoplasmique et le man- sur ses lysines 4, 9 et 27, ainsi qu’une triméthylation d’H4
que détectable de synthèse d’ARN dans la tête du sperma- sur sa lysine 20. La triméthylation d’H3K9 et d’H4K20 est
tozoïde, on a longtemps pensé que l’ADN et/ou la chro- une marque affectant spécifiquement l’hétérochromatine
matine étaient les seuls supports des informations péricentrique dans le pronoyau maternel. En revanche, les
génétique et épigénétique du gamète mâle. De très récen- histones qui sont incorporées dans le pronoyau mâle
tes découvertes indiquent fortement que cette idée est montrent une acétylation d’H4, mais une monométhyla-
fausse. En effet, en 2002, Krawetz et Miller ont montré que tion seulement des lysines 4, 9 et 27 d’H3. Les marques
les spermatozoïdes d’hommes fertiles contenaient plus de répressives qui affectent spécifiquement l’hétérochroma-
tine péricentromérique du pronoyau maternel restent ab- 11. Ariel M, McCarrey J, Cedar H. Methylation patterns of testis-
sentes du pronoyau paternel. Plus tardivement, des diffé- specific genes. Proc Natl Acad Sci USA 1991 ; 88 : 2317-21.
rences sont observées entre les cellules de la masse 12. Kelly TL, Li E, Trasler JM. 5-aza-2’-deoxycytidine induces altera-
cellulaire interne (MCI) et celles du trophectoderme (TE), tions in murine spermatogenesis and pregnancy outcome. J Androl
2003 ; 24 : 822-30.
dont certaines sont clairement associées à une information
épigénétique précise. 13. Bourc’his D, Bestor TH. Meiotic catastrophe and retrotransposon
reactivation in male germ cells lacking Dnmt3L. Nature 2004 ; 431 :
96-9.
Conclusion 14. Kaneda M, Okano M, Hata K, et al. Essential role for de novo
DNA methyltransferase Dnmt3a in paternal and maternal imprinting.
La mise en place de l’information épigénétique dans le Nature 2004 ; 429 : 900-3.
gamète mâle est un processus complexe impliquant l’ex- 15. Lees-Murdock DJ, Shovlin TC, Gardiner T, De Felici M,
pression régulée de nombreux gènes. Ce processus com- Walsh CP. DNA methyltransferase expression in the mouse germ line
during periods of de novo methylation. Dev Dyn 2005 ; 232 : 992-
prend non seulement l’établissement d’un profil de méthy- 1002.
lation spécifique de l’ADN des cellules germinales mâles,
16. Hata K, Kusumi M, Yokomine T, Li E, Sasaki H. Meiotic and epi-
mais aussi des modifications précises et hautement spéci- genetic aberrations in Dnmt3L-deficient male germ cells. Mol Reprod
fiques de la structure d’empaquetage du génome sperma- Dev 2005 ; 6 : 6.
Copyright © 2022 John Libbey Eurotext. Téléchargé par Othmane ADLI le 13/11/2022.
tique. Bien que l’on soit encore loin d’avoir un tableau 17. Yaman R, Grandjean V. Timing of entry of meiosis depends on a
précis et définitif des événements moléculaires impliqués mark generated by DNA methyltransferase 3a in testis. Mol Reprod
dans la mise en place de ces modifications, les données Dev 2005 ; 16 : 16.
récentes moléculaires et génétiques suggèrent que l’épi- 18. Caron C, Govin J, Rousseaux S, Khochbin S. How to pack the
génome du spermatozoïde, résultant de ces modifications, genome for a safe trip. Prog Mol Subcell Biol 2005 ; 38 : 65-89.
définit une information qui sera essentielle au développe- 19. Rousseaux S, Caron C, Govin J, et al. Establishment of male-
ment du futur embryon, et de l’individu. specific epigenetic information. Gene 2005 ; 345 : 139-53.
Remerciements. Nous sommes reconnaissantes du soutien du GDR 20. Govin J, Caron C, Lestrat C, Rousseaux S, Khochbin S. The role
2586 CNRS « Méiose et Reproduction » (coordinateur Alain Nico- of histones in chromatin remodelling during mammalian spermioge-
las). nesis. Eur J Biochem 2004 ; 271 : 3459-69.
Les travaux de l’U309 dans le domaine de la spermatogenèse sont 21. Meistrich ML, Trostle-Weige PK, Lin R, Bhatnagar YM, Allis CD.
soutenus par le programme Inserm « Assistance Médicale à la Pro- Highly acetylated H4 is associated with histone displacement in rat
création et par la région Rhône-Alpes » (programme « Émergence »). spermatids. Mol Reprod Dev 1992 ; 31 : 170-81.
Ceux de l’unité 636 de l’Inserm sont soutenus par la Ligue nationale
contre le cancer. Sophie Rousseaux bénéficie d’un contrat d’interface 22. Hazzouri M, Pivot-Pajot C, Faure AK, et al. Regulated hyper-
Inserm. acetylation of core histones during mouse spermatogenesis : involve-
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