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Revue

Mise en place de
l’information épigénétique
dans le gamète mâle
Valérie Grandjean1, Sophie Rousseaux2
1
Université de Nice, Unité 636 de l’Inserm, 06100 Nice Cedex
<grandjea@unice.fr>
2
Unité Inserm-UJF U309, 38706 La Tronche Cedex
<sophie.rousseaux@ujf-grenoble.fr>

Les gamètes contiennent toute l’information génétique indispensable au développement d’un


organisme. De plus en plus de données convergent vers l’idée relativement nouvelle que le
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génome des gamètes, et celui des spermatozoïdes en particulier, porte des marques épigéné-
tiques héréditaires indispensables au développement normal de l’embryon. Ces marques
comprennent un profil spécifique de méthylation de l’ADN ainsi que des modifications
précises et spécifiques de la structure d’empaquetage du génome spermatique. La mise en
place de cette information épigénétique paternelle est un processus complexe impliquant une
réorganisation globale majeure des profils de méthylation, ainsi que des changements globaux
et localisés de la structure nucléaire au cours de la différenciation de la cellule germinale mâle.
La manière dont ces changements interagissent, dont ils affectent l’information épigénétique
paternelle, et l’importance de la contribution épigénétique paternelle au développement du
futur individu, sont des questions majeures à explorer.

Mots clés : structure de la chromatine, méthylation de l’ADN, spermatozoïde, marque


héréditaire

D epuis les années quatre-vingt-


dix, les techniques d’assistance
médicale à la procréation (AMP), et
discuté dans la revue de N. Rives dans
ce numéro. Deuxièmement, le sper-
matozoïde, en plus de l’information
notamment la technique de féconda- génétique paternelle, véhicule une in-
tion in vitro (FIV) avec micro-injection formation de nature différente, dite
d’un spermatozoïde dans le cyto- « épigénétique », transmissible au
plasme ovocytaire (ICSI), ont révolu- cours des divisions mitotiques et
tionné la prise en charge de l’infertilité méiotiques.
masculine. Il est maintenant possible L’information épigénétique régule
pour des hommes porteurs d’un déficit l’expression des gènes, ainsi que de
sévère de la spermatogenèse de pro- nombreux processus cellulaires, no-
créer. La question se pose donc du tamment la différenciation et la proli-
risque de la transmission d’une ano- fération. Sa dérégulation peut être à
malie à leur descendance, du fait de l’origine d’anomalies congénitales ou
l’injection d’un spermatozoïde por- de pathologies acquises diverses, in-
teur d’une information erronée. Deux cluant notamment les cancers.
types d’information sont à considérer. Contrairement à l’information généti-
Premièrement, le spermatozoïde que, elle n’implique pas de modifica-
contribue pour moitié au patrimoine tion de la séquence nucléotidique des
génétique du zygote. Or, la constitu- gènes. Pendant longtemps, le seul
tion génétique/chromosomique du support connu et décrit de l’informa-
Tirés à part : S. Rousseaux
spermatozoïde est le résultat direct tion épigénétique était la méthylation
des événements méiotiques. Ceci est de l’ADN. On sait maintenant que la

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structure d’empaquetage du génome, la chromatine, par-


ticipe aussi au « code » épigénétique [1]. L’importance de
l’information épigénétique transmise par le gamète mâle a Cytosine
été montrée pour la première fois par des expériences de NH2
transferts de pronoyaux dans des zygotes. En effet, des
zygotes présentant deux génomes haploïdes ovocytaires
4 H
ou deux génomes haploïdes spermatiques ne pouvaient
pas se développer [2]. Cela démontre que, bien que la 3 5
contribution génétique de deux génomes parentaux soit
équivalente, leur contribution épigénétique ne l’est pas.
Cette revue a pour objectif de faire le point des
2 6
connaissances sur les événements jouant un rôle dans la
mise en place des marques épigénétiques spécifiques du O 1
gamète mâle au cours de la spermatogenèse. Ces événe-
ments incluent d’une part la reprogrammation des profils
SAM-CH3 DNMT
de méthylation du génome et d’autre part la restructura-
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tion globale de la chromatine.


SAM

Reprogrammation NH2
des profils de méthylation
du génome des cellules
4 CH3
de la lignée germinale mâle
3 5
La méthylation de l’ADN est une modification chimi-
que covalente, ayant pour résultat l’addition d’un groupe-
ment méthyl (CH3) sur le cinquième carbone de l’anneau
2 6
de pyrimidine d’un résidu cytosine (figure 1). La méthyla-
tion de l’ADN se produit essentiellement sur les cytosines O 1
associées aux dinucléotides CpG. Dans le génome de
mammifères, environ 80 % des cytosines associées aux 5-méthylcytosine
dinucléotides CpG sont méthylées. Cette méthylation est
principalement localisée au niveau des régions génomi-
ques répétées comme l’ADN satellite et les éléments para- Figure 1. La méthylation de l’ADN chez les mammifères. En
présence du cofacteur S-adénosyl-méthionine, les méthyltransfé-
sites comme les séquences LINES (long interspersed trans- rases de l’ADN méthylent les résidus cytosines.
posable elements) ou encore les séquences virales et
rétrovirales. Un groupe de séquences échappe, cepen-
dant, à cette modification. Ce sont les régions de 1kb Dynamique de la méthylation de l’ADN
riches en CpG ou îlots CpG, souvent localisées en amont
chez les mammifères
de gènes à expression ubiquitaire. Chez les mammifères, Si l’on considère l’ensemble du génome, les profils de
la méthylation de l’ADN réprime la transcription en inhi- méthylation de l’ADN sont, en majorité, stables au cours
bant directement la liaison de certains facteurs transcrip- du développement comme dans les tissus somatiques de
tionnels ou indirectement via le recrutement de protéines l’adulte. Ceci est lié à la symétrie des sites CpG qui
qui se lient aux dinucléotides CpG méthylés (methyl bin- fournissent une base moléculaire pour la transmission
ding protein ou MBD) [3]. C’est pourquoi, chez les mam- semi-conservative de la méthylation de l’ADN après répli-
mifères, la méthylation est essentielle à la régulation de cation. Deux périodes, cependant, voient un remanie-
nombreux processus cellulaires tels que le développe- ment draconien de ces structures : la période la plus
ment embryonnaire, la transcription, la structure de la précoce du développement embryonnaire (blastocyste
chromatine, l’inactivation du chromosome X, l’empreinte avant implantation) et la gamétogenèse. Ainsi, au cours de
génomique et la stabilité des chromosomes. Le nombre ces périodes, les profils globaux de méthylation des dinu-
croissant de désordres humains associés à des altérations cléotides CpG sont complètement remaniés. Cela débute
dans l’établissement et/ou le maintien de la méthylation par une vague de déméthylation massive suivie par une
de l’ADN souligne l’importance de cette information épi- vague de re-méthylation (méthylation de novo) tout aussi
génétique dans le fonctionnement normal d’un individu massive. Ces périodes permettent une reprogrammation
adulte [4]. du génome des cellules germinales primordiales leur assu-

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rant leur caractère totipotent, lequel est indispensable au Dnmt3b, cette protéine serait impliquée dans la mise en
développement d’un nouvel individu [5] (figure 2). place des nouveaux profils de méthylation en activant les
Trois activités enzymatiques sont exigées pour effacer, activités de Dnmt 3a et Dnmt3b. Les profils de méthyla-
établir et perpétuer les profils de méthylation dans le tion sont conservés tout au long de la vie de l’organisme
génome : la déméthylation, la méthylation « de novo » et par la méthyltransférase 1, appelés Dnmt1. Cette protéine
la méthylation de « maintien ». La déméthylation peut être est essentielle pour perpétuer les profils de méthylation de
active ou passive. Bien qu’elle soit primordiale pour la l’ADN dans des cellules en prolifération. Les analyses
reprogrammation du génome, les enzymes et mécanismes génétiques réalisées chez la souris démontrent sans ambi-
moléculaires impliqués dans ce processus sont encore très guïté le rôle primordial de la méthylation dans le dévelop-
mal connus [3]. En revanche, les enzymes impliqués dans pement embryonnaire et la survie de l’espèce (figure 3). En
la méthylation de novo et la méthylation de maintien sont effet, des souris homozygotes pour la mutation nulle des
maintenant bien définis chez les mammifères. Ce sont les gènes codant soit pour la méthyltransérase de l’ADN 1
méthyltransférases de l’ADN ou DNMT. Ces enzymes (Dnmt1) soit pour la methyltransférase de l’ADN 3b
catalysent la réaction de transfert du groupement méthyl (Dnmt3b) meurent très tôt au cours du développement
(CH3), provenant du cofacteur S-adénosyl-méthionine embryonnaire, et celles dépourvues de la protéine
(SAM), sur le cinquième carbone de l’anneau de pyrimi- Dnmt3a sont viables mais meurent quelques semaines
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dine d’un résidu cytosine (figure 1). Chez les mammifères, après leur naissance [6].
on compte 4 DNMTs principales, appelés Dnmt1,
Dnmt3a, Dnmt3b et Dnmt3L. Les protéines de la famille Dynamique de la méthylation
des Dnmt3 sont essentielles pour établir de nouveaux dans le génome des cellules germinales mâles
profils de méthylation. Cette famille comprend 3 mem- Les gamètes dérivent des cellules germinales primor-
bres, deux à activité enzymatique, Dnmt3a et Dnmt3b, et diales (PGC). Les précurseurs de ces cellules apparaissent
une autre protéine, Dnmt3L, sans activité méthyltransfé- très tôt au cours du développement embryonnaire. Les
rase connue. Tout comme les protéines Dnmt3a et précurseurs de PGC dérivent de l’épiblaste (formé de

Déméthylation
Génome maternel Méthylation de novo
passive
ADN méthylé
· Séquences uniques via
Dnmt3a
· Séquences satellites des
Déméthylation active centromères Dnmt3b
de l'ADN du génome · Autres séquences
paternel. Maintien de la · Dnmt3a, Dnmt3b Dnmt3L?
Fécondation méthylation des gènes à
empreinte via Dnmt1o 10,5 J
Embryon 13,5 J

Déméthylation globale
du génome des PGC

Spermatogenèse
Méthylation globale des 12,5 J
°°°°°°°°°
gènes soumis à empreinte
paternel et de séquences Méthylation de novo
uniques · des séquences répétées
via Dnmt3L Cellules germinales
· Des gènes à empreinte primordiales (PGC)
paternel via Dnmt3a
Naissance 18,5 J et Dnmt3L
· Dnmt3b

Figure 2. Cycle de reprogrammation de la méthylation chez la souris. Au cours de la vie d’un organisme, les génomes voient leurs profils
de méthylation complètement remaniés au cours de deux périodes : celle de la gamétogenèse et lors de la période la plus précoce du
développement embryonnaire. Les gamètes dérivent des cellules germinales primordiales (PGC). Leur génome subit une vague de
déméthylation entre les jours 10,5 et 12,5 du développement. Après cette déméthylation globale, les génomes des gamètes subissent une
méthylation de novo par les méthyltransférases Dnmt3a et Dnmt3L. Le rôle de la Dnmt3b dans ce processus n’a pas encore connu. Ce
processus se produit principalement jusqu’au jour 18,5 de développement. La deuxième vague de reprogrammation se produit après
fécondation. Le gamète mâle est déméthylé activement alors que celui du gamète femelle est déméthylé passivement. Contrairement à
la phase de déméthylation qui a lieu lors de la gamétogenèse, certaines séquences échappent à cette reprogrammation. C’est le cas
notamment des gènes soumis à empreinte. Le principe de ce mécanisme est peu clair mais un variant de la protéine Dnmt1, appelé
Dnmt1o, semble jouer y jouer un rôle.

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ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA

Dnmt3a
Dnmt3b Établissement de nouveaux profils
Dnmt3L de méthylation : méthylation de novo
me
ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA
me

Réplication

me
ATCAACGTCTTCGAT ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA TAGTTGCAGAAGCTA
me

DNMT1 DNMT1
Maintien de la méthylation
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me me
ATCAACGTCTTCGAT ATCAACGTCTTCGAT
TAGTTGCAGAAGCTA TAGTTGCAGAAGCTA
me me

Figure 3. Établissement et maintien de la méthylation de l’ADN et enzymes impliqués. À des périodes données dans la vie d’un organisme
et suite à des signaux cellulaires, les méthyltransférases de l’ADN, Dnmt3a, Dnmt3b et Dnmt3L établissent de nouveaux profils de
méthylation. Ces profils de méthylation sont ensuite maintenus, au cours des divisions cellulaires par la méthyltransférase de l’ADN,
Dnmt1. Après réplication de l’ADN, cette enzyme reconnaît les dinucléotides CpG hémiméthylés puis les méthyles.

cellules pluripotentes) adjacent à l’ectoderme extra- ble que ces allèles soient marqués différemment. Plusieurs
embryonnaire. Dans l’embryon de souris, les premières éléments indiquent que la méthylation de l’ADN est l’une
PGCs apparaissent à environ 7,5 jours de gestation. Dès de ces marques. Tout d’abord, les gènes soumis à em-
leur arrivée dans le mésoderme extra-embryonnaire entre preinte possèdent pour la plupart des régions riches en
les jours 8,5 et 10,5 de gestation, les PGCs prolifèrent, puis CpG différentiellement méthylées en fonction de l’origine
migrent dans les crêtes génitales entre les jours 10,5 et parentale de l’allèle. Un autre élément fort qui montre que
11,5 de gestation. C’est au cours de cette période qu’une la méthylation joue un rôle critique dans le contrôle de
déméthylation globale du génome des cellules germinales l’expression des gènes soumis à empreinte fut apporté par
mâles primordiales se produit. Ensuite, entre les jours 13,5 l’analyse des mutants invalidés pour le gène Dnmt1. En
et 16,5 de gestation, la méthylation globale du génome effet, chez les embryons invalidés pour le gène Dnmt1, les
des cellules germinales augmente [5]. gènes Igf2 et Igf2r, normalement exprimés par les allèles
paternel et maternel, sont silencieux, tandis que le gène
Effacement et mise en place de l’empreinte paternelle
H19, normalement exprimé par l’allèle maternel, est
L’empreinte parentale est un mécanisme de régulation
transcrit de façon biallélique [8].
génique qui se manifeste par une expression monoalléli-
que de certains gènes dits « gènes soumis à empreinte Or, afin que deux allèles d’un même gène soient
génomique». Chez les mammifères, plus de 70 gènes marqués différemment, il est nécessaire que cette marque
soumis à empreinte ont été identifiés. L’expression mono- soit mise en place lorsque les deux allèles sont séparés à
allélique de ces gènes est indispensable au développe- savoir lors de la gamétogenèse. Des analyses réalisées sur
ment normal de l’embryon. Plusieurs maladies humaines l’ADN de cellules germinales primordiales murines à dif-
comme le syndrome de Beckwith-Wiedeman, de Prader- férents âges du développement embryonnaire montrent
Willi et de Angelman, pour ne citer que les plus connus, clairement que les régions différentiellement méthylées
sont le résultat d’une perte de l’expression monoallélique des gènes Rasgrf1, H19 et Gtl2 sont totalement déméthy-
d’un ou plusieurs gènes soumis à empreinte. Cette perte lées au jour 12,5 de développement. Dans les cellules
d’expression est la conséquence d’une altération dans germinales mâles, la reméthylation se fait progressivement
l’établissement et/ou le maintien de la marque épigénéti- entre les jours 12,5 et 17,5 du développement embryon-
que qui permet à la machinerie transcriptionnelle de naire pour n’être totale que dans le génome des sperma-
reconnaître l’origine parentale de l’allèle [7]. En effet, afin tozoïdes. Chez l’homme, la reprogrammation de la mé-
que deux allèles d’un même gène soient reconnus diffé- thylation des gènes soumis à empreinte est beaucoup
remment selon leurs origines parentales, il est indispensa- moins bien documentée que chez la souris. Cependant,

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une étude montre que la dynamique de reprogrammation le rôle indispensable que jouait la méthylation dans la
de ces séquences pourrait être similaire entre les deux différenciation des cellules germinales mâles [13, 14]. En
espèces [9]. effet, en l’absence de ces protéines, toutes deux exprimées
Effacement et mise en place
dans les cellules germinales primordiales au moment où la
de la méthylation des séquences répétées re-méthylation globale se produit [15], la différenciation
La déméthylation globale du génome mâle indique des cellules germinales est très altérée. À la naissance, les
que la majorité des séquences hautement répétées du testicules de ces deux mutants paraissent normaux avec
génome sont vraisemblablement déméthylées dans les un nombre de spermatogonies et de cellules de Sertoli
cellules germinales primordiales. Plus spécifiquement, il a similaire à celui observé dans un testicule normal. Cepen-
été montré qu’entre les jours 10,5 et 13,5 les séquences dant à l’âge de quatre semaines, très peu de spermatocytes
répétées, comme les séquences LINE-1 (long interspersed différenciés sont détectés aussi bien dans les testicules des
nucleotide element 1), les séquences satellites et égale- souris Dnmt3L-/- que dans ceux des souris Dnmt3a-/- [16].
ment - mais plus modérément - les séquences IAPs (intra- Nos analyses récentes montrent que les défauts observés
cisternal A particle), sont déméthylées [9, 10]. La reméthy- au cours de la spermatogenèse, bien que très similaires,
lation de ces séquences répétées se produit dans les PGCs diffèrent entre les deux mutants Dnmt3a-/- et Dnmt3L-/-
au jour 16,5 de développement et semble être totale à la [17], suggérant que les cibles génomiques de ces protéines
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naissance. Cette dynamique de reméthylation est donc sont très semblables mais néanmoins quelque peu diffé-
différente de celle des séquences différentiellement mé- rentes. L’hypothèse proposée est que la protéine Dnmt3L
thylées des gènes soumis à empreinte, indiquant que le augmenterait l’activité enzymatique de Dnmt3a. Pour
mécanisme de reméthylation de ces séquences est diffé- cette raison, ces deux protéines pourraient avoir des cibles
rent. en commun mais aussi des cibles différentes. Les cibles
Effacement et mise en place communes pourraient être les gènes soumis à empreinte,
de la méthylation de séquences uniques puisque dans les contextes Dnmt3a-/- et Dnmt3L-/-, les
Quant aux gènes non soumis à l’empreinte, les modi- empreintes paternelles des gènes soumis à empreinte
fications consistent aussi bien en une méthylation qu’une comme le gène H19 sont altérées. Les cibles différentes
déméthylation, même pour les gènes qui s’expriment au pourraient être les séquences répétées comme les séquen-
cours de la spermatogenèse [11]. Parfois, le statut de ces IAP ou LINE-1 puisque la protéine Dnmt3L, contraire-
méthylation n’est modifié qu’une seule fois durant la ment à la protéine Dnmt3a, est indispensable à leur remé-
spermatogenèse, et persiste jusque dans les gamètes mâles thylation. Afin de mieux définir les rôles respectifs de ces
mâtures. La transition entre des statuts de méthylation deux protéines dans l’établissement des profils de méthy-
différents se produit le plus souvent entre les spermatogo- lation du génome des cellules germinales mâles, la com-
nies et les spermatocytes primaires. La dynamique de paraison des profils de méthylation dans ces deux contex-
méthylation de certaines séquences uniques est probable- tes génétiques est indispensable. Quoi qu’il en soit, et
ment importante pour le bon fonctionnement de la sper- quelles que soient les séquences cibles de ces deux DNA
matogenèse mais cela reste à démontrer. méthyltransférases, ces analyses génétiques indiquent
d’une part que les DNA méthyltransférases 3a et 3L sont
La méthylation de l’ADN responsables, au moins en partie, de la re-méthylation
est indispensable à la différenciation normale globale du génome paternel, et d’autre part que l’établis-
des cellules germinales mâles sement correct de la méthylation est indispensable à la
Bien que l’on ait depuis longtemps démontré le rôle maturation des cellules germinales mâles.
important de la méthylation dans le développement em- Bien qu’actuellement la méthylation de l’ADN soit
bryonnaire ainsi que dans divers processus de différencia- encore la seule marque épigénétique clairement identifiée
tion, le rôle exact de la méthylation dans la différenciation dans les cellules germinales, il est hautement probable,
des cellules germinales mâles était jusqu’à ces dernières qu’à l’instar de ce qui est observé dans les cellules soma-
années très hypothétique. Les seules données indiquant tiques, la structure spécifique d’empaquetage du génome
que la méthylation pouvait jouer un tel rôle reposaient sur spermatique joue un rôle important comme support molé-
l’utilisation d’inhibiteurs de méthylation comme la culaire d’une information qui sera épigénétiquement
5-azacytidine [12]. En effet, après traitement de souris transmise à l’embryon.
adultes par cet inhibiteur, des altérations de la spermato- La composition de l’épigénome dans le spermatozoïde
genèse étaient observées. Par ailleurs, une relation directe est le résultat d’une restructuration majeure qui a lieu au
existait entre l’expression spécifique de certains gènes lors cours de la spermatogenèse, et notamment au cours de la
de la méiose et leur état de méthylation. Ce sont les maturation post-méiotique des spermatides. Les acteurs
analyses des souris portant à l’état homozygote une muta- moléculaires de cette réorganisation de l’épigénome com-
tion nulle sur les gènes Dnmt3a et Dnmt3L, qui ont montré mencent seulement à être élucidés [18, 19].

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Restructuration globale du génome nucléosome au sein duquel l’ADN est enroulé autour d’un
au cours de la spermatogenèse octamère formé des protéines histones, H2A, H2B, H3 et
H4 [1]. Au cours de la spermatogenèse, plusieurs variants
Au cours de la spermatogenèse, la chromatine subit d’histone remplacent les histones somatiques convention-
des transitions structurales majeures, notamment dans les nelles au cours de la spermatogenèse, et nombres d’entre
cellules post-méiotiques, les spermatides, où le génome eux sont incorporés au cours de la méiose et ont proba-
haploïde est globalement réorganisé. Lors de la conden- blement un rôle au cours de cette phase de la spermato-
sation du noyau des spermatides, notamment, la plupart genèse (pour revue voir [19, 20]). En revanche, les fonc-
des histones sont enlevées et remplacées par les protéines tions de certains variants d’histones spécifiques de
dites « de transition » ou TPs, elles-mêmes remplacées par testicule, tels que TH2A, TH2B, TH3 (chez le rat) ou H3t
les protamines (figure 4). Bien que ces événements aient (chez l’homme) n’ont pas encore été précisément définies.
été décrits depuis longtemps, les mécanismes moléculai- Nous avons récemment identifié d’autres variants des
res dirigeant cette réorganisation du génome mâle et la histones H2A et H2B spécifiques du testicule chez la
mise en place de l’épigénome associé sont encore très mal souris. Ces variants sont présents très tardivement au cours
connus. Nous savons cependant qu’elle implique l’incor- de la spermiogenèse dans les spermatides en condensa-
poration de variants d’histones [20], ainsi qu’une hyper- tion (Govin, et al. données non publiées). Nos données
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acétylation des histones [21, 22] avant leur remplacement suggèrent qu’ils pourraient participer à la définition de
par les TPs et les protamines. sous-régions génomiques dans ces cellules, lesquelles
pourraient être impliquées dans le bon déroulement du
Incorporation de variants d’histones développement précoce de l’embryon.
au cours de la spermatogenèse Parmi les variants de l’histone de liaison [23], le va-
Dans la cellule somatique, la chromatine est organisée riant prédominant incorporé au cours de la spermatoge-
en une structure nucléosomale, dont l’unité de base est le nèse est le variant spécifique de testicule H1t, qui apparaît

Méiose Spermiogènese

Spermatocytes Spermatides Spermatozoïde

Nucléosomes Nucléoprotamines
protamines

5. Compaction de la
Ac Ac Ac chromatine
4. Dégradation
Ac
et remplacement
des histones

3. Recrutement de BRDT
1. Incorporation de 2. Acétylation et d'autres protéines à
variants d'histones d'histones bromodomaines

Figure 4. Facteurs et événements moléculaires impliqués lors de la restructuration post-méiotique de l’épigénome mâle dans le modèle
murin.

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tard au cours de la méiose et par conséquent a probable- sur la chromatine hyperacétylée pour enlever les histones,
ment une fonction post-méiotique. De manière surpre- et les remplacer, mais ceci reste à démontrer. Nos données
nante, les souris H1t -/- sont fertiles et se reproduisent non publiées suggèrent que d’autres facteurs à bromodo-
comme les souris sauvages, suggérant que d’autres sous- maine pourraient activement participer à la dégradation
types d’H1, notamment les histones H1.1, H1.2, H1.4 des histones (Lestrat, et al., données non publiées).
compensent le déficit en H1t [24, 25]. Un autre variant
d’H1, spécifique des spermatides, HILS1 (H1-like protein Incorporation
in spermatids 1) a été identifié dans le testicule murin et et rôle des protéines de transition
humain [26, 27]. Ce dernier variant a un profil d’expres- Au cours de la différenciation des spermatides, entre
sion qui suggère fortement qu’il pourrait remplacer H1t l’étape d’enlèvement des histones et celle d’incorporation
dans les spermatides en élongation/condensation et inter- des protamines, les protéines de transition (TPs) représen-
venir dans la réorganisation chromatinienne dans ces tent 90 % des protéines basiques de la chromatine, (pour
cellules. Un autre variant d’histone de liaison nouvelle- revue voir [34]).
ment identifié, H1t2, est exprimé tardivement au cours de Chez l’homme, TP1 apparaît dans le noyau des sper-
la spermatogenèse. Sa localisation au pôle apical des matides des stades 3 et 4, alors que TP2 est présente dans
spermatides en cours d’élongation et de condensation, le noyau des spermatides depuis le stade 1 jusqu’au stade
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ainsi que le phénotype des souris chez lesquelles ce gène 5 [35]. Les fonctions potentielles des protéines de transi-
est inactivé, suggèrent un rôle majeur de ce variant au tion et leur capacité à remodeler la chromatine ont été
cours de l’élongation et la condensation post-méiotique étudiées in vitro, conduisant à des conclusions différentes
[28, 29]. parfois même contradictoires concernant leur capacité à
condenser/relaxer la molécule d’ADN ou le nucléosome.
Profil d’acétylation des histones Des souris TP1 nulles produisent des spermatozoïdes
au cours de la spermatogenèse subnormaux, mais leur fertilité est réduite (60 % des souris
Des modifications post-traductionnelles des histones TP1-/- sont infertiles), malgré l’expression augmentée de
de cœur, en particulier leur acétylation, pourraient aussi TP2 [36]. Des souris TP2 nulles ont une spermatogenèse
être des éléments très importants pour leur enlèvement et pratiquement normale, avec des testicules de taille nor-
leur remplacement. male et des numérations de spermatozoïdes épididymai-
Ainsi, une acétylation globale de la chromatine sur- res normales, mais sont subfertiles (fertiles mais à portées
vient dans les spermatides en élongation de nombreuses réduites) [37, 38]. D’après une étude plus détaillée de la
espèces animales dont la majorité des histones est rempla- structure des noyaux de spermatozoïdes provenant de ces
cée [21, 22, 30] (figure 4). Bien que cet événement ait été souris, TP2 ne serait pas un facteur déterminant pour la
décrit depuis de nombreuses années, ce n’est que très formation du noyau spermatique, l’enlèvement des histo-
récemment que l’on a pu le relier à l’enlèvement et à la nes, l’initiation de la condensation chromatinienne, la
dégradation des histones. Une hypothèse est que l’hyper- fixation de l’ADN aux protamines ou même la fertilité,
acétylation observée au cours de la spermiogenèse servi- mais il serait important pour la maturation de la protamine
rait de signal pour le recrutement de facteurs et/ou de 2, et donc pour la finalisation de la condensation chroma-
complexes permettant la condensation et la réorganisa- tinienne [37]. De plus, l’augmentation des transcrits TP1
tion chromatinienne, l’enlèvement des histones et leur dans les testicules des souris déficientes en TP2 suggère
remplacement. De bons candidats sont les facteurs conte- qu’une partie des défauts créés par la mutation du gène
nant des motifs appelés les bromodomaines. En effet, les TP2 est compensée par le recrutement de TP1.
bromodomaines étant des motifs protéiques spécifiques La manière dont les protéines de transition sont incor-
reconnaissant les lysines acétylées des histones [31], les porées puis elles-mêmes remplacées est encore inconnue.
protéines contenant des bromodomaines sont par consé- Nos données (Govin, et al., données non publiées) suggè-
quent de bonnes candidates pour contrôler les événe- rent que des protéines chaperonnes pourraient participer à
ments qui suivent l’acétylation des histones au cours de la ce processus.
spermiogenèse. L’étude fonctionnelle de BRDT (bromo- Enfin, lors des étapes finales de la condensation des
domain testis-specific), une protéine à doubles bromodo- spermatides, les protéines nucléaires majoritaires devien-
maines à haut niveau d’expression testiculaire, a montré nent les protamines.
que cette protéine présente en effet la capacité de remo-
deler et condenser spécifiquement la chromatine hypera- Les protamines
cétylée [32]. La protéine BRDT est présente dans les et le complexe nucléoprotamine
spermatides en élongation où elle colocalise avec les Les protamines sont des protéines très basiques, de bas
histones acétylées [33] (figure 4). Au cours de la spermio- poids moléculaire et, dans de nombreuses espèces, sont
genèse, BRDT lui-même, et/ou d’autres facteurs à bromo- les protéines majoritaires associées à l’ADN nucléaire
domaines, pourraient faire partie de complexes agissant dans le spermatozoïde [39, 40].

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185
Revue

La structure du nucléoprotamine est très différente de cule, et la protéine a été retrouvée dans une sous-
celle des nucléosomes. Une neutralisation pratiquement population (20 %) de spermatozoïdes matures, où elle est
complète des charges négatives de l’ADN par les acides localisée dans une région basale du noyau. Ce variant
aminés basiques des protamines résulte en un empaque- d’histone ayant la capacité de se lier aux télomères, pour-
tage très condensé de l’ADN [41, 42]. rait avoir un rôle lors de la décondensation du noyau
Chez la souris, Cho et al. [43], ont montré que les deux spermatique immédiatement après fécondation.
protamines sont essentielles pour une fonction spermati- Une hypothèse est que la structure spécifique
que normale. Utilisant l’électrophorèse de l’ADN de cel- nucléoprotamine/nucléohistone du noyau spermatique
lules uniques (essai comet), et une analyse ultrastructu- pourrait transmettre une information épigénétique et
rale, les auteurs montrent de plus une corrélation directe contrôler les étapes précoces du développement.
entre l’haploinsuffisance de la protamine 2 et un ADN
spermatique endommagé ayant une compaction moindre
de la chromatine. Utilisant la microinjection (ICSI) avec Importance des marques
des spermatozoïdes déficients en protamine 2, les auteurs épigénétiques du gamète mâle
ont observé que, bien que la plupart des œufs soient pour la fécondation
réactivés, seulement quelques-uns sont capables de se et le développement précoce
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développer jusqu’au stade blastocyste. (modèle murin)


La structure chromatinienne du génome mâle
Noyau spermatique : Gardiner-Garden et al. [50] ont les premiers examiné
quelles marques épigénétiques la structure de la chromatine du spermatozoïde humain
pour quelle information ? dans la région des gènes codant pour plusieurs membres
de la famille de la bêta-globine, qui sont exprimés à
Si, comme nous venons de le voir, la composition différents moments du développement. De manière très
globale du noyau spermatique est relativement bien dé- intéressante, ils ont observé que les gènes codant pour les
crite [41, 44], les données récentes suggèrent que ce protéines de la globine epsilon et gamma, qui sont actifs
noyau comporte en réalité une structure plus hétérogène dans le sac embryonnaire, sont contenus dans des régions
et complexe que celle décrite initialement. Cela suggère qui sont associées aux histones dans le spermatozoïde,
que, en plus des profils de méthylation, cette spécificité alors que les régions étudiées au sein des gènes codant
pourrait définir un « code épigénétique » spécifique. pour la bêta et la delta-globine, non exprimés dans le sac
embryonnaire, sont dépourvues d’histones.
Hétérogénéité du noyau spermatique Utilisant une technique PCR similaire, Wykes et al.
Plusieurs espèces de mammifères retiennent une orga- [51] ont plus récemment montré que la région de chroma-
nisation double nucléohistone/nucléoprotamine dans leur tine contenant les deux protamines humaines et la pro-
noyau spermatique, en particulier l’homme [45] et la téine de transition TP2, P1-P2-TP2, qui présente une
souris [46]. En effet, le noyau spermatique humain retient conformation sensible à la DNAseI dans les spermatocytes
environ 15 % d’histones et contient aussi un mélange au stade pachytène ainsi que dans le spermatozoïde ma-
hétérogène de protamines. La microscopie électronique ture, est enrichie en histones. Ils ont aussi observé que le
d’étalements de chromatine de spermatozoïdes humains a gène soumis à empreinte IGF2 et les séquences répétées
montré des structures globulaires qui pourraient corres- télomériques sont aussi dans des régions riches en histo-
pondre en taille aux nucléosomes [47]. Gatewood et al. nes, alors que le gène de la bêta-globine et les séquences
[45] ont démontré que les portions nucléohistones et Alu sont dans des régions riches en protamines, et que le
nucléoprotamines de la chromatine du spermatozoïde gène de l’acrosine et les séquences centromériques sont
humain forment des structures discontinues, qui sont – au localisés dans des régions contenant histones et protami-
moins partiellement – spécifiques de séquences. Utilisant nes [51]. Ceci concorde avec des travaux antérieurs mon-
une chromatographie liquide haute performance, d’autres trant que le gène soumis à l’empreinte parentale IFG2 est
auteurs [48] ont purifié les quatre histones de cœur du préférentiellement associé à des histones dans le noyau du
noyau spermatique humain, c’est-à-dire H2A (H2AX et spermatozoïde humain [52]. Ainsi, la présence d’îlots
des traces de H2AZ), H4 (les quatre formes acétylées de génomiques maintenant une structure semblable à la
H4, ainsi que la forme non acétylée), H3.1 et H3.3 (avec structure de la chromatine somatique, malgré la transition
des bandes multiples, suggérant une acétylation), H2B globale du noyau en une structure nucléoprotamine au
(une bande majeure et trois bandes mineures). Récem- cours de la spermiogenèse, pourrait correspondre à une
ment, une histone H2B spécifique du testicule humain et marque essentielle pour l’établissement de l’information
retrouvée dans le sperme a été identifiée [49]. Le gène épigénétique qui sera transmise à la descendance. Ceci
correspondant est transcrit exclusivement dans le testi- reste cependant à démontrer.

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La méthylation de l’ADN 3 000 sortes d’ARN messagers différents [55]. Certains de
Chez les mammifères, les premières étapes de déve- ces ARNs codent pour des protéines nécessaires au déve-
loppement sont sujettes à un remaniement draconien du loppement précoce de l’embryon ; d’autres sont inconnus
profil de méthylation des génomes mâles et femelles. Cette et n’ont pas d’équivalents dans l’œuf. L’année dernière, le
reprogrammation de la méthylation des génomes mâle et laboratoire de Krawetz a montré qu’en plus d’ARNs mes-
femelle joue probablement un rôle primordial dans les sager, le spermatozoïde contiendrait des petits ARNs,
étapes précoces du développement de l’embryon (totipo- connus pour être importants dans le contrôle de l’expres-
tence des cellules embryonnaires, initiation correcte de sion de certains gènes [56]. L’ensemble de ces informa-
l’expression des gènes précoces). Fait remarquable, la tions suggérait donc fortement que le spermatozoïde pou-
déméthylation des deux génomes mâle et femelle est vait délivrer de l’ARN dans le zygote, lequel pouvait être
asymétrique. En effet, dans le zygote et lors du remplace- nécessaire au développement normal de l’embryon.
ment des protamines de la chromatine des spermatozoï- La preuve que les molécules d’ARN seraient un sup-
des par les histones cytoplasmiques de l’oocyte, une dé- port possible de l’hérédité fut apportée dernièrement par
méthylation active et importante du gamète mâle se Minoo Rassoulzadegan qui a montré qu’à lui seul le
produit alors que les profils de méthylation du génome du transfert d’ARN dans un œuf fécondé de souris était capa-
gamète femelle restent relativement stables. Cette démé- ble d’induire un phénotype stable et héréditaire [57]. Ceci
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thylation asymétrique des deux génomes est un méca- suggère fortement que, d’une part, les molécules d’ARN
nisme général puisqu’il a été observé dans tous les mam- peuvent modifier l’expression de gènes zygotiques et que,
mifères analysés à l’exception du mouton et du lapin [5, d’autre part, cette altération est transmissible. Ces obser-
53]. Ainsi, et étant donné que le génome paternel est vations soulèvent de nombreuses questions. Notamment,
largement déméthylé dans le zygote, on pourrait penser quel est le mécanisme moléculaire impliqué ? Une hypo-
que l’état de méthylation du génome mâle n’est pas impor- thèse possible serait que l’ARN paternel est important pour
tant pour le développement précoce et tardif de l’em- préserver certains profils de méthylation de l’ADN
bryon. Cependant, cela est loin d’être le cas. En effet, de (comme ceux des gènes à empreinte) et pour restructurer
récentes études montrent une association entre le déve- la chromatine des génomes paternels dans l’œuf fécondé
loppement précoce anormal d’un embryon au stade 2 lors du remplacement des protamines par les histones.
cellules et le taux de méthylation du génome du gamète Cette nouvelle vision du gamète mâle porteur de molé-
mâle. Dans une autre étude indépendante, il a été montré cules d’ARNs importantes pour le développement pré-
que le taux de méthylation global de l’ADN paternel coce de l’embryon pourrait avoir également des implica-
influencerait non pas le taux de fécondation mais le déve- tions en médecine de la procréation.
loppement précoce de l’embryon. Cela pourrait être lié au
fait que la déméthylation du génome paternel dans le Dynamique des échanges nucléoprotéiques
zygote n’est pas complète puisque certaines séquences dans le zygote
échappent à ce processus [54]. Ce sont, notamment les Après fécondation, les protamines du pronoyau mâle
régions hétérochromatiniennes dans et autour des centro- sont rapidement remplacées par de nouvelles histones
mères, les séquences des rétrotransposons IAP, et les gènes incorporées à partir du stock ovocytaire. Cependant, il a
soumis à empreinte. Ces séquences doivent, très proba- été observé in situ dans les œufs murins que la composi-
blement, rester méthylées pour la stabilité du génome, la tion du pronoyau mâle reste différente de celle du pro-
suppression de la rétrotransposition et le maintien des noyau femelle en ce qui concerne les modifications d’his-
empreintes paternelles, respectivement. L’établissement tones [58]. Dans les cellules somatiques, les modifications
normal de la méthylation au cours de la spermatogenèse d’histones considérées comme « permissives », c’est-à-
serait donc un prérequis pour le développement normal dire favorable à la transcription, sont l’acétylation d’H3 et
de l’embryon [5]. d’H4, et la méthylation d’H3 sur sa lysine 4, alors que les
modifications « répressives » sont une méthylation d’H3
Quel rôle pour l’ARN paternel sur ses lysines 9 et 27 et une méthylation d’H4 sur sa lysine
dans la mise en place 20. Les histones du pronoyau maternel présentent une
des marques épigénétiques dans le zygote ? acétylation d’H4, une mono-, di- et triméthylation d’H3
Étant donné le faible volume cytoplasmique et le man- sur ses lysines 4, 9 et 27, ainsi qu’une triméthylation d’H4
que détectable de synthèse d’ARN dans la tête du sperma- sur sa lysine 20. La triméthylation d’H3K9 et d’H4K20 est
tozoïde, on a longtemps pensé que l’ADN et/ou la chro- une marque affectant spécifiquement l’hétérochromatine
matine étaient les seuls supports des informations péricentrique dans le pronoyau maternel. En revanche, les
génétique et épigénétique du gamète mâle. De très récen- histones qui sont incorporées dans le pronoyau mâle
tes découvertes indiquent fortement que cette idée est montrent une acétylation d’H4, mais une monométhyla-
fausse. En effet, en 2002, Krawetz et Miller ont montré que tion seulement des lysines 4, 9 et 27 d’H3. Les marques
les spermatozoïdes d’hommes fertiles contenaient plus de répressives qui affectent spécifiquement l’hétérochroma-

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187
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épigénétique précise. 13. Bourc’his D, Bestor TH. Meiotic catastrophe and retrotransposon
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Conclusion 14. Kaneda M, Okano M, Hata K, et al. Essential role for de novo
DNA methyltransferase Dnmt3a in paternal and maternal imprinting.
La mise en place de l’information épigénétique dans le Nature 2004 ; 429 : 900-3.
gamète mâle est un processus complexe impliquant l’ex- 15. Lees-Murdock DJ, Shovlin TC, Gardiner T, De Felici M,
pression régulée de nombreux gènes. Ce processus com- Walsh CP. DNA methyltransferase expression in the mouse germ line
during periods of de novo methylation. Dev Dyn 2005 ; 232 : 992-
prend non seulement l’établissement d’un profil de méthy- 1002.
lation spécifique de l’ADN des cellules germinales mâles,
16. Hata K, Kusumi M, Yokomine T, Li E, Sasaki H. Meiotic and epi-
mais aussi des modifications précises et hautement spéci- genetic aberrations in Dnmt3L-deficient male germ cells. Mol Reprod
fiques de la structure d’empaquetage du génome sperma- Dev 2005 ; 6 : 6.
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tique. Bien que l’on soit encore loin d’avoir un tableau 17. Yaman R, Grandjean V. Timing of entry of meiosis depends on a
précis et définitif des événements moléculaires impliqués mark generated by DNA methyltransferase 3a in testis. Mol Reprod
dans la mise en place de ces modifications, les données Dev 2005 ; 16 : 16.
récentes moléculaires et génétiques suggèrent que l’épi- 18. Caron C, Govin J, Rousseaux S, Khochbin S. How to pack the
génome du spermatozoïde, résultant de ces modifications, genome for a safe trip. Prog Mol Subcell Biol 2005 ; 38 : 65-89.
définit une information qui sera essentielle au développe- 19. Rousseaux S, Caron C, Govin J, et al. Establishment of male-
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