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Line du mos Histoire générale des systémes politiques sous la direction de Jean Tulard, 1997, 500 p., 298 F. JEAN-CLAUDE RUANO-BORBALAN Mensuel N* 89 - Décembre 1998 Les presses universtaires de France viennent de publier les deux derniers tomes de la monumentale Mistoire générale des systémes politiques, dirigée par Maurice Duverger et Jean-Francois Srinell, Elle atteste dela vitalité de histoire politique, qui aconnu un spectaculaire renouveau dans es vingt dernidres années (1). Volonté de rapprochement disciplinaire des historiens, jurstes et poltists, cette histoire des « systémes politiques » se veut totale, Elle entend prendre en compte la longue durée; comprendre ls institutions et les pratiques politiques et, enfin, prendre en compte les dimensions des idéologies et de la culture. Les artisans de cette oeuvre de prés de trots mille pages se sont apouyés sur une série cle colloques scientifiques pour définirles champs dinterrogation : Empire romain et ses postérités, les royautés occidentales la démocratie ibérale, les (éodalités, principalement occidentales. ls ont adopté une définition extrémement extensive dela notion, peu usitée, de « systéme politique » en ajoutant& analyse plus classique des régimes politiques (2)!a dimension dune histoire des idéologies politiques et des fonclements économiques ou culturels d'élaboration des institutions politiques. Le premier tome, paruily a deux ans, était consacré étude de 'Empire romain et de ses avatars historiques successis jusqu'au Grand Reich allemand. II montre que Empire est un mode de fonctionnement poltiqueintialement mis en place pour administer un espace humain dont organisation politique était hétérogéne - sans parler de son hétérogénéité cultuelle Ainsl, "Empire romain a unifié des espaces en généralisant le modéle héllénistique. Compte tenu de Ihétérogénéité de lespace social ou politique dans "Antiquité, cela ne s'est pas fait en un jour, comme le monte justement Fouvrage. A partir de fi, "Empire a duré plus d'un milléaire, comme un principe abstraite'universalit La royauté - qui fait objet du second tome- incare au contrare la souveraineté naturelle et légitime, Dans les espaces de tradition indo- européenne, a légitimitétractionnelle du roi fut recoublée parle sacre chrétien. Principe de souveraineté dela communauté ethnique, le roi devenait, en plus, le représentant du dieu chrétien sur tere. 'ouvrage souligne que la mutation fondamentale des formes de production, des stratificaions sociales et des mentalités qui s'est produite& partir du Moyen Age en Europe n'a pas altéré la légitimité du principe royal Si Empire et Ia royauté sont des formes d'organisation politique historiquement évicentes, la féodalté n’apparait pas comme un objet clair Le volume qui lui est consacré est ailleurs maraué du sceau de la dificulté, ouvrage traque d'abord dans MEurope médiévale, puis dans le Proche- Orient ancien et au Japon ou en Extréme-Orient les attestations de ce lien politique particulier, impliquant un serment de ddépendance entre les hommes qui organise en une pyramide de droits et de devoirs espace politique jusqu’au souverain, Ce rest ainsi qu'en Europe et au Japon que Fon peut voir un systéme politique entiérement fondé sur Vallégeance volontare et généralsée des guerriers, gui constituent la vertdbre du systéme politique dit fSodal, L'ouvrage montre essenticllement que durant de nombreuses périodes historiques les liens politiques et les formes de propriété multiples et clatéesallaient de pair, méme si fon ne peut qualifier ces situations de proprement« féodales », Dans cette histoire des formes occidentales ctorganisation et de pensée du politique, dont larichesse comparatiste et uation sont un atout central, une mention particuliére peut étre faite & 'énorme volume consa-cré 3 la démocratie libérale. Serge Berstein et ses collaborateurs y ont pris un parti aucacieux:: penser la mise en place des systémes démocratiques contemporain & partir de Ia philosophie, de Vidologie et de 'économie libérale que l'Europe et sa réusste ont exporté dans une partie du monde. Ce point de vue aboutit a une lecture « télologique » de Ihistoie politique occidentale. Cest-A-dire une histoite ol 'on détermine ls faits et causalités, en fonetion du point darrivée, La démocratie de type libéral (eprésentation de la majorité et valeurs de liberté économique, politique et sociale) ayant semble-til vaincu, on peut lire Phistoire comme celle de son affirmation, Dans cet esprit, le grand mouvement, cest le libéralisme et sa synthese difcle avec 'idée démocratique. La ol classiquement on se penche sur la démocratie grecque et sa résurgence au wile siéle Serge Berstein estime que le grand moment intial aboutissant par mutations lentes «lo surretion de la démocrate libérale ou xix sacle » se situe la fin du ave siécle, Selon lu, les grandes découvertes ont contraint & la modification de lunivers mental des Européens, Dans cette hypothése, reprise par petites touches tout au lang de ouvrage, les conceptions idéologiques et philosophiques sont relativement dépendantes des conditions sociales et économiaues, quoique possédant une autonomie d’élaboration, Au plan des idées paltiques, le libéralsme se développera en Europe du Nord (Pays-Bas, Angleterre) et en Amérique, [3 ou le libéralisme économique avait trouvé initiatement son terreau le plus fertile, Lidée de liberté de homme (le propriétaire) s'est incarnée dans des systémes philosophiques portés par des penseurs comme Hobbes et Locke, engagés dans les processus politiques chaotiques de "Angleterre du wile siécle. A partir de ces synthéses, la philosophie des Lumires a étendu une vision que les péres fondateurs américains tenteront avec difficulté de rendre ‘opératoire dans Ia constitution des Etats-Unis. Louvrage fournt le détail du déploiement de la doctrine libérale dans ensemble du monde européen, progressivement étend a une aire gigantesque, mais excluant toutefois les deux autres grandes aires de civilisation indienne et chinoise. lest fascinant de mesurer les obstacles et ajustements institutionnels qui ont été élaborés de maniére différenciée selon les pays. Louvrage suggére fortement que, outre le berceau anglo-saxon, la France constituerat autre grand foyer de son déploiement, oi a synthése de la démacratiefondée sur la notion d'égalité (suffrage universe, représentation et respect de la majorit) et le libéralisme auraient consttué le principe moteur de Pévolution politique et insttutionnelle des trois dernierssiécles. Malgré des efforts descriptifs louables, louvrage ne convainc pas sur ce point précis. La vision normale de lavénement dela démocratie en France est plutét fondée sur Vinterprétation de la révolution francaise et de ses conséquences. La question démocratique est centrée sur la question de 'égalté, et donc ‘tout 8 fait dsjointe du libéralisme dont Pierre Birnbaum rappelle [a fablesse historique en France (3). La question du libéralisme n'est probablement pas explicative pour penser 'avénement della démocratie en France, sauf a évacuer ~ ce que fait 'ouvrage ~le combat entre gauche et droite depuis la Révolution francaise. LYexamen de la situation francaise nest de toute fagon pas central et 'ouvrage trouve sa grande pertinence a échelle plus globale des grandes configurations idéologico-institutionnelles. En effet, la démocrate Ibérale, c'inspiration philosophique et pratique plutét anglo- saxonne, constitue bien la grande tendance de la mademnité euro-péenne. Les tenants de ancienne société agraire, puis le fascisme et le communisme, ont diallours tenté de lui résister voire de ll disputer a vitoire: pendant une période courte, mais cataclysmique, la démocratielbérale a vacilé sous attaque conjointe des deux systémes idéologico-institutionnelstotaitaires. Vouvrage dirigé par Serge Berstein détalle de maniére tout 8 fait convaincante la maniére avec laquelle, par des moyens insttutionnels et idéologiques multiples, le compromislibéral-démocratique a su se prémunir et vaincre contre ces contestations totalitaires durant le xe siécle. Les démocraties libérales ont répondu au feu par le feu en acceptant la guerre, méme si cette demiére ne fasait plus partie des moyens politiques légitimes, de leur fonctionnement politique Fle ont également réagi par la généralisation de la protection sociale capable d'apaiser les classes dangereuses, dans la synthése social-démocrate devenue dominante en cette fn de siécle Cette «histoire générale» des systimes politiques n'est pas générale car sintéressant essentiellement & notre propre aite de civilisation. Elle re porte pas sur un abjet explicitement aiscuté et din, ce qui aurait été indispensable. La notion de systéme politique, malgré le voew intial, west pas commune aux auteurs qui oscilent entre la description insitutionnelle des régimes politiques et Ia tentative de mettre & jour les cultures ou les idéologies politiques supposées dominantes d'une période donnée. Mais parle fait méme, le lecteur se confronte aux diverses démarches. On regrettera alors simplement que la faiblesse de apparel critique aboutisse 3 faire prendre ce qui fat problame pour du savoir acquis et stabilis. Il demeure que cette collection est indispensable parla masse documentare quil consttue, parses visées comparatistes et parce qu'l interroge en permanence notre conception actuelle du politique. NoTEs. + (1) Voir le bilan publié sous la direction de Serge Berstein et Pierre Milza, Axes et méthodes de Vhistoire politique, Pu, 1988, 450 p. #2) Voir Arlette Heymann-Doat, Les Régimes politiques, La Découverte, 1998, 128 p. ‘= (3) Guy hermet & Ali, Dictionnaire de (a science politique, Armand Colin, 1994, 280 p.

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