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Ce qui fait débat

Fascinant et
délicieusement
transgressif pour les
uns, inesthétique et
proprement scandaleux
pour les autres, l’art
contemporain divise.
En rupture avec
leurs prédécesseurs
classiques et modernes,
les artistes relevant de
ce «genre» ont pourtant
révolutionné le monde
des arts plastiques.

L’art contemporain
est-il
toujours révolutionnaire ?
80 ARTS MAGAZINE n°94- Janvier - Février 2015
À
ce titre, l’art contemporain apparaît

©
C. Hélie
comme révolutionnaire. Qu’en est-il
aujourd’hui ? Un siècle s’est écoulé
depuis que Marcel Duchamp, l’un
des précurseurs de l’art contempo-
rain, a décroché un urinoir de son lieu d’aisance
pour l’exposer dans un musée, institution ô com-
bien sacralisée. À une époque où toutes les limites
semblent avoir été transgressées, toutes les normes
renversées et tous les tabous levés, l’art contempo-
rain conserve-t-il un caractère révolutionnaire ? Les
artistes contemporains qui sévissent aujourd’hui
poursuivent-ils la révolution initiée par les pionniers
et maîtres du «genre», ceux qui, à l’instar de Mar-
cel Duchamp (1887-1968), de Willem de Kooning
(1904-1997), de Jackson Pollock (1912-1956) et de
César Baldaccini (1921-1998), ont redéfini la notion «Ce n’est pas l’art qui
même d’œuvre d’art. Se contentent-ils au contraire est révolutionnaire,
de les pasticher ou, pire, de les caricaturer ? mais le paradigme
Avant de poursuivre cette réflexion avec l’aide de dans lequel il prend
la sociologue Nathalie Heinich et de la cofondatrice place. La révolution
du Barter Paris Art Club, dédié aux amateurs d’art de l’art contemporain
contemporain, Marion Guillot, il convient de définir impacte uniquement le
l’expression «art contemporain» qui, à l’instar de ce champ de l’art. Elle ne
qu’elle désigne, fait débat au sein de la société. Éty- touche pas l’ensemble
de la société».
mologiquement, le vocable «contemporain» renvoie
à une dimension temporelle et caractérise ce qui est Nathalie Heinich,
actuel. Dans le champ de l’histoire de l’art et des arts auteur de l’ouvrage
plastiques, il est communément admis que la période Le Paradigme de l’art
délimitée par l’expression «art contemporain» court contemporain.
des années 60 (l’entre-deux-guerres correspondant à
la préhistoire de l’art contemporain) à nos jours. En
France, la locution «art contemporain» est générale-
ment utilisée, dans un sens plus restreint, pour dési-
gner un pan spécifique de la production artistique
«actuelle» : les œuvres et les institutions artistiques
revendiquant «une avancée dans la progression des
avant-gardes» et une transgression des «frontières
de l’art», telles que déterminées par l’art classique
et l’art moderne, pour reprendre les mots de Natha-
lie Heinich. À ce titre et eu égard à ses velléités de
rompre radicalement avec les courants artistiques
l’ayant précédé, l’art contemporain est par essence
même révolutionnaire.

«Génétiquement»
révolutionnaire ?
«Des années 60 à
Dans l’ouvrage Le Paradigme de l’art contempo- nos jours, des chan-
rain. Structures d’une révolution artistique (Gal- gements (structurels,
limard, 2014), Nathalie Heinich montre que l’art politiques, sociaux...)
contemporain constitue, au-delà d’un «genre» sin- majeurs sont interve-
gulier dans le champ des arts plastiques, un véri- nus. Or, l’art contem-
table «paradigme» artistique : «Alors que la notion porain se fait l’écho
de “genre” renvoie exclusivement à des caractéris- des mutations de notre
tiques plastiques ou à des types de sujets, le concept société».
de “paradigme” recoupe l’ensemble des conceptions
qui, partagées à une période donnée par les acteurs Marion Guillot,
cofondatrice avec Phi-
d’une discipline artistique, permettent de distin- lippe Lamy du Barter
guer ce qui est considéré comme valable de ce qui Paris Art Club.
ne l’est pas». En outre, en redéfinissant la notion

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Ce qui fait débat L’art contemporain est-il toujours révolutionnaire ?

L’art contemporain
ne remet rien en cause,
sinon superficiellement
Luc Ferry

C
Gabrielle Meunier-Ferry

omment définiriez- ci de l’innovation a remplacé lar- à la fois révolutionnaire, sans cesse


vous l’art contempo- gement celui de la beauté. De plus innovant, comme l’avait vu Karl
rain ? L’art contempo- en plus souvent, le message intel- Marx de manière géniale, et au
rain est-t-il un «genre» lectuel l’emporte sur la réalisation. final mercantile et réaliste. Ce qui
artistique lié à une Parfois, il n’y a plus que l’idée, impressionne le plus dans le chien
©

époque déterminée au même titre que l’œuvre en tant que telle n’ayant ou le homard de Jeff Koons, c’est
les arts classique et moderne ? sur un plan plastique pratiquement leur prix. Le peuple en reste comme
Luc Ferry : C’est tout le problème. plus aucune importance. Elle n’est deux ronds de flan, et comme la
De toute évidence, la notion d’art plus que le support d’un message. logique des marques et du marché
contemporain désigne à la fois une En général, plus ce dernier est ba- de l’art lui échappe, alors qu’elle
époque, par définition la nôtre, mais nal, plus les formules qui viennent est la clé de toute l’affaire, il finit
aussi un concept. Tout l’art d’au- le soutenir sont alambiquées. par s’imaginer qu’il doit y avoir là
jourd’hui n’entre évidemment pas quelque chose de grandiose qu’il
dans la catégorie. Personne n’au- L’art contemporain recoupe une plura- ne comprend pas, «lui qui n’est pas
rait l’idée de ranger les «peintres lité d’artistes et d’œuvres. Quel est le cultivé». C’est fait pour...
du dimanche» dans l’art contem- point commun entre les «Outrenoirs»
Luc Ferry porain. Si je devais donner une de Pierre Soulages et les perfor- L’art contemporain peut-il remettre en
définition, elle tournerait autour de mances de Marina Abramovic ? cause un système (la mondialisation),
philosophe, l’idée d’innovation et de rupture LF : Le dénominateur commun est auquel il est désormais soumis ?
ex-ministre de avec la tradition. L’art contempo- double. D’un côté, il faut à tout prix LF : La plupart du temps, l’art
l’éducation nationale rain est un art qui met l’innovation sacrifier à l’impératif de l’innova- contemporain ne remet rien en
au centre de sa problématique. Or, tion pour l’innovation, de la rup- cause, sinon superficiellement. Il
l’innovation peut prendre mille ture pour la rupture et, de l’autre, est le reflet servile du mouvement
visages. Elle peut s’incarner dans il faut qu’il y ait un message. Sur du capital, qu’il épouse jusque dans
des formes, des couleurs et des lan- l’«Outrenoir» par exemple, les pro- ses moindres replis. Il en est, pour
gages inédits, mais aussi dans des pos de Pierre Soulages se font de parler à nouveau comme Marx, la
idées. Rien ne l’arrête. Au point plus en plus obscurs et métaphy- superstructure. Pas de malentendu !
que c’est l’innovation à l’état pur siques. On peut aimer les tableaux Il y a aujourd’hui de vrais artistes,
qui finit parfois par l’emporter sur noirs, si l’on y tient absolument, Kiefer ou Richter, par exemple,
l’esthétique. Aussi paradoxal que chacun son goût comme on dit, qui ne sont pas justiciables de
cela puisse paraître au premier mais, enfin, moi, je ne me vois pas cette analyse. Stravinsky, Bartók
abord, c’est pour cette raison que rester scotché devant pendant des et Ravel furent d’authentiques
l’art contemporain est avant tout un heures... modernes, autrement plus géniaux
«art capitaliste», le reflet parfait de que Boulez. Ils ont rompu avec le
la logique du monde libéral. Entre Diriez-vous que l’art contemporain est classicisme et le romantisme, mais
Jeff Koons, Damien Hirst et Steve subversif ? leurs œuvres n’en sont pas moins à
Jobs, il y a une parfaite homologie. LF : Ce genre de propos pour bobos couper le souffle de beauté. C’est
C’est du reste ce qui explique que soixante-huitards me fait toujours ça la modernité que j’aime, mais
cet art touche bien davantage le marrer. J’adore la figure du révo- elle ne relève ni de l’art moderne ni
monde des grands capitaines d’in- lutionnaire en charentaises qui s’en de l’art contemporain.
dustrie que celui des paysans ou met au final plein les poches. Cha-
des ouvriers qui, globalement, n’y peau bas ! La réconciliation du bo- Les détracteurs de l’art contemporain
entrent pas. Les artistes sont volon- hème et du bourgeois dans la figure sont-ils forcément réactionnaires ?
tiers de gauche, «subversifs», mais du «bobo», l’icône du soixante- LF : Pas du tout. J’observe que la
les acheteurs sont de droite. huitard reconverti dans la pub et littérature a su sortir du nouveau
le fric, est l’un des phénomènes roman avec des auteurs comme
Que pensez-vous de la théorie de majeurs de l’époque. Comme je Kundera, Roth, Carrère ou même
Nathalie Heinich, selon laquelle l’art vous l’ai dit, l’artiste est de gauche Houellebecq. J’observe un mouve-
contemporain a «révolutionné» les et l’acheteur de droite. Et cela cor- ment analogue dans les arts plas-
arts plastiques ? respond parfaitement aux deux di- tiques, notamment avec les artistes
LF : Ce qui est vrai, c’est que le sou- mensions du capitalisme moderne, que j’ai cités.

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Installé place Vendôme à
Paris, le «sapin» ambigu du
plasticien américain Paul
McCarthy a été vandalisé.

tulips, Jeff Koons, 1995-2004. Guggenheim Bilbao


Museoa ©Jeff Koons.

Jusqu’au 27 avril 2015, le centre Pompidou consacre une rétrospective à Jeff Koons.
Génie artistique, il a joué un rôle actif dans la «révolution» de l’art contemporain. Au Balloon Dog
tournant des années 90, il crée le scandale en collaborant avec La Cicciolina, actrice (Magenta), Jeff Koons,
italienne de films X, pour une série dédiée au sexe. Les célèbres Balloon Dog, Rabbit et 1994-2000. Santi Caleca Pinault
Tulips, réalisées par Jeff Koons à partir d’acier inoxydable, reproduisent à la perfection collection ©Jeff Koons.
le rendu de ballons aux surfaces réfléchissantes.

Daniel Buren et la «faillite»


de l’art contemporain
En 2011, le célébrissime santé ébouriffante qu’on lui plan de la pensée, est au
peintre et sculpteur prête – biennales dans le bord de la faillite. Ce n’est
contemporain Daniel Buren monde entier, foires à tous les plus un moment de l’histoire, les plus performantes jamais
constate, dans la revue tournants et salles de vente mais la mode au jour le jour. trouvées afin d’annihiler dans
L’Œil, la faillite de l’art débordées – sont des aspects “Contemporain” est un terme l’œuf tout ce qu’un artiste
contemporain : «En règle quelque peu paradoxaux complètement dénué de sens, pourrait présenter d’un tant
générale, je dirais que la d’un domaine qui, sur le mais c’est l’une des trouvailles soit peu neuf et dérangeant».

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Ce qui fait débat L’art contemporain est-il toujours révolutionnaire ?

même d’œuvre d’art, qui ne réside plus l’objet réalisé, et que l’œuvre Erased,
dans l’objet créé ou présenté par l’artiste, dessin de Kooning littéralement effacé
mais dans un «au-delà» immatériel, l’art par Rauschenberg en 1953, illustre par-
contemporain occasionne une rupture faitement ; la performance, pratiquée par
ontologique avec l’art classique et l’art des artistes tels que Hermann Nitsch et
moderne, qui représentent respective- Marina Abramović, qui consiste en une
ment une réalité, plus ou moins idéalisée, représentation d’actions plus ou moins
et une intériorité, c’est-à-dire des émo- scénarisées ; l’installation qui, selon Na-
tions et des expériences universalisables. thalie Heinich, n’est ni «une sculpture,
Ce faisant, l’art contemporain bouleverse bien qu’elle soit en trois dimensions, et
le fonctionnement du monde de l’art : la encore moins une peinture, même si elle
perception des œuvres, leur conception, n’exclut pas certains éléments ayant été
leur monstration, leur transport, leur peints par l’artiste». Ces pratiques em-
commercialisation. blématiques de l’art contemporain révo-
«L’art contemporain repose sur la trans- lutionnent toutes à leur manière le champ
gression des frontières et l’expérience des arts plastiques, où prédominait
des possibles. Alors que l’art moderne jusqu’à présent la doxa de l’art moderne.
transgresse exclusivement les codes de la Non seulement, elles redéfinissent la no-
représentation classique, l’art contempo- tion même d’œuvre d’art, qui peut désor-
rain transgresse les frontières mêmes de mais prendre la forme d’un objet indus-
l’art telles que définies par le sens com- triel (un urinoir, une boîte de conserve),
mun. Les artistes contemporains ont pour d’une toile vierge, d’une «chose» com-
dénominateur commun la visée de singu- posite mêlant divers matériaux et médias
larité», explique Nathalie Heinich. Logi- ou d’une action, mais elles impliquent
quement, cette transgression ontologique également un ensemble de mutations :
radicale, qui s’apparente véritablement à dématérialisation, conceptualisation,
une révolution (limitée au champ des arts hybridation, éphémérisation et documen-
plastiques), suscite des réactions extrê- tation forment, selon Nathalie Heinich, le
L.H.O.O.Q, Marcel Duchamp, 1919. mement virulentes, pouvant aller jusqu’à «paradigme» de l’art contemporain. Ces
Collection particulière ©succession Marcel la vandalisation d’œuvres. transformations, qui induisent de nou-
Duchamp / ADAGP, Paris 2014. Des réactions compréhensibles, selon velles façons d’exposer, de collectionner
Marion Guillot, qui résultent de la mé- et d’encadrer légalement les œuvres, sont
Jusqu’au 5 janvier 2015, les peintures connaissance des spectateurs et peuvent vilipendées par les détracteurs de l’art
de pionnier de l’art contemporain sont
être «tempérées» par la médiation artis- contemporain. Pour eux, la révolution,
exposées au centre Pompidou dans le
cadre de l’exposition «Marcel Duchamp,
tique : «À l’instar d’une langue étrangère cette perpétuelle transgression des fron-
la peinture, même». que l’on ne maîtrise pas, l’art contem- tières que sous-tend l’art contemporain,
porain, pour être compris et apprécié, n’a plus de sens aujourd’hui.
exige un contact régulier avec les œuvres
d’art et les acteurs du monde de l’art, Enchères et surenchère ?
artistes, médiateurs, commissaires, ex-
perts et critiques. C’est pour cette raison Et si les artistes contemporains actuels,
plutôt que de poursuivre la révolution
infos-clés
que le Barter Paris Art Club propose à
ses adhérents une expérience complète artistique enclenchée par leurs prédéces-
autour de l’art contemporain». La mon- seurs, en proposant de réelles innovations
Pionniers : Ready-made, Art brut, tée en puissance des médiateurs, au rang (esthétiques, mais aussi conceptuelles),
Automatisme, Expressionnisme abstrait, desquels figure Barter, constitue l’une se contentaient de repousser des fron-
Lettrisme... des conséquences majeures du «chan- tières inexistantes, car d’ores et déjà tom-
Années 50 : École de New York, gement de paradigme» initié par l’art bées ? La visée de singularité s’apparen-
Cobra, Internationale situationniste, contemporain. terait alors à un cercle vicieux. Contraints
Tachisme... Avant d’énumérer les ruptures occa- de se démarquer des anciens et de leurs
Années 60 : Fluxus, Art conceptuel,
sionnées par l’art contemporain dans le contemporains en se montrant de plus en
Happening, Installation, Performance,
Pop art... champ des arts plastiques, évoquons sa plus transgressifs (la transgression semble
Années 70 : Art corporel, Arte naissance fracassante au lendemain de aujourd’hui être devenue la norme) et de
Povera, Land art, Art vidéo, Lowbrow... la Seconde Guerre mondiale. Nathalie plus en plus sensationnalistes, les artistes
Années 80 : Art urbain, Graffiti, Heinich identifie 4 tendances embléma- contemporains produiraient des carica-
Trans-avant-garde, Art audiovisuel... tiques, qui permettent de saisir la portée tures d’œuvres existantes. Innover, est-ce
Années 90 : Bio-art, Cyberart, révolutionnaire de l’art contemporain : simplement faire mieux (ou pire) que ce
Young British Artist, Nouvelle école de le ready-made qui, créé en 1913 par qui a déjà été fait ? Les nombreux détour-
Leipzig... Marcel Duchamp, consiste à exposer nements de La Joconde de Léonard de
Années 2000 : Stuckisme, Superflat, un objet usuel dans l’enceinte muséale ; Vinci – L.H.O.O.Q. de Marcel Duchamp
Art en réseau, The Kitsch Movement...
l’art conceptuel, qui fait primer l’idée sur (1939), Autoportrait en Mona Lisa de

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Smithsonian Institution Archives

Sotheby’s
Large Torso, Willem de Kooning,
1904-1997.

Sotheby’s
Précurseur de l’expressionnisme abstrait et pionnier de l’art contemporain, Willem de
Kooning en est aussi la «victime», lorsqu’en 1953, l’une de ses œuvres est détruite par
le plasticien américain Robert Rauschenberg pour créer Erased.

Salvador Dalí (1954), Mona Lisa de de conserve contenant les excréments


Fernando Botero (1959), La Joconde de de Piero Manzoni dans le cas du «ready-
René Magritte (1962), Thirty are better made» Merde d’Artiste, une «machine
than one d’Andy Warhol (1963), Pneu- à caca» fonctionnant avec des aliments
monia Lisa de Rauschenberg (1982), La dans le cas de l’œuvre Cloaca du plas-
Joconde de Jean-Michel Basquiat (1983) ticien Wim Delvoye...), les adversaires
– constituent-ils de réelles innovations ? de l’art contemporain s’insurgent éga-
Pour les détracteurs de l’art contempo- lement contre leur prix démesuré. La
rain, dont les attentes esthétiques relèvent transgression des valeurs morales et du
généralement du paradigme moderne ou bon goût serait devenue le fonds de com-
classique, reproduire l’objet ou les tech- merce d’un art contemporain porté aux
niques artistiques d’autrui en leur appor- nues par le marché. Soumises ainsi à ses
tant un détail infinitésimal (une mous- fluctuations, donc aux effets de mode, et Untitled XIII, Willem De Kooning,
tache dans le cas de Marcel Duchamp) ou aux attentes de nouveaux mécènes, les 1985.
une innovation mineure (des traits naïfs œuvres originales auraient de moins en
dans le cas de Fernando Botero) s’appa- moins leur place dans le monde «élitiste» mercantiles».
rente à un blasphème et non à une révolu- et hermétique de l’art contemporain. Se- Finalement, qu’elles soient présentées
tion. En outre, ils condamnent l’ensemble lon Nathalie Heinich, ce phénomène «in- dans d’occultes galeries et vendues à prix
des transformations que sous-tend le pa- terroge la possibilité qu’a aujourd’hui «cassés» ou exposées au sein des institu-
radigme de l’art contemporain : la mise l’art contemporain d’exprimer une tions les plus prestigieuses de la planète
à mort de la «beauté», critère périmé véritable marginalité, une réelle singu- (la place Vendôme, qui accueille en no-
auquel on préfère désormais celui de la larité, conformément aux valeurs qui le vembre dernier le «sapin» de McCarthy,
«transgression», et la dématérialisation justifient». Marion Guillot tempère les ou le château de Versailles, qui expose
de l’œuvre d’art, qui réside moins dans propos de la sociologue en affirmant que en 2010 les œuvres kitsch de Murakami)
l’objet réalisé par l’artiste que dans le «les œuvres qui se vendent à plusieurs et cédées à prix d’or, les œuvres d’art
discours philosophique, souvent élitiste millions d’euros [telles que la sculp- contemporain continuent de déjouer les
et anti-esthétique, qui l’accompagne. ture kitsch Balloon Dog de Jeff Koons, attentes du sens commun, de transgresser
Outrés de voir que les œuvres d’art sont vendue 58,4 millions d’euros en 2013, les frontières de l’art et de «provoquer»
désormais créées à partir des matériaux NDLR] représentent une part infime de des réactions dans la société. La preuve,
les plus triviaux (de l’urine et du sang l’art contemporain. Il est préférable de peut-être, que la révolution de l’art
dans le cas de l’œuvre Piss Christ du s’intéresser à la création contemporaine contemporain est toujours en marche...
photographe Andres Serrano, 90 boîtes qui, pour 95%, échappe à ces logiques Honorine Reussard

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