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PRINCES ET CHIMPANZES = Le Pygmée Medzang dans les représentations mentales des Tikar de Nditam S. C. Abega” Nous proposons de donner les représentations tikar des pygmées mendzang en explorant entre autre les mythes et les rites pour éclairer un pan des relations entre les deux communautés, relations qui ne sont pas sans conséquences sur I'accés aux ressources du terroir et qui permettent aussi de découvrir fa hiérarchisation des rapports entre la savane et la forét. Mots Clé : Tikar, Pygmée: Medzang, Mble, savane, forét, chasse, culture matérielle, rite, mythe, nourriture, anthropophagie, princes, chimpanzé. Nous avons constaté, au cours de notre mission Nditam du 14 au 30 avril un cas de rébellion des pygmées wad 241 ou plutot bad 249 selon la prononciation tikar vis-a-vis du trone de Nditam. Il s'agissait d'une histoire d'empoisonnement entre pygmées ayant dégénéré en conflit avec les Tikar du village de Bidi, lesquels leur reprochaient de violer leurs territoires de chasse. En répression, le chef de Nditam songeait a les transférer du site de Mendwen, ott habitait le groupe incriminé vers un autre, strement moins favorable. Ce conflit met en lumiére Marticulation entre "organisation sociale Intra-communautaire d'un c6té, intercommunautaire de l'autre, et la gestion du terroir en ce qui concerne I'accés aux ressources entiellement. Il faut donc interroger la premiére pour mieux comprendre la seconde. Nous nous arréterons dans ce travail aux simples rapports intercommunautaires, *Chargé de recherches, Université de Yaoundé I, en les limitant a la sphére des représentations mentales, rites et mythes principalement, et nous montrerons comment la forét est percue a travers le Pygmée, homme de la forét, par les Tikar, gens de la savane. Le versant tikar des relations tikar-medzang étonne par les préjugés et les représentations développées sur le deuxiéme membre du couple, Que le pygmée puisse étre prince et animal oblige a s'interroger sur l'image de l'autre née du commensalisme entre les deux sociétés et sur la nature véritable de leurs rapports. Quelques éléments, recueillis chez les Tikar, vont nous permettre d'approcher I'image forgée par cette culture de ce partenaire qui participe de son identité sans en faire partie. 1 - Etymologie du nom Les Pygmées de la plaine tikar sont baptisés bed 24m. Le mot se décomposerait en ba, pluriel trés commun dans les langues bantou, groupe dans lequel se classe le parler de Nditam, méme si ses locuteurs n‘appartiennent pas au groupe dit bantou, et d24y, errer, aller de place en place. Ils seraient donc les vagabonds, les errants, les sans domicile fixe. Le nom leur aurait été donné de la maniére suivante : d'aprés les traditions, ils seraient les premiers occupants de la région de Foumban. Ce nom vient de fuf maitre, seigneur et de mb%, le domicile, le village, le lieu, Ils auraient habité cet endroit jusqu'a l'arrivée des Bamoun. Accueillis convenablement, ces derniers se proclament trés vite seigneurs (fué) du lieu (1b) et les délogent. Les bad 24y auraient alors pris le chemin de I'exil et de l'errance, ne s'arrétant qu'a la rencontre avec les Tikar. Celle-ci aurait eu lieu 4 Mbwaga, a dix kilometres de Bankim; c'était sous le chef Mbé, celui qui a conduit la migration tikar jusqu'a Nami. Le mythe présente du pygmée un portrait bien caractérisé. On reconnait le ivilisation de sédentaires vis-a-vis d'un mode prisme déformant d'une de vie semi-nomade. Frappé de la malédiction de Cain. le ndzan (singulier de bad 2ay) prend l'apparence d'un etre bien misérable dans cette description. Mieux, il n'a méme pas I'avantage de l'autochtonie, statut riche de priviléges en ce qui concerne I'accés aux ressources naturelles et aux honneurs politiques. Une interrogation héle nos investigations. Quel est leur véritable ethnonyme dans ce cas ? Le mot badzéy a une connotation péjorative, et nombre de peuples désignent leurs voisins ou les étrangers par ce genre de terme dévalorisant. En regardant les ethnonymes des groupes pygmées connus, une certaine familiarité semble s'en dégager : Aka, Baka, Bakola Bekwe, Batwa. Je n'affronterai pas le risque d'un enlisement dans les marécages de l'étymologie, laissant aux linguistes le soin d'en débattre. J'espere mieux éclairer mon propos en décrivant, entre autres, le mode de vie des bad z4y tel que rapporté par les Tikar avant la rencontre avec ces derniers. 2 - Mode de vie Les récits recueillis au cours de nos investigations donnent des pygmées une image d'Epinal. Ainsi, nous dit Fumbioko Ngbatou, ancien chef de Mambioko, les badz4y vivaient exactement comme des animaux avant leur rencontre avec les Tikar, et craignaient méme d'approcher ces derniers. Ils dormaient att sommet des fromages (Ceiba pentadra, bombacacées), et ne pouvaient élever leur campement a coté de celui des Tikar. Ils se nourrissaient de fruits sauvages et d'ignames tout aussi sauvages. Ignorant la poterie, ils creusaient un trou dans le sol, en lissaient le fond et y déposaient le tubercule. Ensuite ils le recouvraient de feuilles, puis de terre. [ls allumaient alors un petit feu au-dessus comme pour se réchauffer, et nul n'aurait pu deviner qu'ils faisai nt fa cuisine. Le trou dans le sol, lissé et garni d'ignames et de fcuilles nous apprend peut-étre ce que [ut la premiére cuisine et comment naquit la poterie, son opposé symétrique. On serait passé d'un creux modélé en terre a une terre modélée en creux, le premier taillé a méme le globe, la deuxiéme libérée de celul-ci. Ces descriptions s'harmonisent avec la réputation du pygmée : menteur invétéré, il ne dit jamais non, accepte tout ce qu'on lui propose, promet ce qu'on veut et ne réalise jamais rien de cela. Il est veule, faux et fuyant, et dissimule toujours une escroquerie derriére son sourire. Cette kyrielle d'épithétes pourrait étre comparée avec les qualificatifs attribués au négre par une certaine littérature. On s'interroge d'ailleurs sur le silence d'un courant comme la négritude sur les rapports des populations négro-africaines entre elles. La situation décrite ici manque d'originalité, s'agissant des rapports entre les différents groupes de pygmées et leurs voisins. Liimage du pygmée comme étre sauvage a Ia limite de lanimalité se précise avec le récit de Madame Nyakpatedzo. Celui-ci nous permet dlassister 4 la rencontre entre badz4y et Tikar : celle-ci nous est due a némbud4y, notable 449. Ce dernier faisait partie des dn, fraction tikar isolée du gros de fa migration pour créer la localité baptisée de leur nom, & la périphérie de Nditam. Ils se sont mis a cultiver le mais ou alors ils ont mis a germer?!, Un jour, némbudén va au champ (ou surveiller la germination?) et trouve le grain devore. Les deprcdations sc continuant, il décide d'en finir et se met en embuscade, la sagaic préte @ transpercer le dévastateur. Survient une bande de chimpanzés qui attaque le mais a belles dents. Le cultivateur jaillit, l'arme haute. Il veut transpercer un des singes quand celui- ci demande grace. L'homme reste pétrifié. Un chimpanzé lui a parlé! A Ia fin, il senquiert de ce curieux phénoméne, La béte lui révéle alors son identité humaine. Ce n'est pas un chimpanzé, mais un nd2ay pressé par la faim ayant emprunté cette apparence pour se sustenter grace aux céréales, Il leur demande de revenir avec lui au village, ott il leur trouvera a manger. IIs acceptent de bonne grace, et némbudSy les raméne avec lui avant de les présenter au chef. D'aprés une autre source, ceux qui ont refusé de reprendre leur morphologie humaine sont restés dans la brousse, prisonniers de leur apparence simienne. On comprend pourquoi ils dormaient sur les baobabs et craignaient la proximité des Tikar. Intermédiaires entre les hommes et les animaux, ils ont éclaté en deux groupes. Certains sont restés singes, d'autres sont devenus des hommes. Mais ce faisant, ils n'ont pas perdu tout a fait leur spécificité animale. némbudsn, comme tous les civilisateurs, vient pécher les pauvres quadrumanes des abysses de lanimalité, Ceux qui ont accepté de le suivre garderont désormais Jeur humanité, Celle-ci se traduit par les emprunts culturels, car les Tikar sont convaincus d'avoir apporté la "civilisation" aux bedz4p. Un de nos informateurs (20/1094), qui a requis l'anonymat, revendique la langue INous sommes malheureusement tributaires des traductions de nos interprétes. Toutes les autres versions partent de mais mis a germer. Nous pensons que tel doit aussi étre le cas de ce version. Malheureusement, nous n’avons pas recueilli cette information par Mentremise de usitée aujourd'hul, les bad24y ayant perdu la leur, le costume, les pygmées ayant abandonné leur cache-sexe, ¢troite bande d'écorce battue de Varbre ’gha’ pour les femmes et les étuis péniens taillés dans une branche du méme arbre. {Is ont fini par oublier Jes ignames sauvages en découvrant le cous-cous. Ils ont délaissé leurs cases, especes de wigwams faits de 3 piquets assemblés et recouyerts de feuilles, Is ont aussi découvert Dieu avec I Tikar, car avant, ils n'avaient que leur masque we. N'ayant pas d'instruments aratoires, précise notre informateur, ils n'enterraient pas leurs morts. Ils se contentaient d'enfiler le cadavre dans la cavité d'un arbre creux, les ouvertures étant bouchées par des feuilles. Une fois cela fait, ils se dépéchaient de déménager devant la puanteur de la décomposition, dott leur nomadisme. En leur apportant des outils de terrassement, les Tikar se targuent de leur avoir permis de se sédentariser. lls se taillaient aussi les dents, mode que leur copiérent les princesses tikar pendant un moment. Ce n'est d'ailleurs pas le seul emprunt & la culture pygmée. Dans certains rituels de Nditam, les chants sont typiques de celle-ci, tant dans leur vocabulaire, souvent incompréhensible de nos informateurs, que dans Jes vocalises et la polyphonie des mélodies. Nous pouvons aussi citer le masque ny badz4y pour mémoire, Il est porté par les petits enfants de quatre a huit ans aux occasions festives, et la troupe des jeunes danseurs va de case en case se produire pour recevoir des cadeaux en échange des voeux de prospérité. Je V'ai observé le 18/09/1994. Il était accompagné d'un tambour et d'un chanteur. L'un des morceaux était le suivant : Quand un mendiant a vu a manger, HI vient quémander. Et je dis offrir une piéce de monnaie aux petits artistes avant de les voir s'éloigner. Voila donc nos sylvains associes a la mendicité car, nous savons que les Pygmées ne taillent pas leurs masques dans le bois, IL y a cependant des pratiques qu'ils ne veulent pas encore abandonner. Ils ignorent notamment la notion d'inceste en dehors des enfants d'un méme géniteur, car les cousins croisés et paralléles se marient chez eux, selon les Tikar. On reconnait 14 en creux les prohibitions de la parenté chez les Tikar. Le pygmée reste un animal parce qu'il n'a pas encore adopté le systéme parental de ses commensaux, mais a entamé le chemin vers I'humain parce qu'il a emprunté chez son voisin. Ils ont cependant appris a boire de alcool, notamment le nkan et le ngbé, boissons & base de mil ou de mais brassées par les femmes tikar, Ces denrées occupent une place importante dans les rapports économiques et rituels des deux communautés, et indiquent une insertion des bed 24n dans la mouvance des cultures agraires. 3 - Les thémes alimentaires Les thémes alimentaires ne sont pas en reste dans I'univers des représentations associées aux bad z4y. Cette version de leur découverte -car c'est le civilisateur qui découvre, méme si I'inverse est souvent vrai- par les Tikar, racontée par Fumbioko! Ngbatou (fumbisko ngbe ri) 4 Mambioko (20/07/1994) le prouve : il y avait un homme du nom de némbudsy, notable de Nditam, chaque fois qu'il récoltait du manioc et le laissait 4 rouir Titre du notable de Mambioko dans le ruisseau, on venait le voler. C'était du manioc amer, et if ne pouvait le consommer sans l'avoir trempé au préalable. II s'est donc caché pour voir les voleurs, et il a découvert que c'était des madzan. Hl leur a promis de les nourrir s'ils s'associaient a lui. Cela date d'il ya bien longtemps. leur langue. nce temps la, les pygmeées avaient Ce récit, depouillé du theme de "'homme-béte, s'attarde. comme le premier d'ailleurs, sur celui de la faim. Pour les agriculteurs, les badz4y sont d'éternels affamés. Cette vision divise d'ailleurs les chercheurs, et le dernier colloque sur l'Anthropologie Alimentaire a Yaoundéla connu quelques épisodes palpitants a cause d'elle. L'argumentation tournait sur les disponibilités en féculents de Kenvironnement naturel des Bakola, pygmées de la région de Campo. Pouvait-il y avoir assez d'ignames sauvages par exemple, ou d'un substitut quelconque, amendes de Coula edulis par exemple, pour les dispenser des échanges avec les Bantou dans ce domaine? Mes amis européens, et francais surtout, sont toujours étonnés de la quantité de pain que j'engloutis quand nous partageons un repas. Crest que dans ma culture, celle de la forét -je sitis-Betl-, comme dans celle des autochtones de Campo, la notion de satiété est lige aux féculents, ou aux céréales chez les Tikar et les autres peuples qui en cultivent. Plus on en mange, mieux on se rassasie. Nos informateurs sont formels : sans boule de mais, un Tikar n'a pas de sensation de satiété, On ne peut avoir le ventre plein sans une bonne dose de manioc ou de cous-cous, Les anecdotes pullulent des méres bataillant avec leurs galopins écervelés pour leur faire préférer le manioc a la sauce. 127-30 avril 1994 La querelle de nos pygmologues, en se focalisant sur les féculents, fut done peut- étre plus culturelle que scientifique. [association des autres produits alimentaires, viande, insectes, feuilles, fruits, champignons n'autorisait- elle pas une alimentation suffisante en dehors des feculents et de leurs substituts? Ne produisant que peu de féculents, en occurrence l'igname ponible néces: sauvage d irement en quantités limitées aux yeux d'un Tikar ou d'un bantou, la société pygmée apparait a ceux-ci comme irrémédiablement grevée d'une économie de la famine parce que leur alimentation ne satisfait que marginalement aux normes de ta satiété chez les Tikar. Vues cependant les quantités de gibier et de poisson quills continuent de prélever atjourd'hul encore sur leur environnement naturel pour se nourrir -la viande est un plat quasi quotidien- et alimenter le commerce avec les villes et les régions voisines, vu l'afflux hebdomadaire de marchandes venues de Yaoundé a trois cents cinquante kilometres environ, sur des routes défon es OU du pays bamoun pour s'approvisionner, et les prix dérisoires pratiqués un Cercopithecus cephus ow un Céphalophus melanorheus étant cédés a six ou sept cents francs, il est difficile de concevoir des champions de la brousse, de ces hommes devenus animaux dans limaginaire de leur semblable a cause de leur intimité avec la nature, il est difficile de les concevoir comme des affamés perpétuels, Une autre raison permet de croire que cette vision est dictée par la culture et trahit plus le prisme ethnocentrique que des faits réels : ces voleurs de nourriture sont associés au cru. Ce sont des chimpanzés qui dévorent du mais’ sur pied ou en germination, ou de simples maraudeurs pables de défier la toxicité du manioc amer. Cela aggrave leur cas. Ils ne sont pas seulement affames, La faim les accule en plus a lanimalité, image traduite dans le mythe par la métamorphose de l'homme en quéte de nourriture en chimpanzé, C'est encore cet attrait de la nourriture qui permet leur domestication et les an me a la societé tikar, Finalement, tout leur itinéraire soctal tel que fivré par le mythe st une longue quéte de nourriture, Ils sont venus pour manger, ils sont restés pour manger. 4 - Querelles avec les Bemble Il est d'ailleurs intéressant de comparer leur destin & celui des mb |e leurs pires ennemis. Les mb1e, nous dit la tradition, entrent dans le monde tikar exactement de la méme maniére que les badzay, a quelques nuances prés, nuances qui tracent peut-étre la frontiére entre les deux : Les whLe sont venus du sud, chez les mbé Le. Ce serait donc des bamvéle ou bambéle, puisque notre informateur Monsieur David Nyikong les apparente aux Yalongo et aux Bavek, peuples de langue bamyéle, Ils se rattachent A un mode de vie forestier, comme le prouvent leurs propres descriptions, Ils menaient en effet une vie semi- nomade. Quand ils trouvaient un endroit favorable, ils s'y arrétaient une année avant de continuer, le temps d'une récolte, Ils avaient été délogés de chez eux par une guerre. lls ont ainsi habité un premier site. Quand ils se sont installés sur le second, ils n'ont eu aucune conscience d'un autre peuplement dans le voisinage. Ils occupaient une rive d'un cours d'eau appelé nyémpe, les Tikar autre, Une femme tikar a mis son mais A germer dans l'eau pour fabriquer de l'alcool, Les enfants que les mb1e envoyaient au ruisseau venaient en voler. Cela s'est reproduit 10 chaque jour. la femme, voyant son grain diminuer, a rendu compte au village, affirmant qu'il ne stagissait pas des déprédations des murides, mais bien d'une action humaine, ‘Son mari s'est done dissimulé pour surprendre le coupable, et a vu venir un enfant récipient en main pour puiser de eau. 1 Ha interrogé, puis lui a proposer d'aller avec lui dans son village. l'enfant a accepté, et est allé le montrer & son pére qui I'a conduit a son chef et aux notables, Il leur a proposé dialler avec lui dans son village. Le chef, lui a demandé s'ils n'avaient pas eux-aussi un chef et qui, de lui ou de ce dernier commanderait autre. Ia répondu que le prince tikar était naturellement supérieur au mb Le. Le chef a refusé son invitation, disant quill avait déja fui une guerre oit il avait perdu six de ses sept tambours sacrés, et ne voulait pas entamer une nouvelle, II lui a confié ses notables, et a disparu Iui-méme. Le Tikar s'appelait t édzeénds, Ia amené ces notables chez lui ot ils ont vécu ensemble un moment, Voulant rendre visite a son chef, il a pris un jeune mble avec Lui. Jelui-ci portait son sac. Il était aussi armé d'une machette, mais t édzeéndo ne le savait pas. An ivé chez le chef, il s'est assis, et son compagnon a pris place derriére lui. L'on avait capturé ce jour-la un serpent boa dans fe village, et on était venu le présenter au chef. L'ophidien s'est libéré et a attaqué le chef. Avant qu'il ne l'atteigne, le jeune mb1e Ia abattu de son sabre. Admiratif et reconnaissant, le chef s'est enquis sur l'enfant et + édzeéndo lui a appris existence des mb e. Le chef lui a dit de revenir le lendemain, et t édzeéndo a amené les notables mble avec lui. Il y avait 7 notables, et une famille sans notable. Le chef a sollicité de celle- ci un représentant, et a nommé celui-ci responsable A sa cour, avec le nT titre de nyésonbi, "celui qui garde la porte". Il a décrété que désormais, les hommes de ce groupe deviendraient bet énf i (singulier : met énJ i), gardes du corps du chef, et les femmes ses épouses, : On voit apparaitre autour du méme mytheme des differences fondamentales, Si les mb1e volent du mais comme les bad 24m, il s'agit dans leur cas de chapardages sans gravité, puisque perpétrés par des enfants, Le texte comporte aussi des allusions a une organisation sociale de la société mbfe, communauté gouvernée par un pouvoir centralisé représenté par un chef et des notables. Les mble étaient en effet regroupés en 7 villages qui ont aujourd'hui disparu. Ils avaient pour nom cinei, galo, dzembi, dzaandz6y, kpéré et nde’ kpéré était divisé en deux, Chaque village avait 1 notable a sa téte, dont le titre était Gtymologiquement lié a celui du village. Ainst, nyinei gouvernait cinci, nghaéndzéy était a la téte de dzaand2dy. Les ter itoires forestiers de ces villages restent attribués a leurs descendants, Le monarque avait refusé d'ailleurs de se soumettre. Quant & la culture matérielle, elle est représentée par le sabre et Je tambour sacré, Celui-ci existe toujours, I] est appelé ngbamb te, tambour des mole, On me a présenté, Il stagit d'une bille de bois évidée et fermée par une peau de béte, membrane frappée par le joueur pour donner le son. Cependant, contrairement au tambour classique, il est aussi fermé a un bout, le plus petit, celui qui touche le sol. Seu! le chef est autorisé & en voir l'intérieur. Autrefois, les membranes étaient en peau humaine, Le ventre du tambour en contiendrait une. Une autre fermerait le plus petit bout, 1 ! - Le chef de Nditam nous a affirmé qu'il serait prét a laisser prélever des fragments du bois et de la peau afin d'aider a l'identification des especes utilisées et & eur datation. ta communauté Mblé partage ces dispositions. 12 Présenté a la cour, le able n'a pas tardé a montrer son courage et sa courtoisie s'asseyant derriére celui qui la amené, signe de soumission, et attachant du prix a la vie du chef, d’ou sa récompense ; une place de notable, l'un des plus éminents de la cour de Nditam, dispensé ailleurs de saluer le chef, pour un mble. position qu'il conserve aujourd'hui encore, et un immense privilége pour tous les hommes et femmes de la communauté : alliés donneurs de femmes et chargés de la Bande ca RMS Tut PIGS remarquable que les mb Le avaient été introduits a la cour par un rival du roi, En effet, tédzeéndo était, dlaprés Jacques Nyétché son descendant, frére du roi, Ils avaient le méme pere et étaient venus ensemble de Rankim. Chacun d’eux avait un fils, et les deux garconnets habitaient ensemble et portaient le méme nom: ngbe éme. Quand on tuait une panthére, les deux enfants étaient servis ensemble, mais le fils de tédze€nda mangeait la plus grosse part. Le chef a attiré attention de son frére sur ce phénoméne et lui a demandé la conduite a tenir. Celui-ci s'est incliné par anticipation a toute décision que prendrait le monarque, et le chef a demandé qu'ils se séparent, t @dzeéndo lui a demandé de lui trouver une terre. Le chef a sollicité le concours de t4ma ta et de dzepay, les propriétaires de la terre sur laquelle ils venaient de s'installer, et ils lui ont dit de batir sa concession au licu dit nds. tédzeénds a cependant conservé les prérogatives d'un frére, et le porteur du titre est engagé avec le chef dans la réciprocité du lévirat. Quand l'un meurt, autre réclame ses veuves comme épouses et les prend, ou obtient un dédommagement a Ja place quand cela n'est pas possible comme de nos jours, et réciproquement. : 13 14 Tei aussi la nourriture permet de définir les statuts sociaux. Cet enfant qui mange plus que le fils du chef met en danger la supériorité du sang royal. En Gloignant son frere de lui, le chef éteint ses prétentions au trone, car un prince "qui a travers¢ la riviere” ne peut plus régner. 5 - De la forét & la savane La réussite des bemb le n'en est que plus remarquable. Apparus dans fa société tikar dans les mémes conditions que les Pygmées, ils ont conquis une place bien confortable, tandis que ces derniers croupissaient a la lisiére de I'humanité. Certaines personnes n'hésitent d'ailleurs pas A leur trouver une origine commune. Un de nos informateurs, guérisseur tikar de la famille kp4y se refuse A manger du chimpanzé, car I'un de ses ancétres fut guéri d'un abcés par un de ces singes. Layant trouvé gisant seul a la e, il avait percé l'abce: exprimé le pus et bandé la plaie aprés Favoir massée a l'eau chaude, Les anthropologues n'y verront qu'un de ces mythes dits totémiques. Cependant, pour notre informateur, ce comportement n'est pas extraordinaire. Il y a en effet 2 espaces de chimpanzés : une s'apparente aux bi e et leur ressemble physiquement, l'autre aux bad 24g, dans le méme rapport. Le chimpanzé mbte (stig mb1e) a les paumes rouges, celui des badzay (sty bad z4y) est trés noir de poll. Les mble se transformaient souvent en chimpanzé. Notre informatcur raconte lorigine des bod24n de Ia maniére suivante : avant, les bad zn étaient des chimpanzés de la grande forét. Un jour, une grande pluie est tombée pendant longtemps. Certains singes ont dit a leurs fréres : sortons dans un endroit plus clair. Les autres ont demandé d'attendre la fin de la pluie. Or, dans Ia forét, les arbres continuent de s'égoutter longtemps aprés une averse, Certains sont sortis vers les zones claires, c'esta-dire la savane. Ce sont eux les pygmees bad 24, Ceux qui ont profere Fobscurite syivesire ont gardé leur morphologic simienne. Les mb Le ont exactement la méme origine.! Quand un mbte rencontre un chimpanzeé mb1e, cela annonce un malheur, un deuil dans la communauté mble. Les deux especes de chimpanzés ne s'aiment pas, ont deux habitats différents et méme deux régimes alimentaires distincts. Le badz4y et les mble s'abstiennent chacun de manger le chimpanzé de son espéce. Nous apprenons done que le pygmée est un étre sylvestre, origine qu'll partage avec les mble. Dans la forét, ce n'est qu'un singe. Emergé dans la savane, il sthumanise. La haine des deux communautés semble antérieure 4 leur rencontre avec les Tikar, puisqu'elle précéde leur humanité, Si proches et si éloignés, peut-on dire des mite et des bad2ay, Ennemis mais fréres, aux yeux de certains ‘Tikar. Le mythe permet aussi d'établir un rapport entre fa forét et la savane. Le chimpanzé est en effet au bad 24n ce que la forét est a la savane. Les différents mythes, dans leurs versions, présentent les transformations suivantes : DU CHIMPANZE. AU PYGMEE de {animal a ['homme de l'inculture a la culture Nous remercions information. rangois Baillon pour sa collaboration dans la collecte de cette 16 avant Je Tikar avec le'Tikar de Ihumide au sec sae de lobscurite - au clair de la faim a fa nourriture du cru au cuit de linsécurité ala sécurité de Ja forét ala savane La premiere colonne correspond au passé, le second au présent. Chacune permet de regrouper des termes associés dans la pensée classificatoire tikar. Ainsi, la forét représente la faim, I'humide, Pinsécurité, Fobscurité, 1] est possible qu'aujourd'hui, avec l'avancée de la forét, certaines représentations aient évolué. Nous ne pouvons encore apporter des précisions a ce sujet. Pour une civilisation de la savane comme celle des Tikar, on comprend que la forét prenne une connotation négative, apparaisse comme espace de la sauvagerie. En migrant vers la savane, le ndzay rompt avec I'animalité, méme si le mythe est [A pour la réaffirmer constamment, La rivalité entre mb1e et bad 24y s'articule done sur le symbolisme alimentaire et s'exprime en termes de cannibalisme. Elle nous permet de préciser Pimage du nd24y dans la société tikar. Pour les mb1e, un ndzay était trés lié a I'un de leurs, Un jour se promenaient, le mble a voulu cueillir des colas et a qu grimpé sur un colatier. Resté au pied de larbre, le pygmée a bandé son arc et décoché une fléche sur son compagnon. Le matheureux en est mort. Chacun était pourtant chef de quartier chez lui, Le crime a eu lieu a Ngambé Tikar. D‘aprés un notable de Nditam ayant requis l'anonymat, le conflit opposant les mb! e aux Pygmées remonte a une période déja éloignée. Les mb1e avaient mis du mais a germer dans leau. Les Pygmées venaient le voler. Mis en fureur, les mh e se sont dissimulés pour attendre les voleurs. Quand les bad z4n ont voulu récidiver, les mble ont abattu leur chef. Ils se sont emparés de ta dépouille, Font ramenée dans leur village, ont rotie et ont dévorée. Depuis ce temps une solide inimitié lie les deux communautés. Le mythe, en se répétant ici entre les deux communautés, établit entre elles un rapport similaire A celui qu'ils entretiennent avec les ‘Tikar. Si les deux peuvent représenter la forét, le mble habitait le village forestier, tandis que le Pygmée reste associé & la brousse. Le conflit entre les deux groupes est si violent qu'il émigre sur le plan rituel, certains contacts pouvant entrainer la souillure, Ainsi, si un ndz4y joue du tambour sacré des mble, le célébre ngbamble, il en devient lépreux. Quand on en battait autrefois, si un ndz4y s'aventurait dans les parages, ils était capturé, tué et mangé. Ses mains fraichement coupées s rvaient a frapper ngbemb Le. Nous voyons ressurgir notre mythéme. Arrimés a la famine et au vol, les bad24y sont définitivement confinés dans I'animalité par l'anthropophagie. Si un espoir leur semblait promis avec la métamorphose du chimpanzé en homme, leur condamnation devient définitive a partir de linstant oi le mangeur est mangé et le chasseur chassé. Cependant, d'autres raisons expliqueraient ce conflit. Elles permettent de relier le statut initial, si proche d'aprés les mythes, & leurs destins sociaux divergents. Certaines sources, dont la trés respectable t iéma 16, cheftaine, ou mieux doublet féminin du chef de Nditam, croient y voir en effet le résultat d'une éviction des badz4y, 17 ceux-ci comprenant mal les f veurs accordées aux mbte par rapport a leur propre statut, Une autre source feminine ayant requis l'anonymat donne quelques précisions, corroborées d'ailleurs par d'autres informatrices, nsi, le chef ngbe ri mbwé (nom orthographié Ngbatou ou Gwatou dans la plupart des documents) aurait été séduit par le charme d'une ndzay. Ayant obtenu ses faveurs, il eut d'elle un fils. Celui-ci accéda-t-il au trone? Toutes nos informatrices répondent non a cette interrogation. Cependant, déclarent-elles, lorsqu'on voulut désigner une ndzéta, titre prestigieux porté par les femmes, et qui signifie mére du chef, au lieu de choisir la pygmée, chose inconcevable pour un Tikar, on substitua une mb1 e a cette derniére, d'oi l'amertume des badzan, 6 - Prohibitions sexuelles On découvre ainsi que non seulement les pygmées n'ont pu émerger socialement, mais que la société leur refuse systématiquement toute voie a Iémergence. C'est affirmer leur infériorité apres [avoir programmée consciemment. La confusion créée autour de cette accession au titre de ndzéto est pour le moins suspecte. D'un cété, on affirme que la femme aimée ne fut qu'une concubine et regagna son campement une fois consommé le plaisir du chef. Il est tout a fait stir que dans ces conditions, rien n‘aurait pu I'élire au rang de prétendante aux honneurs de ndzéta, edt-elle été une Tikar de sang bleu, car seule une femme agée peut y prétendre lorsqu'elle a largement dépassé la ménopause. Elle n'est pas obligatoirement la génitrice du chef. D'autre part, il eut fallu a cette pygmée entretenir des rapports particuliers avec le chef pour se sentir frustrée d'une nomination, sa communauté étant habituellement tenue a l'écart de mblables compétitions. 18, Le prince né d'une union de ce type est appelé pani. Le chef Gandji Ndziya a aussi été le pére d'un pan{i du nom de Ga. Celui-ci habitait & Gandzié, La chose était tenue secrete. Secret de polichinelle, puisque toute la communauté de Nditam te connaissait. I lui était cependant défendu d'en parler a un étranger, La ndzap, une fois enceinte des ceuvres du chef, était retournée chez elle et avait dissimulé la chose & tout fe monde, Cependant, aucun récit n'est plus passionnant que celui d'un mystere, simulations trouvent leur explication dans une prohibition, Le contact sexuel avec les bed zn est source de pollution. I ne s'agit pas d'une loi sociale, mais d'un véritable tabou. Quiconque le viole est frappé d'une souillure rituelle. Cet interdit s'enracine dans une certaine attitude de mépris, la naissance d’un pan{{ devenant un secret honteux, alors qu'un fils né dans les mémes conditions, mais d'une mére d'appartenance ethnique différente, aurait été reconnu comme prince a part entire et intégré dans la société tikar. Les Tikar évitent tout contact sexuel avec les Pygmées parce que ces derniers ont “un sang plus fort" que le leur. Cela se dirait en langage génétique que les génes tikar seraient récessifs et ceux des badz4y dominants en cas de métissage. Ce n'est qu'une maniére de parler, personne n'ayant vérifié cette équation. Elle permet cependant de donner une idée plus exacte des faits sociaux. En effet, a Nditam, Von pense que le métis finira par rejoindre les bad z4y. Pressé par une hérédité aussi sévére, il ne s'adaptera jamais au mode de vie tikar, Tel est encore le destin programmé pour le couple alliant les deux ethnies, Des cas sont cités en exemple. Certains pensent d'ailleurs qu'il n'y a pas dinter-fécondité entre les badzay et les autres groupes humains. 19 20 Aucune nd24q ne peut concevoir d'un Tikar, Tout enfant né d'une union mixte ne serait donc en fait que le fruit dun adultére. D'ailleurs, ces unions semblent condamneéc 1 divorce a perpétuite, la pygmée finissant par retourner chez les siens. Une enquéte détaillée simplitie cependant les données et jette une certaine lumigre sur ces faits. Les étres ainsi marqués sont admis dans Je village et insérés dans les différen s circuits de socialité. L'attitude envers eux est cependant empreinte d'une certaine réserve et ne leur épargne pas les vexations. Deux informateurs nous ont avoué leur jonte" a l'éventualité d'un parténariat sexuel avec un ndz4y, et un autre dit qu'il ne saurait rester cinq minutes a cdté de I'un d'eux sans éprouver de la géne. Ce sang fort et ses chromosomes de la vie des campements, cette domination du sang pygmée s'expliqueraient done pour une grande part par des attitudes discriminatoires, Consanguins et alliés des badz4y finissent par renoncer au mode de vie tikar aprés avoir essuyé bien de rebuffades et d'humiliations, aprés avoir connu la morgue et la moue. Quiconque a connu Mintimité sexuelle d'un ndz4y stest laissé contaminer par Ia sauvagerie de ce sang. Il n'y a qu'un moyen de se libérer de son emprise polluante : organiser un rite de purification. Dans sa phase centrale, celui-ci consiste, pour le sujet, a entrer dans une hutte. Celle-ci est par la suite incendiée. Quand monte le feu, on sort en courant La vieille enveloppe, la vieille peau se consume ainsi dans Mincendie, et de cette mue symbolique nait un nouvel étre. 7 - Maitres de la vie et princes Cette force, plus que négative, nous semble ambivalente, les bod z4y président les marches de la vie, au moins celle des princes, car 21 les Pygmées ne sia orient qu'a ces derniers, partageant leurs rites et certains de leurs privileges. Ils interviennent a la naissance et & la mort des princes Ainsi, en cas de grossesse d'une des femmes du chef, i! appartient aux bad2an de Pannoncer au peuple au cours d'un rite. Celui-ci dure, dans son plus grand faste, sept jours. Quand nait le hébe, if est interdit a ka mére de lui donner le sein tant qu'il n’ a pas tété une mere pygmée. Cet allaitement peut étre ramené a un jour, mais auparavant, il pouvait aller & sept jours. Au moment de la premiére sortie au grand air du nouveau né, il appartiendra encore aux bed.24y de lui montrer pour la premiére fois la lumiére du jour. : la reine semble donc chargé de ta gestation naturelle, les Pyemées assurant la naissance culturelle du prince. C'est pourquoi ils stinserent aux articulations les plus importantes de son cycle de vie. Le chef et ses fréres sont donc mi-badz4y, mi-Tikar. A ce utre, les deux chefs de Nditam, car cette communauté est gouvernée par un chef (nét9) et une cheftaine (t iéma 16), proclament haut et fort que les Pygmées sont leurs fréres, et ils sont au moins leurs fréres de lait, car chacun d'eux a sucé un sein ndzay. Les badz4y remplacent a cet office les be LAdSn, gens de d4n, venus de Bankim avec les autres Tikar. Ils étaient installés A dn, a lécart des autres membres de la communauté, Ils étaient chargés de toutes les cérémonies actuellement configes aux Pygmées. Ils organisaient un rite de fécondité au cours duquel on sacrifiait sept poulcts, apprétés avec des plantcs médicinales comme ingrédients. La nourriture était distribuée 4 tous et consommeée avec les mains. Elle était servie sur des feuilles, Ce rite s'exécute toujours, mais les ba 144 ‘ocient leur savoir & celul des bad 249. C ont pris leur place du fait de l'alliance qui les réunit depuis le jour de leur introduction dans 22 lunivers tikar, insertion due, on le sait, aux premiers, aujourd'hui en voie de disparition. Associé & leur rdle de prétre de ia fécondite, s'ajoute leur role sexuel. Diaprés un notable tikar, ce sont les had 249 qui ont enseigné la circoncision aux Tikar. Les Pygmées disent d'ailleurs leur avoir appris aussi le coit, assurant ainsi le futur de l'espéce. Le premier Tikar aurait 6té ainsi issu des ceuvres d'un des leurs!, Ce sont donc réellement les maitres de fa vie, qu'ils président d'un bout a autre. Les voici donc devant la mort, Us sont associés aux obséques des princes, notamment lors de la sortie des masques nga gay. Ceux-ci sortent le premier et le troisiéme jour de la cérémonie, et sont accompagnés des danses princiéres, le second étant consacré aux badzay. Cette prestation reste bien mystérieuse, les secrets les mieux gardés étant cependant ceux qui ne dissimulent rien, On leur annonce la tenue d'un ngagay la veille de la cérémonie par un envoi de nk4y, Hs arrivent sur les lieux des festivités au soir du deuxidme jour du rite, le premier ayant été, nous l'avons dit, réservé aux princes. Les organisateurs de la cérémonie vont les accueillir, Is entament par une danse. Entre temps, on leur a préparé deux cases, une pour les hommes, une autre pour les femmes, car la performance, masculine, doit rester secréte. Cependant, leur premiere exhibition est publique, et tout le monde va les voir et leur offre des cadeaux. On leur donne & manger de la banane accommodée a I'huile de palme, plat trés épicé accompagné de nk4y, Auparavant, ce plat était préparé avec de la Ip‘aprés un mythe recueilli par notre ami et collégue L, Mebenga Tamba, 23 banane ndambwa, espéce de banane douce aux doigts courts et & forte odeur, Aujourd'hui. d'autres variétés sont employées. Ce plat est ailleurs typique, et est offert aux Pygmées A chacune de leur prestation rituelle chez les Tikar de Nditam. Apres le repas, ils vant rejoindre les Princes ct dansent avec eux. Cette danse est interdite aux roturiers La nuit leur appartient, Ils se produisent a l'intérieur d'une case hermétiquement close, dans laquelle ne peuvent entrer que les princes initiés. Leurs propres femmes sont excluses. Pour franchir le seuil de cette porte fermée, il faut étre prince et payer un certain montant. Ceux qui ont accédé a ce privilége n'ont jamais rien vu de spécial, a leurs propres dires, Le mystére de la créature dont le public entend les rugissements de lextérieur, et qu'il croit étre un masque, ne leur a jamais 6té révélé, Peut-tre est-ce A essence du mystére des bad zn, A quatre heures du matin, quand ils vont voir le chef pour lui dire aurevoir, et que celui-ci leur offre de 'alcool de mais, quand ils chantent et dansent devant lui avant de rentrer, nombre de princes sont en train de pester en regrettant le prix de leur initiation : ils n'ont vu que des danseurs, ils n'ont entendu que des bruits bizarres dont personne n‘a voulu leur révéler Vorigine. Pourtant, disent les dy, leurs alliés, au début, ce sont les princes qui ont demandé au chef d'inviter les badz4y a leurs cérémonies funéraires. Un pygmée était mort durant le séjour de certains princes & leur campement, Les chants et les danses exécutées aux obseques véhiculaient tant d'émotion, tant d'esthétique que les princes souhaitérent étre pleurés de cette maniére a leur tour. Il ne — stagit cependant plus de plaisirs platoniques. Un prince déchoirait si sa memoire n'était pas honorée de cette maniére. De méme ne se hisse-t-il au rang de fils de chef que s'il a bu Ie lait sacré d'une Pygmée. Le roi est done fils de chimpanzé, et ce sang coule dans ses veines. Peut-étre est- ce lA une maniére de devenir chef de la forét et de la savane, le Pygmée, en Je mettant au monde de son existence sociale, lui ajoutant une dimension que son origine de prince de la savane de lui donne pas. I fait de "homme de la savane qu'est le Tikar un étre de la forét aussi en Je remettant au monde. De méme doit-il participer a ses funérailles, selon cette logique. Le nd24y devient ainsi une source de prestige et de mystére, clest-a-dire une ressource politique. Il permet & la chefferie de Nditam d'atteindre sa plénitude, dimension qui ne peut étre touchée que si le chef gouverne les deux milieux naturels qui coexistent dans son environnement. : Tel nous semble le paradoxe. Insultés, ostracisés, rudoyés, les bodzay ont aussi droit aux plus grands honneurs, justifiés par rien d'autre qu'un peu de fiction. Toutes les communautés entrées en contact avec les Tikar ont été absorbées, tels les mble que rien ne distingue plus culturellement des autres, hormis quelques rites spécifiques, ou sont en voie de disparition, comme les descendants de téma ta et de nyéet®, anciens maitres de la terre, ces derniers n'étant plus représentés que par un ou deux individus, souvent des femmes, dans cette société patrilinéaire. Or, les bad 24y gardent une originalité culturelle, et n'ont été que partiellement capturés par la culture ukar, Force laborieuse sous-payée, politiquement satellisés, ils tirent leur force de leur savoir magico-religieux et artistique. Peut-<étre restent-il a la marge de |'économie capitaliste par leur négligence des biens de consommation, de I'élevage et de l'agriculture, activités qu'ils pratiquent bien marginalement, pour échapper aux griffes des Tikar, de Prat et de la mondialisation qui se cachent derriére. L'association Tikar-pygmée rappelle done les descriptions de Turnbull (1965), Les conclusions de celui-ci restent cependant erronées : les deux sociétes ont besoin l'une de l'autre, Le roi commande les bad 241, mais ne peut régner sans eux. Les Tikar prétendent a la suzeraineté, mais ne pouvant l'exercer complétement, recourent & une profusion d'images négatives pour combler les désarticulations de leur systéme de domination. Gens de la savane, envahis par la forét, ils nient celle-ci en |'affublant, elle et ceux quiils y rattachent, d'images dévalorisantes, mais ne peuvent finalement se détacher delle et deviennent chaque jour d'avantage une culture de la forét, PRINCIPAUX INFORMATEURS Charles Anmadou Ngandji IV. chef de Nditam, Emmanuel Bekang, traducteur et interpréte pour la langue tikar, Joseph Bouti, chef de Ngouaissam, Euenne Nonde, représentant du chef chez les Medzang & Mbondé, Jean Mbadi, chef de Kouen, Nyaswa Moussa, chef du village de Sandji, Garba Mba, chef du willane da Nyakpatedzo Ramatou Mundo Mbotchio, Bernadette Nke, Mendo Bah Habiba, Menshie Abe, Philoméne Mundumwe Wayiku, Fualen Thérése, Rebecca Mboke, du village de Kouen 26 27 BIBILOGRAPHIE ABEGA, S. C. 1992. L'homme et l'eau dans ie Sud-Cameroun. Yaoundé. These de doctorat Etat en anthropologie, Université de- FROBENIUS, L. (1925) 1987. MONINéuples et sociétés traditionnelles du Nord Cameroun. NGA NTOfIUI Faia HansacBuleinon MenkenWiekbadéts, Nditam. NGBAGQU. MBIOKH Semadiawidramument inédit. Mambioko. ‘TURNBULL, C. M. 1965. Waywards servants. The Natural History Press,

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