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L'EVOLUTION DE L'ALIMENTATION DE BASE DES TIKAR DE NDITAME Par Séverin-Cécile Abega’ Les Tikar de Nditam affirment que leur aliment de base n'était pas le mais comme aujourd'hui, mais le mil. A cette époque, Nditam était un village de savane. Aujourd'hui, il est enserré par la forét, et Je mais est dans toutes les assiettes. Le manioc progresse aussi. Il convient de voir si les deux phénoménes ne sont pas liés, et d'évoquer les autres hypothéses de cette évolution alimentaire. 1 - Les transformations du milieu naturel Le calendrier rituel des Tikar de Nditam semble particuliérement aberrant. Les plus gi ands rites, ceux qui sont libérés de délais précis, comme le septiéme jour aprés un déces, le quaranti¢me jour aprés un décés ou toutes les cérémonies liés a un délai aprés la naissance, sont repoussés en septembre et en octobre, au moment oi il pleut le plus. Nous avons pris part le 18 octobre a une sortie de masque. Elle fut interrompue par une averse, Le 20 septembre 1994, nous par icipions auss a la désignation de I'héritiere d'une femme disparue. I plut. Le Jendemain, nous assistions a une cérémonie nuptiale qui dura di'ailleurs trois jours, trois jours moroses, perpétuellement arrosés. Nous pouvons multiplier les exemples. Il faudrait s'interroger sur cette particularité. Nous pensons qu'elle manifeste une mutation du calendrier rituel, mutation elle méme liée 4 des transformations de la culture matérielle 'Nous remercions particuli@rement monsieur fraiigois Baillon pour la part prise dans la collecte de nos données et pour toutes les informations qu'il a bien youlu mettre hatwargé de recherches, Ur disposition. ersité de Yaoundé 1 [esiscuers de lévolution du milieu physique. Nous pouvons mieux formuler cette hypothéseikar de Nditam habitent une région de transition entre la forét et la savane. D'aprés leurs propres observations, la forét avance sur la savane. En témoigne le nombre de palmiers roniers et d'autres essences de savane aujourd'hui enserrés par le couvert boisé. Tous les informateurs sont catégoriques pourtant : cette zone appartenait a la savane, Le chef Ngandji IV nous dit que dans son enfance, le regard portait jusqu'a la montagne de Yassem sans interruption, Il n'y avait comme couverture végétale que du Pennisetum purpureum, sissongo, et de I'Imperata cylindrica, souvent appelé chaume par les informateurs, Pour eux, Nditam était un village de savane. Aujourd'hui, il est devenu un établissement de forét. Pour nos informateurs de Mambioko, Roger Mouitchi, Ngbatou Mbioko, leur village a aussi été installé dans la savane nt[iay. Il y en avait deux : une petite, of a été implanté Mambioko, et une plus grande plus loin, en suivant le chemin, dans le sens Mambioko-Kim. L'on peut donc raisonnablement penser que la forét gagne sur la savane, puisque la plupart des témoignages vont dans ce sens, et se demander si ce dynamisme se prolonge dans les comportements humains. Notre interpréte, Emmanuel Bekang ajoute qu'il n'y a pas si longtemps, les feux de brousse des agriculteurs de la province de l'Ouest, territoire limitrophe de leur chefferie, illuminaient horizon en saison séche. Aujourd'hui, les houppiers barrent la vue, la perspective s'est raccourcie. A Mendwen, non loin de Nditam, les Pygmées Bedzang offrent un autre témoignage. Dans certains iléts de savane adossés a la riviére Kim, la chasse est devenue plus facile. Autrefois en effet, ils traquaient le buffle dans ces savanes. Le rideau d'arbres avancant, la surface herbeuse s'est rétrécie, facilitant le travail des rabatteurs auxquels il suffit aujourd'hui de pousser le gibier vers le cours d'eau. Ces chasseurs qui partageaient alternativement leur temps entre la forét et la savane éprouvent de plus en plus de mal a suivre ces mouvements oscillatoires car, selon eux. la savane s'éloigne chaque jour d'avantage. Hier, ils étaient installés & la lisiére. Aujourd'hui, cette limite est a deux jours de marche du campimentriiacdisygentadeécdtuaireatérielle est strement le milieu environnant. Celui de Nditam est de forét, avec souvent I'allure d'une forét secondaire. Il appartiendrait a des botanistes d'en faire une description détaillée et d'évaluer aussi les dégats causés par les sociétés forestiéres, I'impact de cette exploitation sur la couverture forestiére, puisque leur présence montre bien que le couvert forestier fut encore plus dense il n'y a pas longtemps. Ici et 1a, s‘interpolent des prés herbeux rappelant fa savane, avec trés souvent la présence de graminées dont surtout I'Imperata cylindrica. Le Chromolaena odorata semble en compétition avec celles-ci dans ses surfaces peu arborées. Liensemble rappelle une forét secondaire ou une zone péri-forestiére. Les cours d'eau sont toujours enserrés dans une galerie forestiere. Ces changements affectent aussi les cours d'eau. Le chef Ngandji IV nous dit que la riviere Sundji par exemple, qui n'est plus qu'un filet d'eau aujourd'hui, avait une telle importance dans son enfance qu'on la traversait en pirogue. Cette information a été confirmée par tous. L'explication donnée de cet étiage est la suivante. Il y avait de l'eau parce qu'en amont du cours d'eau vivait un serpent appelé 1. Il était si long que lorsqu'tl se hissait sur un baobab, la queue restait dans la riviére, Quiconque le voyait mourrait. II a vieilli et est mort, d'ot lasséchement du cours d'eau. On retrouve ici un theme participant d'un ensemble mythique liant le serpent a eau, et en faisant un auxiliaire précieux pour les hommes. Intermeédiaire entre les ancétres et les humains, le serpent manifeste les premiers et pour cela, des cultes lui sont parfois rendus, cultes collectifs ou individuels. La transformation de environnement apparait donc comme inquiétante pour les ‘Tikar, puisqu'elle manifeste la mort de leurs @iitimsconnistantit ast clanfonét dtappbeléa davemn. aussi servi a lorganisation de l'agriculture. Certaines plantes sont réputées pousser mieux dans l'une ou Hautre formation végétale. La forét favorise par exemple le mais, le Cucumeropsis edulis (cucurbitacée appelée concombre ou pistache en franca s camerounais), les bananiers, alors que la savane accueille mieux le manioc, la patate, les arachides. D'autres preuves sont données, notamment lorsqu'on constate que leur culture développe des stratégies d'adaptation a l'évolution du milieu naturel. Celle-ci est prise en compte dans les activités agricoles par exemple. Ainsi, les vieux confient qu’ Is laissent la végétation forestiere envahir certaines plages de savanes avant de Jes mettre en culture. Ils ne créent le champ que lorsque les arbres ont atteint une certaine densité, suffisamment touffue pour accueillir certaines cultures, mais assez Clairsemée encore pour leur éviter un abattage trop important; Cette évolution semble donc affecter leur culture matérielle, et notamment leur alimentation. Notre hypothése est que I'avancée de la forét transforme leur culture, l'insérant chaque jour un peu plus dans Vaire culturelle de la forét. Leur alimentation de base peut en fournir un exemple. Notre travail présente les premiers résultats de nos enquétes de terrain, Nous sommes conscients de ses lacunes et nous sommes tout-a- fait sar qu'il pourrait s'enrichir des données fournies par les collégues des autres sciences qui s'investissent sur le méme terrain, I! est essentiellement basé sur les données orales, Celles-ci permettent cependant de nous faire une certaine idée de l'évolution de la culture alimentaire des Tikar de NditamDu mil au mais Autrefois, le mil fournissait leur alimentation de base. Ils l'avaient ramené du pays Mboum, dans l'Adamawa, dont ils se disent originaires, puisqu'ils se présentent eux-mémes comme un rameau de cette ethnie détaché de la tige mére a Ia suite d'une querelle successorale. Ils ont transité par Bankim avant de se fixer dans leur site actuel. Cette céréale a été abandonnée aujourd'hui, Nos informateurs datent la derniére grande récolte de 1957. Tous les quinquagénaires ont gardé dans leur mémoire l'image de leur pére ou de leur grand-pére cultivant le mil. Beaucoup savent encore le faire. Mondé Soulé, notable du village, affirme que certains en produisent encore un peu pour en perpétuer le souvenir. Un agriculteur a renouvelé l'expérience en 1993. Nous y reviendrons. La disparition n'est done pas encore totale, et un lien sentimental attache encore les Tikar de Nditam au mil, a cette nourriture des ancétres. Le mil était cultivé avec le mais. Ils étaient parfois accommodés ensemble dans le méme cous-cou: Cependant, la saison agricole différait. Le mil était récolté en septembre-octobre, ou un peu plus tard, en novembre-décembre. Cela dépend des variétés et de la pluviométrie. Le mais I'était en juillet-aodt, Cependant, le mil constituait l'aliment de base, la référence, car un plat sans boule de mil ne procurait pas une impression de satiété véritablé. En effet, le mil "pese" plus que le mais. Il "garde" mieux le ventre. If avait "plus de goat", était plus "nourrissant", autant d'images témoignant d'une certaine idéalisation et montrant sa place centrale dans lalimentation a cette époque. On retrouve la méme estime, la méme idéalisation du mil chez les Vouté voisins. lesquels ont abandonné pour ie manioc. Sur le plan religieux, les repas rituels étaient a base de cous-cous de mil, les libations faites avec du nkay,Agjewaduimd aindamas erenatidakdientila place du mil dans toutes ces fonctions alimentaires et rituelles. Dans tous les rites, les cous-cous de mais tréne, en accompagnement systématique des feuilles de giraumont, appelé ici melon, malay (199 au singuller) en tikar de Nditam. L’on boit et l'on offre au ancétres du nk4y, mais brassé avec du mais, Le mil est appelé mboy Singuliérement, ce mot est le méme pour désigner le manioc dans les langues pahouines, populations voisines occupant une aire de peuplement plus australe qui s'étend de la zone périforesti¢re a la forét équatoriale, du Cameroun au Gabon et en Guinée équatoriale, Les pahouins désignent cette graine du nom de ovéga, ohéa chez leurs cousins ossananga. On peut s'étonner que des populations de la zone forestiére connaissent cette plante des savanes. Cependant, leurs traditions les rattachent a une aire plus septentrionale, et dans leurs chants rituels, ils évoquent les savanes doutre-Sanaga. A Ntui, nous avons recueilli chez les Ossananga, des témoignages des gens qui ont vu cultiver le mil dans leur enfance. Nous pouvons citer ici celui de monsieur Amanye, maitre d'école aujourd'hui a la retraite, sexagénaire. Cet aliment a été remplacé aujourd'hui par le manioc et d'autres tubercules, ainsi que par la banane plantain. Les travaux de Jean-Louis Siran (1980 : 25-58) montrent que les Vouté, voisins des Tikar et originaires aux-aussi de I'Adamawa ow résident encore des populations se reconnaissant de la méme ethnie, cultivaient au siécle dernier encore le mil comme alimentation de base, et que celui-ci a aussi reculé devant l'avancée du manioc. Nous avons donc un reflux

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