Actes des congrès de la Société

d'archéologie médiévale

Une ville médiévale et son environnement. Les paysages autour de

Novgorod du Xe au XVe siècle
Jean Blankoff

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Blankoff Jean. Une ville médiévale et son environnement. Les paysages autour de Novgorod du Xe au XVe siècle . In:
L'homme et la nature au Moyen Âge. Paléoenvironnement des sociétés occidentales. Actes du Ve Congrès international
d'Archéologie Médiévale (Grenoble, 6-9 octobre 1993) Caen : Société d'Archéologie Médiévale, 1996. pp. 246-248. (Actes des
congrès de la Société d'archéologie médiévale, 5);

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 UNE VILLE MEDIEVALE ET SON ENVIRONNEMENT.
LES PAYSAGES AUTOUR DE NOVGOROD
DU XE AU XVE SIÈCLE
Jean BLANKOFF
L'histoire du développement urbain de Novgorod le
Grand, en Russie du nord-ouest, du IXe au XVe siècle,
est d'une importance d'autant plus grande qu'il y a peu
de villes dont on puisse suivre avec autant de détails et
de précision l'évolution économique, politique et
culturel e, jusqu'au niveau quotidien. Des fouilles systématiques
y sont menées depuis plus de 60 ans, annuellement et
sur une vaste échelle depuis 40 ans, sous la direction
d'abord d'A. Artsikhovski, ensuite de V. Yanine
(Avdoussine, 1972 ; Yanine, 1974, 1985, 1990, 1992).
Elles constituent le principal chantier d'archéologie
urbaine de Russie et l'un des plus importants d'Europe, à
mettre en parallèle permanent avec celles de Birka
(Suède), Wolin (Pologne), Haithabu, Hambourg
(Allemagne du Nord), York (Angleterre), Trondheim
(Norvège), etc. Les 753 documents privés gravés sur
écorce de bouleau, trouvés à ce jour constituent une
source exceptionnelle d'information sur la vie sociale et
politique à Novgorod et dans les vastes terres qui
l'entourent et ceci durant plusieurs siècles, ces documents
datant de la seconde moitié du Xle au début du XVe
siècle.
Il faut rappeler qu'aucune autre ville russe n'a livré
pareille moisson, puisque les exemplaires exhumés
dans les autres centres urbains n'atteignent pas 60 au
total : Staraïa Roussa - 25, Smolensk - 15, Pskov - 7,
Tver - 2, Zvenigorod (Ukraine) - 2 (3, si l'on compte
séparément des fragments), Vitebsk - 1, Mtislav - 1,
Moscou - 1 . Ce sont les conditions exceptionnelles de
Fig. 1. Lettre sur bouleau n° 109 du Xle siècle : lettre de Zhiznomir
à Mikula sur une affaire judiciaire à propos d'une domestique
pskovitaine volée et revendue illégalement.
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conservation du sous-sol novgorodien, imbibé d'eau,
spongieux, qui expliquent ces nombreuses trouvailles,
une couche d'argile imperméable empêchant
l'écoulement des eaux en profondeur. Il reste probablement
encore plusieurs milliers de ces lettres à mettre à jour
dans la ville médiévale. Nous devons évoquer ici le
problème, très controversé, des origines de Novgorod,
entourée de petits centres pré-urbains, fortifiés ou non
par des levées de terre, problème qui est lié à celui de
l'environnement et des paysages. La ville de Novgorod
est mentionnée dans les chroniques à partir de 862 (859
dans une recension plus tardive, mais cette date est
sans doute le résultat d'une extrapolation ou une erreur).
Son origine la plus probable, parmi trois hypothèses
principales, reste, au départ, celle d'un habitat fortifié,
Gorodichtche (Riourikovo Gorodichtche), situé à 4 km au
sud du nouveau Novgorod, centre médiéval qui va se
développer à partir de la fin du IXe ou du début du Xe
siècle sur la base de trois ethnies, les Finno-Ougriens,
les colons slaves et un petit groupe entreprenant, les
Varègues ou Scandinaves descendus du nord, via
Staraïa Ladoga notamment, et qui s'installent
précisément à Gorodichtche, comme en témoignent plusieurs
trouvailles archéologiques (Nosov, 1992). S'y ajoute une
interaction avec des éléments baltes situés à l'ouest et
au sud.
La ville connaît un développement intense et
ininterrompu, avec à la fois son très vaste hinterland s'éten-
dant sur d'immenses territoires, des milliers de km2,
surtout au nord-est, à faible densité de population, et grâce
à son commerce intérieur et extérieur favorisé par de
bonnes et nombreuses voies d'eau. S'y ajoute le fait qu'à
la différence du reste de la Russie, Novgorod, comme
Pskov et Smolensk, échappera à la domination mongole
des XI Ile et XI Ve siècles.
Sans négliger le commerce des fourrures, toujours
mentionné et parfois un peu trop privilégié dans les
études historiques, il faut souligner que Novgorod a été
un centre de production artisanale très considérable et
varié, et que la cire a joué dans son commerce extérieur
un rôle non moins grand que les fourrures, même plus
important à certaines époques, comme en témoignent
les livres de douane de Riga. Rappelons que les fouilles
ont mis au jour près de 150.000 objets, dans le sens
archéologique du mot, et plusieurs kilomètres de
revêtements de bois des rues et ruelles médiévales datant
d'environ 945 jusqu'au XVe siècle, étagées sur plusieurs

Fig. 2. Niveaux de revêtement de bois d'une rue du Novgorod
médiéval (chantier Troïtski).
niveaux (parfois jusqu'à 28-30), puisqu'on remettait un
nouveau revêtement sur l'ancien tous les 15-20 ans en
moyenne. Il est curieux qu'on n'ait pratiquement pas
trouvé de restes de roues à Novgorod, alors que les
fragments de patins de traîneaux y sont assez
nombreux, ce qui semble indiquer qu'on utilisait en toute
saison, même en été, des traîneaux, en ville comme dans
les campagnes environnantes.
Le tracé des propriétés et des enclos peut être
maintenant reconstitué dans leur chronologie avec précision.
La propriété des boïars novgorodiens se caractérise par
une grande stabilité de ses limites (Yanine, 1992). Les
exploitants fonciers possédaient des biens et des
sources de revenus en dehors de la ville, les documents
sur écorce de bouleau, notamment le n° 526, le
confirment : cette lettre, datant de 1180-1190, montre que les
opérations financières d'un boïar d'une lignée connue
s'étendaient loin dans l'hinterland novgorodien, jusqu'à
près de 150 km dans un cas. Cette stabilité de la
propriété urbaine semble bien s'accompagner d'une
remarquable conservation, d'une faible transformation des
paysages et des structures agricoles autour de la cité,
au moins jusqu'à la conquête moscovite au XVIe siècle.
Cette conservation est encore frappante, par ailleurs,
jusqu'à ce jour.
La vie artisanale intense est concentrée en ville. Les
hameaux et propriétés environnantes restent des
fournisseurs agricoles ou de matières premières (cire, cuir,
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Fig. 3. Cylindre de bois (fin Xe siècle) servant très
vraisemblablement à sceller les sacs dans lesquels le tribut était récolté dans
l'hinterland de Novgorod.
bois), des produits de chasse et de fourrures, mais aussi
de poissons, car la pêche - jusqu'à l'époque moderne -
joue un rôle non négligeable dans la vie des habitants
de Novgorod, comme en atteste le document n° 92
(XlVe siècle) qui est vraisemblablement une "facture",
un compte des poissons qu'un marchand a achetés à
des pêcheurs : "A Spekhovo. Pour Stephan - 1 saumon.
Pour son beau-frère - 1 saumon. Pour Sidor - 1 saumon.
Pour son frère - 1 saumon. Pour Flor - 28 et 12
monnaies. Pour Zaïats - 4 monnaies. Pour Lavr - 2 saumons.
Pour Olferii - 9 saumons. Pour Souïk - 9 saumons.
Pierre a 13 saumons. Pour Stoukovitch - 2 saumons.
Pour Nikita - 4 saumons. Pour Sidor - 2 saumons."
Jusque vers 1975-1980, on pouvait encore voir
circuler sur le fleuve Volkhov ces anciens bateaux appelés
"soïmas", à fond plat, très larges, caractéristiques du
paysage novgorodien. Ils ont maintenant disparu, hélas.
En dehors de Novgorod même, très peu de centres
urbains ou de bourgs se développent dans les environs,
si ce n'est, à partir du Xllle siècle seulement, la petite
ville de Staraïa Roussa à 75 km environ, de l'autre côté
du lac llmen, et qui reste dans l'orbite de la métropole.
Le sol, souvent marécageux, relativement peu fertile
en comparaison des régions de la Russie centrale
(Vladimir, Souzdal et au delà) et de la Russie
méridionale, explique en partie cette stabilité de l'environnement,
de même que le faible et tardif développement de la
propriété privée à travers les siècles. Le maintien du statut
des grandes familles résidant en ville illustre le fait qu'il
n'y a pas eu de transfert de pouvoir vers d'autres
centres concurrents ou vers les campagnes. Les grands
monastères sont situés en ville ou dans ses environs
proches, même s'ils possèdent des terres éloignées. La
grande ville de Pskov, située plus à l'ouest, n'acquerra
elle-même son autonomie qu'au XlVe siècle Aucun des
petits habitats anciens périphériques des IXe, Xe, Xle
siècle, et cela fait près d'une trentaine, ne connaîtra de
développement urbain important, comme ce sera le cas
dans d'autres régions de la Russie ancienne (Russie
kiévienne méridionale, Vladimir-Souzdal), certains vont
même végéter et disparaître : Georgii, Vasilevskoïe,

Fig. 4. Document n° 14 de Staraïa Roussa, à 75 kms de Novgorod.
Kholopii Gorodok (Nosov, 1984, 1992). Au mieux, ces
hameaux subsistent en tant que tels, éclipsés par
Novgorod. De nos jours encore, le voyageur occidental
qui traverse la campagne des environs de Novgorod, au
sud et sud-est de la ville, ou qui étudie les monuments
anciens (Xlle-Xllle siècle) et remarquables de
l'architecture novgorodienne, comme le monastère et l'église St
Georges (Xlle siècle), l'église du Sauveur sur la colline
Nereditsa (1198) et d'autres, est surpris par ces
particularités du paysage russe et surtout novgorodien : au sud
et à l'est on quitte brusquement la ville pour pénétrer
sans transition en pleine campagne, les faubourgs sont
absents : à peine est-on arrivé dans l'hinterland que
s'étendent sur des dizaines de kilomètres un campagne
et des pâturages sans obstacles érigés par l'homme,
avec peu d'infrastructure moderne, presque sans
clôtures, sauf autour de quelques maison paysannes,
barrés seulement par des rivières ou canaux dont les
berges sont libres et accessibles presque partout ...
En ce qui concerne les propriétés de la noblesse
foncière résidant en ville, des familles de boïars, on
distingue deux types de propriétés urbaines : moyennes
(environ 450 m2) et grandes (de 750 à 1600 m2) : trois
phases principales ont été dégagées, avec une densité
de construction allant en augmentant, suivant la
démographie, puis une diminution des espaces libres, suivie
d'une redistribution des terrains effectuée entre les Xllle
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et XVe siècles, aboutissant à une redéfinition en
parcelles plus petites (environ 300 m2) (Yanine, 1992).
Nous avons donc à Novgorod et dans son
environnement un cas assez rare, même en Russie, de
remarquable stabilité territoriale en ville comme à la
campagne et des paysages, auxquels il faut introduire en
ville un correctif important : les incendies fréquents, dont
les principaux, comme celui de 1194, sont mentionnés
dans les chroniques et d'ailleurs confirmés par
l'archéologie. Cette stabilité, les historiens de la Russie le
savent, sera en grande partie compromise et rompue
par la conquête moscovite à la fin du XVIe siècle, puis
par la domination suédoise de la première moitié du
XVIIe siècle.
Dès lors, Novgorod le Grand deviendra une ville de
province de la Moscovie, puis de l'empire russe.
BIBLIOGRAPHIE
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de Novgorod, Sciences Sociales, 2, 1972, pp. 168-185.
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Sciences sociales, 2, 1974, pp. 109-120.
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Yanine, 1985 : YANINE (V.), Medieval Novgorod. Fifty Years
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Nosov, 1984 : NOSOV (E.) Historical Ties Between the Populations of
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Nosov, 1992 : NOSOV (E.), Ryurik Gorodishche and the Settlements
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