Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Louis Mallet
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/formationemploi/2466
DOI : 10.4000/formationemploi.2466
ISSN : 2107-0946
Éditeur
La Documentation française
Édition imprimée
Date de publication : 1 mars 2006
Pagination : 99-113
ISSN : 0759-6340
Référence électronique
Louis Mallet, « Décentralisation de l’éducation et de la formation professionnelle : compétences sans
moyens, moyens sans compétences ? », Formation emploi [En ligne], 93 | janvier-mars 2006, mis en
ligne le 08 décembre 2009, consulté le 30 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/
formationemploi/2466 ; DOI : https://doi.org/10.4000/formationemploi.2466
ation
Form
Décentralisation de l’éducation et
de la formation professionnelle
compétences sans moyens,
moyens sans compétences ?
Par Louis Mallet*
Depuis le début des années 80, un mouvement réel de la collectivité a peu été écrite. Ainsi, par exemple,
décentralisation s’est développé en France. L’activité dans le domaine d’application choisi ici, l’éducation
législative, la mise en place et, aujourd’hui, la dimen- et la formation professionnelle, les chercheurs se sont
sion des collectivités territoriales, le rôle des élections appliqués à trouver un sens à l’action régionale, une
locales dans la vie politique du pays, les masses finan- cohérence régionale de l’action publique. Se faisant,
cières gérées, et puis simplement l’exercice même des ils sont partis, consciemment ou non, d’une « posture
compétences publiques à d’autres niveaux que celui État », un peu technocratique, avec dans l’esprit les
de l’État en sont des preuves incontestables. On peut modes de pensée et d’action de l’état, et l’idée que
discuter de l’ampleur des transformations ainsi intro-
duites dans le fonctionnement de la démocratie et de la
gouvernance publique. On ne peut nier qu’il s’agit
probablement de la réforme majeure des trente * Louis Mallet est économiste, directeur de recherches
dernières années dans l’action publique en France, CNRS au LIRHE (Laboratoire interdisciplinaire de
(Dupoirier 1998 ; Les cahiers Français, 2004). recherche sur les ressources humaines et l’emploi, univer-
sité des Sciences sociales de Toulouse). De 1981 à
Les travaux menés sur cette question, qui explicitent 1984, il a été conseiller technique au Cabinet du
l’histoire de cette évolution, proviennent le plus ministre de l’Éducation nationale, et de 1998 à 2004,
souvent de l’État central lui-même, directement ou directeur général adjoint des Services de la Région Midi-
indirectement. C’est en effet lui qui prépare, qui met Pyrénées.
en œuvre, qui évalue… Mais l’histoire vue du côté de
Encadré 1
Résumé des missions de la région
L’éducation
– Etablir un schéma prévisionnel des lycées et collèges.
– Co-décider avec les autorités académiques l’évolution annuelle de la carte scolaire (1) des enseigne-
ments professionnels.
– Décider de la construction, de la localisation, et peut être de la dimension des nouveaux lycées, de
tous types.
– Construire, équiper, entretenir et financer le fonctionnement de tous les lycées publics et partiellement
des lycées privés sous contrat.
– Plus récemment, gérer les emplois et les personnels des services techniques des lycées publics, ainsi
que des dotations correspondantes pour les lycées sous contrat.
La formation professionnelle
– Construire un Plan régional de formation professionnelle ; il est censé englober aussi le schéma cité ci-
dessus, et a vocation à couvrir tous les secteurs de formation, tous les publics, à l’exclusion des actifs
occupés, et tous les niveaux de formation.
– Décider, financer et gérer tout ce qui concerne l’apprentissage.
– Concevoir, financer et gérer le Programme régional de formation professionnelle (PRFP) qui recouvre
en fait une bonne partie de la formation des jeunes demandeurs d’emploi, et une partie des formations
d’initiative individuelle des adultes.
– Co-financer l’AFPA (Association nationale pour la formation professionnelle) en région, et co-décider
les actions.
– Financer et gérer, dans des conditions encore obscures (2), les formations du secteur sanitaire et social
et certaines formations du secteur culturel.
(1) Ensemble des structures de formation professionnelle initiale d’une région : capacités d’accueil et localisation des formations dans
les différentes spécialités et les différents niveaux.
(2) La loi de 2004 doit être précisée par des décrets et circulaires.
Comment gérer la compétence « financement du fonc- régions : soit un partage de pouvoir avec l’État avec ce
tionnement des établissements » sans relation directe que cela entraîne de complications, soit une absence de
entre le financeur et le responsable ? Ici aussi la forme pouvoir réel et un cantonnement dans une activité de
de la décentralisation ne laisse que deux voies aux gestion, calibrée et sous-traitée par l’État.
leur fédération (ARF) ne sont pas associées. Lorsque plan État-Région. D’une façon générale, ces contrats
consultation il y a, elle est purement formelle (Droit accroissent l’opacité de l’action publique. Tout
social, 2004 ; Lindeperg, 1999 ; Perissol, 2003). d’abord, ils portent surtout sur des compétences
Enfin, la loi du 13 Août 2004, qui comporte des d’État et rarement sur des compétences propres des
dispositions majeures dans le domaine, non seule- régions. Contrats à sens unique, ils constituent essen-
ment n’a pas fait l’objet de concertations préalables, tiellement une aide des régions à l’État. Dans l’ensei-
mais confirme sur plusieurs points une conception gnement supérieur, les régions ont donc accepté de
« mineure » de la compétence régionale. La décentra- co-financer des constructions et des équipements,
lisation des formations sanitaires et sociales en cons- mais elles n’ont eu ni l’occasion, ni les moyens de
titue un bon exemple : la gestion en est donnée aux faire entendre leur voix sur le contenu des
régions, mais l’État garde la responsabilité de la fixa- programmes constructifs, ou simplement sur les listes
tion du nombre de formés à accueillir dans les diffé- d’opérations. Mieux, encore récemment, l’État
rentes filières. exigeait d’expertiser chaque opération avant de
donner un accord sur des financements que les
Il n’est bien sûr pas question de dénier à l’État le droit collectivités territoriales, naïves, croyaient acquis
de légiférer, ou aux partenaires sociaux de négocier. dans le contrat.
Mais il doit être souligné que toutes ces initiatives
nationales se font dans le plus grand mépris des Quelquefois, elles ont pu exiger une certaine réparti-
collectivités « compétentes ». Dans d’autres pays, tion territoriale des financements, par exemple, en
une des deux chambres du parlement national, repré- Midi-Pyrénées, les proportions entre métropole
sentatives des citoyens, est conçue pour faire entendre régionale et reste de la région. Mais pour l’essentiel,
la voix des collectivités. Sur les exemples cités, on ne les collectivités jouent le rôle de portefeuille de
peut considérer que le Sénat joue ce rôle en France. l’État. Elles mettent en œuvre des moyens sans
compétence réelle (Datar, 1998).
Cela ne pose pas seulement un problème de principe,
mais soulève ensuite des problèmes de mise en œuvre
et d’efficacité. Cela est d’ailleurs d’autant plus vrai Le plan régional de développement
que très peu de parlementaires sont aussi conseillers des formations
régionaux, et que les partenaires sociaux sont mal
organisés en région. Enfin, l’exemple le plus limpide de cette ambiguïté est
la responsabilité régionale sur le Plan régional de
L’enseignement supérieur développement des formations (PRDF). Cette mission
de grand architecte de la formation professionnelle en
En matière d’enseignement supérieur, les régions région a été affirmée dès la loi de 1983, et constam-
n’ont pas de compétences, sauf en ce qui concerne les ment reprise depuis. Or, en matière de formation,
BTS (brevet de technicien supérieur) dans les lycées, quelles sont les décisions importantes ? La décision de
le financement de la formation professionnelle base consiste à fixer le nombre de personnes qu’on
continue et l’apprentissage. La coordination STS/IUT souhaite former, le niveau, la spécialité et le lieu de la
(sections de techniciens supérieurs, Instituts universi- formation, en disposant bien sûr des moyens pour ce
taires de technologie), déjà serpent de mer lorsque ces faire. Autour de ces décisions, tout le reste n’est qu’ac-
domaines relevaient de la compétence exclusive de compagnement, logistique, gestion.
l’État et des universités, devient évidemment plus Mais la région n’a ce pouvoir de décision et de
compliquée. L’absence de liens organiques entre les financement que dans des secteurs étroits : l’appren-
établissements d’enseignement supérieur et les tissage, soit environ 15 % des jeunes en formation
régions explique en partie le développement anar- initiale, le PRFP, soit environ 25 % des jeunes
chique des formations professionnelles supérieures demandeurs d’emploi. Toutes les autres décisions, en
de compétence régionale, notamment en formation formation initiale comme en formation continue,
continue. sont soit partagées avec d’autres, soit prises par d’au-
Mais l’enseignement supérieur c’est aussi, dans la tres. Quelle que soit la qualité des travaux d’étude et
plupart des régions, un chapitre majeur du contrat de de prospective menés sous l’égide de la région,
domaines que l’État considérait comme non straté- On pourrait aller plus loin, et considérer que l’Éduca-
giques et coûteux (construction, rénovation et équipe- tion nationale, ou certains courants qui la traversent,
ment des lycées) ou simplement comme non n’ont pas été mécontents de voir s’éloigner certains
stratégiques (apprentissage et formation profession- domaines : l’apprentissage et la formation profes-
nelle) (Bazy-Malaurie et al., 2006). sionnelle, dans leur objectif de construire des qualifi-
En matière éducative, pour quiconque connaît un peu cations utilisables par les entreprises, étaient alors
l’institution « Éducation nationale », il est clair que (sont toujours ?) considérés comme relevant d’autres
ces domaines correspondent à des éléments périphé- logiques que l’éducation.
riques qui ne sont défendus au niveau national par
aucun lobby puissant ou aucun courant politique Les logiques des élus nationaux
structuré. En 1982/1983, lors des lois de décentralisa- et locaux
tion, l’Éducation nationale était sommée de participer
au mouvement. Le processus de choix a été claire-
ment dicté non par une analyse de l’opportunité Le choix de décentraliser des domaines « mineurs »
d’exercer telle ou telle compétence à tel ou tel s’explique aussi par le comportement des parlemen-
échelon territorial, mais par la volonté de ne rien taires, élus nationaux mais aussi souvent élus locaux.
céder sur ce qui était considéré comme essentiel. Par L’exercice est quand même un peu difficile : on
exemple, pourquoi à l’époque n’a-t-on pas transféré demande aux parlementaires de scier quelques bran-
aux régions l’enseignement professionnel, qui ches sur lesquelles certains d’entre eux sont installés.
conduit aux mêmes diplômes que l’apprentissage et Mais comme beaucoup sont aussi des élus locaux, ils
remplit des fonctions très voisines ? ont probablement raisonné à la fois sur les risques liés
à ce qu’ils « perdaient » au niveau national et sur les
Pourquoi la formation professionnelle a-t-elle été risques liés à ce qu’ils « gagnaient » au niveau local.
transférée aux régions par les lois successives de L’exercice consiste à ne pas trop affaiblir le niveau
1983, 1986, 1992 et 2004 ? (Gelot, 2004). Le national et à donner au niveau local des pouvoirs
discours s’appuie toujours sur la vague idée de « gérables ». Si le premier objectif aboutit à ne trans-
subsidiarité, évoquant l’intérêt de « rapprocher ce férer que des compétences mineures, le second mérite
type de compétence du citoyen ». Le débat pourrait un court examen.
être porté à ce niveau. Mais l’a-t-il été, chez les poli-
tiques et les scientifiques ? Peut-on soutenir que La justification officielle de la décentralisation est la
l’architecture de la décentralisation a été fondée sur volonté de rapprocher la décision du citoyen, avec
la cohérence entre l’efficacité, l’enjeu démocratique l’idée qu’elle permettra un exercice plus direct, et
et le niveau territorial de décision dans ces domaines donc plus satisfaisant, de la démocratie qui se serait
de l’action publique ? La réalité historique est plutôt un peu perdue dans une organisation des pouvoirs
qu’aucun courant puissant n’a défendu la formation lointaine, trop largement déléguée à quelques-uns, et
professionnelle au plan national. Le parti, très exagérément complexe. Mais quel type de décisions
nombreux et de tous bords politiques, qui considère va-t-on « rapprocher » de l’électeur ?
que ce domaine de l’action publique ressortit plus du Sans prétendre à une théorie générale sur le sujet, il y
traitement social du chômage que de l’investisse- a ici au moins deux questions, celle des grands
ment stratégique, n’avait aucune raison de l’accro- domaines et celle des « types » de décision. Les
cher à un exercice national. Les partenaires sociaux domaines auxquels la décentralisation peut s’appli-
ne se sont pas davantage mobilisés parce que c’est quer utilement renvoient aux fondamentaux de la
aussi pour eux (ou au moins ça l’était) un domaine cohésion nationale, de la cohérence territoriale de
secondaire. En 1982, le patronat est monté vigoureu- l’action publique… Ces sujets ne sont pas simples
sement au créneau pour la défense des grandes dans un univers en cours de mondialisation,
écoles, au moment de la discussion sur la loi « d’européanisation », et dans lequel les repères
d’orientation de l’enseignement supérieur. On peine « nationaux » ne sont plus indiscutables. La force des
au même moment à trouver un avis de sa part sur la groupes de pression et des courants d’opinion peut
décentralisation de l’apprentissage et de la forma- venir ébranler des convictions idéologiques déjà
tion professionnelle. vacillantes. L’évolution de la notion de service public
tions concernées par ces actions (les stagiaires), parce techniques en « chambre », et d’appréciations basées
qu’elles sont dans des positions transitoires ou sur les rapports de force locaux. L’interaction entre
fragiles, et parce qu’elles n’ont pas d’organisation les deux approches est bien caractéristique de l’exer-
collective. Mais le fait est là : peu de courrier, peu cice des compétences décentralisées. Les aspects
d’interventions dans ces domaines. Les entreprises, techniques deviennent en fait plus importants que
de leur côté, se manifestent rarement pour contester le dans les décisions éloignées du terrain, non pour
bien-fondé ou la qualité d’une formation dispensée fonder seuls la décision, mais pour éclairer le débat
sur financement régional. Il est d’ailleurs possible entre acteurs (équilibrer les positions, faire apparaître
que beaucoup d’entreprises et de bénéficiaires de ces les différents aspects…). Le transfert de compé-
programmes ignorent le plus souvent encore aujour- tences, sur ces différents sujets, modifie les condi-
d’hui les compétences régionales en la matière. Seuls tions d’arbitrage entre les arguments techniques et les
quelques demandeurs d’emploi refusés dans les arguments portés par les élus. Les décisions bénéfi-
formations de leur choix saisissent parfois les élus. cient de ce double éclairage. Ces logiques ne s’ex-
Dans la compétence « éducation », les aspects essen- cluent pas forcément et contribuent toutes deux à la
tiels pour l’électeur résident dans la vie quotidienne construction d’une argumentation « politique ».
des établissements. Les premières préoccupations sont Parce qu’elle la place au cœur du processus de déci-
la nourriture de la cantine, les conditions d’héberge- sion, la décentralisation renouvelle considérablement
ment (l’eau chaude dans les douches…), les temps de les modalités de cette confrontation entre des argu-
transport, les questions de circulation et de sécurité ments technocratiques, des légitimités de type tech-
dans et aux abords des établissements, les logements nico-scientifiques, relevant d’une rationnalité
de fonction. Edgar Faure disait que les régions globale, codifiée et « admise » d’un coté, et des argu-
« rentreraient dans la pédagogie par les chaudières ». ments qui sont portés par les « acteurs de terrain » ou
C’était en réalité une vision centralisatrice ou au leurs représentants, relevant d’une autre légitimité,
moins une vision étatique. En fait, il est bien possible plus dépendante des rapports de pouvoir, de conflits
que les régions restent dans les chaudières, l’inten- d’intérêt et de « rationnalités locales », d’un autre
dance, car elles sont plus importantes, pour une majo- coté (Giffard, 1990 ; Lugan, 1999).
rité d’électeurs de tous bords, que la pédagogie, et La question de la carte des formations, de l’évolution
parce que là on ne leur oppose pas l’argument d’un de l’offre, ne constitue pas, ni en formation initiale, ni
domaine réservé. Elles se cantonneront aussi à l’inten- en formation continue, une préoccupation majeure des
dance parce que les élus régionaux, de droite comme élus, contrairement à ce qui est le plus souvent
de gauche, n’ont aucune envie de recevoir à l’hôtel de supposé dans la littérature consacrée à la décentralisa-
région les manifestations, délégations… qui ont tion de la formation et à l’évaluation de ses consé-
aujourd’hui pour destination le rectorat ou le ministère quences. Il peut être utile de se demander pourquoi. Si
de l’Éducation nationale à Paris. les élus sont peu intéressés par ce sujet, c’est d’abord
Le seul acte d’importance dans la compétence régio- parce que les électeurs leur en parlent rarement. Cela
nale actuelle est la décision de créer ou de supprimer tient à une première raison : en formation initiale,
un établissement. Cette dernière décision (suppres- l’offre est très rigide et ne se transforme que très lente-
sion) n’a pas fait l’objet d’une « jurisprudence signi- ment. Les ajustements annuels sont peu nombreux. En
ficative », en raison du petit nombre d’exemples. En formation continue, les évolutions ne sont pas non
revanche, un court examen des décisions de création plus très rapides, et concernent par ailleurs des popu-
est instructif. lations « volatiles » et mal représentées.
La pression en faveur de la construction de lycées Mais il y a aussi d’ autres raisons au desinterêt relatif
nouveaux est pour l’essentiel alimentée par les évolu- des élus pour cette question que les experts jugent
tions démographiques d’une part, et par les temps de essentielle. C’est la difficulté de concevoir et de
transport des élèves d’autre part. Comme le plus mettre en œuvre une politique considérée comme
souvent on ne part pas de rien, une autre question légitime et consensuelle. La complexité des relations
intervient rapidement et fortement dans le débat, celle entre formation et emploi, les conflits d’interêt variés
de la concurrence entre établissements anciens et autour de ces questions, le coût réel des évolutions,
futurs. Ces trois sujets sont susceptibles d’études les capacités d’action limitées de l’acteur régional,
formations de banque et assurance, de mercatique ou contrats de plan, élargit encore la « clientèle jeune » à
de logistique… l’ensemble de la population étudiante.
Ce nouveau maillage territorial de l’offre de formation L’idée donc de développer un
posera des problèmes d’hébergement et de transport, axe politique fort en direction « La construction de
qui sont aujourd’hui mal résolus à la fois du point de de la jeunesse, et plus particu-
vue des types d’hébergement et du point de vue de lièrement de cette tranche politiques transversales
leur localisation. Ici aussi une politique « intégrée » d’age 15-25 ans, peut donc
entre les lycéens, les apprentis et les étudiants, voire bien s’appuyer sur des compé- en direction des jeunes
les stagiaires de la formation professionnelle continue, tences, certes partielles et
offrirait des possibilités nouvelles, tandis que le balkanisées, mais exercées en en formation est une
mélange des populations présenterait l’avantage de faveur d’un même public. La
manière de recomposer
décloisonner les diverses voies de formation. Des construction de politiques
expériences existent déjà dans ce sens. transversales en direction des les compétences issues
jeunes en formation est une
Cette authentique ambition se heurtera, on l’a beau-
coup souligné, à l’actuelle répartition réelle des
manière de recomposer les de la décentralisation »
compétences issues de la
pouvoirs, et il faudra aux régions une détermination
décentralisation. Ces politiques
forte pour prendre la main sur ce sujet. On regrettera
pourront porter sur des domaines aussi différents que
que la dernière loi de décentralisation n’ait pas
les transports (organisation, tarification…), l’héber-
franchi le pas. Il était simple à faire et les régions y
gement et la restauration, l’accès à la culture (specta-
étaient prêtes : il suffirait que la signature du prési-
cles, livres, cinéma..), au sport, l’ouverture sur
dent de région soit obligatoire pour toute ouverture,
l’international (bourses, aide humanitaire…), l’édu-
fermeture, ou modification d’une formation condui-
cation à la citoyenneté (conseil régionaux de
sant à un diplôme national d’enseignement profes-
jeunes…).
sionnel.
Plusieurs régions se sont engagées dans ce sens. Elles
Politique de la jeunesse proposent ainsi la gratuité ou une tarification spéciale
dans les transports, qui peuvent être liées à la forma-
tion, à la recherche d’emploi ou au loisir, dans un
La recomposition par la collectivité d’une « compé- cadre d’intervention quelquefois à base « sociale »
tence cohérente » peut aussi s’appuyer sur une caté- (aides liées au revenu) ou plus fondée sur la finalité
gorie particulière de citoyens bénéficiaires de l’action du déplacement (aides liées au statut du jeune ou à la
publique. nature du transport).
Le législateur ne l’a peut-être pas fait sciemment, La mise à disposition de « cartes jeunes » ou de
mais entre la compétence lycée, la compétence « chéquiers jeunes » fournissant des services variés
apprentissage et la compétence formation profession- constitue d’autres formes de politique intégrée.
nelle des demandeurs d’emploi, il n’y a pas un seul Conçus au départ pour un service unique et spécia-
jeune qui, entre 15 et 25 ans ne soit pas, à un moment lisé (cantine scolaire, chèque-lecture…) ces produits
ou à un autre, « client » de la collectivité régionale. seront susceptibles, dans l’avenir, grâce notamment
En effet, l’immense majorité des jeunes fréquente, aux progrès de la monétique, de répondre à une
dans cette tranche d’âge, un lycée et/ou un CFA, au gamme de prestations étendue. Dans le domaine
minimum pendant un ou deux ans, jusqu’à l’âge de culturel, ils peuvent servir à faciliter l’accès aux
fin de la scolarité obligatoire, et le plus souvent entre musées, aux expositions, aux concerts, aux théâtres.
trois ans (cycle général du lycée, durée moyenne de Depuis plusieurs années, les régions financent des
l’apprentissage) et huit ans (cycle complet du CAP au opérations « jeunes au cinéma », en liaison avec les
BTS). Par ailleurs, parmi les jeunes sortis du système établissements de formation. Dans le domaine du
éducatif sans qualification, une forte proportion se sport, ces outils permettent des accès privilégiés
retrouvera dans les stages du PRFP. dans des centres sportifs, lors de l’inscription dans
On peut rajouter que les interventions des régions en un club ou lors de l’achat de places pour une mani-
faveur de l’enseignement supérieur, dans le cadre des festation sportive.
tiers sectoriels liés à l’urgence, à de fortes vocations taire type CNAM (Conservatoire national des arts et
régionales ou à des politiques de territoires. Certaines métiers)… Cette grande diversité, qui a pour corol-
régions s’y emploient, par exemple en regroupant laire un cloisonnement des systèmes, une extrême
dans le même pôle, politiquement et techniquement, difficulté à les faire communiquer entre eux, devient
le développement économique et la formation profes- un obstacle majeur au développement de parcours
sionnelle. individuels cohérents dès lors que, pour diverses
L’idée de bâtir des raisons, les changements de statuts deviennent plus
programmes de dévelop- « L’idée de bâtir des nombreux dans la vie de chacun et touchent un
pement économique inté- nombre croissant de personnes. Or la croissance et la
grant, utilisant la forma- programmes de persistance du chômage, le nécessaire développement
tion comme une compo- de la mobilité et les diverses formes de précarisation
développement concernent aujourd’hui beaucoup de monde. Comme
sante de l’investisse-
l’a écrit Robert Boyer, « l’octroi de droits individuels »
ment, devrait se diffuser. économique intégrant
Des contrats de branche, en matière de formation professionnelle, pourrait se
d’objectifs, qui compor- la formation comme présenter comme un « antidote à l’éclatement des rela-
teraient, face à l’engage- tions salariales » (Conseil d’analyse économique,
ment des entreprises, une composante de 2000). La récente loi sur la formation professionnelle
toute une gamme d’outils comporte des avancées timides dans cette direction
publics concernant la
l’investissement (Droit social, 2004). Mais changer la façon actuelle de
formation initiale et raisonner supposerait de mettre en place un véritable
devrait se diffuser » système de comptabilité individuelle en matière de
continue, la recherche et
le transfert, l’investisse- formation. Aucun partenaire ne peut lancer seul une
ment matériel et immatériel et les instruments finan- telle initiative. Elle ne peut revenir qu’à un « archi-
ciers, permettraient de construire des partenariats tecte » reconnu comme légitime par l’ensemble des
auxquels d’autres acteurs pourraient s’associer, et qui acteurs publics et privés. N’est-ce pas le rôle que les
donneraient aux régions un rôle privilégié « d’assem- lois de décentralisation successives souhaitent donner
bleur » (Ginisty et al.,2004). aux régions ?
* *
*
Décentralisation et formation
tout au long de la vie Ainsi, la recomposition par la collectivité de son
architecture d’intervention peut être fondée sur divers
Enfin, il faut insister sur le rôle que les régions pour- agencements de compétences mariant celles qui ont
raient jouer par rapport au développement de la fait l’objet d’un transfert de l’État et celles dont la
formation tout au long de la vie, en concevant des collectivité se saisit elle-même. Des cohérences
dispositifs attachés plus à la personne qu’à la situa- nouvelles par rapport aux modes d’action tradition-
tion professionnelle. Tout aujourd’hui plaide dans ce nels de l’État peuvent être recherchées dans la
sens, et les régions pourraient nourrir la grande ambi- complémentarité locale des domaines d’intervention,
tion d’être aux avants-postes dans ce domaine. dans la rationnalisation des moyens, dans l’action en
direction de publics privilégiés, ou dans des coordina-
Quel est le problème ? En France, les dispositifs de
tions inédites entre plusieurs secteurs de l’action
formation professionnelle se sont développés sur la
publique. Beaucoup de pistes ont été ouvertes ces
base du statut des personnes : il y a des dispositifs
dernières années par les élus et les administrations
pour les jeunes scolarisés, pour les apprentis, d’autres
régionales. Même si ce mouvement reste modeste et
pour les demandeurs d’emploi, d’autres encore pour
peu visible, il a probablement eu plus d’influence sur
les salariés, les travailleurs indépendants… Ajoutons
la vie quotidienne des citoyens que l’action normée et
une grande diversité des dispositifs selon les secteurs
reproduite des services de l’État. Il demeure que la
d’activité, le statut particulier du congé individuel de
suite dépendra, comme on l’a souligné, d’avancées
formation, celui de la démarche individuelle volon-
« politiques » en matière de décentralisation, tant
Bibliographie
Bazy-Malaurie C., Perigord M.-D. (2004), « La « Universités 2000 », Datar, La Documentation fran-
décentralisation dans l’enseignement : aspects finan- çaise, Paris.
ciers », Administration et Éducation, n° 101.
Dares (2003), Séminaire sur le droit de la formation
Bel M., Mehaut Ph., Meriaux O. (Coordonné par) professionnelle, sous la direction de Nicole Maggi-
(2003), La décentralisation de la formation profes- Germain et Agnès Pelage, La Documentation fran-
sionnelle, L’Harmattan, Paris. çaise, Paris.
Céreq (2003), « Territoires en formation » dossier Dubouchet L., Bel M. (2004), Décentralisation et
Formation Emploi n° 84, octobre-décembre, La formation professionnelle. Réflexions pour le futur,
Documentation française. Éditions de l’Aube, La Tour d’Aigues.
Céreq (2004), « Ces territoires qui façonnent l’inser- Dupoirier E. (1998), Les régions à la croisée des
tion », dossier Formation Emploi, La Documentation chemins, Presses de Sciences Po, Paris.
française, n° 87, juillet-septembre.
Gauron A. (2000), Formation tout au long de la vie,
Comité de Coordination des programmes régionaux Rapport CAE, La Documentation française, Paris.
d’apprentissage et de formation professionnelle
continue, Évaluation des politiques régionales de Giffard A. (1990), L’aide à la décision à
formation professionnelle initiale et continue. 2000- l’échelon local ou régional, le cas de la formation
2002, (Troisième rapport d’évaluation relatif à la loi professionnelle, IREDU, Dijon.
de 1992).
Ginisty D., Attane Ch. (2004), « Décentralisation : un
Coutellier F. (dir) (1998), Développement universi- dialogue social à construire », Entreprises et Forma-
taire et développement territorial : l’impact du plan tion, n° 141, janvier.
Les Cahiers français (2004), « Décentralisation, État Ourliac G. (2002), « Le pilotage de l’offre de forma-
et territoires », La Documentation française, n° 318, tion en région », Cahier du Lirhe, n° 10, Université
janvier. des Sciences Sociales, Toulouse.
Résumé
Décentralisation de l’éducation et de la formation professionnelle :
compétences sans moyens, moyens sans compétences ?
Louis Mallet
Le processus de décentralisation est réputé avoir assez profondément transformé le paysage politique et
administratif français, ainsi que l’action des pouvoirs publics, au cours des vingt cinq dernières années.
L’analyse critique proposée ici, illustrée dans le domaine de l’éducation et de la formation profession-
nelle, s’intéresse à la face cachée de ce processus, en mettant en avant les incohérences dans les
domaines et les modalités d’action transférés de l’État central aux collectivités territoriales. L’auteur s’ap-
plique à démonter les logiques «politiquement correctes» le plus souvent utilisées pour rendre compte de
cette évolution institutionnelle, en exprimant les difficultés auxquelles ces pouvoirs locaux sont confrontés
dans l’exercice de leurs responsabilités nouvelles. Il propose enfin de nouvelles manières de construire
des politiques régionales, à partir de recompositions originales des compétences transférées et des
particularités de la gouvernance locale dans les collectivités.
Mots clés
Décentralisation, politique publique, politique de l’éducation, politique régionale, enseignement tech-
nique-professionnel, étude critique.
Journal of Economic Literature : I 28, R 58