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Ebook Lauren Landish Contes de Fees A Ma Facon T2 Un Prince Pas Si Charmant
Ebook Lauren Landish Contes de Fees A Ma Facon T2 Un Prince Pas Si Charmant
LAUREN LANDISH
Traduction par
SOPHIE BRENNETOT
Traduction par
VALENTIN TRANSLATION
Copyright © 2018 par Lauren Landish.
Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme ou par quelque moyen que ce
soit, électronique ou mécanique, y compris par les systèmes de stockage et de récupération de
données sans l’autorisation écrite de l’auteur, à l’exception de brèves citations dans le cadre d’une
critique littéraire.
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages, les lieux et les incidents sont le fruit de
l’imagination de l’auteur ou utilisés de manière fictive, et toute ressemblance avec des personnes
réelles, existant ou ayant existé, des événements ou des lieux serait entièrement fortuite.
L’histoire qui suit contient des thèmes matures, un langage cru et des situations sexuelles. Il est
destiné à des lecteurs adultes.
Tous les personnages ont plus de 18 ans et tous les actes sexuels sont librement consentis.
TA B L E D E S M AT I È R E S
Prologue
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Épilogue
Épilogue
Du même auteur
PROLOGUE
GABRIEL
— À MON AVIS , Char a raison, me dit mon autre meilleure amie, Mia
Karakova, qui deviendra bientôt Mia Goldstone.
Pour une fois, nous ne sommes pas au Gravy Train, mais dans un café près
du campus, surtout parce que c’est elle qui paie et que le Wi-Fi est gratuit.
— Tu es folle ? dis-je avant de lever les yeux au ciel. Ce n’est pas comme si
elle voulait que j’achète un nouveau soutien-gorge. On parle d’un foutu
pistolet.
— Évidemment, mais cela ne change rien au fait que Charlotte a raison,
répète Mia en sirotant son café au lait. Russell est un sale type, Izzy.
— Je ne te contredirai pas sur ce sujet. C’est un idiot, et dès qu’il aura
trouvé sa prochaine cible, il m’oubliera totalement, répété-je, même si je
regrette d’avoir parlé à Charlotte de mes ennuis avec Russell.
Je sais qu’elle veut bien faire, mais je n’ai pas envie d’en entendre parler
par deux personnes en même temps. Surtout que cela me fait bien
comprendre que mes deux meilleures amies ont parlé de moi. Je sais aussi
qu’elles sont inquiètes, mais les voir comparer leurs notes à mon sujet me
ramène à bien trop de souvenirs d’enfance merdiques.
En plus, aujourd’hui Charlotte ne prend même pas son café avec nous, de
sorte que je ne peux pas l’engueuler de m’avoir balancée. Je m’en tiens à
ma ligne de conduite habituelle, espérant que cela mettra un terme à son
attaque, comme toujours.
— Sérieusement, la semaine prochaine, j’irai bien.
— Ça fait un bout de temps que tu répètes cette phrase, répond Mia, déçue
par moi. La semaine prochaine, tu iras bien. Au prochain salaire, tu iras
bien… C’est la même chose depuis le décès de ta tante. Tu es même plus
têtue que papa, et pourtant, il est plus têtu qu’un âne.
— Alors tu sais qu’il ne faut pas discuter avec moi, dis-je, espérant
détourner la conversation vers un terrain plus sûr. Comment va-t-il, au fait ?
— Il est d’humeur sentimentale. Il a hâte d’être au mariage, admet Mia.
C’est plutôt mignon. Mais arrête de changer de conversation. Tu veux jouer
les têtues, moi je vais jouer la franchise.
Tout d’un coup, Mia a plongé la main dans sa poche pour en ressortir un
morceau de papier. Elle le pose sur la table en face de moi. Il se déroule tout
seul, et je sens un coup de poignard dans mes tripes en voyant le nombre de
zéros sur le chèque que Mia me donne.
— Mia, allez, c’est n’importe quoi ! Tu sais que je ne peux pas accepter ça !
— Je ne suis pas en train de te le donner, répond simplement mon amie.
C’est un prêt. Izzy, nous sommes amies depuis que nous mangions des
barres de céréales au déjeuner ensemble. Je t’ai fait subir des centaines
d’heures d’anime et de jeux vidéo, et pendant ce temps, tu as toujours
refusé l’aide des amies qui t’aiment, choisissant à la place de te tuer à la
tâche. Tu crois que Char et moi ne savons pas à quel point les choses sont
difficiles pour toi ?
Je sursaute, me demandant ce qu’elles savent, parce que j’étais persuadée
d’avoir bien réussi à dissimuler les aspects les plus rudes de ma vie. Certes,
elles savent que je suis très occupée et à court d’argent, mais sûrement pas
qu’il y a des jours où je ne mange que le repas fourni par mon employeur, et
que j’ai fouillé en vain mon canapé à la recherche de pièces perdues pour
me permettre de régler la note d’électricité.
Mais ma fierté m’empêche toujours de prendre ce chèque.
— J’apprécie, vraiment. Mais je ne peux pas.
J’essaie de repousser le chèque vers elle, mais le papier me colle aux doigts.
Bon, d’accord, ce n’est pas tant qu’il colle que mon pouce et mon index qui
refusent de le lâcher.
— Écoute, je sais que je t’ai déjà laissé repousser mon aide, mais c’était
quand nous étions toutes en galère à un certain degré. Les choses ont
changé à présent. J’ai assez d’argent pour t’aider, et je te promets que mon
compte en banque ne le sentira même pas.
— Tu te vautres dans tes privilèges, maintenant ?
C’est une chose bête et méchante à lui dire, et je ne suis pas jalouse du
conte de fées que vit Mia. Elle le mérite, elle a travaillé pour ça avec cette
bête qu’elle appelle son homme, mais sa capacité à faire un tel chèque sans
y réfléchir me fait l’effet d’un coup de poing dans les tripes, c’est plus fort
que moi.
Mia me jette un regard suffisamment noir pour que j’en rougisse de gêne, et
je baisse les yeux, honteuse.
— Désolée, Mia. Je sais que ce n’est pas ce que tu voulais dire. Et je suis
heureuse que tout aille aussi bien pour toi. Tu es mon modèle de réussite, tu
le sais. Tu as un diplôme, un boulot que tu aimes, et un gars que tu adores.
— C’est bon, dit doucement Mia, qui se détend un peu. Écoute, ma belle, je
comprends. Je me souviens de la manière dont les mômes te harcelaient à
l’école. Je me souviens de ces vêtements en mauvais état que tu as portés
pendant tout le lycée. Je sais pourquoi tu n’es pas allée au bal de fin
d’année, et je sais pourquoi tu es toujours allée à l’école à vélo alors que
tout le monde avait son permis. Et comme si ça ne suffisait pas, le destin a
décidé de te balancer une nouvelle claque avec la mort de ta tante. Tu as
lutté pendant si longtemps, pour toi, c’est la routine. Mais cette histoire
avec Russell est différente. Et j’ai les moyens de t’aider.
— Mais je me sens plus à l’aise de travailler pour m’en sortir, lui dis-je
d’un ton déterminé. Mia, je t’aime. Tu es ma copine numéro un…
— Ta future femme n’aimera pas entendre ça ! me taquine Mia, au courant
du pacte d’ivrogne que nous avons conclu avec Charlotte.
Je souris un peu à la blague.
— Mais je dois refuser. C’est beaucoup trop ! Et j’ai entendu bien trop
d’histoires d’amitiés ruinées pour des sommes d’argent bien plus faibles
que celle-ci. Je refuse de nous faire courir ce risque, lui dis-je en montrant
le chèque.
Avant qu’elle puisse répondre, je déchire en deux le chèque de Mia, puis
une fois encore, et deux fois après, avant de laisser tomber les morceaux
dans le verre d’eau glacée qui accompagnait mon café. Mia regarde
tristement le papier s’imprégner et couler dans le verre, puis lève les yeux
vers moi.
— J’avais l’intention de le boire, me dit-elle d’un ton pince-sans-rire.
— Tu ne viens pas de me dire que tu possèdes une somme d’argent
incroyable ? Je suis sûre que tu peux te permettre un autre verre d’eau
glacée gratuite, plaisanté-je en souriant. Tu es fâchée ?
— Je ne peux pas l’être contre toi bien longtemps, réplique-t-elle en
s’appuyant sur son siège. Mais je veux ta promesse d’y songer si Russell
intensifie ses idioties. Tu ne pourras rembourser personne si tu es morte
parce qu’un drogué a mis la main sur ton argent ou tes autres biens.
C’est probablement la raison pour laquelle elle et moi sommes meilleures
amies, parce qu’en la regardant, on ne dirait pas qu’elle va se marier avec
l’un des hommes les plus riches de la côte ouest. Elle est toujours la même
Mia qu’il y a quelques mois, avec une mèche verte et des pointes rouges
dans les cheveux, un t-shirt à l’effigie d’un boys band coréen et un jean
déchiré.
S’il y a une différence entre elle et moi ces derniers temps, c’est qu’elle a
un petit air joyeux… probablement à cause de tout le sport en chambre
qu’elle pratique, car je sais qu’elle n’est pas enceinte. Son père ferait une
crise cardiaque si sa princesse faisait ne serait-ce qu’une simple allusion à
une grossesse hors mariage.
Nous buvons nos cafés, et alors qu’elle termine son latte, Mia se frotte les
lèvres.
— Au fait, j’ai entendu dire que tu m’avais dé marrainé ?
— Eh bien, Vash n’est pas vraiment du genre à vivre dans un penthouse. Je
te jure, laisse-lui juste une semaine, et elle finira dans le bureau de Thomas
ou un truc comme ça, et elle laissera une boule de poils sur son sous-main.
— Oui, eh bien, c’est toujours mon bébé à fourrure, dit Mia avant de
pivoter de cette manière soudaine qu’elle a, pas tout à fait sournoise, mais
déconcertante. C’est bien pour ça que tu dois apprendre à te défendre.
La plupart des gens diraient qu’elle est méchante, qu’elle ne retient pas ses
coups… mais je la connais. Je connais sa manière de penser, et je sais qu’il
y a une connexion dans son esprit que la plupart des gens ne voient pas. Et
c’est certainement une autre graine que Charlotte a plantée.
— Pourquoi ?
— Pour défendre mon bébé de fourrure ! s’exclame-t-elle, puis elle sourit.
Oh, et toi aussi.
— Ah, dis-je en soulevant ma tasse pour qu’on me la remplisse. Qu’es-tu en
train de me dire ? Que je devrais acheter un spray au poivre ?
— Le spray au poivre n’est pas une bonne idée. Vash pourrait le trouver et
lécher le bout ou quelque chose comme ça, répond Mia, sûre de son bon
droit. Pourrais-tu imaginer ce pauvre chat avec la langue pendante,
engourdie et brûlante à cause de ce qu’il vient de lécher ?
— C’est probablement à ça que ressemble Thomas la plupart des soirs, dis-
je en riant.
Elle sourit, puis retrouve son sérieux.
— Sérieusement. Char m’a dit qu’elle avait évoqué avec toi le fait que tu
devrais apprendre à te servir d’une arme. Ce n’est peut-être pas une
mauvaise idée. Avec un peu de chance, tu n’auras jamais à l’utiliser, mais
juste au cas où. Papa m’a appris à en manier une. Si j’étais dans ta situation,
je l’envisagerais au moins.
— Mais j’ai Vash pour me protéger, dis-je faiblement, sachant que je mène
une bataille perdue d’avance contre mes meilleures amies. C’est une
griffeuse entraînée.
Elle me jette un regard furieux, m’obligeant à prendre cette question au
sérieux.
— Très bien, capitulé-je en m’effondrant. Je vais me renseigner.
Mais je sais que je n’en ferai rien, je résiste toujours tout en faisant une
demi-promesse vide.
— Et tu vas prendre ça, me dit Mia en me tendant une liasse de billets pliés.
Tu n’as pas le droit de refuser. Et si tu le fais quand même, je les donnerai
au pote vendeur d’armes de Charlotte, de toute manière. Prends cet argent,
assure-toi de trouver une arme de qualité et d’apprendre à t’en servir.
Je grommelle, mais je prends la liasse de billets. Je ne veux toujours pas
d’arme, mais j’ai l’impression que de deux maux, c’est le moindre si l’on
prend en compte le chèque qu’elle a voulu me donner. Je me rends compte
qu’elle s’est jouée de moi à la perfection, sachant qu’elle finirait par gagner
de toute manière. J’accepterais le gros prêt ou l’argent pour l’arme, mais je
ne peux pas refuser les deux.
Et j’ai peur, je suis dans le déni et plein d’espoir que Russell fera une
overdose avant le prochain paiement, mais j’ai peur des dangers que sa
présence fait courir à ma vie. Je réfléchis au fait de rentrer tard chez moi
après mon double service du samedi, la rue sombre et silencieuse, personne
d’autre que moi et Russell qui se cacherait sur le côté de ma maison.
Ou pire, dans ma maison. Il a déjà menacé de le faire aussi.
— Ok, mais je te donne un reçu et la monnaie sur ça.
CHAPITRE 8
ISABELLA
Je tends les mains pour lui saisir la taille et l’aider à s’abaisser sur mon
sexe. Nous gémissons tous les deux dans une harmonie sexuelle tandis que
son corps s’enroule autour de mon membre frémissant. Elle est si chaude,
ses parois intimes enduites de miel me prennent et me retiennent dans une
étreinte parfaite. La poitrine de Bella s’agite, ses seins tremblent, elle en
veut plus, mais a besoin de s’arrêter quand je suis à moitié en elle.
— Prends ton temps, princesse. Je ne te ferai pas de mal.
Ces mots ont tellement de sens, plus qu’elle ne pourrait l’imaginer, et sont
autant de promesses que je peux lui faire en ce moment.
Elle me chevauche lentement, mon membre s’enfonçant de plus en plus en
elle à chaque mouvement de ses hanches, jusqu’à ce que celles-ci se collent
aux miennes et qu’elle rejette la tête en arrière en signe de triomphe.
— J’ai l’impression que tu me déchires en deux, mais je ne peux pas
m’arrêter, grogne-t-elle alors que ses hanches prennent le relais.
Je l’encourage en tendant la main pour caresser un mamelon raidi,
observant son corps rebondir sur moi.
C’est la chose la plus sexy que j’ai jamais vue, cette belle femme qui prend
tout le plaisir qu’elle peut juste avec moi. Pour une fois dans sa vie, elle
exige et veut quelque chose égoïstement, et je voudrais lui donner tout ce
que je peux, la gratifier pour tous les moments difficiles qu’elle a traversés,
et faire en sorte que chaque jour à partir de maintenant soit meilleur à mes
côtés.
Je passe la main autour d’elle, je lui caresse les fesses et je l’aide.
— Je suis là, Bella… Je suis là, murmuré-je, plus à mon attention qu’à la
sienne, m’assurant que c’est la réalité et non un rêve dont je vais me
réveiller. Je remonte en elle alors qu’elle descend, rejoignant son corps avec
le mien tandis que je m’émerveille de la voir au-dessus de moi.
C’est une princesse, une reine, et je jure en cet instant que je ferai tout ce
que je peux pour être son chevalier en armure ternie.
Les hanches de Bella bondissent sur mon membre, nous nous élevons tous
les deux jusqu’à ce qu’elle se penche en avant et m’embrasse
profondément. Son sexe se contracte autour de moi, et elle gémit son
orgasme dans ma bouche, m’offrant sa libération.
Cela me fait basculer, et je la tiens fermement, donnant deux nouveaux
coups de reins jusqu’à ce que j’explose, emplissant le préservatif de fluide
chaud. Mon corps tremble alors que nous nous écroulons ensemble, ses
lèvres me retenant alors que je la serre dans mes bras. Et ça ressemble
exactement à ce que je désire… qu’elle me donne les fondations que je n’ai
pas eues depuis la mort de Jeremy, et en retour, je m’assurerai qu’elle est
heureuse et en sécurité. À cet instant, et tout le reste du temps.
Nous restons allongés ensemble, la sueur refroidissant sur nos corps jusqu’à
ce qu’elle frissonne, et que je me trémousse pour tirer sur les couvertures.
Je les dispose sur nous jusqu’à ce que nous soyons enveloppés comme un
burrito jumeau. Il n’y a rien de parfait, mais nous sommes au chaud.
J’attrape son unique oreiller et le range sous ma tête, la tirant pour qu’elle
se blottisse contre ma poitrine avec mon bras enroulé autour de ses épaules.
— C’est confortable ?
— Mmm-hmm, dit-elle, l’air endormi.
Quelques instants plus tard, elle ronfle doucement, son corps épuisé par tout
ce qu’elle a fait aujourd’hui. Je la tiens précieusement, assez près pour
sentir son corps sans la réveiller pendant que mon esprit fait des heures
supplémentaires.
Je ne plaisantais pas en disant que j’étais un scout, et dans mon métier, la
préparation est la clé de la réussite des contrats. Mais je ne suis pas préparé
pour la situation actuelle, et il faut que je rectifie le tir. Je réfléchis à ce que
je sais.
Blackwell a dit qu’il voulait que Bella soit tuée pour envoyer un message à
quelqu’un d’autre, donc ce n’est pas elle le joueur, elle n’est qu’un pion.
Peut-être y a-t-il un moyen pour moi d’en tirer parti, d’offrir un chemin
alternatif à sa fin de partie ?
Mais d’après ce que je sais de Blackwell, et cela représente un volume
important d’informations, car je ne prends pas les contrats à la légère, il
n’est pas du genre à permettre à une personne extérieure d’avoir un mot à
dire sur la stratégie qu’il a choisie. Je ne suis qu’un outil dont il peut se
servir, une ressource pour un ensemble de compétences dont il ne veut pas
user lui-même.
Raisonnablement, je peux donc être certain qu’il ne laissera pas passer ça.
Je peux le faire patienter encore quelques jours, mais compte tenu de son
degré de suspicion et d’impatience, je ne doute pas qu’il puisse préparer un
autre coup. En m’incluant dans la liste de cibles.
J’envisage d’inverser le jeu. Je suis un tueur à gages compétent. Il faudrait
peut-être que j’inverse le scénario et que j’élimine la menace qui pèse sur
Bella… Blackwell lui-même. Cela résoudrait le problème, mais ce serait
plus que difficile. Il est conscient de ma présence, je n’ai donc pas
d’élément de surprise. Et il est bien protégé par un dispositif de sécurité
adéquat qui rendrait presque impossible de l’approcher. À moins que je ne
sollicite une rencontre, ce qui entraînerait une fuite désordonnée.
La solution la plus logique serait de m’enfuir. L’emmener avec moi et
quitter Roseboro pour toujours. Nous pourrions le faire, repartir à zéro dans
un endroit où personne n’a jamais entendu parler de Blackwell. Mais même
si je rêve de coucher Bella sur une plage de sable dans un endroit exotique
où il n’y a que nous deux, je sais qu’elle n’ira pas. Pas même si je lui dis la
vérité, ce que je devrai faire de toute façon. Mais je la connais. Si elle pense
que Blackwell se sert d’elle pour une raison quelconque, cette fille va
affronter la tempête et riposter pour protéger celui que Blackwell essaie
d’atteindre.
Ce qui me ramène à la case départ. Mon esprit continue de tourner, mais
lentement, la chaleur du corps de Bella s’infiltre en moi, et je m’endors. Je
n’ai pas de réponses, mais tout ce dont j’ai besoin se trouve entre mes bras.
Tôt le matin, je me réveille et je la regarde dormir. Mon sommeil agité
contraste avec son épuisement paisible, et je découvre avec émerveillement
le repos des vrais innocents. Je ne pourrai plus jamais l’avoir, mais je tiens à
le protéger maintenant. Glissant la main sur son dos, je la taquine jusqu’à ce
qu’elle s’éveille et je me glisse en elle une fois encore. J’ai l’impression
d’être… au paradis.
CHAPITRE 14
ISABELLA
—J eremy !
Je cours au coin de la rue, où le chaos règne. Du coin de l’œil, je vois une
voiture noire sortir en trombe du parking, mais je suis concentré sur
Jeremy, qui gît sur le flanc.
Les gens crient, certains courent, d’autres restent figés sur place en
pâlissant de terreur.
Un groupe s’est réuni autour de lui… et ils ne font rien. Mon frère est
étendu sur le sol, et ils ne l’aident même pas à se relever.
— Bordel, dégagez de mon chemin ! rugis-je en repoussant les gens.
Quelqu’un m’attrape par le bras, et par réflexe, je me retourne et lui
balance un coup de poing pour me libérer. Ce n’est que le lendemain que
quelqu’un m’apprend que c’est à Tiffany Washington que j’ai cassé le nez.
Le sang de Jeremy se répand partout sur le bitume. Il y en a tellement que
je ne sais pas comment le corps de mon petit frère pouvait en contenir
autant. Je le tire sur mes genoux et laisse sa tête reposer sur ma jambe tout
en baissant les yeux sur lui.
— Jeremy… ne t’avise pas de me claquer dans les bras, putain !
— Ça ne fait pas mal, frérot, murmure-t-il, du sang coulant du coin de sa
bouche. Mais…
— Non ! le supplié-je, plaquant ma main sur le trou dans son ventre pour
l’empêcher de se répandre partout.
Mais la mare de sang sous son corps continue de grossir et elle fait des
bulles autour de mes doigts.
— Jeremy…
— Je t’aime, Ga… mais il n’a pas le temps de finir de prononcer mon nom
que son corps se met à convulser.
Je le serre contre moi, en priant pour que ça s’arrête, mais quand il se
raidit et qu’un souffle taché de sang frappe mon visage, je sais.
— Jeremy… Je te promets que je trouverai qui a fait ça.
Je me réveille dans la pénombre de l’après-midi, le soleil perçant à travers
les rideaux en ondulations sanguines, et mon visage couvert de sueur à
cause du rêve qui hante mon sommeil. Je l’essuie, me rappelant comment
j’ai dû nettoyer le sang de Jeremy sur moi. Il avait tout imprégné, et plus
tard, j’ai découvert que les deux balles avaient traversé de part en part, l’une
d’elles lui ayant sectionné la moelle épinière, ce qui expliquait pourquoi il
n’a pas ressenti de douleur.
Maigre réconfort.
Je frissonne et m’assieds dans le lit bon marché du motel, enfouissant mon
visage entre mes mains, laissant la douleur m’envahir aussi longtemps qu’il
le faut. C’est le seul moyen pour moi d’affronter le reste de la journée
l’esprit clair.
Je me souviens de tout.
Je me souviens avoir assisté à l’arrivée de l’ambulance, avoir vu les
secouristes essayer d’aider Jeremy jusqu’à ce qu’ils sachent que c’était
terminé. J’ai en mémoire le regard échangé par les deux ambulanciers alors
qu’ils pensaient que je ne les voyais pas.
J’ai le souvenir de l’enterrement, des yeux de tout le monde braqués sur
moi, et de la lumière dans les yeux de mes parents qui s’est éteinte à
l’instant où le cercueil de Jeremy était porté en terre.
Je me souviens de tout.
Depuis ce moment, alors que la tête de mon frère reposait sur mes genoux,
que ses derniers souffles effleuraient ma joue et que je suppliais la
Faucheuse de me prendre à sa place, je n’ai jamais laissé personne ni quoi
que ce soit se mettre en travers de ma poursuite acharnée de l’assassin de
Jeremy.
Malgré mes efforts, je n’ai pas pu trouver qui avait tiré « dans les règles de
l’art. » La police locale s’est avérée incapable de trouver le coupable, et le
procureur a discrètement laissé tomber l’affaire, car il était en course pour
sa réélection et ne voulait pas que les gros titres des journaux sur le meurtre
non résolu d’un adolescent gâchent sa campagne.
Au bout d’un moment, j’ai tourné le dos à mes amis, ma famille, ma vie, et
me suis plongé dans les ténèbres, dans ce monde sale qui avait provoqué la
mort de Jeremy.
En cours de route, mon âme a été souillée de beaucoup de saleté et de sang.
Cela a démarré petit à petit, par des étapes qui, je le croyais, me mèneraient
à une sorte de réponse. Mais en cours de route, je me suis perdu. En dépit
de mon éthique, mon propre code moral et mes règles, la liste de mes
péchés est longue. Plus d’une fois, je me suis demandé si je n’étais pas
devenu aussi mauvais que le monstre que je cherchais.
Mais avant elle, je n’avais jamais remis ma vie en question. J’avais accepté
cette mission en me disant qu’elle serait une parmi tant d’autres, sauf que
j’obtiendrais enfin ce que je recherchais… la vérité. Ou du moins, de
véritables informations m’envoyant dans la bonne direction.
Je ne m’attendais pas à ma princesse ni à ce frémissement chaleureux dans
ma poitrine chaque fois que je pense à elle. Je prie pour que les sentiments
que j’éprouve pour Bella ne soient pas simplement dus à ma culpabilité qui
me rattrape, histoire d’avoir l’opportunité de me sentir de nouveau
« propre ». Qu’elle me fasse cet effet ou non, et c’est le cas, elle mérite
mieux que d’être utilisée pour que je me sente moins mal.
Je sors du lit et me dirige vers la douche. L’eau chaude se déverse sur mon
cou et mes épaules, cascadant à travers mes cheveux alors que je me lave,
essayant de réfléchir.
— Que dois-je faire, Jeremy ? demandé-je dans l’atmosphère humide de la
salle de bains, essayant d’y voir plus clair. Comment puis-je m’en sortir et
faire ce qu’il faut pour elle ?
Comment le saurais-je ? C’est toi qui as passé des années à apprendre à
être un tueur. Tu as aussi acquis d’autres compétences pendant cette
période.
Même dans ma tête, le sarcasme mordant de mon frère résonne, et je me
sens plus proche de lui.
Je me lave rapidement et sors de la douche, me séchant avant de vérifier
mon rasage dans le miroir. Une barbe d’un jour… je n’aurai pas besoin de
mon rasoir aujourd’hui. À la place, je retourne dans la chambre et ouvre
mon sac de voyage où je prends un jean, un t-shirt noir et un gilet zippé à
capuche rouge. Quand je quitte le motel, je grimpe dans mon camion « de
boulot », essayant de réfléchir à la manière de protéger Bella.
C’est la question à un million de dollars qui me tracasse depuis que je me
suis faufilé hors de son lit ce matin, sans avoir plus d’idées que la veille au
soir en m’endormant avec elle dans mes bras.
Cette situation est une véritable bombe à retardement, et je dois agir.
Je me gare sur le parking d’une supérette au nord de la ville. Il n’y a pas
grand-chose dans les parages, et c’est assez ancien pour qu’il n’y ait pas de
caméras de surveillance sur le côté du bâtiment où je me gare.
Me servant de cette intimité, j’ouvre la console à côté de moi et sors mon
téléphone prépayé. Je compose un numéro de mémoire, sachant qu’il
n’aboutira pas, mais que mon destinataire recevra le message vocal et
répondra en conséquence.
— Vous êtes bien chez Larry Plomberie. Je suis absent pour le moment.
Laissez un message.
— Salut, j’ai un problème avec mes toilettes. Le flotteur à billes ne
fonctionne plus. J’apprécierais si vous pouviez procéder rapidement à son
remplacement, dis-je en prononçant les mots codés appropriés. C’est urgent,
si vous êtes disponible.
Je raccroche, sachant que je viens d’ajouter des frais importants à ce que je
demande, mais je ne peux pas y faire grand-chose. J’ai besoin d’aide
maintenant.
À peine deux minutes plus tard, mon téléphone sonne. Je le récupère.
— Allô ?
— Vous avez appelé au sujet de toilettes ? demande une voix à l’autre bout
du fil.
Je n’ai jamais rencontré Larry le bibliothécaire, mais rares sont ceux qui,
dans le monde de la pègre, ne connaissent pas cette voix légèrement
nasillarde. Je me demande comment il arrive à se faire passer pour un
plombier, mais pour ce que j’en sais, ce n’est que sa foutue ligne de
téléphone portable.
— Un travail urgent ?
— Exact, Larry, dis-je.
J’entends le grognement à l’autre bout. Il me connaît et reconnaît ma voix.
— J’ai besoin d’un complément.
— Un instant, dit Larry, et un moment plus tard, j’entends un bip
électronique dans mon oreille. Vas-y. La ligne est brouillée.
— J’ai besoin de tout ce que tu peux me donner sur un homme appelé
Blackwell.
Il émet un long sifflement bas.
— Je ne peux pas t’aider avec ça.
— Pardon ? demandé-je, surpris.
Depuis des années que je consulte Larry en tant que principal pourvoyeur
d’informations, il n’a jamais refusé une demande.
— Non. Comme dans, si tu veux rester au sommet et pas six pieds sous terre
dans un trou non balisé dans la forêt, tu vas laisser tomber toute enquête
sur cet homme. Il y a des gens sur lesquels il ne faut pas fouiner. Il en fait
partie.
— C’est une menace ?
— Rien qu’un conseil. D’un professionnel à un autre. Au revoir, Gabriel.
Avant que je puisse ajouter un mot, Larry raccroche. Je recompose le
numéro, mais je n’arrive même pas sur la boîte vocale. Au lieu de cela, une
voix robotisée m’informe que la ligne n’est plus attribuée.
Merde.
À peine quelques secondes plus tard, mon autre téléphone vibre, et je vois
que c’est un texto.
Je veux des nouvelles.
Quand on parle du foutu loup.
— Très bien, tu veux des nouvelles ? demandé-je, démarrant mon camion
avant de sortir du parking de la supérette. Je vais t’en donner.
CHAPITRE 16
BLACKWELL
L e bureau est plongé dans l’ombre alors que je suis assis derrière mon
bureau, à attendre et à comploter. Je tape de la main sur ce dernier, et
je me laisse rapidement aller à jouer le Concerto pour piano pour la main
gauche de Ravel afin de ralentir la montée de ma tension artérielle.
Il y a plusieurs décennies, mon père avait contraint une version de moi
beaucoup plus jeune et plus malléable à apprendre le piano pour structurer
mes pensées. À l’époque, j’avais détesté les heures passées devant les
touches, je l’avais supplié de cesser les exercices, et la réponse dédaigneuse
de mon père avait marqué le début de la fin de tous les sentiments positifs
que j’avais à son égard.
Si l’on ajoute à cela la déception qui se lisait dans ses yeux lorsque je ne
réussissais pas à le satisfaire, que ce soit au piano ou dans ma jeune vie,
cela avait suffi à me faire détester cet homme. Suffisamment pour qu’à sa
mort, je me sois saoulé… pour fêter joyeusement son décès.
Mais j’ai quand même retenu les leçons, et je me retrouve souvent en train
de frapper distraitement les notes à grands traits sur un clavier inexistant.
L’horloge sonne vingt heures, et ma mauvaise humeur monte d’un cran.
Avant, mon invité venait toujours en avance, mais maintenant, il est
toujours à l’heure. Un changement révélateur. Même si ce n’est pas un
manque de respect en soi, cela montre que ses sentiments à l’égard de ce
travail, et peut-être de moi, sont différents. C’est un coup de force qui
montre sa main, qu’il le réalise ou non.
La porte de mon bureau s’ouvre alors que personne n’a frappé, et Gabriel
Jackson fait son entrée, sans escorte cette fois. Alors que cela pourrait être
considéré comme un signe de danger, je sais que mon service de sécurité
personnel a fouillé l’homme quand il est sorti de l’ascenseur et qu’il
suffirait de presser un bouton pour qu’ils soient là si j’en avais besoin.
Pourtant, je ne serai pas négligent, vu que la réputation de Gabriel le
précède.
— M. Blackwell.
Ma main s’arrête avant le deuxième mouvement du morceau de piano, et je
me lève, ignorant le salut de Gabriel pour me diriger vers mon bar. C’est
aussi une démonstration de force, l’une des nombreuses que j’utilise
régulièrement, qui me permet de prendre le dessus sur mon invité et de
contrôler plus facilement le début de la conversation. Mes bonnes manières
poussent aussi les gens à sous-estimer le degré de cruauté dont je suis
capable.
Je prends une carafe de tequila, sans regarder Gabriel pour le moment. Par-
dessus mon épaule, je lance :
— Vous êtes en retard. Dans plusieurs sens du terme.
— Votre agent de sécurité s’est montré très minutieux, répond Gabriel
quand je me retourne, ajustant sa cravate comme si mon garde l’avait laissé
échevelé.
— On ne m’a pas autant outragé depuis mon dernier passage à la sécurité
de l’aéroport.
— Quand quelqu’un est aussi dangereux que votre réputation le dit, il est
dans mon intérêt d’être… prudent, dis-je en me versant un verre sans lui en
offrir un. Asseyez-vous.
Gabriel s’exécute, et je m’appuie sur le bar pour l’étudier un instant. En
général, je constate qu’une longue pause silencieuse de ma part incite les
autres à remuer et à s’agiter nerveusement, surtout lorsqu’ils savent
pertinemment qu’ils n’ont pas répondu à mes attentes.
Mais pas lui.
Gabriel reste assis, immobile et patient, mais prêt, une légère tension lovée
dans ses muscles. Incapable d’attendre plus longtemps, je lui laisse croire
qu’il a le dessus en prenant l’initiative.
— Alors…
— Il y a eu des développements, dit Gabriel d’un ton égal, l’air décontracté
pendant que je sirote ma tequila. Ce travail demandait plus de délicatesse
que je ne l’aurais cru.
— Comment ça ? Cela devrait être plutôt facile pour quelqu’un comme
vous, dis-je, et c’est à la fois un compliment et une accusation. Elle ne
bénéficie d’aucune protection ni compétence, et elle vend de la bouillie
dans un restaurant pourri. À moins que votre réputation de savoir gérer des
cibles de haute volée soit surévaluée, cela aurait dû être votre contrat le plus
rapidement exécuté.
Je suis las de ses excuses, mais intrigué en même temps. J’ai déjà engagé
des gangsters, généralement des gros bras pour intimider quelqu’un, mais
Gabriel Jackson est unique en son genre. Son comportement exige une
étude plus approfondie et un peu de vigilance.
Gabriel acquiesce en croisant les doigts.
— Bien sûr que non. Mais elle a des amis très puissants.
— C’est pour cette raison que je vous ai engagé, sifflé-je, reposant le verre
de tequila sur la surface du bar. Je me rends compte un instant trop tard que
mon emportement expose le raisonnement qui m’a mené à m’intéresser à la
serveuse d’un petit restaurant.
— Dites-moi pourquoi vous m’avez embauché moi, et pas un homme de
main, pour ce contrat, demande Gabriel d’un ton léger.
Je ricane, repoussant sa demande.
— Je ne suis pas là pour flatter votre ego.
Il secoue la tête, mais continue.
— Évidemment, non, mais peut-être que la réponse à votre inquiétude
réside dans les informations que vous avez déjà.
Il incline la tête, attendant patiemment.
— Vous êtes minutieux, attentif, et capable de répondre aux exigences
particulières de missions uniques. Votre réputation de tueur de sang-froid
plaît à un certain type de personnes. Et en particulier, cela fonctionne bien
pour les luttes de pouvoir.
Hmm, il a peut-être raison. Les raisons pour lesquelles je l’ai engagé et pas
un tueur à gages sur le Bon Coin sont plutôt évidentes.
— Mais les résultats ne sont pas à la hauteur de l’engouement autour de
vous, finis-je d’un ton glacial.
— Rassurez-vous, ma réputation est méritée, répond Gabriel, toujours
imperturbable. Si vous avez des doutes quant à mon efficacité, n’hésitez pas
à vous renseigner auprès de mes anciens employeurs. Ce sont tous des
hommes et des femmes qui vous sont égaux dans leurs domaines respectifs.
Cela fait longtemps que je suis dans le jeu. Je sais reconnaître une menace
voilée quand j’en entends une. Et bien que je ne sois normalement pas un
homme à prendre les menaces à la légère, je ne dis rien. La situation a
tourné à une partie d’échecs. Heureusement pour moi, je ne joue pas selon
les règles et je n’ai aucun problème à détourner le jeu en ma faveur.
Cependant, si j’ai fait beaucoup de choses que les gens normaux
considéreraient comme mauvaises, Gabriel Jackson est le genre d’homme
que l’on garde sous le coude quand c’est possible.
D’ailleurs, il a raison. Je connais les anciens employeurs de Gabriel, et ce
qu’il raconte est la vérité.
— Alors, quels sont les rebondissements qui vous retiennent ? demandé-je.
— Comme vous le savez, je ne fais pas de dommages collatéraux. Et je
maintiendrai cette norme professionnelle.
— Vous n’avez pas répondu à la question. Qu’est-ce qui vous retient ?
— Ses amis, défie Gabriel. Vous avez dit que le boulot consistait à envoyer
un message à quelqu’un de son cercle. Je me doute que vous n’aviez pas
prévu qu’ils anticiperaient ce genre de réaction de votre part, et elle
bénéficie d’une protection supplémentaire.
Il me jette un regard dur, me défiant de le contredire. Je me retiens de lui
dire que j’en sais plus sur Thomas Goldstone qu’il n’en saura jamais, car je
ne veux pas divulguer mon obsession à un sous-fifre.
Devant mon silence, il enchaîne.
— Chaque fois que je l’ai observée au restaurant, il y avait trois clients en
permanence avec elle. Leur présence semblait aller au-delà d’un
engouement pour la nourriture médiocre, alors j’ai fait quelques recherches.
Il me reste à identifier deux d’entre eux… mais j’en connais un. C’est un
garde du corps privé, il travaillait pour les services secrets il y a quelques
années.
Une légère pointe de plaisir s’épanouit à l’idée que Gabriel a peut-être
remarqué le détective privé que j’ai engagé pour le suivre. Dans une
certaine mesure, je suis impressionné. Mais il ne sait pas qui est cet homme
ni pourquoi il a été engagé. Encore un point en ma faveur.
Mon détective privé n’a fait mention de personne d’autre sur le terrain, mais
peut-être que sa vision était si centrée sur Gabriel, sa cible, qu’il n’a pas
pris en compte les autres dangers potentiels de mon plan.
— Et en quoi cela vous arrête-t-il ? Vous avez déjà dit que vous ne feriez
pas le travail au restaurant.
— J’ai vu cette même femme passer devant la maison d’Isabella. Cela me
fait prendre du temps, répond Gabriel, articulant lentement. Monsieur
Blackwell, comprenez une chose. Je suis un professionnel, pas un
kamikaze. Je suis un homme qui possède un ensemble particulier de
compétences et de règles. Si vous vouliez que quelque chose soit accompli
à n’importe quel prix, vous ne vous seriez pas adressé à moi.
— Vous êtes donc en train de me dire que vous ne pouvez pas mener cette
mission à bien ? lui demandé-je, essayant de voir à quel point ce type essaie
de m’entuber.
Je ne serais pas surpris qu’il retourne toute la situation contre moi, étant
donné mon expérience avec les hommes dans ce sombre métier, mais sa
réponse me surprend.
— Pas vraiment… simplement que nous devrions faire preuve de prudence,
affirme Gabriel. Pour votre protection tout autant que la mienne. J’ai juste
besoin de temps, M. Blackwell, je suis plutôt doué pour jouer les
séducteurs.
Son comportement froid se réchauffe en un clin d’œil, un sourire charmant
et un air jovial de voisin charmant remplacent son aura menaçante.
— C’est ce que j’ai entendu dire, ironisé-je.
C’est un commentaire calculé, destiné à lui faire comprendre qu’il se trouve
sous un microscope et à lui montrer que bien qu’il pense avoir le dessus
dans notre conversation, il est loin d’être préparé par rapport à un homme
comme moi.
Son air bon enfant disparaît, un givre glacé dans ses yeux sombres qui se
verrouillent sur moi.
— Soyez assuré que je fais ce qui doit être fait pour que le travail soit
effectué comme convenu. J’ai déjà pris un premier contact.
Ses paroles sont correctes, mais sortent difficilement, comme s’il était prêt à
tout pour ne pas les prononcer.
Intéressant.
Je me pose toujours la question de savoir si Gabriel se rapproche d’Isabella
parce que c’est un moyen d’arriver à ses fins, ou pour une autre raison.
L’idée qu’elle soit séduite puis connaisse une fin humiliante a quelque
chose d’ironique et de juste que je peux apprécier. Très bien… cela vaudra
peut-être la peine de voir si Gabriel Jackson termine vraiment sa mission.
Je sirote ma tequila en réfléchissant. Savoir qu’Isabella Turner ira dans sa
tombe avilie et le cœur brisé… Voilà qui aura le goût d’une douce
vengeance.
— Bien. Mais je veux des preuves. Et rapidement.
Gabriel acquiesce et se lève.
— Vous pouvez être sûr que vous aurez votre preuve. Dès que ses gardes du
corps se détendront, je passerai à l’action.
Gabriel se dirige vers la porte, mais avant qu’il ne l’ouvre, je le rappelle.
— Monsieur Jackson, ne me faites pas perdre la confiance que j’ai en vous.
Je ne suis pas le genre d’homme que vous devriez doubler.
Gabriel se tourne, sa main bougeant si rapidement que je le distingue à
peine avant qu’un couteau de lancer en acier inoxydable ne se plante au
milieu du bar, à moins de huit centimètres de ma main.
— On pourrait dire la même chose de moi. Il vous faut une meilleure
sécurité, mais pour le moment, je ne suis pas une menace pour vous. Bonne
nuit, M. Blackwell.
Gabriel part, fermant doucement la porte derrière lui, et pour la première
fois depuis des années, la peur fait trembler ma main alors que je pose mon
gobelet. Je fais levier pour extraire le couteau du bois, en grognant sous le
coup de l’effort, car la lame est profondément enfoncée dans le chêne
ancien.
Les faibles lumières de mon bureau se reflètent sur la surface argentée
mate, et je peux y voir un reflet déformé et ondulé de mon visage. Cela me
donne l’air d’un monstre, et après un moment, je pose le couteau,
réfléchissant à la réunion.
Première leçon. Gabriel Jackson n’est pas un homme avec qui il faut
badiner. Jeune, oui. Mais stupide ? Pas si sûr.
Pourtant, les menaces, le manque de peur dont Gabriel a fait preuve… ils
m’irritent. Je suis un homme habitué à ce que les gens tremblent à la seule
mention de mon nom. Même ceux qui ont le calibre pour se permettre
d’engager Gabriel ne s’opposent normalement pas à moi.
Et pourtant, Gabriel a jeté un couteau dans mon bureau comme si de rien
n’était. Comme si je n’étais rien.
Je dois savoir si cette réaction est celle d’un homme qui n’a vraiment
aucune crainte, ou si c’est un acte né de la frayeur, la réaction violemment
désespérée d’un animal acculé ?
La tequila m’a réchauffé le ventre, mais une autre chaleur se répand dans
mon corps… le brasier de la colère.
Petite merde, qui ose me menacer.
Je me rends à mon bureau derrière lequel je m’assieds, et mes doigts
reprennent distraitement Ravel tandis que je réfléchis à mes options.
— Très bien… Je vais te laisser un peu plus de corde, dis-je enfin, ouvrant
mon bureau pour y chercher un téléphone bien particulier.
Un que je n’utilise que dans des circonstances très spécifiques.
— Mais seulement assez pour que tu puisses te pendre avec si tu me trahis.
Je compose rapidement le numéro, attends que la ligne sonne et rebondisse
sur au moins deux services de recomposition à en juger par les changements
de tonalité.
Je déteste utiliser ce genre de dispositifs, mais dans le cas présent, c’est le
moyen le plus sûr. Enfin, après une longue période de silence quasi total,
quelqu’un décroche.
— Oui ?
— Jericho ? C’est Blackwell.
— Ça fait un bail. Que puis-je faire pour vous ? me demande la voix qui me
donne des frissons.
Et c’est pour cette raison que je me sers de lui. Si Gabriel Jackson est
capable de me faire peur, alors en toute logique, engager quelqu’un
d’encore plus mortel, même s’il n’est pas aussi calme et ne possède pas la
même éthique, est ma meilleure option.
— J’aimerais discuter d’une offre d’emploi potentielle.
Il y a un silence à l’autre bout de la ligne, et j’attends patiemment pendant
que Jericho réfléchit à ses mots.
— Je peux être à SeaTac dans deux jours.
— Excellent. Je vous retrouverai personnellement là-bas. Envoyez-moi
votre heure d’arrivée.
La ligne est coupée, et j’éteins le téléphone avant de le ranger.
Mon détective continuera de suivre Gabriel, et il découvrira peut-être s’il
est sournois, ou s’il est tombé sous le charme de Mlle Turner. Et d’ici deux
jours, si la mission n’a pas été achevée avec succès, Jericho prendra le
relais.
Cette affaire réglée, je me lève, plongeant dans le tiroir de mon bureau pour
prendre le petit pistolet que je garde, juste au cas où.
Je dois châtier un agent de sécurité.
CHAPITRE 17
GABRIEL
I l est près de minuit quand je gare enfin mon scooter dans mon jardin. Je
jette un coup d’œil pour m’assurer que Russell ne se cache pas dans les
parages, mais tout semble paisible. Jusqu’à ce que j’arrive sur le pas de ma
porte.
Un sac d’épicerie brun est posé contre. La première chose qui me vient à
l’esprit, c’est une bombe, parce que je regarde beaucoup trop les infos au
cours du service du soir au dîner. Puis la partie plus raisonnable de mon
cerveau considère qu’il est très improbable que ce soit une bombe. Je veux
dire, la plupart du temps, elles sont dans des boîtes ou des trucs comme ça,
non ?
Pourtant, je pousse le sac du bout du pied tout en tenant mon visage le plus
loin possible du potentiel contenu explosif du sac.
Il se froisse.
Curieuse, je regarde à l’intérieur. Et mon cœur s’arrête. Littéralement, il
s’arrête devant une telle gentillesse.
Je ramasse le sac, déverrouille la porte et me précipite à l’intérieur. Après
avoir de nouveau verrouillé derrière moi, j’étale le contenu du doux cadeau
de Gabe sur la table de la cuisine. Il y a un sac immense de sels de bain à la
lavande, deux masques, l’un pour mes cheveux et l’autre pour mon visage,
une bougie, un sachet de chocolats, et une bouteille de vin bien fraîche.
Il est tard et je devrais me mettre au lit. Mais devant toute cette générosité,
je n’ai qu’une envie, me faire plaisir. Rien que pour cette fois.
Alors j’en profite, faisant ce que Gabe a demandé en prenant un bain chaud
réconfortant avant d’aller au lit. C’est luxueux, décadent, et juste ce dont
j’avais besoin. Et alors que je me glisse entre mes draps en coton, la peau
hydratée, je me mets à rêver à demain.
Je pourrais m’habituer à tout ça.
J E DEVRAIS COMPTER sur ma bonne étoile, car j’ai de beaux vêtements. Il fut
un temps où je passais des heures à faire les friperies pour trouver des
vêtements mignons et abordables. Après la mort de Reggie, ma situation est
devenue beaucoup plus désespérée et les vêtements sont devenus le dernier
de mes soucis. Mais ce soir, je suis heureuse d’avoir gardé quelques-unes
des plus belles pièces que j’ai achetées en solde à la friperie de Roseboro.
— Vash, qu’en penses-tu ? La noire ?
Je lui montre la robe noire avec une longue jupe coupée en diagonale, mais
elle lève le menton, visiblement peu impressionnée.
— Très bien… la verte ? Je pourrais peut-être y ajouter un foulard ?
Miaou.
— Bof. D’accord, et que penses-tu de la rouge ?
Elle secoue la tête : elle ne s’amuse pas. Elle s’en va vers la cuisine à sa
manière bien particulière.
— Bien… Je vais me débrouiller toute seule ! crié-je après sa queue qui
remue. C’est mon premier rendez-vous officiel depuis je ne sais pas
combien de temps. De toute manière, je ne vais pas me fier à l’opinion
d’une créature qui crache des boules de poils !
Je finis par me décider pour la robe rouge, principalement parce que j’ai les
talons parfaits pour aller avec. C’est un cadeau de Mia, qui remonte à
l’époque où elle était célibataire à l’université et qu’elle voulait une copine
pour sortir en boîte de nuit avec elle.
— Bon sang, elles sont géniales ! murmuré-je en me tournant dans tous les
sens, regrettant de ne pas avoir de miroir en pied pour voir à quoi
ressemblent mes jambes.
Effectivement, je ne porte que ma plus belle lingerie et mes talons, alors j’ai
sûrement plus l’allure d’une strip-teaseuse qu’autre chose… mais je me
sens terriblement sexy comme ça.
— Ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas ressenti ça.
C’est beaucoup plus facile qu’il n’y paraît d’enfiler la robe. Il n’y a pas de
fermeture éclair, mais une bande de tissu extensible dans laquelle je me
tortille et me glisse jusqu’à ce qu’elle atteigne mes hanches et tombe
ensuite sur mes genoux.
J’attache mes cheveux en arrière, je m’imagine, et finalement je ne peux
pas résister à l’envie d’aller dans la salle de bains et de faire de mon mieux
pour apercevoir ce que je peux dans le minuscule miroir au-dessus de mon
lavabo. Je ne vois pas grand-chose, mais ce que j’entrevois…
— Vash !
Miaou ?
— Je vais avoir besoin de toi pour appeler le 911 quand Gabe arrivera, ma
belle. Parce qu’il se pourrait qu’il fasse une crise cardiaque en me voyant
une fois maquillée.
Je commence par mes yeux. J’ai les yeux foncés, alors si je force trop sur
l’effet smoky avec le fard à paupières et le liner, j’aurais juste l’air d’un
raton laveur. Mais je veux avoir un look sensuel et sexy. Heureusement,
c’est précisément l’effet que produit cette robe rouge, et un trait d’eye-liner
noir incliné vers le haut me donne un peu plus d’éclat.
Je mets du rouge profond sur mes lèvres, riche et brillant, pour attirer
l’attention de Gabe sur tout ce que je dirai cette nuit. S’il imagine ce que
mes lèvres pourraient faire d’autre… eh bien, c’est aussi un bonus.
Je sais que moi, je n’ai pas cessé de songer à ce que ses lèvres à lui
pourraient me faire.
Enfin, c’est terminé, et je fais de mon mieux avec mes cheveux, tirant les
boucles chocolat sur une épaule pour les faire descendre sur ma poitrine.
Mon Dieu, je me sens belle.
On frappe à ma porte et je me dépêche de sortir, courant de mon mieux sur
mes talons hauts.
— Qui est-ce ? demandé-je.
Je suppose qu’il s’agit de Gabe, mais après le petit numéro de Russell avec
sa botte, je ne prends pas de risque.
— C’est moi, Princesse, dit une voix étouffée à travers la porte, et je ne
peux m’empêcher de rire en la déverrouillant pour lui.
— Gabe, je suis presque… commencé-je avant de perdre tous mes mots.
Il est superbe dans son costume noir profond qui met en valeur ses cheveux
foncés et ses yeux marron vif, et son sourire est éblouissant dans la lumière
tamisée de mon porche. Oublions le rencard. Nous portons déjà trop de
vêtements.
Gabe me scrute de haute en bas.
— Tu es éblouissante.
— Euh, merci, balbutié-je, hésitante alors que mon cœur bat à tout rompre
sous son regard empreint d’une attirance et d’une appréciation non
dissimulées.
De toute ma vie, je ne me suis jamais sentie aussi désirée qu’en ce moment.
— Tu es… wouah, lui dis-je.
— Merci, dit Gabe en s’inclinant à moitié, mais j’ai vu son sourire satisfait.
Alors… on y va ?
Je fais un pas en arrière, lui faisant signe de me suivre.
— Tu veux entrer ? Je dois prendre mon sac à main.
Mais Gabe ne bouge pas. Il n’entre pas. Mais il s’appuie contre
l’encadrement de la porte.
— Si j’entre là-dedans, nous ne partirons pas. Pas avec ton allure, et pas
avec ce que je vois dans tes yeux en ce moment. Et j’ai vraiment envie de te
sortir, de te traiter comme il se doit, et de t’exhiber dans cette robe rouge.
Prends ton sac à main, Princesse.
Il parle d’une voix grave et rauque, presque un grognement montrant
l’effort qu’il fournit pour se retenir. Cela m’excite et me fait envisager que
le fait qu’il entre pour m’arracher cette robe serait un rendez-vous suffisant.
Mais mon cœur prend le dessus sur ma libido.
Je veux qu’on m’invite à dîner, qu’on me fasse la cour. Et aussi frivole que
cela puisse paraître, c’est la vérité. Je laisse donc Gabe à la porte pour
prendre mon sac à main. Il n’est pas assorti à ma tenue, mais c’est le plus
petit que j’ai et il est presque entièrement noir.
Le rouge bonbon de son SUV est pratiquement identique à ma robe, une
heureuse coïncidence, mais d’une certaine manière, cela me donne
l’impression d’être à ma place ici lorsque Gabe ouvre la portière passager
pour m’aider à entrer comme un gentleman. Il grimpe sur le siège
conducteur et commence à reculer, en me demandant :
— As-tu décidé où nous allons ?
— Effectivement, dis-je, mais je réserve quelques surprises. Tu n’auras qu’à
tourner où je te dirai.
Nous arrivons peu après à notre destination, un restaurant chinois un peu
usé dans un vieux quartier de la ville. Gabe ne dit rien lorsque nous nous
arrêtons devant le Dragon d’or, mais il m’escorte à l’intérieur, me tendant le
coude pour que je le prenne, puis tirant ma chaise pour que nous nous
asseyions à l’une des tables. Il fait le tour de la table et s’assied à son tour,
et le vieux vinyle vert de la chaise semble déplacé par rapport au faste et au
glamour de nos vêtements.
— Je suppose que tu aimerais savoir pourquoi tu es ici ?
— J’avoue être curieux, admet Gabe, jetant un œil autour de nous avant de
se recentrer sur moi. Mais je fais confiance à ton instinct. Premièrement, tu
connais Roseboro mieux que moi. Et deuxièmement, tu travailles dans le
secteur de la restauration, donc je suis certain que tu sais où se trouvent tous
les meilleurs endroits de la ville, qu’ils soient cinq étoiles ou à l’abri des
regards.
Il a raison, mais j’apprécie qu’il me fasse confiance, car je sais que
l’apparence du Dragon d’or n’a vraiment rien d’impressionnant.
— Bien vu, lui dis-je, me demandant si j’ai toujours le coup de main avec
les baguettes après tout ce temps. Mais ce n’est pas seulement la qualité de
la nourriture qui nous amène ici.
Gabe ronronne, devinant ce que je veux dire.
— Un passif, alors ?
Je soupire, les souvenirs défilant déjà alors que je regarde le restaurant.
— C’était l’un des rares endroits où je pouvais aller avec ma tante. De la
bonne nourriture sans être obligées de casser la tirelire.
Gabe consulte le menu, et parcourt rapidement les quatre colonnes du
regard.
— Je parie que vous preniez le plateau de poulet épicé ?
Le plat du jour à huit dollars… ma gorge se serre quand je me souviens des
soirs où nous venions ici.
— Bien joué. Nous avions l’habitude de le partager. Ce n’est pas un endroit
très chic, mais c’était toujours un événement particulier quand nous
venions. J’ai dû passer au moins une douzaine de repas de fête ici.
— Alors, célébrons ça comme il se doit, répond Gabe. Ta tante a fait ce
qu’elle pouvait, et elle l’a fait avec amour. Qu’il s’agisse d’un repas cinq
étoiles ou d’un simple cupcake… ce qui le rend spécial, c’est la personne
avec qui on le partage.
Je cligne des yeux et regarde Gabe avec étonnement. Mes larmes sont
parties, et ce qui les a remplacées est un sentiment nouveau, une véritable
fierté.
— Comment… comment fais-tu cela ? Comment fais-tu pour toujours
savoir quoi dire ? Pour me faire sourire. Pour que je n’aie pas honte.
— Pourquoi devrais-tu avoir honte ? demande Gabe, l’air confus. Au vu de
tout ce que tu m’as raconté, tu es l’une des personnes les plus fortes que j’ai
jamais rencontrées. Tu dois te montrer fière de ce que tu as accompli, et de
ce que tu essaies encore de faire.
— J’ai passé tellement de temps à traverser ma vie comme un zombi, dis-je,
essayant de lui expliquer.
Je prends une grande inspiration et la retiens avant de la laisser sortir.
— Et il y a encore des moments où je pense que je ne m’en libérerai jamais.
Je serais toujours « cette pauvre fille », soit parce que j’ai perdu mes
parents, soit à cause de la vie difficile que nous avons menée avec Reggie.
Mais je ne veux pas vivre comme ça pour toujours. Je veux vivre à
nouveau, être brillante et libre. Ressentir ce que j’ai vécu quand toi et moi
étions dans cette clairière sur la montagne.
— Tu peux faire exactement ça, me répond Gabe.
Je baisse la tête, incapable de croiser son regard à ce moment en dépit du
fait qu’il vient de me dire que je n’avais pas à avoir honte.
— La solution la plus sûre, la plus facile, c’est de rester assis au volant, de
s’acharner à suivre le plan que j’ai établi il y a des années, en espérant que
tout ira mieux un jour lointain, dans le futur. Vivre en grand, être capable de
voir le sommet de la montagne… pour le faire maintenant, j’ai besoin d’une
raison, admets-je.
Je lui demande beaucoup, même si je reste assez vague pour me couvrir.
— Si je dois me réveiller, prendre ce risque, j’ai besoin d’une raison.
Gabe me prend la main par-dessus la table.
— Je t’entends, et je serais heureux de t’aider à gravir chaque étape de cette
montagne. Mais je veux être bien clair sur un point. Tu es une raison
suffisante. Tu mérites de te réveiller et de t’approprier chaque seconde de ta
vie, profite-en maintenant, pas seulement plus tard quand tu auras
l’impression de l’avoir mérité. Tu as déjà gagné ce droit, Bella. Mais je
serais ravi d’en profiter avec toi.
Sa réponse est encore plus parfaite, même si je remarque qu’il ne fait pas de
déclaration d’amour éternelle. Mais il est bien trop tôt pour cela.
— Ça me plairait, dis-je, ses paroles comblant des lacunes dans mon esprit
dont je ne soupçonnais pas l’existence, trop occupée que j’étais à colmater
le vide dans mon ventre avec un compte bancaire où l’argent fuit comme
dans une passoire. Mais ça pourrait prendre un certain temps.
— Je sais.
Sursautant, je me rappelle mes bonnes manières.
— Merci pour les douceurs d’hier soir. C’était inattendu, et merveilleux.
J’ai vraiment apprécié chaque seconde de ce bain.
Son sourire devient lascif et ses yeux se dirigent vers le bas, là où je sais
que je lui accorde un aperçu alléchant de mon décolleté.
— Bon sang, je suis en train de t’imaginer nue dans la baignoire, des bulles
amoncelées sur tes mamelons et des mèches bouclées s’échappant d’un
chignon pour descendre dans ton cou, où je pourrais te mordiller et goûter
la lavande. Raconte-moi tout.
Il y a un soupçon d’audace dans son ordre, pas directif, mais effronté, et je
suis plus que ravie d’y répondre avec mon propre culot.
— Eh bien, je suis rentrée chez moi et j’ai cru que le sac était une bombe,
ou peut-être une blague de gosse avec une crotte de chien, mais
évidemment c’était bien mieux que ça.
Il rit de mes idées folles, m’incitant à continuer avec une pression de la
main.
— C’était fantastique. J’ai rempli la baignoire d’eau jusqu’en haut, aussi
chaude que possible, et j’ai trempé dans les sels de bain jusqu’à ressembler
à un pruneau. Et comme les filles qu’on voit à la télé, j’ai mangé des
chocolats et bu du vin assise là à bouillir comme les pommes de terre
d’Henry.
— À mon avis, mon fantasme était bien plus sexy, mais je suis vraiment
ravi que tu en aies profité.
La serveuse arrive, et je commande deux plateaux de poulet épicé.
— Oh, tu fais des folies ! me taquine Gabe. On pourrait avoir des biscuits
aux amandes pour le dessert ?
— Si tu te comportes bien, le taquiné-je.
En parlant de ça, je me suis livrée au baratin « Parle-moi de toi », avec
larmes et énumération de mes traumatismes. Tu ne t’es pas encore prêté au
jeu, alors parle-moi de toi, Gabe.
Je sais que j’ai l’air un peu raide, comme si c’était un entretien d’embauche,
il est déjà embauché. Où et quand il voudra.
— Je ne sais pas par où commencer, dit-il, et je lis la tension autour de ses
yeux.
— Commence simplement par le début, genre « il était une fois, un
magnifique petit garçon ». Ou bien tu t’en tiens à l’essentiel, par exemple :
as-tu des parents ? Des frères et sœurs ? D’où viens-tu ? Qu’est-ce que tu
fais dans la vie ?
Il hoche la tête en baissant le menton avant de répondre :
— Oui, j’ai des parents, je n’ai pas débarqué un jour déjà grand. J’avais un
frère, mais il est mort, dit-il avant de déglutir difficilement. Ce n’est pas une
histoire que j’ai envie de revivre en ce moment. Désolé.
Je me mords la lèvre, triste de voir sa douleur et de ressentir sa perte de
façon si aiguë.
— Pas de souci. Mais je suis là si tu changes d’avis et que tu as besoin de
quelqu’un à qui parler.
Un côté de sa bouche se soulève dans ce demi-sourire qu’il a quand il n’est
pas sûr. Ça lui donne l’air d’un gentil fauteur de troubles.
— Quant à ce que je fais dans la vie, on pourrait dire que je suis consultant.
— Consultant ? Eh bien, voilà qui explique tout, plaisanté-je au vu de sa
réponse aussi limpide que de la boue. Tu es consultant en quoi ?
— Je dépanne les systèmes, m’explique Gabe, même si cela n’est
absolument pas plus limpide. Des entreprises ou des particuliers
m’appellent, et je viens leur proposer des solutions. Parfois c’est un
problème facile, d’autres fois difficile. Mais c’est amusant.
— Et tu… Je veux dire, où es-tu basé ? demandé-je, et Gabe hausse les
épaules. Qu’est-ce que ça veut dire ?
— Ça veut dire que j’ai tellement de travail que je me contente de vivre
dans des chambres de motel. Si je devais choisir, je dirais que mes préférés,
ce sont les Red Roof. Je veux dire, j’ai passé trois mois à Calgary une fois,
près de six mois à New York, mais par la suite, j’ai eu des missions de deux
ou trois jours seulement et j’étais de nouveau sur la route. Quand je n’ai pas
de travail, je profite parfois de mon temps libre pour me détendre, prendre
des vacances ou autre, mais à part une boîte postale pour le fisc, je n’ai pas
vraiment de maison.
— Je n’arrive pas à décider si c’est une vie solitaire ou aventureuse, lui dis-
je honnêtement. Comme je ne suis jamais allée nulle part, l’idée de voyager
en permanence a quelque chose d’attirant, mais ça semble tellement…
nomade de ne pas avoir de point d’attache. Je suis littéralement en train de
me battre pour sauver les seules racines qui me restent, alors même que ce
serait bien plus facile de laisser tomber.
Son visage se décompose et il secoue la tête.
— C’est dans la maison que tu partageais avec ta tante que se trouvent ces
souvenirs, alors tu t’y accroches, ce qui est compréhensible. Quand mon
frère est mort, ma famille s’est effondrée, et les souvenirs que j’ai de la
maison, de l’histoire, de la famille, sont tous dans mon esprit, dans mon
cœur. Alors partout où je vais, ils sont avec moi. Il est avec moi.
Il reste silencieux un moment, et je vois qu’il est torturé par les fantômes
qui le hantent. Ma curiosité me donne envie de lui poser un million d’autres
questions, mais je respecte le fait qu’il n’est peut-être pas en mesure de
partager en ce moment. Alors j’oriente la conversation vers des sujets plus
légers dans l’espoir de lui remonter le moral.
— Alors, avec ta vaste expérience de voyages à travers le monde, es-tu
capable de manger avec des baguettes ? Parce que je doute sérieusement de
mes compétences.
Ses lèvres se relèvent au ralenti.
— Je maîtrise l’usage des baguettes. J’ai toutes sortes de compétences qui
te surprendraient.
Dans son ton, on sent qu’il y croit vraiment, ce qui me donne d’autant plus
envie de le voir mettre en œuvre chacune de ces compétences.
CHAPITRE 19
GABRIEL
J e sens son corps sans valeur s’affaisser sous ma main alors que je le
frappe en pleine poitrine avec le maillet.
J’ai acheté le maillet en caoutchouc, car je savais que je voulais lui faire du
mal, mais sans le tuer. Fait pratique, le caoutchouc disperse la puissance de
la frappe, infligeant de la douleur, mais en faisant beaucoup moins de
dégâts que ne le ferait un marteau normal ou une balle.
J’avais déjà fait des recherches sur Russell Carraby, même avant ce matin.
Dès que j’ai su qu’il pouvait représenter une menace pour Bella, je me suis
renseigné sur lui, l’ai surveillé, et étudié.
Il se réveille à onze heures, encore à moitié ivre, et a la mauvaise habitude
de pisser dans ses propres buissons en rentrant après avoir ramassé le
courrier. Il passe ses journées à fumer et à jouer à des jeux vidéo. La plupart
du temps, il ne sort que pour acheter plus de drogue, voler des conneries
dans n’importe quel magasin où il n’est pas interdit de séjour, ou pour
embêter les honnêtes gens qui ont la malchance de vivre sur le terrain qu’il
possède.
Je savais qu’il était néfaste, mais Bella gérait la situation, et honnêtement, je
ne voulais pas répondre aux questions qu’elle aurait eues si je m’étais
interposé physiquement pour la sauver de lui. Mais ce matin, tout a changé,
empirant bien plus que ce que j’aurais pu prévoir. Je n’avais pas eu le choix.
Le coup de genou avait été un minuscule avant-goût de ce que j’avais eu
envie de lui faire, et j’avais su que je reviendrais le chercher sans que Bella
soit là pour en être témoin. Dussé-je en être damné, je la sauverai. Je vais le
punir.
C’est ce que je fais.
Et tout ce que je pourrais lui infliger, jusqu’à la mort, serait justifié et
amplement mérité par une merde comme Carraby.
J’aurais juré avoir pris les mêmes précautions avant de m’approcher de sa
maison que pour chacune de mes interventions, mais de toute évidence,
j’étais au moins partiellement distrait. Parce que maintenant j’ai Bella,
debout dans l’embrasure de la porte, qui me regarde bouche bée, alors que
je suis au-dessus d’un homme que je viens de battre jusqu’à l’inconscience.
Et elle me regarde comme si j’étais une sorte de monstre.
La vérité fait mal.
— Tu n’aurais pas dû voir ça, Bella, dis-je en m’éloignant de Russell et en
abaissant le maillet. J’aurais aimé que tu ne me voies pas comme ça.
— Gabe… je t’en prie, ne le tue pas, m’implore Bella, ses mains se relevant
au niveau de son menton, comme pour une prière.
Oh, ma douce princesse, si tu savais à quel point ta vie serait meilleure si tu
me laissais m’occuper de ce connard.
Mais je ne suis pas venu ici pour le tuer, et après avoir regardé Bella dans
les yeux, j’en serais incapable même si cela avait été le cas.
Je soupire en abaissant le maillet.
— Je ne vais pas le tuer, ce n’était pas mon plan. Mais il… commencé-je
avant de secouer la tête, sachant que je ne peux plus tourner autour du pot.
S’il te plaît, je vais tout t’expliquer. Chez toi. Je te dirai tout.
— Pourquoi ? demande Bella, dont les yeux s’écarquillent quand une peur
panique l’envahit au-delà de son choc initial. Oh, mon Dieu, tu vas me tuer.
Elle recule d’un pas, et je me contrains à rester immobile bien que tous mes
instincts me poussent à la poursuivre et à la ramener vers moi, à lui faire
voir que je fais ça pour elle, que je ferais n’importe quoi pour elle.
Elle regarde Carraby, toujours inconscient mais qui respire bruyamment
avec le nez cassé.
— Non… non, j’essaie de te sauver la vie, lui dis-je en tendant ma main de
manière apaisante.
Il y a quelque chose dans mon ton qui doit l’atteindre, parce que ses yeux
reviennent sur moi.
— Je te jure, Bella, que je te protégerai… mais tu dois comprendre que tu
es en danger.
Bella m’observe une seconde, avant de dire :
— Chez moi.
— Bella…
— Non, Gabe… J’ai besoin d’une minute pour encaisser.
—B ella ?
Je tourne les yeux vers Gabe assis derrière le volant du camion, l’air
inquiet. Nous nous sommes arrêtés pour prendre de l’essence, et je crois
bien que ça fait un moment que je n’ai pas dit un mot.
— Désolée… J’étais juste en train de réfléchir.
— Ah, répond Gabe qui démarre le camion et se met en route. Tu avais
juste l’air… Je ne sais pas.
Je hoche la tête et me tourne vers lui.
— Comment as-tu hérité de ce surnom ? L’ange déchu ?
Il m’a raconté des bribes de sa vie pendant que nous roulions, il m’a parlé
davantage de son travail et de sa « déchéance », comme il l’appelle, et de ce
qu’il avait été autrefois, avant que son âme ne soit souillée par ses sombres
actions.
Gabe se réinsère sur l’autoroute en direction de l’océan.
— Je crois que c’est surtout à cause de mon nom. L’une de mes premières
missions, c’était pour un Italien très impliqué dans l’Église. Avec mon
physique, ça m’est resté.
Je ne peux pas m’en empêcher : ça me fait rire.
— Ton physique, hein ?
Gabe me regarde avec un sourire timide.
— Tu veux savoir quelle est la chose pire qu’une personne obsédée par son
apparence ? Une personne qui est belle et pleine de fausse humilité. C’est
ironique, vraiment, car je suis l’homme le moins angélique, avec l’âme la
plus laide. C’était Jeremy le saint, pas moi. Ne te méprends pas, c’était un
homme à femmes, mais il est mort trop jeune et innocent.
— Parle-moi de lui, lui demandé-je alors que nous arrivons à un virage.
Nous sommes dans les montagnes, sur l’une de ces routes qui devraient
vraiment être élargies par rapport aux routes forestières à deux voies
qu’elles étaient auparavant, et la lumière du soleil se faufile à peine entre
les arbres derrière nous.
— Comment était-il ?
— Drôle, répond aussitôt Gabe avec un sourire. Ce gamin… J’étais l’aîné,
mais nous n’avions même pas un an d’écart. Mais durant toute notre vie,
c’est lui qui s’est montré le plus insouciant, et j’ai passé… merde, si j’ai des
cheveux blancs, c’est à cause du temps que j’ai passé à me faire du mouron
pour ce gosse.
— Qu’est-ce qu’il faisait ? demandé-je avec un petit sourire. Cela m’aide et
me rappelle le côté humain de Gabe, qui fait toujours bondir mon cœur dans
ma poitrine.
— Qu’est-ce qu’il n’a pas fait ? Est-ce que tu as déjà vu le meme qui dit
« Hold my beer » ? C’était lui, même si la plupart du temps, il n’y avait pas
d’alcool impliqué, ajoute-t-il avec un clin d’œil. S’il voyait quelqu’un
sauter un obstacle à vélo, le lendemain il était dehors à bosser comme un
dingue pour essayer. Une fois, juste parce qu’il l’avait vu sur YouTube, il a
fait le plongeon volant… Je suis toujours abasourdi par le fait qu’il ait
survécu à ce coup.
— C’est quoi le plongeon volant ? l’interrogé-je, essayant de l’imaginer,
mais chaque image est plus dingue que la précédente.
— Il avait vu un étudiant faire un saut de son toit dans une piscine, en
laissant tomber un zèbre gonflable ou un truc du genre. Nous n’avions pas
de piscine à la maison, mais le centre pour jeunes de notre ville en avait
une. Alors quand nous y sommes allés la fois suivante, Jeremy a dit :
« Gabe assure-toi que le grand bassin soit vide. » Puis il sort de la piscine et
va à l’intérieur avec une foutue nonchalance. À ce stade, je suis assez sage
pour deviner les conneries de Jeremy. Je savais que je ne pouvais pas
l’arrêter, alors j’ai juste fait en sorte qu’aucun petit enfant ne soit dans la
partie profonde. Soudain, la grande fenêtre coulissante de la salle de jeu du
deuxième étage s’ouvre, et cinq secondes plus tard, Jeremy en sort en
volant, allongé comme Superman ou quelque chose comme ça. J’ai eu très
peur. Il devait franchir un espace d’au moins deux mètres de béton.
— Il a réussi ? demandé-je, et Gabe hoche la tête.
— Il a fait le plus grand et le plus moche des flops, mais oui, il allait bien.
Après avoir été mis à la porte, nous sommes rentrés à pied. Sa poitrine et
son ventre sont restés roses et meurtris pendant des jours. Je n’ai jamais vu
personne avec des tétons noirs et bleus avant lui.
Il secoue la tête, riant à ce souvenir, et j’éclate de rire à mon tour devant
l’image qu’il dépeint de Jeremy.
— Vous vous ressembliez tous les deux ?
— Jeremy tenait davantage de notre mère. Il avait de grands yeux verts. Il
pouvait baratiner n’importe qui. Comme avec le centre communautaire. Il a
réussi à nous faire réintégrer en une semaine, et à la fin de l’été, il avait
même embrassé Wendy Partridge, la maître-nageuse en chef, le rêve de tous
les ados pendant deux étés. J’étais trop sérieux, trop absorbé par mes études
et mon rôle de marginal pour faire les mêmes avancées que lui.
Je plisse les yeux, en essayant d’imaginer Gabe autrement que comme un
beau charmeur. C’est très difficile, même avec ce que je sais de lui.
— Qu’est-ce que tu veux dire par marginal ?
— Je suppose que j’étais un peu solitaire. Je veux dire, je n’ai pas été
victime d’intimidation ou autre. On ne brutalise pas un gars de ma taille,
même si j’étais un peu plus longiligne à l’époque. C’est juste que je faisais
mon propre truc. Il n’y avait que moi et Jeremy, deux doigts d’une main,
même s’il sortait un peu plus.
Je sens dans ses paroles qu’il tenait beaucoup à son frère.
— Tu l’aimais.
Gabe se racle la gorge.
— C’était un emmerdeur, mais oui, je l’aimais. Après son assassinat et le…
chemin que j’ai pris dans ma vie, je suppose que j’ai commencé à imiter
certains de ses traits. La première fois que j’ai dû affronter un type armé, ce
n’était pas moi qui parlais calmement pour me sortir de cette merde. C’était
Jeremy qui s’exprimait à travers moi.
Soudain, les montagnes disparaissent, et je suis stupéfaire par la vue qui
s’offre à moi. L’autoroute arrive quasiment sur la plage elle-même, et sous
mes yeux, le Pacifique sauvage et indompté rugit et fait rage, s’écrasant sur
la côte rocheuse en gigantesques gerbes d’écume.
Juste au large, à moins d’un quart de mille, se trouvent quelques rochers qui
sont trop gros pour être considérés comme tels, mais trop petits pour être
des îles. L’un d’eux, le plus grand, est presque parfaitement bombé, entouré
d’arbres et se dresse au milieu de la mer devant moi.
— C’est… wouah. Je ne m’attendais pas à trouver une planque ici.
— Eh bien, ce n’est pas une vraie planque, mais nous serons protégés ici.
C’est une location, éloignée et isolée. Il n’y a que nous deux.
Sa voix devient rauque, et je sais que je ne pourrai pas lui résister s’il n’y a
personne dans les parages pour tempérer la chaleur qu’il éveille si
facilement en moi.
Mon côté rationnel se révolte contre cette idée, je veux tout reprendre à zéro
comme il l’a dit et construire lentement et prudemment, peut-être même
attendre que le danger passe et que je puisse voir s’il disparaît comme le
brouillard au soleil. Mais une autre partie de moi dit que si j’y vais, je le
fais à mes conditions et je serai satisfaite sexuellement.
Honnêtement, je ne suis pas sûre de savoir quel côté je veux voir gagner.
Au lieu de décider maintenant, je l’interroge.
— Si c’est une location, cela signifie qu’il y a un dossier. C’est dangereux,
non ? Blackwell pourrait nous traquer et se pointer à la porte d’entrée.
Il me jette un œil, affichant un sourire satisfait, et ses fossettes apparaissent.
— Ça, c’est une fille bien. J’aime ta façon de penser.
La chaleur enfle dans mon ventre et mes joues, et il enchaîne.
— Je me suis servi d’un alias pour réserver la location, alors on ne peut pas
remonter jusqu’à moi.
Nous continuons à rouler, et lorsque nous tournons sur la route côtière, je
vois encore le gros rocher en forme de dôme. Mais ce qui retient toute mon
attention, c’est la grille qui se trouve devant nous. Elle est large, imposante,
en fer noir, mais belle et ornementée. Gabe s’arrête devant la boîte et baisse
sa vitre pour taper quelques chiffres sur le clavier. La grille s’ouvre en
coulissant et Gabe roule quelques mètres jusqu’à l’autre côté avant de
s’arrêter.
Il sort, attend que la porte se referme en glissant, puis se dirige vers la boîte
mécanique. Il l’ouvre, fait quelque chose que je ne vois pas, puis remonte
dans le camion.
— J’ai éteint le mécanisme de la porte et retiré le fusible pour qu’il ne
puisse pas être rallumé. Maintenant, le portail ne fonctionne pas
électroniquement et il est trop lourd pour être ouvert manuellement. Nous
sommes protégés contre les véhicules, car la clôture fait le tour de la
propriété.
Ce qui me frappe, c’est qu’il ait précisé « protégé contre les véhicules », car
cela signifie que quelqu’un pourrait escalader la clôture. Parce que c’est un
risque réel. Une fois de plus, je suis abasourdie par la tournure dingue qu’a
pris ma vie.
La crainte angoissée qui surgit est brusquement interrompue lorsque nous
dépassons une rangée d’arbres pour atteindre une clairière et que la maison
apparaît.
Elle est d’une beauté époustouflante, avec un style du début du siècle, mais
modernisé. Gabe ouvre rapidement la porte d’entrée, et nous entrons dans
un hall avec un plafond haut de deux étages. Le tapis moelleux amortit mes
pas et je reste bouche bée, à tourner sur place.
Je n’arrive pas à me souvenir de la dernière fois où je me suis retrouvée
dans une pièce comme celle-ci. Ce n’est peut-être jamais arrivé ? Les murs
sont élégants, décorés d’un papier peint floral légèrement victorien, et en
regardant par la grande fenêtre en face de nous, je suis frappée par la beauté
de la vue. L’océan s’étend à perte de vue, et la plage m’attire.
Je me rends compte que Gabe me regarde découvrir la maison.
— C’est ce que tu mérites, Bella. De belles choses, le luxe au bout des
doigts, et plus encore.
Je détourne le regarde de la vue pour plonger dans ses yeux en secouant la
tête.
— C’est incroyable, mais je ne le mérite pas plus qu’une autre personne.
Tout ce que je veux, c’est être en sécurité, pouvoir rentrer chez moi pour
retrouver mes amis, qui seront en sécurité eux aussi, et que tout le monde
soit heureux. Ça me suffit.
Son sourire est triste.
— Laisse-moi faire le tour des lieux. Tu veux bien attendre ici ?
Je hoche la tête et il disparaît. Je l’entends ouvrir et refermer des portes,
ainsi que plusieurs bips quand il manipule le système d’alarme. Je
m’avance vers la fenêtre, et quand je regarde dehors, j’ai l’impression que
nous sommes les deux dernières personnes au monde.
Quelques instants plus tard, il est de retour, et suit mon regard à l’extérieur.
— Il faut que j’aille vérifier dehors aussi. Tu veux marcher avec moi ? On
peut se balader sur la plage ? propose-t-il, et je sens dans sa voix grave son
espoir de me séduire.
Nous sortons par la porte arrière, et descendons les marches en bois
jusqu’au sable. Ce n’est pas une plage de sable fin, et si elle est belle, je ne
vois pas vraiment qui voudrait y prendre un bain de soleil. Le sable est trop
épais, la brise qui vient de l’océan et frappe la montagne est un peu trop
vive. Même en été, il ferait bien trop froid pour porter un bikini, sauf pour
les baigneurs les plus endurcis, et les vagues sont si déchaînées que chaque
respiration est imprégnée de l’arôme du sel, tandis que la brume fraîche
effleure ma peau.
Le sable crisse sous nos chaussures et j’écoute le grondement de l’eau.
J’essaie de me défaire de la terreur qui m’envahit puis s’estompe de
manière tout aussi inattendue. Non pas que quelque chose en particulier me
soulage. Simplement, ce n’est pas viable de vivre dans la crainte constante,
en regardant par-dessus mon épaule. Je ne suis pas faite comme ça, blasée
et effrayée par le monde. Mais j’ai l’impression que Gabe l’est.
Nous avons passé tellement de temps à parler au cours des huit dernières
heures. Penser à ses drames personnels me fait frissonner, et je tire sur les
manches de mon sweat-shirt pour en masquer la raison.
Je prends la main de Gabe. Il hausse les sourcils, heureusement surpris, et
bien que ses yeux bruns restent rivés sur moi, je détourne les miens vers
l’océan.
— Ma famille me manque aussi. Apparemment, nous sommes tous les deux
seuls.
— Tu n’es pas seule, Bella. Tu n’as peut-être pas de famille de sang, mais
ce sont ceux que tu as choisis, et qui t’ont choisie en retour.
Je constate qu’il ne fait pas la même correction à son sujet. Peut-être qu’il
est vraiment seul. Cette pensée me rend triste.
— J’essaie de me souvenir de ma famille, mais c’était il y a si longtemps et
j’étais toute petite. Je suis heureuse que tu aies eu ton frère si longtemps,
que vous ayez été si proches. Pendant un bout de temps c’était ce que je
voulais, j’aurais aimé avoir une année de plus, un mois, une semaine, même
un jour. J’aurais voulu avoir plus de souvenirs, mais le peu que j’ai
s’estompe avec le temps.
Je baisse les yeux, enfonçant le bout de ma tennis dans le sable.
— Parfois, je ne me souviens même pas à quoi ressemblait ma mère ou
quelle voix elle avait. J’ai essayé très souvent.
C’est une confession douloureuse, que je ne partage pas à la légère ou à
n’importe qui.
— L’astuce, c’est de penser au contexte, m’explique Gabe. Ne pense pas
uniquement à son visage ou à sa voix. Visualise quelque chose que vous
avez fait ensemble. Pense à une fois où vous vous êtes amusées toutes les
deux, et vois toute la scène. Ça va te revenir.
Je ferme les yeux et au bout d’un moment, cela revient.
— Mon quatrième anniversaire. Elle a fait des cupcakes orange avec des
décorations Fruity Pebble, comme je l’avais demandé. Ils étaient tellement
sucrés que j’ai eu mal au ventre en n’en mangeant qu’une moitié, mais je
les aimais quand même. Je l’entends me demander s’ils étaient comme j’en
avais rêvé. Je me souviens de son sourire quand je sautais partout en criant
« oui » encore et encore, dis-je avec un sourire larmoyant.
Je me tourne vers Gabe et le serre dans mes bras.
— Merci.
— Je t’en prie, Bella. J’utilise cette même astuce pour me rappeler Jeremy.
Je frissonne en le serrant plus fort dans mes bras. Quand je le relâche, il
m’attrape la main et nous reprenons notre balade.
— Il faut que je termine de vérifier le périmètre. Tu es d’accord pour
marcher avec moi ?
Je hoche la tête, mais quand nous quittons la plage déserte avec une vue à
des kilomètres pour pénétrer la zone boisée autour de la maison, je sens le
changement chez Gabe. Il me lâche la main, ses yeux scrutent attentivement
les alentours, et il vérifie la ligne de clôture.
Je le suis, impuissante à l’aider, et la seule fois où j’essaie de parler, il me
fait taire doucement en posant un doigt sur mes lèvres.
Il chuchote :
— Chut, j’écoute tout ce qui se passe dans les bois.
Alors je me mords la langue et je me traîne derrière lui.
Le soleil est bas dans le ciel lorsque nous rentrons à la maison. La longue
journée a fait des ravages sur le plan physique et les montagnes russes
émotionnelles se sont abattues sur moi sur le plan mental.
Gabe m’aide à m’installer sur le canapé, puis va allumer un feu. Quand il
estime que les choses se passent bien, il s’assied à côté de moi et passe un
bras autour de mes épaules. Trop épuisée pour être contrariée plus
longtemps, je me fonds contre lui.
Je devrais me sentir mal. Je devrais avoir peur de lui.
Mais après tout ce qui s’est passé, ce matin et ensuite, je me sens bien. Je
me sens en sécurité dans ses bras. C’est peut-être stupide de ma part, mais
ça fait un moment que je me suis faite à cette idée, à peu près au moment où
je suis montée dans son camion. En fait, peut-être même avant, quand je l’ai
laissé entrer chez moi pour s’expliquer.
Charlotte chuchote à nouveau à mon oreille, vérification des antécédents.
Mais je suis là où j’en suis, et je ne suis pas certaine que j’y changerais
quelque chose même si je pouvais. Alors je m’enfonce plus profondément
et je me laisse envelopper par lui, même s’il y a un prix à payer.
Même si c’est ma vie.
CHAPITRE 24
GABRIEL
L a pièce est éclairée par une douce lumière de cheminée, les flammes
dansent dans les yeux d’Isabella. Nous n’avons rien dit pendant les
dix dernières minutes, échangeant simplement de lents baisers.
Ils étaient timides au début, comme si elle n’était pas sûre que c’était
vraiment ce qu’elle voulait.
Je la laisse donc diriger pour le moment, sachant que je suis responsable
d’une grande partie de notre situation actuelle et que Bella est une femme
qui aime avoir le contrôle de son propre destin. Cette fois, je la laisserai
décider de la suite des événements, même si c’est elle dans un lit et moi
dans un autre.
Mais nous n’avons plus besoin de mots quand elle se lève et retire son t-
shirt, le faisant disparaître et libérant ses seins du simple soutien-gorge
qu’elle porte en dessous.
De la taille d’une pomme, ils se balancent d’avant en arrière tandis qu’elle
parcourt son ventre du bout des doigts avant de s’allonger sur le canapé.
— Montre-moi, chuchoté-je, et Bella se mord la lèvre, ses mains entourant
ses seins avant de titiller ses mamelons, tirant dessus jusqu’à ce que ses
seins soient presque en pyramide et qu’elle halète de douleur et de plaisir
avant de les lâcher.
Pendant qu’elle pétrit son sein droit, je passe ma main le long de son corps,
caressant sa peau douce. Elle se trémousse, son ventre se contracte quand je
descends jusqu’à la ceinture de son jean. Elle hoche la tête, m’accordant
ainsi la permission en silence. Je fais glisser le bouton et défais la fermeture
éclair pour faire descendre son pantalon sur ses hanches. Elle se soulève
pour m’aider à le retirer, et sa culotte s’en va en même temps.
Là, elle est nue devant moi.
Belle, confiante, bonne. Trop bonne pour moi, mais je ne peux m’empêcher
de vénérer son corps, de goûter son bon cœur.
J’écarte ses genoux, un au fond du canapé et l’autre au bord, mais Bella
pose son pied sur le sol pour s’ouvrir davantage pour moi. Je vois la lueur
de son doux sexe, déjà enflé et humide de désir.
Je prends sa main, embrasse le bout de ses doigts et la dirige ensuite vers
son intimité.
— Touche-toi. Fais-toi plaisir avec tes doigts pour moi, Bella, ordonné-je,
en retirant mon t-shirt pendant qu’elle parcourt son entrejambe avant de
frotter son clitoris avec des caresses légères.
Elle gémit sans me quitter des yeux tandis qu’elle glisse deux doigts
profondément en elle, les faisant entrer et sortir lentement.
Mon membre est dur comme la pierre alors que je regarde ses lèvres
s’accrocher à ses doigts, sachant que bientôt, je serai enfoncé au plus
profond d’elle et que je ressentirai le même baiser dévorant.
— Je… Je ne peux pas m’en empêcher, miaule-t-elle, ses hanches se
soulevant pour rencontrer ses doigts alors qu’elle accélère un peu. Gabe,
j’ai besoin de toi. Prends-moi. Saute-moi, je t’en prie.
Je me presse et me lève pour ôter mon jean à ses mots, mon sexe brûlant
d’être en elle. Bella sanglote de désir lorsque je marque une pause, et elle
retire ses doigts, les enroulant autour de mon membre. Elle me caresse, me
recouvrant de son miel et me rendant fou, mais je garde le contrôle.
Elle a besoin de moi, elle a besoin de ça, mais je ne peux pas y aller trop
fort avec elle. Pas maintenant. Elle ne le sait pas, mais elle a besoin de
tendresse en ce moment, autant pour son cœur que pour son corps.
Avoir la chance d’être avec elle de cette manière est un cadeau, que je ne
veux ni gaspiller ni minimiser. Frémissant déjà au bord du point de non-
retour, je recule mes hanches.
— Bella, je suis trop proche. J’ai besoin d’être en toi.
Sa respiration se fait hachée alors que je me tiens au-dessus d’elle, me
retenant pour ne pas faire peser mon poids sur elle. Elle tend la main entre
nous, me guide jusqu’à son entrée, me tenant immobile.
— Est-ce que tu ressens cela, Princesse ? C’est toi et moi. Pas de
mensonges, que la vérité, rien que nous. Quoi qu’il arrive, promets-je en
prenant sa main libre et en entrelaçant nos doigts.
Bella acquiesce, libérant mon membre, et je m’enfonce profondément en
elle, la remplissant de tout ce que j’ai.
Elle gémit, tendue même après que ses doigts aient plongé en elle. Ses
doigts se resserrent dans les miens, mais elle ne proteste pas, me faisant
entièrement confiance.
Je me presse contre elle, nos corps se frottant l’un contre l’autre, et je sens
son clitoris frotter à la base de mon sexe. Ses fluides ruissellent sur mon
membre, et je me retire, je marque une pause avant de la caresser à nouveau
en profondeur, je me penche pour l’embrasser tout en la poussant contre les
coussins du canapé.
Je la pénètre lentement, savourant chaque contraction de son corps autour
de moi alors que je plonge en elle, la plaquant sous moi. Je vois son regard,
le plaisir, la douleur, l’inquiétude et la confiance qui tourbillonnent dans son
esprit et qui s’expriment dans chaque halètement.
— C’est ça, Bella, râlé-je, accélérant jusqu’à ce que nos hanches
commencent à claquer les unes contre les autres. Jouis fort sur moi. Je suis
là pour toi.
Je la pilonne, j’accélère, mais mes bras cèdent, j’ai besoin de sentir son
corps collé au mien. Je m’allonge sur elle, hanches contre hanches, poitrine
contre poitrine, l’entourant de mes bras. Elle répond en enroulant ses bras et
ses jambes autour de moi aussi.
J’enfouis mon nez dans le creux de son cou, respirant son parfum de
lavande tout en écoutant ses gémissements et ses miaulements dans mon
oreille. Elle crie de plus en plus fort, et je me soulève légèrement pour la
regarder. Ses joues sont rougies, ses yeux s’écarquillent de plus en plus.
— Juste là, Gabe. Merde.
Je me retire et m’enfonce fort, touchant un point au fond d’elle qui
l’enflamme, jusqu’à ce qu’elle explose avec un gémissement, se tordant
sous moi. Je la chevauche, laissant ses contractions internes me pousser de
plus en plus haut.
Je tremble, je me retire et m’enfonce une fois de plus avant de basculer à
mon tour. Je me retire en jouissant fort, mon sexe se déversant sur son
intimité et son ventre alors que je la marque, peignant sa chair satinée avec
mon sperme.
L es dernières vingt-quatre heures ont été une pure folie. Bella et moi
avons débattu de tous les moyens possibles pour la sortir de ce pétrin.
La meilleure idée que nous ayons trouvée est absurde, quelque chose qui ne
fonctionne que dans les films.
Mais considérant que toute cette histoire est assez digne d’un film, avec un
tueur à gages diabolique qui tombe amoureux de sa cible innocente et un
méchant maléfique dans une tour surplombant les petites gens de Roseboro,
une bonne fausse mort semble appropriée.
Assez curieusement, mon passé sombre est notre meilleure arme secrète.
J’ai vu d’innombrables morts, je sais à quoi ça ressemble, je connais les
odeurs et ce qu’on ressent dans ces moments-là, et même si la mise en
scène avec Bella dans le rôle de la victime me retourne l’estomac, c’est la
seule solution.
Si Blackwell la croit morte, et que nous pouvons la planquer, nous aurons le
temps de trouver une solution à long terme. C’est là que nous allons avoir
besoin de l’intervention de Thomas et de son influence dans cette partie
d’échecs. Un pion ne peut tout simplement pas gagner, mais Bella peut
constituer le mouvement stratégique pour faire avancer les choses.
Je finis de mixer le shake le plus dégoûtant que j’aie jamais fait, du sucre en
poudre pur dissous dans de l’eau avec un soupçon de cacao et une bouteille
entière de colorant alimentaire rouge. Je n’étais pas convaincu qu’Internet
avait raison, mais le liquide rouge foncé et trouble aurait pu tromper même
mon œil averti. Avec un peu de chance, associé à un filtre de caméra,
Blackwell n’y verra que du feu.
Je verse le mélange dans une bouteille isotherme et l’ajoute au sac de
fournitures.
— Tu es prête ? crié-je.
Un moment plus tard, Bella apparaît à l’entrée de la cuisine et semble
nerveuse.
— Oui, je suis prête. Je suppose que ça signifie que cette recette constituait
une contrefaçon efficace ?
Je lève le mixeur et l’incline pour qu’elle voie. Son visage se plisse de
dégoût, et elle détourne la tête.
— Oh, mon Dieu, c’est tellement dégoûtant ! Ça a l’air tellement vrai !
Malicieusement, je tire la langue et attrape une goutte qui coule sur le côté.
Elle crie et je ne peux pas m’empêcher de rire.
— Totalement comestible aussi, la taquiné-je.
Elle secoue la tête et s’éloigne.
— Seulement si tu es un vampire !
Nous nous équipons, et après avoir pris une bonne respiration, nous nous
mettons en route en priant pour que ce plan fonctionne.
Trente minutes plus tard, nous atteignons le sommet d’une falaise que j’ai
trouvée lors d’un contrôle de périmètre hier. Elle est encore plus isolée que
la maison, avec une vue qui justifierait son appellation de « point de vue ».
Plus important encore, le sommet de la montagne cède la place à un
escarpement de falaises à partir de la crête principale.
En prenant notre temps, nous mettons tout en place. Enfin, je fais l’essentiel
pendant que Bella essaie de respirer et de se calmer. Nous n’avons pas
besoin de nous précipiter. Nous devons faire en sorte que cela ait l’air
crédible, et le début doit donc donner l’impression que je l’ai totalement
séduite et que nous faisons une promenade romantique dans les bois, et
qu’elle ne se doute de rien.
Mais là, on dirait qu’elle est la cible d’un peloton d’exécution invisible. Ce
qui, même si c’est un peu vrai, ne fera pas vendre notre histoire.
— Détends-toi. Tu peux le faire, Bella. Nous pouvons le faire, dis-je de
manière apaisante en m’approchant pour lui caresser la joue. Ça va marcher.
Nous avons passé des heures à concevoir cet enchaînement d’effets visuels,
depuis les selfies au départ du sentier avant de partir en randonnée, jusqu’à
la courte vidéo de son derrière marchant devant moi pendant que je la
sifflais en lui disant de « balancer ce cul pour moi ». Le regard timide et
doux qu’elle a jeté par-dessus son épaule était réel, et je voudrais le garder
juste pour moi, mais c’est une pièce de puzzle dans l’ensemble du tableau.
J’ajoute quelques photos de l’horizon et de la forêt en contrebas, et je
réalise même un panoramique à 360 degrés qui se termine avec Bella et moi
ensemble, de grands sourires sur le visage. Encore quelques photos de
l’heureux couple, puis il est temps de passer au vrai travail d’aujourd’hui.
— Tu es prête ? lui demandé-je, et elle se mord la lèvre, mais acquiesce.
Je compte à rebours, « trois, deux, un », et j’appuie sur le bouton
d’enregistrement.
— Qu’en penses-tu ? C’est magnifique, n’est-ce pas ?
Elle hoche la tête, la voix chevrotante, mais ça marche pour le coup.
— C’est vrai, mais putain, c’est haut ! J’ai le vertige, Gabe. Tu le sais.
Sa voix comporte juste une petite touche d’hystérie. Je sais que c’est parce
qu’elle a réellement peur de la gravité de ce que nous sommes sur le point
de faire, mais cela permet de vendre efficacement l’idée qu’elle a le vertige,
ce qui est totalement faux.
— Ne t’inquiète pas, je te tiens. Viens.
J’avance vers le bord de la falaise, passant devant Bella et montrant une vue
de la forêt en dessous de nous. Je prends soin de ne pas dévoiler la paroi de
la falaise avec ses saillies rocheuses qui créent des plates-formes sous le
niveau où nous nous trouvons.
Je tends la main, l’attire à mes côtés et oriente la caméra vers nous. Je
l’embrasse, doucement et lentement, en prenant mon temps pour l’aider à se
calmer.
— Absolument époustouflant, dis-je en rapprochant à nouveau la caméra
d’elle.
De si près, on ne voit que son visage, et je lis l’étonnement et le
frémissement dans ses joues. Je voudrais la rassurer, mais ses réactions
paraissent réelles et correspondent exactement à ce dont nous avons besoin,
alors je me retiens.
— Tu ne filmes pas la vue, me gronde-t-elle gentiment. Regarde les oiseaux
qui s’envolent de cet arbre, dit-elle en regardant au-delà de moi.
— Non, dis-je en accentuant le mot.
— Pourquoi est-ce que tu me filmes, Gabe ? C’est un peu bizarre.
Elle rougit comme si elle aimait ça, bien qu’elle proteste.
— Qu’est-ce que tu veux dire ?
Bella tourne les yeux vers moi, avec un sourire nerveux.
— Je me sens comme dans un de ces films d’horreur où ils passent une
« vidéo trouvée ». Un monstre va surgir de la forêt et m’attraper ou quelque
chose comme ça.
Je me lèche les lèvres avec avidité, prêt à en finir, mais je ne baisse pas
l’appareil.
— Désolé, mais le monstre est déjà là.
— Qu… commence Bella, mais avant qu’elle ne termine, je la saisis à la
gorge et la pousse à genoux. Gabe, qu’est-ce que…
Je la gifle, mais ce n’est pas naturel, et Bella ne se laisse pas aller, ce qui me
fait arrêter la vidéo.
— Merde… Bella, tu vas bien ?
Elle se lève et hoche la tête.
— Je vais bien, mais… c’était vraiment nul.
— D’accord, essayons à nouveau.
— Attends, dit Bella en prenant ma main.
C’est censé être réel. Gifle-moi, dit-elle simplement. Tu me touches à peine,
et je suis censée tomber comme si tu m’avais assommée.
Je serre les dents, me demandant si j’ai la force de le faire.
Nous recommençons à zéro, et nous arrivons à nouveau au moment du
coup. Et cette fois, je ne me retiens pas. Me sentant terriblement mal, je lui
grogne :
— Stupide pétasse.
Bella tombe brutalement dans la terre, et elle me regarde en clignant des
yeux, totalement choquée quand elle lève le visage vers moi.
— Quoi ?
La peur est palpable maintenant. Les larmes qui roulent sur ses joues sont
bien réelles.
— Tu pensais qu’un gars comme moi voudrait d’une loseuse comme toi ?
C’est tellement pathétique. Tu n’es qu’un pion dans le jeu de quelqu’un
d’autre. Utile, jusqu’à ce que tu ne le sois plus.
Mes paroles se déversent de ma langue comme un vitriol haineux, à
l’opposé de toutes mes convictions. Mais en dépit de mes dents serrées, je
m’oblige à prononcer les mots, espérant qu’ils soient perçus comme de la
méchanceté.
— Gabe, pourquoi ? pleurniche-t-elle, et je songe à m’arrêter, mais je
persévère.
Il y a une bonne raison à tout ça. C’est le seul moyen d’assurer sa sécurité
un peu plus longtemps.
— Gabe… je t’en prie, je…
Elle s’éloigne de moi en rampant, ses mains et ses genoux s’écorchent et de
la morve commence à couler sur son visage à cause de ses pleurs
continus…
Je sors mon arme que je pointe sur sa poitrine.
— Ne bouge pas, lui ordonné-je, et elle se fige sur place.
Quand je m’approche, je croise son regard. Ses yeux sont écarquillés,
comme fous alors qu’elle secoue la tête, implorant de ses mains tendues,
comme si elle pouvait m’arrêter.
— Non, oh, mon Dieu, s’il te plaît… non, Gabe.
Le coup de feu résonne, un craquement sonore dans les bois silencieux, et
Bella s’effondre dans la terre.
J’abaisse l’appareil et coupe la vidéo. Me précipitant sur le côté, j’attrape la
bouteille de faux sang et me retourne vers Bella, qui essaie de se lever et
secoue la tête.
— Ne bouge pas. Reste comme tu es pour que ça ait l’air normal.
Elle s’abaisse à nouveau sur le sol en sifflant :
— Merde, c’était bruyant !
Je projette le mélange rouge et visqueux sur sa poitrine, comme s’il
s’échappait d’un petit, mais mortel coup en plein cœur.
— Dépêche-toi, il faut que le timing soit bon.
Nous avons analysé le plan sous tous les angles, et l’un des défauts que
nous avons constatés était la coupure de la vidéo, mais il n’y avait pas
d’autre moyen. Nous ne disposons pas de mille dollars d’effets spéciaux
hollywoodiens, et je ne saurais pas comment les utiliser de toute façon.
Donc, pour que les horodatages correspondent, nous devons redémarrer la
vidéo rapidement.
Mon cœur tambourine dans ma poitrine quand je vois le « sang » sur elle.
À quel point ai-je été proche de me damner ? Comment aurais-je pu
envisager de faire pour de vrai ce que je prétends avoir fait à Bella ?
Comment ai-je pu faire cela aussi longtemps ? Combien d’âmes souillent
mes mains ? J’en connais le nombre, bien sûr, mais ce n’est pas une chose
dont je suis fier. La bile me monte à la gorge.
J’ai besoin de me racheter. C’est un mot aussi efficace qu’un autre pour me
faire bouger.
Bella étale un peu plus de liquide dans ses cheveux avant de s’allonger dans
une mare de sang.
Avec du recul, mon côté froid prend le dessus, et me confirme que ça a l’air
assez réussi pour tromper n’importe qui, sauf un pro. Ensanglantée et
marquée par les gifles répétées, Bella feint l’inconscience, les yeux grands
ouverts, en état de choc, et retenant son souffle aussi longtemps qu’elle le
peut.
Je prends plusieurs photos, montrant les dégâts. Je la laisse respirer un peu,
puis je relance la caméra pour le prochain extrait vidéo, montrant mes pieds
bottés pendant que je la fais rouler jusqu’au bord de la falaise, en me
servant de mes orteils pour la faire avancer.
Au bord, je me penche, faisant moi-même face à la caméra.
— Travail terminé, annoncé-je au cercle de verre, tout en arrogance
effrontée et en laideur indifférente devant la perte d’une vie humaine.
Je la pousse d’un coup de main, et elle dégringole en silence hors de vue.
Elle avait craint de crier, mais elle se retient, de même que son instinct
naturel qui la pousserait à se débattre. Résultat, on dirait qu’elle est déjà
morte et qu’on la jette dans le ravin.
— Au revoir, Isabella Turner, dis-je avec un signe de la main.
Je coupe à nouveau la vidéo, et mon cœur se bloque dans ma poitrine quand
je regarde par-dessus le bord en priant pour qu’elle ait bien atterri sur la
plate-forme rocheuse en dessous de nous.
Elle est là, mais elle est immobile. Trop immobile. La chute était-elle trop
haute ? S’est-elle assommée d’une manière ou d’une autre ?
— Bella ? crié-je, me laissant tomber à genoux pour essayer de descendre
vers elle.
Elle ouvre lentement un œil.
— C’est bon ? murmure-t-elle.
Le soulagement m’envahit et je hoche la tête.
— C’est bon.
Elle ouvre alors ses deux yeux, s’étalant largement sur la roche comme si
elle prenait un bain de soleil.
— Très bien. Aide-moi à monter. Heureusement, je n’ai pas vraiment le
vertige. Mais c’est haut !
Je lui jette une corde, l’aidant à remonter au sommet tout en lui indiquant
où poser ses pieds pour trouver des prises qui faciliteront l’ascension. Dès
qu’elle a les deux pieds sur le sol, je la prends dans mes bras et l’éloigne du
bord.
— Oh, mon Dieu, Bella. Je suis tellement désolé, lui dis-je en prenant son
visage entre mes mains, le tournant dans tous les sens pour vérifier qu’elle
va bien.
— Hé… tu as l’air plus mal en point que je ne le suis, Gabe. Ce n’était que
de la comédie. Je sais que tu n’as fait que ce qu’il fallait. Tu vas bien ?
Je me racle la gorge, honteux.
— Oui. J’ai juste des idées noires au sujet du genre d’homme que je suis
devenu. Comment te sens-tu ?
— Je vais bien. Sale, mais ça va. Finissons-en et ensuite nous parlerons.
L’image d’une Bella éclaboussée de sang, qui dégouline entre ses dents et
sur ses lèvres, me choque, et je recule en titubant, laissant tomber le
téléphone avant de m’effondrer sur le sol. En berçant ma tête dans mes
mains, les coudes sur mes genoux pliés, je me brise.
Mon esprit est accablé par les souvenirs de ces dernières années qui
reviennent pour m’assaillir.
— Non… non, gémis-je faiblement en voyant leurs visages, en me
rappelant leurs noms. Les corps, la destruction, la détresse que j’ai apportés
aux gens.
Tout cela revient me hanter.
Je me souviens de la première personne que j’ai tuée, un trafiquant de
drogue nommé Guillermo « Big Willy » Lopez. Il était mort avec un air de
surprise sur le visage, comme s’il ne pouvait pas croire que son temps sur
Terre était terminé.
Je me souviens du deuxième, Hunter Earle… et du troisième, et du
quatrième… .
Je me souviens d’eux tous, et mon self-control se brise. L’horreur s’empare
de moi, je frissonne et je sanglote, détruit, incapable de me contrôler.
Qu’est-ce que je suis devenu ? Qu’est-ce que… qu’est-ce que j’ai fait ?
Je sens une main sur mon cou et je sursaute.
— Je… Mon Dieu, Bella, je suis mauvais, hoqueté-je tandis que mon corps
se rebelle à nouveau. Tout ce que j’ai fait… peu importe à quel point ces
gens étaient mauvais, ça n’en valait pas la peine.
— Viens, me dit Bella en me tendant la main. Retournons au ruisseau que
nous avons dépassé. Je pourrais retirer cette merde de mes cheveux et
changer de vêtements. Et nous parlerons.
Je hoche la tête, engourdi, tandis que Bella m’aide à me relever. Le ruisseau
n’est qu’à une trentaine de mètres de l’endroit où nous avons mis tout cela
en scène, et bien qu’il ne soit pas énorme, cela suffit à Bella pour tremper
ses cheveux et son visage avant de changer de t-shirt.
Je reste assis sans bouger sur un rocher voisin pendant que Bella se lave, et
quand elle revient, elle ne dit rien, attendant juste que je sois prêt à parler.
— Quand je t’ai giflée et que j’ai baissé les yeux, j’étais horrifié, lui dis-je.
Parce que je me suis souvenu des différentes façons dont j’avais envisagé
de t’éliminer lorsque j’ai accepté le poste et que je ne te connaissais pas
encore. Et quand tu t’es assise, les yeux brillants et plongeants dans mon
âme…
Je frissonne en m’étreignant, et Bella arrive derrière moi pour passer ses
bras autour de mes épaules.
— Je vais bien, Gabe.
— Mais pas eux, protesté-je. Je ne peux pas revenir sur ce que j’ai fait. Je
suis maudit, je cause la mort de tout ce que je touche. Je les sens tout autour
de moi, comme des fantômes de mon passé, des murmures, les réponses que
je n’ai jamais obtenues, et un frère que j’ai laissé tomber de la pire des
manières.
— Tu ne peux pas changer le passé. C’est un temps révolu. Mais ce que tu
peux faire, c’est vivre à fond pour eux. Pour Jeremy, pour toutes les
mauvaises personnes que tu as tuées, pour moi. Pour toi-même.
Elle parle d’une voix calme, mais puissante, qui s’adresse aux abords
déchiquetés et brisés de mon âme.
— Je ne suis pas sûr d’en être capable. Je ne le mérite pas, murmuré-je. Je
déglutis avec difficulté, puis je m’oblige à la regarder, avant de me
confesser. Je ne te mérite pas. Je suis vraiment désolé, Bella. Je suis
terriblement désolé.
Elle me serre à nouveau dans ses bras en me murmurant des paroles
tendres.
— C’est bon, ça va aller. Nous allons nous en sortir, et ensuite tu sais ce que
tu vas faire ?
Je secoue la tête.
— Tu seras la meilleure version de Gabriel Jackson possible. Ne les
déshonore pas en les oubliant… mais ne laisse pas leurs fantômes
t’empêcher de vivre la vie qui t’est destinée. Ne laisse pas le passé t’arrêter
ou te faire peur.
Elle me secoue un peu, comme si elle voulait faire pénétrer le discours
d’encouragement dans mon cerveau. Ça marche un peu, mais surtout, il y a
cette femme incroyable qui m’aime. Elle devrait me fuir, demander de
l’aide à n’importe qui sauf moi, mais contre toute attente, elle a choisi de
me faire confiance pour l’aider. Et je ne la laisserai pas tomber.
Je prends sa main et la tire pour qu’elle s’asseye sur mes genoux.
— Putain, tu es si belle.
Elle fronce les sourcils de manière mignonne, et me dit :
— Quoi ? Euh… j’ai grand besoin d’une douche. J’ai retiré la plus grosse
partie du faux sang, mais quand même… beurk.
Je la regarde. Le visage nu, les cheveux en bataille, fuyant pour sauver sa
vie et accordant sa confiance à un monstre, elle n’a jamais été aussi
stupéfiante, intérieurement et extérieurement. Et elle est à moi.
Je libère la vérité, en espérant qu’elle y croira.
— Tu es magnifique. Et tu m’appartiens, Bella.
Ses lèvres s’écartent sous l’effet de la surprise et je plonge, m’emparant de
sa bouche et lui promettant que je vais tout arranger en l’explorant avec ma
langue. Je me colle à son cou, y laissant une ligne de baisers mordants. Elle
a un goût sucré et vif à cause du faux sang, mais en dessous, c’est elle.
Ma Bella.
Son acquiescement essoufflé est un baume pour mon cœur monstrueux, il
me redonne espoir.
— Je t’appartiens.
CHAPITRE 26
ISABELLA
L ’air est glacial alors que je patiente sur le toit de mon immeuble,
observant l’abomination du siège du Golden Boy et analysant chaque
détail. C’est ce que je fais toujours, peu importe si une stratégie se déroule
comme prévu ou non. Ce n’est que grâce à une attention constante que je
peux procéder à des microajustements si nécessaire. Parce que les gens ne
sont pas statiques, immobiles et prévisibles cent pour cent du temps, même
si j’aimerais qu’il en soit ainsi.
Et ce qui m’intéresse le plus, ce sont leurs actions et leurs réactions.
Goldstone a engagé un détective privé, il débourse une somme exorbitante
pour retrouver l’amie de sa copine. Ainsi, il semblerait qu’il ne sache pas où
se trouve Isabella et qu’il s’inquiète. Cela représente une maigre
récompense pour tout ce que j’ai déjà enduré pour voir ce plan particulier se
réaliser.
Mais Jericho m’assure que ces photos sont truquées, que Mlle Turner est
vivante et qu’elle ne pourrit pas dans une forêt comme Jackson le prétend.
À ce stade, je préfère croire Jericho plutôt que les photos, vu l’absence de
corps.
Alors la question devient… si elle n’est pas morte, où est-elle ?
Les ressources de Jackson sont considérables, tant au niveau personnel
qu’au niveau de ses relations, il aurait pu la cacher presque n’importe où,
mais je pense qu’il l’aurait gardée près de lui.
Cette foutue bonne femme, qui attire les hommes comme une araignée les
mouches.
— Donnez-moi une plate-forme de tir stable ici et je pourrais réduire ce
penthouse en cendres en trente secondes, annonce Jericho dans mon dos.
Le fait qu’il sache où je regarde est inquiétant en soi, puisque je ne lui ai
rien dit de mes problèmes avec Thomas Goldstone, lui donnant simplement
les ordres nécessaires pour Gabriel Jackson et Isabella Turner. Je n’aime pas
que les gens disposent d’informations autres que celles que je choisis,
surtout lorsqu’il s’agit de moi.
Mais il ne faut pas gaspiller les compétences d’un homme comme lui, alors
j’explore son expertise.
— Une proposition intéressante, et que j’ai envisagée, dis-je en buvant ma
tequila. J’ai songé une fois à ce qu’il faudrait mettre en place pour amener
un sniper ici.
— Un tir très difficile avec un fusil, confirme Jericho, en plissant les yeux,
regardant au loin pendant qu’il analyse les conditions. Cependant, le vent
est favorable. Quand même… un missile serait bien mieux. Une plus grande
charge utile et l’assurance de déjouer toute protection par balles qu’il
pourrait avoir sur ses fenêtres.
— Et très visible, riposté-je.
Même dans cette ville, je ne peux pas réduire au silence chaque caméra de
surveillance ou le moindre idiot avec son iPhone. Cela soulèverait trop de
questions que je ne pourrais étouffer si quelqu’un se servait de mon toit
pour le détruire… même si cela me procurerait un certain plaisir.
— Des questions… Est-ce pour cette raison que vous ne m’avez pas donné
le feu vert ? m’interroge Jericho. Vous vous préoccupez de la visibilité ?
Il sonde subtilement mes intentions, ainsi que ma détermination. Si c’est le
cas, Jericho se rendra vite compte que je suis toujours debout quand les
autres s’effondrent.
— J’ai d’autres plans pour votre cible… commencé-je avec un sourire
mauvais, avant de me corriger. Pardonnez-moi, je voulais dire vos cibles.
— Plusieurs ? demande Jericho en haussant un sourcil.
Il a beau réagir à peine en apparence, je connais la vérité. C’est un véritable
sadique, un homme assoiffé de cruauté froide.
— Je veux Gabriel Jackson mort. Je ne tolérerai tout simplement ni la
trahison ni la malhonnêteté. Mais le dicton « faire d’une pierre deux
coups » me semble tout à fait à propos. Servez-vous de la fille pour
l’appâter, ensuite tuez-la comme il vous plaira. À votre guise, lui proposé-
je, sachant qu’en lui donnant carte blanche, il brillera par sa monstrueuse
forme de créativité. Peu importe votre manière de procéder, elle servira son
objectif.
Je n’explique pas l’impact que causera sa souffrance. Je n’ai pas besoin de
me justifier auprès d’un homme comme Jericho. Et il n’a pas besoin
d’explication. De par sa nature sadique, il se pliera volontiers à mes ordres
pour cette mission, bien qu’une carotte ne ferait pas de mal.
— Si vous êtes capable de le faire en deux jours, je vous offrirai un bonus
qui en vaudra la peine. Il vous permettra de vous détendre sur une plage
dans un endroit chaud aussi longtemps qu’il vous plaira.
— Y a-t-il des problèmes de visibilité pour Jackson et Turner ? demande-t-
il. J’apprécie l’attention qu’il porte aux détails, et le fait qu’il prenne en
compte mes désirs particuliers.
Je fronce les sourcils en secouant la tête.
— Seulement aux personnes que je veux informer de leur disparition.
— Deux jours, approuve-t-il. Considérez que c’est fait.
Alors qu’il s’éclipse, je bois la dernière goutte de ma tequila et je contemple
l’ensemble du quartier de Roseboro jusqu’au bâtiment doré qui brille à
nouveau au clair de lune. Sans doute est-ce un signe fortuit, mais le reflet de
la lune n’est pas pâle, mais rougeâtre, presque sanglant, sur la surface de la
tour. Cela me fait sourire.
— Bientôt, Golden Boy.
CHAPITRE 33
ISABELLA
L ’obscurité est presque totale, avec un ciel empli de nuages qui semble
être une bénédiction, un signe que ce geste stupide n’est peut-être pas
totalement irréfléchi. Mais de toute façon, je n’aurais pas été capable de
dire non à Bella.
Attendez. En fait, j’avais dit non plusieurs fois, mais elle m’avait eu à
l’usure, et finalement, j’avais cédé avec quelques règles. Et c’est ainsi que
je me retrouve avec une Bella censée être morte, assise sur le siège passager
du camion de travail de Thomas, alors que nous arrivons chez elle.
Enfin, ce qu’il en reste.
Mais ce n’est pas une épave aussi brûlée que je le craignais. Depuis le côté
gauche de la cour avant, ça a même l’air bien. Ou du moins aussi bien
qu’elle l’a toujours été. Mais depuis la droite, on distingue le charbon noir
et la destruction. Le coin arrière, où se trouvaient la cuisine et le salon, a
quasiment disparu, un vide noir béant au cœur de la maison.
Je regarde Bella pour voir comment elle prend la chose, m’attendant à ce
qu’elle soit sur le point de s’effondrer. Mais la réalité semble l’avoir mise
en état de choc, ou bien elle entre dans une phase de colère, car elle semble
farouchement déterminée dans la faible lueur des phares du tableau de bord.
Lorsque je me gare, elle déplace sa main vers la poignée.
— Non, nous en avons parlé. Reste ici jusqu’à ce que je vérifie tout.
Elle acquiesce en soupirant, dévoilant ainsi une faille dans sa façade
courageuse.
— Je sais. J’ai juste besoin d’y aller et de voir ce qui reste.
Je lui frotte la cuisse de manière réconfortante, en m’assurant que
l’interrupteur du plafonnier soit éteint pour que l’intérieur de la voiture reste
sombre quand j’ouvre la portière. Je ne veux pas que quiconque reconnaisse
facilement Bella. En nous servant du camion de Thomas et en portant tous
les deux des vêtements noirs et des sweats à capuche, nous voulons que les
gens qui nous aperçoivent pensent que nous sommes Thomas et Mia qui
viennent inspecter la maison.
Je fais un examen des environs, en notant toutes les cachettes, même si je
l’ai déjà fait plusieurs fois quand je surveillais Bella. Mais à cette époque je
cherchais des endroits où me cacher. Aujourd’hui, ce sont des menaces
potentielles que je veux repérer.
Ne voyant rien d’anormal, j’ouvre ma portière et sors en tournant la tête.
Tenant le bouton sur la poignée de la portière, je la referme silencieusement
avant de faire le tour, marchant avec précaution pour éviter de piétiner des
branches d’arbres ou tout ce qui pourrait faire du bruit. Bella se déplace
derrière le volant, prête à démarrer le moteur et à foncer s’il le faut, et
intérieurement, je suis fier d’elle. Elle se souvient du plan et est prête à
passer à l’action si nécessaire.
Pendant que je parcours la courte distance qui me sépare de la maison, je
garde les mains dans la poche de mon sweat-shirt, la droite tenant mon
pistolet, prêt à l’action. Cela paraît étrangement normal, mais en même
temps stupide de monter les deux marches qui mènent à la porte d’entrée,
étant donné qu’il y a des trous béants dans les murs et que la porte elle-
même a été défoncée. Mais le cadre de la porte est toujours là, alors c’est
par là que je passe.
Je jette un coup d’œil en arrière, Bella semble aller bien, ou du moins le
camion est sombre et silencieux, alors je vais dans la maison. Quelle
étrange discordance que d’entrer et de pouvoir observer les étoiles à cause
des énormes trous dans le toit. La seule bonne chose ? L’endroit est toujours
debout. C’est un miracle que les pompiers aient eu autre chose que des
cendres à arroser, tant cet endroit était vieux et sec.
Une fois à l’intérieur, je sors mon arme, sans me préoccuper de la visibilité
derrière les quelques murs encore debout. Je contrôle chaque pièce, à la fois
mes appuis sur la structure affaiblie et l’absence de toute chose ou personne
menaçante.
De retour à l’avant, j’ouvre la porte pour Bella.
— C’est grave à quel point ? demande-t-elle.
— Pas bon. Il y a beaucoup de dégâts que tu ne peux pas voir de la rue, et la
maison entière a subi des dommages causés par l’eau.
Elle acquiesce d’un air sinistre, semblant se préparer à l’horreur qu’elle sent
qu’elle est sur le point de voir.
À l’intérieur, elle est silencieuse et regarde autour d’elle. Je m’attends à ce
que les larmes recommencent à couler, mais elle a dû tout verser, car elle
reste stoïque. La botte noire qu’elle a empruntée tape sur les restes de
cendres empilés sur ce qui subsiste du sol du salon. Un tas de poussière gris
argenté s’envole à nos pieds puis tombe sur le sol en parpaings que nous
distinguons en dessous puisqu’il n’y a plus de plancher dans cette zone.
— Regarde où tu marches, l’avertis-je en la tirant en arrière. J’ai vérifié,
mais je ne peux pas être sûr que ça tiendra.
Elle recule et prend la direction du couloir où je la suis. Je la vois prendre
une profonde inspiration, ses épaules se soulèvent et s’abaissent avant
qu’elle ne passe dans la chambre d’amis. Même dans la faible lumière, je
constate que sa fresque est détruite, la plaque de plâtre est saturée d’eau.
— Je sais que ce n’était qu’une peinture, dit-elle en regardant le chaos sous
ses yeux. Mais elle signifiait beaucoup pour moi. Je l’ai peinte juste après la
mort de Reggie, et ça m’a aidé à traverser ces jours sombres où j’avais
perdu tout le monde, tout. C’était ma thérapie, un signe qu’il pouvait encore
y avoir de la beauté dans le monde, même si je devais la fabriquer moi-
même.
Elle s’avance vers le mur, tendant la main pour toucher le plâtre coloré qui
s’effrite.
— Je suis désolé, Bella, dis-je doucement, en posant ma main libre sur son
épaule. Tu veux voir s’il y a quelque chose de récupérable ?
Elle hoche la tête, embrasse le bout de ses doigts et les pose sur l’endroit où
sa famille s’asseyait dans leur avion, en souvenir et en hommage.
Dans sa chambre, elle s’accroupit devant l’armoire, fouillant à l’aveuglette
dans le tas d’affaires qui ont survécu à l’incendie. Elle sort un petit étui en
métal, de la taille d’une boîte à goûter, et un sourire triste étire ses lèvres.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Une boîte à souvenirs que Reggie m’a donnée quand je suis arrivée ici,
dit-elle en suivant avec révérence l’extérieur de la boîte.
Elle l’ouvre et ses yeux brillent des larmes que j’attendais alors qu’elle lève
les yeux vers le ciel.
— Merci.
Elle ramasse quelques morceaux de papier plié et des petits carrés qui
semblent être des photographies. Incapable de les voir dans l’obscurité, elle
les replace dans la boîte adorée et la referme avec un léger claquement.
— Bon, c’est tout ce dont j’ai besoin.
Je la regarde, cette femme qui a survécu toute sa vie en ne connaissant
pratiquement que des moments difficiles. Et lorsque la vie conspire pour lui
prendre encore plus, elle ne s’effondre pas, brûlée et détruite par les
flammes. Non, elle se relève tel un phénix. Elle n’a que ce qu’elle a mis
dans son sac à dos et cette boîte métallique à son nom, mais c’est tout ce
dont elle a besoin.
Elle est merveilleusement reconnaissante et humble, sachant que ce qui est
vraiment important n’est pas une maison ou des vêtements, mais des
souvenirs et des personnes.
— Tu es prête ? lui demandé-je, lui accordant une dernière chance, car je ne
sais quand nous pourrons revenir ici, avec les dangers qui guettent à chaque
coin de rue.
Elle soupire, mais secoue la tête, et je passe devant elle quand nous sortons.
Je scrute le couloir avant que nous ne sortions de la chambre et que nous ne
revenions à ce qui reste du salon. Tout semble dégagé, mais au moment où
j’arrive au coin du couloir, un coup violent me frappe à la mâchoire, me
faisant trébucher et me prenant par surprise.
On ne me surprend pas. Jamais.
Mon instinct prend le dessus, et même s’il fait presque nuit noire, je me
retourne à l’aveuglette pour affronter mon agresseur. Je vois une forme, et
je me concentre dessus, en criant à Bella :
— Cours ! Fonce !
J’entends le bruit de ses pieds et je prie pour qu’elle se conforme à ce que
j’ai dit tandis que je me jette sur l’agresseur. Il faut qu’elle sorte d’ici,
qu’elle me laisse et aille se mettre en sécurité.
Dans l’obscurité, il n’y a ni l’espace ni le temps pour porter des coups. Au
lieu de cela, nous luttons, nous cognant l’un l’autre contre la structure
affaiblie de la maison. Je tenterais bien d’utiliser mon arme contre lui, mais
il est tout aussi doué que moi, se servant de ses genoux et de ses coudes
pour me frapper en enchaînements rapides, bien que je sois aussi bon que
lui. Mais je ne dispose même pas d’une demi-seconde pour sortir mon
pistolet de ma poche, et tirer dans le noir est une option dangereuse, car j’ai
peur de toucher Bella par accident.
Je me contente donc de me tenir assez près pour le sentir, de lui envoyer des
coups dans le corps quand je peux et de bloquer ses attaques du mieux que
je peux. Un instant plus tard, je me prends un coup de genou dans les
parties, et je me plie en deux sous l’effet d’une douleur aveuglante.
Ce faisant, j’attrape l’arrière des jambes de mon agresseur, le fais chuter, et
nous nous précipitons sur le sol qui grince de manière sinistre sous l’impact.
Je sais déjà que cela ne peut pas être Carraby, il est impossible que cette
mauviette puisse me donner autant de fil à retordre même s’il avait eu une
matraque pour l’aider.
Donc si ce n’est pas lui qui vient profiter de la journée portes ouvertes
improvisée de Bella, c’est quelqu’un de bien, bien pire. C’est quelque chose
de bien pire.
— Tu as merdé, l’Ange, dit une voix désincarnée en dessous de moi.
L’assaillant a beau être sur le dos, je n’ai pas le dessus sur lui. Il contre tous
mes mouvements, et son jiu-jitsu est si bon que j’ai l’impression qu’il joue
avec moi. Comme s’il connaissait mon prochain mouvement avant moi.
Et le fait qu’il me désigne par mon nom professionnel me fait froid dans le
dos.
Mais c’est une question de vie ou de mort, et je me bats avec tout ce que
j’ai, tous les mauvais tours que j’ai appris pendant mes années de violence,
parce que c’est pour Bella et je le sais. Je me fiche de ne plus jamais
ressortir de cette maison en ruine, tant qu’elle est en sécurité. Je prie pour
qu’elle soit partie depuis longtemps maintenant, et qu’elle soit sur le
chemin du retour chez Mia.
Il faut que je lui laisse le temps de s’éloigner.
Me relevant à moitié, j’enfonce mon genou dans son rein et je recule, me
remettant debout. Si je ne peux pas le battre au sol, alors il faut que je
prenne le risque de le combattre sur ses pieds. J’ai encore la tête qui tourne.
J’ai été salement ébranlé, mais je me place entre mon agresseur et la porte,
priant pour que cela donne suffisamment de temps à Bella.
Mon adversaire me suit, et je balance un direct du droit au centre de sa
silhouette, et mon poing heurte quelque chose de dur avec un claquement.
Un petit succès que je complète par une rafale de coups de poing dans la
même zone.
Il grogne, mais au beau milieu de la rafale, je sens mes pieds se dérober
sous moi, et je me retrouve au sol, ma tête rebondit sur le plancher et le
monde vacille. J’entends un craquement sous moi, et je me demande si la
structure affaiblie par le feu pourra en supporter beaucoup plus.
Un talon de botte renforcée s’écrase dans mon ventre, accentuant la douleur
dans mes parties génitales, et je me recroqueville, protégeant mes organes
en toussant alors que le goût métallique et chaud du sang macule ma
langue.
— Tu es vraiment un ange déchu maintenant, Gabriel, dit la voix.
Je relève la tête, et comme par une intervention divine, les nuages s’écartent
un instant, laissant la lune briller à travers, les poutres vides du toit laissant
entrer la lumière.
C’est comme voir le diable prendre vie.
Il est grand, avec des cheveux blond cendré et est entièrement vêtu de noir.
Et il porte des foutues lunettes de vision nocturne. C’est comme ça qu’il
pouvait contrer si facilement tous mes mouvements. Je me bats à l’aveugle
dans le noir, alors que de son côté, c’est comme s’il faisait jour dans les
ruines noircies de la maison de Bella.
Il sourit, et ce faisant, je distingue la légère trace d’une cicatrice près de sa
bouche… Une cicatrice qui constitue autant sa carte de visite que mon
physique fait la mienne.
Cet enfoiré de Jericho.
Il frappe à nouveau, ma tête bascule en arrière, et cette fois, ce sont mes
remparts qui s’effondrent, le monde redevient noir.
CHAPITRE 35
GABRIEL
C ’est calme depuis quelques jours, et aussi fou que cela puisse paraître,
j’ai besoin de vivre ma vie. Je refuse de rester enfermée plus
longtemps dans le penthouse de Mia, même s’il ressemble à un château. On
ne peut jouer qu’à un certain nombre de jeux vidéo, prendre un certain
nombre de bains chauds et faire un certain nombre de tours sur un vélo
d’appartement avant que le syndrome d’isolement ne devienne
incontrôlable, et j’ai déjà fait tout cela.
Le fait que Gabe m’ait dit que j’étais son nouveau job à plein temps aide.
Un service de protection, c’est ainsi qu’il l’appelle. Je le qualifie de garde
du corps quand je me sens bien, de baby-sitter quand je suis un peu sur les
nerfs à cause du manque d’air frais.
Heureusement, il a accepté de me laisser sortir aujourd’hui, alors j’attrape
mon sac à dos, en vérifiant deux fois que tout est à l’intérieur.
— Tu es prête, princesse ? Ton carrosse t’attend, me taquine-t-il en
m’adressant ce sourire à deux fossettes que j’aime tant.
Il a été formidable, il m’a aidée à me calmer lorsque j’avais un flash-back
ou que je m’inquiétais de ce qui allait se passer, et il a fait appel à toute son
imagination pour me divertir de toutes sortes de façons lorsque je
m’ennuyais.
Je n’ai pas honte de dire que Mia est accidentellement tombée sur une de
ces distractions imaginatives hier matin. Mais Mia étant ce qu’elle est, elle
s’est contentée de pousser un cri de joie et a même applaudi avant de fermer
la porte. Heureusement, ce sont surtout mes fesses qu’elle a vues, et rien de
plus… révélateur. Si elle avait vu Gabe, la garce possessive en moi aurait
été obligée de lui faire payer.
Je me hisse sur la pointe des pieds, et il se tient droit, me poussant à faire
des efforts. Mais je gagne assez de hauteur pour l’embrasser, en frottant un
petit cercle avec mon pouce sur chaque fossette.
— Allons-y, dis-je, prête à retrouver ma vie.
Nous prenons le SUV de Gabe pour aller à l’école, et je reste assise pendant
qu’il fait une vérification préliminaire du parking avant de me laisser sortir.
Cela semble ridicule. Je ne suis pas une espèce de célébrité appartenant à la
fausse royauté, mais vu l’histoire farfelue que raconte ma vie récente, je
l’accepte.
Il ouvre ma portière et m’aide à sortir.
— De quel côté d’abord ? J’ai fait le tour du campus hier, en repérant les
zones de sécurité faibles, les cachettes et les points à risque, mais je préfère
suivre un itinéraire spontané pour faire le point avec les enseignants afin
que personne ne puisse se mettre à l’affût.
J’agite les sourcils vers lui en resserrant un peu plus mon sac à dos pour que
mes seins ressortent davantage.
— Parle-moi encore de sécurité. C’est tellement sexy.
— Princesse, ne me distrait pas sinon je te jette dans la voiture et je te saute
ici même, grogne-t-il, les mains toujours sur les côtés alors qu’il garde le
contrôle physiquement même si sa voix déraille un peu.
C’est extrêmement excitant de savoir que je peux l’affecter tout en le
poussant à un dévouement si profond qu’il résistera à un baiser ici. Mais je
suis sûre qu’il se vengera sur moi plus tard.
Il enchaîne.
— Et ça ne serait prudent pour aucun d’entre nous parce que je regarderais
ma queue entrer et sortir de ton joli petit sexe sans chercher de menaces.
Il sait exactement ce qu’il fait, il me provoque et m’excite avec ses
promesses obscènes.
Mon sourire est purement diabolique, et mes mots sont un ronronnement.
— On dirait que tu veux faire passer ça pour une mauvaise chose, mais
c’est un risque que je suis prête à prendre.
Ce n’est pas le cas, et nous le savons tous les deux. Aucun d’entre nous ne
jouerait aussi gros avec des enjeux aussi élevés, mais le jeu est suffisant
pour promettre des jeux ultérieurs.
Gabriel glousse.
— Tu racontes n’importe quoi. Mais si tu veux t’envoyer en l’air en public,
je te plaquerai contre la fenêtre du penthouse quand on aura fini nos
courses. Maintenant, où allons-nous ? grogne-t-il.
Je souris, ayant l’impression d’avoir gagné la joute verbale et d’avoir
obtenu une récompense pour ce soir.
— Bien, allons d’abord voir le Professeur Daniels.
Les rendez-vous avec mes professeurs se passent étonnamment bien. La
première fois que j’ai expliqué que j’avais eu une urgence familiale
nécessitant des mesures de sécurité qui m’empêchaient d’aller sur le
campus, j’ai été mal à l’aise. Mais, à commencer par le professeur Daniels,
on m’a assuré à plusieurs reprises que M. Goldstone avait clairement fait
savoir qu’il appréciait l’aide de l’université pour assurer la sécurité de son
cercle intime.
Ma mâchoire ne cesse de se décrocher, choquée de voir à quel point tout le
monde est compréhensif. Mais quand on me dit que je n’ai même pas
besoin de rendre les devoirs que j’ai manqués, je rechigne.
Pas question de laisser passer ça. J’ai travaillé comme une dingue pour
arriver là où j’en suis, j’ai obtenu chaque matière en passant des heures à
servir de la nourriture et chaque note en travaillant dur. Je dis à chacun de
mes professeurs que j’apprécie le geste, mais que j’ai fait mes devoirs et
que je veux les notes que je mérite en fonction de la qualité de mon travail.
Tout le monde est prêt à l’accepter, sauf le professeur Foster, mais elle est
toujours aussi pointilleuse, alors je suis trop heureuse d’accepter la note
pour travaux en retard, car au moins elle me laisse rendre le projet que
j’avais terminé, bien qu’avec une pénalité de dix pour cent.
Après avoir terminé les contrôles de l’école, je dois en faire un encore plus
effrayant.
Le Gravy Train.
— Martha et Henry risquent de me faire la peau pour être restée si
longtemps sans rien dire, surtout après être partie en « vacances » de façon
inattendue et les avoir laissés en plan, dis-je en grimaçant.
— Je pense que tu vas être surprise, me dit Gabe en me faisant traverser le
parking.
Il a raison. Quand j’entre, il n’y a que de l’amour. Martha manque de faire
tomber le plateau qu’elle porte, et Henry sort en courant de la cuisine,
tenant toujours sa spatule.
— Izzy, tu ferais bien de venir ici et de me faire un câlin ! dit-elle, ne me
laissant aucune chance quand elle m’entoure de ses bras d’un côté et
qu’Henry prend l’autre côté.
Il marmonne quelque chose sur le fait que je le fais souffrir de son ulcère, et
je ne peux m’empêcher de sourire, car ses grognements m’ont manqué.
Elaine reste en retrait, attendant son tour, puis me serre aussi dans ses bras
une fois que Martha et Henry m’ont laissée partir. En voyant ma main
bandée, elle recule et l’examine attentivement.
— Mais qu’est-ce qui s’est passé ? Nous avons parié qu’il t’avait enlevée
pour t’emmener à Vegas pour vous marier, mais ça ne ressemble en rien à
une alliance.
Elle lance un regard dur à Gabe, mais avant qu’elle ne puisse envisager
d’aller chercher un des couteaux d’Henry pour les couilles de Gabe, je la
serre à nouveau dans mes bras.
— Non, non… c’est bon. Je vais bien. Juste un petit drame, mais je vais
bien. Pas de mariage à Vegas non plus, protesté-je. Si ça arrive, je ferai ça
correctement. Dans une vraie église, et vous serez tous là.
— Et Elvis ? demande Elaine avant de crier par-dessus son épaule, en
regardant toujours Gabe. Paie, Henry. Je t’avais dit que notre Izzy ne se
marierait pas sans nous.
— Très bien.
Il fouille dans sa poche et en sort un billet de dix dollars qu’il tend à Elaine.
Elle le fourre dans son tablier, ce qui lui vaut un « hourra » de la part de
Martha. Henry hausse les épaules et me regarde.
— Très bien, alors, ma fille. Raconte-nous ce que vous avez fait et ce qui se
passe maintenant, car mon ulcère oscille entre l’inquiétude et l’excitation.
Les deux font très mal.
Je leur raconte une version très abrégée des derniers jours, en faisant en
sorte que l’escapade ressemble aux vacances que je leur avais annoncées
dès le début, et que les nuits chez Mia soient plus des soirées entre filles
que des problèmes de sécurité. Je ne peux ni parler de Jericho, ni du danger.
Ce ne serait sûr ni pour eux ni pour moi en réalité.
— Nous avons appris pour ta maison, dit tristement Martha alors qu’Elaine
demande à un client de se calmer et lève un doigt pour lui dire « une
minute ». Tu vas bien ?
— Elle est presque totalement ruinée, entre le feu et les dégâts causés par
l’eau, avoué-je. Elle était tellement vieille, il faudrait presque la
reconstruire. Je vais rester chez Mia pour le moment.
D’un coup, alors que je finis mon récit, cela me frappe : je suis sans abri.
Dieu merci, j’ai de bons amis. Je les ai repoussés si souvent au fil des ans
lorsqu’ils essayaient de m’aider, leur dissimulant chaque fois la gravité de
ma situation, mais lorsque j’en ai besoin, ils interviennent sans hésiter.
Gabe prend la parole.
— Ça n’a pas d’importance, dit-il tranquillement. J’ai déjà discuté avec un
entrepreneur, et même s’il faut en passer par une destruction et une
reconstruction totales… nous ferons ce qui est nécessaire.
Ses yeux deviennent doux, son regard aimant.
— Cette belle princesse ne va pas rester sans son château pendant très
longtemps.
J’en reste bouche bée. Henry sourit fièrement. Martha et Elaine affichent le
même sourire satisfait.
La première murmure bruyamment à la seconde :
— Je t’avais dit que c’était un gentil.
Je n’arrive pas à les regarder, trop attachée à la bombe que Gabe vient de
lâcher.
— De quoi parles-tu ? Je ne peux pas me permettre de demander à un
entrepreneur de reconstruire ma maison.
Gabe passe un pouce le long de ma lèvre inférieure, sans se soucier de la
foule qui observe ce geste intime.
— J’avais l’intention de te le dire plus tard, me murmure-t-il à l’oreille,
mais je n’ai pas pu me retenir. Elle sera reconstruite… et ce n’est plus tout à
fait ta maison.
Je tressaille à cette idée, et réponds férocement. :
— Oh que si ! J’ai travaillé comme une dingue pour conserver la maison de
Reggie, et elle m’appartiendra jusqu’au jour de ma mort, même si je dois
me tuer à la tâche pour la conserver.
Son sourire en coin m’exaspère, jusqu’à ce qu’il enchaîne :
— Je veux dire que ce n’est pas ta maison. C’est la nôtre, Princesse. Je sais
que c’est là que tu veux vivre, et je veux rester à tes côtés, alors
j’emménage.
Je cligne des yeux, ma colère se dissipant instantanément.
— Tu veux emménager avec moi ? lui demandé-je, incrédule, alors qu’une
bulle de joie étourdissante grandit au creux de mon ventre.
Ensuite, parce que c’est plus fort que moi, il faut que je le taquine, je lui dis
d’un ton insolent :
— Je ne t’ai pas proposé de le faire.
Il se penche en avant et chuchote chaudement dans mon oreille :
— Est-ce que j’ai l’air d’un type qui attend qu’on lui propose les choses
pour agir ? Tu m’appartiens.
Puis il se redresse. Et d’un regard qui me défie de le contredire, il déclare :
— J’emménage avec Bella.
J’étudie son visage, cherchant le moindre signe d’incertitude et ne trouve
que de l’amour. J’y vois ma maison. Pas les quatre murs dont j’ai toujours
pensé qu’ils m’ancraient à mon passé, mais mon vrai foyer, avec Gabe. Un
avenir pour nous. Où que ce soit.
Il est ma maison.
Mais qu’il sache à quel point ma maison est importante pour moi me permet
d’être certaine, sans le moindre doute, qu’il me comprend. Et comme il a
voyagé pendant de longues années, je ferai tout ce que je peux pour que ma
maison soit autant la sienne que la mienne. Et de tenir son cœur aussi
tendrement qu’il tient le mien, dans un havre de paix.
— Nous vivons ensemble, approuvé-je.
— Cela signifie-t-il que tu nous quittes ? demande Henry prudemment, et je
me demande s’il se rend compte qu’il est en train de se frotter le ventre.
Je secoue la tête :
— Jamais. C’est ma deuxième maison.
La route a été longue, et j’ai été seule pendant une grande partie, battue par
la vie encore et encore. Mais j’ai un bon entourage, des gens qui m’aident
même quand je ne le veux pas, qui m’aiment même quand je suis trop
occupée à ne tenir debout que par un fil pour leur rendre la pareille, et qui
feraient presque n’importe quoi pour moi.
Je regarde Gabe. En fait, il ferait vraiment n’importe quoi pour moi. Même
tuer. Et plutôt que d’en être effrayée, cela me procure un sentiment de paix,
d’espoir et je me sens aimée.
CHAPITRE 40
GABRIEL
—L evons nos verres, dit Thomas en levant son verre de vin rouge, et
nous faisons tous de même. À un cercle familial qui s’agrandit.
Il regarde tout autour de la table de la salle à manger, établissant un contact
visuel avec chacune d’entre nous, Mia d’abord, puis Charlotte, Bella et
enfin, moi. Notre quintet est devenu assez soudé au cours des dernières
semaines.
Bella et moi vivons tous les deux dans la chambre d’amis, mais cela
prendra fin quand notre maison sera achevée.
L’entrepreneur s’est présenté avec une foutue grosse équipe, et ils se sont
démenés pour finir plus tôt que prévu et gagner un bon bonus. Thomas paie
la reconstruction pour se faire pardonner d’avoir mêlé Bella à tout ça, et j’ai
offert la prime pour travaux urgents. Bella a décidé de s’en accommoder
après que je lui ai promis de baptiser toutes les pièces et surfaces de la
maison.
Et j’ai l’intention de tenir ma parole.
— À une journée bien vécue, une bonne nuit de sommeil et une vie remplie
d’amour. Santé !
Nous nous inclinons vers l’avant, entrechoquant nos verres avant de boire.
Après quelques bouchées de délicieux poulet et riz aux asperges, la
conversation reprend. Les filles en particulier ont toujours quelque chose à
dire, et Thomas et moi avons appris à tenir des conversations presque
entières avec nos yeux et nos sourcils en réponse à leurs pitreries.
— Mais pour de vrai, j’ai dit à mon patron que je serais heureuse d’aller
chercher son linge au pressing, mais seulement pour les deux prochaines
semaines, dit Charlotte, dont la voix faiblit d’excitation, nous suppliant de
lui en demander plus.
La fourchette de Mia claque dans son assiette quand elle comprend la
première ce que Charlotte vient de dire.
— Tu as quitté ton boulot !
Charlotte hoche la tête :
— Exact ! Je suis tellement heureuse de sortir de là, surtout avec le stress à
l’idée que chaque réunion soit un peloton d’exécution surprise de
conception blackwellienne. Je n’ai jamais été aussi heureuse d’être la fille
invisible à la réception que tout le monde ignore. Mais j’ai obtenu le prêt
commercial, j’ai fait une offre sur l’endroit dont je suis tombée sous le
charme, et je me lance. Je vais ouvrir ma propre boulangerie.
Elle se tourne vers Thomas :
— Merci encore, partenaire.
Thomas secoue sa tête.
— Non, relis bien ce contrat. Je ne suis pas associé, et je ne veux
absolument pas m’impliquer. Je suis simplement un investisseur silencieux
auprès d’un chef d’entreprise en qui je crois. Surtout si tu ajoutes un service
de livraison pour mes commandes. J’envisage des réunions trimestrielles
avec des gâteaux Bundt à Goldstone, des gâteaux d’anniversaire pour les
garçons du Roseboro Boys' House, et des biscuits pour les réunions
mensuelles des anciens combattants.
— Marché conclu, dit Charlotte, et nous la félicitons tous.
À en juger par les quelques échantillons et essais de recettes qu’elle a
apportés au Gravy Train, c’est une pâtissière hors pair, et j’ai hâte de
manger d’autres de ses créations. Et de devenir testeur.
Elle parle un peu de ses projets pour l’endroit qu’elle a trouvé, d’un
fournisseur de chocolat belge qu’elle a découvert, puis elle se tourne vers
Bella.
— Et il faut que je t’engage pour créer mon logo, mes cartes de visite, mes
panneaux de menu et tout ce à quoi je n’ai pas encore pensé.
Bella rayonne.
— Vraiment ? Tu veux que moi, je fasse ça ?
Charlotte lève les yeux au ciel.
— Sans blague, évidemment ! Tu es la meilleure graphiste que je connaisse.
Tu es aussi la seule, mais ne laisse pas ce détail déprécier mon compliment.
Donne-moi simplement ton tarif, ou peut-être le tarif spécial pour les amis
et la famille ? ajoute-t-elle plus sérieusement.
Je me penche pour chuchoter à l’oreille de Bella, et elle se tourne vers moi
avec un sourire en coin.
— Tu es sûr ?
Je hoche la tête et elle se retourne vers Charlotte.
— Mon service de sécurité m’a informée que mes honoraires devraient
s’élever à… un muffin et un café par semaine pour chacun d’entre nous
lorsque nous passons te voir.
Charlotte bondit de sa chaise, et nous tend la main, à Bella puis à moi, pour
que nous la serrions.
— Marché conclu, pas de retour en arrière.
— Je pourrais peut-être aussi utiliser les dessins comme présentation de
mon projet final, si cela ne te dérange pas ? Ça ferait d’une pierre, deux
coups, dit Bella d’un ton pensif.
Mia l’interrompt, ajoutant avec sarcasme :
— Je suis convaincue que le fait de montrer le logo et le menu de la
boulangerie à un grand groupe d’étudiants et de professeurs affamés
constituera un énorme désagrément pour une nouvelle entreprise. Énorme.
Elle tient ses mains très écartées, puis se rapproche de sa bouche comme si
elle dévorait un gâteau entier toute seule. Son sourire est visible même
derrière ses mains.
— Comment se passe l’école ? demande Thomas à Bella, ignorant les
pitreries de Mia qui discute avec le gâteau imaginaire qu’elle fait toujours
semblant de manger.
— Bien, j’ai rendu tous les devoirs que j’ai manqués, même ceux dont le
professeur Daniels m’a indiqué que je n’y étais pas obligée.
Elle lève les yeux au ciel, et Thomas éclate de rire.
— Tout le monde semble avoir accepté mon ombre ici présente, et j’ai fait
fuir toutes les filles qui ont essayé de lui parler et de flirter avec lui.
Elle grogne la dernière partie, ce qui me fait rire, car je me souviens que
Bella était sur le point de me lécher pour marquer son territoire quand une
blonde insistait pour m’inviter à son groupe d’étude alors que je lui répétais
que je n’étais pas un étudiant.
— Je maintiens juste la surveillance de mon bien le plus précieux. Là où
elle va, je vais, dis-je en posant ma main sur la nuque de Bella et en frottant
de petits cercles avec mon pouce.
L’accent de Mia apparaît à nouveau.
— J’ai une nouvelle pour toi : on est en 2019. Elle ne t’appartient pas.
Bella plante ses yeux dans les miens, et j’y vois une chaleur identique à
celle que je ressens. Elle ne rompt pas notre contact visuel, mais lance à
Mia :
— Tais-toi, Mia. Il ne le pensait pas de manière négative. Et j’ai entendu
certaines de tes histoires, alors tu n’as absolument rien à dire !
Thomas se racle la gorge, gêné.
— Avant que vous ne filiez tous les deux au bout du couloir pour vous
envoyer en l’air dans ma chambre d’amis, j’avais quelque chose à te
donner, Gabe.
Son ton très professionnel me tire du sort que Bella a jeté sur moi. À
contrecœur, je me tourne vers lui, un sourcil levé et la main sur la cuisse de
Bella.
— Mia a fini de parcourir les informations de la carte de données, dit-il
tranquillement. Je sais que tu as demandé que nous l’ignorions, mais nous
avons malgré tout pensé que tu voudrais savoir.
Je déglutis et Bella pose sa main sur la mienne, qu’elle serre en signe de
soutien.
— Et ? demandé-je à la fois à Mia et Thomas.
— Deux noms ressortaient sur la carte que tu m’as donnée. Tu n’as pas de
soucis à te faire pour le premier, Joe Ulrich. Il est mort. Mais il y avait un
historique complet de sa vie, et une vérification des antécédents si tu veux
les voir.
— Mort ? répété-je en haussant un sourcil. Comment ?
— Accident de voiture. Sa Harley a heurté une plaque de glace dans le
Colorado et sa tête a rebondi sur un camping-car. Il ne portait pas de
casque. Le dossier comprend des photos et le rapport d’autopsie, si tu es
curieux. Il ressort également qu’il y avait un faux fond dans son réservoir
d’essence, et qu’il circulait avec deux kilos de crystal meth, donc personne
n’a vraiment pleuré sa mort.
Je hoche la tête.
— Et l’autre ?
— Steven Valentine, annonce Thomas, plus prudemment qu’avant. Il est
toujours dans les parages, mais il a changé de nom. Aujourd’hui, il se fait
appeler Simon Bulger. Tu as peut-être entendu parler de lui ?
Je secoue la tête et Thomas continue.
— Bulger le boucher ?
Je cligne des yeux, surpris.
— Oui… à la tête des Démons oubliés du Diable.
Thomas se tourne vers Mia, qui a sans doute lu les informations de la carte
de données la première, mais le laisse être le porteur de la mauvaise
nouvelle.
— Apparemment, les deux étaient des bikers avant l’incident avec ton frère.
Les renseignements indiquent qu’ils auraient pu être des bizuts lors du
coup.
Je me frotte la bouche, et ma barbe du matin est rugueuse sous ma main
tandis que je réfléchis.
— Je ne travaille pas avec les motards. En général, ils gèrent leurs propres
affaires, et n’ont pas besoin d’externaliser. Mais j’ai eu affaire à eux une
fois ou deux. Avant de laisser un bizut entrer dans le groupe, ils lui font
commettre un crime et donnent les preuves au club pour qu’il les conserve
contre lui. Alors la mort de Jeremy…
— Je ne sais pas, dit Thomas en haussant les épaules. Mais Bulger est
toujours là. Le dossier indiquait sa dernière adresse connue, mais il est dans
la nature en ce moment, il se cache avec ses frères motards par mesure de
sécurité pour se distancer des récentes conneries du club. Il figure sur une
liste de mandats d’arrêt du FBI plus longue que mon bras.
— Merci, lui dis-je avec franchise.
Thomas incline la tête et garde une expression prudemment neutre.
— Que vas-tu faire de ces informations ?
Je marque un temps d’arrêt, songeant à la manière de le formuler alors que
tout le monde autour de la table retient son souffle.
— Avant, ma réponse aurait été simple, dis-je enfin. Je serais parti en guerre
contre toutes les personnes impliquées et j’aurais laissé une rivière de sang
dans mon sillage. Le châtiment et la vengeance mélangés à une soif de sang
sauvage, au mépris de ma réputation de précision.
Tout le monde retient encore sa respiration.
— Et maintenant ?
— Pour l’instant, ma seule préoccupation est de m’assurer que Bella est en
sécurité et que Blackwell ne se mêle plus de sa vie. Je dois croire que
Jeremy le comprendrait.
Le sourire de Bella est triste, mais compréhensif.
— Il voudrait que tu vives, que tu ne sois pas entraîné plus loin dans
l’obscurité. Tu y as passé assez de temps.
Je lui donne un baiser, suave par l’émotion et salé par les quelques larmes
qu’elle ne peut retenir, sachant que je la choisis au lieu de tout ce pour quoi
j’ai vécu ces dernières années. C’est une chose de dire que je le ferai quand
l’opportunité de faire payer les tueurs de mon frère n’est qu’une vague et
indéfinissable possibilité. Choisir de vivre avec elle quand l’autre option
s’offre à moi est une autre paire de manches.
Mais malgré tout, c’est elle que je choisis, et je le ferais encore et encore.
Mia et Char s’extasient à l’unisson :
— Ooooh, il l’aime.
Et je ne peux m’empêcher de sourire en voyant le rouge envahir les joues
de Bella. Elle n’a pas l’habitude d’être le centre de l’attention, même avec
ses amis. Dans une certaine mesure, je crois qu’elle s’est cachée la majeure
partie de sa vie. Elle dit qu’elle était « endormie au volant », qu’elle se
contentait de suivre le mouvement comme un hamster dans une roue, parce
qu’elle devait continuer à le faire sous peine de voir le château de cartes
dans lequel elle vivait s’écrouler.
Mais elle se détend lentement dans notre nouvelle réalité, où le réfrigérateur
est rempli de nourriture, les factures sont facilement réglées et elle n’a pas
besoin de se tuer à la tâche pour garder la tête hors de l’eau.
J’apprécie tout ce que ses amis ont fait pour ma princesse avant que je ne la
rencontre, en l’aidant en douce quand ils le pouvaient, en prenant de ses
nouvelles et en étant tout simplement ses meilleurs amis.
— Vous êtes en deuxième position sur ma liste parce que Bella vous aime
tous profondément. Bulger descend sur la liste pour atteindre au moins la
troisième place.
C’est une chose difficile à dire, mais je suis un homme dur. J’ai pris la
décision de mettre fin à la vie des autres plusieurs fois, mais cette fois, je
décide de vivre la mienne.
Je pense que Bella a raison. C’est ce que Jeremy voudrait pour moi, il serait
heureux que j’aie trouvé quelqu’un, et j’ose même dire que je pense qu’il
aimerait Bella et le fait qu’elle me fait haleter sur son passage comme un
chien en rut.
Je n’aurais jamais cru voir ce jour, dit Jeremy dans mon esprit, en mimant
un fouet. Quel obsédé !
Je souris et lui réponds dans ma tête. Oh que oui, mais il y a de quoi !
Même sauvé, je ne suis toujours pas le Prince Charmant aux mots doux,
mais Bella ne semble jamais se formaliser de mes pensées lubriques, surtout
quand je les partage avec elle.
Mais avant de me retrouver avec une érection à la table du dîner et de la
soulever pour courir vers la chambre d’amis, j’essaie de me concentrer sur
la conversation qui m’entoure.
Je demande à Thomas :
— Je fais ma part pour assurer la sécurité de Bella, mais tu as dit que tu
voulais un peu de temps sur la question de Blackwell. Tu as du nouveau, ou
je pourrais t’aider à quelque chose ?
J’avais vraiment envie de tuer Blackwell moi-même, de me précipiter dans
sa tour chic et de l’éliminer. Ou d’attendre qu’il sorte et le tuer dans les rues
de cette ville qu’il pense posséder.
Mais le fait est que, depuis que je lui ai envoyé la tête de Jericho, il vit en
ermite, pratiquement 24 heures sur 24 dans sa tour, alternant entre son
bureau et son appartement. Et toujours avec une armée complète de
sécurité. Ce ne serait pas ma mission la plus difficile, mais je ne fais pas
confiance à Blackwell. Il doit avoir un plan pour me balancer s’il venait à
disparaître ou à mourir. C’est un homme intelligent, il sait que je l’ai dans
ma ligne de mire, et ce serait logique de sa part de prévoir en conséquence.
Alors je me suis retiré et je patiente dans les coulisses pendant que Thomas
fait la guerre dans un style très différent du mien.
Mia répond :
— On fait des progrès. J’ai fait une analyse complète des avoirs et des
investissements de Blackwell, en évaluant quelles branches de sa hiérarchie
commerciale sont les plus vulnérables, que ce soit financièrement ou
personnellement. J’ai trouvé plusieurs options de reprise stratégique ou de
destruction pure et simple.
Elle se met à parler de faits et de chiffres, et je perds le fil de sa pensée
autour de la quatrième décimale d’un pourcentage du rapport trimestriel sur
les pertes et profits d’une entreprise.
Thomas lui sourit comme si elle récitait de la prose romantique ou des
termes sexuels obscènes, ce qui n’a aucun sens pour moi, car les
mathématiques sont pour moi le neuvième cercle de l’enfer.
Finalement, il prend le relais et je comprends ce qu’il dit.
— Pour faire court, j’ai fait une offre publique d’achat hostile réussie pour
l’Aluminium de Danver ce matin. Ils sont maintenant sous le parapluie de
Goldstone.
— Et pourquoi cela importe-t-il ? m’enquiers-je.
Thomas prend alors la parole et raconte que sa société a fait une offre pour
le contrat de Danver des années auparavant, mais qu’elle a perdu au profit
d’un consortium chinois. De fait, ils ont dû se lancer dans une activité
commerciale au lieu de conserver leurs contrats militaires.
Mia a découvert que Blackwell détenait une part considérable de la société,
qu’il avait probablement orienté leur décision contre Goldstone et qu’il
cumulait en fait les bénéfices en détenant également un pourcentage de vote
dans la société chinoise qui achète les pièces d’avion. On dirait une version
compliquée d’un jeu de bonneteau, où l’argent entre et sort du pays et des
entreprises pour maximiser la marge bénéficiaire.
— Mais à présent, je suis actionnaire majoritaire de Danver, et la priorité est
de couper tous les liens avec les entités étrangères et de faire une nouvelle
demande pour l’accord militaire, conclut Thomas.
— En dehors des contrats, tu ne donnes pas l’impression de faire la guerre à
Blackwell, mais plutôt que tu fais des affaires comme d’habitude, protesté-
je. Nous devons agir rapidement pour assurer notre sécurité à tous.
Thomas pince les lèvres.
— Je ne suis pas d’accord. Blackwell a mené une guerre de plusieurs
années contre moi et mon entreprise, allant jusqu’à envoyer des espions et à
essayer de tuer ma famille.
Il tourne les yeux vers Bella, qui sursaute devant cette étiquette avant que
son regard s’adoucisse.
Il me dit :
— Ton style est rapide, décisif, et c’est justifié dans certaines situations.
Bon sang, si tu en as l’occasion, élimine-le, merde ! Mais en attendant, je
dois jouer intelligemment, être méthodique. Récupérer une entreprise dont
il a activement travaillé à me priver est un premier pas stratégique, un signe
de ce qui est à venir.
La voix de Thomas est devenue froide.
— Blackwell sera détruit d’une manière ou d’une autre, mais son héritage,
la chose qu’il convoite le plus, sera également décimé. C’est ça que je veux.
Char lève la main comme si nous étions à l’école primaire et demande à
Thomas :
— Tu te rends compte que tu as l’air aussi cinglé que lui, n’est-ce pas ?
Mia défend Thomas.
— Mais il le fait pour le bien de tous, pas parce que c’est un connard en
haut d’une tour, atteint d’un complexe de Dieu narcissique. Il est comme le
roi maléfique de Roseboro.
Char rit.
— Tu marques un point.
Thomas regarde Mia et elle soupire.
— Cependant, il y a autre chose, Charlotte. Nous pensons que tu as besoin
de sécurité. Thomas et moi en bénéficions déjà ici, dans la tour, et nous
emmenons des gardes avec nous quand nous sortons. Izzy a sa propre
protection personnelle avec l’amoureux transi, là-bas, qui la suit partout où
elle va. Gabe a raison de dire que nous ne savons pas ce que Blackwell
prépare ensuite, et la dernière chose dont nous avons besoin est qu’il s’en
prenne à toi comme il l’a fait avec Izzy.
Charlotte secoue la tête, et même si j’étais déjà d’accord avec le plan pour
lui trouver une protection quelconque, je laisse Mia et Thomas la
convaincre.
Thomas ajoute :
— Le bâtiment de la boulangerie sera doté d’un système de sécurité de
premier ordre, avec des caméras. Mais ça ne suffira pas à te protéger sur le
moment si quelque chose se produit, ni sur le trajet entre le travail et la
maison, ni partout où tu vas.
Même si le reste de notre conversation a oscillé entre des sujets plus légers
et plus lourds, c’est ce moment qui donne vraiment le ton. Il y a un éléphant
dans la pièce, un risque très réel qui plane sur chacun d’entre nous, mais pas
plus que sur Thomas. La pression que cette responsabilité ajoute à ses
épaules est sans doute épuisante, mais il la supporte tel Atlas, ne se battant
que pour protéger ceux qui l’entourent d’un adversaire imprévisible qu’il
n’a jamais vu venir et qui ne reculera devant rien pour mettre son plan de
destruction à exécution.
— Je vais y réfléchir, concède Charlotte.
Mais quand je regarde dans les yeux de Thomas, je comprends que, qu’elle
soit d’accord ou non, Charlotte aura un service de protection. Je note de lui
fournir une courte liste d’options possibles, des types valables qui se
fondront dans sa vie quotidienne sans se faire remarquer, mais qui pourront
être mortels et décisifs en cas de besoin.
Changeant de sujet, elle ajoute :
— Et sur cette note, puis-je suggérer que nous revisitions les tests de mes
recettes ? J’ai un gâteau au chocolat infusé au Kahlua avec un glaçage au
café et une garniture en grains de café râpés que je meurs d’envie de faire
goûter à tout le monde.
Bella se tient le ventre.
— Bon Dieu, Char. Je ne pourrai plus jamais dormir si je mange ça.
Mais je la taquine :
— Je vais rester debout avec toi et t’occuper, Princesse.
Le fard sur ses joues pâles et la façon dont elle mord sa lèvre inférieure
pleine me disent qu’elle aime cette idée presque autant que moi.
CHAPITRE 41
BLACKWELL
E spèce d’imbécile.
Il croit qu’il progresse contre moi, en jouant à acheter des entreprises
comme si c’était un jeu de Monopoly. Comme si les tueurs à gages étaient
la pire chose que je pouvais faire contre son existence pathétique. Le
recours à l’Ange déchu avait été un geste calculé, et si je suis déçu que le
jeu n’ait pas abouti à la conclusion souhaitée, ce n’était qu’une de mes
attaques planifiées.
Le Golden Boy n’a aucune idée de ce contre quoi il se bat, des bassesses
auxquelles je me livrerai pour le démolir et assurer ma place légitime de
créateur de Roseboro pour toujours.
Surtout maintenant qu’il perçoit la cible que j’ai sur son dos depuis des
années. Je prie le Dieu qui pourrait éventuellement écouter un monstre
comme moi pour que le point laser le brûle vivement, qu’il se sente accablé
par la menace très réelle que je souhaite mettre à exécution.
Il n’est peut-être pas un adversaire digne de ce nom, loin d’être à mon
niveau, mais personne ne l’est vraiment. Mais en ce qui me concerne, le jeu
vient de devenir intéressant.
Il mène une guerre, en raisonnant comme l’homme d’affaires qu’il a
toujours été, d’un point A à un point B, en envisageant d’éventuelles voies
de garage. Je prépare la destruction totale de son existence, une destruction
qu’il ne pourra jamais imaginer et dont il ne pourra certainement pas se
remettre.
Et les plans ont déjà été mis en œuvre, me dis-je avec un sourire satisfait.
Mon désordre face à sa netteté. Mon chaos face à son ordre. Mon règne
souverain face à son leadership démocratique.
Ma force face à sa faiblesse, celle dont il n’a même pas encore conscience.
Mais je vais veiller à y remédier. Dès que la dernière pièce du puzzle se
mettra en place.
ÉPILOGUE
GABRIEL