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INVITATION AU VOYAGE

Séance 4: Apprend-on toujours quelque chose au cours d’un voyage?

Synthèse (40 points)

Vous réaliserez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents


suivants:
Document 1: Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde (2005)
Document 2: Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932)
Document 3: Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes (1932)
Document 4: Sean Penn, Into the Wild (2007)

Écriture personnelle (20 points)

Qu’est-ce qui pousse les humains à voyager ?


Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant
sur les documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances
personnelles.
Sylvain Tesson, Petit traité sur l’immensité du monde (2005)

Les internautes naviguent dans les corridors virtuels du cyberworld, des


hordes en roller transhument dans les couloirs de bus. Des millions de têtes sont
traversées par les particules ondulatoires des SMS. Des tribus de vacanciers pareils
aux gnous d’Afrique migrent sur les autoroutes vers le soleil, le nouveau dieu!
C’est en vogue: on court, on vaque. On se tatoue, on se mondialise. On se
troue de piercings pour avoir l’air tribal. Un touriste s’envoie dans l’espace pour vingt
millions de dollars. “Bougez-vous!” hurle la pub. “A fond la forme!” On se connecte,
on est joignable en permanence. On s’appelle pour faire un jogging. L’Etat étend le
réseau de routes: la pieuvre de goudron gagne. Le ciel devient petit: il y a des
collisions d’avions.
Pendant que les TGV fusent, les paysans disparaissent. “Tout fout le camp”,
disent les vieux qui ne comprennent rien. En fait, rien ne fout le camp, ce sont les
gens qui ne tiennent plus en place. Mais ce nomadisme-là n’est qu’une danse de
Saint-Guy.
C’est la revanche d’Abel. Selon la Bible, Caïn, le paysan, à tué son frère Abel,
le berger, d’un coup de pierre à la tête. Ce geste fut à l’origine des hostilités entre les
cultivateurs et les nomades. Depuis, l’ordre du monde reposait sur la puissance des
premiers: la charrue était supérieure au bâton du pâtre. Mais les temps du
néo-nomadisme sont arrivés!
Le nomadisme historique, lui, est une malédiction des peuples éleveurs
poussant leurs bêtes hors de la nuit des temps et divaguant dans les territoires
désolés du monde, à la recherche de pâturages pour leur camp. Ces vrais nomades
sont des errants qui rêveraient de s’installer. Il ne faut pas confondre leurs lentes
transhumances, inquiètes et tragiques, avec les tarentelles que dansent les
néo-agités du XXIe siècle, au rythme des tendances urbaines.
Il est cependant une autre catégorie de nomades. Pour eux, ni tarentelle ni
transhumance. Ils ne conduisent pas de troupeaux et n’appartiennent à aucun
groupe. Ils se contentent de voyager silencieusement, pour eux-mêmes, parfois en
eux-mêmes. On les croise sur les chemins du monde. Ils vont seuls, avec lenteur,
sans autre but que celui d’avancer.
Comme le requin que son anatomie condamne à nager perpétuellement, ils
vivent en mouvement. Ils ressemblent un peu aux navettes de bois qui courent sans
aucun bruit sur la trame des hautes lisses et dont les allées et venues finissent par
créer une tapisserie. Eux, ils tissent un destin, pas à pas. Le défilement des
kilomètres suffit à donner un sens à leur voyage. Ils n’ont pas de signes de
reconnaissance, pas de rites. Impossible de les assimiler à une confrérie: ils
n’appartiennent qu’au chemin qu’ils foulent. Ils traversent les pays autant que les
époques et, selon les âges, ils ont reçu des noms différents: moines-mendiants,
troubadours, voyageurs, hobos ou beatnik, ermites des taïgas, cavaliers au long
cours, trappeurs ou coureurs des bois, vagabonds, Wanderer ou Waldgänger,
errants ou loups des steppes… Leur unique signe distinctif: ne pas supporter que le
soleil, à son lever, parte sans eux.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit (1932)

Justement la guerre approchait de nous deux sans qu’on s'en soye rendu
compte. Cette brève mais vivace discussion m’avait fatigué. Et puis, j’étais ému
aussi parce que le garçon m’avait un peu traité de sordide à cause du pourboire.
Enfin, nous nous réconciliâmes avec Arthur pour finir, tout-à-fait. On était du même
avis sur presque tout.
“C’est vrai, t’as raison en somme, que j’ai convenu, conciliant, mais enfin on
est tous assis sur une grande galère, on rame tous à tour de bras, tu peux pas venir
me dire le contraire! … Assis sur des clous même à tirer tout nous autres! Et
qu’est-ce qu’on en a? Rien! Des coups de trique seulement, des misères, des
bobards et puis des vacheries encore. On travaille! qu’ils disent. C’est ça encore
qu’est plus infect que tout le reste, leur travail. On est en bas dans les cales à
souffler de la gueule, puants, suintant des rouspignolles, et puis voilà! En haut sur le
pont, au frais, il y a les maîtres et qui s’en font pas, avec des belles femmes roses et
gonflées de parfums sur les genoux. On nous fait monter sur le pont. Alors, ils
mettent leur chapeau haut-de-forme et puis ils nous en mettent un bon coup de la
gueule comme ça: “Bandes de charognes, c’est la guerre! qu’ils font. On va les
aborder, les saligauds qui sont sur la patrie n°2 et on va leur faire sauter la caisse!
Allez! Allez! Y a de tout ce qu’il faut à bord! Tous en chœur! Gueulez voir d’abord un
bon coup et que ça tremble: Vive la patrie n°1! Qu’on vous entende de loin! Celui qui
gueule le plus fort, il aura la médaille et la dragée du bon Jésus! Nom de Dieu! Et
puis ceux qui ne voudront pas crever sur mer, ils pourront toujours aller crever sur
terre où c’est fait bien plus vite encore qu’ici!”
-C’est tout-à-fait comme ça!” que m’approuva Arthur, décidément devenu
facile à convaincre.
Mais voilà-t-y pas que juste devant le café où nous étions attablés un
régiment se met à passer, et avec le colonel par-devant sur son cheval, et même
qu’il avait l’air bien gentil et richement gaillard, le colonel! Moi, je ne fis qu’un bon
d’enthousiasme.
“J’vais voir si c’est ainsi!” que je crie à Arthur, et me voici parti à m’engager, et
au pas de course encore.
“T’es rien con Ferdinand!” qu’il me crie, lui Arthur en retour, vexé sans aucun
doute par l’effet de mon héroïsme sur tout le monde qui nous regardait.
Ca m’a un peu froissée qu’il prenne la chose ainsi, mais ça m’a pas arrêté.
J’étais au pas. “J’y suis, j’y reste!” que je me dis.
“On verra bien, eh navet!” que j’ai même encore eu le temps de lui crier avant
qu’on tourne la rue avec le régiment derrière le colonel et sa musique. Ca s’est fait
exactement ainsi.
Alors on a marché longtemps. Y en avait plus qu’il y en avait encore des rues,
et puis dedans des civils et leurs femmes qui nous poussaient des encouragements,
et qui lançaient des fleurs, des terrasses, devant les gares, des pleines églises. Il y
en avait des patriotes… La pluie est tombée, et puis encore de moins en moins et
puis plus du tout d’encouragements, plus un seul, sur la route.
Nous n’étions donc plus rien qu’entre nous? Les uns derrière les autres? La
musique s’est arrêtée. “En résumé, que je me suis dit alors, quand j’ai vu comment
ça tournait, c’est plus drôle! C’est tout à recommencer!” J’allais m’en aller. Mais trop
tard! Ils avaient refermé la porte en douce derrière nous les civils. On était faits,
comme des rats.
Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes (1932)

Quand ils furent à mi-chemin du sommet, un aigle passa si près d’eux dans
son vol que le vent de ses ailes leur fouetta d’un souffle frais le visage. Dans une
crevasse du rocher gisait un tas d’ossements. Tout était bizarre et donnait une
sensation d’oppression.

Un bruit de pas amortis les fit se retourner. Nu depuis la gorge jusqu’au


nombril, le corps brun foncé badigeonner de raies blanches (“comme des courts de
tennis en asphalte”, devait expliquer plus tard Lenina), le visage rendu inhumain par
des bariolages d’écarlate, de noir et d’ocre, deux Indiens arrivaient en courant le
long du sentier. Leurs cheveux noirs étaient tressés avec de la fourrure de renard et
de la flanelle rouge. Un manteau en plumes de dindon leur flottait autour des
épaules, d’énormes diadèmes de plumes leur lançaient autour de la tête des éclats
aux tons voyants. A chaque pas qu’ils faisaient, s’élevaient le tintement et le cliquetis
de leurs bracelets d’argent, de leurs lourds collier d’os et de perles de turquoise. Ils
s’approchaient sans mot dire, courant sans bruit dans leurs mocassins en peau de
daim. L’un d’eux tenait un plumeau: l’autre portrait, dans chacuune de ses mains, ce
qui paraissait être de loin trois ou quatre bouts de corde épaisse. L’une des cordes
se tordait de façon inquiétante, et Lénina vit soudain que c’étaient des serpents.

Les hommes s’approchèrent, de plus en plus près; leurs yeux sombres la


dévisagèrent; mais sans donner aucun signe de reconnaissance, ni le moindre
indice qu’ils l’eussent vue ou eussent conscience de son existence. Le serpent qui
s’était tordu pendait, à présent, mollement, avec les autres. Les hommes passèrent
leur chemin.
-Ca ne me plaît pas, dit Lenina. Ça ne me plaît pas.
Ce qui l’attendait à l’entrée du pueblo lui plut encore moins, lorsque leur guide
les eut laissés pendant qu’il entrait pour recevoir des instructions. La saleté, tout
d’abord, les piles d’immondices, la poussière, les chiens, les mouches. Le visage de
Lenina se plissa en une grimace de dégoût. Elle porta son mouchoir à son nez.
Mais comment peuvent-ils vivre comme cela? laissa-t-elle éclater d’une voix
pleine d’incrédulité indignée. Ce n’était pas possible.)

Bernard haussa philosophiquement les épaules.


- Quoiqu’il en soit, dit-il, voilà cinq ou six mille ans qu’ils le font. De sorte que je
suppose qu’ils doivent y être habitués, à présent.
Photogramme du film Into the Wild, réalisé par Sean Penn (2007)

Into the Wild raconte l’histoire vraie d’un étudiant américain qui renonce à un avenir
confortable pour parcourir l’Amérique du Nord en auto-stop.

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