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AU CŒUR DES BANLIEUES

Séance 2: De la tentation du repli communautaire à l’expression de la révolte

Synthèse (40 points)


Vous réaliserez une synthèse concise, ordonnée et objective des documents
suivants:
1) Akram B. Ellyas, « Replis communautaires à Sarcelles », Le Monde diplomatique
(2006)
2) Dessin de Lasserpe sur le plan « Espoir Banlieues » (2008)
3) Léonora Miano, « Filles du bord de ligne », Afropean Soul et autres nouvelles (2008)
4) Laurent Mucchielli, Quand les banlieues brûlent... Retour sur les émeutes de
novembre 2005 (2007)

Écriture personnelle (20 points)


Selon vous, la marginalisation des banlieues est-elle la cause de la crise qui s’y joue?
Vous répondrez à cette question d’une façon argumentée en vous appuyant sur les
documents du corpus, vos lectures de l’année et vos connaissances personnelles

2
Akram B. Ellias, « Replis communautaires à Sarcelles », Le Monde diplomatique
(2006)

Première constatation : le temps des « potes » est bel et bien terminé. Les jeunes ne
jurent désormais que par la « communauté » ou par la « religion » et ne croient plus au
métissage. « Les nouvelles générations se regroupent selon l’origine ethnique ou
religieuse et non plus selon les critères habituels de voisinage. On est d’abord juif, arabe
ou noir. Il ne faut pas, bien entendu, généraliser cela à toutes les cités, mais c’est la
tendance la plus significative, et même les parents se laissent emporter par le discours
identitaire », reconnaît une assistante sociale qui travaille à Sarcelles depuis plus de vingt
ans. Hier comparée à un havre de tolérance du fait de la multiplicité de ses populations, la
ville semble tentée par le repli communautaire. On reste délibérément « entre soi » et, si
l’on a affaire à un journaliste, on ne se prive pas d’accuser avec hargne les « autres »
d’être à l’origine des problèmes de la cité.

A l’ombre des tours, les trois grandes familles s’épient, se chamaillent et en arrivent
parfois aux pires extrémités. Phrases recueillies au hasard et qui reviennent comme des
échos insupportables. « La majorité des bagarres entre adolescents est due aux Noirs. Il
faut voir ce qu’ils nous font endurer. Leur manière de montrer qu’ils sont français, c’est
d’être agressifs et de mettre tout le monde, même leurs compagnons de misère, sur la
défensive », clame à voix haute un épicier d’origine marocaine. « Les Arabes ne se disent
plus maghrébins mais musulmans. C’est une manière de rompre tout lien avec nous,
notamment les juifs d’origine séfarade. On n’est plus cousins, mais ennemis en religion.
C’est vraiment inquiétant car, jusqu’à présent, il y avait une sorte d’alliance bienveillante
entre nous. Tout cela remonte à l’apparition des militants islamistes1 qu’on a laissé
essaimer dans la ville », s’indigne André, propriétaire d’une petite boutique au centre
commercial des Flânades. « Les juifs ne veulent pas de nous à Sarcelles. Ils sont prêts à
tout pour nous chasser et refusent systématiquement de nous vendre ou louer des
appartements », s’insurge Antoine, un fonctionnaire d’origine antillaise.

La ville devient ainsi un territoire que l’on doit garder « pour les siens » en affrontant,
même violemment, les autres, suspectés de vouloir s’étendre à tout prix. Le Front National
pourrait bel et bien être le premier bénéficiaire de cette situation. Présents sans relâche
sur le terrain, ses militants, lorsqu’ils ont affaire à des « Français de souche », ont bien
entendu recours avec de plus en plus de succès au discours xénophobe. Mais la
nouveauté est que ces croisés de la préférence nationale2 savent aussi utiliser au mieux
les tensions communautaires en faisant des Maghrébins des interlocuteurs privilégiés.

Les paroles violentes et antisémites de certains textes de rap figurent aussi au banc des
accusés. « Cette culture des ghettos importée des Etats-Unis va nous faire très mal,
avertit le responsable d’une association. Les jeunes, surtout ceux qui ont entre 8 et 12
ans, se fondent dans un moule qui n’a rien à voir avec la réalité française mais qui risque
de le devenir. » Si des groupes qui prônent les tolérance, tels que MC Solaar ou Alliance

1 L’islam est le nom qui désigne la religion des musulmans, fondée sur le Coran et prêchée par
Mahomet ; islamique est l’adjectif qui s’applique à ce qui se rapporte à l’islam ; islamiste est un
adjectif et un nom se rapportant à l’islamisme, mouvement politique et religieux qui prône le
respect et l’expansion de l’islam.
2 Les croisés de la préférence nationale : ces défenseurs de la préférence nationale,
proposition du Front nationale, qui consisterait à accorder la priorité aux personnes de nationalité
française pour l’accès au logement et aux services sociaux.
Ethnik, conservent un certain crédit, les formations underground qui se contentent de
traduire les textes américains ont le vent en poupe.
« Qu’allons-nous faire de ces jeunes qui ne jurent que par la baston, l’embrouille ou le
territoire ? Qu’allons-nous faire de ces gamins qui ne sont pas encore adolescents et qui
ne rêvent que d’une seule chose : posséder une arme à feu et créer leur propre gang ? »
s’inquiète une institutrice...
Dessin de Lasserpe sur le plan « Espoir Banlieues » (2008)
Léonora Miano, « Filles du bord de ligne », Afropean Soul et autres nouvelles (2008)

La rue ne leur était pas ce qu’elle est pour tant d’autres. La ligne de jonction entre deux
points. Pour elles, c’était l’espace. Celui qui manquait dans les logements où trop de frères
et sœurs s’agglutinaient, où on se marchait les uns sur les autres, où on devait attendre
son tour pour faire ses devoirs sur la table d’une pièce dont ne savait si elle était chambre,
cuisine ou salle de séjour. Elles faisaient rarement leurs devoirs. Cela ne leur disait rien. Et
puis, il y avait trop de monde autour. Trop de voix. Trop de visages portant la marque de
cent déconfitures3 , de mille frustrations. Ce qu’elles voulaient, c’était rire un peu. Dépenser
l’énergie que la pièce exiguë comprimait. Echapper à la rengaine sur les traditions, à
l’obligation faite aux filles de bien se comporter, parce que leur conduite attestait la
moralité des familles. Les parents n’avaient plus que cela : l’idée qu’ils se faisaient de la
morale. Ils s’y cramponnaient parce que tout le reste les avait fuis.

Quand elles avaient le cœur léger, elles se passaient le lecteur mp3 que possédait
l’une d’elles. Elles dansaient dans la rue.

Leurs danses avaient quelque chose d’extrême. La gestuelle débridée de cœurs en


quête d’amour, sans savoir ni où, ni comment le trouver. Certains passants n’appréciaient
pas le spectacle, disaient les trouver vulgaires. Elles ne savaient pas vraiment ce que
signifiait ce mot, mais le ton sur lequel on le leur lançait leur déplaisait. Alors, elles
éteignaient la musique. Elles écartaient un peu les jambes pour prendre appui sur le
bitume, et elles répondaient. Elles criaient comme on crache. Insultaient les passants,
même quand il s’agissait de vieilles dames pouvant être leurs grand-mères. Elles
menaçaient de passer voir chez eux les importuns. Elles mettraient tout à sac. Ne
laisseraient que des lambeaux. Un rien les blessait. La moindre parole jugée méprisante.
Le moindre regard désapprobateur4 . Bien des gens ne passaient plus par là. Les voyant
dans la rue, on faisait un détour. On leur laissait l’espace. Elles dansaient de plus belle.
Parfois, elles regrettaient de n’avoir qu’un mp3 à faire tourner d’une paire d’oreille à
l’autre. Elles auraient voulu quelque chose de plus grand. Un appareil dont le son aurait pu
emplir l’air de la rue. Elles danseraient toutes en même temps. Mais le ghetto blaster5 était
passé de mode.

Quand elles n’avaient pas le cœur à danser et qu’il leur fallait tout de même dépenser
cette énergie qu’elles ne maîtrisaient pas, il leur arrivait de quitter leur territoire. Elles
grimpaient dans un bus sans payer, s’asseyaient au coin d’une autre rue. Tapies derrière
une vieille voiture maculée de tags et de fientes de pigeons, elles guettaient. D’autres
filles. Celles qui avaient tout ce dont elles étaient privées. Un grand appartement, une
famille non élargie, des vacances à la mer, des séjours à l’étranger. Des filles aux cheveux
longs, naturellement lisses. Se jetant sur elles, elles leur assénaient des coups, leur
taillaient le visage à l’aide de morceaux de sucre6 qu’elles gardaient par-devers elles. Ils
étaient aussi redoutables qu’une lame. Elles emportaient des trophées : un blouson, une
paire de baskets dernier cri, le souvenir, surtout, de l’effroi dans les yeux bleus.

3 Déconfitures : échecs complets.


4 Désapprobateur : traduisant un jugement défavorable.
5 Ghetto blaster : gros lecteur de cassette, en vogue dans les années 1980.
6 Les blessures infligées avec un morceau de sucre cicatrisent mal.
Laurent Mucchielli, Quand les banlieues brûlent... Retour sur les émeutes de
novembre 2005 (2007)

Certains émeutiers évoquent d’abord les événements de Clichy-sous-Bois7 , surtout


pour dire que la police en est responsable et que le ministre de l’Intérieur8 a tenté de le
dissimuler. En réalité, à une exception près (un jeune ayant des amis à Clichy), le drame
initial est évoqué sans plus d’émotion. Plusieurs insistent en revanche sur la grenade
lacrymogène tirée en direction de la mosquée et, là encore, c’est moins la grenade elle-
même qui les révolte que l’absence d’excuses de la police. Dans les deux cas, c’est donc
ce qui est considéré comme un déni et un mensonge de la part des autorités qui fonde
l’indignation et le sentiment de légitimité morale de la colère émeutière.

Ensuite, en réponse à la question du « pourquoi » de leur conduite, les émeutiers parlent


tous, avec une profusion de détails, de leur propre expérience de vie. C’est elle qui nourrit
en profondeur la « rage » qu’ils ressentent. La question se déplace alors vers le contenu
de cette expérience, que l’ont peut résumer en un vécu d’humiliations multiples
accumulées. Certains racontent des expériences de discrimination à l’embauche, voire
font du racisme une explication généralisée. La plupart font remonter leur sentiment
d’injustice et d’humiliation à l’école. Enfin, tous, sans exception, le lient avec le
comportement des policiers.

Ainsi, la vengeance envers les policiers peut être considérée comme la principale
motivation des émeutiers, a fortiori lorsque – de nombreux témoignages convergent en ce
sens – cette police ne s’est pas contentée de subir la violence des jeunes mais est parfois
venue la provoquer (par exemple en se déployant massivement et en multipliant les
contrôles et les provocations verbales dans des quartiers où il n’y avait pas encore eu
d’incidents). Cela peut étonner tant le discours médiatico-politique dissimule ces rapports
de force, ces provocations, ces violences et ces vengeances qui structurent au quotidien
les rapports entre groupes de jeunes et groupes de policiers et qui constituent une
dimension majeure de l’expérience de vie de ces jeunes. Méconnaître cette réalité, c’est
s’interdire de comprendre le déclenchement et le déroulement des émeutes. C’est aussi
s’interdire de comprendre pourquoi les discours du ministre de l’Intérieur ont cristallisé le
sentiment d’humiliation de ces jeunes et ont eu un impact réel : avant les émeutes, ils ont
contribué à « chauffer les esprits », pendant les émeutes ils ont jeté de l’huile sur le feu.

Par ailleurs, pour une moitié des émeutiers rencontrés, en particulier ceux qui sont sortis
du système scolaire, qui se trouvent sans travail et souvent dans la délinquance de survie
comme le petit trafic de cannabis, l’agressivité et le ressentiment s’expriment aussi à
l’égard d’une institution : l’école. Cela peut contribuer à expliquer une autre caractéristique
de ces émeutes, à savoir le nombre inédit de bâtiments scolaires touchés.

Ainsi, l’école symbolise, aux yeux de ces jeunes, l’institution qui a « gâché [leur] avenir »,
c’est- à-dire qui leur a fermé la possibilité d’une insertion dans la société et les a fortement
humiliés. Ils accusent de surcroît les enseignants d’être des personnes hypocrites tenant

7 Clichy-sous-Bois : ville de la banlieue parisienne, en Seine-Saint-Denis. Le 27 novembre 2005,


lors d’un contrôle d’identité, deux adolescents de la ville prirent la fuite devant les policiers.
Réfugiés dans un poste électrique, ils s’électrocutèrent mortellement. Lors des affrontements
entre jeunes et forces de l’ordre qui s’ensuivirent, des policiers lancèrent une grenade
lacrymogène vers la mosquée de Clichy-sous-Bois. Ces incidents furent le point de départ des
émeutes.
8 Nicolas Sarkozy, sous la présidence de Jacques Chirac.
un discours sur la réussite que démentiraient leurs pratiques conduisant à marginaliser9
ces jeunes issus de l’immigration dans les classes, à ne pas leur apporter l’aide dont ils
ont d’autant plus besoin que leurs parents ne peuvent pas les soutenir sur ce plan.

9 Marginaliser: Mettre à l’écart.

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