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Studi Francesi

Rivista quadrimestrale fondata da Franco Simone 


197 (LXVI | II) | 2022
La loupe du lecteur. Proust et les enjeux de la lecture

LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT, Milwaukee blues

Stéphane Saintil

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/studifrancesi/50509
DOI : 10.4000/studifrancesi.50509
ISSN : 2421-5856

Éditeur
Rosenberg & Sellier

Édition imprimée
Date de publication : 1 août 2022
Pagination : 464-465
ISSN : 0039-2944
 

Référence électronique
Stéphane Saintil, « LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT, Milwaukee blues », Studi Francesi [En ligne], 197 (LXVI | II) |
 2022, mis en ligne le 01 octobre 2022, consulté le 19 novembre 2022. URL : http://
journals.openedition.org/studifrancesi/50509  ; DOI : https://doi.org/10.4000/studifrancesi.50509

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Louis-Philippe Dalembert, Milwaukee blues 1

LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT, Milwaukee


blues
Stéphane Saintil

RÉFÉRENCE
LOUIS-PHILIPPE DALEMBERT, Milwaukee blues, Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2021, 281 pp.

1 Avec son dixième roman, Milwaukee Blues, dont le titre sonne comme un écho à une
chanson éponyme de Charlie Poole, Louis-Philippe Dalembert confirme, s’il en était
besoin, sa maîtrise du «non-fiction novel» pour reprendre le terme de Truman Capote. En
effet, le sauvetage d’un bateau de migrants par le pétrolier danois Torm Lotte en 2014
lui avait servi de matière première pour son précédent roman; avec Milwaukee Blues, il
puise une nouvelle fois dans l’actualité pour faire la radiographie d’une société
américaine encore en butte avec les séquelles de son passé esclavagiste, où le traçage
entre ceux dont la vie est digne d’être vécue et les autres dont on peut facilement se
débarrasser s’opère à partir de la couleur de la peau.
2 C’est dans le quartier défavorisé de Franklin Heights situé au nord de Milwaukee que
L.P. Dalembert plante le décor de ce roman choral où les voix – dont sept au total – se
relaient pour conter l’histoire d’Emmett, «garçon au regard doux» élevé par une mère
mi-veuve mi-célibataire, le père ayant abandonné le toit familial sans donner de
nouvelles; ces voix successives dessinent son portrait et tracent son itinéraire de l’école
élémentaire qu’il a fréquentée avec ses camarades Stokely et Autherine jusqu’à sa
tentative d’intégrer la National Football League (NFL) sous l’œil bienveillant du coach
Larry. Après s’être blessé à deux reprises et ayant échoué à être drafté, c’est un jeune
homme désabusé, que les personnes qui l’ont vu grandir peinent à reconnaître, qui
retourne à Milwaukee. À la révérende et ex-matonne Ma Robinson qui lui réclame
d’être plus présent dans la vie de ses filles, il répond «qu’on ne devrait pas revenir sur
ses pas quand on a échoué à accrocher ses rêves à la hauteur de ses ambitions au
moment du départ» (p. 203). «La suite [de l’histoire], la planète entière la connaît dans

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les moindres détails. Tout est sur le Net» (p. 24) comme le dirait le gérant de la
supérette qui, le soupçonnant d’avoir écoulé un faux billet, avait appelé la police pour
le dénoncer…
3 Si tout dans le roman invite à le rattacher à l’affaire Georges Floyd, le récit est d’une
épaisseur qui dépasse la narration de ce meurtre tout en l’englobant: de l’assassinat
d’un adolescent du nom d’Emmett Till dans le Mississippi au milieu des années 1950 au
fredonnement de l’Alabama blues par le petit garçon que fut le héros éponyme du roman
– qui ne prendra jamais la parole sinon qu’en donnant la réplique – en passant par les
grandes marches des années 1960 contre le racisme jusqu’au meurtre par étranglement
d’Éric Garner, survenu avant celui de Georges Floyd et qui a servi de piste à l’auteur,
c’est une véritable grammaire du racisme dans la société américaine que nous livre
l’écrivain.
4 La polyphonie qu’on retrouve dans Milwaukee blues, qui est également une constante
dans l’œuvre de L.P Dalembert, semble s’apparenter à une éthique de la littérature qui
voudrait substituer la nuance de la pluralité à la prétention et à l’arrogance de l’un.
Tout en accentuant le registre personnel, les diverses voix qui racontent la vie
d’Emmett permettent de dégager l’enchevêtrement du drame individuel au drame
collectif. En ce sens, elles livrent en soubassement une analyse de la société américaine
dans ce qui fait sa force et également sa faiblesse: le rêve américain et ses mirages. En
effet, dans l’ombre des stars noires de la NBA et de la NFL qui ont réussi, qu’on voit sur
nos écrans et qu’on adule, il y a une autre réalité occultée qui est celle de tous ces
malheureux prétendants à l’american dream. Ceux qui, comme Emmett, n’ont pas réussi
la course et finissent dans les petits boulots et l’anonymat quand ils ne sont pas
froidement abattus par les bras armés de ce système de concurrence à outrance, qui
réclame aux corps noirs plus de performance qu’il n’en exige des autres.
5 Ce qui rend ce roman singulier, c’est qu’il est loin du pathos et des bons sentiments qui
menacent la littérature quand elle s’aventure dans les sentiers épineux que sont le
racisme et la xénophobie, d’autant que ce racisme s’exerce sur une minorité dans
laquelle l’écrivain peut se reconnaître. Moins qu’un livre sur la mort d’Emmett,
Milwaukee Blues est davantage le roman de sa vie. L.P Dalembert semble avoir fait siens
les mots de Spinoza, «ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais
comprendre». En témoigne le long soliloque du meurtrier d’Emmett, le policier Gordon,
qui contrebalance les points de vue en portant en creux la voix du suprématisme blanc.
6 La solution au racisme ne résiderait pas, à en croire Ma Robinson, dans le mythe de la
terre promise qu’avait nourri le mouvement Back to Africa aux USA: «Ne vous laissez pas
non plus enfermer. Même pas dans ce beau vocable d’Africain-Étasunien avec lequel,
j’avoue, j’ai parfois du mal. D’ailleurs, pourquoi ‘Africain’? Les autres s’appellent-ils
‘Européens-Étasuniens’?» (p. 253). En ce sens, le Ma Robinson Show, qui précède la
marche où l’on verra défiler, entres autres, un juif rasta aux côtés d’une haïtienne, est
significatif du message – si tant est qu’il faille en trouver un – et représente l’un des
points culminants du roman. On peut y voir un écho à Ta-Nehisi Coates quand il écrit
dans Une colère noire, lettre à mon fils que: «ce que je te dis, c’est que tes grands parents
avaient toujours essayé de me dire: ceci est ton pays, ton monde, ton corps, et tu dois
trouver une manière, quelle qu’elle soit, d’y vivre, de vivre avec». On sort de Milwaukee
Blues avec la conviction que la lutte contre le racisme ne doit pas s’épuiser dans la
recherche d’un passé noir à valoriser mais doit travailler à l’avènement d’un «nouvel
humanisme», qu’avait appelé de ses vœux Frantz Fanon (p. 29), qui rendrait obsolètes

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les catégories noir/blanc afin de bâtir une société qui ne serait plus informée par
l’ordre racial» (p. 226).

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