Vous êtes sur la page 1sur 201

200 pages = dos de 8 mm (couché 90g)

Le musée de ville
Histoire et actualités

Le musée de ville

Le musée de ville
Longtemps inscrit dans un schéma classique, centré sur ses collections, le
musée de ville a évolué au rythme de sa diffusion sur tous les continents et
de ses adaptations aux formes successives de la muséologie. Aujourd’hui,
considéré comme un équipement culturel devant répondre aux attentes parfois
Histoire et actualités
divergentes des touristes et de la population locale, le secteur des musées de
ville est particulièrement dynamique et les projets de rénovation et de création
se multiplient.

Cet essor témoigne également de la complexité d’un objet d’étude où s’imbriquent Jean-Louis POSTULA
histoire, urbanisme, modes de vie, diversité culturelle et débats de société…, et Préface d’André GOB
qui conduit à la constitution d’une catégorie de musées résolument originale
et interdisciplinaire.

Richement illustré, cet ouvrage constitue une première synthèse globale d’un
siècle et demi de traitement muséal du thème de la ville dans le monde occidental,
jusqu’à ses développements les plus récents.

Muséologue et docteur en histoire, art et archéologie de l’université de Liège,


Jean-Louis Postula est responsable de la collecte et de la valorisation du patrimoine
culturel immatériel au musée de la Vie wallonne (Liège).

Jean-Louis POSTULA

Diffusion
Direction de l’information
légale et administrative
La documentation Française
Tél. : 01 40 15 70 10
www.ladocumentationfrancaise.fr

9:HSMBLA=U^]YVW:
Imprimé en France
ISBN : 978-2-11-009841-2
DF : 5MM38300
Prix : 22 € dF

Le musée de ville bleu-vert exé.indd 1 16/06/2015 14:51


Le musée de ville
Histoire et actualités
Collection « Musées-Mondes »
Les ouvrages de cette collection s’attachent à décrire et à analyser les
mondes du musée et du patrimoine du point de vue des dynamiques
sociales : changements de l’offre et transformation des publics,
mutations organisationnelles et professionnelles, nouveaux enjeux
de la création et de la patrimonialisation, renouvellement des formats
d’exposition et des styles de réception des œuvres, métamorphose du
rôle de la culture et de la mémoire dans les sociétés contemporaines…
Ouvrages de référence ou de synthèse, actes de colloques, monographies
ou essais, la collection « Musées-Mondes » ne s’impose pas de critères
de forme et accepte les études empiriques comme les analyses
théoriques. Ses approches relèvent des sciences humaines et sociales,
en tant que sciences du questionnement et de l’action : sociologie,
psychologie, anthropologie, ethnologie, philosophie, histoire, sciences
de la communication, économie, gestion… Son propos est de nourrir
le dialogue entre chercheurs et professionnels, dans un langage clair et
un cadre intellectuel rigoureux, à même de satisfaire les exigences de la
formation aux nouveaux métiers du musée et du patrimoine.

Collection dirigée par


Jacqueline EidElman
Adjointe
Mélanie Roustan

Même collection
La Place des publics
Le Musée hybride
Être médiateur au musée
Conservateur de musées et politiques culturelles
La Fabrique du musée de sciences et sociétés
Musées et développement durable
Lieux de mémoire, musées d’histoire
Voyage au musée du quai Branly
Traité d’expologie
Visiteurs photographes au musée
Métamorphoses des musées de société
Les Musées au Maghreb et leurs publics
Documenter les collections des musées
Exposer l’histoire contemporaine
Les conservateurs de musées

« En application du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, une reproduction


partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sans
autorisation de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif de la photocopie met en
danger l’équilibre économique des circuits du livre. »
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2015
ISBN : 978-2-11-009841-2
Musées-Mondes

Le musée de ville
Histoire et actualités

Jean-Louis POSTULA
Préface d’André GOB

La documentation Française
Remerciements
Ce livre est une version abrégée et remaniée de la thèse en Histoire, Art et Archéologie « Le musée
de ville, une nouvelle catégorie muséale ? », soutenue à l’université de Liège le 26 mars 2013, sous la
direction d’André Gob.
Je tiens à présenter mes remerciements sincères à toutes celles et ceux qui m’ont accompagné et
soutenu dans mon projet de recherche et dans la réalisation de cette publication, et en particulier :
–  mon promoteur, André Gob, qui m’a accompagné tout au long de cette aventure, ainsi que les
membres de mon jury de thèse : Jean Davallon, Noémie Drouguet, Marie-Paule Jungblut et Dominique
Poulot, qui ont tous contribué à l’évolution de ma réflexion sur le sujet ;
–  les professionnels de musées qui m’ont ouvert les portes de leur institution et ont consacré de leur
temps à me faire découvrir leur quotidien passionnant : André Delisle, Sylvie Dufresne, Julie Guiyot-
Corteville, Sarah Henry, Ian Jones, Irina Karpenko (et Nadia Voronchikhina pour la traduction simul-
tanée), Renée Kistemaker, Marie-Dominic Labelle, Jean-François Leclerc, Bryan LeMay, Tiina Merisalo,
Louise Mirrer, Joan Roca I Albert, Cathy Ross, Bernhard Schütte, Peter Schwirkmann, Alexander Sotin,
Corinne Ter Assatouroff, Laurent Védrine, Nicole Vallières, Anne Vandenbulcke et Danièle Wagener ;
–  les muséologues et chercheurs rencontrés au détour d’un colloque ou d’un rendez-vous, avec les-
quels les discussions ont toujours été fructueuses : Yves Bergeron, Anna Gabrys, Bernadette Mérenne-
Schumacker, Raymond Montpetit, Marlen Mouliou, Chet Orloff, Habib Saidi et Rainey Tisdale ;
–  pour la Documentation française : Jacqueline Eidelman, Dagmar Rolf et Mélanie Roustan ;
–  mes amis et les membres de ma famille.
La thèse à l’origine de ce travail a été financée entre 2008 et 2012 par le Fonds de la Recherche
Scientifique – FNRS, sous la forme d’un mandat d’aspirant. Plusieurs séjours de recherche à l’étranger ont
en outre été réalisés grâce à des subsides octroyés par l’Administration Recherche et Développement
de l’université de Liège. Je remercie ces deux institutions pour leur soutien.

Ouvrage publié avec le concours du ministère de la Culture et de la Communication


Direction générale des patrimoines, département de la politique des publics
« Le musée comme guide pour la vie de la Cité »
John Van Pelt, 1931
Sommaire

Préface 9
André Gob

Introduction 13

Chapitre 1
Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ? 17
Une étude de discours 17
Une définition impossible à établir 30

Chapitre 2
Les origines et le contexte muséal 33
L’affirmation d’un sentiment national 35
L’émergence d’une dimension locale 41
Un musée au croisement du local et du national 55

Chapitre 3
L’âge classique du musée d’histoire de ville 57
Le musée Carnavalet de Paris, institution fondatrice 57
La diffusion européenne du modèle, à la charnière des xixe et xxe siècles 80
La période 1920-1970 96
De la collection à la démocratisation, vers un changement de paradigme 121

Chapitre 4
Des modèles en mutation 123
Une nouvelle muséologie pour un nouveau regard sur la ville (1970-1990) 123
La diversification des approches, au cours des vingt-cinq dernières années 143

Conclusion 173

Annexe
Les dix-sept événements analysés dans le cadre de la recherche 175

Bibliographie 177
Index 191

7
Préface
André Gob,
professeur de muséologie à l’université de Liège

Le monde des musées est généralement structuré selon des catégories dans les-
quelles se rangent les différentes institutions. Cela permet de réduire l’extrême
diversité des musées, d’y mettre un semblant d’ordre, mais on ne peut pas vrai-
ment parler d’une typologie. En effet, ces catégories de musées ne sont jamais
définies de façon précise, lorsqu’elles le sont. Et pourtant, elles sont omniprésentes
dans la vie des musées.
Dans leur organisation, d’abord. L’instance qui les met en place et qui les fait vivre
– État, autorités locales, associations… – trouve naturel de créer côte à côte un
musée de beaux-arts, un musée d’histoire naturelle, un musée d’ethnographie, etc.
Ces musées vont se voir dotés de structures, de bâtiments, de personnels distincts
et différenciés.
Dans l’esprit du public, ensuite. Le choix du musée, la fréquence et les modali-
tés de visite, et l’attitude même, qui va, selon le type de musée, du recueillement
quasi religieux à des activités ludiques exubérantes, s’imposent tout aussi natu-
rellement au visiteur.
Dans la formation initiale des personnels, enfin. Des biologistes dans les muséums,
des historiens dans les musées d’histoire, des archéologues dans ceux d’archéologie
et des historiens de l’art pour les beaux-arts. Et lorsqu’un diplôme ad hoc n’existe
pas, c’est le musée lui-même qui se charge de l’organiser, comme on l’a vu autrefois
pour l’ethnographie. Les difficultés que rencontrent les formations de muséologie
pour s’imposer parmi les cursus ne sont sans doute pas étrangères à cette attitude.
Les comités internationaux de l’Icom et d’autres institutions internationales, des
réseaux nationaux ou régionaux de musées, tel Musées et Société en Wallonie, par
exemple pour la Belgique francophone, reproduisent largement cette catégorisation.
Les catégories muséales sont essentiellement fondées sur les disciplines du savoir
scientifique, comme s’il était impossible de penser le musée pour lui-même, indé-
pendamment de la discipline à laquelle on le rattache. Dans ces conditions, l’inter-
disciplinarité et la multidisciplinarité, dont on nous vante à juste titre les mérites,
ont bien du mal à s’exercer.
Il faut bien constater que les catégories disciplinaires de musées existent depuis
leur origine, dans la seconde moitié du xviiie siècle. C’est même un signe de l’émer-
gence du véritable musée moderne, fondé sur le rationalisme et la scientificité
des Lumières, qui se distingue ainsi du Collectionnisme poly-thématique qui le
précède. Lorsqu’en 1797, la Commission chargée des saisies révolutionnaires en
Italie expédie à Paris le produit de ses réquisitions, elle spécifie la destination de
son envoi : les sculptures et les tableaux au Musée central des arts (le futur Louvre),
les échantillons et les spécimens naturels au Muséum, les manuscrits et même
les vases « étrusques » à la Bibliothèque nationale. Le musée lui-même constitue
9
Le musée de ville

une catégorie d’institution culturelle qui a dû forger son identité, notamment par
rapport aux bibliothèques et à des entreprises à caractère économique actives dans
le domaine de la culture 1. Deux siècles plus tard mais dans la même perspective,
lorsqu’est créé le Centre Pompidou en 1977, on prend bien soin de distinguer le
musée national d’Art moderne de ses voisins – centre de documentation, salle de
projection… – au sein du bâtiment emblématique de Piano et Rodgers.
Ces deux traits – un univers muséal structuré en catégories disciplinaires et une
institution muséale strictement cloisonnée autour de sa collection – constituent
selon moi des caractéristiques du modèle classique de musée 2.
Par le caractère très diversifié de la vie urbaine, le musée de ville transcende les caté-
gories disciplinaires et, par là même, pose problème comme le souligne, dès 1931,
John Van Pelt, l’un des fondateurs, très novateur, du Museum of the City of New
York, qui revendique la création d’une nouvelle catégorie spécifique de musée.
En quatre chapitres très toniques, Jean-Louis Postula dresse un portrait riche
et contrasté de l’univers des musées de ville qui, à bien des égards, reproduit et
amplifie la diversité des musées eux-mêmes. Son analyse – qui, à l’exhaustivité
vite superficielle préfère l’étude approfondie de cas choisis – couvre un champ très
large dans le temps (depuis la création du musée Carnavalet à Paris) et dans l’es-
pace (de Montréal à Shanghai et de Barcelone à Helsinki). On voit bien, à le lire,
que l’expression « musée de ville » recouvre des réalités très différentes qui ne se
laissent pas enfermer dans une définition stricte et consensuelle d’une catégorie
muséale qu’elle prétend désigner.
À travers cet exemple, Jean-Louis Postula s’interroge : comment une nouvelle
catégorie de musées se définit-elle ? Comment s’impose-t-elle au sein des autres
catégories, plus anciennes et, de ce fait, perçues comme plus légitimes ? Le cas du
musée de ville est d’autant plus intéressant qu’à la nouveauté il ajoute l’hétéro­
doxie : le musée de ville ne s’appuie pas sur une collection aux contours bien définis
mais, au contraire, il se veut multidisciplinaire, comme le reflète la diversité de
ses collections, de l’archéologie à l’histoire, de l’ethnographie aux arts décoratifs.
Pour dénouer les fils de cet écheveau, l’auteur met en œuvre, dans sa thèse, une
méthodologie fondée sur de nombreux entretiens et sur l’analyse de discours, que
les contraintes éditoriales n’ont pas permis d’exposer dans le détail. Il observe que,
malgré une histoire plus que centenaire, ce n’est que dans la dernière décennie du
xxe siècle que cette catégorie de musées prend conscience d’elle-même (hormis
la perspective visionnaire tracée par Van Pelt) et s’institutionnalise. On constate
alors une sorte d’emballement dans l’usage de l’expression « musée de ville » qui
devient une formule (au sens d’Alice Krieg-Planque 3) et s’impose à un contenu
mal défini : le nom prend le pas sur la chose.

1  Gob André, « Vases grecs contre Canova. Une étrange transaction au Louvre en 1818 », in Morard
Thomas (éd.), Art & Antiquité, Art&Fact, no 33, Liège, 2014, p. 33-44.
2  Gob André, Le musée, une institution dépassée ?, Paris, Armand Colin, coll. « Éléments de réponse »,
2010, p. 26-30.
3  Krieg-Planque Alice, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique,
Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Annales littéraires de l’université de Franche-
Comté », 2009.

10
Préface

Il me semble que cette intéressante hypothèse pourrait être étendue à d’autres


catégories de musées, dont les limites ne sont pas davantage précises. Celle des
musées d’art moderne et contemporain, par exemple, mais aussi les musées uni-
versels qui portent si mal leur nom, et la plus récente « musée de civilisation ».
La citation de John Van Pelt placée en exergue du présent ouvrage appelle une
autre réflexion : « Le musée comme guide pour la vie de la Cité. » Dès 1931, elle
ne fait pas référence à la collection comme fondement du musée mais bien à la
finalité sociétale de ce dernier. Le musée de ville – pas seulement le Museum of the
City of New York – interroge le passé pour éclairer le présent et le futur de la vie
urbaine. Tous les responsables de ces musées ne sont pas d’accord avec cette asser-
tion, comme le relève de façon pertinente Jean-Louis Postula, mais le fait que la
question soit soulevée est déjà, en soi, une idée qui peut paraître révolutionnaire
pour ceux qui pensent, à l’instar de Joern Borchert, « que les musées devraient se
concentrer sur leurs “vraies” fonctions : collecter, conserver et cultiver le patri-
moine matériel d’une ville 4 ». Pourtant, l’idée du passé et du musée comme guide
pour éclairer le présent est déjà énoncée, à la fin du xviiie siècle, dans la préface
du volume II du catalogue du Museo Pio-Clementino au Vatican, un des premiers
musées en Europe. Ennio Quirino Visconti, l’auteur de cette préface, après avoir
dépeint l’état de dégénérescence de la société romaine de son temps, justifie la
création du musée (dont son père Giambattista fut le principal artisan) par le
rôle qu’il peut jouer pour régénérer la société par l’exemple de la Rome antique 5.
L’invocation à la vertu exemplative du passé dénote certes la pensée néo-classique
dominante de l’époque et s’inscrit dans l’esprit des Lumières qui anime le jeune
Visconti, mais l’idée d’un musée utile, voire indispensable, pour le présent et le
futur s’exprime bien dans ce texte qui rejoint, à certains égards, celui de John Van
Pelt. L’un et l’autre s’éloignent de la vision conservatrice et passéiste qui marque
souvent le musée classique.
Le musée de ville tel que le conçoit Van Pelt, ouvert sur le présent et dont l’objet
est la ville elle-même, est largement mis en œuvre aujourd’hui, sur le modèle du
Museum of London, « nouveau Carnavalet », pour reprendre l’expression de Jean-
Louis Postula. Il s’inscrit dans un nouveau paradigme muséal qui place le discours
du musée et le public auquel il est adressé au centre de la démarche et déplace au
second plan la collection, toujours présente pourtant. Celle-ci est vue comme un
moyen du musée et non plus comme sa finalité. Le concept de musée de société,
d’abord pensé, semble-t-il, lors de son apparition vers 1990, comme une catégorie
de musées, définit assez bien ce nouveau paradigme, comme le montre avec perti-
nence l’analyse très fine récemment publiée par Noémie Drouguet 6.
L’ouvrage de Jean-Louis Postula constitue une mise au point essentielle sur l’uni-
vers du musée de ville, tant dans sa dimension diachronique que synchronique.
Mais il ouvre aussi des perspectives qui vont bien au-delà de ces musées en s’in-
terrogeant sur la définition de cette nouvelle catégorie de musées. C’est, selon moi,

4  Voir le texte de Jean-Louis Postula, p. 29 et la bibliographie en fin de volume.


5  Visconti Ennio Quirino, Il Museo Pio Clementino, t. II, Rome, 1784.
6  Drouguet Noémie, Le musée de société. De l’exposition de folklore aux enjeux contemporains, Paris, Armand
Colin, coll. « U », 2015.

11
Le musée de ville

la notion même de catégorie muséale qui est en question. Que représente-elle


réellement ? Sa pertinence ne s’arrête-t-elle pas aux limites du paradigme muséal
fondé sur la collection ? C’est en effet la nature de celle-ci qui, en dernier recours,
définit une catégorie : un musée de beaux-arts, c’est un musée dont la collection
est composée d’œuvres d’art. Le musée de ville, qui s’accommode mal de l’ancien
paradigme – ancien mais qui n’est pas encore supplanté, loin de là, et qui ne le sera
peut-être jamais –, a donné lieu à une nouvelle catégorie, par la grâce, semble-t-il,
d’une « formule » qui a pris. Mais on perçoit bien, à la lecture de l’ouvrage, qu’elle
est quelque peu bancale. Jean-Louis Postula a donné du sens à cette inadéqua-
tion apparente et, du même coup, ouvert une brèche pour interroger le concept de
catégorie muséale lui-même et de son utilité par rapport au public et à la société.
C’est toujours un plaisir de préfacer un ouvrage écrit par un ancien élève et tiré
d’une thèse de doctorat dont on a suivi pas à pas l’élaboration. Le plaisir est d’au-
tant plus grand lorsque, comme ici, la qualité du livre reflète l’excellence de la
thèse. Je remercie très vivement Jean-Louis Postula de m’avoir sollicité et de me
donner ainsi l’occasion de souligner les grands mérites de cette publication et les
perspectives qu’elle ouvre.

12
Introduction

« La catégorisation, procédé par lequel des entités


distinctes sont considérées comme équivalentes,
est l’une des activités cognitives les plus
fondamentales et omniprésentes 7. »

À l’aube de l’an 2000, lorsque les contributeurs de la prestigieuse MIT Encyclopedia


of the Cognitive Sciences définissent le principe de catégorisation, ils ne se rendent
probablement pas compte à quel point la pertinence de leur affirmation saute aux
yeux, si on l’applique au domaine particulier des musées. Depuis la fin du xixe siècle
au moins, avec l’apparition des premières typologies modernes (G. Brown Goode,
1895) 8, nos schémas de représentation de la variété du paysage muséal passent par
la répartition des institutions en catégories, la plupart du temps selon un modèle
disciplinaire. Les musées de sciences diffèrent des musées d’art, qui se distinguent
eux-mêmes des musées d’histoire naturelle ou d’ethnographie. Aujourd’hui encore,
ce système pratique de classification est régulièrement mis en œuvre par les histo-
riens et muséologues, afin de montrer les spécificités de chacun de ces ensembles 9.
La particularité du groupe de musées dont nous proposons ici de retracer l’évolu-
tion est de relever d’une thématique commune, plutôt que d’une même discipline
académique : tous sont en effet consacrés aux villes dans lesquelles ils sont situés,
qu’ils exposent le plus souvent, mais sans systématisme, selon une perspective his-
torique. Bien que de tels établissements existent depuis un siècle et demi – à partir
de l’aménagement, dans le Paris du Second Empire, du futur musée Carnavalet –,
le traitement muséal du thème de la ville n’avait jusqu’alors pas fait l’objet de
travaux de recherche visant à présenter une synthèse globale de son développe-
ment, depuis les premières manifestations jusqu’aux réalisations les plus récentes.
L’objectif que poursuit cet ouvrage consiste dès lors à tenter de combler cette
lacune, à l’intérieur d’un large espace géographique, assimilé aux régions de
culture occidentale. Nous nous intéressons en effet à des musées et centres d’in-
terprétation d’une trentaine de moyennes et grandes villes européennes et nord-
américaines, de Montréal à Berlin et de Barcelone à Helsinki, en nous autorisant
toutefois quelques incursions vers la Russie ou la Chine lorsqu’elles se justifient.
Le format de ce livre ne nous autorise évidemment pas à ambitionner la présen-
tation d’une monographie exhaustive analysant en détail chacune des fonctions

7 « Categorization, the process by which distinct entities are treated as equivalent, is one of the most fundamental and
pervasive cognitive activities. » Medin Douglas et Aguilar Cynthia, « Categorization », in Wilson Robert
A. et Keil Frank C. (ed.), The MIT Encyclopedia of the Cognitive Sciences, Cambridge, Massachusetts
Institute of Technology, 1999, p. 104-105, p. 104.
8  Mairesse François, « Musée », in Desvallées André et Mairesse François (dir.), Dictionnaire encyclo-
pédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 271-320, p. 281.
9  C’est notamment le cas de Georges Henri Rivière et d’Edward Alexander, qui structurent leur historique
du musée selon une logique typologique. La muséologie selon Georges Henri Rivière. Cours de muséologie/Textes
et témoignages, Paris, Dunod, 1989, p. 89-145. Alexander Edward et Alexander Mary, Museums in motion,
An introduction to the history and functions of museums, Lanham, AltaMira Press, 2008 [2e éd.], p. 21-183.

13
Le musée de ville

– exposition, conservation, recherche scientifique, animation 10 – que remplissent


les très nombreuses institutions qui s’inscrivent dans cette thématique. À l’instar
du désormais classique Museums of influence du britannique Kenneth Hudson 11,
nous souhaitons plutôt, à partir d’un nombre limité d’établissements considérés
par nous comme des jalons exemplaires, mettre en lumière leurs caractéristiques
essentielles, à différents moments d’une histoire muséale marquée par la succes-
sion, voire l’empilement, de traditions et de philosophies propres à chaque époque.
Dans cette optique, notre point de vue privilégié est celui du projet muséal des ins-
titutions, notion dont l’étude a été amorcée par François Mairesse 12. À sa suite, le
projet muséal est désigné par André Gob et Noémie Drouguet comme « l’ensemble
des idées, des concepts, des intentions, qui sous-tendent une institution muséale, sa
création, son fonctionnement, ses activités, son évolution 13 ». L’accent est donc mis
principalement sur le contexte et les raisons, notamment politiques, de création des
musées, en ne négligeant cependant pas d’autres aspects, telle la nature des collec-
tions et du discours ou encore la muséographie, lorsque ceux-ci se révèlent pertinents.
La démarche que nous avons suivie s’apparente à la méthodologie de la pensée par
cas, récemment réhabilitée dans le domaine des sciences humaines, selon laquelle
« l’exploration et l’approfondissement des propriétés d’une singularité [permet d’en]
extraire une argumentation de portée plus générale 14 ». La sélection des musées
évoqués, par nature sujette à discussion, vise dès lors avant tout à donner un aperçu
représentatif d’un paysage riche et complexe. Elle repose d’une part sur notre expé-
rience personnelle, faite de voyages et de rencontres au cours de quatre années de
recherche, et d’autre part sur une étude bibliographique approfondie, basée sur le
dépouillement de nombreux catalogues et publications produits par des musées
ou des associations, d’actes de colloques, de revues spécialisées en muséologie et
de dossiers d’archives conservés en plusieurs dépôts.
Le propos de cet ouvrage est articulé en quatre chapitres.
La question qui sous-tend le premier chapitre est celle des usages contempo-
rains du concept de catégorie muséale, à travers l’exemple de l’institutionnali-
sation récente de l’expression « musée de ville » dans la littérature et les milieux
muséo­logiques. Nous proposons ainsi une interprétation des diverses définitions
soumises par les locuteurs et scripteurs de cette notion de musée de ville, forgée
en 1993 à l’occasion de la fondation à Londres d’un premier réseau d’institutions
muséales « dédiées à l’étude des villes 15 ».

10  Selon André Gob et Noémie Drouguet, ces quatre grandes fonctions circonscrivent l’offre que le musée
se doit de proposer à son public. Le nombre et l’intitulé des fonctions muséales peuvent varier en fonc-
tion des auteurs. Gob André et Drouguet Noémie, La muséologie. Histoire, développements, enjeux actuels,
Paris, Armand Colin, coll. « U », 2014 [4e éd.], p. 70-71.
11  Hudson Kenneth, Museums of influence, Cambridge, Cambridge University Press, 1987.
12  Mairesse François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon, Presses universi-
taires de Lyon, coll. « Muséologies », 2002.
13  Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 76-77.
14  « Raisonner à partir de singularités », in Passeron Jean-Claude et Revel Jacques (dir.), Penser par cas,
Paris, École des hautes études en sciences sociales, coll. « Enquête », 2005, p. 9-44, p. 9.
15 « There has been no major meeting of representatives of museums devoted to the study of cities. » Hebditch
Max, « Reflecting cities : an international symposium on city museums : a key-note address », in Johnson
Nichola (ed.), Reflecting cities. The proceedings of a symposium, Londres, Museum of London, 1993, p. 1-7, p. 1.

14
Introduction

Les trois chapitres suivants composent ensuite un panorama diachronique de


150 années de projets muséaux en relation avec le thème de la ville. Le chapitre
deux décrit d’abord les origines de ce type d’institution, à l’intérieur du mouve-
ment général des musées dans l’Europe du xixe siècle, et l’environnement au sein
duquel apparaissent les plus précoces d’entre elles. Le troisième chapitre s’ouvre
quant à lui au cours des années 1860, avec la création du musée Carnavalet de
Paris qui occupe une large place dans nos réflexions. Nous le considérons en effet
comme la figure archétypale d’un modèle muséographique, dit « classique », qui
prédomine durant près d’un siècle et dont nous examinons la diffusion et les adap-
tations successives à la fois dans le temps et dans l’espace. Enfin, le dernier chapitre
voit l’émergence, à partir de la décennie 1970 et jusqu’à l’heure actuelle, d’autres
façons d’exposer la ville, dans le sillage des conceptions de la nouvelle muséo­logie
sur le rôle social de l’institution muséale.
Le choix de la citation mise en exergue en tête de cet ouvrage mérite par ailleurs
un mot d’explication. The museum as a guide to the life of a city (« Le musée comme
guide pour la vie de la Cité ») est une référence en forme d’hommage à un court
texte rédigé au début des années 1930, dont la lecture nous a profondément inspiré
au cours de nos recherches. Ces quelques mots constituent l’intitulé d’un discours
délivré en mai 1931 à Pittsburgh par l’architecte new-yorkais John V. Van Pelt
(1874-1962), à l’occasion de la réunion annuelle de l’Association américaine des
musées 16. Cet homme est l’un des administrateurs – trustees – du jeune Museum of
the City of New York, fondé sept ans plus tôt et considéré comme le premier musée
consacré à une ville à avoir pris pied sur le continent américain. Prenant prétexte
du prochain déménagement des collections vers de nouveaux locaux situés sur
la prestigieuse Cinquième Avenue, Van Pelt livre dans ce d ­ ocument sa concep-
tion personnelle du type de missions que devrait remplir une institution comme
le Museum of the City of New York. Ce faisant, il aborde un sujet qui nous a parti­
culièrement interpellé, tant ses réflexions s’avèrent en avance sur leur temps : celui
de la pertinence du concept de catégorie muséale. Il déplore en effet la réparti-
tion systématique des musées de son époque en quatre groupes bien circonscrits
– le musée d’art, le musée d’histoire naturelle, le musée commercial et industriel,
et enfin le musée historique –, estimant que son propre établissement ne s’inscrit
exactement et uniquement dans aucune de ces cases. Il plaide dès lors en faveur de
la reconnaissance d’une catégorisation nouvelle, spécifiquement adaptée au genre
de musée dont il a la charge :
« Les personnes que je rencontre ont tendance à cataloguer le Museum of the City of New
York comme un musée historique […]. Nous sommes confrontés au fait qu’il n’est pas plus
historique qu’un musée d’art ou un musée d’histoire naturelle, peut-être même moins.
Il est le musée d’une ville et sa valeur devrait être sociologique. […]
Je suis certain que vous serez d’accord avec moi pour considérer qu’un tel musée ne
devrait pas être purement et simplement classé parmi les musées d’histoire. Je crois que

16  Ce texte sera publié quelques mois plus tard dans la revue de l’association : Van Pelt John, « The
museum as a guide to the life of a city », in The Museum News, vol. 9, no 12, Washington, The American
Association of Museums, 1931, p. 8.

15
Le musée de ville

les musées comme le Museum of the City of New York, bien qu’il soit aujourd’hui unique
en son genre [N. D. A. : en Amérique], méritent une classification bien à eux 17. »
Le caractère visionnaire du souhait de John Van Pelt ne peut manquer de nous
impressionner. Il est en effet émis six décennies avant que ne se trouve posée, par
l’intermédiaire de rencontres entre professionnels, de colloques scientifiques ou
encore de publications, la question de la place particulière de ces institutions au sein
de la communauté des musées. Nous le verrons dans le premier chapitre, la toute
fin du xxe siècle correspond à la période d’accession à un espace public toujours
plus grand de l’idée d’une catégorie autonome portant le nom de musée de ville.
Enfin, si le titre du discours de John Van Pelt nous a paru mériter de figurer en
épigraphe, c’est parce qu’il synthétise parfaitement la mission primordiale assi-
gnée depuis les origines à tous les établissements concernés par notre étude : celle
d’être des musées-guides, au service d’une meilleure compréhension des multiples
enjeux – non seulement passés, mais aussi présents et futurs – d’une vie urbaine
en continuelle évolution.

17 « I found a tendency on the part of those I met to catalogue the Museum of the City of New York as a historical
museum. […] We are confronted with the fact that it is no more historical than the art museum or the museum of
natural history – perhaps less so. It is the museum of a city and its value should be sociological […].
I feel sure you will sympathize with my view that such a museum ought not to be classified with the historical
museum pure and simple. I believe museums like the Museum of the City of New York, though at present it is the
only one of its kind, deserve a classification of their own. » Ibid.

16
Chapitre 1
Musée de ville,
une nouvelle catégorie de musées ?

Une étude de discours


En 1992, le troisième numéro des Nouvelles de l’Icom, la revue du Conseil inter-
national des musées, annonce la fondation prochaine à Londres d’une association
informelle réunissant, pour la première fois, des institutions muséales consa-
crées à l’étude des villes. Ce réseau est concrétisé en avril 1993, à l’occasion d’un
congrès intitulé Reflecting cities, organisé à l’initiative de Max Hebditch, direc-
teur du Museum of London :
« Les musées sont confrontés à de véritables défis, passionnants mais difficiles s’ils veulent
agir en tant que récepteurs et transmetteurs de l’histoire, de la topographie et des socié-
tés de ce grand phénomène culturel de la fin du xxe siècle que représente la métropole.
Le Museum of London propose la création d’une Association internationale des musées
de ville lors du Congrès, association qui jouera un rôle de forum pluridisciplinaire de dis-
cussion pour tous ceux qui portent un intérêt professionnel au passé, au présent et à
l’avenir des grandes cités du monde telles qu’elles sont traduites et représentées dans la
recherche, la collecte et les présentations des musées 18. »
Musée de ville… Les mots sont jetés sur le papier. Liée dès sa création à l’idée de
réseau de musées, l’expression fait alors son entrée dans un espace public donné,
celui de la communauté muséale au sens large. Très rapidement, elle se met à cir-
culer au sein de cet espace, entraînée dans un irrésistible mouvement d’institu-
tionnalisation. Mobilisée d’abord dans un cadre strictement informel, cette notion
se voit progressivement diffusée par des instances reconnues sur le plan muséo-
logique : la revue Museum international de l’Unesco en 1995 ; le département des
Museum Studies de la Leicester University en 1998 ; l’Icmah, comité de l’Icom pour
l’histoire et l’archéologie, à partir de 2000… Consécration suprême, la constitu-
tion en 2005 du Camoc (Collections and Activities of Museums of Cities), trentième
comité thématique de l’Icom, fait admettre ce qu’il convient désormais de consi-
dérer comme une catégorie à part entière parmi les « spécialités muséales 19 » offi-
ciellement reconnues et subventionnées par l’organisation mondiale. Vingt ans
après la naissance de cette séquence linguistique au destin singulier, nous avons
souhaité en interroger l’évolution, au gré des usages et des significations propo-
sés dans la littérature par les locuteurs et scripteurs de ce néologisme. Ce chapitre

18  Les nouvelles de l’Icom, vol. 45, no 3, 1992, p. 2.


19  Icom (International Council of Museums) [en ligne], http://icom.museum/qui-sommes-nous/les-comites/
comites-internationaux (page consultée le 18/05/2015).

17
Le musée de ville

s’inscrit dès lors dans le champ de l’analyse du discours, « espace de problématisa-


tion 20 » qui se définit comme l’étude de la relation entre le texte et son contexte 21.
Notre recherche s’appuie sur le rassemblement d’un large ensemble de textes,
rédigés dans le cadre de dix-sept événements – rencontres entre professionnels,
colloques scientifiques ou publications – organisés entre 1993 et 2008, essentiel-
lement par des réseaux et associations de musées qui se sont explicitement appro-
prié la notion de musée de ville 22. À l’intérieur de ce recueil de communications
ont ensuite été relevés tous les passages comportant l’expression « musée de ville »,
pour autant que ces termes soient employés en référence à une catégorie muséale.
Ces extraits forment donc un corpus constitué d’énoncés 23 apportant des élé-
ments de définition de la catégorie, énoncés sur la comparaison desquels repose
notre analyse. Celle-ci met en lumière cinq caractéristiques essentielles des dis-
cours consacrés au musée de ville, développés ci-après et illustrés par des cita-
tions issues du corpus.
La première est la présence, au sein du corpus, d’une revendication, largement par-
tagée, de la singularité de la catégorie « musée de ville » par rapport aux autres. Les
trois sujets suivants abordent respectivement la question du quand ? – le rapport
du musée aux manifestations de la temporalité –, du pour qui ? – les publics aux-
quels s’adresse le musée – et du où ? – les liens entre le musée et la ville qui l’envi-
ronne. La dernière caractéristique est enfin l’établissement du constat d’une nature
polémique propre à l’expression.

Une catégorie muséale à part,


au-delà des clivages disciplinaires
Dès la création, au début des années 1990, de l’Association internationale des
musées de ville, la volonté de promouvoir, pour ce type d’établissement, « une place
spécifique dans le mouvement mondial des musées 24 », s’impose comme une évi-
dence. Les discours recueillis traduisent en effet avec éloquence l’existence du sen-
timent d’une originalité intrinsèque au musée de ville, qui le différencie des autres

20  Maingueneau Dominique, « Analyse du discours », in Charaudeau Patrick et Maingueneau


Dominique (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Le Seuil, 2002, p. 41-45, p. 45.
21  L’analyse du discours est une discipline qui se structure et se dessine depuis les années 1960, principa-
lement à partir de recherches effectuées en linguistique. Ce chapitre synthétise les résultats principaux de
la deuxième partie de notre thèse de doctorat, intitulée « Musée de ville », une étude de discours, p. 144-254.
Postula Jean-Louis, Le musée de ville, une nouvelle catégorie muséale ?, Liège, université de Liège, 2013, 283 p.
22  Voir tableau synthétique en annexe, p. 175. Ces communications, au nombre de 358, sont signées par
des auteurs appartenant à 218 institutions différentes, situées dans 46 pays, signe du caractère irréfutable-
ment international de la réflexion.
Nous avons proposé dans notre thèse (voir note précédente) une description et une mise en contexte systé-
matiques de chacun des colloques et publications retenus, avec un intérêt particulier pour l’origine géogra-
phique des auteurs et le type d’institution auquel ces derniers appartiennent (musée, université, organisme
public…). Pour plus d’information, nous invitons le lecteur intéressé à se reporter aux chapitres 4 (Des
réseaux, des congrès et des publications) et 5 (Présentation des corpus d’analyse) de notre thèse.
23  Le corpus d’énoncés étudiés dans la thèse comprend dans sa totalité 209 références (148 en anglais, 58
en français et 3 en néerlandais), issues de 95 communications et de 70 institutions différentes.
24 « […] to promote our special place in the museum movement worldwide. » Hebditch, « Reflecting cities : an
international symposium on city museums… », in Johnson, Reflecting cities, op. cit., p. 1-7, p. 1.

18
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?

types d’institutions muséales. C’est d’ailleurs cette particularité qui justifie qu’une
nouvelle catégorie doive être envisagée :
« Les musées de ville sont aujourd’hui confrontés à de plus grands défis que tous les
autres musées du monde […] 25. »
L’identification, au sein du corpus étudié, des catégories d’institutions avec les-
quelles le musée de ville est comparé, parfois pour montrer les points communs
qui les unissent mais le plus souvent en quoi ils s’en distinguent, permet d’ailleurs
de recréer une typologie muséale presque complète : du musée d’art au musée
de société, en passant par les arts décoratifs, l’histoire naturelle, l’archéologie ou
encore les musées de science :
« La principale avancée des musées de ville : ils rompent définitivement avec le concept
identitaire “monolithique” qui a longtemps constitué le socle des musées de société 26. »
« À la différence des grands musées d’art, d’archéologie ou de science qui existent dans
nos villes, les musées sur la ville sont […] 27. »
Deux facteurs sont régulièrement avancés pour expliquer le caractère singulier du
musée de ville. Le premier est que celui-ci transcende les clivages disciplinaires, à
l’inverse de la plupart des catégories citées ci-dessus, unidisciplinaires. En raison
de la complexité d’un objet d’étude tel que la ville, ainsi que de l’imbrication pro-
fonde des thèmes qui s’y raccrochent – l’urbanisme, la population et ses modes de
vie, la diversité culturelle, l’histoire et les débats de société… –, aucune approche
centrée sur une unique branche de la connaissance ne se révèle pertinente, qu’il
s’agisse de l’histoire de l’art, la sociologie ou encore l’architecture. Le musée se doit
donc d’orienter ses projets et son discours vers une démarche résolument inter-
disciplinaire. Plusieurs énoncés mettent par ailleurs en exergue la difficulté de
« gérer […] cette symphonie de collecte, pareille pluralité de sources 28 ». Le plus
grand défi que rencontrent les responsables des musées de ville consiste en effet
à devoir rendre compte d’un « objet total, polysémique 29 », tout en se confrontant
à l’impossibilité matérielle « […] de collecter tout ce qui a trait au territoire dans
toutes les disciplines 30 ».
La multiplicité des formes que peut revêtir le musée de ville constitue ensuite la
seconde caractéristique qui fait de lui une catégorie muséale particulière :

25  Grewcock Duncan, « Musées de ville et avenirs urbains : une nouvelle politique d’urbanisme et de
nouveaux défis pour les musées de ville », in Vinson Isabelle et Macdonald Robert R. (éd.), Vie urbaine
et musées, Museum international, no 231, Paris, Unesco, 2006, p. 32-43, p. 32.
26  Guyot-Corteville Julie, « Musées de ville en France », in Musée et ville, Lettre du Comité national
français de l’Icom, no 30, actes de l’assemblée générale Icom-France à Berlin (20-22 mai 2005), Paris, Icom-
France, décembre 2005, p. 19-22, p. 20.
27  Hebditch Max, « Des musées qui parlent de la ville », in Les musées de la ville, Museum international,
vol. 47, no 187, Paris, Unesco, septembre 1995, p. 7-11, p. 7.
28  Gervereau Laurent, « Des musées en première ligne », in Fonseca Brefe Ana Claudia, Gervereau
Laurent et Morel-Deledalle Myriame (coord.), Comment inscrire les musées de ville dans la ville ?, Paris
et Marseille, Association internationale des musées d’histoire, 2003, p. 17-19, p. 18.
29  Guyot-Corteville, « Musées de ville en France », in Musée et ville, op. cit., p. 19-22, p. 19.
30  Delarge Alexandre, « Le patrimoine contemporain : un enjeu démocratique », in Fonseca Brefe,
Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 23-29, p. 27.

19
Le musée de ville

« Il existe de nombreux types de musées de ville, ou mieux, en fonction des circonstances,
de nombreuses typologies sont possibles 31. »
Le musée de ville est en effet considéré comme non réductible à un type d’amé-
nagement formel ou conceptuel qui lui serait spécifique, à l’instar du classique
white cube pour l’art contemporain 32, par exemple. Chaque musée de ville est en
réalité le fruit d’une histoire et d’un contexte institutionnel uniques, qui justifient
à la fois son apparence et son mode de fonctionnement : centre d’interprétation
ou d’information, espace plus classique d’exposition permanente des collections
ou au contraire ne fonctionnant que sur base d’expositions temporaires, maison de
la culture, musée à ciel ouvert ou réparti en différents sites-satellites dans la ville,
voire encore théâtre, bibliothèque, école ou centre d’archives pour certains auteurs
plus audacieux ou visionnaires… Les énoncés du corpus sont émaillés de descrip-
tions témoignant de l’abondante diversité des institutions rassemblées sous le
label « musée de ville », des plus conservatrices aux plus innovantes ou inattendues.

Le musée et la temporalité
« Le temps est une catégorie philosophique essentielle, qui influe directement sur l’acti-
vité d’un musée de ville. Celui-ci reflète le développement passé, présent et futur de la
ville elle-même et de sa communauté. Traditionnellement, la plupart des musées ont tou-
jours privilégié l’évolution historique et se sont moins intéressés au présent et au futur 33. »
Par cette citation, l’historienne et directrice de musée russe Tatiana Gorbatcheva
pose la question du rapport que doit entretenir la catégorie muséale avec les mani-
festations de la temporalité que sont le passé, le présent et l’avenir. Elle est d’ail-
leurs loin d’être la seule à s’en préoccuper, puisque cette problématique est celle
qui revient le plus régulièrement dans l’ensemble des discours. Plus de la moitié
des énoncés du corpus font en effet explicitement référence à au moins l’un des
trois concepts qui marquent le découpage du temps, entre ce qui n’est plus et ce
qui n’est pas encore. La réflexion sur l’exposition de la temporalité est donc indis-
sociable de celle sur le musée de ville, soulignée dès 1993 dans tous les documents
de référence publiés dans le cadre des différents réseaux et associations recensés.
En matière de fréquence d’apparition dans les communications, ce sont d’abord les
références au passé de la ville qui s’imposent largement, devant celles au présent,
elles-mêmes bien plus nombreuses que celles évoquant l’évolution future de la
cité. Il faut noter par ailleurs qu’une majorité d’énoncés mentionne deux tempo-
ralités à la fois, voire les trois.

31 « Stadsmusea zijn er vele types, of beter, afhankelijk van de variabelen zijn er vele typologieën mogelijk. »
Thielemans Steven, « Stadsmusea : sociaal en/of economisch ? en A new city museums in Ghent », in
Laveleye de Bérengère, Vandenbulcke Anne et Vanrie André (éd.), Un musée pour une ville, Bruxelles,
musée de la Ville de Bruxelles, coll. « Studia Bruxellae », no 2, 2003, p. 103-108, p. 104.
32  O’Doherty Brian, Inside the White Cube : Ideologies of the Gallery Space, Berkeley, University of California
Press, 1999.
33  Gorbatcheva Tatiana, « Le musée de ville et ses valeurs », in Vinson et Macdonald, Vie urbaine et
musées, op. cit., p. 53-57, p. 55.

20
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?

Les relations entre le musée d’histoire, dévolu explicitement à l’étude du passé, et


le musée de ville se révèlent ambiguës. La seconde catégorie est de la sorte régu-
lièrement associée, voire assimilée, à la première :
« Que deux importantes associations s’unissent pour un événement unique autour d’un
même thème prouve qu’il y aura toujours dans les domaines des musées d’histoire et
des musées de ville des sujets qui se recoupent 34. »
« Les musées d’histoire de la ville (ou musées de ville, comme ils se dénomment désor-
mais souvent eux-mêmes) […] 35. »
De manière symétrique, certains préfèrent par contre établir une distinction nette
entre les deux entités, à l’instar de l’opinion défendue au début des années 1930
par le new-yorkais John Van Pelt, cité en introduction du livre :
« Dans certains cas, parler de musées de ville renvoie en fait à parler de musées d’his-
toire, mais le plus souvent, le concept a été élargi pour inclure d’autres disciplines qui
nous aident à comprendre la réalité de la ville : des collections d’art, […], des collections
connectées aux champs de l’anthropologie, de l’ethnologie et la sociologie 36. »
La fonction du musée en tant qu’acteur ou spectateur du développement contem-
porain de la ville revêt également, aux yeux d’un nombre non négligeable d’auteurs,
une dimension essentielle. Plusieurs énoncés traduisent dès lors une focalisation
spécifique sur cet aspect :
« Les musées de ville en ce début du xxie siècle ont un rôle important à jouer dans la
documentation des changements de la ville. Cela signifie qu’ils ont quelque chose à
faire immédiatement 37. »
Cependant, le plus souvent, passé et présent sont associés en un projet commun,
considérant le musée de ville comme le lieu privilégié pour une mise en perspec-
tive historique du contemporain. Dans ce cadre, deux configurations sont percep-
tibles. La première est caractérisée par le point de vue d’une chronologie à rebours.
Le discours que porte le musée sur le passé de la ville est ici interprété en fonc-
tion de la situation actuelle (de la ville, de la société…). Ce sont alors les problé-
matiques pertinentes aujourd’hui pour le visiteur ou le concepteur d’exposition
qui déterminent la vision de l’histoire, au risque d’en faire un récit téléonomique :

34 Hemlinger Paul, « Prologue », in Mersch Corina (éd.), Une histoire sans limites ? Points de vue, points
d’interrogation, points de suspension…, Luxembourg, musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 2000, p. 9.
35 « Museums of history of the city (or City Museums as they now often call themselves) […]. » Kistemaker
Renée, « A local museum on the city’s history or a city museum ? An impression of some recent museologi-
cal developments in cities in Europe », in Campanini Graziano et Negri Massimo (ed.), The Future of City
Museums in Europe : experiences and perspectives, Bologne, Bononia University Press, 2008, p. 301-307, p. 302.
36 « In some case when one speaks of city museums one means history museums, but more often than not the concept
has been widened to include other disciplines which help us to understand the reality of the city : art collections, […],
collections connected to the fields of anthropology, ethnology and sociology. » Nicolau Antoni, « City museums,
towards the third millennium », in Nicolau Antoni (ed.), Second international symposium on city museums,
Final programme, lecture and abstracts, Musée d’Histoire de la Ville de Barcelone, Barcelone, 1995, p. 1-6, p. 2.
37 « City museums at the beginning of the 21st century have a strong role in documenting the change of a city. That
means they have to do something now. » Beier-de Haan Rosmarie, « Discussion », in Kistemaker Renée (ed.),
City museums as centres of civic dialogue ?, Amsterdam, Amsterdams Historisch Museum, 2006, p. 58-59, p. 58.

21
Le musée de ville

« Je vais m’intéresser à la manière dont les musées de ville peuvent placer les problèmes
contemporains dans leur contexte historique 38. »
La seconde option ne vise pas quant à elle à créer du lien entre passé et présent,
mais préfère plutôt les envisager comme deux missions, certes complémentaires
mais néanmoins distinctes, du musée de ville. L’usage du mot « buts » (aims) au
pluriel dans l’extrait suivant en est un indice :
« Sans doute, les buts centraux des musées de ville pourraient être d’informer les visi-
teurs à propos du passé […] et d’augmenter l’intérêt et l’implication dans les problèmes
actuels de préservation, de conservation […] 39. »
L’intégration d’une réflexion sur l’évolution future de la cité comme élément fon-
damental de la définition du musée de ville est également présente dans les dis-
cours, bien que ce concept y soit beaucoup moins régulièrement évoqué que les
deux autres marqueurs de la temporalité. Il est d’ailleurs le plus souvent mobilisé
en association avec le passé ou le présent, plutôt que seul :
« Si la collecte du passé était et continuera certainement à être importante pour les musées
de ville, les programmes muséaux consacrés à la planification du futur doivent occuper
une part toujours plus significative dans les agendas éducatifs des musées de ville 40. »
Enfin, une faible proportion – environ 15 % – des communications du corpus est
quant à elle structurée autour de l’énoncé simultané des trois parties du temps,
octroyant de la sorte au musée de ville un mandat sur l’ensemble du continuum
chronologique. Ces énoncés témoignent alors d’une conception très englobante
du musée de ville en matière de temporalité. Ils permettent aussi de se rendre
compte de la complexité pour les institutions d’atteindre un objectif qui serait
l’articulation harmonieuse et compréhensible pour le public des trois notions
passé-présent-futur :
« Un musée dont le propos est l’histoire de la ville ne peut ainsi parler du passé sans que
le présent ne s’impose : conter l’aventure d’une ville, c’est ouvrir les yeux sur sa réalité
contemporaine. […] L’institution puise alors dans les racines du temps pour ouvrir le
débat sur des problématiques urbaines actuelles, tant à l’échelle locale que planétaire,
et pour susciter des réflexions sur l’avenir 41. »

38 « I’m going to focus on how city museums might set contemporary problems in historical context. » Wallace
Mike, « Razor ribbons, history museums and civic salvation : a key-note address », in Johnson, Reflecting
cities, op. cit., p. 8-25, p. 8.
39 « Arguably, the central aims of museum of cities could be to inform visitors about the past […] and increase
interest and involvement in current issues of preservation, conservation […]. » Unsworth Rachel, « Defining
cities: socio-geographical perspectives », in Kavanagh Gaynor et Frostick Elizabeth (ed.), Making city his-
tories in museums, Londres et Washington, Leicester University Press, coll. « Making histories in museums »,
1998, p. 184-192, p. 189.
40 « Just as collecting the past was and will certainly continue to be important for city museums, so museum pro-
grams about planning the future must become a significant and growing part of city museums’educational and pro-
grammatic agendas. » Orloff Chet, « Museums of cities and the future of cities », in Jones Ian, Macdonald
Robert R. et McIntyre Darryl (ed.), City museums and city development, Lanham, AltaMira Press, 2008,
p. 27-39, p. 31.
41  Lelièvre Francine, « Le musée d’histoire de ville : mémoire et carrefour des populations », in Laveleye,
Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 47-51, p. 48.

22
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?

Le musée et ses publics


Comme l’indique en 1995 la vice-présidente du Comité international de l’Icom
pour la muséologie (Icofom),
« Toute référence à une communauté implique l’identification d’un groupe. Le rappro-
chement des termes musée et communauté signifie donc que l’existence du musée se
justifie par rapport à un groupe et que la notion d’identité soit activée 42. »
Dans les discours analysés revient continuellement l’idée selon laquelle les rela-
tions entre musée de ville et population locale constituent en effet une dimension
primordiale à prendre en compte dans la définition de la catégorie muséale. Plus
de la moitié des communications abordent dès lors la question de ces liens, dont
l’existence se marque par la récurrence de termes tels que « civique », « citoyen »,
« population » ou encore « identité ». Toutes ces notions, replacées dans leur contexte
d’usage, renvoient à la conviction d’une inscription non plus seulement territoriale
du musée de ville, mais également communautaire : une institution à l’écoute et
au service de ses citoyens, plutôt qu’à la conquête des cars de touristes étrangers.
L’argument le plus régulièrement avancé pour justifier cette prise de position est
d’ordre pragmatique. Il semble aller de soi que le musée de ville, institution dépen-
dant la plupart du temps de budgets municipaux, axe principalement son discours
et ses activités sur le public local puisque ce dernier est composé des contribuables
qui permettent au musée de fonctionner :
« Tout ceci nous donne la possibilité de réévaluer le rôle du musée de ville. Il est dit que
le musée doit refléter les besoins des populations qui paient pour lui par l’intermédiaire
de leurs taxes 43. »
« Un musée de ville doit avant tout s’attarder à la clientèle et au public de la ville parce
que c’est quand même notre public cible déterminant et nous sommes soutenus finan-
cièrement par la population 44. »
Par ailleurs, les énoncés faisant référence à une mission essentiellement « touris-
tique » du musée de ville, dont le rôle serait alors limité à faire découvrir la ville
aux visiteurs venant de l’extérieur, quels qu’en soient les aspects retenus, sont rares.
Ils sont le plus souvent neutres et ne traduisent aucune forme d’engagement de la
part de leurs auteurs sur ce point. Ainsi l’exemple du muséographe Joern Borchert,
dont on verra plus loin la prise de position radicale sur le rôle que doivent ou non
jouer les musées dans les débats de société actuels, qui affirme, avec peu de passion,
au sujet de leur public cible :

42  Bellaigue Mathilde, « Des musées pour quelles communautés ? », in Schärer Martin (ed.), Museums
and community, actes du colloque de l’Icofom (ISS 25) à Stavanger, 1995, p. 29-36, p. 29.
43 « All this gives us the possibility of re-evaluating the role of the City Museum. It is said that the museum must
reflect the needs of the populations that pays for it through their taxes. » Selmer Jorgen, « The new Copenhagen
City Museum – Connecting past and present, city centre and suburb », in Johnson, Reflecting cities, op. cit.,
p. 64-67, p. 64.
44  Lelièvre Francine, « Débat-discussion », in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une
ville, op. cit., p. 109-113, p. 109.

23
Le musée de ville

« Les expositions permanentes doivent fournir au visiteur (qu’il soit du “pays” ou touriste),
les connaissances de base pour comprendre et lire la ville 45. »
Notons également que la question du potentiel touristique du musée de ville semble
ne se poser que dans les grandes villes et métropoles, qui disposent d’un important
patrimoine culturel, et n’être finalement considérée dans la majorité des cas que
comme relativement secondaire, puisqu’elle concerne un public difficile à fidéliser :
« Les touristes étrangers ne viendront probablement qu’une fois, en admettant que vous
vous trouviez dans une ville qui attire de nombreux touristes 46. »
Le professeur australien Amareswar Galla va même plus loin. Il fait intervenir
le « touriste de passage » dans une conception négative de l’institution, qui aurait
renié, pour des raisons mercantiles de rentabilité et de profit, ses valeurs fondamen-
tales, à savoir « assurer l’expression des populations et de leurs cultures 47 ». Dans
ses discours, ce chercheur expose par ailleurs une vision particulièrement engagée,
voire radicale, du rôle social du musée de ville, proche de celle de l’écomuséolo-
gie 48. Il est l’un des seuls auteurs du corpus à militer pour une réelle appropria-
tion de l’institution par la communauté des citoyens, à qui doit être garanti « le
droit de participer à la prise de décisions concernant la politique, la gestion et les
activités du musée et de les revendiquer comme leurs 49 ».
La plupart du temps, c’est une relation d’un autre type qui est préconisée entre
le musée de ville et le public local. Plutôt que d’attendre de la population qu’elle
prenne les rênes et s’approprie d’elle-même le musée, les auteurs plaident pour que
ce soit l’institution qui, par son discours et son programme d’activités, entre en
contact avec les citoyens, qui doivent se sentir concernés par les thèmes abordés.
Le caractère nécessairement en phase du message porté par le musée avec les pré-
occupations concrètes des visiteurs est d’ailleurs une constante dans les discours :
« Un musée de ville basé sur des sujets qui sont pertinents pour les citoyens d’aujourd’hui 50. »
La mission du musée de ville consiste dès lors à fournir à la communauté des
clés pour la compréhension du milieu, au départ géographique puis social, dans
lequel elle évolue :
« Depuis le xixe siècle, le musée de ville s’est imposé comme une nécessité face au déve-
loppement de l’urbanisme, dans le but de donner à la population des repères et des

45  Borchert Joern, « Ne pas toucher SVP, Des réflexions sur les musées de ville comme lieu de débat
entre hier et aujourd’hui », in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les
musées…, op. cit., p. 66-73, p. 68.
46 « Foreign tourists are probably going to come once only, assuming that you are in a city that gets a lot of tou-
rists. » Pes Javier, « City biographies », in Campanini et Negri, The Future of City Museums, op. cit., p. 239-
244, p. 242.
47  Galla Amareswar, « Muséologie urbaine : une idéologie de la réconciliation », in Les musées de la ville,
op. cit., p. 40-45, p. 41.
48  Guiyot-Corteville Julie et Mairot Philippe (dir.), Écomusées et musées de société, pour quoi faire ?,
Besançon, Fédération des écomusées et musées de société, 2002.
49  Galla, « Muséologie urbaine… », in Les musées de la ville, op. cit., p. 40-45, p. 42.
50 « A city museum based on topics that are relevant to today’s citizens ». Dauschek Anja, « A city museum for
Stuttgart », in Jones, Macdonald et McIntyre, City museums and city development, op. cit., p. 90-98, p. 92.

24
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?

racines. Aujourd’hui, même si les contenus ont évolué, cette mission du musée de ville
n’a pas changé et elle reste prioritaire 51. »
Le musée de ville procure des repères ; il documente le visiteur sur son environ-
nement, mais également sur le groupe humain dont il est nécessairement partie
prenante, abordant la question fondamentale de l’identité et de l’appartenance à
la société. Les auteurs usent dès lors régulièrement des métaphores du miroir et
du reflet pour qualifier cette institution, qui renvoie à chaque visiteur sa propre
image, parfois d’ailleurs pour regretter que cela ne soit pas suffisamment le cas :
« Beaucoup de musées de ville aujourd’hui ne présentent qu’un pauvre reflet de la diver-
sité culturelle qui fait partie de la richesse de la société urbaine 52. »
L’analogie entre le musée et le miroir n’est cependant pas spécifique aux musées
consacrés aux villes. Elle semble plutôt naturelle, dès lors que l’institution muséale
s’inscrit dans un processus de reconnaissance identitaire. Georges Henri Rivière
l’inclut en effet dès 1980 dans sa définition évolutive de l’écomusée :
« Un miroir où cette population se regarde, pour s’y reconnaître […]. Un miroir que cette
population tend à ses hôtes […] 53. »
Avant lui, cette image a également été utilisée, pour des visées différentes, dans le
contexte idéologique de l’Allemagne nazie, au sujet des Heimatmuseen qui seront
évoqués dans le prochain chapitre 54.
Fait rare, l’analyse du corpus textuel sous l’angle du type de public que le musée
de ville cherche ou doit chercher à capter en priorité met donc en lumière une
ambition partagée par presque tous les intervenants au débat. L’institution muséale
s’insère au sein d’une communauté locale, souvent elle-même composée d’une
diversité de sous-groupes, du point de vue des modes de vie, des cultures ou des
origines. C’est avec chacun d’entre eux que le musée se doit de tisser des liens, afin
qu’ils se sentent représentés par l’institution et qu’ils s’y reconnaissent.

Le musée dans la ville


La problématique de l’inscription du musée de ville dans l’espace urbain, ainsi que
celle des rapports entre ces deux entités, occupent une place importante dans les
discours. Celle-ci se subdivise en deux sujets principaux. Le premier concerne le

51  Vandenbulcke Anne, « Conclusions », in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une
ville, op. cit., p. 181-184, p. 183.
52 « Most city museums today are but a poor reflection of the cultural diversity that is part of the riches of urban
society. » Theus Carlos et Konsten Marie-Thérèse, « The city museum as a mirror of the city, the dynamics
of a cultural diversity », in Nauwelaerts Mandy (ed.), De toekomst van het verleden. The Future of the Past.
Reflections on history, urbanity and museums, Anvers, Stad Antwerpen, 1999, p. 359-371, p. 362.
53  La muséologie selon Georges Henri Rivière, op. cit., p. 142.
54  Ainsi Joseph Klersch, conservateur de la Haus der Reinischen Heimat de Cologne, créée en 1936, qui
l’évoque la même année dans un article paru dans la revue Mouseion : « Le musée doit aider [les indivi-
dus] à voir le présent dans le miroir du passé, le passé dans le miroir du présent […]. » Klersch Joseph,
« Un nouveau type de musée : la Maison du Pays rhénan », in Mouseion, vol. 35-36, 1936, p. 7-40, p. 16,
cité in Gob André, « De la « race » à la société : identité et musées d’ethnographie régionale en Europe », in
Vieregg Hildegard K. et al. (ed.), Museology – an instrument for unity and diversity ?, actes du colloque de
l’Icofom (ISS 33) à Krasnoyarsk, 2003, p. 51-59, p. 51 et 56.

25
Le musée de ville

lien physique construit entre la ville et le musée, tandis que le deuxième met en
évidence une forme de confusion qui s’installe chez certains entre la ville, les col-
lections du musée et l’institution muséale elle-même.
En écrivant, en 1995, que « les musées de la ville se situent littéralement au-­
dessus et au milieu de [leur] matière brute 55 », Nichola Johnson, conservatrice au
Museum of London et co-organisatrice, deux ans plus tôt, du colloque inaugural
de l’Association internationale des musées de ville, met l’accent sur une caracté-
ristique essentielle du musée de ville : l’institution doit prendre conscience qu’elle
s’insère, du point de vue géographique et architectural, dans le milieu qu’elle est
chargée d’interpréter. Il lui est dès lors nécessaire de présenter un discours ouvert
sur le monde, qui ne soit pas déconnecté d’une réalité présente quelques mètres
à peine à l’extérieur des salles d’exposition. Nombreux sont d’ailleurs les auteurs
qui insistent sur ce point, parfois pour d’ailleurs regretter un manque de logique
dans les connexions entre le musée et son environnement :
« La ville […] doit être reliée, d’une façon ou d’une autre, au musée qui est lui-même
une parcelle de ville. Aujourd’hui, aucun musée de ville ne peut faire l’impasse sur cette
réflexion qui oblige à trouver des liaisons cohérentes entre le musée et son entourage 56. »
La façon dont le musée s’approprie la ville en tant que cœur du message qu’il a
à délivrer auprès de son public est cependant loin d’être unanime. L’analyse des
communications fait en effet apparaître une gradation dans les prises de position
par rapport à cette question, entre différenciation et assimilation.
D’abord, certains voient le musée et la ville comme deux entités résolument dis-
tinctes. La ville est le sujet dont s’empare le musée, à travers la mise en exposition
de collections qui y font référence. La mission de ce dernier est dès lors d’infor-
mer, de fournir des clés de compréhension. Il joue le rôle de porte ouverte sur la
ville, qu’il s’agit ensuite pour le visiteur d’arpenter et d’explorer :
« Les meilleurs d’entre eux sont un point de départ pour la découverte de la cité, ils
incitent les gens à contempler avec un regard neuf, mieux informé et plus tolérant, la
richesse du milieu urbain 57. »
Ensuite, un deuxième niveau d’appropriation est atteint lorsque la ville n’est plus
considérée comme le sujet du musée, mais comme un objet, dans le sens d’un
musealium ou objet de musée, « chose muséalisée […] faite pour être montrée 58 ».
La ville est alors le plus souvent décrite comme le principal, voire l’unique, arte-
fact du musée, tandis qu’aucune référence n’est faite aux collections matérielles
réellement conservées et exposées à l’intérieur de l’institution. Cette approche
revêt évidemment une dimension beaucoup plus symbolique que la précédente.
Par nature, la ville est un phénomène d’une complexité et d’une abstraction telles

55  Johnson Nichola, « À la découverte de la ville », in Les musées de la ville, op. cit., p. 4-6, p. 6.
56  Guyot-Corteville, « Musées de ville en France », in Musée et ville, op. cit., p. 19-22, p. 19.
57  Johnson, « À la découverte de la ville », in Les musées de la ville, op. cit., p. 4-6, p. 6.
58  Mairesse François et Deloche Bernard, « Objet [de musée] ou muséalie », in Desvallées et Mairesse,
Dictionnaire…, op. cit., p. 385-419, p. 385-386.

26
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?

qu’il est illusoire d’imaginer pouvoir l’arracher à son contexte d’origine et l’inté-
grer aux collections d’un musée 59 :
« Il a souvent été dit que la pièce principale du musée d’histoire de ville est la ville elle-
même. Quoi qu’il en soit, cette déclaration ne répond pas aux questions soulevées par ce
type d’institutions. Comment convertir une ville en un objet de musée exposable ? […]
Quand acceptera-t-on qu’une ville ne peut être capturée et enfermée dans un musée 60? »
Enfin, probablement en réaction à cette dernière utopie – vouloir faire entrer
l’espace urbain à l’intérieur d’une salle de musée –, c’est quelquefois la solution
inverse qui est préconisée, considérant qu’il s’agit dès lors de propulser le musée
hors de ses murs :
« La ville est le musée 61 ! »
« Nous réaliserons rapidement la justesse d’une remarque qui, bien qu’elle soit un lieu
commun, n’en est pas moins vraie : le meilleur musée de ville est la ville elle-même 62. »
Le musée et la ville sont ici confondus, identifiés l’un à l’autre. Ces cas extrêmes
de dématérialisation de l’institution muséale nous amènent donc à nous interro-
ger sur son utilité, dès lors que la ville semble se suffire à elle-même…

Une notion polémique


Malgré une certaine unanimité des points de vue exprimés sur plusieurs des thé-
matiques évoquées dans les pages précédentes, il en est d’autres dont le dévelop-
pement dessine des contours nettement contradictoires de la figure du musée de
ville, témoignant d’un aspect polémique inhérent à la notion. Ce caractère se cris-
tallise autour de plusieurs questions, dont le traitement laisse entrevoir une diver-
sité d’interprétations quant à ce qu’est – ou devrait être – un musée de ville. Ces
sujets polémiques concernent une grande variété de domaines : non seulement
les aspects simplement organisationnels ou logistiques du musée, mais aussi plus
fondamentalement le projet muséal en tant que tel – la philosophie ou les finali-
tés du musée – ou encore le type de discours porté par l’institution et la délimi-
tation de son champ d’action.
La nature des collections conservées au sein des musées de ville, de même que
leur valeur intrinsèque, sont un premier point de désaccord entre les spécialistes.
Un premier groupe considère celles-ci comme relativement pauvres, entraînant

59  L’« arrachement », pour reprendre le terme d’André Desvallées, d’un objet à son contexte d’origine est
une étape essentielle dans son processus de muséalisation. Cette césure par rapport à la réalité est égale-
ment qualifiée par d’autres auteurs de « séparation » ou de « suspension ». Mairesse, « Muséalisation », in
Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 251-269, p. 256.
60 « It has often been said that the main object of the City History Museum is the city itself. Nevertheless, this
statement does not solve the questions raised by these kind of institutions. How to convert a city into a displayable
Museum Object ? […] When does one accept that a city cannot be captured and locked up in a Museum ? » Gonzalez
Camila, « The History Museum of Barcelona City: Origin and foundation », in Johnson, Reflecting cities,
op. cit., p. 39-42, p. 40.
61  Collins Anne Marie, « La ville est le musée ! », in Les musées de la ville, op. cit., p. 30-34, p. 30.
62 « We will quickly come to realise the truth of a remark that, despite being a commonplace, is nonetheless true :
the best city museum is the city itself. » Nicolau, « City museums, towards the third millennium », in Nicolau,
Second international symposium on city museums, op. cit., p. 1-6, p. 3.

27
Le musée de ville

plus globalement une réflexion sur la modestie de cette catégorie d’institutions,


non seulement en termes de collections, mais aussi de moyens financiers et de
ressources en personnel :
« L’un des problèmes que les musées de ville partagent avec d’autres musées qui ne pos-
sèdent pas de collections de chefs-d’œuvre […] 63. »
À l’inverse, d’autres auteurs mettent en exergue la richesse et l’ancienneté de ces
mêmes collections, fruits du travail des conservateurs des générations précédentes :
« Ce qui distingue ce type de musées [le musée de ville] est qu’il a traditionnellement de
riches collections à sa disposition […] 64. »
L’implantation territoriale du musée de ville est quant à elle évidente : nul ne
songe à remettre en question le fait que les musées relevant de cette catégorie
sont consacrés à des lieux. Les avis divergent cependant lorsqu’il s’agit de déter-
miner si, au moment de la définition du discours que va porter l’institution sur
la ville, il convient surtout de mettre en évidence les relations que la ville entre-
tient avec son environnement, immédiat ou plus lointain, de même que des pro-
blématiques qui sont communes au fait urbain, ou si au contraire le musée doit
s’en tenir strictement au cadre de la ville en elle-même et aux éléments qui la dis-
tinguent parmi les autres. L’énoncé qui suit expose l’idée selon laquelle le musée
doit inscrire la ville dans un contexte le plus large possible :
« Une perspective internationale est dès lors essentielle : les musées de ville ne doivent
pas être centrés sur eux-mêmes. […] L’objectif doit être d’établir un intérêt local, mais à
l’intérieur d’une perspective internationale. Et nos explications, aussi, doivent refléter la
pensée la plus large possible 65. »
À l’inverse, il est essentiel pour d’autres que le musée de ville montre d’abord ce
qui est spécifique au lieu :
« La seule obligation professionnelle à laquelle devraient s’astreindre les musées de ville
dans leur collecte devrait s’ancrer dans le contexte particulier de leur ville particulière 66. »
La question du positionnement du musée de ville par rapport aux problématiques
et aux débats de société contemporains de tous ordres (sociaux, environnemen-
taux, urbanistiques, politiques…) constitue elle aussi une sérieuse pierre d’achop-
pement. Pour certains auteurs, la revendication assumée de ce type de démarche

63 « One of the problems City Museums share with other museums that do not have a collection full of master-
pieces […]. » Pes, « City biographies », in Campanini et Negri, The Future of City Museums, op. cit., p. 239-
244, p. 242.
64 « What distinguishes this type of museum is that it traditionally has rich collections at its disposal […]. » Hinz
Hans Martin, « City museums : the underlying themes of recent European experiences », in Campanini et
Negri, The Future of City Museums, op. cit., p. 291-299, p. 291.
65 « An international outlook is therefore essential : city museums must not be parochial. […] The aim must be
to establish local interest, but within an international outlook. And our explanations, too, must mirror the largest
thinking possible. » Lohman Jack, « The prospect of a city museum », in Jones, Macdonald et McIntyre,
City museums and city development, op. cit., p. 60-74, p. 68.
66 « The only professional “should” about city museum collecting should be rooted in the particular context of a par-
ticular city. » Ross Cathy, « Collections and collecting », in Kavanagh et Frostick, Making city…, op. cit.,
p. 114-132, p. 115.

28
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?

fait en effet partie intégrante de la définition du musée de ville et semble même


conditionner son existence :
« Si les musées de ville n’existaient pas, il faudrait peut-être les inventer pour pouvoir
comprendre et négocier les changements urbains. [Ils offrent] un espace démocra-
tique ouvert et digne de confiance, à même d’être vécu physiquement comme faisant
partie de la ville, mais aussi utilisé comme lieu de débats et d’expérimentations sur les
problèmes urbains, dans le contexte du passé, du présent et de l’avenir d’une ville 67. »
D’autres, conservateurs ou muséographes, défendent à leur tour une conception
radicalement différente, voire opposée, du rôle sociétal que doit jouer le musée
de ville :
« Je pense que les musées de ville ne constituent pas un lieu propice pour provoquer
des discussions publiques sur des thématiques qui sont plus ou moins d’actualité. Je suis
plutôt d’avis que les musées devraient se concentrer sur leurs “vraies” fonctions : collec-
ter, conserver et cultiver le patrimoine matériel d’une ville. […] À mon avis, la question
de savoir si les musées de ville doivent être des lieux de débat nous fait perdre de vue
leur véritable mission 68. »
Enfin, l’aspect polémique de la notion se manifeste également par la présence dans
les discours de considérations portant sur la légitimité ou non à se réclamer de la
catégorie « musée de ville ». L’idée de jugement de valeur, subjectif et prescriptif,
intervient dans ce dernier élément, contrairement aux facteurs précédents, déve-
loppés à partir de la mise en parallèle de points de vue opposés. Les énoncés pré-
sentés ci-après reflètent la conviction de l’existence d’une distinction entre de bons
et de mauvais musées de ville, de même que la possibilité de n’en être qu’un faux :
« Être un bon musée d’histoire ou un bon musée de ville signifie être profondément impli-
qué dans la vie de la ville et connaître presque tout à propos des événements impor-
tants qui y prennent place 69. »
« De mon point de vue, un musée de ville doit refléter ses citoyens à travers le temps et
dans toutes les facettes de la société. […] C’est seulement lorsqu’il collabore étroitement
en relation avec ses citoyens qu’un musée peut se prétendre un vrai musée de ville 70. »
Le sous-entendu est dès lors limpide : une simple volonté d’appartenance à la caté-
gorie n’est pas toujours suffisante. Des critères, plus ou moins précisément exposés
selon les auteurs, doivent donc être rencontrés par les institutions, au risque de se
voir symboliquement refuser l’accès au sein du groupe.

67  Grewcock, « Musées de ville et avenirs urbains… », in Vinson et Macdonald, Vie urbaine et musées,
op. cit., p. 32-43, p. 41.
68  Borchert, « Ne pas toucher SVP », in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment
inscrire les musées…, op. cit., p. 66-73, p. 70-71.
69 « For a museum of history or a City Museum to be a good one would mean its getting deeply involved in the life
of the city, and knowing almost everything about the important events that take place in the city. » Boroneant
Vasile, « Bucharest Museum, some general considerations », in Johnson, Reflecting cities, op. cit., p. 137-
142, p. 140.
70 « A city museum in my view has to mirror its citizens through time and in all facets of society. […] It is only
through close cooperation and relations with its citizens that a museum can claim to be a true City Museum. »
Millinger Lena, « The city museum and its citizens – Memories as keys to history. A case study », in
Cities’ portraits in city museums, Global stances, local practices [en ligne], http://www.diki.gr/EN/museum_
conf.html (page consultée le 21/05/2015).

29
Le musée de ville

Une définition impossible à établir


Ce premier chapitre synthétise les résultats de l’étude d’un corpus d’énoncés,
eux-mêmes extraits d’un ensemble plus large de communications retranscrites et
d’articles, à l’intérieur duquel nous avons tenté de préciser quelles sont les carac-
téristiques qui apparaissent comme les plus essentielles de la catégorie « musée de
ville ». Rappelons que cette analyse ne porte que sur les discours produits par les
représentants de certaines catégories socioprofessionnelles (les professionnels et
spécialistes de musée, au sens large), dans un contexte particulier (des colloques
et des publications principalement animés par différents réseaux de musées aux
centres d’intérêt proches) et au cours d’une période déterminée (entre 1993 et 2008).
Les différents facteurs exposés concourent à l’établissement d’un constat mani-
feste : celui d’une très grande dispersion des discours. Il s’avère en fait impossible
d’esquisser une définition unique, normative et consensuelle de l’expression « musée
de ville », tant ses contours sont flous et les interprétations diverses. Chaque inter-
venant au débat décrit en effet le musée de ville qui lui est propre, centré sur telle
thématique ou mission plutôt que telle autre en fonction de son profil et du type
d’institution à laquelle il appartient.
Lorsque se pose la délicate question de la délimitation de la catégorie – quels sont
les musées qui appartiennent à ce groupe et lesquels en sont exclus ? –, l’analyse du
corpus met en lumière deux conceptions opposées quant à la nature du musée de
ville, l’une pouvant être qualifiée d’englobante ou généraliste, et l’autre de restrictive.
L’interprétation généraliste du musée de ville est perceptible dès le premier énoncé
prélevé dans le corpus de communications, signé par Max Hebditch, directeur du
Museum of London. Il écrit en effet qu’avant le colloque inaugural de 1993, « il n’y
a eu aucune réunion majeure entre représentants de musées consacrés à l’étude des
villes 71 ». La suite des événements est connue, la création de l’Association interna-
tionale des musées de ville consistant en quelque sorte en une réparation de cette
« remarquable omission ». Un lien évident s’établit dès lors : tout musée consa-
cré à l’étude d’une ville est un musée de ville. Suivant cette acception, « musée de
ville » renvoie alors à l’ensemble des institutions évoquées tout au long des cha-
pitres à venir qui, d’une manière ou d’une autre, exposent la ville et s’en préoc-
cupent, indépendamment de leur époque de création, de leurs projets muséaux
ou des partis-pris muséographiques. La catégorisation qui en découle vise donc
surtout à « labelliser » a posteriori, à établir un lien symbolique entre des musées
unis par une thématique commune : le lieu dans lesquels ils sont établis.
Dans cette optique, le musée de ville est considéré comme un phénomène bien
antérieur à la prise de conscience, manifestement tardive, des musées eux-mêmes de
leur appartenance à ce groupe, qu’il convient désormais de structurer en un réseau.
Si Max Hebditch ne précise pas à partir de quel moment apparaît la catégorie, le
fait qu’il invoque indistinctement, dans la citation ci-dessus, « les musées consacrés

71 « There has been no major meeting of representatives of museums devoted to the study of cities. » Hebditch,
« Reflecting cities : an international symposium on city museums… », in Johnson, Reflecting cities, op. cit.,
p. 1-7, p. 1.

30
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?

à l’étude des villes » incite à conclure que le musée de ville naît en même temps
que l’exposition de la ville dans les musées, c’est-à-dire avec le musée Carnavalet
dans la seconde moitié du xixe siècle. Cette interprétation est d’ailleurs corro­
borée par les nombreux énoncés du corpus qui abordent les traits caractéristiques
des « musées de ville des générations précédentes 72 », non seulement en Europe
mais aussi en Amérique. La conception englobante de la catégorie postule ainsi
la succession ou la superposition au cours du temps de différents modèles d’ins-
titutions qui, bien qu’inscrits dans leur contexte muséographique et culturel par-
ticulier, se trouvent tous réunis sous l’étiquette générique du « musée de ville 73 ».
La seconde conception du musée de ville, qui émerge dans les discours en même
temps que la première, est quant à elle plus spécifique, en lien avec l’établissement
de critères. Les musées classiques, les plus anciens, sont exclus de cette perspec-
tive qui construit une définition de la catégorie à partir des évolutions apportées à
l’institution muséale depuis la décennie 1970, telles qu’elles sont décrites au dernier
chapitre. Le musée de ville est alors vu comme un concept muséal novateur, dont
le développement coïncide avec un tournant dans l’histoire générale des musées.
Le modèle qui se profile dans ce cas n’est cependant nullement figé ou définitif,
car les auteurs mettent en évidence des orientations qui divergent radicalement
les unes des autres, bien que toutes rattachées à l’option d’une interprétation res-
trictive du musée de ville. Notons d’ailleurs que la réunion de l’ensemble de ces
critères n’est pas nécessaire pour justifier l’inclusion d’une institution à la caté-
gorie. Chacun des points relevés dans le corpus, résumés ci-après, fonctionne en
effet seul comme une condition d’entrée suffisante :
1.  Le musée de ville est une catégorie muséale à part entière, qui dispose de carac-
téristiques propres et se distingue des autres types de musées par son approche
interdisciplinaire et son aspect protéiforme.
2.  Le musée de ville couvre une portion temporelle variable en fonction des
auteurs. L’institution n’est pas nécessairement un simple musée d’histoire de la
ville, et c’est régulièrement l’articulation entre le passé, le présent et l’avenir de
cette dernière qui est privilégiée. Le musée peut aussi s’inscrire essentiellement
dans une démarche de réflexion sur l’identité urbaine contemporaine ou poser la
question de son évolution future.

72 « […] City museums of an earlier generation. » Ross, « Collections and collecting », in Kavanagh et
Frostick, Making city…, op. cit., p. 114-132, p. 115.
73  Dans le récent Dictionnaire encyclopédique de muséologie, le philosophe Bernard Deloche expose une
réflexion similaire, en questionnant cette fois la notion de champ muséal – « champ théorique de référence,
[…] domaine global dont relèvent collections, bâtiments et institutions et qui les fédère en un ensemble
cohérent » (p. 236). Selon lui, le principe même du musée et le développement de la discipline muséologique
doivent être fondés sur l’existence préalable du muséal. Il admet cependant que ce point de vue théorique ne
tient pas compte du processus historique qui a conduit à l’identification comme telle, fort récente, de cette
notion au sein de la communauté des chercheurs. Il considère dès lors le muséal comme « un concept élaboré
pour comprendre de façon unitaire la diversité foisonnante des expériences qui se réclament du musée »
(p. 248). Deloche Bernard, « Muséal », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 235-250.
La notion de musée de ville s’inscrit dans le même processus. Il s’avère stérile de tenter de déterminer qui,
des institutions ou de la catégorie « musée de ville », précède l’autre : en tout état de cause, la reconnais-
sance de la catégorie muséale apparait alors qu’existent depuis longtemps des musées consacrés aux villes
et à leur histoire.

31
Le musée de ville

3.  Le musée de ville est une institution impliquée auprès de sa communauté, qui
le finance en bonne partie. Il ne s’adresse pas qu’aux touristes de passage ; il encou-
rage au contraire par ses activités à une participation active de toutes les catégo-
ries de citoyens, qui sont eux-mêmes intégrés au discours de l’institution.
4.  Le musée de ville se veut, la plupart du temps, un lieu de débat qui joue un rôle
dans les politiques de développement de la ville, à différents niveaux : il invite ses
visiteurs à prendre position sur des sujets qui concernent à la fois leur vie quoti-
dienne et la gestion globale de l’espace urbain.
Si, comme nous en formulons l’hypothèse, la multiplicité des interprétations pos-
sibles est liée la coexistence d’une grande diversité de projets muséaux dans le
paysage d’aujourd’hui, il convient dès lors d’en interroger les origines en se tour-
nant vers le passé. À travers la reconstitution du récit d’un siècle et demi d’histoire
de l’exposition de la ville dans les musées, nous serons mieux à même de perce-
voir la succession ou le maintien dans le temps de ces modèles muséographiques,
clés de compréhension de leur configuration actuelle.

32
Chapitre 2
Les origines et le contexte muséal

La multiplication et la différenciation thématique des musées s’opèrent en Europe,


puis en Amérique du Nord, à partir du xixe siècle. Le paysage muséal était en effet
jusqu’alors dominé par trois, voire deux selon certains auteurs, grandes catégories
d’institutions, elles-mêmes héritières du collectionnisme 74 issu de la Renaissance et
de l’émergence de la notion d’espace public 75 au Siècle des Lumières : le musée d’art,
le musée de science naturelle, et dans une moindre mesure, le musée d’histoire 76.
Pour certains chercheurs, ce dernier est constitué des galeries de tableaux historiques
et de portraits d’hommes illustres. Celle rassemblée durant la première moitié du
xvie siècle par l’érudit Paolo Giovo dans sa villa de Côme en est l’un des exemples
célèbres 77. Krzysztof Pomian considère quant à lui que tous les musées créés entre
le xvie et le xviiie siècle n’appartiennent qu’aux deux premiers groupes et que « la
présence de […] trois catégories d’objets [bustes, objets venant du passé et portraits]
n’autorise pas à tenir les musées où ils se trouvent pour des musées d’histoire 78 ».
Au cours du xixe siècle, âge de la Révolution industrielle, de nombreuses disci-
plines intellectuelles se structurent, au premier rang desquelles compte probable-
ment l’histoire qui, durant cette époque, « s’épanouit, cherche ses voies, précise
ses ambitions 79 ». Toutes celles-ci font alors, en parallèle, leur grande entrée sur
la scène muséale, dans une atmosphère qualifiée de « véritable frénésie de créa-
tion de nouveaux musées 80 ». On voit apparaître dans les salles d’exposition des

74  Bergeron Yves, « Collection », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 55-69.


75  Mairesse François, « Public », in ibid. p. 499-525. L’espace public est une notion dont l’un des princi-
paux théoriciens est le philosophe allemand Jürgen Habermas, dans les années 1960. Il considère dans ses
travaux le xviiie siècle comme un âge d’or idéalisé de l’espace public, émancipateur, par rapport à celui du
xxe siècle, aliénant car mené par l’opinion au lieu de la critique. Habermas Jürgen, L’espace public. Archéologie
de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978, cité in Krieg-Planque
Alice, La notion de « formule » en analyse du discours, op. cit., p. 117.
76  Nombreux sont les chercheurs, historiens et muséologues, qui se sont penchés sur l’évolution de l’ins-
titution muséale au cours du temps. Nous renvoyons dès lors aux ouvrages suivants, qui abordent ces ques-
tions : La muséologie selon Georges Henri Rivière, op. cit., p. 50-52. Alexander et Alexander, Museums
in motion, op. cit., p. 23-84 et p. 113-138. Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 27-28. Mairesse,
Le musée, temple spectaculaire, op. cit. Poulot Dominique, Patrimoine et musées. L’institution de la culture,
Paris, Hachette, coll. « Carré histoire », 2001. Poulot Dominique, Une histoire des musées de France, xviiie-
xxe siècle, Paris, La Découverte, coll. « L’espace de l’histoire », 2005.
77  Gob André, Le Mouseion d’Epictéta. Considérations sur la polysémie du mot musée, à paraître in Les cahiers
de muséologie, no 1, 2015, université de Liège, séminaire de muséologie [en ligne], http://www.museolog.
ulg.ac.be/cahier_museo/cahiermuseo.php.
78  Pomian Krzysztof, « Le musée face à l’histoire », in Saule Béatrix (éd.), L’histoire au musée, Paris et Versailles,
Actes Sud et Établissement public du musée et du domaine national de Versailles, 2004, p. 99-126, p. 101.
79  Halkin Léon-Ernest, Critique historique, Liège, Derouaux Ordina, 1991, p. 26. La formule bien connue
selon laquelle « le xixe siècle est le siècle de l’histoire » est même considérée par Charles-Olivier Carbonell,
historien de l’histoire et des historiens de cette époque, comme un lieu « si commun qu’on hésite à la citer
de peur de tomber dans l’évidence banale et qu’on n’ose guère la taire de crainte d’oublier l’essentiel, l’irré-
futable ». Carbonell Charles-Olivier, Histoire et historiens, Une mutation idéologique des historiens français
1865-1885, Toulouse, Privat, 1976, p. 71 et 89.
80  Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 35.

33
Le musée de ville

thématiques qui n’avaient jamais été explorées pour elles-mêmes, comme l’archéo-
logie (département des antiquités égyptiennes au Louvre, 1826), la préhistoire
(musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye, 1862), les sciences et
techniques (Conservatoire national des Arts et Métiers de Paris, 1794, ouvert au
public en 1802), le commerce et l’industrie (South Kensington Museum à Londres,
1852) ou encore l’ethnographie « exotique » (musée du Trocadéro à Paris, 1878)
et régionale (Nordiska Museet à Stockholm, 1873).
C’est précisément dans cette dynamique que la seconde moitié du xixe siècle voit
naître un type original d’institutions, sans doute proche de certaines des catégories
citées précédemment mais néanmoins distinct. Il s’agit des musées consacrés aux
villes et à leur histoire, dont la figure, probablement fondatrice 81 et sans conteste
archétypale, est le musée Carnavalet de Paris, inauguré le 15 février 1880. Nous nous
intéresserons en détail dans le chapitre suivant à cet établissement, à son histoire,
aux raisons de sa création, à son fonctionnement et à l’influence qu’il ne manquera
pas d’exercer sur toute une génération de musées qui, de Bruxelles à New York, se
référeront explicitement à lui comme modèle. Nous souhaitons cependant, dans un
premier temps, mettre en lumière quelques éléments précurseurs de cette catégorie
muséale nouvelle, ainsi que donner un aperçu du contexte dans lequel elle apparaît.
L’apparition d’institutions telles que Carnavalet et ses épigones ne constitue pas,
tant s’en faut, la première mise en relation de la ville avec le musée. Le phéno-
mène muséal trouve en effet son origine dans le monde urbain. C’est au sein des
villes, ces sites où se concentrent le pouvoir politique et religieux, le commerce
et les richesses 82 – à Rome, Londres, Paris ou Munich –, que naissent et s’épa-
nouissent, à partir de la Renaissance, les grandes collections d’œuvres d’art et
les cabinets de curiosité, qui aboutiront plus tard à la fondation des principaux
musées modernes. L’éminent historien de l’urbanisme Lewis Mumford considère
d’ailleurs le musée comme « une institution aussi caractéristique et essentielle au
rôle idéal [de la ville métropolitaine actuelle] que le gymnase dans la cité hellé-
nique ou l’hospice dans la cité médiévale […]. Le musée constitue, sous sa forme
rationnelle et sélective, un instrument indispensable de la culture urbaine, […]
au même titre que la bibliothèque, l’hôpital, l’université 83 ». Cette problématique

81  « Henri IV estimait que Paris valait bien une messe. Environ trois siècles plus tard, on s’aperçut qu’il
valait également un Musée. Et une vieille maison que la Renaissance avait parée de toutes ses grâces fut
désignée pour abriter les souvenirs de la grande ville. Elle était la première en date de ces galeries d’his-
toire locale qui se sont multipliées depuis lors, en France comme à l’étranger. » Robiquet Jean, « Préface »,
in Dorbec Prosper, L’histoire de Paris au musée Carnavalet, Paris, Rieder, 1929, p. 5-7, p. 5.
« Pendant ce temps, de nombreux musées sont créés en France, mais notre pays, qui fait pourtant figure de pré-
curseur dans de nombreux domaines, comme l’histoire naturelle (Muséum d’histoire naturelle), l’archéologie
médiévale (Musée des Monuments français), les sciences et techniques (Conservatoire des Arts et Métiers),
ou encore l’histoire de la ville (musée Carnavalet), n’éprouve pas le besoin de construire […]. » Crosnier-
Leconte Marie-Laure, « Le musée, sujet de concours théorique », in Georgel Chantal (dir.), La jeunesse
des musées. Les musées de France au xixe siècle, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1994, p. 142-151, p. 142.
82  « Le dualisme qui caractérise les civilisations historiques a une dimension géographique ; le pouvoir s’ap-
puie sur les villes où résident une partie des classes dominantes, alors que les populations dominées sont
rurales. » Claval Paul, Géographie culturelle. Une nouvelle approche des sociétés et des milieux, Paris, Armand
Colin, coll. « U », 2003, p. 199.
83  Mumford Lewis, La cité à travers l’histoire, Paris, Le Seuil, 1964, p. 700. Quant au journaliste Guy
Duplat, lorsqu’il écrit dans un article consacré à une exposition du musée des Beaux-Arts d’Anvers sur
les musées emblématiques du xxie siècle, que « les musées sont devenus le Graal de toutes les villes », il
ne s’imagine peut-être pas à quel point cette réflexion se révèle tout aussi pertinente pour hier que pour
aujourd’hui. Duplat Guy, « Ces curieux objets du désir », La Libre Belgique, Bruxelles, 28 janvier 2011, p. 48.

34
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

passionnante des liens, forts et anciens, entre ville et musée dépasse cependant lar-
gement le propos de cet ouvrage. Nous nous concentrerons plutôt sur les facteurs
explicatifs du glissement qui s’est progressivement opéré, au cours du xixe siècle,
depuis des musées dans la ville vers des musées de ou sur la ville.
L’hypothèse que nous défendons est que les musées consacrés aux villes se situent
au croisement de deux phénomènes concomitants, l’un et l’autre étroitement liés
aux concepts d’identité et de territoire, mais appliqués à des aires géographiques et
administratives radicalement opposées : le premier renvoie au contexte nationaliste
qui caractérise cette période. Il conduit à la création de musées qualifiés de natio-
naux, « conçus pour focaliser l’appartenance à une même entité 84 », et, dans le même
ordre d’idées, à la mise en place des expositions universelles, vitrines spectaculaires
du génie industriel et artistique de chacun des États qui y prennent part. Le second
est celui de l’émergence d’un intérêt porté par les sphères érudites à la notion d’en-
racinement local. On voit en effet s’implanter au xixe siècle dans toutes les régions
de nombreuses sociétés savantes et institutions qui, sous différentes formes en fonc-
tion des pays, auront pour objectif de faire connaître les terroirs, d’en étudier l’his-
toire et les particularités, autrement dit de magnifier les « petites patries ».

L’affirmation d’un sentiment national


Les musées d’histoire nationale
« Au xixe siècle, l’investissement du musée par l’idéologie nationale est manifeste dans
tous les pays européens 85. »
Anciennes puissances ou jeunes États encore en gestation, ils sont en effet nom-
breux à se doter à cette époque d’institutions destinées à affermir les sentiments
patriotiques des populations à l’égard de cette « communauté politique, imagi-
naire et imaginée » que représente la nation, d’après la formule célèbre de Benedict
Anderson 86. Dans le sillage de l’échec final de l’épopée napoléonienne, et même
parfois plus tôt encore, la société européenne tout entière se reconstruit et cherche
de nouveaux repères. Les peuples les trouveront notamment dans une exigence de
reconnaissance des particularités qui leur sont propres : leur histoire, leur culture,

84  Chaumier Serge, « Société », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 543-558, p. 546.
85  Charléty Véronique, Itinéraire d’un musée, le Heimatmuseum, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 22.
86  Le Britannique Benedict Anderson est l’un des grands théoriciens du concept de « nation ». Anderson
Benedict, L’imaginaire national, Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996
(1re éd. 1983), p. 10-23. Il en propose en 1983 une définition anthropologique : « une communauté politique
imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine ». Il en explicite ensuite les différents
termes de la manière suivante. Imaginaire : les membres d’une nation ne connaîtront jamais la plupart de
leurs concitoyens, bien que dans leur esprit, il existe une communion. Limitée : même la plus grande des
nations a des frontières finies derrière lesquelles vivent d’autres nations. Souveraine : le concept apparaît à
l’époque où les Lumières et la Révolution française détruisent la légitimité d’un royaume dynastique. Les
nations rêvent d’être libres et de l’être directement, sans intermédiaire entre elles et Dieu, en-dessous duquel
elles se placent. Communauté : la nation est toujours conçue comme une camaraderie profonde, malgré les
inégalités ou l’exploitation qui peut y régner. Par ailleurs, au neuvième chapitre de l’ouvrage (p. 167-188),
Anderson identifie le musée, aux côtés de la carte géographique et du recensement, comme l’un des méca-
nismes ayant favorisé le développement du sentiment national.

35
Le musée de ville

leur religion, leur langue 87. L’accession à l’indépendance ou l’unification de nom-


breux pays – la Belgique et la Grèce (1830), l’Italie (1861), l’Allemagne (1871)… –
à partir de l’éparpillement des anciens empires et principautés, caractéristique des
Temps modernes désormais révolus 88, coïncide avec le triomphe de l’âge du roman-
tisme. Parmi bien d’autres manifestations d’ordre culturel 89, ce mouvement voit
« le patriotisme se greffer durablement sur l’institution [muséale] 90 ».
Les nombreux musées nationaux créés durant ce siècle s’inscrivent dans ce climat
d’exaltation du passé, notamment médiéval, de la nation, depuis le Magyar Nemzeti
Múzeum de Budapest (1802), « dévolu au sentiment national hongrois 91 », jusqu’au
Germanisches Nationalmuseum à Nuremberg, fondé en 1852-1853, dans le but de
présenter les sources de l’histoire et de la civilisation de l’« aire culturelle germa-
nique » (germanische Kulturraum 92), des origines jusqu’à la moitié du xviie siècle 93.
À partir des événements révolutionnaires de 1789 et tout au long des nombreux
bouleversements politiques qui ont suivi durant des décennies, le rôle que joue la
France dans l’évolution du concept d’État-nation est considérable 94. Le paysage
muséal français s’adapte dès lors rapidement à cette situation et on voit apparaître
très tôt de nouvelles formes d’institutions dont les projets s’enracinent dans le récit
du passé glorieux de la nation.
À cet égard, le musée des Monuments français à Paris jouit d’une impression-
nante fortune critique auprès des historiens et des muséologues, d’hier comme

87  Cette conception des différents peuples européens en tant que réalités sociales et culturelles distinctes,
stables et objectivement identifiables est cependant une construction idéologique, conçue dans un dessein poli-
tique. Sur les manipulations de l’histoire en tant qu’instrument des nationalismes européens, voir le chapitre
« Différence ethnique et nationalisme au xixe siècle : un paysage empoisonné », in Geary Patrick J., Quand
les nations refont l’histoire, l’invention des origines médiévales de l’Europe, Paris, Flammarion, 2006, p. 25-56.
88  Constant Jean-Marie, Naissance des États modernes, Paris, Belin, coll. « Histoire sup », 2000.
89  « Rejeter la culture française, savante et raffinée [dominante en Europe tout au long du xviiie siècle]
revient pour certains à retrouver leur véritable identité, une sorte de retour rousseauiste à la nature pro-
fonde de chaque peuple. » Boudon Jacques-Olivier, Caron Jean-Claude et Yon Jean-Claude, Religion et
culture en Europe au xixe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2001, p. 19. La compétition culturelle entre
les nations, caractéristique du romantisme, s’exprime dès lors à travers divers médiums : les lettres, l’archi-
tecture, les arts plastiques, la musique… et le musée.
90  Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 79.
91  Ibid.
92  Germanisches Nationalmuseum, Geschichte und Architektur [en ligne], http://www.gnm.de/index.php?id=8
(page consultée le 18/05/2015). Bien qu’il ne soit pas question de revendications territoriales, le musée
concerne donc un possible Reich et s’intéresse aux pays « de langue allemande », à savoir les Pays-Bas, les
Flandres, la Suisse allemande, l’Autriche et la Bohème. Grossmann G. Ulrich, « Das Nationalmuseum
der Bundesrepublik Deutschland in Nürnberg », in Sohn Andreas (dir.), Mémoire : Culture – Ville – Musée,
Bochum, Verlag Dr. Dieter Winkler, 2006, p. 299-318, p. 315.
93  Pour une analyse plus précise du phénomène des musées nationaux et du nationalisme à partir du
xixe siècle, nous renvoyons le lecteur aux publications spécialisées suivantes. Poulot, Patrimoine et musées,
op. cit., p. 77-114. Poulot Dominique, « Les musées nationaux et les usages du passé », in Museologia. pt,
no 5, 2011, p. 166-175. Bergvelt Ellinoor et al. (ed.), Napoleon’s legacy: the rise of national museums in Europe
1794-1830, Berlin, Staatliche Museen zu Berlin – Stiftung Preussicher Kulturbesitz et G + H Verlag, 2009.
Boudon, Caron et Yon, Religion et culture en Europe au xixe siècle, op. cit. Knell Simon J. et al., National
museums, new studies from around the world, Londres, Routledge, 2011. Mairesse, Le musée, temple spec-
taculaire, op. cit., p. 39-43. Kaplan Flora, « Making and remaking national identities », in Macdonald
Sharon (ed.), A companion to museum studies, Chichester, Wiley-Blackwell, coll. « Companions in cultural
studies », 2011, p. 152-169.
94  Voir notamment le chapitre « La nation, une nouveauté : de la révolution au libéralisme », in Hobsbawm
Eric, Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe, réalité, Paris, Gallimard, 1992, p. 25-62.

36
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

d’aujourd’hui 95. Création du peintre et « antiquaire » Alexandre Lenoir, ce musée


à l’existence éphémère – il ouvre ses portes en 1795 et les referme à peine vingt
ans plus tard – est qualifié par ce dernier en 1816 de « vraiment national 96 » et
défini en 1986 par Dominique Poulot comme « un lieu de mémoire nationale 97 ».
À l’origine dépôt des biens du clergé mis à la disposition de la nation, l’ancien
couvent des Petits-Augustins est institué en octobre 1795 par le Comité d’ins-
truction publique en tant que « musée historique et chronologique où l’on retrou-
vera les âges de la sculpture française 98 », et dans lequel chaque salle sera consacrée
à un siècle différent, grâce à une muséographie évocatrice. Ce conservatoire des
vestiges (statues, bustes…) du passé de la nation, sauvés des pillages révolution-
naires, est surtout conçu par Lenoir comme un panthéon des figures marquantes
de l’histoire de France. Dans cette optique, monuments authentiques ou fabri-
qués pour les besoins de l’exposition lorsque les premiers viennent à manquer – le
tombeau reconstitué d’Héloïse et Abélard constitue par exemple l’un des clous
du spectacle – sont réunis au sein d’un même ensemble à la vocation avant tout
commémorative. Le parcours de ce premier musée dévolu à l’histoire de France
évoque la mémoire des monarques et hommes d’État depuis le Moyen Âge, des
artistes ou encore des philosophes. Il ne survivra cependant pas à la Restauration
de la monarchie, qui impose le retour des sépultures royales dans leur nécropole
de Saint-Denis et la dispersion des autres pièces. Il est reconnu comme un modèle
ou une source d’inspiration pour différents musées à vocation nationale, comme
l’Oldnordisk Museum de Copenhague, créé en 1807 et qui deviendra à la fin du
siècle le Nationalmuseet danois 99. Le musée parisien de Cluny, fondé par l’État
en 1843 sous l’égide de la jeune Commission des monuments historiques (1837),
est également un héritier du musée des Monuments français, en raison du « goût
pour le gothique sentimental et religieux 100 » que celui-ci a contribué à installer
dans l’imaginaire collectif de l’époque.
L’histoire nationale est encore au cœur d’un autre projet de musée, établi au cours
de la première moitié du xixe siècle au château de Versailles. Inauguré en 1837
dans les ailes symétriques du Nord et du Midi de l’ancien palais royal après quatre
années de gestation, il s’agit du musée de l’Histoire de France, dont la dédicace qui
orne toujours les façades sur cour du bâtiment traduit le programme : « À toutes les

95  Jules Michelet sera l’un des grands admirateurs de ce musée, où se serait, dit-il, éveillée sa vocation d’his-
torien lorsqu’il était enfant. Viallaneix Paul, « Jules Michelet, évangéliste de la Révolution française », in
Archives des Sciences sociales des religions, vol. 66, no 1, Paris, CNRS, 1988, p. 43-51, p. 43. On se reportera
avec intérêt aux travaux suivants : Poulot Dominique, « Alexandre Lenoir et les Musées des Monuments
français », in Nora Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, t. II, La Nation, vol. 2, Paris, Gallimard, 1986, p. 496-
531. Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 61-66. Georgel Chantal, « L’histoire au musée », in Amalvi
Christian (dir.), Les lieux de l’histoire, Paris, Armand Colin, 2005, p. 118-125.
96  Lenoir Alexandre, Musée royal des Monuments français ou Mémorial de l’histoire de France et de ses monu-
ments, Paris, 1816, p. 5, cité in Pomian, « Le musée face à l’histoire », in Saule, L’histoire au musée, op. cit.,
p. 99-126, p. 108.
97  Poulot, « Alexandre Lenoir… », in Nora, Les lieux de mémoire, t. II, op. cit., p. 496-531, p. 515.
98  Lenoir Alexandre, Musée des Monuments français ou Description historique […], Paris, 1800, t. I, p. 6-7,
cité in Pomian, « Le musée face à l’histoire », in Saule, L’histoire au musée, op. cit., p. 99-126, p. 108.
99  Ibid., p. 112-113.
100  Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 62.

37
Le musée de ville

gloires de la France » 101. Bien plus que le musée des Monuments français, conçu
primitivement dans un souci de conservation matérielle de chefs-d’œuvre face aux
dangers du vandalisme ambiant, le projet de cette nouvelle institution, créée par
le roi des Français Louis-Philippe – conseillé par son ministre de l’Instruction
publique, l’historien François Guizot – répond quant à lui à un impératif autre,
celui de la réconciliation nationale après un demi-siècle de conflits et de révolu-
tions qui ont épuisé la société française. S’il ne fait aucun doute que, comme l’ont
écrit de très nombreux chercheurs, « tout projet muséal est, par essence, un projet
politique 102 », nous souscrivons entièrement aux réflexions de Michael Werner,
selon lequel « dans le cas des musées d’histoire qui prennent pour cadre la nation,
l’investissement politique est particulièrement lourd 103 ». Le musée d’Histoire de
France à Versailles en est un exemple on ne peut plus éloquent.
L’histoire du pays y est racontée à travers la succession d’espaces – récupérés dans
le château suite à la transformation de nombreux appartements princiers par l’ar-
chitecte Nepveu : salles des Croisades, galerie des Batailles, salle du Sacre, de 1792
ou encore de 1830… – illustrant les événements et personnages majeurs de l’épo-
pée nationale, depuis la victoire de Clovis à Tolbiac au ve siècle jusqu’à la fonda-
tion de la Monarchie de Juillet. Cet épisode, présenté dans la dernière salle du
musée et qui met en scène Louis-Philippe lui-même en tant qu’acteur principal,
est une évocation transparente de « l’apogée politique du présent immédiat 104 », qui
a pour but d’asseoir la propre légitimité dynastique du souverain. L’absolutisme,
la Révolution, la République ou l’Empire, tous les régimes et toutes les périodes
sont représentés, permettant ainsi à chacun, quelle que soit sa sensibilité, de se
reconnaître en ces lieux où, autour de la figure du Roi-citoyen, symbole de la nou-
velle unité nationale, domine le désir de consensus politique et de neutralisation
des antagonismes.
Les œuvres exposées – sculptures, dessins, gravures, et essentiellement peintures de
grand format –, au nombre de 5 500, proviennent en partie des anciennes collec-
tions royales ou institutionnelles 105, mais la majorité d’entre elles ont été expres-
sément commandées pour le musée à des artistes contemporains, parmi lesquels
figurent Horace Vernet et Eugène Delacroix. Ceux-ci ont dès lors créé un gigan-
tesque répertoire iconographique de l’histoire de France, caractéristique de la vision

101  Gaethgens Thomas W., « Le musée historique de Versailles », in Nora, Les lieux de mémoire, t. II, op. cit.,
p. 143-168. Saule Béatrix, « Les galeries historiques du château de Versailles », in Joly Marie-Hélène et
Compère-Morel Thomas (coord.), Des musées d’histoire pour l’avenir, Paris, Noêsis, 1998, p. 113-122. « Le
musée d’histoire nationale, un dispositif partisan ? », in Poulot, Une histoire des musées de France…, op. cit.,
p. 86-95. Sesmat Pierre, « Le musée historique de Versailles : la gloire, l’histoire et les arts », in Georgel
Chantal (dir.), La jeunesse des musées, op. cit., p. 113-119. Gervereau Laurent et Constans Claire (dir.),
Le musée révélé. L’histoire de France au château de Versailles, Paris, Robert Laffont, 2005.
102  Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 83. Voir également Gob André, Des musées au-dessus de
tout soupçon, Paris, Armand Colin, 2007, p. 319-320.
103  Werner Michael, « Deux nouvelles mises en scène de la nation allemande : les expériences du Deutsches
Historisches Museum (Berlin) et du Haus der Geschichte der Bundesrepublik Deutschland (Bonn), in Hartog
François et Revel Jacques, Les usages politiques du passé, Paris, École des hautes études en sciences sociales,
coll. « Enquête », 2001, p. 77-97, p. 77.
104  Gaethgens, « Le musée historique de Versailles », in Nora, Les lieux de mémoire, t. II, op. cit., p. 160.
105  En 1850, 136 sculptures inventoriées à Versailles proviennent d’ailleurs du défunt Musée des Monuments
français. Poulot, Une histoire des musées de France…, op. cit., 2005, p. 91.

38
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

romantique de la discipline historique à cette époque, qui sera ensuite abondam-


ment reproduit dans nombre de manuels scolaires, signe de la grande puissance
des images dans l’imposition d’un modèle de société idéologiquement orienté.
Malgré les points qui les distinguent (l’origine des projets ou encore la nature et
la présentation des collections), les deux exemples français de la rencontre entre
institution muséale et idée nationale au xixe siècle qui viennent d’être présentés
participent d’un même mouvement. Repérable partout en Europe, celui-ci s’ex-
prime au travers de la volonté affichée par le musée et ses promoteurs (l’État, le
Prince, le pouvoir politique en place) de servir de « support d’identification 106 »
aux populations, dans le cadre d’une « communauté imaginaire », la Nation, qui
à la fois les dépasse et les unit et envers laquelle on attend qu’ils développent des
liens d’appartenance.

Les expositions universelles


Depuis 1851 et la Great Exhibition of the Works of Industry of all Nations de Londres,
dont le célèbre Crystal Palace a longtemps perpétué le souvenir 107, il est un fait
certain que les grandes expositions, internationales et universelles, ont exercé une
influence réelle sur la manière d’exposer dans les musées, et plus généralement
sur la muséologie 108.
« Exposition : sujet de délire du xixe siècle 109. » Lorsque Gustave Flaubert met en
forme cet aphorisme qui sera publié dans l’édition posthume de son Dictionnaire
des idées reçues, il a certainement à l’esprit cette gigantesque mise en scène des
avancées du Progrès que constitue ce type particulier de manifestation, « vivante
image du degré d’évolution auquel est parvenu l’ensemble de l’humanité 110 », pour
reprendre les termes utilisés pour décrire la première du genre par son promo-
teur, le Prince consort Albert de Saxe-Cobourg. Sous leurs dehors universalistes,
la paix et la solidarité entre les peuples étant placées au centre des discours, elles

106  Chaumier Serge, « L’identité, un concept embarrassant, constitutif de l’idée de musée », in Eidelman
Jacqueline (dir.), Nouveaux musées de sociétés et de civilisations, Culture et Musées, no 6, Arles, Actes Sud,
2005, p. 21-40, p. 22.
107  Initialement érigé dans Hyde Park, où s’est tenue l’exposition, le Crystal Palace est déplacé en 1854 dans
un quartier du sud de Londres, auquel il donne son nom, et est détruit par les flammes en 1936.
108  « Avec ce nouveau mode de communication commercial, on voit disparaître les limites de l’espace, ainsi
que les contraintes de goût ou de préjugés esthétiques en référence à une élite de visiteurs. » Desvallées
André, Schärer Martin et Drouguet Noémie, « Exposition », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…,
op. cit., p. 136-173, p. 144. Par ailleurs, la popularisation, au sein des expositions universelles du dernier
quart du xixe siècle, de dispositifs scénographiques visant à reconstituer des « images vivantes de scènes
rurales » par le recours à du mobilier et des mannequins vêtus de costumes traditionnels – procédé dont
la paternité est attribuée au Suédois Hazelius en 1873 au Nordiska Museet – a inspiré la création de nom-
breux musées d’ethnographie en Europe. À ce sujet, voir Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 43-52 ;
et Desvallées André, « La muséographie des musées dit “de société” : raccourci historique », in Barroso
Eliane et Vaillant Emilia, Musées et sociétés, actes du colloque de Mulhouse et Ungersheim, Paris, Réunion
des musées nationaux, 1993, p. 130-136, p. 131. Pour une synthèse globale de l’histoire et des caracté-
ristiques des expositions universelles dans la seconde moitié du xixe siècle, voir Aimone Linda et Olmo
Carlo, Les expositions universelles (1851-1900), Paris, Belin, coll. « Modernités », 1993 [éd. originale : 1990].
109  Flaubert Gustave, Dictionnaire des idées reçues, 1913. Cité in Ory Pascal, Les expositions universelles
de Paris, Paris, Ramsay, 1982, p. 6.
110 Cité in Renardy Christine, « Le temps des Expositions universelles », in Renardy Christine (dir.),
Liège et l’Exposition universelle de 1905, Bruxelles, La renaissance du livre, 2005, p. 133-138, p. 134.

39
Le musée de ville

se révèlent également être le théâtre d’une démonstration spectaculaire : celle de


la rivalité entre les grandes nations du monde occidental désireuses d’exhiber leur
puissance et la richesse de leurs innovations. Au même titre que les musées d’his-
toire nationale, ces expositions occupent dès lors une place non négligeable dans
les politiques de positionnement identitaire menées par les États, cette fois sur
les plans industriels et techniques, autant que culturels.
Les expositions universelles trouvent leurs origines dans la présentation d’ex-
positions commerciales nationales, dites « industrielles », à partir de la fin du
xviiie siècle. En France, la plus ancienne de ces expositions se déroule au Champ-
de-Mars à Paris en 1798, dans un contexte tendu de concurrence entre la jeune
République et l’Angleterre monarchique. Ici, l’objectif politique est limpide : il
s’agit de prouver à la « perfide Albion » que « la richesse d’un peuple est consé-
quence de sa liberté 111 ». À cette époque, aucune œuvre d’art n’est présentée et les
objets exposés sont proposés à la vente, tandis que les spécimens primés lors des
concours organisés à cette occasion sont déposés au Conservatoire des Arts et
Métiers. Ce type d’exposition des produits de l’industrie française, qui ne revêt donc
encore aucun caractère universel, se maintient avec une certaine régularité durant
toute la première moitié du xixe siècle. À peu près au même moment, les autres
pays occidentaux – Royaume-Uni, Allemagne, Italie, États-Unis – se lancent dans
des entreprises semblables, offrant à la vue machines, outils et inventions diverses.
À partir de 1851, le caractère international des expositions, universelles ou spé-
cialisées selon les cas, est acquis. Au départ abritées dans un palais unique réunis-
sant l’ensemble des sections, les expositions sont progressivement structurées en
pavillons nationaux, folies architecturales où dominent l’imaginaire et le goût des
reconstitutions – le vieux Liège, le Village suisse, la rue du Caire… Une dimen-
sion artistique s’impose également, héritière de la tradition du Salon, permettant
de faire le bilan de la production plastique du temps. Les expositions universelles
sont souvent, pour les pays organisateurs, l’occasion de projeter leur image sur la
scène internationale. Profitant de commémorations et de dates symboles de leur
histoire, celles-ci leur permettent de briller à la face du monde, mais aussi, dans
un registre plus pragmatique, de « construire de difficiles équilibres internatio-
naux, trouver des moyens de sortir de situations d’isolement, [ou encore] idéali-
ser des réalités politiques ou économiques 112 ».
La contribution active des expositions internationales et universelles à la construc-
tion et la promotion des sentiments nationaux à une échelle mondiale justifie
pleinement l’inclusion de ce sujet dans ce chapitre. Il s’avère par ailleurs que ce
genre de manifestation a pu avoir une incidence concrète sur la création de plu-
sieurs institutions étroitement liées à la problématique de l’exposition de la ville.
L’influence des grandes expositions se marque notamment en Russie, en France
et en Espagne.

111  Aimone et Olmo, Les expositions universelles, op. cit., p. 14.


112  Ibid., p. 24. Ainsi l’exposition de New York en 1853 vise-t-elle à « démontrer l’efficacité du patronat
nordiste face à l’oligarchie agricole et esclavagiste du Sud ». En 1876, à Philadelphie, c’est l’unité recon-
quise de la nation qui est fêtée, cent ans après la Déclaration d’Indépendance. À Paris en 1889, on fête le
centenaire de la Révolution ; à Budapest en 1896, le millénaire du royaume de Hongrie… Les exemples
peuvent être multipliés.

40
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

Le noyau des collections du musée d’Histoire de Moscou, fondé en 1896, pro-


vient du pavillon moscovite d’une exposition panrusse qui s’est tenue plus tôt cette
même année à Nijni Novgorod, la All-Russian Artistic and Industrial Exhibition 113.
L’administration municipale de l’ancienne capitale impériale y présente alors les ser-
vices techniques et d’approvisionnement divers proposés par la ville à ses citoyens,
mettant en évidence les progrès récents effectués dans les domaines sanitaires,
médicaux et éducatifs. Le succès rencontré par cette exposition temporaire incite
les organisateurs à la transférer à Moscou et à la rendre permanente. Un ancien
château d’eau, la Krestovsky Tower, est désigné pour devenir le siège du Museum
of Moscow Municipal Facilities and Services, musée public géré par la Ville, qui
changera ensuite à plusieurs reprises de nom et de lieu au cours de son histoire.
Quelques années plus tard, en 1914, la ville de Lyon accueille une exposition inter-
nationale dont la conception est confiée à l’architecte urbaniste Tony Garnier. Parmi
les attractions proposées figurent notamment un village alpestre, un autre séné-
galais et une reconstitution du Vieux-Lyon 114. À cette époque, le projet d’instal-
ler dans l’ancien hôtel de Gadagne, propriété municipale depuis 1902, un musée
d’histoire de la ville existe déjà depuis plusieurs années. L’exposition du Vieux-
Lyon est dès lors l’occasion de réunir de nouveaux fonds pour le futur musée dont
l’aménagement est en cours, et d’augmenter le volume des collections. L’ouverture
du musée, retardée en raison de la guerre, a finalement lieu en 1921.
Enfin, le dernier exemple retenu, sur lequel nous reviendrons à la fin du cha-
pitre 4, est celui du MuhBa, Museu d’Història de Barcelona, inauguré en 1943, et
dont une préfiguration – « une certaine vision historique de la ville 115 » – est pré-
sentée dès 1929 au cours de l’exposition universelle qui se déroule à Barcelone sur
les thèmes de l’industrie, du sport et de l’art.

L’émergence d’une dimension locale


Le projet, centralisateur dans la plupart des cas, qui préside à la création des musées
nationaux au xixe siècle n’est qu’une facette d’un phénomène d’affirmation identi-
taire global, généralisé à l’ensemble de la société occidentale de ce temps. La concep-
tion jacobine de l’histoire et de la culture telle qu’elle a été présentée ci-avant se
voit en effet complétée par une approche qualifiée d’« antiquaire », marquée par
une impulsion provenant cette fois de la base, et non plus du sommet 116. Ce sont

113  Vedernikova Galina (ed.), Museum of History of Moscow and its collections, Moscou, Museum of History
of Moscow, 1996, p. 3. Entretien avec Alexander Sotin, Responsable du département “Old English Court”
au Moscow City Museum (11 mars 2011).
114  Dalbanne Claude, Le Musée historique de Lyon, Lyon, Albums du Crocodile, 1948, p. 8. Gadagne
Musées, musée d’Histoire de Lyon [en ligne], http://www.gadagne.musees.lyon.fr/index.php/histoire_fr/
Histoire/Le-musee-d-histoire-de-Lyon/La-genese-du-musee (page consultée le 18/05/2015).
115  Entretien avec Juan Roca, directeur du Museu d’Història de Barcelona (13 octobre 2010). Voir égale-
ment Ubero Lina, « Le musée d’Histoire de la ville de Barcelone, un musée de musées », in Fonseca Brefe,
Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 140-147.
116  À cet égard, voir notamment le long chapitre consacré à la notion de « local » à propos de la France
des xixe et xxe siècles dans Les lieux de mémoire. Gasnier Thierry, « Le local, une et indivisible », in Nora,
Les lieux de mémoire, t. III, vol. 2, op. cit., p. 462-525 (« Le jacobin et l’antiquaire », p. 467-469).

41
Le musée de ville

alors les populations elles-mêmes – ou plus exactement certaines catégories éru-
dites de citoyens – qui manifestent un besoin d’enracinement, caractérisé par une
proximité plus forte que celle proposée au niveau national. Cette dernière s’incarne
notamment à travers l’émergence et la structuration des espaces locaux, autrement
dit des divisions du territoire national, en autant de « cadres de mémoire » parti-
culiers, porteurs de sens et vecteurs d’identités spécifiques.

Les sociétés savantes


En dehors de la sphère muséale proprement dite – bien que des liens étroits les
uniront rapidement –, l’expression la plus évidente de ce processus réside sans nul
doute dans l’efflorescence, partout en Europe et en Amérique du Nord, d’innom-
brables sociétés savantes explicitement dédiées à la production de mémoire locale.
Consacrées à l’étude et la valorisation d’une région, d’un État, d’un canton, d’une
province, d’une ville ou d’un village, ces associations regroupent les élites bour-
geoises locales, dont la notabilité repose plus souvent sur le savoir que sur la fortune.
Fonctionnaires, archivistes, conservateurs, médecins, historiens amateurs, archi-
tectes ou encore représentants des milieux scientifiques et artistiques y figurent
dès lors en bonne place 117. Comme l’a montré Jean-Pierre Chaline pour le cas de
la France, ces sociétés joueront un rôle indéniable dans l’incitation intellectuelle
et l’animation culturelle de ces lieux, dont elles ambitionnent de faire remonter le
passé au jour et de sauvegarder le patrimoine. Dans cette perspective, les activi-
tés proposées par ces dernières sont nombreuses. La diffusion des connaissances
passe ainsi par la publication de Mémoires, de Bulletins, de guides à l’usage des
« étrangers », d’histoires et de descriptions locales…, tandis que des bibliothèques
spécialisées, parfois richement dotées, sont créées pour être mises à la disposition
de leurs membres. Des concours, des séances publiques, des cycles de conférences,
voire de véritables enseignements sont organisés, à côté d’animations plus folk-
loriques telles que les spectacles historiques en costumes, mis au goût du jour à
partir des années 1860 pour « [célébrer] les grands jours et les riches heures de la
localité 118 ». C’est enfin par l’établissement et l’enrichissement de très nombreux
musées locaux, gérés par les administrations communales ou les sociétés elles-
mêmes, que ces dernières signent probablement de la manière la plus visible leur
investissement mémoriel. La plupart d’entre elles considèrent en effet qu’il en va
naturellement de leur mission d’inclure, en plus de l’encouragement à l’étude des
sources de l’histoire du lieu, la collecte et la préservation dans un local propice des
vestiges matériels qui y sont attachés.
Au cours du xixe siècle, ces sociétés vont se multiplier dans tous les pays, sur l’en-
semble des territoires, et pas uniquement dans les pôles d’attraction culturelle que
représentent les grandes villes. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les réper-
toires et publications qui leur sont consacrés, généralement par pays. En guise
d’exemples, nous évoquerons successivement les traits caractéristiques de quatre

117  Ibid., p. 489. Chaline Jean-Pierre, Sociabilité et érudition, les sociétés savantes en France, xixe-xxe siècles,
Paris, Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1995, p. 91-129.
118  Gasnier, « Le local… », in Nora, Les lieux de mémoire, op. cit., p. 462-525, p. 510.

42
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

d’entre eux : la France, la Belgique, les États-Unis, puis le Canada. Il est évident
que bien d’autres nations, comme le Royaume-Uni, auraient eu leur place dans
ce rapide survol 119.
En France, 184 sociétés historiques sont formées en province entre 1818 et 1914.
L’espace normand est clairement celui qui donne l’impulsion, puisque quatre des
cinq sociétés les plus précocement créées y sont situées. Ce dynamisme est dû
à la personnalité hors norme de l’historien et archéologue Arcisse de Caumont
(1801-1873) 120. Celui-ci est en effet le fondateur de deux importantes organisa-
tions toujours en activité aujourd’hui : la Société des antiquaires de Normandie
en 1824 et la Société française d’archéologie dix ans plus tard. Il s’agit indénia-
blement d’une des figures les plus emblématiques de la sociabilité érudite de son
siècle. Dans le reste du pays s’installent progressivement diverses associations
savantes qui prendront une part active à la matérialisation de l’identité des terri-
toires, locaux ou régionaux, par la création de nombreuses institutions muséales.
Ainsi, le Musée lorrain à Nancy, ouvert au public en 1850 dans l’ancien Palais
ducal est-il une création de la jeune Société d’archéologie lorraine, fondée deux ans
plus tôt, notamment dans ce but 121. Inauguré par Napoléon III en 1867, le musée
de Picardie à Amiens – appelé jusqu’en 1875 musée Napoléon – est quant à lui
le fruit du travail acharné des membres de la Société des antiquaires de Picardie
qui prévoient, dès sa fondation en 1836, de constituer un « Musée départemen-
tal et communal ». À grands renforts de loteries destinées à couvrir les frais de
construction et d’aménagement, ils conçoivent un véritable « Versailles picard »
sur le modèle du Louvre, « monument à la Picardie, élevé à toutes les gloires de la
province 122 ». Les antiquaires, endettés, se voient cependant contraints d’en céder
la propriété à la ville dès 1869. Les exemples de localités dotées d’un musée en
partie ou en totalité grâce à l’action de ces sociétés en province pourraient encore
être multipliés (Périgueux, Chalon-sur-Saône, Orléans…), bien qu’à une échelle
souvent plus modeste que l’ambitieux projet amiénois.
La ville de Paris occupe quant à elle, bien logiquement, une place privilégiée dans
la géographie de la France « savante » au xixe siècle. La capitale regroupe en effet
un cinquième des sociétés historiques recensées sur l’ensemble du pays. Ce sont
également parmi celles-ci que se comptent les plus prestigieuses au niveau natio-
nal – en termes de collections, d’activités, de nombre et de qualité des adhérents –,
telles la Société des antiquaires de France, anciennement Académie celtique (1804),
dont le siège se trouve au musée du Louvre, ou la Société de l’histoire de France,

119  Le site internet de la revue Local History Magazine recense par exemple en 2012 plus de 1 200 socié-
tés d’histoire locale sur l’ensemble du territoire britannique, dont une portion considérable sont des créa-
tions du xixe siècle, signe de la vitalité de cette catégorie d’institutions outre-Manche. Local History online
[en ligne], http://www.local-history.co.uk/Groups (page consultée le 18/05/2015). On consultera égale-
ment avec intérêt l’article déjà ancien de Wallis F. S., « Musées régionaux et locaux en Angleterre, au Pays
de Galles et en Irlande du Nord », in Museum, vol. 10, no 3, Paris, 1957, p. 180-184, qui décrit plusieurs
exemples de musées locaux fondés par des sociétés historiques, comme le Colchester Museum, créé en 1866
par la Essex Society for Archaeology and History.
120  Bercé Françoise, « Arcisse de Caumont et les sociétés savantes », in Nora, Les lieux de mémoire, t. II,
vol. 2, op. cit., p. 533-567.
121  Georgel, « L’histoire au musée », in Amalvi, Les lieux…, op. cit., p. 123.
122  Hertzog Anne, « Musée, espace et identité territoriale en Picardie », in Mappemonde, no 66, vol. 2,
Avignon, UMR Espace, 2002, p. 25-28. Voir également Chaline, Sociabilité et érudition, op. cit., p. 177-178.

43
Le musée de ville

fondée en 1833 à l’initiative de François Guizot, abritée quant à elle à l’hôtel de


Soubise. Comme leur nom l’indique, ces sociétés ne sont cependant pas tournées
spécifiquement vers l’histoire parisienne. Le champ réellement local n’est en fait
investi qu’assez tardivement, dans le dernier quart du xixe siècle, avec la créa-
tion de diverses associations telles que la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-
de-France (1874), la Société des amis des monuments parisiens (1884), le vieux
Montmartre (1886) 123… Nous reviendrons sur ces dernières au moment d’évo-
quer le musée Carnavalet de Paris.
Au cours de son premier siècle d’existence, la jeune Belgique est elle aussi marquée
par ce phénomène d’implantation de sociétés savantes sur son territoire. C’est ainsi
qu’au moins quinze d’entre elles sont créées dans différentes villes de Wallonie et à
Bruxelles à cette époque 124. L’intérêt dont elles témoignent pour le fait local s’ins-
crit plus particulièrement dans le développement de la science archéologique, au
vu de la récurrence presque systématique de ce dernier terme dans les titulatures
de ces sociétés. Ces groupements d’érudits ne manqueront donc pas de contri-
buer à la création de divers musées, comme les y incitent d’ailleurs les statuts dont
ils se dotent 125. L’une des plus anciennes de ces institutions est le musée archéo­
logique de Namur, qui abrite les collections – provenant exclusivement de fouilles
effectuées en différents sites de la province – appartenant à la société éponyme,
fondée en 1845 126. Dès 1849, deux salles du Palais de justice lui sont accordées,
mais elles se révèlent peu adaptées à une destination muséale. C’est en 1853 que la
ville de Namur octroie à la société la jouissance de la Halle al’Chair, ancien siège
de la corporation des Bouchers, pour y installer durablement son musée, qui est
inauguré moins de deux ans plus tard 127.
Quant à la situation de l’autre côté de l’Atlantique, c’est un ouvrage publié en 1908
par le Carnegie Institution de Washington, fondation de recherche instituée six
ans plus tôt en faveur de la découverte scientifique, qui nous en offre le meilleur

123  La liste ne se veut pas exhaustive. Fiori Ruth, L’invention du vieux Paris, Naissance d’une conscience
patrimoniale dans la capitale, Wavre, Mardaga, coll. « Architecture », 2012, p. 13. Chaline, Sociabilité et éru-
dition, op. cit., p. 47-48.
124  Haenens d’ Albert et Pinson Colette, Les sociétés d’histoire et d’archéologie de la communauté Wallonie-
Bruxelles, Namur, CACEF, 1980.
125  « L’Institut archéologique liégeois est fondé pour rechercher, étudier et conserver les antiquités et monu-
ments archéologiques, particulièrement ceux de la province, de l’ancien pays de Liège et de ses dépendances. »
Ainsi est rédigé en 1909 l’article 1 des Statuts de l’Institut archéologique liégeois, à l’occasion du transfert
des collections de la société, créée quelques 60 ans plus tôt, au palais Curtius, siège du nouveau musée d’Ar-
chéologie et d’Arts décoratifs de Liège. Cette préoccupation muséale était présente dès l’origine, même si le
premier musée de l’Institut n’est inauguré qu’en 1874, dans quelques salles du palais des Princes-Évêques.
« Institut archéologique liégeois : Statuts et Convention conclue le 22 juillet 1909 entre la Ville de Liège
et l’IAL », in Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, tome XXXIX, 1909, p. I-IX, p. I [en ligne], Internet
Archive, http://archive.org/details/bulletin39instuoft (page consultée le 18/05/2015).
126  Gob André, « Les musées, un enjeu culturel pour la Wallonie », in Demoulin Bruno (dir.), Histoire
culturelle de la Wallonie, Bruxelles, Fonds Mercator, 2012, p. 327-337, p. 329. Voir également Société archéo-
logique de Namur [en ligne], www.lasan.be (page consultée le 18/05/2015).
127 « Établissement d’un Musée communal à Namur : projet de M. J. Wautlet », in Annales de la Société
archéologique de Namur, t. 2, 1851, p. 103-109. Par ailleurs, d’autres musées liés à cette dynamique société
savante seront créés plus tard, dans le courant du xxe siècle : le musée de Groesbeeck-de Croix (arts déco-
ratifs, en 1936) et le musées des Arts anciens du Namurois, en 1964.

44
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

aperçu. The Handbook of learned societies and institutions 128 recense en effet, avec
l’ambition de l’exhaustivité, des centaines de sociétés savantes, non seulement aux
États-Unis – pour l’immense majorité d’entre elles – mais également au Canada
et, dans une moindre mesure, en Amérique du Sud. En ce début de xxe siècle,
il n’est alors pas une ville, un État ou un comté américain qui ne dispose de son
Archaeological Institute ou Historical society 129. Ce type particulier d’institutions,
caractéristiques de la culture américaine, se développe à partir des dernières années
du xviiie siècle, peu de temps seulement après l’accession à l’indépendance de la
nation. C’est tout naturellement sur la côte atlantique, et plus particulièrement en
Nouvelle-Angleterre qu’apparaissent les premières de ces sociétés savantes, prin-
cipalement dédiées à la recherche. Cette région est en effet depuis de nombreuses
années, déjà au temps de la domination britannique, un véritable vivier intellec-
tuel qui a notamment vu naître les universités et bibliothèques américaines 130. La
plus ancienne 131 de toutes ces sociétés historiques est la Massachusetts Historical
Society, installée à Boston dès janvier 1791, dans le but de « rassembler et proté-
ger les sources de l’histoire américaine 132 ». En raison de l’absence à ce moment
de toute autre institution chargée de veiller à la conservation des traces de cette
histoire en train de s’écrire – ce n’est qu’au cours des décennies suivantes qu’appa-
raîtront ailleurs dans le pays des sociétés répondant à ces objectifs, comme la New
York Historical Society 133 en 1804, puis l’American Antiquarian Society en 1812 –,
les érudits bostoniens ont d’abord inscrit leurs travaux dans un cadre national, à
la fois en termes de collections et de publications. Dégagés ensuite de cette res-
ponsabilité pesant sur leurs seules épaules – « l’unique dépôt de la nation pour
l’histoire américaine 134 » –, ils ont l’occasion de porter plus particulièrement leur
attention sur leur ville et l’État du Massachusetts en général, constituant notam-
ment une bibliothèque historique de premier ordre. Celle-ci est formée, selon un
modèle traditionnel, de quatre catégories de matériaux : les manuscrits, les col-
lections de journaux, les documents publics, et enfin les publications locales et

128  Thompson James David (ed.), Handbook of learned societies and institutions, America, Washington,
Carnegie Institution of Washington, 1908 [réimpression : Detroit, Gale Research Company, 1966].
129  Miller Nyle H., « A look at historical societies », in The Museum news, Washington, 1962, vol. 40,
no 6, p. 26-29. « The History Museum », in Alexander et Alexander, Museums in motion, op. cit., p. 113-
138, p. 118-119.
130  L’université d’Harvard, à Cambridge, Massachusetts, a été fondée dès 1636. D’autres universités parmi
les plus prestigieuses du pays sont créées dans le courant du xviiie siècle (Yale, Columbia, Brown…). Par
ailleurs, des bibliothèques publiques existent déjà dans plusieurs villes de la région à la fin du xviiie siècle
(Boston, Philadelphie…). Selbach Gérard, « Esquisse d’une histoire des musées américains : naissance,
croissance, missions et politique fédérale et locale », in Revue LISA/LISA e-journal, vol. 5, no 1, 2007 [en
ligne], http://lisa.revues.org/1593 (en ligne depuis le 20/10/2009, page consultée le 18/05/2015), § 6.
131  Entretien avec Louise Mirrer, présidente et CEO de la New York Historical Society (23 juin 2010).
Voir aussi Thompson, Handbook of learned societies…, op. cit., p. 216-218. Nyle H. Miller recense 65 socié-
tés historiques dans le pays en 1860, et Edward et Mary Alexander 78 en 1876.
132 « […] to gather and protect the basic sources of American history. » The Massachusetts Historical Society [en
ligne], http://www.masshist.org (page consultée le 18/05/2015).
133  Entretien avec Louise Mirrer (23 juin 2010). Vail Robert W., Knickerbocker birthday, a sesqui-cen-
tennial history of the New York Historical Society 1804-1954, New York, New York Historical Society, 1954.
Sandweiss Eric, « “ The novelties of the town” – Museums, cities, and historical representation », in Jones,
Macdonald et McIntyre, City museums and city development, op. cit., p. 40-59.
134 « […] the nation’s only repository of American history. » The Massachusetts Historical Society [en ligne], op. cit.

45
Le musée de ville

éphémères. De nombreuses sociétés savantes « d’États » servent dès lors de dépôts


pour les archives gouvernementales, avant que ne soient créés des services officiels
à cette fin, dont les National Archives, en 1934.
Comme nous l’avons vu précédemment pour d’autres pays, la plupart des sociétés
historiques américaines du xixe siècle – environ la moitié d’entre elles – sont à l’ori-
gine de la constitution de musées, « l’un des moyens les plus pratiques, agréables et
instructifs de ramener le passé à la vie 135 ». Certaines, comme la Chicago Historical
Society, fondée en 1856 et dont les missions sont définies comme suit, sont même
progressivement assimilées à leur propre musée, les deux entités allant finalement
jusqu’à être considérées comme une seule, indissociable :
« Instaurer et encourager la recherche historique, recueillir et préserver les sources de l’his-
toire, et diffuser l’information historique, en particulier dans les États du Nord-Ouest 136. »
D’un point de vue muséographique, la description faite en 1962 par le secrétaire
de la Kansas State Historical Society, de son musée remontant au dernier quart du
siècle précédent restitue parfaitement l’atmosphère surannée régnant « d’ordinaire
dans le musée d’une société historique : un lieu terne et inintéressant avec des
rangées les unes derrière les autres de vitrines remplies de bric-à-brac assorti 137 ».
Parmi les trésors exposés figurent notamment un coquillage géant du Pacifique
sud, une bouteille d’eau de la mer Morte, un assortiment de souches d’arbres et
des briques provenant d’édifices historiques !
La lutte pour la sauvegarde de monuments menacés fait elle aussi partie des moti-
vations fondamentales de plusieurs de ces sociétés. L’exemple le plus embléma-
tique à ce sujet est probablement celui de la Bostonian Society, gestionnaire depuis
la fin du xixe siècle de l’Old State House de Boston 138.
Ce bâtiment public est le plus vieux survivant de son genre du temps de l’Amé-
rique coloniale. Construit dans le premier quart du xviiie siècle pour abriter les
bureaux du gouvernement de la colonie du Massachusetts, il a acquis au cours du
temps une importance historique remarquable, puisque ces lieux ont été le théâtre
d’événements centraux dans le déclenchement de la Révolution américaine. Après
l’Indépendance, le bâtiment sert dans un premier temps de siège de l’Assemblée du
Massachusetts, puis d’hôtel de ville. À partir de la moitié du xixe siècle, le bâtiment,
propriété municipale, perd son rôle politique et est affecté à un usage commercial.
Il amorce dès lors une lente période de déclin et de dégradations, faute d’entretien.

135 « […] one of the most practical, enjoyable and instructive means of bringing the past to life. » Miller, « A
look at historical societies », in The Museum news, op. cit., p. 29.
136 « To institute and encourage historical inquiry, to collect and preserve the materials of history, and to spread
historical information, especially within the Northwestern states. » Thompson, Handbook of learned societies…,
op. cit., p. 153. Ce processus a atteint son aboutissement très récemment, en 2006, lorsque le nom Chicago
Historical Society est changé en The Chicago History Museum. Le musée a finalement pris le pas sur l’insti-
tution qui l’a créé un siècle et demi plus tôt. Il semble également que ce changement de nom traduise une
volonté d’ouverture auprès de nouveaux publics, qui n’étaient pas la cible traditionnelle des historical socie-
ties, plutôt exclusives d’un point de vue social.
137 « […] the average historical society museum [:] a dull and stodgy place with row after row of cases filled with
assorted bric-a-brac. » Miller, « A look at historical societies », in The Museum news, op. cit., p. 29.
138  A Summary of restoration, renovation & reinterpretation completed and proposed under A Master plan for
the Old State House, Boston, The Bostonian Society, mars 2010.

46
L’Old State House de Boston, le plus grand édifice de la ville à l’époque de sa construction.
Le musée de ville

Vers 1880, les menaces de destruction de l’édifice sont réelles, en raison de la


modernisation accélérée de son environnement immédiat – des lignes de métro
sont même creusées directement sous le bâtiment, considéré par ailleurs comme
nuisible au développement du trafic. La ville de Chicago fait alors à cette époque la
proposition évidemment provocante de le racheter, afin de le déplacer et le recons-
truire sur les rives du lac Michigan 139. Blessés dans leur amour-propre patrio-
tique, quelques Bostoniens influents décident de réagir et constituent, en 1881,
la Bostonian Society, avec pour objectif essentiel de restaurer ce « national historic
landmark » et d’en faire un musée de l’histoire de Boston. Cette société devient
rapidement une institution d’importance parmi ses pairs, puisqu’en 1908, elle
compte plus de mille membres payant une cotisation, chiffre bien supérieur à la
moyenne nationale 140.
Enfin, comparées à leurs consœurs américaines, les sociétés savantes canadiennes
sont quant à elles relativement peu nombreuses au xixe siècle. Elles se consacrent
davantage à l’histoire du pays dans son ensemble qu’à celle, plus spécifique, des
lieux auxquels elles empruntent leur nom. C’est notamment le cas de la Société
littéraire et historique de Québec (1824) – la plus ancienne au Canada –, de la
Société historique de Montréal (1858), de la Société de numismatique et d’archéo-
logie de Montréal (1862), installée au château Ramezay 141 depuis les années 1890,
ou encore des Women’s Canadian Historical Societies de Toronto (1895) et d’Ot-
tawa (1898).
En conclusion, à travers la description, au cours du xixe siècle et dans différents
pays, du phénomène d’émergence des sociétés savantes, historiques et/ou archéo-
logiques, nous avons tenté de montrer le rôle précurseur joué par ces générations
d’érudits au regard de la problématique qui nous anime. Généralement en dehors
de toute initiative d’ordre public, ces groupements de savants amateurs ont contri-
bué concrètement à la constitution, la conservation et la présentation de nom-
breuses collections relatives non seulement à l’histoire, la culture et le mode de
vie de territoires aux dimensions variables – depuis de modestes localités jusqu’à
des régions entières –, mais aussi aux personnalités qui en ont façonné les grandes
heures. Les musées sur les villes qui se développeront à partir de la fin du siècle et
qui forment le cœur notre étude, sont indéniablement héritiers de cette tradition.
Les sociétés savantes ne sont cependant pas les seules institutions à témoigner en
ce temps d’une volonté de valorisation des ancrages locaux. Différents types de
musées non liés à ces dernières constituent également une forme de réponse aux
revendications identitaires qui s’expriment alors.

139  Entretien avec Bryan LeMay, président et directeur exécutif de la Bostonian Society and Old State
House Museum (8 juin 2010).
140  Thompson, Handbook of learned societies…, op. cit., p. 116.
141  Entretien avec André Delisle, directeur du musée du château Ramezay, Montréal (8 mai 2010). Dufour
Pierre, Un château au cœur du Vieux-Montréal, Montréal, musée du château Ramezay, 1998, p. 12. Gagnon
Hervé, « Divertissement et patriotisme : la genèse des musées d’histoire à Montréal au xixe siècle », in Revue
d’histoire de l’Amérique française, vol. 48, no 3, 1995, p. 317-349, p. 332-347.

48
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

Le château Ramezay, résidence au xviiie siècle du gouverneur de Montréal,


devenu l’un des premiers musées de la ville.

Les musées locaux


« Les musées consacrés à l’histoire des villes prolifèrent dans les dernières décennies du
xixe siècle […]. Cela fait partie d’un mouvement qui, surtout dans les pays de langue alle-
mande, va multiplier le nombre de Heimatmuseen […]. Ils ont leur équivalent en Italie dans
les musei di storia patria ou musei civici et en France dans les musées cantonaux […] 142. »
Dans un article de 2004 consacré aux liens entre musée et histoire, Krzysztof Pomian
identifie trois « modèles » de musées locaux qui accompagnent, dans une seule et
même dynamique, l’apparition dans le paysage muséal de la fin du xixe siècle des
musées dédiés aux villes et à leur histoire. Il ne s’agit pas, à proprement parler, de
figures « annonciatrices » de cette dernière catégorie, mais plutôt concomitantes.
Leur présence dans ce chapitre prend pourtant tout son sens, dans la mesure où
ces formes muséales, largement tombées en désuétude aujourd’hui, représentent
l’incarnation muséographique parfaite de la notion de « petite patrie », telle qu’elle
prévaut à cette époque, toute entière traversée de soubresauts identitaires. Sans
cette remise en contexte, la création du musée Carnavalet, puis après lui de ceux
qui s’en inspireront, ne peut se comprendre complètement.

142  Pomian, « Le musée face à l’histoire », in Saule, L’histoire au musée, op. cit., p. 99-126, p. 116.

49
Le musée de ville

Contrairement à Pomian cependant, nous ne considérons pas ces trois types


d’institutions – l’Heimatmuseum allemand, le musée cantonal français et le museo
civico italien – comme des équivalents, déclinaisons locales d’un modèle unique.
Chacune d’entre elles est en effet héritière d’une tradition nationale particulière
et présente donc des caractéristiques qui lui sont propres, bien qu’elles partagent,
surtout pour l’Allemagne et la France, un certain nombre de similitudes. « L’amour
du sol natal 143 » est l’un de ces traits communs, tout comme l’insistance systéma-
tique sur une mission explicitement considérée comme centrale : l’éducation des
masses laborieuses. Paysans des campagnes et ouvriers des centres urbains sont les
cœurs de cible assumés de ces types muséaux particuliers, pensés et animés par les
élites bourgeoises. Le discours qu’adresse alors le musée au prolétariat est entière-
ment empreint de paternalisme, visant à maintenir l’ordre au sein de la hiérarchie
sociale. À cet égard, le projet – très proche par certains aspects de ces musées locaux
en d’autres pays d’Europe – resté inachevé de Musée populaire, proposé dans les
années 1860 par Charles Buls, futur bourgmestre de Bruxelles, pour la capitale
belge, exprime cette dernière conviction avec éloquence :
« Nous avons rencontré souvent de ces intelligences incultes, mais éveillées, possédées
du besoin de s’éclairer. […] Il y a là toute une population d’affamés qui ne demandent
qu’à mordre aux fruits de l’arbre de la science, d’altérés qui aspirent aux sources pures
de la vérité 144. »
Comme le constate à plusieurs reprises dans une publication récente la politologue
Véronique Charléty qui leur a consacré sa thèse de doctorat, les Heimatmuseen alle-
mands sont durablement marqués d’une « estampille noire […], la première qui
vient à l’esprit de nombreux Allemands lorsqu’on prononce le mot Heimat ou tout
autre mot comportant ce préfixe 145 ». Cette estampille est celle du stigmate natio-
nal-socialiste, fracture fondamentale qui conditionne immanquablement tout regard
contemporain porté sur l’histoire de cette nation. Le Dictionnaire encyclopédique de
muséologie rappelle en effet l’instrumentalisation dont a été victime cette catégorie
de musées avec l’arrivée au pouvoir des nazis dans les années 1930 et la conno-
tation idéologique qui lui est désormais indissolublement attachée 146 : le musée
patriotique des origines devenu un musée de propagande raciste. L’Heimatmuseum
n’est pourtant pas une création de l’Entre-deux-guerres, mais bien des dernières
années du xixe siècle et le contexte culturel dans lequel il s’épanouit alors n’a que
peu à voir avec celui précédant le second conflit mondial, même si la dimension
identitaire est très fortement présente dès ses débuts.

143  lehmann Otto, « L’évolution des musées allemands et les origines des Heimatmuseen », in Mouseion,
vol. 31-32, no III-IV, Paris, 1935, p. 111-117, p. 114.
144  Buls Charles, Un projet de musée populaire, Bruxelles, Muquardt, 1874, p. 4 et 26. Pour une analyse
détaillée de ce Musée populaire, voir Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 45-46. Noémie
Drouguet a également abordé ces questions. Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 47. Cette figure poli-
tique bruxelloise sera évoquée au chapitre suivant, car Charles Buls a joué un rôle déterminant dans la créa-
tion du musée de la Ville de Bruxelles, ouvert au public en 1887.
145  Charléty, Itinéraire d’un musée…, op. cit., p. 41.
146 « Heimatmuseum », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 608.

50
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

Le terme Heimat, dont l’étymologie remonte au Moyen Âge, n’a pas d’équivalent


direct en français. Il se rapproche plutôt de l’anglais Home et évoque différentes
notions, telles que la patrie, le sol, le foyer natal ou encore les anciens. Les auteurs
en font principalement un usage poétique et littéraire jusqu’au xixe siècle, moment
à partir duquel il « entre dans le champ politique par le biais de l’idéologie 147 ».
On voit alors apparaître dans toute l’Allemagne des associations de défense de la
Heimat, « îlot identitaire utopique 148 », en réaction aux menaces, notamment en
termes de changements urbains et sociaux, que ferait peser sur elle l’ère de moder-
nisation et d’industrialisation dans laquelle est entré le pays. La plupart du temps,
les Heimatmuseen – « qui ont poussé comme des champignons 149 » à partir de la
fin du siècle, pour reprendre la formule employée en 1935 par l’ethnologue Otto
Lehmann – sont des émanations de ces Heimatvereine rassemblant, comme les
sociétés historiques dans d’autres pays, les notables de la cité auxquels s’associent
volontiers les pouvoirs publics, régionaux ou municipaux. D’autres fois, le musée
est créé à l’occasion de commémorations et de festivités diverses. C’est notam-
ment le cas de l’Heimatmuseum de Celle, en Basse-Saxe, fondé en 1892 pour célé-
brer le 600e anniversaire de la ville.
Le mot Heimatmuseum est traduit le plus souvent par musée d’histoire locale
(Charléty) ou musée de terroir (Pessler 150), bien que l’expression allemande soit la
plus adéquate. La majorité de ces musées sont des institutions de très petite taille, la
plupart du temps abritées dans les locaux de la mairie ou de l’école. L’Heimatmuseum
est le cadre d’un récit nostalgique qui s’appuie sur l’histoire locale et l’environne-
ment immédiat, dont il convient de conserver les traces, pour valoriser une vision
passéiste du monde. Trois domaines en particulier y sont généralement présentés,
déterminant des politiques d’acquisition relativement homogènes d’un musée à
l’autre. Le premier est l’histoire, illustrée par divers cartes, plans, documents pho-
tographiques ou illustrés, armes et uniformes, objets rescapés de la disparition des
corps de métiers… Le deuxième domaine est d’ordre ethnographique, voire folk-
lorique, et concerne la culture domestique, la vie quotidienne. Sont donc exposés
des costumes traditionnels, du mobilier, des ustensiles ou encore des productions
de l’artisanat local. Enfin, une place est faite à la géographie et au patrimoine
naturel et archéologique de la région, à travers des reliefs, des vestiges géologiques
et paléontologiques, etc.
La muséographie des Heimatmuseen se révèle étonnamment moderne pour l’époque
car ici, comme le fait remarquer Noémie Drouguet, « le message prime sur la
collection 151 ». La fonction éducative du musée est prioritaire sur sa mission de
conservation, ce qui l’amène à concevoir des dispositifs didactiques dans lesquels
fac-similés, copies et maquettes trouvent leur place, à côté d’objets authentiques,
« qui ne sont plus collectionnés pour eux-mêmes, mais doivent servir à l’explication

147  Charléty, Itinéraire d’un musée…, op. cit., p. 41.


148  Ibid., p. 43.
149  lehmann, in Mouseion, op. cit., p. 114. L’auteur cite le nombre de 2 000 Heimatmuseen créés entre la
fin du xixe siècle et les années 1930.
150  Pessler Wilhelm, « Heimatmuseen d’Allemagne », in Museum, vol. 4, no 2, Paris, 1951, p. 95-103.
151  Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 67.

51
Le musée de ville

et à la formation de concepts 152 ». Mais ce qui distingue par-dessus tout l’Hei-


matmuseum des autres institutions, et qui constitue finalement ses raison d’être et
spécificité ultimes, est sa capacité à offrir au regard, au travers d’un discours néces-
sairement fictionnel, la figure du « genius loci », seule à même de permettre la sauve-
garde de l’identité de la petite patrie et par extension, de la nation allemande tout
entière. La réception auprès des muséologues et des professionnels de cette catégo-
rie de musées à l’extérieur du Reich est, au moins jusque dans les années 1930, très
enthousiaste. Nina Gorgus, biographe de George Henri Rivière, montre notam-
ment à quel point les Heimatmuseen sont considérés, durant le premier tiers du
xxe siècle, comme des institutions à la pointe de la technique muséale, citées en
exemple et régulièrement à la une de revues internationales comme Mouseion 153.
Le musée cantonal est souvent présenté comme la transposition française de l’Hei-
matmuseum. Il est vrai qu’ils partagent de nombreux points communs, dont les
dimensions réduites des établissements, la prépondérance de leur mission d’édu-
cation et un intérêt porté à l’exposition des « richesses géographiques, historiques
et sociales de l’aire au sein de laquelle le musée est installé 154 ». Ils ont l’un et
l’autre connu un succès et un développement rapide : le premier musée cantonal
est inauguré à Lisieux en 1876 ; l’année suivante, douze localités de sept dépar-
tements, en majorité normands, en sont dotées, tandis que François Mairesse en
estime le nombre à 75 en 1890 155. À l’inverse cependant de l’institution allemande,
le musée français ne perdure pas dans le temps, puisque ce modèle disparaît avec
la Première Guerre mondiale. Et surtout, d’un point de vue plus fondamental, il
ne procède pas comme l’Heimatmuseum d’une conception conservatrice ou nos-
talgique de la société, mais au contraire d’une ferme volonté d’ancrer le musée
dans la modernité des temps contemporains. En effet, comme l’écrit leur initia-
teur, l’avocat Edmond Groult en avril 1877 dans un courrier adressé aux délégués
des sociétés savantes à la Sorbonne :
« Les musées cantonaux, comme l’indique leur nom, s’adressent principalement aux
populations laborieuses et honnêtes de nos campagnes trop négligées jusqu’à ce jour.
[…] Ils sont, dans chaque canton, le résumé plus ou moins complet des connaissances
pratiques indispensables dans le siècle où nous sommes 156. »
En cette fin de xixe siècle, le canton est à la fois défini comme un « coin de pays »
et comme une circonscription territoriale, généralement formée de plusieurs com-
munes et comprise dans l’arrondissement. Il ne possède plus aucun rôle administra-
tif depuis la Constitution consulaire de l’an VIII (1799-1800), mais constitue par
contre une subdivision judiciaire, dans le ressort de laquelle s’exerce la juridiction

152  lehmann, in Mouseion, op. cit., p. 116. Bien qu’un peu tardive (1935), cette citation se révèle pour-
tant valable pour décrire la politique muséographique des premiers Heimatmuseen. Charléty, Itinéraire
d’un musée…, op. cit., p. 77-78.
153  Gorgus Nina, Le magicien des vitrines. Le muséologue Georges Henri Rivière, Paris, Maison des sciences
de l’homme, 2003, p. 233-249. Voir également Poulot, Une histoire des musées de France, op. cit., p. 148-149.
154  « Musée cantonal », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 626.
155  Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 169, note 50.
156  Groult Edmond, Institution des musées cantonaux : lettre à Messieurs les Délégués des Sociétés savantes
à la Sorbonne (3 avril 1877), Paris, Claude Motteroz, 1877 [en ligne], Bibliothèque électronique de Lisieux,
http://www.bmlisieux.com/normandie/musees.htm (page consultée le 18/05/2015).

52
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

du juge de paix 157. L’organisation d’un musée cantonal est quant à elle soumise
à l’autorisation préalable de l’administration communale, et émane générale-
ment de « deux ou trois hommes de bonne volonté 158 », le plus souvent des per-
sonnalités qui comptent au sein de la communauté – le notaire ou l’instituteur –,
mais certaines initiatives sont l’œuvre des travailleurs mêmes auquel le musée est
destiné : humbles artisans, cordonniers, boulangers 159. Cette dimension sociale
en fait l’un des précurseurs de l’écomuséologie. Les lieux les plus divers peuvent
abriter le musée, qui s’adosse alors à une institution locale existante : la salle de la
mairie ou de la Caisse d’épargne, le foyer du théâtre, la salle d’attente de la gare
ou de la justice de paix.
Chaque musée est globalement structuré de la même manière, autour de quatre
sections de taille variable « selon les besoins de la localité 160 » : une section artis-
tique, la moins importante, car les besoins journaliers de la vie sont plus essentiels
que les « nobles jouissances de l’esprit et de l’imagination » ; une section agricole et
industrielle, qui représente tous les métiers manuels du canton, avec des modèles
réduits de machines et d’instruments prêtés pour une durée déterminée par les
inventeurs et les marchands en guise de publicité gratuite ; une section scienti-
fique destinée aux amateurs de physique, de chimie, de mécanique, de géologie
et d’histoire naturelle, avec l’exposition d’instruments de laboratoire, divers spé-
cimens et cartes, des insectes ou encore des collections botaniques ; et enfin une
section historique présentant les principaux monuments du canton, la biographie
des hommes marquants et la liste actualisée sur un tableau d’honneur des culti-
vateurs et négociants récompensés dans les concours.
La caractéristique probablement la plus étonnante pour l’époque de ce programme
idéal de musée cantonal établi par Edmond Groult est son aspect résolument
pratique : il doit concrètement aider le travailleur dans sa vie de tous les jours,
« par la vulgarisation des meilleures machines, par l’indication des meilleurs pro-
cédés de culture et des meilleures races d’animaux à propager dans le canton ».
Plusieurs dispositions muséographiques se révèlent également bien en avance sur
leur temps, par exemple la présence de cartels, « notices très courtes, quelquefois
curieuses, mais toujours instructives, qui accompagnent chacun de ces objets », l’or-
ganisation d’expositions temporaires « d’une durée plus ou moins longue, suivant
l’importance qu’ils [les directeurs des musées] croient devoir accorder à tel ou tel
enseignement » ou encore, en cas d’abondance de certaines catégories d’objets, la
présentation en alternance des collections, « de telle sorte que le musée, fidèle à
son programme général d’enseignement, se transforme perpétuellement dans ses
détails », incitant le public à renouveler régulièrement ses visites puisqu’il y trou-
vera « toujours de nouveaux sujets d’étude et de nouvelles connaissances à ajouter
aux anciennes ». Les instituteurs sont évidemment incités à faire découvrir le
musée cantonal à leurs élèves, tandis qu’une collaboration fructueuse est encou-
ragée entre les deux institutions par l’instauration « d’un petit Musée scolaire dans

157  « Canton », in Nouveau Larousse illustré, tome II, Paris [1902], p. 464.


158  Groult, Institution des musées cantonaux…, op. cit.
159  Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 47 et 169.
160  Groult, Institution des musées cantonaux…, op. cit. Toutes les citations de ce paragraphe et du suivant
sont extraites de ce document.

53
Le musée de ville

chacune des écoles rurales du canton », à partir des collections excédentaires d’ob-
jets scientifiques appartenant au musée 161.
Enfin, la troisième forme de musée local relevée par Krzysztof Pomian est le museo
civico, institution typiquement italienne qui se distingue nettement des deux pré-
cédentes 162. En effet, contrairement à ces dernières qui revendiquent plutôt un
ancrage rural, c’est uniquement dans le contexte urbain que s’épanouit le museo
civico, et ce d’autant plus logiquement que, depuis toujours, ce sont les villes qui
constituent le fondement de la structure politique de l’Italie. Le terme civico
renvoie d’une part au statut public du musée, signifiant que sa gestion est assurée
par la municipalité, et fait intervenir d’autre part les notions de communauté et
d’identité : le musée documente la culture du lieu, « il “sentire” locale 163 ». Né au
xviiie siècle, ce type d’établissements connaît son heure de gloire au cours de la
seconde moitié du xixe, et plus particulièrement dans la période du Risorgimento,
autour des décennies 1850 et 1860. Le museo civico affirme alors fièrement les
« vertus quasi immémoriales 164 » et l’identité particulière de chaque ville, grande
ou petite, au moment même où ces dernières sont absorbées au sein d’un nouvel
État désireux de créer un véritable sentiment national italien. Dans cette optique,
le musée est conçu comme l’expression et le miroir – « lo specchio » – de la commu-
nauté urbaine, ce qui signifie que les objets et témoignages qui y sont rassemblés,
de quelque nature qu’ils soient, sont originaires de la région ou de la ville. Les
collections ne sont donc pas constituées sur base de critères qualitatifs ou esthé-
tiques, mais toujours en fonction de leur valeur historique. On y trouve donc, à côté
d’œuvres d’art issues des écoles locales – souvent offertes à la ville par des mécènes
plus ou moins prestigieux –, toutes sortes d’objets et de documents relatifs à la
vie citadine, sans toutefois s’aventurer sur le terrain réellement ethnographique.
Le museo civico forme un groupe très hétérogène en soi, « pluritipologico 165 », car il
n’est défini par aucun type dominant de programme muséographique ou de col-
lection. La diversité des approches domine en effet le paysage des musées locaux
italiens au xixe siècle, et la situation n’a guère évolué depuis : on y retrouve pêle-
mêle pinacothèques, musées archéologiques, scientifiques ou historiques, parfois
associés à d’autres institutions culturelles dépendant des villes, comme les biblio-
thèques, les dépôts d’archives ou les académies. Le musée est la plupart du temps

161  Les musées scolaires sont particulièrement nombreux dans la France du xixe siècle et jusqu’à la veille
de la Première Guerre mondiale : plus de 13 000. Les collections rassemblées permettent aux enseignants de
développer le sens de l’observation des enfants à partir d’objets courants, dans le cadre des leçons de choses.
Pour Noémie Drouguet, le musée cantonal, qualifié de « pédagogique », s’est développé sur le modèle des
musées scolaires. Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 47. « Musée scolaire », in Desvallées
et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 632. Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 47.
162  Peu de synthèses semblent avoir été écrites au sujet du museo civico et de son histoire. Nous avons
consulté les trois publications suivantes : Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 91. Visser Travagli Anna
Maria, « Museo civico – Museo della città – Museo e città : Profilo strorico, trasformazioni e nuovi compiti
di un’istituzione locale », in Calabi Donatella, Marini Paola et Travaglini Carlo (dir.), I musei della
città, Città & Storia, no 1-2, Anno III, Rome, Associazione italiana di storia urbana (AISU) et Università
degli studi Roma Tre, 2008, p. 51-71. Mottola Molfino Alessandra, Il libro dei musei, Rome, Umberto
Allemandi, 1991, p. 43-44.
163  Visser Travagli, in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 54.
164  Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 91.
165  Visser Travagli, in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 53.

54
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal

abrité dans un bâtiment historique, à la symbolique forte. Ainsi à Sienne, c’est au


cœur de l’emblématique Palazzo Pubblico que, depuis les années 1860, le museo
civico retrace l’histoire, principalement politique, de l’ancienne république 166.
En 1866, le jeune État unitaire dissout les congrégations religieuses dont les biens
et le patrimoine artistique sont sécularisés et confiés aux bibliothèques et musées
locaux. Le brusque afflux d’objets nouveaux à conserver nécessite dès lors une réor-
ganisation de la part de l’institution muséale, qui s’effectue sur le mode scienti-
fique et classificatoire typique du temps. Par ailleurs, à partir du transfert définitif
de la capitale à Rome en 1870, l’Italie entre à son tour dans l’ère industrielle et
est entraînée dans un vaste processus de modernisation de ses structures, sur l’en-
semble du territoire. À l’instar des projets menés au même moment à Paris par
Haussmann, les cités subissent alors de grands travaux d’urbanisation, synonymes
à la fois de nombreuses destructions et de découvertes archéologiques. Les musées
locaux deviennent alors les dépositaires de ce patrimoine déplacé ou exhumé, à
l’image du Museo Civico Archeologico de Bologne, ouvert en 1881 pour accueillir
notamment les résultats des fouilles de sites villanoviens et étrusques effectuées
dans la ville et ses environs à cette époque.

Un musée au croisement du local et du national


Par ce chapitre, nous avons tenté de mettre en perspective quelques-uns des élé-
ments qui constituent l’arrière-plan sur lequel se greffe, à partir des deux dernières
décennies du xixe siècle, le phénomène des musées consacrés aux villes. À la lumière
des éléments présentés, il apparaît que ceux-ci ne dérogent pas à la règle selon
laquelle toute création d’institution muséale, et à plus forte raison encore l’appa-
rition d’un type nouveau de musée, est le fruit d’une évolution et d’un contexte
particuliers. Ils ne surgissent en effet pas soudainement du néant au beau milieu
du Paris des années 1880, avant de se multiplier sur toute la surface du globe. Ils
sont au contraire issus d’une articulation progressive entre deux niveaux d’identi-
fication, le national et le local, à chacun desquels ils empruntent certaines de leurs
caractéristiques muséologiques propres.
L’originalité du modèle ainsi formé réside en réalité moins dans le choix de la
thématique abordée – les sociétés savantes et certains musées locaux s’intéressent
depuis longtemps à la ville – que dans l’entrecroisement d’un statut jusqu’alors
inhabituel et de la volonté de présenter un discours construit sur ce thème de la
ville. En effet, ce sont désormais les autorités municipales qui, généralement, sont
à l’initiative et gèrent le musée, qui devient de la sorte un élément à part entière
de leur politique de communication. Par ailleurs, c’est un concept abstrait que ces
musées, comme avant eux plusieurs institutions à vocation nationale, ambitionnent
d’exposer : l’histoire d’un lieu. Précédemment, les différentes catégories d’institu-
tions locales qui viennent d’être décrites ont plutôt servi de simples réceptacles à
des collections d’objets, souvent hétéroclites et juxtaposés sans réel désir d’en faire

166  Galli Letizia (ed.), Siena, The Palazzo Pubblico, The Civic Museum, The Torre del Mangia, Sienne,
Fondazione Musei Senesi, 2011.

55
Le musée de ville

émerger un message. L’intégration d’une ébauche de discours historique au sein


d’une institution publique purement dédiée à la chose urbaine nous semble dès
lors devoir être portée au crédit du musée Carnavalet, et justifier la place impor-
tante qui lui sera réservée dans le prochain chapitre, consacré à la première période
de l’histoire de ces musées – phase qualifiée de classique. Nous verrons cependant
qu’en termes de réalisations concrètes, cette noble ambition se fait discrète pour
les générations précoces d’institutions modelées sur le musée Carnavalet. Pour un
temps encore long, la primauté absolue de l’objet ne fait guère débat.

56
Chapitre 3
L’âge classique du musée d’histoire de ville

Le musée Carnavalet de Paris,


institution fondatrice
« L’administration municipale de Paris a décidé, en 1866, la création d’un Musée d’archéo-
logie parisienne où seront réunis des objets anciens provenant de monuments ou d’ha-
bitations particulières, objets de luxe ou objets usuels, vêtements, outils, armes, etc. Il y
aura aussi des collections de gravures, de vues et de plans de Paris, d’ouvrages anciens,
de toutes choses enfin se rapportant à l’histoire de Paris. […]
Le Musée d’archéologie sera installé dans un édifice qui n’en sera pas la partie la moins
curieuse. En effet, la ville a acheté, pour cette destination, l’hôtel Carnavalet, situé rue
Turenne, construit par Pierre Lescot, décoré par Jean Goujon, habité par Madame de
Sévigné : une de ces trois gloires a manqué au Louvre 167. »
À l’instar des sites internet d’aujourd’hui qui informent les potentiels futurs visi-
teurs de l’état d’avancement des projets et des grands chantiers muséaux en cours 168,
ce sont les guides imprimés qui, dans la seconde moitié du xixe siècle, remplissent
cet office. En 1867, l’ambition affichée par le Paris Guide, célèbre « encyclopédie
urbaine du Second Empire 169 » dont l’introduction est signée par Victor Hugo,
est donc d’aiguiser la curiosité de ses lecteurs, lorsqu’il annonce dans ses pages
l’ouverture prochaine d’un « Musée d’archéologie parisienne », décidée l’année pré-
cédente par l’administration municipale.
Le bâtiment choisi pour abriter le futur musée se devait d’être en lui-même « une
page de l’histoire parisienne 170 ». Après une intense campagne de visites des
monuments disponibles sur le marché et susceptibles de convenir à cet usage – les
hôtels Lambert, de Sens, de Sully… –, c’est finalement l’hôtel Carnavalet, situé
en plein cœur du quartier du Marais et l’un des rares vestiges de l’architecture de
la Renaissance dans la capitale, qui est acquis par la ville en 1866. Édifié à partir
du milieu du xvie siècle et profondément remanié au siècle suivant par François
Mansart, il est constitué d’un corps de logis entre cour et jardin, flanqué de deux
pavillons latéraux du côté de la cour. Sa décoration extérieure est particulièrement
soignée, grâce aux séries de bas-reliefs allégoriques des xvie – Les Quatre Saisons,

167  Hugo Victor (intr.), Paris Guide par les principaux écrivains et artistes de la France. Première partie : La
science – l’art, Bruxelles, Leipzig, Livourne et Londres, A. Lacroix, Verboekhoven et Cie, et Samson Low
et Marston, 1867, p. 524.
168  Les projets du MuCEM à Marseille ou du musée des Confluences à Lyon ont ainsi été très docu-
mentés sur leurs sites de préfiguration respectifs.
169  Poulot Dominique, « Le patrimoine et les aventures de la modernité », in Poulot Dominique (dir.),
Patrimoine et modernité, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 7-67, p. 45.
170  Poisson Charles, Mémoire sur l’œuvre historique de la ville de Paris, Paris, Imprimerie impériale, 1867, p. 18.

57
Le musée de ville

œuvre de Jean Goujon – et xviie siècles qui ornent la cour 171. Mais outre son archi-
tecture, l’hôtel doit surtout sa renommée à sa plus fameuse locataire. La marquise
de Sévigné, grande épistolière de son temps, l’occupe en effet durant une ving-
taine d’années à la fin du Grand siècle et y tient un salon fort prisé de la bonne
société 172. Cet « argument d’autorité culturelle » est l’un de ceux qui emportent
la décision de faire de cet hôtel particulier au passé prestigieux le musée munici-
pal. Des travaux de restauration et d’agrandissement du monument sont dès lors
rapidement entamés par la ville. Les amateurs devront pourtant prendre leur mal
en patience, puisque cette institution, désignée désormais sous le nom de musée
Carnavalet, n’ouvrira ses portes au public que treize ans plus tard, en 1880, après
un certain nombre de péripéties.

La valorisation du vieux Paris


Le contexte culturel dans lequel se crée le musée Carnavalet est celui d’un renou-
veau apporté à l’approche historique de la ville, autour de la notion, centrale et
idéalisée, de « vieux Paris ». Cette dernière n’est pas neuve, puisqu’elle apparaît dès
les années 1830, d’abord dans la littérature romanesque puis les travaux histo-
riques, en pleine vague romantique. Un renversement des valeurs se produit à cette
époque car le Siècle des Lumières n’a pas été tendre envers le désordre urbanis-
tique et l’insalubrité du Paris médiéval, condamnés par la plupart des penseurs de
la fin de l’Ancien Régime. Seul le Paris des deux derniers siècles, depuis le règne
d’Henri IV, trouve alors grâce à leurs yeux. Le monarque a en effet édicté en 1607
de nouveaux règlements de voirie qui interdisent notamment les encorbellements,
si caractéristiques des constructions du Moyen Âge. Cette décision a dès lors
marqué l’émergence d’une esthétique architecturale nouvelle, caractérisée par plus
de sobriété et de régularité, dont le site urbain de la place des Vosges, baptisée à
l’origine place Royale, est une des premières et plus exemplaires concrétisations.
Victor Hugo, par la publication en 1831 de son célèbre roman Notre-Dame de
Paris, est le premier à témoigner d’une autre conception du vieux Paris, cette fois
positive et nostalgique, qu’il convient désormais de valoriser, en réaction à un urba-
nisme contemporain maintenant contesté 173. Tout au long du xixe siècle, la notion
de vieux Paris s’enrichit, cristallisant autour d’elle les idées de perte des repères et
de disparition du tissu urbain ancien, qui culminent sans surprise avec les grands
travaux entrepris par Haussmann, Préfet de la Seine entre 1853 et 1870 174. Les

171  Pour de plus amples descriptions et analyses architecturales du bâtiment, voir notamment Montgolfier de
Bernard, Le Musée Carnavalet. L’histoire de Paris illustrée. Un aperçu des collections, Paris, Musées et monu-
ments de France, 1986, p. 13-18. Léri Jean-Marc, Musée Carnavalet. Histoire de Paris, Paris, Fragments
international, 2007, p. 8-10.
172  « Marquise de Sévigné », in Pillorget René et Pillorget Suzanne, France baroque, France classique
(1589-1715), t. II, Paris, Robert Laffont, 1996, p. 1102-1105.
173  En 1834, Victor Hugo publie deux pamphlets sous le titre Guerre aux démolisseurs ! ; Hugo Victor,
Pamphlets pour la sauvegarde du patrimoine, Apt, L’Archange Minotaure, 2006 [éd. originale : 1834]. L’ouvrage
récent de l’historienne du patrimoine Ruth Fiori constitue par ailleurs une synthèse remarquable sur ces
questions. Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit. Voir notamment le chapitre 2 : « Du Paris moderne
au vieux Paris : les origines d’une perception de la ville », p. 51-77.
174  Valynseele Joseph, « Haussmann, Georges Eugène », in Tulard Jean (dir.), Dictionnaire du Second
Empire, Paris, Fayard, 1995, p. 616-618.

58
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

destructions de monuments ne sont cependant pas l’apanage exclusif de cette


courte période, car comme le rappelle Jean Favier dans son histoire de Paris, « on
a de tout temps détruit pour moderniser, et aucune des églises gothiques n’aurait
vu le jour si l’on n’avait pas démoli des constructions romanes passées de mode 175 ».
Le souci de rendre la circulation plus aisée dans le centre est bien présent dans les
politiques urbanistiques depuis le xviie siècle au moins. D’ailleurs, des plans d’amé-
nagement de la ville bien antérieurs à Haussmann entraînent déjà la disparition
de centaines de maisons, vétustes pour certaines et mal alignées pour d’autres, de
même que celle de couvents, églises ou édifices civils qui laissent parfois place à
des rues ou des carrefours. Le plus souvent pourtant, les bâtiments disparus sont
simplement remplacés par des nouveaux 176. Par rapport aux interventions des sou-
verains et régimes qui les ont précédés, l’innovation apportée par les projets de
Napoléon III à partir du milieu du xixe siècle réside dans un réel remodelage de
l’espace. En l’absence de tout « attachement sentimental pour l’ancienne ville 177 »,
Haussmann redessine Paris selon des critères fonctionnels et modernes. Le per-
cement des grands boulevards correspond en effet, au prix de très nombreuses
expropriations et démolitions, à une volonté d’assainissement des quartiers et à
l’adaptation du centre à des flots de circulation nettement accrus par rapport aux
générations précédentes.
Entre les années 1830 et 1850 environ – avant donc les interventions les plus radi-
cales menées par Haussmann –, l’attachement au thème de l’anxiété face à l’effa-
cement progressif et inéluctable du vieux Paris se manifeste uniquement par des
études de type historique, qu’elles soient scientifiques, telle la Statistique monumen-
tale de Paris (1840-1867), réalisée par le Comité des arts et monuments, dépen-
dant du ministère de l’Instruction publique, ou plus pittoresques – Les souvenirs
du vieux Paris (1833) de Turpin de Crissé ou Le vieux Paris (1838) de Pernot 178.
Au cours du Second Empire s’amorce ensuite un renouvellement dans le regard
historique porté sur la ville, qui triomphera après l’avènement de la Troisième
République en 1870. Un glissement fondamental s’opère en effet à cette époque
d’apogée des transformations : d’objet historique, « digne d’être étudié 179 », le vieux
Paris devient objet patrimonial, « digne d’être préservé et conservé ». La nuance est
essentielle, puisqu’elle implique que les vestiges et les traces matérielles de l’an-
cien sont désormais considérés comme parties intégrantes du discours historique
sur la ville, et qu’ils méritent en conséquence d’être sauvegardés. Les premières
sociétés savantes à vocation exclusivement locale sont d’ailleurs créées à peu près
au même moment, dans cette dynamique. Fruits d’initiatives privées d’érudits,

175  Favier Jean, Paris, deux mille ans d’histoire, Paris, Fayard, 1997, p. 196.
176  En 1765, un architecte, Pierre Patte, propose même, afin de désencombrer l’île de la Cité, de détruire
dix-sept églises qui s’y trouvent pour ne laisser subsister que Notre-Dame. La Révolution a également
entraîné nombre de démolitions, à commencer par la plus emblématique d’entre toutes, celle de la Bastille.
Ibid., p. 196. Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 54.
177  Favier, Paris, deux mille ans d’histoire, op. cit., p. 204.
178  Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 59-67.
179  Ibid., p. 72.

59
Le musée de ville

comme la Société de l’histoire de Paris et de l’Île-de-France (1874) 180, ou insti-


tuées par des personnalités publiques, tel le Préfet de la Seine Ferdinand Hérold
avec le Comité des inscriptions parisiennes (1879) 181, celles-ci s’inscrivent dans
le prolongement de ce mouvement en faveur de la conservation, non seulement
des monuments d’architecture de la ville, mais aussi de son esthétique globale,
du paysage urbain. À côté d’une dimension d’étude plus classique pour ce genre
d’associations – la publication des sources de l’histoire parisienne demeure l’une
de leurs activités essentielles –, la sauvegarde du patrimoine de la capitale est en
effet inscrite parmi leurs objectifs, ce qui constitue une innovation. C’est précisé-
ment cette évolution – voire révolution ? – qui rend possible l’existence d’une ins-
titution comme le musée Carnavalet.

Haussmann, le service des Travaux historiques


et l’Histoire générale de Paris
Apparent paradoxe, le principal promoteur du musée Carnavalet n’est autre que
l’homme rendu responsable de tous les maux urbanistiques du temps par ses
contemporains : le baron Haussmann lui-même qui, dans ses Mémoires publiés
au lendemain de sa mort, prend à partie ses détracteurs.
« Néanmoins il est de mode, chez quelques archéologues, se posant comme des mieux
informés, d’admirer de confiance ce vieux Paris, qu’ils n’ont certainement connu que
dans les livres spéciaux, dans les anciens recueils de dessins et de gravures, et de gémir
sur la façon cavalière dont l’a « fourragé » le baron Haussmann, qu’ils tiennent, comme
ses œuvres, dans un dédain profond. […]
Mais, bonnes gens, qui, du fond de vos bibliothèques, semblez n’avoir rien vu, citez, du
moins, un ancien monument, digne d’intérêt, un édifice précieux pour l’art, curieux pour
ses souvenirs, que mon administration ait détruit, ou dont elle se soit occupée, sinon pour
le dégager et le mettre en aussi grande valeur, en aussi belle perspective que possible !
Et l’achat de l’hôtel Carnavalet, que je fis faire, afin d’en assurer la conservation et d’y créer,
de toutes pièces, un Musée historique parisien, l’avez-vous donc oublié 182 ? »
Ces quelques lignes laissent entrevoir à quel point la politique de modernisation
de la capitale entreprise par Georges Haussmann à la tête de la préfecture de la
Seine durant la quasi-totalité du Second Empire n’a pas manqué de susciter la
controverse de son vivant, faisant de lui « l’homme le plus brocardé de France 183 ».
Les historiens et auteurs d’aujourd’hui sont eux aussi partagés dans leurs juge-
ments sur l’héritage laissé par cette figure imposante et complexe, ce dont témoigne

180  Cette association se donne pour mission première la publication et la diffusion de documents anciens
relatifs à l’histoire et la vie de Paris, mais son intérêt s’étend rapidement à tous les souvenirs du passé, y
compris aux découvertes, aux fouilles archéologiques et aux démolitions d’immeubles. Ibid., p. 82-85.
181  Ce comité a notamment pour but d’étudier les propositions d’inscriptions et de plaques commémo-
ratives nouvelles à installer sur les murs ou le sol de la ville, marquant le souvenir d’événements, de person-
nages ou de lieux importants de l’histoire de Paris. Ibid., p. 86-88.
182  Haussmann Georges Eugène, Mémoires du Baron Haussmann [t. III, Grands travaux de Paris, 1893],
éd. par Choay Françoise, Paris, Le Seuil, 2000, p. 810.
183  « Haussmann, Georges Eugène », in Tulard, Dictionnaire…, op. cit., p. 616.

60
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

entre autres le vocabulaire utilisé pour évoquer à la fois l’homme et son œuvre.
Certains mettent en exergue le caractère finalement indispensable de cette dernière
– une ville embellie, plus propre et au trafic fluidifié –, tout en reconnaissant que
certains « sacrifices », principalement celui de l’île de la Cité, n’étaient pas néces-
saires 184. D’autres sont plus sévères et décrivent la réalisation de son plan, effec-
tuée avec une « efficacité impitoyable 185 », comme « passablement autoritaire 186 »,
voire « brutale 187 ». On parle même des « massacres 188 » d’Haussmann, ou encore
de sa « main assassine 189 ». Les préoccupations anti-émeutières du régime impé-
rial sont également souvent considérées comme l’une des raisons justifiant le « net-
toyage par le vide 190 » auquel le préfet soumet la capitale : si les grandes avenues
qui traversent Paris permettent une meilleure circulation quotidienne, elles sont
surtout un moyen de faciliter le déplacement de troupes en cas d’insurrection et
donc d’assurer le contrôle politique et militaire sur la ville 191. Il est par ailleurs un
autre grief formulé à l’encontre du “couple” Napoléon III-Haussmann par l’his-
torien britannique Andrew Hussey, selon lequel « tous deux n’ont, de plus, aucune
considération pour le passé 192 ». Nous ne partageons pas entièrement cette der-
nière opinion, considérant qu’absence d’attachement, effectivement indéniable,
ne signifie pas pour autant mépris. La meilleure preuve nous semble en être le
soutien décisif apporté par Haussmann au développement des recherches histo-
riques et archéologiques dans la capitale au cours de sa période aux affaires 193.
Le baron Haussmann, chef de l’édilité parisienne, est en effet le fondateur en 1860
d’un nouveau département au sein de son administration, le service des Travaux
historiques, qui met en œuvre une politique dont le musée Carnavalet est direc-
tement issu 194. L’une des sources essentielles pour comprendre la philosophie
de ce projet est un document de trente pages rédigé en 1867 par un autre baron,
Charles Poisson (1820-1879), ami personnel d’Haussmann, conseiller munici-
pal et président de la commission chargée d’encadrer cette structure. Le Mémoire
sur l’œuvre historique de la ville de Paris décrit la mission du service des Travaux
historiques, composé de deux parties. Bien que considérées par l’auteur comme
d’égale importance, celles-ci sont entreprises avec plusieurs années de décalage :
la première est le lancement dès 1860 d’une collection de monographies et de
documents originaux qui seront connus sous le titre d’Histoire générale de Paris,
et la seconde est la fondation, actée en 1866, d’un « Musée municipal » qui lui

184  Ibid., p. 616-618. Fleury Michel, « Paris », in Tulard, Dictionnaire…, op. cit., p. 964-970, p. 968.
185  Hussey Andrew, Paris, ville rebelle, de 1800 à nos jours, Paris, Max Milo, 2008, p. 80.
186  Favier, Paris, deux mille ans d’histoire, op. cit., p. 204.
187  Hazan Eric, L’invention de Paris. Il n’y a pas de pas perdus, Paris, Le Seuil, 2002, p. 176.
188  Hussey, Paris, ville rebelle…, op. cit., p. 83.
189  Ibid.
190  Hazan, L’invention de Paris…, op. cit., p. 146.
191  Hazan, L’invention de Paris…, op. cit., p. 146-147 (sur l’île de la Cité) et p. 176-177 (sur la place de
la République). Hussey Andrew, Paris, ville rebelle…, op. cit., p. 81-83.
192  Ibid., p. 80.
193  « Paris », in Tulard, Dictionnaire…, op. cit., p. 970.
194  Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 76-82.

61
Le musée de ville

servirait de pendant, en l’occurrence le musée Carnavalet 195. S’il nous paraît utile


de nous attarder quelque peu sur cette Histoire générale de Paris, c’est parce que dès
son origine, le musée Carnavalet – dont aucune date précise d’inauguration n’est
donnée au moment de sa création – est conçu comme le prolongement, la maté-
rialisation tangible de cette publication imprimée. Il constitue en effet « une his-
toire démonstrative destinée à compléter [l’histoire écrite] 196 ». Dans l’esprit de
ses premiers concepteurs, le musée Carnavalet n’est donc jamais envisagé comme
une entité indépendante en soi. Il est intimement lié à l’Histoire générale de Paris,
tous deux « parties intégrantes de la même œuvre 197 », et « il suffit de faire obser-
ver, une fois pour toutes, qu’il en sera toujours de même 198 ».
Lorsque le baron Poisson publie son Mémoire sur l’œuvre historique […] en 1867,
« l’Histoire générale de Paris a déjà un passé qui en assure la vitalité, tandis que
le Musée municipal, qui en est l’indispensable complément, constitue un fait
nouveau 199 ». Deux ouvrages sont en effet déjà publiés depuis l’année précédente :
l’un est intitulé Introduction et fait connaître l’originalité et le plan d’ensemble de
la collection, tandis que l’autre est le premier volume d’une Topographie historique
du vieux Paris par l’archéologue Adolphe Berty, dont la publication complète
s’étalera sur trente ans. Une période préparatoire de quatre années depuis la créa-
tion du service s’est donc révélée nécessaire afin, d’une part, de gérer les difficultés
administratives inhérentes à ce type de projet ambitieux et, d’autre part, d’effectuer
la division de la matière à traiter pour « mettre en lumière le passé de la grande
ville et de ses habitants 200 ». Les thèmes à aborder – « faits historiques, topogra-
phie, administration et institutions de la ville, cérémonies, mœurs et coutumes des
habitants, etc. 201 » – sont en effet tellement variés que la décision est rapidement
prise de ne pas les réunir en une unique monographie, mais bien d’envisager le
système d’une collection à enrichir sur le long terme. Les meilleurs connaisseurs
de ces différentes branches, le plus souvent des historiens et archéologues pari-
siens qui consacrent depuis longtemps leurs travaux à tel sujet précis dont ils sont
des spécialistes reconnus, sont donc sollicités afin de rédiger les volumes théma-
tiques. Afin de les aider dans cette mission, le service des Travaux historiques les
met ensuite en rapport avec des érudits – bibliothécaires, archivistes, conserva-
teurs, membres de sociétés savantes… – de province et à l’étranger, qui leur four-
nissent documents et renseignements relatifs au passé de la capitale française, tour
à tour « importants, curieux ou intéressants 202 ». De nombreux ouvrages – dix-huit,
à divers degrés d’avancement en avril 1867 selon Charles Poisson – sont mis en
chantier dès l’approbation de l’entreprise par l’Empereur, qui écrit au Préfet le
15 décembre 1865 en ces termes enthousiastes :

195  Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit.


196  Ibid., p. 17.
197  Ibid., p. 30.
198  Ibid., p. 23.
199  Ibid., p. 5.
200  Ibid.
201  Ibid., p. 7.
202  Ibid., p. 14.

62
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

« J’applaudis à l’heureuse pensée que vous avez eue de faire écrire l’Histoire générale de
Paris. Cette collection de monographies, de plans et de documents authentiques, desti-
née à s’accroître sans cesse, permettra de suivre à travers les siècles la transformation de
la ville, qui, grâce au concours intelligent de son Conseil municipal et à votre infatigable
activité, est aujourd’hui la plus splendide et la plus salubre des capitales de l’Europe 203. »
La qualité intrinsèque de ce travail d’édition historique à l’ampleur inégalée, dont
les publications « restent des références incontournables 204 », lui a permis de traver-
ser les années, malgré la chute du régime politique qui l’a vu naître. Supprimé en
août 1870, le service des Travaux historiques est reconstitué dès l’année suivante.
Rebaptisé Commission des Travaux historiques dans le courant du xxe siècle, il
fait toujours partie du cadre administratif de la ville. L’Histoire générale de Paris,
dont le nombre considérable de volumes continue à croître 205, poursuit quant à
elle aujourd’hui encore son objectif initial de diffusion des différentes sources de
l’histoire de la capitale auprès d’un public varié, « les Parisiens de tout état et de
toute classe, administrateurs, jurisconsultes, commerçants, architectes, militaires,
ouvriers, etc. 206 ».
Par ailleurs, les travaux de recherche mis en œuvre dans le cadre de l’Histoire générale
de Paris ont une incidence directe sur le développement durant le Second Empire
de la discipline archéologique dans la capitale, qui est encouragé par Haussmann
et le Conseil municipal :
« La ville de Paris, voulant éditer sa propre histoire, ne [doit] négliger aucun moyen d’en
découvrir les particularités ignorées. Un service des fouilles [est] donc institué pour recher-
cher les renseignements parfois enfouis dans les profondeurs du sol 207. »
C’est ainsi que l’Inspection des fouilles archéologiques, service municipal fondé
sous le règne de Louis-Philippe et à la tête duquel est placé Théodore Vaquer,
futur conservateur de la section gallo-romaine du musée Carnavalet, est intégrée
au service des Travaux historiques. Les résultats des chantiers de fouilles effec-
tuées dans la capitale, comme celui de la Cour carrée du Louvre en 1866, destiné
à déterminer l’emplacement exact du château de Philippe-Auguste 208, sont dès
lors publiés dans les collections de l’Histoire générale de Paris, qui reflètent l’état le
plus actualisé des connaissances historiques sur la ville.

203  Napoléon III, « Lettre de l’Empereur », in Haussmann Georges Eugène (préf.), Histoire générale de
Paris. Introduction, Paris, Imprimerie impériale, 1866, p. 13.
204  Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 77.
205  Quarante-huit ouvrages sont publiés entre 1870 et 1910, et la collection compte 67 titres en 1958.
À l’heure actuelle, les publications de la Commission des travaux historiques font l’objet d’un inventaire,
en vue d’une prochaine diffusion des ouvrages recensés. Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 77.
La Monneraye de Jean, « Le Service des Travaux historiques de la ville de Paris et ses dernières publi-
cations », in Journal des savants, vol. 4, no 4, Paris, 1960, p. 173-186, p. 173. Ville de Paris, Commission des
Travaux historiques [en ligne], http://www.paris.fr/politiques/histoire-et-patrimoine/comite-d-histoire-
de-la-ville-de-paris/commission-des-travaux-historiques-cth/rub_9317_stand_72511_port_22755 (page
consultée le 21/05/2015).
206  Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 8.
207  Ibid., p. 12.
208  Cette première campagne de fouilles est notamment évoquée dans l’introduction de la publication
relative à un second chantier sur le même site, dans les années 1980 : Fleury Michel et Kruta Venceslas,
« Premiers résultats des fouilles de la Cour carrée du Louvre », in Comptes-rendus des séances de l’Académie
des inscriptions et belles-lettres, vol. 129, no 4, Paris, 1985, p. 649-672, p. 651.

63
Le musée de ville

Les quelques éléments qui viennent d’être exposés dans ce sous-chapitre témoignent,
à l’encontre de certains jugements négatifs, d’un réel soutien des autorités du Second
Empire envers la recherche historique et archéologique à Paris. Ce soutien n’est
cependant pas gratuit, et répond à une volonté claire de légitimation de la poli-
tique culturelle et urbanistique menée alors par Napoléon III et son Préfet de la
Seine. Le court extrait du courrier de l’Empereur reproduit précédemment montre
en effet que l’histoire de la ville est vue comme le suivi, à travers les siècles, de
ses propres transformations, processus dont le Paris contemporain constitue un
aboutissement – « la plus splendide et la plus salubre des capitales de l’Europe 209 ».
Napoléon III entend incarner une forme de continuité, dans laquelle il inscrit son
action, plutôt que d’assumer une rupture avec le passé, comme si la capitale suivait
depuis toujours une trajectoire historique inéluctable menant aux grands travaux
d’Haussmann. Ces derniers trouvent dès lors leur justification, contrant la per-
ception de « négation de l’histoire 210 » qui leur est attachée dans certains cercles
intellectuels de l’époque.
La décision de créer le musée Carnavalet, musée municipal consacré à la ville de
Paris, arrive dans ce contexte comme une réponse des pouvoirs publics face aux
critiques sur la politique menée et à la prise de conscience grandissante parmi la
population de l’importance patrimoniale que représentent les témoins de l’archi-
tecture et de l’urbanisme du passé. Dans un article publié en 2006, le conservateur
en chef du musée explique la naissance du musée en évoquant très justement « la
mémoire de la bonne conscience, [qui] s’impose comme la moindre excuse aux
démolitions du Second Empire 211 ». Effectivement, dès lors qu’un musée existe
dont le rôle est de recueillir et conserver les vestiges les plus représentatifs de l’his-
toire de la cité, les grands chantiers qui vont contribuer à l’enrichir se trouvent
légitimés et peuvent se poursuivre. Paradoxalement, la classe politique dirigeante,
ordonnatrice des travaux, est donc responsable de la disparition progressive d’un
patrimoine fragile, mais lui assure néanmoins, arraché à son environnement d’ori-
gine, une forme de protection par son intégration au sein de l’institution muséale.

Un projet d’« histoire parisienne par les collections »


Si l’idée de créer un musée consacré à l’histoire de Paris est née au cours du Second
Empire, c’est au régime qui lui succède, la Troisième République, que revient la
tâche de concrétiser le musée Carnavalet en l’ouvrant au public. Par ailleurs, l’épi-
sode insurrectionnel de la Commune de Paris (mars-mai 1871) impose dans
l’intervalle d’importantes modifications au programme muséographique – « l’or-
ganisation intellectuelle des thématiques de l’exposition articulées au chemine-
ment spatial qui sera suggéré au visiteur 212 » – initialement envisagé pour le musée.

209  Napoléon III, « Lettre de l’Empereur », in Haussmann, Histoire générale de Paris, op. cit., p. 13.
210  Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 76-82.
211  Willesme Jean-Pierre, « Le musée Carnavalet : mémoire et patrimoine de la Ville de Paris », in Sohn,
Mémoire…, op. cit., p. 283-298, p. 284.
212  Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 134.

64
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Deux documents antérieurs à l’année 1871, issus de la direction de l’administra-


tion municipale et conservés aux archives du musée Carnavalet, nous donnent une
idée relativement précise du projet d’origine. Le plus ancien de ces textes a déjà
été évoqué plus haut : il s’agit du Mémoire sur l’œuvre historique de la ville de Paris
du baron Charles Poisson, publié en 1867, qui présente de manière symétrique
l’Histoire générale de Paris et le musée municipal. Le second est une note manus-
crite de quinze pages, datée de mai 1870 et adressée à Henri Chevreau, nouveau
et éphémère Préfet de la Seine. Ce personnage, successeur d’Haussmann qui a
été relevé de ses fonctions par l’Empereur au début de cette même année, sera le
dernier à occuper cette fonction sous le Second Empire 213. Cette note, intitulée
Motifs qui ont déterminé la création du Musée historique parisien et qui en commandent
l’achèvement, est rédigée par Lazare-Maurice Tisserand, inspecteur principal du
service des Travaux historiques de la ville de Paris, dont l’objectif est ici d’obtenir
du Préfet qu’il accorde son haut patronage au musée, dont il assurerait l’avenir en
tant que « protecteur naturel 214 ». Les deux documents sont construits selon une
structure identique. Ils commencent par l’exposé du contexte intellectuel et ins-
titutionnel dans lequel a germé le projet et celui des raisons justifiant la création
d’un tel musée, dont la portée didactique est mise en avant 215 :
« Il y a quatre ans à peine [en 1866], la ville de Paris était, sous le rapport historique et
artistique, placée dans un état d’infériorité des plus regrettables. […] Le vieux Paris dis-
paraissait ; la face de la Cité se renouvelait d’année en année, et rien n’était organisé pour
en rappeler le souvenir. […] Cependant, quelques hommes de bon sens ne tardèrent
pas à comprendre qu’il fallait relever toutes ces ruines et restituer à la ville sa juste part
d’influence artistique 216. »
« Sans parler de l’intérêt de curiosité, l’accomplissement de ce projet présente une double
utilité : multiplier les sources ainsi que les moyens d’étude pour les lecteurs des publications
imprimées, et créer un mode d’instruction facile à la portée de ceux qui ne lisent pas 217. »
Ils présentent ensuite quelques arguments qui ont surgi dans le débat public à
l’encontre du musée, reconnaissant que « l’assentiment ne fut pas unanime 218 ».
Ces objections, rapidement réfutées l’une après l’autre, touchent principalement
à la rivalité potentielle, mais non fondée d’après les auteurs, que risque d’entraî-
ner l’apparition d’un nouveau musée avec les nombreuses institutions et collec-
tions déjà formées à Paris. Enfin, les deux notes détaillent les différentes sections
qui constitueront l’exposition, décrivant une sorte de plan ou de parcours idéal

213  « Henri Chevreau », in Nouveau Larousse illustré, tome II, Paris [1902], p. 774.
214  Tisserand Lazare-Maurice, Motifs qui ont déterminé la création du Musée historique parisien et qui en
commandent l’achèvement, mai 1870, p. 14.
215  Les conceptions paternalistes qui ont été évoquées au chapitre précédent au sujet des musées locaux
restent parfaitement d’actualité au musée Carnavalet : « [Le musée sera] un moyen d’enseignement, par
les yeux, pour la grande famille artistique et ouvrière, toujours riche d’imagination mais trop ignorante ou
trop oublieuse des leçons de l’histoire. » Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 5. Cet
extrait du texte de Tisserand n’est d’ailleurs pas sans rappeler les mots de Charles Buls à la même époque
(voir chapitre 2, p. 50).
216  Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 1-3.
217  Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 17.
218  Ibid., p. 19.

65
Le musée de ville

de visite, autrement dit le programme muséographique de l’institution. C’est ce


dernier point que nous souhaitons développer.
La complémentarité entre « histoire démonstrative 219 » et histoire écrite, déjà mise
en évidence dans le texte du baron Poisson, est également soulignée dans la note
de Tisserand, selon lequel « l’œuvre historique […] se présente sous un double
aspect : 1. L’histoire parisienne par les livres ; 2. L’histoire parisienne par les col-
lections 220 ». Plus que les catégories d’objets déjà en possession de la ville au début
du processus – portraits de notables, médailles, vues d’édifices, plans… –, qui ne
constituent « que des indications pour les diverses séries dont la réunion formera,
plus tard, le Musée municipal 221 », ce sont bien les différents thèmes de la collec-
tion de l’Histoire générale de Paris qui fournissent le cadre structurant du musée,
et qui déterminent la politique d’acquisition des collections. Les deux auteurs
insistent également sur le fait qu’un tel musée ne peut s’improviser et qu’il est
essentiel de mettre en place « des recherches continues et une méthode raison-
née 222 », « un plan méthodique, instrument indispensable pour le classement 223 ».
Sont donc créés « des familles, des séries, des groupes, formant autant de noyaux
autour desquels viendront se placer les apports successifs 224 ».
En premier lieu, quatre grandes divisions sont envisagées, chacune consacrée à
une époque particulière, mais comme « l’ordre chronologique n’exclut pas l’ordre
méthodique et rationnel 225 », un classement thématique et par nature d’objets est
prévu à l’intérieur de chaque période 226 :
1.  Âges antéhistoriques
Paris et le bassin de la Seine – restes d’animaux disparus – éléments sur la nature
des terrains et la profondeur des couches dans lesquelles des fragments ont été
retrouvés – échantillons d’objets préhistoriques – crânes et squelettes humains.
2.  Période gallo-romaine
Vestiges issus de fouilles de toute nature : statues, bas-reliefs, poterie, briques,
hypocauste, tombes, bijoux… – reconstitutions de divers sites (plans) d’après les
relevés archéologiques faits au cours des fouilles.
3.  Moyen Âge, du ve au xve siècle ; Renaissance, xve et xvie siècles, et siècles sui-
vants jusqu’à la Révolution
Jusqu’au xve siècle, uniquement des chartes et quelques documents.

219  Ibid., p. 17.


220  Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 5.
221  Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 17.
222  Ibid.
223  Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 9.
224  Ibid.
225  Ibid., p. 12.
226  La présentation synthétique du plan du musée qui suit s’inspire en grande partie de celle réali-
sée en 1947 par la première historienne du musée Carnavalet : Dubois Madeleine, Les origines du musée
Carnavalet, la formation des collections et leur accroissement (1870-1897), Paris, École du Louvre, thèse de
doctorat, 1947, p. 45-47.

66
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

À partir de la Renaissance, les collections se répartissent en deux catégories prin-


cipales. La première catégorie se rapporte au sol et aux monuments : topogra-
phie (plans, vues de Paris à différentes époques) – architecture (modèles en relief ).
La seconde catégorie se rapporte aux populations : corps municipal (chartes, manus-
crits, sceaux, numismatique) – corporations et métiers (bannières, médailles, jetons,
chefs-d’œuvre) – vie publique des habitants (tableaux, gravures, tapisseries, fêtes,
cérémonies, funérailles) – vie privée des habitants (mœurs et coutumes, costumes,
vues de l’intérieur des habitations, ameublement et ustensillage domestique) – ico-
nographie (prévôts des marchands, échevins, célébrités parisiennes).
4.  Époque contemporaine
Esquisses des tableaux commandés pour les églises et autres édifices municipaux
– médailles commémoratives frappées par la ville.
Le programme ainsi élaboré est pour le moins vaste et ambitieux. Tisserand le
définit même comme « à peu près sans limites 227 ». Il est en effet prévu de traiter de
manière quasi exhaustive l’histoire de la ville, déclinée en autant de sections et de
subdivisions que nécessaire. À l’image du plan de la collection de l’Histoire générale
de Paris – celle-ci bénéficiant de l’avantage du long terme pour se développer –, le
musée initialement envisagé est organisé comme l’imbrication de disciplines, de
thématiques et de types d’objets variés, mêlant au sein d’un même discours des
notions ayant peu de rapport entre elles telles que géologie, monuments écrits et
lapidaires, institutions parisiennes, industrie et commerce, topographie et icono-
graphie ou encore vie privée et publique. On imagine avec difficulté à quoi aurait
pu ressembler pareil projet d’exposition s’il avait été mené à son terme, confronté
à l’exiguïté relative et aux fortes contraintes architecturales du bâtiment destiné
à l’abriter. Les concepteurs du musée en sont bien conscients et insistent sur le
fait que « pareil musée sera, comme le vieux Paris, l’œuvre du temps 228 », et qu’il
s’agit principalement pour eux de « créer, sans beaucoup de dépenses, des cadres
constitutifs dans lesquels viendront se ranger successivement les objets provenant
de dons, legs, réserves, trouvailles 229 ». C’est de loin la troisième section du musée,
consacrée aux Temps modernes, qui est la plus importante et la mieux dévelop-
pée du programme – « elle constituera, à elle seule, presque tout le Musée 230 ». Par
manque de collections disponibles, les deux premières seront forcément restreintes
et il est prévu qu’elles s’enrichissent progressivement par la pratique de fouilles
dans le sous-sol parisien. La dernière période, l’époque contemporaine, « suscep-
tible de recevoir les développements qu’on jugerait utile de lui donner en vue de
la postérité 231 », n’est quant à elle manifestement pas considérée comme une prio-
rité. On attend en effet qu’elle soit uniquement constituée d’éléments de décora-
tion des monuments nouveaux, offerts la plupart du temps par les artistes 232. La

227  Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 9.


228  Ibid., p. 7.
229  Ibid.
230  Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 21.
231  Ibid.
232  Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 50.

67
Le musée de ville

volonté de limiter au maximum les frais pour cette section et sa pauvreté théma-
tique tranchent dès lors singulièrement avec le traitement encyclopédique et les
budgets d’acquisition conséquents accordés à la représentation des quatre siècles
précédents. Il est cependant significatif qu’une telle section soit prévue, puisqu’elle
affirme de la sorte l’inscription légitime du temps présent, en l’occurrence le Second
Empire, dans un continuum historique que certains lui contestent.
Par ailleurs, ce programme muséal revêt plusieurs caractéristiques qui nous semblent
devoir être mises en évidence. La première est la primauté consentie au discours
sur la ville – dans un entremêlement entre grande et petite histoire typique de
cette époque – sur les collections déjà en possession de l’administration muni-
cipale. Si le baron Poisson ne manque pas de rappeler au lecteur que « la ville de
Paris possède une grande quantité de tableaux, de médailles, d’esquisses et d’ob-
jets d’art de diverses sortes [ne disposant pas] d’un lieu de dépôt convenable 233 »,
le musée n’est cependant jamais conçu comme un simple réceptacle pour ceux-ci,
qu’il s’agirait alors d’exposer le plus fastueusement possible dans le but de glori-
fier leur propriétaire. Au contraire, c’est la décision de réécrire l’histoire de Paris
qui entraîne la création du musée, et la soumission des collections au récit projeté.
Dans le même ordre d’idée, ce ne sont pas les œuvres les plus riches d’aspect ou
les plus onéreuses qui sont recherchées pour être intégrées à l’exposition. Bien que
« le musée [soit] envisagé comme un instrument de propagation des saines tra-
ditions du goût 234 », ce ne sont cependant pas « les pièces exceptionnelles carac-
térisant les existences princières, les mœurs et coutumes de l’aristocratie et de la
haute bourgeoisie 235 » qu’il convient d’acquérir. Dans une ambition explicite de
« démocratiser le futur musée 236 », ses concepteurs s’intéressent plutôt à la carac-
térisation de la vie parisienne dans les classes bourgeoises et populaires. Lorsqu’il
s’agit de réunir des documents de nature topographique et biographique, la qualité
esthétique des objets de la collection n’est pas non plus un critère : « un tableau
médiocre au point de vue de l’art, qu’on n’admettrait certainement pas dans les
collections du Louvre, mérite parfois d’être classé au premier rang comme docu-
ment historique 237 ». L’accent est donc systématiquement placé sur la valeur de
témoignage des pièces de la collection, et le baron Poisson va même jusqu’à ima-
giner la présence au sein du musée d’un enfer, « caché aux yeux de la foule et s’ou-
vrant seulement pour les adeptes, [au cas où] quelques toiles des plus intéressantes
[se trouveraient] dans un état d’infériorité ou de dégradation qui s’oppose à leur
exhibition publique 238 ».
De plus, il nous semble essentiel de noter qu’à aucun moment, le musée n’est
conçu comme l’archétype d’une forme nouvelle d’institution. La notion de caté-
gorie muséale ne suscite d’ailleurs probablement pas de grands débats à l’époque,
et c’est en tant que classique musée d’histoire, comme il en existe déjà beaucoup,

233  Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 16.


234  Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 5.
235  Ibid., p. 10.
236  Ibid.
237  Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 26.
238  Ibid., p. 29.

68
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

que le musée Carnavalet est « catégorisé » par les auteurs du projet. Ces derniers
en revendiquent cependant avec une certaine fierté le caractère novateur :
« La condition indispensable pour réussir aujourd’hui dans une pareille tentative est que
la nouvelle entreprise réponde à une idée non encore réalisée 239. »
« Rien n’a été fait encore dans cette voie […] 240. »
Ces deux phrases s’adressent surtout en réalité au microcosme muséal de la capi-
tale. Elles visent à démontrer, après avoir énuméré les principaux musées de Paris
et leurs domaines d’étude respectifs, « qu’une collection destinée uniquement à
rappeler l’histoire de la cité parisienne ne peut porter ombrage à aucun de ces
établissements 241 ». L’insistance sur l’originalité du projet muséal s’inscrit donc
manifestement dans une stratégie de légitimation de sa place au sein du paysage
institutionnel local. Il ne faut donc y voir aucun rapport avec une éventuelle pré-
tention à devenir une figure influente au niveau international dans le domaine de
la représentation de l’histoire de la ville.
Enfin, comment ne pas relever le caractère tristement ironique, malgré elle, d’une
des dernières phrases du mémoire du baron Poisson. Confiant dans l’avenir, celui-
ci annonce que les dispositions générales du futur musée, qu’il vient d’exposer et
« dont la mise à exécution va commencer, sont commandées par la nature même du
but que l’on poursuit, et les circonstances éventuelles ne pourront y apporter que
des modifications de détail 242 ». Les événements politiques qui accompagneront,
quatre ans plus tard, la transition entre les régimes impérial et républicain dans la
capitale française auront pourtant des conséquences dramatiques sur l’évolution du
projet. L’hôtel de ville de Paris, dans les greniers et bureaux duquel sont provisoi-
rement stockées depuis 1866 les collections destinées au futur musée, est en effet
victime des affrontements entre communards et versaillais durant la « Semaine san-
glante » 243. Tout comme d’autres monuments publics emblématiques de la capi-
tale – les Tuileries ou le Palais de Justice –, celui-ci est, le 24 mai 1871, la proie
d’un violent incendie délibérément allumé par les insurgés refusant d’abandonner
les lieux. Cette destruction par le feu de la quasi-intégralité du noyau primitif des
collections, en même temps d’ailleurs que l’ensemble des archives municipales, est
dès lors responsable du report de presque dix ans de l’ouverture du musée, qui se
fera de surcroît sur un mode mineur par rapport aux ambitions affichées initiale-
ment par les premiers concepteurs du musée.

239  Ibid., p. 20.


240  Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 10.
241  Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 20.
242  Ibid., p. 30.
243  Favier, Paris, deux mille ans d’histoire, op. cit., p. 892-899. « Commune de Paris », in Mourre Michel,
Dictionnaire de l’histoire, Paris, Larousse, 2001, p. 237-239. Par ailleurs, les vestiges de plusieurs de ces
monuments détruits au cours de la Commune ont été déplacés ou réutilisés dans d’autres constructions,
parfois même en dehors de Paris et de France. Voir Fiori Ruth, Paris déplacé, du xviiie siècle à nos jours :
architecture, fontaines, statues, décors, Paris, Parigramme et Compagnie parisienne du Livre, 2011, p. 36-47.

69
Le musée de ville

Aménagement, évolution et caractéristiques du musée


Le 8 octobre 1873, Jean-Charles Alphand, directeur du service des Travaux de
Paris, en charge des embellissements de la capitale, adresse au chef de l’édilité
municipale, le Préfet Ferdinand Duval, un rapport concernant l’Aménagement de
l’hôtel Carnavalet et l’installation provisoire des collections historiques. Il y évoque les
pertes subies par la collection du musée au cours de l’incendie de l’hôtel de ville :
« Monsieur le Préfet n’ignore pas à quelles épreuves ont été soumises ces collections
en voie de formation depuis cinq ans à peine. La partie artistique, qui comprenait une
série déjà nombreuse de vues de l’ancien Paris, peintes et gravées, de tableaux histo-
riques, de portraits de magistrats municipaux, de scènes parisiennes de toute nature, a
été presque entièrement détruite par l’incendie. Deux médaillers importants et une col-
lection d’anciennes estampes de vingt mille pièces ont péri. De tout ce qui était déposé
soit à l’hôtel de ville, soit dans le bâtiment annexe, il n’est resté que les objets en métal,
retrouvés au milieu des décombres 244. »
Deux collections partielles seulement, conservées pour des raisons logistiques
dans des dépôts extérieurs à l’hôtel de ville, ont échappé au désastre. Il s’agit en
premier lieu d’un ensemble de fragments lapidaires, fort imposants pour certains,
datant de l’époque gallo-romaine à la Renaissance, issus des fouilles et des destruc-
tions d’immeubles sous Haussmann 245, et ensuite d’un « essai de musée technolo-
gique, destiné à représenter matériellement les mœurs et coutumes des Parisiens
à toutes les époques 246 ».
Ce second groupe d’objets, connu dans les textes du temps sous le nom de musée
de l’Ustensillage, mérite que l’on s’attarde quelque peu sur son évolution, car elle
marque, selon nous, un tournant dans la philosophie du projet du musée Carnavalet.
Ce « musée », œuvre d’un historien de l’art et collectionneur du nom de Jules
Gailhabaud 247, constitue en fait la base de la section consacrée à la vie privée
des habitants, prévue dans le plan du baron Poisson de 1867. Depuis lors et à la
demande de ce dernier, Gailhabaud a déployé une activité intense et onéreuse, aux
frais de la ville, dans le but de construire et enrichir cette section du futur musée.
À la veille de la Commune, celle-ci consiste déjà en des séries typologiques très
nombreuses – entre 6 000 et 8 000 objets selon les estimations 248 – d’ustensiles
et d’objets usuels de provenances diverses, mais aussi d’objets considérés comme
« technologiques », dont Jean-Charles Alphand nous dresse une liste :
« On avait recueilli ainsi une curieuse série de marteaux de porte, de ferrements, de pen-
tures, de rampes d’escalier en fer forgé, d’enseignes historiées, de panneaux sculptés

244  Alphand Jean-Charles, Aménagement de l’hôtel Carnavalet et installation provisoire des collections his-
toriques, Rapport à Monsieur le Préfet, 8 octobre 1873, p. 2. Cette note manuscrite de quatorze pages est
conservée au musée Carnavalet.
245  Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 81.
246  Alphand, Aménagement de l’hôtel Carnavalet…, op. cit., p. 2-3.
247  Rodriguez Peggy, « Jules Gailhabaud », in Sénéchal Philippe et Barbillon Claire (dir.), Dictionnaire
critique des historiens de l’art actifs en France de la Révolution à la Première Guerre mondiale, Paris, Institut natio-
nal d’histoire de l’art [en ligne], Institut national d’histoire de l’art, http://www.inha.fr/spip.php?article2329
(page consultée le 18/05/2015).
248  Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 84.

70
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

caractérisant l’art industriel parisien au Moyen Âge, à la Renaissance et dans les deux


derniers siècles 249. »
À l’encontre de certaines opinions qui tendent à voir dans cette entreprise une
« idée sans précédent 250 », préfiguration du mythique musée des Arts et Traditions
populaires créé en 1937, la collecte et l’exposition de ces catégories d’objets dans
un cadre muséal ne sont absolument pas inédites à cette époque. Des institutions
telles que le musée du Trocadéro, avec la salle de France 251, ou encore le musée
d’Art et d’Industrie de Lyon, fondé en 1856 par la Chambre de commerce 252, se
préoccupent respectivement de ces deux thématiques, d’une part la vie quotidienne
des gens d’autrefois, et d’autre part l’originalité de « l’industrie décorative 253 »
locale. Il s’agit cependant de musées spécialisés – le premier en ethnographie
régionale et le second dans les arts industriels et décoratifs –, tandis que le projet
du musée Carnavalet est d’ordre principalement historique. Le caractère vérita-
blement innovant de ces collections technologiques et usuelles ne réside dès lors
pas tant dans leur existence intrinsèque que dans la multidisciplinarité, alors rare,
du projet muséal auquel elles sont associées.
En attendant l’inauguration du musée Carnavalet, les collections du musée de l’Us-
tensillage sont déjà présentées au public dans dix-huit pièces d’un hôtel municipal
proche, sur l’île Saint-Louis, lui conférant de la sorte une existence quasi auto-
nome durant quelques années. Organisé selon un ordre chronologique et théma-
tique, il connaît un vif succès durant la Commune. L’intérêt porté par Gailhabaud
à l’existence matérielle des classes sociales les moins privilégiées correspond en
effet aux idéaux de ce régime politique révolutionnaire, « première tentative d’un
gouvernement de la classe ouvrière, d’une dictature du prolétariat 254 ». Les diri-
geants communards envisagent même de faire de ces collections l’unique élément
du musée Carnavalet, transformé alors en un « musée rétrospectif servant d’étude à
l’art industriel » ou en un « musée de l’Histoire du travail », conforme à leurs pré-
occupations politiques et sociales 255.
L’ambition d’un musée Carnavalet par et pour le peuple ne survivra pourtant pas
à la chute de la Commune de Paris et à la répression impitoyable qui s’ensuivit.
Dès le mois de septembre 1871, la commission des beaux-arts de la ville reproche
à Jules Gailhabaud, d’avoir fait prendre au musée « une déviation regrettable : on
a fait des achats trop hâtifs et l’on ne s’est pas montré assez sévère sur la question
de l’origine 256 » des nombreuses pièces acquises à grands frais. Les collections dont
l’authenticité parisienne est mise en doute sont vendues aux enchères entre 1875

249  Alphand, Aménagement de l’hôtel Carnavalet…, op. cit., p. 7.


250  Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 81.
251  Noël Marie-France, « Du musée d’Ethnographie du Trocadéro au musée national des Arts et Traditions
populaires, in Cuisenier Jean (intr.), Muséologie et ethnologie, Paris, ministère de la Culture et Réunion des
musées nationaux, coll. « Notes et documents des musées de France », 1987, p. 140-151.
252  Il s’agit de l’actuel musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon, inspiré à l’origine par le South
Kensington Museum et auquel on a adjoint une section d’arts décoratifs en 1864.
253  Alphand, Aménagement de l’hôtel Carnavalet…, op. cit., p. 7.
254  « Commune de Paris », in Mourre, Dictionnaire de l’histoire, op. cit., p. 237-239, p. 237.
255  Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 68.
256  Alphand, Aménagement de l’hôtel Carnavalet…, op. cit., p. 7.

71
Le musée de ville

et 1881 – on ne parle évidemment pas encore d’inaliénabilité à ce moment 257. Le


Catalogue des objets d’art et de curiosité provenant du musée Carnavalet 258, publié par
l’hôtel Drouot à l’occasion de la vente de 1881, témoigne à cet égard de l’extrême
variété des objets rassemblés : faïences, tabatières, couteaux et fourchettes, mou-
chettes – ciseaux servant à tailler les mèches des chandelles –, dinanderies, lampes,
jeux, instruments de musique… La liste est encore longue. Gailhabaud sera fina-
lement renvoyé de son poste, paradoxalement accusé d’avoir « dénaturé, par l’irré-
gularité de sa gestion, l’idée première du musée 259 », alors que son action s’inscrit
en fait dans le prolongement du programme initialement imaginé sous le Second
Empire, celui d’un musée Carnavalet « démocratique ». L’avènement de la Troisième
République correspond dès lors à une réorientation majeure du dessein du musée, qui
s’engage dans une direction plutôt conservatrice et privilégiera résolument à l’avenir
la présentation de l’histoire et du mode de vie des élites, plutôt que ceux du peuple.
Par ailleurs, un autre élément qui entraîne la modification du projet muséal est la
disparition de l’intégralité de la bibliothèque de l’hôtel de ville au cours de l’in-
cendie de mai 1871, à côté des collections destinées au futur musée d’histoire. Au
lendemain de la Commune, la reconstitution des collections de ces deux institu-
tions est au cœur des préoccupations de l’administration qui décide alors de les
rassembler sous un même toit, en l’occurrence à l’hôtel Carnavalet. Si déjà lors de
sa conception, le musée Carnavalet n’était considéré que comme le complément
matériel et démonstratif de l’Histoire générale de Paris, cette tendance à subordon-
ner l’histoire matérielle à l’histoire par les livres se trouve amplement confirmée
par le choix de nommer le bibliothécaire de la ville comme conservateur du musée.
Les deux établissements sont donc fusionnés en un seul, sous l’autorité de Jules
Cousin. Cette organisation a des conséquences sur le développement du musée
puisqu’à partir de 1874 et jusqu’à la fin du siècle, pratiquement tout le premier
étage de l’hôtel Carnavalet est dédié à la bibliothèque historique de la ville de
Paris 260. Vers 1928, le conservateur du musée en évoque justement les premières
années, dans l’introduction d’un guide de visite :
« La majeure partie de l’immeuble se trouvant toujours encombrée de livres, il faut bien
avouer que les petites galeries et les salons mal éclairés où s’entassaient alors portraits,
assiettes et souvenirs formaient un bric à brac assez étrange. Par-dessus tout, la place
manquait, et vraiment le soulagement fut grand lorsqu’on apprit que les rayons de livres
allaient émigrer […] 261. »

257  Mairesse François (éd.), L’inaliénabilité des collections de musée en question, actes du colloque au musée
de Mariemont (28 avril 2009), Morlanwelz, musée royal de Mariemont, 2009. Gob, Le musée, une institu-
tion dépassée ?, op. cit., p. 119-125.
258  Catalogue des objets d’art et de curiosité provenant du musée Carnavalet […], vente de janvier 1881, Paris,
hôtel Drouot, 1881. Un exemplaire de ce catalogue est conservé à la Bibliothèque historique de la ville de Paris.
259  Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 151.
260  L’un des murs extérieurs du bâtiment, sur la rue des Francs-Bourgeois, constitue d’ailleurs un témoi-
gnage éloquent de l’importance prise par les livres au détriment des objets au musée Carnavalet à la fin du
xixe siècle. Cette façade aveugle honore, en huit cartouches, les plus fameux historiens parisiens, qui sont
répartis non pas en fonction des différentes sections thématiques du musée, mais bien selon les rubriques
de classement de la bibliothèque : histoire, chronique, administration, mœurs et coutumes, monuments,
beaux-arts, topographie et iconographie.
261  Robiquet Jean, « Introduction », in Boucher François, Dorbec Prosper et Robiquet Jean, Guide du
musée Carnavalet, Paris, Frazier-Soye, s. d. [1928], p. VII-XI, p. VIII.

72
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

L’arc de Nazareth, pavillon du xvie siècle remonté dans les jardins du musée Carnavalet, à Paris.

Dès l’achat de l’hôtel Carnavalet par la municipalité en 1866, les concepteurs du


futur musée sont confrontés à la problématique du manque d’espace pour déployer
les collections, défi encore accru à partir des années 1870, lorsque les 60 000 volumes
et 40 000 estampes et plans anciens de la bibliothèque viennent occuper la plupart
des emplacements prévus à l’origine pour l’exposition des collections historiques.
Un important chantier de restauration du bâtiment est rapidement entrepris,
tandis que de nouveaux pavillons reliés par des galeries sont construits autour du
jardin, dans un style inspiré de l’architecture des xvie et xviie siècles 262. En 1872,
l’architecte en charge des travaux d’aménagement du site a l’idée d’intégrer aux
bâtiments qu’il est en train d’édifier des vestiges d’anciens monuments démolis,
« victimes » des plans d’urbanisation dont il a été question plus haut. C’est ainsi
que trois morceaux d’édifices des xvie, xviie et xviiie siècles – l’arc de Nazareth,
pavillon en forme d’arche provenant du Palais de justice, la façade du bureau de
la corporation des marchands drapiers et le corps central de l’hôtel de Choiseul –
récupérés par la ville au moment de leur destruction et entassés jusqu’alors dans
des dépôts municipaux sont remontés dans le jardin de l’hôtel 263.

262  L’article suivant, rédigé par le conservateur en chef du musée, constitue une excellente synthèse de
l’histoire architecturale du musée Carnavalet à la charnière entre les xixe et xxe siècles : Willesme Jean-
Pierre, « La formation du musée Carnavalet, de Jules Cousin à Jean Robiquet (1866-1925) », in Cahiers de
la Rotonde, no 19, Paris, Commission du vieux Paris, 1997, p. 145-166.
263  Pour de plus amples informations sur ces morceaux d’architecture remontés au musée Carnavalet, voir
Fiori, Paris déplacé…, op. cit., p. 50-53.

73
Le musée de ville

La surface du musée se trouve doublée à la fin des années 1880. De nouveaux


agrandissements seront ensuite réalisés au début du xxe siècle sur une parcelle
mitoyenne de l’hôtel, toujours dans un pastiche des styles anciens. Ils permettront
en 1925 à Gaston Doumergue, Président de la République, d’inaugurer un musée
Carnavalet quatre fois plus vaste que « cet établissement modeste que nous avons
connu jadis 264 », pour reprendre les termes du conservateur de l’époque.
Le musée Carnavalet est toujours à l’état de chantier lorsqu’il est pour la première
fois ouvert au public en février 1880. Seul le rez-de-chaussée de l’hôtel est visitable,
où sont exposés les antiques, c’est-à-dire, selon le guide imprimé pour l’occasion,
« les monuments lapidaires et céramiques des époques gallo-romaine, romane, du
Moyen Âge et de la Renaissance 265 ». Il s’agit en fait des quelques collections qui
ont échappé à la destruction par le feu en 1871. Conscient que cet « embryon de
musée est tout à fait indigne de la ville de Paris 266 », son conservateur, Jules Cousin
– et chacun de ses successeurs après lui – va employer toute son énergie à l’enri-
chissement des collections qui s’étendront progressivement dans le bâtiment, au
gré des campagnes d’agrandissement des lieux et du déménagement de la biblio-
thèque, définitivement séparée du musée en 1898 267. De nombreux dons et legs
ponctuent l’histoire du musée, dont certains l’orientent dans des directions et des
thématiques non prévues dans le programme muséographique d’origine. En 1881,
le comte Alfred de Liesville offre à la ville et au musée son impressionnante collec-
tion de souvenirs de la Révolution de 1789, l’une des plus importantes au monde,
en contrepartie de quoi il est nommé conservateur adjoint. Le musée Carnavalet
devient alors – et demeure aujourd’hui encore – une référence incontournable sur
cette période clé de l’histoire nationale, voire européenne, dont Paris fut le princi-
pal théâtre 268. Drapeaux, médailles, cocardes, faïences, portraits, estampes, mon-
naies, bonnets phrygiens, costumes ou encore modèle réduit de la Bastille taillé
dans une pierre provenant de la forteresse… C’est à travers l’anecdote et le détail
pittoresque que s’éclaire le récit de « ces temps troublés, mais exubérants de libé-
ralisme et de patriotisme 269 ».

264  Boucher, Dorbec et Robiquet, Guide…, op. cit., p. VIII.


265  Nous avons consulté la seconde édition de ce guide du visiteur, dont l’original date de 1880. Les réim-
pressions se succèdent d’ailleurs à un rythme soutenu, puisqu’en 1891 sort déjà la 23e édition de cet opus-
cule. Cousin Jules, Notice sommaire des monuments et objets divers relatifs à l’histoire de Paris et de la Révolution
française exposés au musée Carnavalet suivant l’ordre des salles parcourues par les visiteurs, Orléans, Georges
Jacob, décembre 1881 [2e éd.], p. 1.
266  Cousin Jules, Rapport à la Commission de surveillance, 5 juillet 1880, cité in Dubois, Les origines du
musée Carnavalet, op. cit., p. 331.
267  La Bibliothèque historique de la Ville de Paris est alors installée à l’hôtel Le Peletier de Saint-Fargeau,
proche voisin du musée Carnavalet. Elle l’occupe jusqu’en 1968, date de son déménagement vers son siège
actuel, l’hôtel de Lamoignon, toujours dans le quartier du Marais. Quant à l’hôtel de Saint-Fargeau, il est
désormais relié à l’hôtel Carnavalet par une galerie qui surplombe le bâtiment qui les sépare et fait depuis 1989
partie intégrante du musée. Les collections relatives à la préhistoire, au xixe et au xxe siècles y sont exposées.
268  Carbonnières de Philippe, La Révolution. Musée Carnavalet, Paris, Paris-Musées, coll. « Petites
Capitales », 2009.
269  Cousin, Notice sommaire…, op. cit., p. 1-2.

74
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Une salle d’exposition des collections révolutionnaires du musée Carnavalet.

Outre la Révolution française, qui n’est pas spécifiquement parisienne, ce sont les
documents iconographiques et topographiques prenant la capitale, ses quartiers
et ses monuments pour sujets qui constituent la part la plus essentielle des col-
lections du musée. Mais ce qui fait réellement la marque de fabrique du musée
Carnavalet, et qui détermine sa physionomie d’ensemble, ce sont les remarquables
décors de boiseries qui peuplent progressivement les salles à partir de la fin des
années 1880, sur et au milieu desquels sont exposés tableaux, meubles précieux et
délicats objets d’art. Dès 1889, les lambris et plafonds provenant de la chambre
à coucher et la salle à manger de l’hôtel de La Rivière, sur la place des Vosges,
sont installés au musée. Œuvre des peintres Lebrun et Perrier au xviie siècle, cet
ensemble reconstitué est le premier d’une longue série : le musée compte dix salles
de boiseries à l’aube de la Première Guerre mondiale et plus d’une trentaine dans
les années 1920. Les remontages de décors intérieurs se prolongent durant tout le
xxe siècle, jusqu’en 1989, date à laquelle sont présentées les deux dernières acqui-
sitions de ce genre : la monumentale salle de bal de l’hôtel de Wendel, décorée
entre 1923 et 1925 par Josep Maria Sert, et une bijouterie de style Art nouveau,
façade comprise, par Alphonse Mucha.
75
Le musée de ville

Salon de boiseries provenant de l’hôtel Colbert de Villacerf (xviie siècle), vers 1928.


Illustration extraite de François Boucher, Prosper Dorbec et Jean Robiquet, Guide du musée Carnavalet,
Paris, Frazier-Soye, s. d., planche 4.

Plus de la moitié des salles du musée, actuellement une centaine, sont ainsi « habil-
lées » de décors des xviie et xviiie siècles, considérés comme un âge d’or pour les
arts et la culture. Égrenant les noms prestigieux des grandes familles en vogue à
Paris sous l’Ancien Régime – hôtels Colbert de Villacerf, de Fersen, de Breteuil,
château de Conflans… –, ces salles « valent elles-mêmes comme œuvres d’art 270 »,
comme le note en 1928 le conservateur du musée dans la préface d’un ouvrage
consacré à ces boiseries. Celui-ci ajoute même, avec raison, que « ce procédé d’ex-
position, maintenant si répandu, constituait alors une trouvaille, aucun de nos
établissements d’art ne l’ayant encore employé 271 ». L’approche muséographique
de l’Epochemuseum, qui vise à contextualiser les œuvres exposées – mobilier, arts
décoratifs, peinture, sculpture – au sein de salles fastueuses rappelant leur époque
de création ne sera en effet largement popularisée que plus tard, à partir de l’ou-
verture en 1904 à Berlin du Kaiser-Friedrich Museum, imaginé par Wilhelm von
Bode 272. À Paris, dès la dernière décennie du xixe siècle, le musée Carnavalet

270  Boucher François, Les boiseries du musée Carnavalet, Paris, Frazier-Soye, 1928, p. 2.
271  Ibid.
272  Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 84-85. Poncelet François, Des expographes et des œuvres :
analyse typologique des formes d’implication personnelle de l’expographe dans les logiques de disposition qu’il conçoit,
Facultés universitaires de Namur, thèse de doctorat, 2011, p. 245-248.

76
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

L’exposition permanente du musée Carnavalet est placée sous le signe des Arts décoratifs
(ici, le règne de Louis XVI).

s’apparente autant, sinon davantage, à un musée d’arts décoratifs qu’à un musée


d’histoire ; l’insistance sur le caractère avant tout esthétique de la mise en expo-
sition en témoigne.
Les deux principales lignes directrices qui ont guidé le projet des premiers concep-
teurs du musée, à savoir la valorisation du mode de vie des classes moyennes et
populaires par rapport aux élites fortunées, et la volonté de toujours privilégier
l’intérêt historique des collections au détriment de leur valeur artistique, semblent
désormais des préoccupations bien lointaines…

Un modèle muséal qui s’impose pour longtemps


Le récit que propose depuis sa création le musée Carnavalet sur Paris est extrê-
mement représentatif des conceptions et méthodes de la discipline historique en
vigueur durant la seconde moitié du xixe siècle. Si des études récentes montrent
qu’en ce début de xxie siècle, les liens entre histoire académique et histoire au
musée tendent à se relâcher – la seconde n’ayant que peu de rapport avec l’actua-
lité de la recherche universitaire, tandis que les historiens professionnels sont de
plus en plus souvent considérés comme des alibis pour les musées, vagues cautions
dans le cadre de comités scientifiques assimilés à des chambres d’entérinement des
77
Le musée de ville

décisions prises par des investisseurs 273 –, la situation est toute autre au moment
de l’aménagement du musée Carnavalet. Le discours porté par l’institution sur la
thématique à laquelle il se consacre, en l’occurrence l’histoire de la capitale, est en
effet un fidèle reflet de l’historiographie de son temps, telle que la décrit Charles-
Olivier Carbonell. Celui-ci est l’auteur en 1976 d’un ouvrage de référence sur la
façon d’écrire l’histoire en France au cours de la période 1865-1885, presque exac-
tement celle qui nous a occupé tout au long de ce chapitre 274. L’ensemble de la
production historique de cette époque y est étudié sous différents angles – statis-
tique, géographique, démographique, thématique… –, et les conclusions auxquelles
il aboutit ne manquent pas d’étonner, tant elles sont proches, par de nombreux
aspects, de celles relevées pour le musée Carnavalet.
Carbonell indique notamment qu’un cinquième des ouvrages historiques publiés
alors sont consacrés à l’histoire locale, qui occupe dès lors la première place tous
domaines de recherche confondus, devant les autres catégories : histoire religieuse,
biographie, histoire nationale, publication de documents… Le cas de la ville de Paris,
au sujet de laquelle les publications historiques fourmillent, n’est donc pas isolé.
« Raconter l’histoire d’un village ou d’une ville, narrer dans le détail un épisode de la vie
municipale ou l’évolution d’une institution urbaine fut, il y a cent ans, l’exercice favori
des historiens français 275. »
L’émergence à ce moment précis de musées dédiés au fait local n’est donc pas
fortuite. Elle s’inscrit dans un contexte intellectuel et scientifique qui favorise ce
type d’entreprise.
Plusieurs caractéristiques de ces monographies locales sont ensuite soulignées. En
premier lieu, le recours au document, qui est une condition essentielle pour l’éru-
dit. Le récit se trouve cependant biaisé par la nature même des archives conser-
vées, qui se rapportent presque exclusivement aux institutions, aux guerres ou à
divers événements sortant de l’ordinaire. Les histoires du xixe siècle concernant les
périodes médiévale et moderne sont donc le plus souvent des chroniques décou-
sues, détaillant les généalogies des souverains, les expéditions et haut-faits mili-
taires, les fêtes de corporations et les débats échevinaux. Un second trait commun
à la production des historiens de ce temps est son caractère de fourre-tout docu-
mentaire dans lequel le peuple n’occupe qu’une place minime, comparée à celle
prise par les héros.
« Grande et petite histoire s’entremêlent où la seconde n’a pas la place la plus petite,
quand elle n’occupe pas la première 276. »

273  Voir notamment les deux articles suivants, qui abordent cette question des rapports parfois ambigus
entre le musée et l’historien : Burgess Joanne, « L’historien, le musée et la diffusion de l’histoire », in
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 57, no 1, Montréal, 2003, p. 33-44. Kesteloot Chantal et
Vanderpeelen Cécile, « De l’historien partenaire à l’historien alibi », in Jaumain Serge (éd.), Les musées
en mouvement : nouvelles conceptions, nouveaux publics (Belgique, Canada), Bruxelles, Centre d’études cana-
diennes de l’université de Bruxelles, 2000, p. 53-62.
274  Carbonell, Histoire et historiens…, op cit. Voir plus particulièrement le chapitre « Les domaines de
l’histoire », p. 91-161.
275  Ibid., p. 127.
276  Ibid., p. 131.

78
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Ensuite, l’historiographie est essentiellement événementielle, tandis que l’histoire


des villes est généralement réduite à celle de leurs seigneurs. L’histoire sociale,
économique et des mentalités, qui seront les grandes innovations apportées par
l’école des Annales 277 à partir des années 1930, sont absolument absentes des
travaux historiques des générations précédentes, tout comme d’ailleurs l’histoire
immédiate. Carbonell remarque en effet que la curiosité des historiens de la fin
du Second Empire « décline à mesure que l’objet de leurs études se rapproche
d’eux dans le temps 278 ».
Il est étonnant de se rendre compte à quel point cette grille d’analyse d’une pro-
duction à caractère littéraire s’adapte aisément au programme muséographique
d’une institution telle que le musée Carnavalet. La plupart des choix posés et des
thématiques retenues au musée correspondent à ces schémas, à commencer par
la structuration chronologique de l’exposition, par règne jusqu’à la Révolution et
ensuite par type de régime politique en place. De plus, les personnages illustres,
hommes politiques, militaires ou artistes, sont seuls à avoir droit de cité au sein
du musée, et leurs actions ou leur œuvre ne sont la plupart du temps représentées
qu’au travers d’objets-reliques, traduisant des faits-divers anecdotiques. Le musée
expose par exemple une mèche de cheveux de Madame de Sévigné, qui aurait
été recueillie en 1676 à l’auberge du relais de Cusset lors d’un de ses voyages vers
Vichy, une partie du couvre-lit de la reine Marie-Antoinette lors de son séjour
dans la prison du Temple ou encore la chambre de Marcel Proust. Quant à l’his-
toire contemporaine de Paris, on a vu qu’elle n’a jamais été considérée comme une
priorité par les concepteurs du musée. Son conservateur-adjoint nous en donne
d’ailleurs une confirmation explicite en 1929 :
« Mais l’éloignement d’au moins un demi-siècle convient aux perspectives de l’histoire,
et le musée se prémunit afin de continuer l’histoire de Paris toujours dans ces conditions
de recul et toujours avec le souci d’une vivante évocation 279. »
On comprend donc pourquoi, à cette époque, l’histoire de Paris s’arrête à la chute
du Second Empire et aux événements de la Commune.
Nous venons d’effectuer une plongée dans l’histoire du musée Carnavalet de
Paris jusque dans des eaux plutôt profondes. Celle-ci nous a permis de montrer
qu’entre l’idée d’un musée et son ouverture au public, et ensuite tout au long de
son histoire, nombreux sont les événements imprévus, les étapes intermédiaires,
les routes déviées et même les renoncements. Il arrive que la montagne accouche
d’une souris, et qu’un programme muséographique novateur et enthousiasmant
sur le papier se métamorphose en une institution traditionnelle, où l’atmosphère
recréée compte plus que le contenu du discours. Il est impossible de comprendre
les raisons de tels positionnements sans s’intéresser au contexte culturel, politique,
social… spécifique dans lequel s’inscrit le musée et qui détermine nécessairement
son évolution future.

277  Burguière André, L’école des Annales, une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006.
278  Carbonell, Histoire et historiens…, op cit, p. 455.
279  Dorbec, L’histoire de Paris…, op. cit., p. 90.

79
Le musée de ville

La place importante accordée au musée Carnavalet dans ces pages se justifie par
sa position comme figure archétypale du musée classique, dans le domaine de l’ex-
position de la ville. Cette dernière expression est notamment utilisée par André
Gob pour décrire le modèle qui domine progressivement le paysage muséal à
partir du milieu du xixe siècle et durant la première moitié du xxe siècle 280. Les
prochains sous-chapitres montreront dès lors l’évolution de cette nouvelle thé-
matique à deux moments clés, d’abord au tournant du xxe siècle, puis au cours de
la période 1920-1970, annonciatrice de certains changements.

La diffusion européenne du modèle,


à la charnière des xixe et xxe siècles
Dans le domaine spécifique de l’histoire de la ville, le musée Carnavalet joue un rôle
équivalent aux deux institutions « mythiques » qui, à peu près au même moment,
fondent l’exposition de l’ethnographie régionale, le Nordiska Museet et le Museon
Arlaten 281. Dès 1880, le musée parisien devient en effet en Europe le principal
ambassadeur – « l’exemple suprême de ce genre de musées de ville 282 » – d’un type
d’institution jusqu’alors pratiquement inconnu. Rapidement, des musées nouvel-
lement créés dans plusieurs villes se référeront à lui comme un modèle à suivre.
L’un des premiers à revendiquer une filiation directe est le musée de la Ville de
Bruxelles, inauguré en juin 1887, qui constitue un exemple typique de musée d’his-
toire de ville de la fin du xixe siècle.

Le musée de la Ville de Bruxelles, institution typique


« Nous pensons qu’il y aurait un grand intérêt pour la ville à fonder un musée commu-
nal historique à l’exemple de ce qui s’est fait à Munich, à Francfort et à Paris [qui] ne ren-
fermerait que des objets se rattachant à l’histoire de la ville de Bruxelles, ou des objets
de fabrication bruxelloise 283. »
Ces mots sont ceux de Charles Buls, bourgmestre libéral de Bruxelles qui, en
mars 1884, soumet au conseil communal la proposition de créer un « musée his-
torique bruxellois 284 ». Ce personnage a été évoqué précédemment, lorsque dans
les années 1860 – une décennie avant son engagement tardif en politique, à l’âge
de quarante ans – il a imaginé un programme resté inabouti de musée populaire
destiné à toutes les classes de la population et pas seulement aux « gens du monde
[…] à l’esprit plus raffiné 285 ». Situation rare, sinon unique à notre connaissance, où

280  Gob, Le musée, une institution dépassée ?, op. cit., p. 26-30.


281  Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 48-58.
282 « […] the supreme example of this genre of city museums. » Hebditch Max, « Approaches to portraying
the city in European Museums », in Kavanagh et Frostick, Making city…, op. cit., p. 102-113, p. 107.
283  Buls Charles, « Legs Wilson : Rapport fait, au nom du Collège, par M. le Bourgmestre », in Ville de
Bruxelles, bulletin communal, compte rendu des séances, t. I, 1884, p 184-186, p. 185.
284  Ibid., p. 186.
285  Buls, Un projet de musée populaire, op. cit., p. 5. Voir aussi chapitre 2, p. 50.

80
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

un homme qui s’est personnellement impliqué depuis longtemps dans des réflexions
novatrices sur la notion de musée se trouve en mesure, par son accession postérieure
au statut d’homme public, de mettre en pratique ses convictions engagées. C’est en
tant que pédagogue et penseur qu’il s’est illustré durant la première moitié de sa
vie 286. Fondateur en 1864 de la Ligue pour l’Enseignement – association visant à
réformer le réseau éducatif officiel, dont le pouvoir organisateur est l’État ou toute
personne de droit public –, il s’est particulièrement investi dans le domaine de l’édu-
cation des masses populaires et a toujours considéré à cet égard que les musées ont
un rôle social essentiel à jouer, à côté des parents et du système scolaire.
L’occasion saisie par Charles Buls de créer un musée « conforme à ses aspira-
tions premières 287 » est le legs à la ville en 1881 par un riche mécène, le britan-
nique John-Waterloo Wilson, d’une importante somme d’argent, 300 000 francs,
devant spécifiquement être affectée à l’achat de tableaux anciens. À cette époque,
le déficit est alors criant en matière de musées communaux. La ville est en effet
orpheline d’un grand musée depuis 1842, date à laquelle elle a vendu au jeune État
belge le musée d’art dont elle avait hérité en 1811 du Département de la Dyle 288.
Lorsque Charles Buls accède au pouvoir au début des années 1880, la munici-
palité ne dispose que d’un minuscule musée, « absolument inconnu 289 », selon les
termes d’un conseiller communal, dans une salle de l’Académie des beaux-arts où
quelques tableaux offerts par divers donateurs sont exposés 290. Le bourgmestre
souhaite donc remédier à cette situation, indigne d’une capitale aux grandes ambi-
tions. Il est bien conscient que ce don, malgré sa générosité, ne permettra pas un
enrichissement significatif du musée communal de l’Académie, condamné à ne
rester « qu’une insignifiante doublure du musée de l’État 291 », si riche en œuvres
d’art fameuses. Conseillé par Alphonse Wauters, archiviste municipal et futur
président fondateur de la Société archéologique de Bruxelles (1887), il propose
plutôt d’employer le legs Wilson à la constitution d’un premier noyau de collec-
tions pour un musée historique :
« Nous achèterions en conséquence des tableaux qui, soit par le sujet qu’ils repré-
sentent, soit par la personnalité du peintre, offriraient un intérêt pour l’étude de l’his-
toire de notre ville 292. »

286  Martens Mina, Charles Buls, ses papiers conservés aux Archives de la Ville, Bruxelles, archives de la ville
de Bruxelles, 1958, p. 16-27. Heymans Vincent, « Charles Buls et les musées, une réflexion en trois actes »,
in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 23-28.
287  Martens, Charles Buls…, op. cit., p. 24.
288  Ce musée, fondé en 1801 et ouvert au public en 1803 dans l’ancienne Cour (le palais de Charles de
Lorraine), est le futur musée royal de Peinture et de Sculpture de Belgique, devenu en 1927 musées royaux
des Beaux-Arts de Belgique. Loir Christophe, La sécularisation des œuvres d’art dans le Brabant (1773-1842).
La création du musée de Bruxelles, Bruxelles, université libre de Bruxelles, coll. « Études sur le xviiie siècle »,
vol. hors-série 8, 1998, p. 83-84 et p. 133-135. Van Kalck Michèle, Les musées royaux des Beaux-Arts de
Belgique : deux siècles d’histoire, Bruxelles, Racine, 2003.
289  Ville de Bruxelles, bulletin communal, op. cit., t. I, 1883, p. 244.
290  Au cours des années 1830, la création dans les grandes villes de Belgique des académies des beaux-
arts, institutions municipales, implique obligatoirement l’existence d’un musée en leur sein, destiné à l’ins-
truction des étudiants. Gob, « Les musées, un enjeu culturel pour la Wallonie », in Demoulin, Histoire
culturelle, op. cit., p. 327-337, p. 331.
291  Buls, « Legs Wilson… », in Ville de Bruxelles, bulletin communal…, op. cit., p. 184.
292  Ibid., p. 185.

81
Le musée de ville

Charles Buls réussit à convaincre ses collègues du bien-fondé de sa proposition


et le principe de la création d’un musée est acté par les autorités communales en
avril 1884.
En gestionnaire avisé, il assigne un double objectif au projet de musée qu’il pré-
sente : il s’agit non seulement « de rendre service à l’art et à la science », formule
habituelle – pratiquement une figure imposée – de ce genre de discours, mais aussi
de procéder à un renforcement de l’offre culturelle de la capitale, permettant de
positionner plus avant cette dernière sur la carte européenne en ce domaine. Ce
second argument, celui de la rentabilité financière sous-jacente au projet, vise pro-
bablement à convaincre ses éventuels opposants de la pertinence de l’entreprise :
« Ce qu’il faut faire, à notre avis, c’est créer à Bruxelles un musée […] présentant un intérêt
différent, de façon à piquer encore la curiosité de l’étranger, alors qu’il aurait déjà visité
le Musée royal. Nous devons, en effet, nous efforcer de multiplier les attractions de ce
genre dans notre ville. […] En réussissant à attirer et à retenir l’étranger dans nos murs,
nous aurons encore fait une excellente spéculation. Il suffit de voir la foule des étrangers
qui accourent à Munich afin d’aller admirer tous les musées fondés par le roi Louis, pour
se rendre compte de l’intelligent placement de fonds que réalisent les villes qui savent
créer des collections et des musées 293. »
Le lieu choisi pour abriter le musée est la Maison du roi, édifice récemment acheté
par la ville, qui porte en néerlandais le nom différent de Broodhuis (Maison du
Pain) 294. Il jouit d’une situation exceptionnelle dans le cœur historique de la ville,
sur la Grand-Place, face à l’hôtel de ville. À l’époque de Charles Buls, ce quartier
est encore essentiellement populaire et n’est pas encore la destination touristique
incontournable qu’il est devenu aujourd’hui. La localisation du musée s’accorde donc
non seulement avec les conceptions pédagogiques du bourgmestre, mais aura aussi
pour rôle de participer à la revitalisation patrimoniale de cette zone, qu’il défend
ardemment 295. Le bâtiment en lui-même reflète également une longue période
de l’histoire de la ville, en tant que centre de la vie économique puis politique.
Durant le Moyen Âge, plusieurs halles étaient situées à cet emplacement, où se
vendaient la viande, les draps, la laine, et notamment le pain, d’où l’une de ses
appellations. Au xve siècle, dans le but d’affirmer son autorité régalienne face au
symbole de l’autonomie communale bruxelloise, le duc de Brabant, propriétaire
du terrain, fait raser ces marchés couverts pour y construire un édifice désigné
comme Maison du duc, puis à partir du règne de Charles Quint, Maison du roi.
Le bâtiment, de style gothique, est utilisé comme centre administratif et de justice.

293  Ibid., p. 184.


294  Entretien avec Anne Vandenbulcke, directrice générale du département culture, jeunesse, loisirs,
sports de la ville de Bruxelles, et Corinne Ter Assatouroff, conservateur aux musées de la ville de Bruxelles
(21 avril 2010). Voir également Vannieuwenhuyze Bram et al., De la Halle au pain au musée de la Ville,
huit siècles d’histoire de Bruxelles, Bruxelles, musée de la Ville de Bruxelles, coll. « Historia Bruxellae », 2013.
295  La conservation et la restauration du patrimoine architectural du centre historique de Bruxelles sera le
combat essentiel de la carrière politique de Charles Buls. C’est à lui qu’on doit le sauvetage de la Grand-Place
et il s’est opposé, sans succès, au roi Léopold II pour empêcher la destruction du quartier de la Montagne
de la Cour, devenu le Mont des Arts. Il est aussi l’auteur en 1893 d’un petit traité d’aménagement urbain,
intitulé Esthétique des villes, qui connaîtra le succès. Heymans, « Charles Buls et les musées », in Laveleye,
Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 26.

82
La Maison du roi, sur la Grand-Place de Bruxelles.
Le musée de ville

Le musée de la Ville de Bruxelles, dans Le Patriote illustré, 1887 (archives de la Ville de Bruxelles).

Au cours du temps, il change fréquemment d’apparence, de propriétaire et d’affec-


tation (boutiques, salle de répétitions, siège de sociétés artistiques et littéraires…),
mais faute d’entretien, il est considérablement délabré lorsque la ville l’acquiert
en 1860 afin d’y installer des services communaux. La restauration qui est alors
engagée à partir de 1873 consiste en réalité en une reconstruction complète sur
base de plans du xvie siècle, menée dans la lignée des travaux de Viollet-le-Duc
par l’architecte Pierre-Victor Jamaer. La Maison du roi est dès lors un éloquent
84
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Les collections de faïence du musée de la Ville de Bruxelles.

témoignage du goût néogothique et historiciste du xixe siècle, où tourelles, vitraux,


statues et motifs héraldiques présentent une vision idéalisée du Moyen Âge tardif 296.
Le musée de la Ville de Bruxelles est inauguré en 1887, au second et dernier étage
de la Maison du roi, tandis que l’administration communale des finances occupe
les deux niveaux inférieurs. Les collections exposées sont à l’étroit et le resteront
jusqu’en 1927, moment à partir duquel le musée se déploie dans la totalité du bâti-
ment. Lors de leur ouverture, les salles d’exposition présentent un arrangement
muséographique typique de l’époque : hétérogénéité et accumulation en sont les
maîtres mots. Charles Buls indique d’ailleurs au cours d’une séance du conseil
communal en 1887 que « les objets sont véritablement entassés 297 » et souhaite
dès l’année suivante l’installation de salles nouvelles pour encourager les dona-
teurs 298. Autour des peintures représentant des vues anciennes de la ville acquises
grâce au legs de 1881 sont exposés une grande variété d’objets, la plupart prove-
nant de donations, dans « une impression générale de confusion 299 ».

296  Smolar-Meynart Arlette, Deknop Anne et Vrebos Martine, Le musée de la Ville de Bruxelles, la
Maison du roi, Bruxelles, musée de la Ville de Bruxelles et Fondation pour la protection des monuments
et sites ASBL, 1992, p. 7-18.
297  Ville de Bruxelles, bulletin communal, op. cit., t. I, 1887, p. 241-242.
298  Ville de Bruxelles, bulletin communal, op. cit., t. II, 1888, p. 680.
299  Deknop Anne, « Le passé, le présent et l’avenir du musée de la Ville. Historique de la Maison du roi »,
in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 29-32, p. 29.

85
Le musée de ville

Comme dans le programme initial du musée parisien, les « spécimens de l’indus-


trie locale [qui] ont eu des périodes de splendeur dans notre ville 300 » – en l’oc-
currence tapisserie, dentelle, faïence, carrosserie ou ferronnerie – sont inclus dans
les collections, dans le but d’instruire ouvriers et artisans. L’institution bruxelloise
tente donc, à travers la diversité des artefacts, de s’adresser à différentes catégo-
ries de public, touristes comme résidents, classes privilégiées comme populaires.
Cette attention portée dès le départ aux visiteurs et à leurs attentes – qui ne doit
cependant pas être surévaluée, le musée restant un musée classique, représenta-
tif du xixe siècle – marque dès lors une différence fondamentale avec le musée
Carnavalet, où la question du public n’est finalement jamais posée : un musée
pour les Parisiens ? Pour les étrangers ? Ouvert à tous ? Rien dans les documents
ne permet de s’en faire une idée 301. Malgré cette distinction conceptuelle entre les
deux musées, leur aspect extérieur reste pourtant très similaire : beaux-arts, arts
décoratifs et archéologie demeurent des valeurs sûres. L’un et l’autre font figure de
musée d’histoire de ville caractéristique de leur temps, parmi bien d’autres dont
nous proposons de brosser un rapide portrait général.

Quelques musées pionniers


Comme vient de le montrer le cas du musée de la Ville de Bruxelles, le musée
Carnavalet jouit d’une grande fortune critique dans le paysage muséal européen
de la fin du xixe siècle. Cette influence certaine ne doit pas pour autant occulter
l’existence de projets analogues et concomitants, sans lien direct avec le dévelop-
pement de l’institution parisienne. La croissance urbaine et la révolution indus-
trielle sont en effet des phénomènes qui touchent, à des degrés divers, l’ensemble du
continent durant le xixe siècle, imposant l’émergence d’un urbanisme moderne 302.
Face à ces bouleversements majeurs d’ordre économique, social et culturel, il n’est
pas étonnant qu’en de nombreux lieux, le musée s’inscrive naturellement comme
une forme de réponse de la société, parmi bien d’autres possibles ; la conservation
d’une certaine image du passé permet d’appréhender plus sereinement les incer-
titudes du temps présent. Nous souhaitons dès lors évoquer brièvement quelques
exemples d’institutions fondées à la charnière des xixe et xxe siècles avec pour
objectif d’exposer au public l’histoire de leur ville.
Les musées d’histoire de ville les plus précoces apparaissent dans les pays de langue
germanique, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas. Ils partagent un certain
nombre de traits communs, s’inscrivant résolument dans la tradition du musée
classique, à commencer par les lieux dans lesquels ils sont installés. Les collections
municipales sont systématiquement abritées dans des édifices anciens qui renvoient,

300  Buls, in Ville de Bruxelles, bulletin communal…, op. cit., p. 185.


301  L’article en ligne suivant propose une comparaison entre les musées de ville de Paris, Bruxelles et New
York, sur cette question du public auquel s’adresse le musée à la fin du xixe et au début du xxe siècles :
Postula Jean-Louis, « City museum, community and temporality : a historical perspective », in Jones Ian
et al. (ed.), Our Greatest Artefact : Essays on Cities and Museums about them, Istanbul, Camoc, 2012, p. 33-48
[en ligne], http://network.icom.museum/camoc/publications/books/ (page consultée le 18/05/2015).
302  Pinson Daniel, « Histoire des villes », in Stébé Jean-Marc et Marchal Hervé (dir.), Traité sur la
ville, Paris, PUF, 2009, p. 41-89, p. 63-65.

86
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

la plupart du temps, à une période glorieuse ou une activité symbolique de l’histoire


de la cité. L’Historisches Museum Frankfurt, inauguré en 1878 et planifié depuis le
début des années 1860, est ainsi situé dans la Leinwandhaus, littéralement « maison
de la toile », centre du commerce du textile de la ville au xive siècle, où les étoffes
étaient rangées, pesées et mesurées 303. Six ans plus tard, c’est au cœur de la capitale
administrative hollandaise que le Haags Historisch Museum ouvre ses portes dans
une célèbre maison du xviie siècle. Le Sint Sebastiaansdoelen, siège durant l’An-
cien Régime de la guilde de Saint-Sébastien, était alors un lieu de délassement
et de réunion des archers – doel signifiant cible en néerlandais –, membres de la
garde civique de La Haye 304. Deux musées allemands sont encore créés au cours
de la même décennie, l’un et l’autre inaugurés en 1888 : le Kölnisches Stadtmuseum,
dans deux portes – Hahnentor et Eigelsteintor – du rempart médiéval de la ville 305,
et le Münchner Stadtmuseum, installé dans deux bâtiments gothiques, l’arsenal et
les anciennes écuries municipales 306.
Les expositions qui sont présentées dans ces quatre musées trouvent leur noyau
primitif dans les divers objets rassemblés au cours du temps au sein des hôtels de
ville, et auxquels les municipalités décident, en cette fin de xixe siècle, de confé-
rer un statut muséal, souvent sous l’impulsion de l’archiviste ou d’érudits locaux.
Les collections de chacun d’eux sont fort semblables, représentatives des concep-
tions muséographiques du temps : aux artefacts strictement historiques (chartes
et sceaux, clés de la ville) s’ajoutent d’autres centres d’intérêt, comme l’archéo-
logie, l’artisanat, l’art local ou encore l’histoire naturelle (géologie, paléontolo-
gie…) 307. La numismatique côtoie les panoplies d’armes et les armures, tandis
que les portraits d’édiles et de souverains voisinent avec les vues de la ville, les cos-
tumes typiques, les instruments de musique et du mobilier bourgeois. Ces premiers
musées d’histoire de ville se révèlent en fait proches, par de nombreux aspects,
des musées locaux et de sociétés savantes abordés précédemment, dans lesquels la
diversité typologique des collections exposées domine, la plupart du temps d’ail-
leurs au détriment de la cohérence du discours.
Progressivement, le modèle se diffuse ensuite vers d’autres régions d’Europe,
en direction principalement du nord et l’est, alors que les pays méridionaux
– Portugal, Espagne, Italie, Grèce – restent quant à eux absents de cette grande
vague pionnière de fondation de musées historiques municipaux. Des villes telles
que Budapest en 1899, Copenhague en 1901, Oslo en 1905, Saint-Pétersbourg
en 1907 et Helsinki en 1911 se dotent de telles institutions, qui partagent entre
elles des caractéristiques muséographiques et des contextes de création semblables à

303  Historisches Museum Frankfurt [en ligne], http://www.historisches-museum.frankfurt.de/index.


php?article_-id-=2 9&clang=1 (page consultée le 18/05/2015).
304  Haags Historisch Museum [en ligne], http://www.haagshistorischmuseum.nl/page/geschiedenis (page
consultée le 18/05/2015).
305  Le Musée municipal de Cologne : introduction, guide et table chronologique, plaquette des années 1990
distribuée au musée.
306  Münchner Stadtmuseum [en ligne], http://www.muenchner-stadtmuseum.de/muenchner-stadtmuseum/-
geschichte/geschichte.html (page consultée le 18/05/2015).
307  Gerchow Jan, « Stadt– und regionalhistorische Museen », in Graf Bernhard et Rodekamp Volker
(ed.), Museen zwischen Qualität und Relevanz. Denkschrift zur Lage der Museen, Berlin, Berliner Schriften
zur Museumsforschung, 2012, p. 327-333, p. 327.

87
Le musée de ville

ceux des musées fondateurs décrits jusqu’alors. Le paysage muséal de cette époque
n’est cependant pas réductible à un bloc monolithique à l’intérieur duquel tous les
objectifs et les approches seraient identiques. Soit par leur projet global, soit par
leur origine, certains établissements font en effet figure d’exception. C’est notam-
ment le cas de deux institutions britanniques créées au tournant du xxe siècle.

Deux exceptions britanniques


La plus ancienne de ces institutions atypiques consacrées à la ville est un hybride,
croisement entre un observatoire, un musée privé et un laboratoire civique. L’Outlook
Tower de Patrick Geddes, inaugurée en 1892 dans le centre historique d’Édim-
bourg, présente un programme muséographique aux antipodes des musées clas-
siques évoqués ci-dessus 308. Bâtie à la fin du xviiie siècle pour abriter un musée
d’instruments scientifiques, notamment des télescopes, cette tour de cinq étages
devient au milieu du siècle suivant un observatoire touristique offrant un point de
vue panoramique sur la ville, au sommet duquel est installée une camera obscura.
Le principe de cette machine, attraction optique très à la mode dans l’Angleterre
victorienne, est de projeter sur un écran horizontal placé à l’intérieur d’une pièce
sombre l’image inversée du paysage extérieur, grâce à la captation de la lumière
naturelle. En 1892, la tour est acquise par Patrick Geddes, biologiste et penseur
écossais, célèbre pour ses projets de revitalisation sociale et culturelle du cœur
d’Édimbourg, quartier parmi les plus insalubres d’Europe.
En réaction aux dysfonctionnements urbains qui ont alors cours, l’objectif du
fondateur de l’Outlook Tower est de restaurer le lien perdu entre l’individu et son
milieu, en procédant par la méthode scientifique qui amène du connu vers l’in-
connu, du proche vers le distant. Pour ce faire, le visiteur est amené à parcou-
rir la tour dans un mouvement descendant, depuis le sommet vers la base. Sur la
terrasse supérieure, le panorama environnant cerne le visiteur, tandis que via la
camera obscura, ce dernier enveloppe le paysage d’un seul regard. Ces deux coups
d’œil sur la ville vue d’en haut ne sont pas que topographiques, mais aussi d’ordre
temporel. Ils invitent le public à se dégager du temps présent que symbolise le
niveau du sol, celui de la vie quotidienne, et lui offrent la possibilité de se proje-
ter dans l’imaginaire, vers le passé et le futur. La visite se poursuit par l’intérieur
de la tour, où chaque étage présente une échelle d’appréhension géographique du
réel de plus en plus élargie : d’abord Édimbourg et sa région, du point de vue de
l’histoire et des problématiques contemporaines (quatrième étage), puis l’Écosse
(troisième), ensuite l’empire britannique et le monde anglophone (deuxième), l’Eu-
rope (premier), et enfin le monde au rez-de-chaussée. Chacune de ces pièces est
identique en surface, mais donne à voir des territoires toujours plus vastes, signi-
fiant dès lors au visiteur que la ville – et par conséquent, lui-même également –
est connectée au reste du monde, dans une sorte d’emboîtement. Le matériel

308  Chabard Pierre, « L’Outlook Tower, anamorphose du monde », in Marot Sébastien (éd.), Le visi-
teur : ville, territoire, paysage, architecture, no 7, Paris, Éditions de l’imprimeur, 2001, p. 64-73. Renwick
Chris, « Camera obscura, Edinburgh », in British Society for History of Science (BSHS) Travel Guide [en
ligne], http://www.bshs.org.uk/travel-guide/camera-obscura-edinburgh (en ligne depuis le 24/03/2010,
page consultée le 18/05/2015).

88
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

L’Outlook Tower d’Édimbourg en 1915.


Illustration extraite de Patrick Geddes, Cities in evolution,
Londres, William et Norgate, 1915, p. 324.

muséographique mis en scène est varié : cartes, maquettes, tableaux, bas-reliefs,


vitraux, diaporamas, graphiques, photographies… 309, tandis que l’aspect didac-
tique de cette exposition est manifeste. La figure traditionnelle du musée comme
conservatoire d’une collection d’objets authentiques ne trouve ici nul écho, car la
dimension conceptuelle de l’institution est d’une tout autre nature. Donner du
sens au monde qui nous entoure à partir de l’environnement urbain immédiat, tel

309  Chabard, in Marot, Le visiteur…, op. cit., p. 71.

89
Le musée de ville

est le projet visionnaire, à la fois scientifique et social, porté par Patrick Geddes
avec son Outlook Tower, désignée en 1899 par le prestigieux American Journal of
Sociology comme « le premier laboratoire sociologique mondial 310 ». Son succès
s’essoufflera cependant à partir de la Première Guerre mondiale et dans le courant
du xxe siècle, la tour, rebaptisée Camera Obscura and World of Illusions, retrouve sa
vocation initiale d’activité touristique et commerciale. Malgré son abandon rapide,
la démarche interprétative avant la lettre 311 mise en place par Patrick Geddes ne
manque pas d’originalité, et influencera durablement certains esprits soucieux de
présenter la ville d’une manière différente que dans le musée classique.
À cet égard, le projet resté sans suite d’Urbaneum bruxellois 312, imaginé dans les
années 1930 par le sociologue belge Paul Otlet 313 – connu pour être l’initiateur au
début du xxe siècle du Mundaneum, « Google de papier 314 » – et l’architecte Victor
Bourgeois, trouve son inspiration dans celui de l’Outlook Tower. L’Urbaneum est
conçu comme une forme d’exposition sur la ville, facilement transposable partout
dans le monde, qui en reprend les deux dimensions essentielles : la morphologie
et la sociologie. Un bâtiment dont trois côtés seraient entièrement vitrés aurait été
installé au sommet du Mont des Arts, colline qui domine la vieille ville, permet-
tant l’observation directe du panorama, tandis que le dernier mur aurait accueilli
cartes et graphiques. Le centre de la salle aurait consisté en une grande maquette
évolutive de la cité, régulièrement tenue à jour, afin d’intéresser les citoyens au
développement de la ville. En tant que « musée vivant de l’urbanisme », le com-
plexe aurait été composé, en plus de la salle d’exposition, d’un centre de documen-
tation, d’une bibliothèque et d’une salle d’étude.
Par son statut particulier, le London Museum, ouvert au public en avril 1912 dans
les State Apartments du palais de Kensington, se distingue lui aussi parmi les
musées d’histoire de ville pionniers 315. Contrairement à la plupart de ces institu-
tions qui sont fondées par des édiles communaux, le musée consacré à la capitale
anglaise est quant à lui issu de la vision de deux aristocrates qui ont réussi à inté-
resser la famille royale britannique au projet, entraînant dès lors la création d’un
musée national, et non municipal. L’implication réelle des souverains anglais tout

310 « […] the world’s first sociological laboratory. » Zueblin Charles, « The world’s first sociological laboratory »,
in American Journal of Sociology, vol. 4, no 5, Chicago, The University of Chicago Press, 1899, p. 577-592.
311  Chaumier Serge et Jacobi Daniel (dir.), Exposer des idées. Du musée au Centre d’interprétation, Paris,
Complicités, 2009.
312  Le Maire Judith, « De l’Urbaneum à la “Conférence permanente” : l’apprentissage comme pilier de la
grammaire participative dans l’architecture et l’urbanisme », in Espaces de vie, espaces enjeux : entre investis-
sements ordinaires et mobilisations politiques, actes du colloque de l’UMR 6590 (Espaces et Sociétés) à l’uni-
versité de Rennes 2, novembre 2008. Culot Maurice (dir.), La troisième dimension, maquettes d’architecture,
Bruxelles, Archives d’architecture moderne, 2003, p. 21-22. Gob André, « Musée ouvert, manifestation
de l’espace public ? » in Gob André (dir.), Musées : on rénove !, Art&Fact, no 22, Liège, p. 122-129, p. 126.
313  Levie Françoise, L’homme qui voulait classer le monde : Paul Otlet et le Mundaneum, Bruxelles, Les
impressions nouvelles, 2006.
314  Le Monde, édition du 19 décembre 2009.
315  Entretien avec Cathy Ross, Director of Collections and Learning au Museum of London (10 septembre
2010). Sheppard Francis, The treasury of London’s past, an historical account of the Museum of London and its
predecessors, the Guildhall Museum and the London Museum, Londres, Museum of London, 1991, p. 31-130.
Wheeler Mortimer, The London Museum, Short guide to the collections, Londres, Lancaster House, Saint
James’s, 1926. Wheeler Mortimer, Twenty-five years of the London Museum. An album of photographs illus-
trating the range of the collections, Londres, Lancaster House, Saint James’s, 1937.

90
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

au long de l’histoire du London Museum en est une des caractéristiques essentielles.


La reine Elizabeth II a d’ailleurs fait part en 1976 de son « intérêt patrimonial
considérable 316 » au sujet du musée, hérité notamment de ses arrière-grand-mère
et grand-mère, les reines Alexandra et Mary, qui ont toutes deux participé à sa
fondation et son enrichissement.
Le personnage à l’origine du projet de ce musée est un homme politique, le vicomte
Lewis Harcourt, First Commissioner of Works – titre équivalent à celui de ministre
des travaux publics – entre 1905 et 1910. Très impressionné par une visite faite
au musée historique de Paris dans les années 1890, il s’est fixé comme objectif
de tout faire pour doter sa propre ville d’une telle institution : « Le rêve de ma
vie a été d’établir un London (Carnavalet) Museum 317 », écrit-il en 1910 au secré-
taire particulier du roi. Devant les coûts exorbitants liés à la construction d’un
nouveau bâtiment et à la constitution d’une collection digne de ce nom, le vicomte
Harcourt convainc son ami Reginald Brett, Lord Esher, influent courtisan proche
du pouvoir et conseiller officieux des souverains depuis Victoria jusque George V,
de l’aider dans son entreprise. L’occasion qu’ils saisissent est le décès, en 1910, du
roi Edward VII, à la suite duquel sa veuve Alexandra émet le souhait d’offrir à
la nation, en vue de leur exposition au public, quelques reliques personnelles de
son défunt mari et de sa mère, la reine Victoria. Lord Esher écrit alors à la reine
douairière en ces termes, afin d’obtenir son patronage :
« Conformément aux souhaits de Votre Majesté, j’ai soigneusement pensé au meilleur
mode d’exposition des reliques profondément intéressantes […]. Le Victoria and Albert
[Museum] serait impropre car il est entièrement consacré à l’art en connexion avec l’édu-
cation. En fait, il n’existe à l’heure actuelle aucun musée qui serait tout à fait approprié. […]
Je pense qu’une grande opportunité serait perdue si nous ne profitions pas du cadeau
de Votre Majesté pour faire naître immédiatement un musée pour Londres sur le prin-
cipe du musée Carnavalet à Paris. […] Beaucoup ont regretté que nous n’ayons rien à
montrer à Londres qui lui soit comparable 318. »
Cette dernière réagit très positivement à la proposition de Lord Esher et se charge
d’obtenir de son fils, le roi George V, la mise à disposition d’un lieu pour accueil-
lir une exposition de ce type. Depuis 1899, une douzaine de salles du premier
étage de Kensington Palace, l’une des résidences londoniennes de la famille royale
dans Hyde Park, étaient déjà ouvertes aux visiteurs, et le roi accepte en 1911 d’en
faire le siège provisoire du nouveau musée, dans l’attente d’un site permanent et
mieux adapté. En raison des circonstances qui ont présidé à son organisation, le
London Museum est donc le résultat de la combinaison en une institution unique
de deux projets distincts : le « London Carnavalet » d’Harcourt et le « Royal trea-
sure box » de la reine Alexandra.

316 « […] considerable proprietary interest. » Cité in Sheppard, The treasury of London’s past, op. cit., 1991, p. 40.
317 « It has been the dream of my life to establish a London (Carnavalet) Museum. » Cité in ibid., p. 36.
318 « In accordance with Your Majesty’s wishes I have carefully thought out the best mode of exhibiting the pro-
foundly interesting relics […]. The Victoria and Albert [Museum] would be unsuitable as it is entirely devoted to
art in connection with education. Indeed there is no museum at present in existence which is altogether suitable. […]
I think a great opportunity would be lost if advantage were not taken of Your Majesty’s offer to at once bring into
existence a Museum for London on the principle of the Carnavalet Museum in Paris. […] Many have regretted
that we have nothing to show in London at all comparable to it. » Cité in ibid., p. 41.

91
Le musée de ville

Kensington Palace, siège du London Museum de 1911 à 1913 et de 1951 à 1975.

Comme de coutume à l’époque, les objets de collection que les trustees du musée
tentent d’acquérir sont variés : archéologie, art, arts décoratifs, costumes, artisa-
nat… Toutes les pièces d’intérêt historique ou local qui ne trouveraient leur place
ni au British Museum ni au Victoria and Albert Museum sont recherchées. Dès l’an-
nonce publique de la formation du musée, de nombreux dons affluent, tandis que
des acquisitions sont réalisées, soutenues d’abord par la cassette royale, puis rapi-
dement par des budgets gouvernementaux. Le musée est donc riche d’environ
18 000 pièces lors de son inauguration, et connaît immédiatement un véritable
succès populaire : 13 000 curieux s’y pressent le premier jour et ensuite environ
50 000 visiteurs par mois 319.
Le parcours emprunté par le visiteur lui fait traverser les anciens cabinets privés,
chambres et galeries du palais de Kensington dans lesquels ont été installées de
lourdes vitrines en bois et verre spécialement conçues pour l’occasion. Dans la pre-
mière salle, la Queen Mary’s Gallery, sont exposés des objets de la vie quotidienne
depuis la préhistoire jusqu’au xviie siècle (couteaux, ustensiles de cuisine, épées,
chaussures…). Les vitrines sont particulièrement chargées, chacune de plus d’une
centaine d’objets, et toutes accompagnées de cartels. Dans un souci didactique, le
conservateur du musée a fait réaliser par un artiste huit grands dessins à la craie

319  Wheeler, Twenty-five years of the London Museum, op. cit., p. 3.

92
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

La ville de Londres se penche sur son passé, dans Punch, 27 mars 1912.
Illustration extraite de Mortimer Wheeler, Twenty-five years of the London Museum, 1937, pl. 2.

et au pastel illustrant la vie des premiers « Londoniens », par exemple un homme


préhistorique armé d’un gourdin se réfugiant dans un arbre pour fuir un tigre à
dents de sabre. Les salles suivantes présentent au visiteur diverses collections, clas-
sées par types d’objets. On y trouve donc successivement de la porcelaine et des
émaux, de l’argenterie, des modèles de bateaux, de la poterie précieuse ou encore
des costumes de cour masculins et féminins du xviiie siècle. Mais le clou du spec-
tacle est sans nul doute constitué par les souvenirs royaux. Ils sont de deux types,
93
Le musée de ville

soit objets personnels à caractère privé – les poupées d’enfance de la reine Victoria,
la boîte à cigares et une paire de gants ayant appartenu à Edward VII ou le para-
pluie bleu de George V – soit costumes officiels et de cérémonie – habits de cou-
ronnement des souverains et nombreuses robes portées lors d’occasions spéciales.
Des pièces plus imposantes sont également exposées dans une annexe du bâti-
ment, comme les vestiges pesant vingt tonnes d’un bateau de la période romaine,
découvert l’année précédant la création du musée au cours de travaux d’excava-
tion près du pont de Westminster, et ceux d’une pirogue prétendument préhis-
torique – datant en réalité du Moyen Âge – agrémentée par souci de réalisme
d’un mannequin en cire grandeur nature, barbu, chevelu et habillé d’une peau
de bête 320. Inspirées du succès des Chambers of Horrors d’institutions à la mode,
comme Madame Tussauds (depuis 1835) ou le musée Grévin (depuis 1882), deux
cellules en bois d’une ancienne prison du xviiie siècle, dont les murs sont gravés
de la signature de certains détenus, ont aussi été reconstituées. Pour ajouter au
réalisme de la scène, on y voit, couché sur un lit de paille à côté d’un rat natura-
lisé et d’instruments de torture, le mannequin d’un célèbre repris de justice, Jack
Sheppard, connu pour s’être évadé quatre fois avant de finir pendu.
Certaines critiques émises au moment de l’ouverture du musée concernent le carac-
tère par trop hétérogène des collections rassemblées, et pour la plupart desquelles
la connexion spécifique avec la ville de Londres est difficile à établir. L’arrangement
thématique ou typologique, plutôt que strictement chronologique, des pièces au
sein des salles d’exposition est également regretté par quelques-uns. Ces critiques
sont en réalité parfaitement généralisables à l’ensemble des musées d’histoire de
ville de cette époque, et nous souhaitons plutôt mettre en exergue l’effort de péda-
gogie, encore rare à cette période, dont fait preuve le musée londonien.
Tout au long de son histoire, le London Museum a considérablement développé
ses collections dans toutes les directions possibles, et a notamment acquis ou
reçu de nombreuses maquettes – la plus célèbre étant celle du Grand incendie de
Londres de 1666, animée par des lampes électriques simulant le mouvement des
flammes –, des véhicules, des horloges, du mobilier, des objets relatifs à des per-
sonnages historiques comme le masque funéraire d’Oliver Cromwell ou le crâne
de Richard Bandon, le bourreau en 1649 du roi Charles Ier.
Selon la volonté du roi, Kensington Palace n’est dès le départ qu’un abri provisoire
pour le musée. Un autre lieu est dès lors rapidement trouvé et dès 1913, les col-
lections sont déménagées à Lancaster House, un hôtel aristocratique du xixe siècle
loué à cette fin par le gouvernement. Jusqu’au second conflit mondial, les collec-
tions y seront déployées avec beaucoup plus d’espace qu’auparavant, tandis que le
grand nombre de pièces du bâtiment permet désormais d’amorcer une présenta-
tion de l’histoire de Londres par ordre chronologique, avec des salles dédiées à des
périodes spécifiques : Roman room, Saxon room, Tudor room… Après la guerre, le
London Museum doit pourtant quitter Lancaster House, entre-temps passé sous la
gestion du Foreign Office qui souhaite l’affecter à d’autres usages. Ironie de l’histoire,

320  La photographie de ce mannequin, qui symbolise le caractère pittoresque de certaines représenta-


tions du passé au début du xxe siècle, figure d’ailleurs en couverture de l’ouvrage suivant : Merriman Nick
(ed.), Making early histories in museums, Londres et New York, Leicester University Press, coll. « Making
histories in museums », 1999.

94
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

London Museum : reconstitution de la cellule de Jack Sheppard (début du xviiie siècle).


Illustration extraite de Twenty-five years of the London Museum, 1937, pl. 68.

le musée retrouve alors son emplacement d’origine et est à nouveau transféré


en 1951 à Kensington Palace. Il fermera définitivement ses portes en 1975. Fusionné
à ce moment avec une autre institution londonienne, le Guildhall Museum – musée
archéologique établi dans la City dès 1826 –, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre
alors, sur lequel nous reviendrons en détail : celui de l’emblématique Museum of
London, symbole dans les années 1970 d’un renouveau magistral apporté à la thé-
matique de l’exposition de la ville.
Au cours de ce sous-chapitre, nous avons montré la diffusion à travers l’Europe
du modèle initié par le musée Carnavalet, jusqu’à la veille de la Première Guerre
mondiale. Durant cette période, le musée d’histoire de ville est devenu un phé-
nomène largement répandu sur l’ensemble du continent. Pratiquement toutes les
95
Le musée de ville

grandes capitales et les métropoles se sont dotées de musées de ce genre. Le mou-


vement est d’ailleurs loin de s’éteindre, et nombreuses seront les créations d’ins-
titutions durant le demi-siècle qui précède les années 1970.

La période 1920-1970
Durant la période qui court des années 1920 à environ 1970, la figure qui domine le
paysage muséal demeure, comme précédemment et depuis le milieu du xixe siècle,
le modèle classique du musée. Le fonctionnement de l’institution se fonde majo-
ritairement sur les collections, dans un mode d’exposition de type « situation de
rencontre » entre l’objet et le visiteur. La mise en exposition ne vise pas nécessai-
rement un impact social – « redonner à un groupe le sentiment de son existence et
de son identité 321 » – ni à communiquer de manière didactique un message ou un
discours, dans la mesure où, pour le domaine de l’exposition de la ville, muséologie
d’idée et de point de vue sont des concepts inconnus ou largement inexploités 322.
En d’autres termes, il n’est pas encore question ici d’un déplacement de l’intérêt
du musée centré sur l’objet vers un intérêt centré sur la communauté des citoyens,
correspondant à l’émergence d’une nouvelle muséologie 323.
La plupart des musées créés au cours de la période 1920-1970 présentent donc
des conceptions qui les rapprochent de ceux de la précédente. Bien qu’ils pro-
fitent des évolutions de la technique muséographique inhérentes au temps qui
passe 324, ils s’inscrivent toujours – chacun avec sa propre personnalité, fruit du
contexte spécifique dans lequel il apparaît – dans la lignée du musée d’histoire de
ville de type classique, déjà longuement décrit dans ce chapitre. En conséquence,
nous proposons plutôt de souligner trois situations nouvelles qui prennent place
à cette époque, signes malgré tout d’un cheminement des idées et des méthodes :
tout d’abord la conquête du continent américain par le musée d’histoire de ville
depuis les années 1920, ensuite la diversification des approches liées à l’interpré-
tation du fait urbain, à la fois dans et en dehors de l’institution, et enfin le phé-
nomène de la manipulation du musée à des fins idéologiques et de propagande à
partir de l’Entre-deux-guerres.

De nouveaux horizons
Nous avons vu qu’au début du xxe siècle, de très nombreuses historical societies
sont depuis longtemps disséminées à travers les États-Unis et le Canada. Bien
que la plupart d’entre elles incluent la gestion d’un musée local parmi leurs attri-
butions, leur champ d’action n’est pas spécifiquement tourné vers la ville en tant

321  Davallon Jean, L’exposition à l’œuvre. Stratégies de communication et médiation symbolique, Paris,
L’Harmattan, 1999, p. 159.
322  Ibid., p. 158-160 et p. 245-253.
323  Van Mensch Peter, « Musées en mouvement. Point de vue dynamique et provocateur sur l’inter-rela-
tion muséologie-musées », in Icofom Studies, no 12, 1987, p. 25-28.
324  « Le développement de la technique », in Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit, p. 69-75.

96
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

que telle, mais généralement vers un champ plus large : l’histoire de l’État ou de la
nation. La création en 1923 du Museum of the City of New York constitue dès lors
un jalon d’importance dans l’histoire de notre type muséal. Elle marque en effet
la première traversée de l’océan Atlantique par le modèle du musée d’histoire de
ville tel qu’il a été initié en Europe. Comme l’écrit John Van Pelt en 1931, dans
son discours déjà cité en introduction de l’ouvrage :
« Je crois que le Museum of the City of New York est la première tentative, à une telle
échelle en Amérique, de créer un musée exclusivement consacré à la vie d’une ville 325. »
À partir de ce moment, le continent américain constituera un terreau fertile pour
les développements futurs de la catégorie muséale.
Dès ses origines, la muséologie nord-américaine a revêtu des formes spécifiques
et originales, comparées à celles des musées européens contemporains 326. S’il
n’entre pas dans le cadre de ce livre d’insister longuement sur ces spécificités, nous
proposons néanmoins d’en évoquer succinctement certains des principaux traits
caractéristiques.
De manière générale, les musées américains ont choisi de ne pas centrer leur dis-
cours sur la collection, probablement en raison d’un manque initial de « matière
première », dont leurs confrères européens disposent eux en abondance. Celle-ci
est plutôt envisagée comme un outil à mettre au service du visiteur. La vision amé-
ricaine du musée est celle d’une institution véritablement démocratique, au sens
étymologique du terme, d’où un souci constant envers l’éducation populaire et
une insistance répétée sur la mission avant tout pédagogique du musée. « À part
quelques exceptions, les musées américains ont d’abord été créés dans le but d’at-
tirer le public 327 », indique en 1977 Nathaniel Burt, auteur d’une histoire sociale
des musées d’art. Cette assertion sonne comme une évidence, et pourtant l’exemple
du musée Carnavalet, parmi d’autres, nous a montré que cet aspect est loin d’avoir
toujours été envisagé comme une priorité sur le Vieux Continent.
La gestion proprement dite du musée diffère également par l’introduction du
système des trustees, inconnu en Europe, à l’exception de l’Angleterre. Ces admi-
nistrateurs, issus la plupart du temps des couches aisées de la société, s’occupent,
bénévolement et à titre privé, de l’organisation du musée, tâche dont ils portent la
responsabilité légale. Le statut, « public » ou « privé », des musées américains se dis-
tingue lui aussi, dans la mesure où même les institutions fondées par la puissance
publique ne sont pas entièrement financées par celle-ci. Ce non-engagement éta-
tique est compensé par une culture systématique du mécénat et de la philanthropie.
Les musées sont donc le plus souvent établis à partir de dons, déductibles d’impôts,
faits par de riches collectionneurs, tandis que les collectes de fonds constituent une
part prépondérante du travail des professionnels américains des musées. Tous les

325 « I believe that the Museum of the City of New York is the first attempt, on such a scale in America, to create
a museum devoted solely to the life of a city. » Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News,
op. cit., p. 8.
326  Coleman Laurence V., « Les musées européens dans l’opinion américaine », in Mouseion, vol. 17-18,
no 1-2, Paris, 1932, p. 76-81. La muséologie selon Georges Henri Rivière, op. cit., p. 52-60. Mairesse, Le musée,
temple spectaculaire, op. cit., p. 53-59. Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 92-93 et 144-146. Selbach,
« Esquisse d’une histoire des musées américains… », in Revue LISA/LISA e-journal, op. cit. [en ligne].
327  Burt Nathaniel, Palaces for the people, Boston, 1977, cité in Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 92.

97
Le musée de ville

fondamentaux des musées nord-américains qui viennent d’être rappelés trouve-


ront un écho dans les principes et le fonctionnement de l’institution new-yorkaise.
En 1973, Albert Baragwanath, Senior Curator du Museum of the City of New York
publie un bref ouvrage intitulé More than a mirror to the past pour commémorer
le cinquantenaire de son musée. Et étonnamment, la première année qu’il men-
tionne n’est pas 1923, comme on s’y serait attendu, mais une date antérieure de
plus de quarante ans, désormais bien connue du lecteur :
« Une bonne date pour les débuts de l’histoire du Museum of the City of New York pourrait
être 1880, l’année de la création du musée Carnavalet. Car c’est ce musée de l’histoire de
Paris qui a agi auprès d’un petit groupe d’hommes comme un stimulus pour organiser
en 1923 un musée pour l’histoire de New York. Aucune grande ville américaine ne dis-
posait d’un musée sur son histoire à cette date 328. »
Nous croisons à nouveau la route du musée Carnavalet, signe de son influence
incontestable, maintenant intercontinentale, en tant qu’archétype du musée d’his-
toire de ville. Nous pensons cependant que dans ce cas, la référence faite par l’au-
teur à un « ancêtre » prestigieux traduit essentiellement sa volonté d’ancrer le
musée new-yorkais dans un récit plus large que celui de l’institution elle-même,
son apparition l’inscrivant de la sorte comme une étape notable dans l’histoire de
la catégorie muséale.
La naissance du Museum of the City of New York 329 est due à la sécession, au début
du xxe siècle, d’une partie des membres d’une institution de la ville, déjà citée, la
New York Historical Society. Une crise interne secoue en effet cette dernière qui,
depuis 1804, rassemble en son sein les représentants les plus éminents de la bonne
société. En 1920 est alors fondée la Society of Patriotic New Yorkers – accessible uni-
quement aux personnes pouvant justifier de liens ancestraux avec l’État de New
York antérieurs à 1776 –, avec pour objectif « d’apprendre aux habitants de la ville
ce que New York est vraiment et son importance en relation avec l’Union 330 ».
C’est précisément cette mission qui était considérée par les promoteurs de la nou-
velle organisation comme non suffisamment remplie par la New York Historical
Society. La jeune société tente alors d’aménager un musée dans l’une des rares
maisons subsistant du début du xixe siècle à New York, Gracie Mansion 331, pro-
priété de la City, où des personnages de cire habillés de costumes de différentes
époques accueilleraient les visiteurs dans les salons meublés de type period-rooms.

328 « A good date for the beginning of the story of the Museum of the City of New York might be 1880, the year
the musée Carnavalet was established. For it was this museum of the history of Paris which acted as a stimulus to a
small group of men to organize in 1923 a museum for New York’s history. No major American city had a museum
of its history by that date. » Baragwanath Albert, More than a mirror to the past, The first fifty years of the
Museum of the City of New York, New York, Museum of the City of New York, 1973, p. 5.
329  Entretien avec Sarah Henry, Deputy Director et Curator in Chief du Museum of the City of New York
(25 juin 2010). Les deux articles suivants évoquent la création et l’histoire du musée : « Inventing and dis-
playing the past at the Museum of the City of New York », in Page Max, The creative destruction of Manhattan
1900-1940, Chicago, The University of Chicago Press, coll. « Historical studies of urban American », 1999,
p. 145-175. Wallace Michael, « Razor ribbons, history museums and civic salvation », in Kavanagh et
Frostick, Making city histories…, op. cit., p. 19-39.
330 « […] to teach the inhabitants of the city just what New York really is and its importance in relation to the
Union. » New York Times, 2 décembre 1920, cité in Page, The creative destruction of Manhattan, op. cit.,
p. 151-152.
331  Il s’agit actuellement de la résidence officielle du maire de New York.

98
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Ce projet n’aboutit pas et la Society of Patriotic New Yorkers est rapidement dis-
soute. Cependant, l’idée de faire de Gracie Mansion le siège d’un musée relatif à
la culture et l’histoire de New York a suscité un réel intérêt auprès d’un groupe de
riches citoyens qui, en décembre 1923, y fondent officiellement le Museum of the
City of New York, en partenariat avec la ville. Dès sa création, le musée est intégré
au Cultural Institutions Group (CIG), qui rassemble aujourd’hui 34 institutions
culturelles ou scientifiques new-yorkaises, parmi lesquelles se comptent l’American
Museum of Natural History (depuis 1869), le Metropolitan Museum of Art (1878),
le Bronx Zoo (1895) ou Carnegie Hall (1960). Installées dans des édifices et sur
des terrains municipaux – c’est la ville qui pourvoit à leur entretien et leur sécu-
rité –, toutes ces institutions sont néanmoins privées. Elles disposent donc d’une
totale autonomie en matière de programmes ou de collections, en contrepartie de
laquelle elles doivent en bonne partie s’autofinancer.
À partir de 1924, Gracie Mansion est restaurée par le Parks Department, service en
charge de l’entretien des espaces verts de la ville, et quelques collections (mobilier,
estampes…) offertes par les fondateurs y sont exposées, de manière quelque peu
chaotique. Le succès n’est pas au rendez-vous, et le besoin se fait vite sentir de dépla-
cer le musée dans un environnement plus adéquat et plus spacieux, permettant une
approche plus professionnelle et le développement de nouvelles techniques cura-
toriales. Un terrain longeant Central Park est alors mis à la disposition du musée
par la Ville sur la Cinquième Avenue, bordant au sud le privilégié Upper East Side
et au nord un quartier beaucoup plus populaire et cosmopolite, East Harlem. La
construction du nouveau musée, de style néo-géorgien, à la mode en ce temps de
revival colonial, nécessite une levée de fonds de deux millions de dollars, somme
dont le milliardaire John D. Rockefeller Jr. apporte à lui seul le quart, à côté de
1 500 contributeurs volontaires. Les travaux commencent en 1929 et le musée est
inauguré dans ses locaux modernes trois ans plus tard.
C’est précisément dans le contexte de ce déplacement des collections que John Van
Pelt, l’un des trustees du musée, prend la parole en 1931 auprès de l’Association
américaine des musées, dessinant à cette occasion une figure radicalement novatrice
d’institution, en décalage complet avec les classiques musées d’histoire de ville ren-
contrés jusqu’alors en Europe 332. Bien que ce document particulièrement intéres-
sant ait déjà été évoqué, il nous semble utile d’en détailler encore quelques extraits.
La citation reproduite dans l’introduction pose la question de la catégorisation.
John Van Pelt estime en effet que la classification « musée d’histoire » n’est pas per-
tinente pour le Museum of the City of New York, dans la mesure où, à leur manière,
« tous les musées sont des musées d’histoire, si nous acceptons la définition qui fait
s’appliquer l’histoire au futur, aussi bien qu’au présent et au passé 333 ». L’évolution
physiologique de l’oiseau au musée d’histoire naturelle, les progrès de l’agri­culture
dans le musée industriel ou la succession des styles et des écoles au sein du musée
d’art témoignent eux aussi d’un regard sur le passé, au même titre que le dévelop-
pement dans le temps d’une ville.

332  Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News, op. cit., p. 8.
333 « All museums are museums of history, if we accept the definition which makes history apply to the future, as
well as the present and the past. » Ibid.

99
Le musée de ville

Le Museum of the City of New York, établi depuis 1932 face à Central Park.

Selon Van Pelt, l’appellation traditionnelle de musée d’histoire de ville est donc
dénuée de sens, tant l’ambition du Museum of the City of New York va au-delà de la
simple représentation du passé de la métropole. Cette réflexion sur la valeur socio-
logique du musée renvoie dès lors aux démarches atypiques d’un Patrick Geddes
à Édimbourg, quelque quarante ans plus tôt.
Plus proches de lui dans le temps et dans l’espace, les réflexions pionnières déve-
loppées par l’américain John Cotton Dana, fondateur de la Newark Museum
Association, sur le rôle social du musée au cours des années 1920 sont une source
d’inspiration évidente pour les conceptions muséales de John Van Pelt 334. Les
deux considèrent que la mission première du musée est de rendre la vie meilleure.
« S’il ne fait rien pour améliorer la vie de la ville et de ses habitants, le musée perd sa prin-
cipale opportunité et manque à son premier devoir 335. »
De fait, l’auteur du document exprime une volonté puissante de faire de l’institu-
tion new-yorkaise un réel outil communautaire d’éducation populaire. S’il est sans
doute utile que le musée expose à ses visiteurs les épisodes du passé – « comment les

334  Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., 2002, p. 53-59.


335 « If it does nothing to improve the life of the city and the city dwellers, it loses its principal opportunity and
fails in its chief duty. » Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News, op. cit., p. 8.

100
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Indiens ont été éjectés d’une île précieuse pour un vil prix, comment les Hollandais
sont arrivés… 336 » –, c’est bien la ville contemporaine et les problèmes de la vie
quotidienne auxquels chacun fait face qui doivent en être le sujet principal :
« Il est beaucoup plus essentiel d’enseigner aux enfants d’aujourd’hui les solutions aux
districts municipaux congestionnés, ce que coûte un trajet en métro lorsque la ville
contrôle les transports en commun, quels avantages pour les citoyens représentent de
beaux alignements de bâtiments dans les rues […] 337. »
Le projet muséal ainsi présenté repose fondamentalement sur la mise en pers-
pective du temps présent. Il s’aventure même sur le terrain, incertain, de l’avenir :
« Il y a des problèmes futurs qui devraient être envisagés dans toutes les villes et qui
pourraient être prévus par le musée 338. »
L’exemple que donne John Van Pelt est celui de l’aviation. Le trafic aérien est alors
en pleine croissance et son expansion dans le futur est prévisible. Le musée aurait
donc un rôle à jouer dans la planification urbaine, notamment en ce qui concerne
la réflexion sur la création éventuelle de nouveaux aéroports dans la ville. L’auteur
n’explique cependant pas sous quelle forme le musée peut atteindre cet objectif.
Une autre idée développée par Van Pelt consiste à faire sortir le musée de ses
murs, pour aller à la rencontre des citoyens et leur faire concrètement comprendre
comment fonctionne la ville et quels services elle peut leur offrir. Il imagine alors
que les classes d’écoliers soient emmenées par des guides à la découverte des docks,
des marchés, de l’hôtel de ville et même des tribunaux, puisque « New York en
tant que telle est quand même notre objet de musée principal 339 ». Par ailleurs, le
musée lui-même se doit d’établir des antennes thématiques dans la ville, pour faire
voir à toutes les catégories de visiteurs, riches comme pauvres, « de l’autre côté de
la clôture 340 ». Pour ce faire, Van Pelt envisage de faire voir aux « moins fortunés »
une maison bourgeoise représentative des conditions de vie des classes aisées et
cultivées, et aux « prospères » un appartement sordide dans un quartier de taudis.
La lecture du texte The museum as a guide to the life of a city nous fait prendre
conscience à quel point la distance entre le Museum of the City of New York et
l’immense majorité des musées d’histoire de ville européens à la même époque
n’est pas tant géographique que conceptuelle. Rappelons qu’en 1929, soit deux
ans à peine avant la rédaction du discours de Van Pelt, le conservateur-adjoint du
musée Carnavalet insiste sur le nécessaire recul d’au moins cinquante ans entre
la tenue d’un événement et son traitement par le musée 341 ! Le musée projeté à
New York est dépouillé du statut unidisciplinaire d’institution purement historique
pour intégrer de nouvelles dimensions liées au présent, voire au futur (sociologie,

336 « […] how the Indians were done out of a valuable island for a song, how the Dutch came […]. » Ibid.
337 « It is far more vital to teach the children of today the remedies for congested municipal districts, what a subway
ride costs when the city takes over the subways, what advantage accrue to the city dweller when the buildings that
line the streets are beautiful […]. » Ibid.
338 « There are future problems that should be provided for in any city and that may be forecast by the museum. » Ibid.
339 « […] nevertheless, New York itself is our chief exhibit. » Ibid.
340 « […] how the other half lives. » Ibid.
341  Dorbec, L’histoire de Paris…, op. cit., p. 90.

101
Le musée de ville

planification urbaine). En raison de cette conquête de nouveaux domaines d’in-


vestigation liés au fait urbain, la dénomination « musée d’histoire de ville » n’est
désormais plus tout à fait valable pour désigner ce type d’institutions.
Enfin, la mission éducative de l’institution new-yorkaise est placée au-dessus de
toutes les autres. Il ne s’agit pas, à l’instar du musée bruxellois voulu par Charles
Buls, de viser une quelconque rentabilité financière, en faisant affluer les visiteurs,
touristes comme habitants, à l’intérieur des salles. L’objectif ultime du musée touche
en effet à la transmission de contenus et de valeurs, utiles à la compréhension de
l’environnement et nécessaires à l’intégration des populations.
Les propos de John Van Pelt témoignent indéniablement d’une modernité cer-
taine pour l’époque. Le statut de ce texte ne doit pas pour autant nous illusion-
ner et laisser croire que, dans sa concrétisation effective, le Museum of the City of
New York a été une institution absolument révolutionnaire et en avance sur son
temps. Le discours de Van Pelt doit être considéré pour ce qu’il est, c’est-à-dire
un programme idéal, une déclaration d’intention imaginée par un homme avec
son lot d’accents utopiques, et en aucun cas comme le projet officiel du musée.
La rédaction à la première personne du document en est d’ailleurs le signe le plus
évident : « Comme je vois notre problème […], Je n’ai pas de doute sur le fait que
nous devrions […], Je crois que […], Je suis certain que vous serez d’accord avec
moi que […] 342. »
Lors de l’inauguration du musée, en 1932, ses collections sont encore modestes en
volume et largement axées sur la représentation de la société bourgeoise, fortunée,
du xixe siècle. Le succès de l’exposition, auprès des enfants comme des adultes,
repose en grande partie sur un ensemble d’une vingtaine de scènes miniaturisées,
de type diorama, fabriquées spécialement pour le musée par un artisan spécia-
lisé dans la création de maquettes. Ce nombre ne cessera par la suite d’augmen-
ter, puisqu’entre 1930 et 1948, 153 maquettes et dioramas ont été conçus pour le
musée 343. Ceux-ci servent de support visuel au récit chronologique du dévelop-
pement physique et de l’évolution du paysage de New York qui est proposé au
rez-de-chaussée, depuis l’arrivée des premiers colons hollandais jusqu’au temps
présent. « Offrant l’illusion d’une scène réelle vue à travers une fenêtre 344 », ils
évoquent des événements historiques – « Peter Stuyvesant défie les Britanniques »,
« le Grand Blizzard de 1888 », « la construction de l’Empire State Building »… –
ou des clichés instantanés de la vie quotidienne à un moment donné (l’architec-
ture, les rues, les traditions) 345. Autour de chaque maquette sont exposés gravures,
­documents, photographies, cartes et objets divers en relation avec celle-ci. Au
premier étage du bâtiment se situent diverses galeries thématiques dont le lien
avec New York est moins évident, chacune consacrée à un type d’objet ou un thème
particuliers : les costumes, l’argenterie, le théâtre, la marine ou encore les souvenirs

342 « As I see our problem […], I have no doubt that we shall have […], I believe that […], I feel sure you will sym-
pathize with my view that […]. » Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News, op. cit., p. 8.
343  Page, The creative destruction of Manhattan, op. cit., p. 164.
344  Montpetit Raymond, « Une logique d’exposition populaire : les images de la muséographie analo-
gique », in Publics et Musées, no 9, 1996, p. 55-103, p. 63-67.
345  Burns Ned, « The value of miniature and life size historical groups », in The Museum News, vol. 10,
no 13, Washington, The American Association of Museums, 1933, p. 7-8.

102
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Museum of the City of New York : period-room évoquant un riche intérieur des années 1820-1830.

d’Alexander Hamilton, l’un des pères fondateurs de la nation… Grâce à de nom-


breux dons et achats, les collections croissent rapidement et de nouvelles salles
sont progressivement ouvertes, élargissant l’offre du musée 346. La Communications
Gallery est créée dès 1933, ensuite une autre consacrée à la bourse de New York
(Stock Exchange Gallery) en 1938, puis une salle exposant des jouets en 1943. À la
fin des années 1940, la salle des costumes est dotée de six intérieurs new-yorkais
de différentes époques, reconstitués à l’intérieur d’alcôves séparées du public par
de grandes cloisons vitrées, ce qui les différencie de la plupart des period-rooms,
dans lesquels les visiteurs peuvent d’habitude circuler.
En lien avec son projet social engagé, c’est assez logiquement dans l’animation – la
plus récemment reconnue des fonctions muséales, qui rassemble les moyens mis
en œuvre par les institutions pour aller à la rencontre du public le plus large 347 –
que le Museum of the City of New York se révèle le plus innovant.
Un Education Department est établi dès 1932 au sein du musée. Cet événement
n’est pas en soi extraordinaire, puisque grâce à Jean Capart, grand admirateur de
la muséologie américaine, les musées royaux d’Art et d’Histoire de Belgique dis-
posent déjà d’un service éducatif depuis dix ans, inspiré d’exemples antérieurs

346  Baragwanath, More than a mirror to the past, op. cit., p. 11-16.


347  Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 252-271.

103
Le musée de ville

provenant des États-Unis 348. Il traduit cependant la volonté de la direction de


l’institution de soutenir activement le développement de la notion d’éducation
muséale, encore en ce temps dans sa phase balbutiante 349. Parmi les programmes
proposés par ce service, on trouve notamment des visites des collections adaptées
aux enfants qu’un bus municipal est venu chercher dans leur école, des conférences,
des concerts, la diffusion de films, divers ateliers, des séances de marionnettes…
À partir de 1955 est lancée une activité très populaire, appelée Please touch, miroir
inversé du sempiternel « Please, don’t touch », omniprésent dans la plupart des insti-
tutions muséales et souvent frustrant pour le jeune public. Dans une salle recons-
tituant l’ambiance de la Nouvelle Amsterdam, équipée d’objets du quotidien et
de mannequins costumés, les enfants ont la liberté de manipuler directement
des artefacts authentiques du xviie siècle, sous la supervision d’un animateur, et
sont incités à poser toutes leurs questions. Si le musée s’adresse principalement
au public scolaire, le plus nombreux – « tant et si bien, en fait, qu’il a parfois été
difficile de dissiper l’image d’un musée uniquement pour les enfants 350 » –, une
attention toute particulière est également portée aux populations issues de l’im-
migration, et surtout aux jeunes générations. Dans ce cas, le discours du musée se
fait alors non seulement éducatif, mais aussi patriotique et acculturant. Comme
l’écrit son directeur en 1930 :
« Il nous semble particulièrement important de donner à ces nouveaux arrivants et à
leurs enfants des connaissances et une fierté en l’histoire de New York, pour stimuler
leur amour envers notre ville et aider à faire de bons citoyens 351. »
Les expositions temporaires sont un autre vecteur important de la communication
entre le musée et son public. Inventée en Angleterre au début du xixe siècle, l’ex-
position temporaire concerne au départ les maîtres anciens et acquiert au cours du
temps un caractère de stimulation patriotique de plus en plus marqué. Les grandes
expositions monographiques consacrées à tel artiste fameux permettent en effet
de faire rejaillir sa gloire sur la nation tout entière (par exemple, Holbein à Dresde
en 1871, Rubens à Bruxelles en 1877, Rembrandt à Amsterdam en 1898…). Ce
n’est cependant que dans la seconde moitié du xxe siècle que tous les grands musées
et galeries du monde se mettent à organiser ou accueillir ce genre d’expositions,
qui se diversifient d’un point de vue thématique 352. Dans le domaine de l’expo-
sition de la ville, le Museum of the City of New York fait donc office de précurseur,
puisqu’au cours de la période 1932-1959, environ 320 special exhibitions sont pré-
sentées, soit une moyenne de douze par an, sur tous les sujets possibles : l’art de la

348  Mairesse, Le musée, temple spectaculaire op. cit., p. 61-62.


349  Émond Anne-Marie (dir.), L’éducation muséale vue du Canada, des États-Unis et d’Europe : recherche
sur les programmes et les expositions, Montréal, Groupe de recherche sur les musées et l’éducation des adultes
de l’université de Montréal, 2006. Voir en particulier la partie 1 : « Un survol historique de l’éducation
muséale », p. 9-50.
350 « […] so much so, in fact, that it has often been difficult to dispel the image of a museum for children only »
Baragwanath, More than a mirror to the past, op. cit., p. 14.
351 « It seems to us particularly important to give to these newcomers and to their children some knowledge of and
pride in the history of New York, to stimulate love for our City and help to make good citizens. » Speyer James,
1930, cité in Page, The creative destruction of Manhattan, op. cit., p. 162.
352  Haskell Francis, Le musée éphémère, Les maîtres anciens et l’essor des expositions, Paris, Gallimard, coll.
« Bibliothèque des Histoires », 2002.

104
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

table, les voyageurs à New York, la mode, les lithographies historiques du célèbre
atelier de gravure américain Currier and Ives, les parcs d’attractions de Coney
Island… La plus fameuse de ces expositions, New York Street Scenes, 1852, a lieu
en 1952. Témoignage du goût largement partagé à l’époque pour les reconstitu-
tions en taille réelle des modes de vie d’autrefois – qui constitue d’ailleurs le sujet
du prochain sous-chapitre –, elle se distingue toutefois par l’introduction dans sa
scénographie de la multisensorialité 353, « une technologie radicalement nouvelle
pour cette époque 354 ». Enregistrés par une troupe de théâtre professionnelle, les
bruits urbains du milieu du xixe siècle et les différents cris de la rue d’alors ponc-
tuent le parcours, chargé d’une forte dimension immersive, encore renforcée par
les odeurs typiques de l’industrie ou du commerce qui accueillent le visiteur à l’en-
trée de chacun des décors de boutiques construits à l’intérieur du musée : l’étoupe
chez le marchand d’articles maritimes, l’hamamélis – un arbuste employé en phar-
macie – chez le barbier…
Par sa fonction d’animation, le musée new-yorkais fait montre dès le début des
années 1930 de traits de caractère bien en avance sur les institutions de son temps.
Cependant, force est de constater que ses autres domaines d’activité – la présen-
tation de l’exposition permanente, la nature des collections rassemblées – l’assi-
milent largement au modèle classique maintes fois évoqué.
Les travaux de l’historien américain Max Page sur l’urbanisme à Manhattan
durant la première moitié du xxe siècle démontrent qu’au cours de son histoire
et jusqu’au temps présent, le musée a toujours oscillé entre deux objectifs diver-
gents : d’une part l’ambition de tenir un vrai discours sur la ville, assorti d’un
usage moderne des techniques muséographiques et de la concentration sur son
rôle éducatif, et d’autre part le maintien d’un rôle traditionnel de grenier de la
ville – « the city “attic” 355 ». En raison de ses moyens limités d’acquisition et sous la
pression d’une concurrence bien réelle entre les institutions muséales sur ce point,
le Museum of the City of New York a, dès le départ, accepté pratiquement tous les
dons qui lui étaient proposés, même les plus anecdotiques ou hors-sujet, et s’est
vu contraint de les exposer. Avec l’évolution de la sociologie de Manhattan et les
conséquences du contexte économique difficile durant les années 1920 et 1930,
les familles les plus fortunées quittent progressivement leurs grandes maisons du
cœur de l’île pour s’installer dans les banlieues ou des appartements plus modestes.
Le musée arrive alors à point nommé pour recueillir leurs collections devenues
la plupart du temps encombrantes, et il va de soi que les donateurs ne compren-
draient pas pourquoi tel portrait de l’ancêtre, telle robe de bal ayant appartenu à
la grand-mère ou le mobilier complet de tel salon de musique ne mérite pas une
place au sein de « leur » musée, qu’ils financent par ailleurs régulièrement lors des
galas de charité. Les conséquences de cette politique ambivalente sont exprimées
au début des années 1970 par Albert Baragwanath qui constate, au sujet des col-
lections conservées, de très nombreux doublons, de grandes disparités en termes
de qualité, et surtout l’absence quasi-totale de la ville d’aujourd’hui :

353  Amormino Vanessa, « Expériences sensorielles », in Gob, Musées : on rénove !, op. cit., p. 122-125.
354 « […] another radical technique for that time » Baragwanath, More than a mirror to the past, op. cit., p. 13.
355  Page, The creative destruction of Manhattan, op. cit., p. 168.

105
Le musée de ville

« Le musée n’a jamais développé de politique de collecte du présent ou du passé récent 356 ! »
À l’instar de très nombreuses institutions autour du monde, c’est à partir des
années 1970 qu’une volonté de changement radical dans les buts et les méthodes
se fera jour, remettant alors en lumière la vision originale de John Van Pelt, quelque
peu assoupie par le poids conjugué du temps et de la tradition.
Par sa position prééminente sur le nouveau continent, le Museum of the City of
New York constitue bel et bien un jalon essentiel dans l’histoire de notre catégorie
muséale. Sa fondation en 1923 et son installation au début des années 1930 dans
son bâtiment définitif ont ouvert la voie à la création rapide d’institutions du même
type à travers les États-Unis au cours de la période qui nous occupe : le Detroit
Historical Museum 357 en 1928, le Municipal Museum of the City of Baltimore 358
en 1931, l’Atwater Kent Museum 359, musée d’Histoire de Philadelphie, en 1938
ou encore le Kansas City Museum 360 en 1940. Les historical societies ne sont désor-
mais plus seules dépositaires des missions de conservation et d’exposition de l’his-
toire locale américaine.

Muséalisation de la ville et reconstitutions


Le thème de la ville et son histoire a pendant longtemps été exclusivement traité
à l’intérieur du musée. Une exposition est un agencement muséographique de
diverses catégories d’objets qui forment un parcours à travers les différentes salles
de l’établissement. Un discours sur la ville, plus ou moins élaboré et scientifique
selon les institutions, est alors communiqué au visiteur par le biais de ce disposi-
tif. Bien qu’elle en soit le sujet principal, la ville, entité bien réelle mais à la maté-
rialité insaisissable, demeure nécessairement étrangère à l’exposition :
« Une “vraie chose”, dans un musée, est déjà un substitut de la réalité et une exposition
ne peut offrir que des images analogiques de la réalité 361. »
Par définition, la ville ne peut se laisser enfermer dans les vitrines d’un musée.
Devant ce constat, certains inversent dès lors les termes de la proposition et envi-
sagent la ville non plus comme le thème à traiter par le musée, mais comme un
espace muséal à part entière. Notre tour d’horizon des évolutions apportées au
modèle de l’institution classique au cours de la période 1920-1970 nous entraîne
donc en dehors de ses murs, puisque c’est désormais la ville même qui devient musée.

356 « The museum had never had a policy of collecting present or recent past ! » Baragwanath, More than a
mirror to the past, op. cit., p. 19.
357  Brown Henry, « History museum gives sense of belonging », in The Museum News, vol. 39, no 8, 1961,
p. 24-27.
358  « Baltimore Museum Show tells story of city », in The Museum News, vol. 17, no 9, 1939, p. 2.
359  Frisch Michael, « The presentation of urban history in big-city museums », in Leon Warren et
Rosenzweig Roy (ed.), History museums in the United States, a critical assessment, Urbana et Chicago,
University of Illinois Press, 1989, p. 38-63, p. 46.
360  « Kansas City Museum to open in the spring », in The Museum News, vol. 17, no 15, 1940, p. 1.
361  Desvallées, Schärer et Drouguet, « Exposition », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…,
op. cit., p. 133-173, p. 134.

106
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

L’idée d’assimiler un lieu – une cité, une région tout entière – à un musée n’est
pas neuve. Dès 1796, Antoine Quatremère de Quincy écrit, à propos de l’Italie et
plus particulièrement de Rome :
« C’est encore avec plus de vérité qu’on pourrait dire que le pays lui-même fait partie
du muséum de Rome. Que dis-je, en faire partie ? Le pays est lui-même le muséum 362. »
Quatremère se montre ici un farouche défenseur du maintien à Rome du patri-
moine artistique italien, saisi par les Français au cours de la Campagne d’Italie et
transféré provisoirement au musée du Louvre – notamment l’Apollon du Belvédère
et le Laocoon. Cette phrase est en réalité une condamnation sévère par l’auteur de
l’idée même de musée, qui entraîne une rupture, d’après lui malvenue, entre les
œuvres et leur environnement 363. Le point de vue défendu est donc celui du statu
quo, de la mise sous cloche de la ville de Rome. En d’autres termes, Quatremère
se fait à la fin du Siècle des Lumières le chantre d’une ville muséifiée, « le néolo-
gisme [muséification] traduisant l’idée péjorative de la pétrification (ou de momi-
fication) d’un lieu vivant 364 ».
À l’inverse, le phénomène de muséalisation de la ville, « transformation en une sorte
de musée d’un foyer de vie 365 », dont nous faisons part ci-dessous, s’inscrit résolu-
ment dans une optique positive. À cet égard, l’un des projets pionniers et proba-
blement le plus abouti de ville entièrement muséalisée est Colonial Williamsburg,
site de plus de 120 hectares dans l’État de Virginie, ouvert au public depuis 1934.
Le président Roosevelt déclarera à cette occasion son plaisir d’inaugurer « la plus
historique des avenues en Amérique 366 ».
L’aventure de ce projet patrimonial hors du commun remonte au début du xxe siècle.
À ce moment, Williamsburg est depuis longtemps devenu une paisible bour-
gade provinciale, « village calme et endormi 367 », à cent lieues de l’activité bour-
donnante qui a caractérisé la ville un siècle et demi plus tôt. Entre 1699 et 1780,
Williamsburg a en effet joué un rôle majeur dans la vie politique, sociale et cultu-
relle de sa région, en tant que capitale de la colonie de Virginie, siège des institu-
tions britanniques. Après la guerre d’indépendance, la capitale du nouvel État est
transférée à Richmond, et Williamsburg entre dans une longue phase de déclin
progressif : les édifices anciens, témoins de la période la plus glorieuse de l’his-
toire de la ville, disparaissent les uns après les autres. Dans les années 1920, un
pasteur local, le révérend William Goodwin, passionné d’histoire, souhaite ardem-
ment sortir Williamsburg de sa torpeur et faire profiter la ville de la croissance du

362  Quatremère de Quincy Antoine, Lettres à Miranda sur le déplacement des monuments de l’art de l’Ita-
lie, introduction et notes par Pommier Edouard, Paris, Macula, 1989, p. 115.
363  Gob, Des musées au-dessus de tout soupçon, op. cit., p. 113-120. Sur ce sujet, voir également McClellan
Andrew, « For and against the universal museum in the age of Napoleon », in Bergvelt et al., Napoleon’s
legacy, op. cit., p. 91-100.
364  Mairesse, « Muséalisation », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 251-269, p. 251.
365  Ibid.
366 « […] the most historic avenue in America. » Discours d’inauguration de la Duke of Gloucester Street par
Franklin Roosevelt, 1934. Cité in Yetter George Humphrey, Williamsburg before and after : The rebirth of
Virginia’s colonial capital, Williamsburg, The Colonial Williamsburg Foundation, 1988, p. 71.
367 « […] a quiet and sleepy village. » Extrait d’une chronique parue en 1861 dans le Southern Litterary
Messenger. Cité in ibid., p. 38.

107
Le musée de ville

tourisme culturel que permet alors, depuis peu, la démocratisation de l’automobile


à travers le pays 368. Le goût pour la préservation des traces monumentales du passé
de la nation est en plein essor à cette époque, grâce à l’action des sociétés savantes
et aux investissements de riches philanthropes, tel Henry Ford qui rachète et res-
taure en 1923 la plus vieille auberge encore en activité aux États-Unis, Wayside
Inn dans la ville de Sudbury, Massachusetts, dans le but d’en faire un musée de
l’histoire américaine. Conscient du potentiel particulier que l’histoire coloniale
de Williamsburg confère au lieu, Goodwin met au point un projet fou : faire
renaître l’ensemble de la ville dans son état de la seconde moitié du xviiie siècle,
en grande partie déjà évanoui. Après avoir sollicité sans succès quelques mécènes,
il réussit en 1927 à convaincre John D. Rockefeller Jr., déjà généreux contribu-
teur du Museum of the City of New York, de financer l’entreprise dans sa totalité,
sans aucune intervention des pouvoirs publics :
« Mon désir et mon but sont de mener à bien cette entreprise complètement et entiè-
rement. Le but de cet engagement est de restaurer Williamsburg, autant qu’il sera pos-
sible, en son état des anciens temps coloniaux et d’en faire un grand centre d’étude
historique et d’inspiration 369. »
La restauration de Williamsburg s’appuie sur la découverte fortuite d’un plan de la
ville, dessiné en 1782, qui en identifie précisément chaque bâtiment. Des équipes
d’architectes et d’archéologues sont alors engagées pour mettre en branle ce gigan-
tesque chantier, tandis que les terrains et les maisons du centre-ville sont systéma-
tiquement rachetés par Rockefeller, au nom de la fondation qu’il a créée. Malgré le
sentiment d’authenticité qui se dégage de cet environnement, Williamsburg n’en
demeure pas moins un lieu artificiel, reconstitué, dans la mesure où les 57 maisons
subsistant de l’époque coloniale, restaurées dans leur apparence originelle, côtoient
61 nouvelles constructions imitant les édifices de la ville disparus au cours du temps,
comme le palais du gouverneur et le capitole 370. De plus, l’aménagement du site
a nécessité la destruction de plus de 700 édifices postérieurs aux années 1790 371.
Par ailleurs, les différents monuments visitables dans la ville ne partagent pas
tous un statut muséographique identique. Une distinction s’établit en effet entre
sites documentaires et sites représentatifs 372 : l’objectif principal des premiers est
de documenter un événement historique précis ou la vie d’une personne, d’une
famille, tandis que celui des seconds est d’aider le visiteur à comprendre une
période de l’histoire ou un mode de vie 373. Dès 1929, l’un des premiers bâtiments

368  Selbach, « Esquisse d’une histoire des musées américains… », in Revue LISA, op. cit., § 54.
369 « It is my desire and purpose to carry out this enterprise completely and entirely. The purpose of this undertaking
is to restore Williamsburg, so far at it may be possible, to what it was in the old colonial days and to make it a great
center for historical study and inspiration. » Courrier de John D. Rockefeller en 1927. Cité in Theobald Mary,
Colonial Williamsburg, the first 75 years, Williamsburg, The Colonial Williamsburg Foundation, 2001, p. 9.
370  « Williamsburg’s colonial Capitol dedicated », in The Museum News, vol. 11, no 18, 1934, p. 1.
371  Walsh Kevin, The representation of the past. Museums and heritage in the post-modern world, Londres,
Routledge, 1992, p. 95-97 et 103.
372  Raymond Montpetit montre que le même type de distinction existe au sujet des period-rooms dans
les musées, qui peuvent se révéler esthétiques, historiques ou sociologiques, en fonction de leur objectif.
Montpetit, « Une logique d’exposition populaire… », in Publics et Musées, op. cit., p. 55-103, p. 75-76.
373  Alderson William et Payne Low Shirley, Interpretation of historic sites, Nashville, American asso-
ciation for State and local history, 1976, p. 11-13.

108
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Le capitole de Williamsburg, entièrement reconstruit durant les années 1930.

reconstruits sur ses fondations d’origine est la Raleigh Tavern, qui constitue un site
documentaire par excellence. C’est en ce lieu qu’en 1774 se sont réunis les repré-
sentants de la Chambre des Bourgeois de Virginie – la plus ancienne assemblée
législative des colonies, à laquelle appartenait notamment Thomas Jefferson –
après la dissolution de leur groupe par le gouverneur, dans le but d’organiser la
résistance au pouvoir britannique. Le rôle joué par cette taverne dans le « scéna-
rio » de Colonial Williamsburg est donc de rappeler l’épisode majeur menant à la
Révolution américaine qui s’est déroulé entre ses murs. Par contre, de l’autre côté
de la rue se trouvent des boutiques – le fabricant de perruques, le bijoutier, d’autres
tavernes… – qui répondent quant à elles à une autre mission, celle de montrer à
quoi servent et comment fonctionnent de tels d’établissements, typiques de toute
ville de la seconde moitié du xviiie siècle.
À la différence des musées de plein air fondés depuis la fin du xixe siècle – le
premier du genre est le Skansen Museet (1891), par Artur Hazelius à Stockholm –,
Williamsburg n’est pas conçu comme le rassemblement de bâtiments transplan-
tés donnant à voir la variété des styles architecturaux et des modes de vie de leurs
occupants, en fonction de leur époque et de leur provenance géographique. Colonial
Williamsburg est la restitution fidèle et documentée d’une ville réelle dans un état
historique antérieur. L’expérience que propose le musée est donc un voyage dans le
temps jusqu’à la genèse des États-Unis, à la rencontre des acteurs qui ont contribué
à leur indépendance. Loin de n’être qu’une enveloppe architecturale vide, Colonial
109
Le musée de ville

Williamsburg est un site vivant, peuplé de dizaines de comédiens et d’animateurs


en costumes. Au cours de chaque journée, ceux-ci exécutent les activités quoti-
diennes de l’époque, rejouent des scènes historiques qui se sont déroulées en dif-
férents lieux et répondent aux questions des visiteurs, tout en conservant le point
de vue du personnage qu’ils incarnent (un riche bourgeois, une ménagère, un
esclave, voire George Washington ou Lord Cornwallis…). La dimension éduca-
tive et patriotique du site est dès lors prépondérante.
La création de ce living history museum coïncide avec l’intégration d’une dimension
urbaine encore inédite au concept d’interprétation, notion apparue dès le début
du xxe siècle pour désigner les techniques de médiation mises en place au départ
dans les parcs naturels américains 374. Dans son ouvrage fondamental, Interpreting
our heritage, Freeman Tilden, qui popularise la notion à partir de 1957, cite d’ail-
leurs à plusieurs reprises Williamsburg comme une institution exemplaire. Les
trois éléments essentiels qu’il y relève, caractéristiques d’une interprétation de
qualité, sont les suivants : la participation des visiteurs 375, la présence d’anima-
tions, autrement dit l’apport d’une atmosphère, d’une couleur locale au lieu 376, et
celle de programmes spécifiquement dédiés aux enfants 377.
En tant qu’institution muséale, Colonial Williamsburg fonctionne comme un cas
extrême de dispositif analogique, appliqué à l’échelle d’une ville et donc extérieur
à l’espace de la salle d’exposition. Elle s’inscrit en effet parfaitement dans la défi-
nition souvent reproduite de Raymond Montpetit :
« La muséographie analogique est un procédé de mise en exposition qui offre, à la vue des
visiteurs, des objets originaux ou reproduits, en les disposant dans un espace précis de
manière à ce que leur articulation en un tout forme une image, c’est-à-dire fasse référence,
par ressemblance, à un certain lieu et état du réel hors musée, situation que le visiteur
est susceptible de reconnaître et qu’il perçoit comme étant à l’origine de ce qu’il voit 378. »
À partir de la fin des années 1930, le principe de l’immersion du visiteur dans un
environnement urbain reconstitué, inspiré des dispositifs présentés depuis long-
temps dans les expositions universelles, se développe cette fois à l’intérieur du
musée, non plus en plein air. Le premier à expérimenter le streetscape, « paysage
urbain [recomposé et évoquant] un lieu extérieur, une place aménagée, avec l’aide
d’éléments bâtis et d’éléments de l’environnement 379 », est le York Castle Museum,
qui inaugure en 1938 deux rues composites grandeur nature : Kirkgate, typique
de l’époque victorienne, et Half Moon Court, des environs de 1900.

374  Sur la genèse du terme interprétation, voir notamment l’article suivant : Jacobi Daniel et Meunier
Anik, « Les centres d’interprétation : qualités et limites de la reconnaissance sensible du patrimoine », in
Chaumier et Jacobi, Exposer des idées…, op. cit., p. 19-42.
375 « To me, it is elementary that participation must be physical. […] It must also be something that the parti-
cipant himself would regard as novel, special and important. […] The carriage rides at Williamsburg, as I see it,
come gracefully within the meaning of our term ». Tilden Freeman, Interpreting our heritage, Chapel Hill, The
University of North Carolina Press, 1977 [3e éd.], p. 73-74.
376 « I like the word animation to describe the thing, because to animate is to give life, to vivify. […] I believe
that many of the beautifully planned and executed devices at Colonial Williamsburg, aimed at bringing past into
present for visitors, can properly be described as animation. » Ibid., p. 76-77.
377 « […] A place of brilliant achievement in interpretation for children. » Ibid., p. 47.
378  Montpetit, « Une logique d’exposition populaire… », in Publics et Musées, op. cit., p. 55-103, p. 58.
379  Ibid., p. 77.

110
À Colonial Williamsburg, les animateurs en costumes prennent la pose pour les touristes.
Le musée de ville

Propagande nationale et idéologies


à partir de l’Entre-deux-guerres
La montée des totalitarismes en Europe à partir de la fin de la Première Guerre
mondiale est l’un des phénomènes majeurs du xxe siècle, largement étudié par les
historiens contemporains, notamment dans le domaine des musées 380. Ce sous-
chapitre s’intéresse au développement de l’institution muséale en tant qu’« outil de
propagande potentiel 381 », dans différentes régions au cours de cette période poli-
tiquement troublée. Les liens déjà étroits au xixe siècle entre musée et idée natio-
nale se trouvent encore exacerbés entre 1920 et 1945. Dans ce contexte, il n’est
guère étonnant que les musées consacrés aux villes se trouvent eux aussi, à l’instar
des musées d’art, d’histoire et d’ethnographie, mobilisés comme supports à des dis-
cours nationalistes dont les traces ne se trouvent pas uniquement en Allemagne,
en Italie et dans l’Union soviétique. Le musée est ainsi utilisé comme une tribune
politique dans un pays comme la France, notamment au lendemain de la signa-
ture du traité de Versailles.
Le musée historique de Strasbourg 382, inauguré en juin 1919, dans l’ancienne
halle aux viandes de la ville, édifice de la fin du xvie siècle, en est un excellent
exemple. La situation géographique de Strasbourg, entre France et Allemagne,
rend son histoire riche et complexe : ville libre impériale durant le Moyen Âge et
une bonne partie des Temps modernes, elle est conquise par Louis XIV en 1681 et
demeure française pendant près de deux siècles, jusqu’à la défaite de Napoléon III
au cours de la guerre franco-prussienne de 1870. Strasbourg devient alors capi-
tale du Reichsland d’Alsace-Lorraine et retrouve à nouveau la nationalité fran-
çaise en 1919. Déjà à la fin du xixe siècle, plusieurs érudits francophones avaient
envisagé de créer un musée municipal consacré à Strasbourg, intention bien vite
enterrée par l’administration allemande de l’époque :
« La perspective de voir évoquer le bombardement prussien et la destruction de Strasbourg
en 1870, de devoir présenter aussi des uniformes français et des gravures de l’entrée du
roi Louis XV à Strasbourg… n’eut pas l’heur de plaire au premier magistrat de la ville 383. »
Dès la fin du premier conflit mondial, le projet est relancé par les vainqueurs. En
guise de préfiguration du futur musée, le palais Rohan accueille début 1919 une
exposition temporaire intitulée Strasbourg historique, qui retrace le développement

380  Mosse George, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris,
Hachette Littératures, coll. « Histoire », 1999. Burrin Philippe, Fascisme, nazisme, autoritarisme, Paris,
Le Seuil, 2000. Rémond René, Introduction à l’histoire de notre temps, t. 3 : Le xxe siècle, de 1914 à nos jours,
Paris, Le Seuil, 1989. Les historiens du musée ont aussi abordé cette période dans leurs travaux : « Le musée
totalitaire », in Mairesse, Le musée, temple spectaculaire op. cit., p. 63-69. « Le poids des totalitarismes », in
Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 141-144.
381  Mairesse, « Musée », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 271-320, p. 285.
Voir également Almeida d’ Fabrice, Une histoire mondiale de la propagande, de 1900 à nos jours, Paris, La
Martinière, 2013, p. 86-89.
382  « Le musée historique de Strasbourg : du musée militaire au musée d’histoire », in Schnitzler
Bernadette, Histoire des musées de Strasbourg, des collections entre France et Allemagne, Strasbourg, musées de
la Ville de Strasbourg, 2009, p. 183-203. Klein Jean-Pierre, « Le musée historique », in « Les musées de
Strasbourg », Connaissance des arts, hors-série, no 87, 1996, p. 64-65.
383  Schnitzler, Histoire des musées de Strasbourg, op. cit., p. 185.

112
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

de la ville jusque 1870. Le Musée historique ouvre ses portes quelques mois plus
tard, avec un programme chronologique identique. En guise de réponse du berger
à la bergère, la dernière période de souveraineté allemande sur les lieux est tout
simplement ignorée. La vocation de l’institution est limpide : il lui incombe de
rappeler le caractère principalement français de Strasbourg, et le rôle de l’Alsace
dans l’histoire militaire de la nation 384. Le musée est donc avant tout « une œuvre
patriotique et éducatrice de premier ordre 385 », selon les termes du conservateur
des musées municipaux en 1922. Pendant des décennies, les xviiie et xixe siècles
jusqu’au Second Empire, périodes françaises de l’histoire de la ville, seront inva-
riablement privilégiés dans le discours et la politique de collecte du musée – sa
pièce la plus prestigieuse est un grand plan-relief de Strasbourg et sa campagne,
datant de 1727 et emmené à Berlin en 1815 comme butin, après la bataille de
Waterloo –, au détriment de son passé germanique. L’orientation dite « patrio-
tique » du musée, qui l’amènera à être souvent assimilé à une « réplique du musée
de l’Armée à Paris 386 », n’évoluera qu’à partir de la fin des années 1960, vers un
récit élargi sur le plan chronologique et ouvert sur de nouvelles thématiques.
Au cours de l’Entre-deux-guerres se structurent puis triomphent les régimes dicta-
toriaux fasciste et nazi qui, chacun à leur manière, vont mettre l’institution muséale
au service de leur idéologie, dans une optique d’endoctrinement des populations
et d’exaltation des valeurs considérées comme centrales, qu’il s’agisse de l’impéria-
lisme ou de la pureté de la race. Dans le domaine de l’histoire de la ville, deux réa-
lisations exemplaires se manifestent : la création en 1930 du Museo di Roma, et la
transformation au cours de la même décennie du Kölnisches Stadtmuseum, musée
déjà évoqué précédemment, en une Haus der Rheinischen Heimat (maison de la
patrie rhénane), figure modèle du dévoiement par les nazis de l’Heimatmuseum 387.
L’établissement du fascisme en Italie s’appuie sur un mythe, celui de la Terza
Roma, la Troisième Rome, ère contemporaine qui succède à la Rome antique,
portée au pinacle, et à celle des papes, période quant à elle méprisée 388. L’obsession
mussolinienne de la recréation de la grandeur impériale passe notamment par
de gigantesques programmes d’aménagement du territoire de la capitale, syno-
nymes de bouleversements urbanistiques sans précédent. Une nouvelle Rome se
doit d’émerger, inspirée de l’époque la plus glorieuse de son histoire et débarrassée
des vestiges accumulés par des siècles de décadence, c’est-à-dire depuis la chute
de l’Empire. En 1925, Il Duce lui-même précise brutalement ses ambitions pour
Rome en ces termes :

384  Fuchs Monique, « Les collections xxe siècle du musée historique de Strasbourg », in Fonseca Brefe,
Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 30-33, p. 30.
385  Riff Alphonse, Musées de Strasbourg. Compte-rendu 1919-1921, Strasbourg, 1922. Cité in Schnitzler,
Histoire des musées de Strasbourg, op. cit., p. 190.
386  Ibid., p. 201.
387  Gorgus, Le magicien…, op. cit., p. 235.
388  Chiapparo Maria Rosa, « Le mythe de la Terza Roma ou l’immense théâtre de la Rome fasciste », in
Nuovo Rinascimento [en ligne], http://www.nuovorinascimento.org/n-rinasc/saggi/pdf/chiapparo/roma.pdf
(en ligne depuis le 17/05/2004, page consultée le 18/05/2015). Nelis Jan, From ancient to modern : the myth
of romanità during the ventennio fascista. The written imprint of Mussolini’s cult of the “Third Rome”, Bruxelles
et Rome, Institut historique belge de Rome, 2011.

113
Le musée de ville

« Mes idées sont claires, mes ordres sont précis… D’ici cinq ans, Rome doit apparaître
merveilleuse à tous les peuples dans le monde : vaste, ordonnée, puissante comme elle
l’était à l’époque du premier empire d’Auguste. […] Tout ce qui a été édifié au cours des
siècles de décadence doit disparaître. […] Les monuments millénaires de notre histoire
doivent apparaître dans l’isolement nécessaire 389. »
Si le projet répond en partie à des préoccupations hygiénistes et de salubrité publique,
comme à Paris sous le Second Empire, il est avant tout une mise en scène de la
politique de Mussolini sur le plan monumental. Cette volonté d’un retour sym-
bolique à un état antérieur de la ville nécessite dès lors l’éradication de toutes les
couches intermédiaires qui l’ont progressivement dénaturée. De très nombreuses
interventions sur le tissu urbain sont donc menées dans les années 1920 et 1930.
Des quartiers essentiellement populaires sont éventrés, voire entièrement détruits,
afin de dégager l’environnement des monuments antiques, comme autour du théâtre
de Marcellus, proche du Capitole, ou de créer de nouvelles perspectives, telle la
Via della Conciliazione entre le château Saint-Ange et la cité du Vatican. Par ail-
leurs, d’immenses complexes à l’architecture inspirée de l’Antiquité sont construits
en périphérie de la ville, comme le centre sportif du Foro Mussolini et le quartier
de l’EUR. Ce dernier est une vitrine urbanistique du fascisme, imaginée en pré-
vision d’une triomphale Exposition universelle en 1942, qui n’aura jamais lieu.
Enfin, d’énormes sommes sont investies dans des fouilles archéologiques à travers
Rome, dans le but de mettre au jour et valoriser l’héritage impérial dont le régime
se réclame. La modernisation de la ville passe donc par un recours systématique
à la célébration des temps les plus reculés, âge d’or perdu mais vers lequel l’Italie
peut à nouveau tendre, grâce à l’instauration du nouvel ordre fasciste.
Le Museo di Roma est établi en avril 1930 par la Direction des Antiquités et des
Beaux-Arts du Governatorato di Roma, entité administrative en charge de la gestion
de la ville, sous l’autorité directe de Mussolini. Cette institution s’inscrit au cœur
de la politique urbanistique du régime, qui impose à de nombreux Romains de
quitter définitivement leurs foyers du centre-ville, sans possibilité de résistance 390.
C’est en réalité pour cette population fragilisée, dont le cadre de vie traditionnel
est sacrifié sur l’autel de l’intérêt national, qu’est conçu le musée. Ce dernier n’est
en effet pas du tout envisagé comme l’exposition du récit de l’histoire glorieuse
de la cité et de ses héros depuis l’Antiquité – tant de musées bien plus prestigieux
remplissent déjà cet office à Rome –, mais au contraire comme le lieu où sera fixé
le souvenir de tous ces aspects de la ville volontairement voués à la destruction,
sous les coups des pioches. Le Museo di Roma n’est donc ni le musée de la ville
moderne projetée par Mussolini (telle qu’elle sera), ni le musée de l’Urbs vénérée
par le dictateur (telle qu’elle était), mais bien le musée de la Roma sparita, de la
Rome en train de disparaître, celle du Moyen Âge jusqu’au début du xxe siècle.

389 « Le mie idee sono chiare, i miei ordini sono precisi… fra cinque anni Roma deve apparire meravigliosa a
tutte le gentil del mondo : vasta, ordinata, potente come fu ai tempi del primo impero di Augusto. […] Tutto ciò
che vi crebbe attorno nei secoli della decadenza deve scomparire. […] I monumenti millenari della nostra storia
deveno giganteggiare nella necessaria solitudine. » Mussolini Benito, Opera omnia, XXII, 1957, p. 48. Cité
in Insolera Italo et Sette Alessandra Maria, Roma tre le due Guerre, Cronache da une città che cambia,
Rome, Palombi, 2003, p. 19.
390  Arthurs Joshua, « Roma Sparita : local identity and fascist modernity at the Museo di Roma », in
Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 189-200.

114
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

La scène de l’auberge du Museo di Roma, créée en 1930, transférée durant les années 1970
au musée du Folklore romain, devenu depuis le Museo di Roma in Trastevere.
Illustration extraite de Un percorso fotografico a Palazzo Braschi, 2002, p. 79.

Plus encore qu’à Paris, la fondation d’un musée sur la ville répond à une opéra-
tion de légitimation des chantiers en cours. Il s’agit même à Rome de la princi-
pale raison d’être de la nouvelle institution. La méthode de conservation et de
présentation des traces de la ville ancienne diffère entre les deux musées. Si le
musée Carnavalet remonte dans ses salles des décors remarquables sauvés de la
destruction, le Museo di Roma privilégie quant à lui des campagnes photogra-
phiques destinées à montrer l’avancement des travaux et l’acquisition de peintures
représentant les monuments et quartiers voués à la disparition. Lors de l’ouver-
ture de ce dernier, son fondateur définit ainsi le rôle d’un tel musée auprès du
public, qui se doit d’être « une urne pour notre douce nostalgie, un refuge pour nos
âmes rêveuses, l’oasis où nous, Romains, serons capables de recréer notre esprit,
parmi les petites choses bien aimées de la vie d’autrefois 391 ». L’historien amé-
ricain Joshua Arthurs considère dès lors ce musée non pas comme une institu-
tion scientifique ou éducative, mais comme un endroit essentiellement dédié à
l’émotion, prévu pour susciter de la part des Romains une certaine réminiscence

391 « […] an urn for our sweet nostalgia, a refuge of our dreaming souls, the oasis where we Romans will be
able to recreate our spirit, among the beloved small things of the life that once was. » Muñoz Antonio, Il Museo
di Roma, 1930, p. 8. Traduit de l’italien vers l’anglais et cité in Tittoni Maria Elisa (dir.), The Museum of
Rome tells the story of the city. Concise guide, Roma, Gangemi Editore, 2002, p. 7.

115
Le musée de ville

affective au sujet de leur ville, semblable à celle ressentie lorsque l’enfance loin-
taine se rappelle soudain à nos souvenirs 392.
Le musée est installé dans un imposant bâtiment de la fin du xixe siècle au pied
du mont Palatin, ancien siège d’une fabrique de pâtes, la Pastifficio Pantanella. Les
thèmes exposés à partir de 1930 sont ceux de la culture urbaine depuis le xiiie siècle,
avec une emphase sur les coutumes et la couleur locale. Les grands événements
historiques et personnages marquants n’y ont pas leur place, car ce premier Museo
di Roma est pratiquement tout entier consacré à la description pittoresque de la
vie domestique d’autrefois. Par cet aspect, il s’assimile dès lors plutôt aux musées
d’arts et traditions populaires qui lui sont contemporains qu’à un musée d’his-
toire 393. Trois salles présentent d’ailleurs des reconstitutions grandeur nature de
scènes populaires dites « romaines » figurant, à l’aide de mannequins de cire en
situation, l’ambiance des années 1820 chez l’écrivain public, dans une taverne, et
lors de l’exécution du Saltarello, danse typique de la région 394. La plupart des col-
lections du musée sont issues de la section topographique d’une exposition rétros-
pective sur l’art italien tenue en 1911 au château Saint-Ange, dans le cadre de
l’exposition internationale de Rome, à l’occasion du cinquantième anniversaire de
l’unité du pays 395. Bien avant l’avènement du fascisme, cette section constituait
une sorte de préfiguration pour un musée sur l’histoire médiévale et moderne de
Rome. La présence de certains objets est classique pour un musée d’histoire de
ville, voire attendue : plans anciens de la ville, gravures de Piranèse dépeignant
la Rome de l’époque du Grand Tour, paysages romantiques, costumes, photogra-
phies… L’un d’entre eux est par contre beaucoup plus original, puisqu’il s’agit du
train privé du pape Pie IX, composé de trois wagons somptueusement décorés et
comprenant notamment une salle du trône.
En raison de la guerre, le musée est fermé au public en 1939 et ses collections
mises à l’abri. Il ne rouvrira qu’en 1952, dans un nouveau cadre bien plus presti-
gieux, celui du Palazzo Braschi, magnifique hôtel de la fin du xviiie siècle donnant
sur la Piazza Navona, construit par la famille du pape Pie VI. Le changement
de régime politique et de lieu entraîne pour le musée la perte de son orientation
populaire, quasi « ethnographique », au profit d’une approche essentiellement artis-
tique, centrée sur le mode de vie fastueux des grandes familles à la cour papale
durant la période moderne. À partir de ce moment, plus rien ne rappelle alors le
contexte spécifique de la création du musée, qui entame une existence de riche
palais romain peuplé d’œuvres d’art et ouvert aux touristes, comme il s’en trouve
tant d’autres à travers la ville. En 1998, Max Hebditch, directeur du Museum of
London, déplore même que l’institution romaine soit désormais essentiellement
visitée comme un morceau d’architecture remarquable à parcourir le nez en l’air

392  Arthurs, « Roma Sparita… », in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 189-
200, p. 198.
393  Nous pensons notamment au Musée alsacien de Strasbourg et au musée Perrin de Puycousin à Dijon,
adeptes de ce genre de reconstitutions, nostalgiques plutôt que scientifiques. Voir Drouguet, Le musée de
société, op. cit., p. 62-64.
394  Margiotta Anita et Massafra Maria Grazia, Un percorso fotografico a Palazzo Braschi, 1870-1987,
Rome, Gangemi et Museo di Roma, 2002, p. 72-81.
395  Ilie Mihaela et Travaglini Carlo, « Per un museo-laboratorio della città a Roma. Note su una vicenda
incompiuta », », in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 201-224, p. 205.

116
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

pour en admirer les plafonds, plutôt qu’en tant que véritable musée consacré à la
capitale italienne 396.
Du côté de l’Allemagne, la Haus der Rheinischen Heimat, inaugurée en mai 1936
en présence du ministre de la propagande du Reich, Joseph Goebbels, est régu-
lièrement citée dans la littérature muséologique francophone comme l’archétype
de l’institution muséale pervertie par l’idéologie national-socialiste 397. L’intérêt
marqué pour cette institution particulière plutôt qu’une autre s’explique probable-
ment en raison de la fascination exprimée à son égard par Georges Henri Rivière,
pourtant « ni anti-démocrate ni raciste 398 », dans les années 1930. Ayant à l’esprit
l’évolution dramatique des événements dans le pays à cette époque, l’observateur
du xxie siècle est dès lors poussé à s’interroger sur les raisons de cette admiration,
qui apparaît rétrospectivement comme contre-nature. Peu d’auteurs soulignent
cependant que cet Heimatmuseum à la destinée singulière est l’héritier d’un clas-
sique musée d’histoire de ville de la fin du xixe siècle, le Kölnisches Stadtmuseum,
et que sa conception est bien antérieure à l’arrivée au pouvoir du NSDAP.
Le projet d’un musée consacré non plus à la seule ville de Cologne, mais à la
Rhénanie dans son ensemble, remonte à 1925, année de commémoration du
millénaire d’appartenance de cette région à l’Empire germanique. Cette année-
là, une exposition sur la Rhénanie est présentée au public et connaît un immense
succès, avec près d’un million et demi de visiteurs 399. Devant cet engouement,
Konrad Adenauer, qui occupe le poste de maire de Cologne entre 1917 et 1933,
décide alors de transformer le musée communal déjà évoqué, hébergé dans deux
portes du rempart de la ville, en un grand musée à vocation régionale qui intégre-
rait des éléments des deux entités : le « vieux » musée et l’exposition temporaire.
Malgré le contexte économique extrêmement difficile en Allemagne, Adenauer
obtient divers soutiens financiers, publics et privés, pour ce projet. Dans cette
optique, le musée historique ferme ses portes en 1931, et la Haus der Reinischen
Heimat est ouverte cinq ans plus tard, dans l’ancienne caserne des cuirassiers de
Deutz, sur la rive droite du Rhin. Entre-temps, la prise du pouvoir par les nazis
en 1933 a entraîné une accélération du projet muséal, et sa récupération au profit
des conceptions identitaires et raciales du nouveau régime. De plus, l’inaugura-
tion du musée coïncide avec la remilitarisation de la Rhénanie par la Wehrmacht
en 1936. Dominique Poulot estime d’ailleurs que l’un des rôles attribués au musée
est de justifier cette occupation 400. L’originalité de cet Heimatmuseum par rapport
aux musées d’histoire de ville de la même époque, tels que le Museo di Roma ou
le musée Carnavalet, repose dans son approche muséographique moderne et

396  Hebditch Max, « Approaches to portraying the city in European Museums », in Kavanagh et
Frostick, Making city…, op. cit., p. 102-113, p. 105.
397  Gorgus, Le magicien…, op. cit., p. 233-238 et 246-249. Gorgus, in Publics et Musées, op. cit., p. 57-69.
Gob, « De la « race » à la société… », in Vieregg et al., Museology, op. cit., p. 51-59. Drouguet, Le musée de
société, op. cit., p. 67. Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 143.
398  Gorgus, in Publics et Musées, op. cit., p. 57-69, p. 58.
399  Le Musée municipal de Cologne : introduction, guide et table chronologique, plaquette des années 1990
distribuée au musée.
400  Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 143.

117
Le musée de ville

didactique 401. Si Georges Henri Rivière s’intéresse au musée nazi, c’est parce que
celui-ci s’appuie avec méthode sur des démonstrations logiques pour exposer un
point de vue scientifique, sans faire appel aux sens et aux reconstitutions, telle-
ment en vogue partout ailleurs.
Victime de bombardements durant la Seconde Guerre mondiale, la Haus der
Rheinischen Heimat ne se relèvera pas, d’autant plus que, comme l’a énoncé André
Gob, « l’usage politique que le régime nazi a fait [de ce genre de musées] en condamne
la formule en Allemagne après 1945 402 ». Une partie de ses collections est néan-
moins sauvée et c’est à nouveau sous l’appellation de Kölnisches Stadtmuseum que
l’institution renaît en 1958, dans l’arsenal réhabilité, à proximité de la cathédrale
et du cœur historique de la ville.
À l’extrême opposé sur l’échiquier politique, l’institution muséale connaît égale-
ment une évolution particulière dans le monde communiste, depuis la révolution
bolchévique de 1917. Parti de Russie, le mouvement s’étend à partir de la fin de la
Seconde Guerre mondiale à toute l’Europe centrale et orientale, structurée jusqu’à
la fin des années 1980 en un bloc soviétique isolé du reste du monde et soumis à
l’autorité et la dictature du parti unique.
Revendiquée comme non neutre 403, la muséologie marxiste s’appuie sur une phi-
losophie de l’histoire qui lui est propre. Le matérialisme historique fait en effet
de la lutte des classes – le prolétaire ne possédant que les seuls revenus de son
labeur, opposé au capitaliste qui l’asservit en tant que détenteur des moyens de
production – le véritable moteur de l’histoire, appelant dès lors « la souveraineté
du travail et des travailleurs 404 ». Le point de vue marxiste sur le monde apporte
à la discipline historique un centrage inédit sur les faits économiques et les rap-
ports sociaux, dans la mesure où la création d’un État communiste est vue comme
l’aboutissement logique des tendances profondes de toute l’évolution socio-éco-
nomique depuis le Moyen Âge. La propagation des conceptions politico-phi-
losophiques du régime se traduit dans les musées soviétiques par une approche
nouvelle, militante, du mode d’exposition 405, destiné à éduquer les masses ouvrières
et paysannes. Évitant les présentations typologiques, « l’objet muséalisé sorti de
son contexte naturel et social [est] présenté comme partie d’un ensemble, comme
élément d’un organisme. […] Mais l’aspect le plus important de chaque expo-
sition est le “récit” auquel sont subordonnés tous les thèmes. Ce fil conducteur
repose sur des idées marxistes, sur la représentation du processus historique de la
lutte des classes 406 ».

401  Klersch Joseph, « Un nouveau type de musée. Le Maison du Pays rhénan », in Mouseion, vol. 35-36,
1936, p. 7-46.
402  Gob, « De la « race » à la société », in Vieregg et al., Museology…, op. cit., p. 51.
403  Mairesse, Le musée, temple spectaculaire op. cit., p. 64.
404  « Les philosophies de l’histoire », in Halkin, Critique historique, op. cit., p. 127-133, p. 131.
405  Mairesse François et Hurley Cecilia, « Éléments d’expologie : matériaux pour une théorie du dis-
positif muséal », in Carter Jennifer (éd.), Expositions en tant que médias, Média Tropes, vol. 3, no 2, 2012,
p. 1-27, p. 19 [en ligne], http://www.mediatropes.com/index.php/Mediatropes/article/view/16896 (page
consultée le 18/05/2015).
406  Gorgus, Le magicien…, op. cit., p. 89.

118
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

La forteresse Pierre-et-Paul, nécropole des Romanov


et siège du State Museum of the History of Saint Petersburg.

Les villes de Moscou et de Saint-Pétersbourg/Leningrad, qui disposaient l’une et


l’autre d’un musée municipal relativement modeste avant 1917, voient ces deux ins-
titutions changer d’orientation et prendre de l’importance au cours des années 1920.
Pris en main par les nouvelles autorités politiques de la future URSS, les deux
musées deviennent des centres scientifiques pour l’étude de ces villes, essentielle-
ment focalisés sur leur histoire immédiate et la glorification des accomplissements
du régime soviétique. Le musée moscovite est rebaptisé musée de l’Histoire et de
la Reconstruction de Moscou, en référence directe au gigantesque projet urbanis-
tique de Staline lancé en 1935, le Plan général de reconstruction de Moscou 407.
La ville d’aujourd’hui, depuis « les journées historiques de la révolution d’Oc-
tobre 408 », et surtout celle de « demain, quand la capitale aura été rénovée selon
le plan établi pour son développement 409 » en sont les principaux thèmes d’expo-
sition. La situation de l’institution pétersbourgeoise est à peu près identique : le
musée du Vieux-Pétersbourg, créé en 1907 par un groupe de collectionneurs et

407  Entretien avec Alexander Sotin, responsable du département Old English Court” au Moscow City
Museum (11 mars 2011). Vedernikova, Museum of History of Moscow…, op. cit., p. 3-4.
408  Loknev A., « Musée de l’Histoire et de la Reconstruction de Moscou », in Museum, vol. 25, no 3,
1973, p. 259-260, p. 259.
409  Ibid.

119
Le musée de ville

d’artistes, est transformé après la révolution en un musée d’État, le musée de l’His-


toire et du Développement de Leningrad, essentiellement consacré à l’économie
municipale et à la présentation des projets en cours de planification urbaine 410.
Successivement installé dans plusieurs anciennes demeures aristocratiques réquisi-
tionnées, le siège principal du musée est transféré en 1954 dans la forteresse Pierre-
et-Paul, vaste ensemble posé sur une île de la Neva, face au palais de ­l’Ermitage.
La citadelle comprend notamment la cathédrale abritant la nécropole de la famille
impériale depuis le xviie siècle 411, et une prison de la fin du xixe siècle où étaient
incarcérés les opposants au tsar. Dès 1924, les Soviets ont d’ailleurs aménagé l’un
de ses bastions en un musée commémorant la mémoire de ces prisonniers poli-
tiques, dénonçant de la sorte la tyrannie du temps des Romanov.
Au fil du temps, des villes de nombreux pays « frères » – Tbilissi, Erevan, Bakou,
Riga, Tallinn, Prague… – établissent des institutions analogues qui entretiennent
entre elles d’importants réseaux de collaboration, notamment en matière d’échange
d’expositions. Fonctionnant selon le modèle soviétique, ces musées sont soumis à
la propagande étatique et présentent à leur public une lecture de l’histoire sélec-
tive et partiale. Kenneth Hudson résume la situation, en évoquant l’un de ceux-
ci, le musée d’Histoire de Varsovie :
« Il a été dit assez souvent que les directeurs de musée dans les pays socialistes
ont une tâche beaucoup plus facile que leurs collègues de l’Ouest, au moins dans
les musées qui s’intéressent à l’histoire, parce que le cadre politique dans lequel
ils opèrent leur fournit une version linéaire de l’histoire. Ils ne sont pas tenus de
donner un sens à l’histoire, parce que la tâche a déjà été effectuée pour eux 412. »
Créé en 1948 au moment où les ruines de la ville martyre de la Seconde Guerre
mondiale sont encore fumantes, le musée varsovien est installé sur la place du
Marché au cœur de la vieille ville, dans onze maisons reconstruites dont seules les
façades avaient été conservées 413. Il donne lieu à un intéressant exercice d’archi-
tecture muséale, dans l’aménagement d’un parcours cohérent à travers des espaces
étroits et très différenciés, chaque bâtiment retrouvant son identité d’origine. Le
musée est ouvert au public en 1955, à une époque où la censure communiste est
encore manifeste. Selon le témoignage d’une des conservatrices de l’établissement,
devenue sous-directrice après la chute du régime, « l’immixtion de la politique et
de l’idéologie dans les expositions historiques [se fera] progressivement plus dis-
crète à la fin des années 1960 avant de devenir pratiquement invisible dans les
années 1980, sans pour autant disparaître totalement 414 ».

410  Entretien avec Irina Karpenko, secrétaire scientifique au State Museum of the History of St Petersburg
(17 mars 2011). Dementieva Natalia, « The city museum in the changing political climate », in Johnson,
Reflecting cities, op. cit., p. 130-131.
411  Arakcheev Boris (ed.), Saint Peter and Paul cathedral and the Grand Ducal burial chapel, Saint-
Pétersbourg, Culture committee of the government of Saint-Petersburg, 2006.
412 « It has been said often enough that museum directors in a socialist country have a much easier task than their
colleagues in the West, at least in a museum which is concerned with history, because the political framework within
which they operate provides them with a straight line through history. They are not required to make sense of history,
because the task has already been performed for them. » Hudson Kenneth, Museums of influence, op. cit., p. 136.
413  Durko Janusz, « Le Musée d’Histoire de Varsovie », in Museum, vol. 10, no 4, 1957, p. 258-263.
414  Meller Beata, « Histoire, idéologie et politique au musée d’Histoire de Varsovie », in Les musées de
la ville, op. cit., p. 22-27, p. 26.

120
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville

Un couloir de prison reconstitué dans son état du début du xxe siècle,


au bastion Trubetskoy (Saint-Pétersbourg).

De la collection à la démocratisation,
vers un changement de paradigme
Le chapitre qui s’achève a retracé l’évolution du musée d’histoire de ville dans sa
configuration classique, modèle auquel se conforment la plus grande part des ins-
titutions, depuis l’apparition presque simultanée des premières d’entre elles dans
l’Europe des années 1880, jusque 1970 environ. Le plus souvent organisées par
les autorités locales, elles sont au départ une réaction aux profonds chamboule-
ments subis par l’ensemble des structures urbaines dans leur processus d’adap-
tation à la société industrielle, en voie de modernisation accélérée. Leurs projets
muséaux et les missions qui leur sont assignées sont multiples, enracinés dans le
contexte spécifique de création de chacune d’elles. Le musée peut jouer le rôle d’un
conservatoire des vestiges du passé, voué à fixer le souvenir de la ville d’avant, en
pleine mutation. Il peut aussi être utilisé comme un instrument de légitimation
des politiques urbanistiques déployées par les pouvoirs en place, voire contribuer
à la manipulation des opinions, dans le cadre des idéologies totalitaires. Parfois
envisagé comme un outil touristique, destiné à faire connaître la ville aux étran-
gers, le musée peut au contraire revêtir un fort caractère identitaire et contribuer
au renforcement des sentiments d’appartenance des citoyens à leur communauté.
121
Le musée de ville

Traditionnellement, les musées d’histoire de ville européens sont installés dans


des édifices anciens réaffectés qui, bien qu’ils n’aient pas été spécifiquement prévus
pour abriter des collections muséales, leur confèrent néanmoins un statut presti-
gieux. Ces lieux patrimoniaux sont, par leur simple présence, déjà évocateurs du
passé de la cité, dont ils rappellent la grandeur militaire, économique ou cultu-
relle à une certaine époque. Le bâtiment est parfois même assimilé aux collec-
tions conservées au sein de l’institution. Ainsi, le président du Conseil municipal
de Paris mentionne en 1898, au sujet de l’hôtel Carnavalet :
« Ceux qui ont présidé à sa transformation n’ont eu de garde, en effet, d’oublier que la
plus belle pièce du Musée municipal est encore le merveilleux hôtel dont nous pouvons
admirer la grande allure et la décoration délicate 415. »
Les premiers musées d’histoire de ville à disposer d’infrastructures spécifiquement
conçues pour un tel usage sont américains, à partir de la fin des années 1920. Les
architectures neuves se font cependant rares pour ce type de musée, tant demeure
puissante la prégnance unique insufflée à l’institution par le bâtiment historique,
lien symbolique qui s’établit entre le visiteur et les générations antérieures qui ont
occupé et façonné le site 416.
À l’exception notable des établissements nord-américains et de certains établisse-
ments britanniques, la plupart des musées classiques partagent une même concep-
tion, élitiste, de l’institution et des méthodes d’exposition. Durant près d’un siècle,
la mission primordiale du musée consiste avant tout en la mise en exergue d’une
collection hétéroclite d’objets, représentative du mode de vie des élites et excluant
de facto celui des classes populaires. Les collections sont exposées pour leurs qualités
esthétiques ou formelles, voire en raison de leur statut de reliques. Puisque l’objet
est considéré comme parlant de lui-même à celui qui est suffisamment cultivé pour
en déceler le sens, l’élaboration d’un quelconque discours, d’un message à com-
muniquer au visiteur, se révèle le plus souvent superflue. L’institution margina-
lise donc le public, tandis que les figures privilégiées sont celles du grand homme
du passé et du conservateur, le premier mis en lumière par les collections dont le
second a la charge.
Le prochain chapitre s’ouvre avec l’entrée en crise de l’institution muséale clas-
sique, à la fin des années 1960, lorsque son projet global et les valeurs conservatrices
qu’elle véhicule sont remis en question par les jeunes générations de profession-
nels. Une « nouvelle muséologie 417 » voit alors le jour, qui fait naître dans tous les
domaines, y compris celui de l’exposition de la ville, des expériences novatrices.
Désormais, le visiteur sera résolument placé au centre de la démarche muséale 418.

415  Navarre Auguste, « Discours de M. le Président du conseil municipal », in Relation officielle de l’inau-
guration du Musée historique de la ville de Paris et de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, le jeudi 23 juin
1898, Paris, Imprimerie de l’école municipale Estienne, 1899, p. 14-20-, p. 14-15.
416  Lelièvre, « Le musée d’histoire de ville : mémoire et carrefour des populations », in Laveleye,
Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 47-51, p. 49.
417  Desvallées André (éd.), Vagues, une anthologie de la nouvelle muséologie, 2 vol., Mâcon et Savigny-le-
Temple, éditions W et M. N. E. S., 1992-1994.
418  Brinkman Manus, « Do the right thing : museums need a more varied audience which education
must help to achieve », in Cahiers d’étude du CECA (Icom), no 2, 1996, p. 16-18.

122
Chapitre 4
Des modèles en mutation

Une nouvelle muséologie pour un nouveau regard


sur la ville (1970-1990)
« La nouvelle muséologie constitue, dans l’histoire récente des musées, la manifestation la
plus extrême du bouleversement des valeurs engendré à partir de la fin des années 1960.
On pourrait situer son plus important développement entre 1972 et 1985. […] Sur fond
d’expériences récentes, une pensée se forge et se développe, qui questionne le musée, sa
place dans la société et son rapport à l’homme et à l’environnement, mais qui en même
temps formule des réponses. Ces expériences nouvelles vont progressivement défrayer
la chronique muséologique et imposer leurs vues, du moins durant quelques années 419. »
La décennie 1970 est une période particulièrement riche dans l’histoire de l’ins-
titution muséale, qui se voit entraînée dans un mouvement inédit d’autocritique
et de contestation des pratiques traditionnellement reproduites depuis des géné-
rations de conservateurs. Loin d’être réduit au seul monde des musées, ce phé-
nomène s’inscrit dans une transformation globale de la société, qui voit naître la
notion de contre-culture. Cette conception relativiste de la culture, qui valorise des
savoirs jusqu’alors déconsidérés – « la culture des Autres 420 » –, entre en opposi-
tion avec la vision universaliste de la culture dite légitime, savante ou bourgeoise,
dont le musée classique s’était fait le gardien. Issue d’une table ronde organisée par
l’Unesco en 1972, la Déclaration de Santiago du Chili est l’un des jalons essentiels
de la révolution en faveur de la démocratisation du musée, dans la mesure où le
concept intègre une dimension nouvelle, lourde de conséquences : l’institution est
mise « au service de la société et de son développement », renouant de la sorte avec
son ambition d’origine, issue des Lumières 421. Les modèles qui émergent de ces
réflexions engagées sur le rôle social du musée, en Amérique latine et dans le tiers-
monde, mais aussi en Occident, s’inscrivent dans un courant désigné par François
Mairesse comme celui de l’utopie muséologique, dans la mesure où ils tentent de
« révolutionner le monde des musées 422 », qui n’évoluera pourtant pas dans cette
direction. Le trait commun de toutes les initiatives mises en place à cette époque

419  Mairesse et Desvallées, « Muséologie », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit.,


p. 343-383, p. 367.
420  Il s’agit du titre d’un ouvrage d’Hugues de Varine en 1976. Cité in Chaumier, « Société », in Desvallées
et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 543-557, p. 550.
421  « La diffusion des savoirs va devenir une préoccupation européenne, portée par l’utopie du xviiie siècle
de garantir l’instruction à tous, car un peuple ne peut être épanoui que s’il est instruit. […] Les progrès de
l’instruction deviennent une affaire collective, et ce n’est pas un hasard si se déploient de manières conco-
mitante le souci de l’éducation par l’école et les premiers musées, c’est-à-dire des lieux publics, “pour que
le peuple voie et s’instruise”. » Chaumier, « Éducation », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…,
op. cit., p. 87-120, p. 91.
422  Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 128.

123
Le musée de ville

réside dans une redéfinition radicale des relations entre le musée et les popula-
tions auxquelles il s’adresse 423. Avec l’apparition des musées communautaires, des
neighborhood museums 424 et des écomusées 425 – à Anacostia, banlieue culturelle-
ment défavorisée de Washington, dans les bidonvilles de Mexico ou au cœur de
la région économiquement sinistrée du Creusot –, l’institution cherche à toucher
de nouveaux publics parmi les exclus du système classique, hérité du xixe siècle.
En raison de l’aspect territorial, et par conséquent communautaire, inhérent à leur
sujet d’étude, les musées consacrés aux villes font logiquement partie des insti-
tutions concernées au premier chef par ce processus. Contrairement aux décen-
nies précédentes qui peuvent être assimilées pour la plupart de ces musées à une
période d’engourdissement quasi léthargique, les années 1970 et 1980, sujet de ce
sous-chapitre, constituent pour eux un moment faste. Partout dans le monde, des
institutions sont créées, de São Paulo à Shanghai, et d’anciennes complètement
repensées, entre autres à Francfort et à Londres. Poussés par une volonté grandis-
sante de démocratisation de la culture et de participation des communautés locales,
les responsables d’un certain nombre de musées font le constat que leur discours
ne peut plus être figé dans la seule matérialité d’une collection. Il s’agit à l’avenir
d’appréhender le caractère mouvant de la ville, de son histoire et de ses habitants.

Les prémices d’une révolution


Parmi les réalisations pionnières qui attestent l’ouverture d’une nouvelle ère dans la
présentation muséale de la ville, l’exposition temporaire Drug scene in New York 426,
tenue au Museum of the City of New York entre février et juin 1971, marque le fran-
chissement d’un cap : de simple musée d’histoire consacré au passé et à la mise en
scène de la vie des élites, le musée peut désormais choisir de s’ancrer résolument
dans la société contemporaine, de faire écho à la vie quotidienne et aux problèmes
d’aujourd’hui. Très controversée à l’époque, cette exposition montrant notamment
des échantillons authentiques d’héroïne ou de LSD a permis au musée d’augmen-
ter considérablement ses chiffres de fréquentation par rapport aux années qui pré-
cèdent, avec plus de 250 000 visiteurs, en grande majorité scolaires. Ce projet à
visée éducative est le tout premier porté par le nouveau directeur de l’institution,
Joseph Veach Noble, élu à son poste en 1970 sur base du programme suivant :
« Le musée doit être plus qu’un miroir tendu vers le passé 427. »

423  Ibid., p. 102.


424  « De par ses diverses fonctions, un musée de voisinage embrasse tous les aspects de l’existence de la
population d’une localité donnée, une population directement concernée par son identité, ses origines, ses
réalisations passées, son échelle de valeurs et ses besoins les plus pressants. » Kinard John R. et Nighbert
Esther, « Le musée de voisinage d’Anacostia, Smithsonian Institution, Washington, D. C. », in Museum,
vol. 24, no 2, 1972, p. 102-109, p. 103.
425  « Un écomusée est un instrument qu’un pouvoir et une population conçoivent, fabriquent et exploitent
ensemble. […] Un miroir où cette population se regarde, où elle recherche l’explication du territoire auquel
elle est attachée […]. » Rivière George Henri, « Définition évolutive de l’écomusée », 22 janvier 1980. Cité
in La muséologie selon Georges Henri Rivière, op. cit., p. 142.
426  Baragwanath, More than a mirror to the past, op. cit., p. 23-24. Noble Joseph Veach, « Drug scene
in New York », in Museum News, vol. 50, no 3, 1971, p. 10-15.
427 « The museum must be more than a mirror to the past. »

124
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Dans le hall d’entrée du musée, le visiteur est accueilli par trois cercueils, respecti-
vement en bronze, pin et bois blanc, qui symbolisent les trois New-Yorkais décédés
chaque jour du fait de leur addiction, sans distinction de classe sociale, d’âge ou de
couleur de peau. Financée en partie par la Narcotic Addiction Control Commission 428,
l’exposition s’éloigne du schéma muséographique classique d’images sur les murs
et d’objets dans des vitrines. À la place sont installées dans les salles des photo-
graphies grandeur nature de vrais toxicomanes occupés à se droguer, réalisées avec
leur consentement pour les besoins de la manifestation. Elles sont plaquées sur
des structures de carton autoportantes dans lesquelles sont incorporées de petites
boîtes de plexiglas aux endroits adéquats : à la main pour un verre de whisky, au
creux du bras pour une seringue, à la bouche pour une capsule d’amphétamine…
Les thématiques qui constituent généralement l’arrière-plan sociétal de l’usage
des drogues, comme la pauvreté, la discrimination, l’aliénation ou le matérialisme
sont abordées dans l’exposition, ainsi d’ailleurs que la problématique plus large de
la surconsommation des « drogues légales » – le tabac, l’alcool, les médicaments.
Comme l’indique un panneau montrant une famille moyenne, apparemment sans
histoire, « nous faisons tous partie de la scène de la drogue 429 ». Pour faire vivre
l’exposition et répondre aux nombreuses questions suscitées par ces artefacts inha-
bituels, les guides engagés par le musée sont tous d’anciens drogués. Véritables
« living exhibits », ces derniers témoignent de leurs expériences personnelles. Ils
apportent également des conseils de prévention auprès des plus jeunes et des solu-
tions d’accompagnement pour les personnes en détresse qui trouvent là l’occasion
de solliciter discrètement de l’aide. Le Museum of the City of New York dépasse
dès lors le stade purement informatif, descriptif d’une situation, qui le caracté-
risait jusqu’alors. Le désir, affiché dès 1931 par John Van Pelt, d’un musée sou-
cieux de jouer un rôle actif dans l’amélioration des conditions de vie des citoyens
est maintenant concrétisé 430.
De ce côté-ci de l’Atlantique, l’Historisches Museum Frankfurt est l’un des tout pre-
miers musées d’histoire de ville européens à opérer sa mutation vers un nouveau
type d’institution, ouvert sur le xxe siècle et prêt à aborder avec un regard critique
la période nazie, sujet particulièrement délicat dans l’Allemagne d’après-guerre.
En 1968, le programme d’un musée entièrement renouvelé, plaçant l’éducation au
premier rang de ses missions, dans un bâtiment à construire sur l’une des princi-
pales places de la ville, le Römerberg, est validé par les autorités municipales. Ses
objectifs sont formulés de la sorte par son directeur :
« Le musée d’histoire ne peut pas se limiter à faire le tri parmi les objets accumulés au fil
des ans et à bien les présenter, en laissant au visiteur le soin d’en tirer profit en fonction
de sa culture. Nous voulons plutôt faire connaître au public les rapports historiques et
sociaux. Cette connaissance permet aussi de percevoir des possibilités de changement
dans la situation sociale actuelle. Ainsi, le musée peut devenir une partie intégrante d’un
système d’éducation démocratique 431. »

428  Il s’agit du service administratif de l’État de New York en charge de la question des drogues.
429 « We are all part of the drug scene. »
430  Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News, op. cit., p. 8.
431  Stubenvoll Hans, « Musée d’histoire, Francfort-sur-le-Main », in Museum, vol. 29, no 2-3, 1977,
p. 156-157.

125
Le musée de ville

De temple des Muses, le musée devient lieu d’apprentissage 432. Les collections


perdent leur statut antérieur d’alpha et d’oméga du musée traditionnel pour se faire
le support d’une exposition à visée didactique, « outil de stratégie communication-
nelle 433 » au service d’un message, en l’occurrence le discours porté par l’institu-
tion sur l’histoire sociale de la ville. Dorénavant, l’exposition n’est plus uniquement
structurée autour des objets, d’ailleurs beaucoup moins nombreux qu’auparavant,
mais intègre une diversité de dispositifs porteurs de sens qui expliquent et contex-
tualisent ceux-ci : textes, panneaux, diagrammes, schémas, maquettes, mais aussi
projection de diapositives, de films et de bandes sonores.
Les deux premières sections du musée sont inaugurées en 1972, dans des ailes
contemporaines en verre et béton formant un ensemble carré autour d’une cour
centrale. Assortis d’une volonté de modularité maximale de l’espace intérieur, ces
matériaux, semblables à ceux utilisés au même moment dans l’édification du Musée
royal de Mariemont, par exemple, sont typiques de la mode architecturale du temps.
L’exposition new-yorkaise de 1971 et la rénovation du musée francfortois l’année
suivante constituent, par leur caractère précoce, des étapes notables dans la prise en
compte progressive des valeurs de la nouvelle muséologie par les responsables des
musées consacrés aux villes. Le premier événement traduit l’acceptation par l’ins-
titution muséale de se confronter à des sujets difficiles, qui renvoient à la société
dans son ensemble une part plus sombre d’elle-même qu’elle préfère la plupart du
temps dissimuler 434. Le second introduit quant à lui en Europe l’idée d’un musée
pour tous, assimilé à un lieu éducatif, où la connaissance préalable n’est plus indis-
pensable à la jouissance. Cette ambition tend à évacuer les représentations néga-
tives véhiculées dans l’inconscient collectif par l’institution classique, celles d’un
lieu intimidant, palais du savoir inaccessible au commun des mortels 435. Mais le
musée qui imprime avec le plus de force sa marque dans le paysage de cette époque
est sans conteste possible le Museum of London, institué en 1965 et inauguré onze
ans plus tard, dans un bâtiment neuf du cœur de la City.

Le Museum of London, nouveau Carnavalet


Si le titre choisi pour ce sous-chapitre consacré au Museum of London incite à l’ana-
logie avec le musée Carnavalet de Paris, celle-ci ne se situe nullement au niveau
de leurs approches muséographiques. Elle se mesure plutôt à l’influence durable
et manifeste qu’ils ont, l’un comme l’autre, exercée sur leurs contemporains et les
générations suivantes. L’institution londonienne s’impose en effet dans la seconde
moitié du xxe siècle comme le principal « prescripteur de tendances » en matière

432 « Lernort contra Musentempel. » Gerchow, « Stadt– und regionalhistorische Museen », in Graf et


Rodekamp, Museen zwischen Qualität und Relevanz, op. cit., p. 327-333, p. 328.
433  Davallon, L’exposition à l’œuvre, op. cit., p. 158-159 et p. 248-249.
434  Depuis la fin des années 1990, le musée d’Histoire de la ville de Luxembourg peut être considéré
comme l’héritier le plus évident de cette tradition.
435  L’étude fondamentale de Pierre Bourdieu sur le public des musées d’art n’est alors vieille que de six
ans (1966). Bourdieu Pierre et Darbel Alain, L’amour de l’art, les musées d’art européens et leur public,
Paris, Minuit, 1969.

126
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

d’exposition de l’histoire urbaine, rôle dévolu depuis la fin du siècle précédent


au musée parisien. En juin 1977, l’historien Jack Simmons publie dans la revue
anglaise Museums Journal un compte rendu de ses premières visites au tout récent
Museum of London. Son article comporte, lui aussi, une référence à l’incontour-
nable musée Carnavalet, comparé avec le nouveau musée :
« À la fin, on repense au musée Carnavalet, dont on pourrait considérer que celui-ci est
l’héritier. Comme ils se présentent aujourd’hui, les deux ne pourraient pas être plus diffé-
rents. L’un est logé dans une ancienne demeure, infiniment riche en petits objets adaptés
aux salles étroites qui les contiennent. L’autre est installé dans un nouveau bâtiment de
grande classe spécialement dessiné pour lui. Le nouveau musée reflète les idées nouvelles
sur la nature même des musées, sur leurs approches et sur les services qu’ils devraient
offrir à ceux qui viennent les visiter 436. »
Le Museum of London n’est pourtant pas à proprement parler un nouveau musée.
Il résulte de la fusion de deux institutions vénérables, dépendant de niveaux de
pouvoir différents : le London Museum de 1911, financé par l’État, et le Guildhall
Museum, créé en 1826 par la City of London Corporation pour servir au départ d’an-
nexe à la bibliothèque de son hôtel de ville 437. La City est un district central, le
plus anciennement occupé de Londres, d’une superficie d’à peine 2,5 km². Situé
à l’emplacement de la cité romaine de Londinium, il ne doit pas être confondu
avec le Greater London, zone administrative de statut régional qui englobe tout
le territoire de la capitale, 600 fois plus vaste, et sur lequel le maire de Londres
a autorité. Dès l’origine, le London Museum présente des collections généralistes
sur l’histoire de la ville, tandis que le Guildhall Museum est essentiellement un
musée d’archéologie qui préserve les vestiges découverts au cours des travaux de
modernisation de la City depuis le début du xixe siècle. Tout au long de leur his-
toire commune, les relations entre ces deux musées sont délicates. Malgré leurs
différences, leurs projets se recouvrent en de nombreux aspects, créant dès lors un
sentiment de concurrence. Les conséquences du second conflit mondial imposent
cependant aux deux institutions d’entamer des discussions en vue d’une union. L’une
et l’autre ont en effet perdu leurs installations d’avant-guerre et il apparaît rapide-
ment que leur réaménagement permanent en deux lieux séparés est une aberration
non seulement économique, mais surtout intellectuelle. Il est temps pour Londres
de disposer d’un musée unique, consacré à l’agglomération dans son ensemble,
conçu à partir des points forts de chacun des établissements. Initiées en 1960, les
négociations réunissent les trois organismes subsidiants du futur musée, chacun à
hauteur d’un tiers des dépenses : la City Corporation, le gouvernement national et
les autorités locales du Greater London Council. L’accord politique qui se dégage
est formalisé par un acte du parlement britannique en 1965. Il inclut la mise à la

436 « In the end one’s mind turns back to the Carnavalet, from which in some degree this Museum may be said to have
sprung. As they are now, the two could not be more widely different. One is accommodated in an ancient mansion ;
infinitely rich in small objects, suited to the small rooms that contain them. The other is housed in a new building
of high distinction specially designed for it. The new Museum reflects new thinking about the nature of museums
themselves, the approach they should make, the facilities they should afford to those who come to them. » Simmons
Jack, « The Museum of London », in The Museums Journal, vol. 77, no 1, Londres, juin 1977, p. 15-18, p. 18.
437  Hume Tom, « Musée de Londres », in Museum, vol. 29, no 2/3, 1977, p. 98-105.

127
Le musée de ville

disposition par la City d’un terrain lui appartenant afin d’y édifier un bâtiment
neuf, à la pointe des techniques muséographiques du temps. Le chantier du « plus
vaste et plus complet [musée] qui ait été construit en Grande-Bretagne depuis
bien longtemps 438 », est lancé en 1971 et s’achève cinq ans plus tard. Élisabeth II
procède alors à l’inauguration, en décembre 1976, d’une institution « pas simple-
ment “de” ou à propos de Londres, mais aussi pour Londres 439 ».
Le Museum of London s’intègre dans un complexe urbanistique de quatorze hec-
tares, de style moderniste, le Barbican Estate 440. Bâtie dans les années 1960 et
1970, cette zone de redéveloppement remplace un quartier ancien dévasté par les
bombardements durant le Blitz. Inspiré des travaux brutalistes de Le Corbusier,
le Barbican se veut la reproduction en miniature d’une véritable ville, où les fonc-
tions se mélangent : des tours d’habitations et de bureaux voisinent avec des écoles,
des lieux de culte et des équipements culturels, dont un important centre d’art.
Tous ces lieux de vie sont reliés entre eux par des passerelles piétonnes surélevées,
séparées de la rue où le trafic automobile est particulièrement dense. L’entrée du
musée se situe d’ailleurs au niveau de ces « high walks », dont l’accès n’est malheu-
reusement pas toujours aisé à repérer à partir de la route. Pratiquement invisible
depuis la ville, alors que la cathédrale Saint-Paul et ses flots de visiteurs ne se
trouvent qu’à deux pas, le bâtiment se signale surtout par le nom du musée inscrit
en grandes lettres blanches sur la construction en forme de tambour qui se dresse
au milieu du rond-point adjacent.
Le choix du Barbican, site à l’apparence extrêmement contemporaine, voire futu-
riste pour l’époque, pour y bâtir un musée sur l’histoire de Londres n’est pas le
fruit du hasard :
« Le site choisi pour le bâtiment symbolise de manière appropriée le rôle fondamental
du musée : relier le Londres d’aujourd’hui avec son passé 441. »
Le musée est édifié le long d’une portion excavée du rempart de la ville romaine,
qu’il est possible d’apercevoir à travers quelques ouvertures depuis certaines salles
d’exposition – justement celles consacrées à la période antique. Les fenêtres exté-
rieures sont pourtant rares, car les architectes ont choisi d’enrouler les deux niveaux
du musée sur eux-mêmes, autour d’un jardin intérieur clos de parois entièrement
vitrées, « référence visuelle constante du public 442 ». L’aménagement du bâtiment
est conçu de telle sorte que sa structure globale, ainsi que celle de l’exposition,
soient en permanence perceptibles pour le visiteur, amené à cheminer linéairement.

438  Bell James, « Le Museum of London », in Museum, vol. 31, no 1, 1979, p. 122-127, p. 122.
439 « […] not simply “of ” or about London, but also for London. » Museum of London Manifesto, Londres,
décembre 1976, p. 6.
440  Kostof Spiro, The city shaped : Urban patterns and meanings through history, Londres, Thames &
Hudson, 1991, p. 90.
441 « The site chosen for the building appropriately symbolises the museum’s fundamental role : linking present-
day London with its past. » Museum of London Manifesto, op. cit., p. 8.
442  Bell James, in Museum, op. cit., p. 125.

128
Le site du Museum of London, au cœur du Barbican Estate et de la City.

Le rempart romain de Londinium, visible depuis l’intérieur du Museum of London.


Le musée de ville

Un passage latéral, sorte de balcon courant tout le long des fenêtres du jardin,
lui permet cependant de faire l’impasse sur une section ou l’autre et de rejoindre
rapidement n’importe quel point du musée. Les fonctions muséales non direc-
tement liées à l’exposition – service éducatif, réserves, salle de conférences et de
cinéma, bibliothèque, laboratoire de conservation, studio photo, administration
et bureaux… – sont toutes installées dans une aile séparée.
Si, comme à Francfort, la décision de concevoir le musée dans un nouvel édifice
plutôt que dans un lieu historique sort déjà de l’ordinaire – « le Museum of London
est l’un des très rares grands musées anglais du xxe siècle à disposer d’un édifice
prévu spécialement pour lui 443 » –, c’est avant tout dans l’approche muséo­graphique
retenue que le Museum of London se fait novateur. Pour la première fois, un musée
ambitionne de dresser la biographie tridimensionnelle d’une ville, et plus parti-
culièrement de ses habitants, depuis la formation de son cadre naturel, aux temps
préhistoriques, jusqu’au milieu du xxe siècle. En raison de la superficie dispo-
nible limitée, deux grands thèmes structurants sont retenus, sur les trois initiale-
ment envisagés : d’une part « Londres et le monde », et d’autre part « Londres et
le peuple ». Le projet « Londres et l’environnement bâti », dévolu au développe-
ment physique et architectural de la ville, en lien avec l’évolution de la planifica-
tion urbaine, est quant à lui abandonné. De manière probablement inédite pour
ce genre de musée, l’histoire des pierres est ici subordonnée à celle des gens. Les
collections réunies des deux anciens musées, auxquelles s’ajoutent des acquisitions
depuis les années 1960, sont résolument mises au service d’un récit chronologique
sur la ville, très documenté : 7 500 objets sont exposés, sur un nombre total d’un
demi-million conservés. À l’exception de la dernière salle du parcours, consa-
crée aux cérémonies londoniennes et dont le fameux carrosse du Lord-Maire de
la City 444 constitue la pièce maîtresse, le musée ne présente aucune section thé-
matique, bien que le principe ait été envisagé au départ. Il est en effet apparu aux
muséographes que des salles dédiées spécifiquement à des domaines tels que les
jouets, le théâtre, l’éducation, les palais royaux, la police et les pompiers ou encore
les institutions municipales et nationales auraient nui à la vision d’ensemble du
discours. Si ces sujets méritent d’être abordés dans l’exposition, ils le sont au sein
du parcours principal, chronologique.
Le circuit de visite est composé de neuf sections successives, correspondant chacune
à une période déterminée. Quatre sont situées au niveau de l’accueil du musée (The
Thames in Prehistory, Roman London, Saxon and Medieval London, Tudor and early
Stuart London) et cinq à l’étage inférieur (Late Stuart London, Georgian London,
Early 19th century London, Imperial London, 20th century London). La répartition
spatiale de ces chapitres biographiques tient compte du fait que les 250 dernières
années de l’histoire de la ville concentrent à elles seules plus des deux tiers de la
population londonienne totale. Pour cette raison, l’histoire contemporaine, grande

443 « The Museum of London is one of the very few large museums in 20th century Britain to have a building
specially planned for it. » Museum of London Manifesto, op. cit., p. 8.
444  Ce véhicule hippomobile, du xviiie siècle, est particulièrement populaire auprès des Londoniens. Il
prend part chaque année en novembre à la parade du Lord-Maire, tradition festive, événement à la fois
politique et folklorique, qui se déroule dans les rues de Londres. Bien que muséalisé, le carrosse conserve
aussi son usage dans la vie réelle. Lohman Jack (ed.), Museum of London : Museum highlights, Londres,
Scala, 2010, p. 66-67.

130
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Plan du parcours initial du Museum of London, en 1976.


Illustration extraite de Francis Sheppard, The treasury of London’s past, 1991, p. 175.

oubliée de l’ancien London Museum comme de l’immense majorité des musées


d’histoire de ville conçus jusqu’alors, occupe la moitié de la surface d’exposition
de tout le bâtiment, signe de l’importance qui lui est accordée, égale à celle des
époques antérieures. Au vu de la singulière pauvreté des collections témoignant
du passé récent de Londres lors de la création du musée, les trois quarts des objets
dans les galeries du xixe siècle et l’intégralité de ceux des salles du xxe siècle ont
été rassemblés à partir de 1971, grâce à des dons, des achats et des emprunts. La
cheville ouvrière de cette entreprise de collecte sans précédent est le conservateur
du Modern London Department, Colin Sorensen, dont la devise illustre parfaite-
ment l’entrée de l’institution dans la muséologie d’idée, où c’est le concepteur de
l’exposition qui lui donne son sens :
« S’il vous manque un objet, soit vous sortez pour en ramener un exemplaire, soit vous
trouvez une autre façon d’aborder le sujet 445. »

445 « If you haven’t got an object, you either go and get one, or you find another way of dealing with the subject. »
Cité in Sheppard, The treasury of London’s past, op. cit., p. 173.

131
Le musée de ville

Lors de l’ouverture du musée, les salles consacrées à l’histoire londonienne la plus


récente, à partir de la Seconde Guerre mondiale, ne sont pourtant pas encore
terminées :
« L’exposition s’affaiblit sur la fin. Il est évident qu’elle n’est pas encore complète. Quelle
satisfaction de penser qu’il y a encore d’autres choses à venir 446. »
Bien que prévue dans le programme muséographique d’origine, la section consa-
crée à Londres durant la seconde moitié du xxe siècle ne verra finalement le jour
que bien plus tard. La vie contemporaine n’est cependant pas totalement absente
du musée, grâce aux activités proposées par le service éducatif, au public scolaire
comme aux adultes, et à de nombreuses expositions temporaires.
Une autre particularité du discours du Museum of London est d’être essentiellement
centré sur l’explication des phénomènes économiques et sociaux, plutôt que sur
un récit strictement événementiel de la capitale. Le travail et les travailleurs sont
mis en exergue, reflétant de cette façon l’appropriation par les musées d’une nou-
velle conception de l’écriture de l’histoire, qui n’hésite plus désormais à recourir
à des disciplines telles que la sociologie ou la démographie. Jack Simmons note
cet intérêt, et l’apprécie :
« Ce que nous voyons ici souligne généralement la vie des classes moyennes et ouvrières.
C’est assez raisonnable, en harmonie avec les réflexions actuelles et une correction salu-
taire par rapport aux conceptions anciennes, arrêtées au cliché de la Georgian elegance 447. »
Il regrette cependant le caractère jugé trop radical de la démarche, qui marque
en effet la disparition quasi complète des salles d’exposition des objets illustrant
le mode de vie de la « bonne société », celle des mécènes et des arbitres du goût.
« L’aristocratie a été fermement poussée hors de vue 448. »
Du point de vue des classes sociales représentées, le Museum of London prend
donc l’exact contrepied de son très royal prédécesseur, le London Museum, dont il
conserve pourtant les collections prestigieuses.
Au milieu des années 1970, le Museum of London détonne dans un paysage muséal
encore essentiellement classique. Par ses aspects novateurs – l’architecture pensée
pour le confort du visiteur ; l’arrangement chronologique du récit qui, jusqu’aux
périodes les plus récentes, met le peuple et non les princes à l’honneur ; l’attache-
ment à une histoire économique et sociale de la ville –, il insuffle en effet au genre
du musée d’histoire urbaine une vitalité inédite.

Une génération d’institutions au service de la population


Le Museum of London jouit dès son ouverture au public d’un succès critique inter-
national. Très rapidement, nombre de concepteurs d’exposition et de conservateurs,

446 « The exhibition tails away at the end. It is obviously not yet complete. How satisfactory to think that there is
still something more to come. » Simmons, in The Museums Journal, op. cit., p. 15-18, p. 17.
447 « What we get here emphasizes generally the life of the middle and working classes. That is reasonable enough ;
in harmony with current thinking, and a salutary corrective of the older view, which made a cliché of Georgian
elegance. » Ibid.
448 « The aristocracy has been pushed firmly out of sight. » Ibid.

132
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

en Europe comme en Amérique, puiseront leur inspiration à cette source qui


succède au musée Carnavalet comme modèle archétypal d’une génération renou-
velée d’institutions. Ce sous-chapitre est principalement consacré à l’évocation de
quatre établissements créés entre 1975 et 1983 qui, chacun à leur manière et sur
base de critères différents, constituent des cas « utopiques » remarquables. Malgré
les disparités formelles et conceptuelles qui séparent deux musées « à collections »
d’un écomusée et d’un centre d’interprétation, ceux-ci sont tous représentatifs de
ce même courant muséologique engagé qui place le rôle social de l’institution et
l’humain avant toute autre considération.
Le premier musée envisagé dans ce contexte est l’Amsterdams Historisch Museum.
Conçu à partir de 1963, il est inauguré en octobre 1975 en plein cœur historique
de la ville, dans l’ancien orphelinat municipal réaffecté 449. Comme d’autres ins-
titutions fondées à cette époque, il est l’héritier d’un classique musée d’histoire
de ville créé au début du xxe siècle dans une ancienne porte de la cité. Le pro-
gramme muséographique de la nouvelle institution est proche de ceux déjà ren-
contrés à Londres et Francfort : un parcours chronologique sur l’évolution de la
ville, depuis ses origines au xiie siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mon-
diale, décliné selon des thèmes variés – histoire, économie, société, culture, reli-
gion et topographie 450.
« Selon cette conception, le nouveau musée n’est plus un magasin du passé, entaché de
chauvinisme, mais un bâtiment public où un certain nombre d’objets appartenant à la
communauté permettent à chacun de s’instruire, de se distraire et de s’informer tout en
éprouvant des joies artistiques 451. »
Ce dernier aspect, celui de la jouissance esthétique, est l’une des spécificités de l’ex-
position de l’Amsterdams Historisch Museum, par rapport à celles des deux musées,
britannique et allemand, cités ci-dessus. Les responsables de l’institution amstel-
lodamoise tiennent en effet à présenter à la fois des découvertes archéologiques
et des collections à caractère documentaire, « souvenirs de situations, de condi-
tions ou de personnes appartenant à un domaine ou l’autre de l’histoire 452 », mais
également des œuvres de grande qualité artistique, traditionnellement réservées
aux prestigieux musées d’art. Cette conception inhabituelle du musée d’histoire
heurte l’establishment de l’époque, surtout lorsqu’en 1973, le directeur du musée
a l’impudence de réclamer pour la future exposition permanente la rétrocession
d’une célèbre toile, Le Syndic de la guilde des drapiers de Rembrandt. Celle-ci fait
partie d’un très riche lot d’œuvres d’art mis en dépôt au Rijksmuseum à la fin du
xixe siècle par leur propriétaire, la ville d’Amsterdam 453. La polémique entraînée
par cette demande prend alors des dimensions telles que le musée doit renoncer,

449  Van Lier Bas, Treasures of Amsterdam, Highlights of the Amsterdam Historical Museum collection,
Amsterdam, Amsterdam Historical Museum, 2000, p. 86-89.
450  Entretien avec Renée Kistemaker, Senior Consultant Research and Development à l’Amsterdam Historical
Museum (15 mars 2010).
451  Snoep Derk, « Musée d’histoire d’Amsterdam », in Museum, vol. 29, no 2/3, 1977, p. 114-125, p. 121.
452  Ibid., p. 114-115.
453  Kistemaker Renée, « The origins of the Amsterdam Historical Museum and its relations with the
Rijksmuseum », in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 37-50.

133
Le musée de ville

provisoirement, à ses prétentions sur cette peinture et cet artiste emblématiques 454.


Soutenu par les autorités locales, l’Amsterdams Historisch Museum obtient néan-
moins du Rijksmuseum le retour de 156 peintures, principalement du xviie siècle,
et d’un important ensemble d’objets d’art et d’artisanat appartenant à la munici-
palité. Dans l’exposition initiale, l’âge d’or hollandais est nettement surreprésenté
en comparaison des périodes antérieures et de l’époque contemporaine :
« Il faut reconnaître qu’il faudra encore un certain temps avant que les collections soient
suffisamment importantes pour illustrer également chaque stade de cette évolution
[d’Amsterdam]. Actuellement, les xviie et xviiie siècles, époque de la grande prospérité de
la ville, sont particulièrement bien représentés ; par contre, les xixe et xxe siècles sont net-
tement moins satisfaisants car les photographies et les autres documents visuels rem-
placent bien souvent les originaux 455. »
À partir des années 1980, l’institution s’engage dans un processus d’adaptation
de son projet muséal. Une double direction est poursuivie, qui emmène le musée
d’Amsterdam vers de nouveaux champs d’action : d’une part, la reconnaissance
du caractère multiculturel de la ville, assortie de l’ambition de permettre aux per-
sonnes issues de minorités ou de milieux défavorisés de se sentir concernées et
représentées par le musée, grâce à un travail de terrain axé sur la proximité et
l’échange avec la population 456 ; d’autre part, la mise en valeur au sein du musée
de l’histoire la plus récente, par l’élargissement des collections et des thèmes d’ex-
position à des problématiques sociétales actuelles, comme la passion pour le foot-
ball, la consommation de drogues ou encore la circulation urbaine 457.
Mais l’élément qui confère au musée son accent véritablement utopique 458, par
lequel il se distingue, est sa quête d’ancrage dans la vie quotidienne des habi-
tants d’Amsterdam. Celle-ci se manifeste dans le projet même de restauration
de l’édifice destiné à accueillir l’institution, mené au début des années 1970.
Le complexe architectural de l’ancien orphelinat est composé de plusieurs
constructions d’époques différentes, du xve au xviiie siècle, organisées autour de
deux cours centrales, l’une réservée aux garçons et l’autre aux filles. Une ruelle,
servant notamment d’égout à ciel ouvert, séparait alors les deux corps de bâti-
ment principaux. Lors des travaux d’aménagement du musée, ce lieu est trans-
formé en un passage couvert public, appelé Galerie civique, qui le traverse en
son centre et ouvre directement sur l’espace piétonnier à l’extérieur 459. Cette
galerie est assimilée à une véritable rue, que les passants empruntent librement
au cours de leurs déambulations pour se rendre d’un point à l’autre du quartier.

454  Le temps passant, Rembrandt fera finalement son entrée dans les collections de l’Amsterdams Historisch
Museum près de vingt ans plus tard, en 1994, avec La Leçon anatomique du docteur Deyman, devenue la pièce
centrale de la section de l’exposition consacrée à l’âge d’or de la ville.
455  « Prix européen du musée de l’année », in Les nouvelles de l’Icom, vol. 32, no 1-4, 1979, p. 11-12.
456  Van Lakerveld Carry, « Whose museum ? The Amsterdam Historical Museum and the multicul-
tural city », in Johnson, Reflecting cities, op. cit., p. 101-104. Ernst Mila, « East Amsterdam, an outreach
project », in Kistemaker, City museums as centres of civic dialogue ?, op. cit., p. 107-112.
457  Van Veldhuizen Arja, « New galleries on recent history in the Amsterdam Historical Museum, Result
of an intensive process », in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 155-162.
458  Au sens de François Mairesse : Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 101-128.
459  Gob André, « Musée ouvert, manifestation de l’espace public ? » in Gob, Musées : on rénove !, op. cit.,
p. 122-129, p. 122.

134
La galerie civique de l’Amsterdams Historisch Museum, véritable rue au cœur d’un musée.

Les collections de l’Amsterdams Historisch Museum, à la fois dans le musée et dans la ville.
Le musée de ville

Elle est cependant une salle à part entière du musée, sur les murs de laquelle est
présentée une collection d’œuvres non exposables ailleurs en raison de leur grand
format, celle des portraits de groupes des gardes civiques au xviie siècle, c’est-à-
dire des compagnies de miliciens composées de bourgeois amstellodamois, chargés
de la sécurité publique. La thématique citoyenne de ce passage ouvert à tous n’est
évidemment pas due au hasard.
Par ailleurs, cette galerie permet plusieurs échappées visuelles vers les salles à l’in-
térieur du musée, tandis qu’en divers endroits du bâtiment, des vitrines semblent
faire déborder les collections dans la ville, comme les armures de la garde civique.
Sa curiosité éveillée, le promeneur est alors amené à vivre, sans nécessairement s’en
rendre compte, une première expérience muséale. Ce contact avec l’institution, à
la frontière physique entre le dedans et le dehors, est dès lors conçu comme une
invitation à la visite de l’ensemble.
Le deuxième établissement caractéristique des conceptions de l’époque visant
à rapprocher le musée de la ville et de ses habitants est le musée d’Histoire de
Marseille, ouvert au public en 1983. Par sa localisation au sous-sol d’un grand
centre commercial aménagé au cours des années 1970, lui-même situé à l’empla-
cement du port antique de la ville, il constitue un cas extrême de désacralisation
de l’institution muséale classique 460.
Le musée est né de la conjonction de divers éléments : d’abord la découverte for-
tuite en 1967, à l’occasion des travaux de construction du futur Centre Bourse, des
vestiges exceptionnels de la Massalia grecque, entre le Vieux-Port et la Canebière ;
ensuite la décision du ministre des Affaires culturelles de l’époque, André Malraux,
de conserver et de valoriser in situ ces vestiges sur une superficie d’un hectare,
aboutissant à leur classement en 1972 comme monument historique ; et enfin la
ferme volonté des promoteurs immobiliers et du maire Gaston Deferre de mener
néanmoins à bien leur grand projet de requalification de ce quartier du centre-
ville, par l’édification d’un centre commercial et résidentiel. Un espace initialement
prévu pour un centre culturel est alors réservé dans la nouvelle construction, entre
trois étages de magasins en hauteur et trois étages de parking en sous-sol, pour
accueillir un musée consacré au site archéologique. À la suite d’une visite inspi-
rante du tout récent Museum of London par l’équipe de conception de la future ins-
titution marseillaise, le projet évolue rapidement d’un simple musée de site vers
un véritable musée d’histoire urbaine, qui prend le Jardin des vestiges attenant
comme un point de départ pour retracer le récit plus de deux fois millénaire de la
plus ancienne ville de France 461. Contrairement à Londres cependant, l’ambition

460  Entretien avec Laurent Védrine, conservateur et directeur de projet du nouveau musée d’Histoire de
Marseille (4 février 2011). Pilato Dominique, « France : quelques cas controversés », in Museum, vol. 41,
no 164, 1989, p. 215-220, p. 218. Morel-Deledalle Myriame, « Le musée d’Histoire de Marseille, un
projet qui aboutit », in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…,
op. cit., p. 150-155.
461  « Il existait des musées de site en milieu urbain qui sont des musées d’histoire de ville. Parmi les plus
anciens, le musée de Cluny à Paris, parmi les plus récents, à l’époque de la programmation, le Museum of
London. À partir d’un élément de la muraille romaine, conservée in situ, c’est toute l’histoire de la ville de
Londres jusqu’à nos jours qui est racontée par des objets de fouilles, des collections historiques et des recons-
titutions. Ce musée fut un exemple et une référence dans les réflexions pratiques du musée d’Histoire de
Marseille ». Védrine Laurent (dir.), Marseille ville-monde. Réalités et représentations, programme scienti-
fique et culturel du nouveau musée d’Histoire de Marseille, 15 novembre 2010, p. 15.

136
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Le Jardin des vestiges du musée d’Histoire de Marseille, à l’emplacement du port antique de la ville.

marseillaise « d’une continuité historique [qui] couvre l’histoire de la ville de l’An-


tiquité à nos jours 462 » demeure inachevée et parcellaire durant trente ans. Lors de
l’inauguration du musée en 1983, seules les sections dédiées à l’histoire antique
de la ville sont prêtes. Le parcours muséographique est ensuite étendu, dix ans
plus tard, aux périodes médiévale et moderne, mais l’époque contemporaine reste
totalement absente du musée.
Dès le départ, la création d’une institution muséale au sein de cet environnement
particulier, voire unique à notre connaissance, que représente le centre commercial,
est vue comme un atout, une formidable opportunité de démocratisation cultu-
relle. L’établissement abandonne en effet son statut intimidant d’institution élitiste,
éloigné des préoccupations de la population, puisqu’il est directement accessible à
tous, immergé au cœur de la vie quotidienne du quartier et de la ville. Le musée
dispose d’ailleurs d’équipements très complets, comme un auditorium, un atelier
d’éveil pour les enfants, une bibliothèque et une vidéothèque, dont le public est
invité à faire usage gratuitement 463.

462  Musée d’Histoire de Marseille, note d’information, Paris, ministère de la Culture, 1983, p. 2.
463  Morel Myriame, « Le dernier né des musées de Marseille : le musée d’Histoire », in Musées et collec-
tions publiques de France, vol. 162, no 4, 1984, p. 139-144, p. 144.

137
Le musée de ville

L’écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines, près de Paris, est quant à lui créé en 1977,


sous forme associative, moins de dix ans après la création ex nihilo de la ville elle-
même. Dans le cadre d’un projet urbanistique majeur destiné à décongestionner
la capitale, la ville nouvelle de Saint-Quentin est implantée autoritairement par
l’État sur un territoire jusque-là rural, composé de onze communes unanimement
opposées à leur fusion à l’intérieur de cette nouvelle structure 464. Les circonstances
politiques qui président à la fondation de l’écomusée sont donc celles d’un anta-
gonisme profond entre l’organisme aménageur de la ville nouvelle, établissement
public étatique, qui rêve d’une vitrine pour son action, et les élus locaux, soumis
à une intercommunalité non désirée, qui souhaitent pour leur part conserver la
mémoire spécifique de chacune de leurs entités en voie de mutation. L’écomusée
est alors envisagé comme le moyen le plus consensuel pour établir des liens entre
les anciens et les nouveaux habitants et entre les modes de vie rural et urbain 465.
Directement inspiré par l’expérience fondatrice du Creusot, l’écomusée de Saint-
Quentin est l’une des huit premières institutions françaises à être conçues sur ce
modèle. Contrairement cependant à la plupart des écomusées qui accompagnent
le plus souvent le développement des communautés locales dans un contexte de
déclin industriel et de disparition des activités traditionnelles, la mission de celui
de Saint-Quentin se révèle différente. Son objectif est en effet d’aider à la créa-
tion et au renforcement d’une identité urbaine alors en construction, auprès de
« populations en voie d’adaptation 466 », et d’enregistrer l’histoire du lieu en train
de s’écrire. Le cadre d’expérimentation urbaine offert par la ville nouvelle inté-
resse Hugues de Varine, qui participe aux réunions de conception de l’écomusée :
« Un écomusée, en tant qu’expérience novatrice, trouve justement sa place dans une
ville nouvelle offrant un champ d’expériences également vaste. La constitution d’un éco-
musée à Saint-Quentin-en-Yvelines est particulièrement intéressante dans la mesure où
les populations transplantées ont, plus que d’autres, besoin de s’expliquer un territoire
pour s’y sentir à l’aise 467. »
Pendant près de vingt ans, l’institution ne dispose pas d’équipement permanent
pour accueillir du public. Le lien avec la population constitue le cœur de son projet,
et ses activités se concentrent alors en différents lieux – antennes thématiques pro-
visoires réparties sur le territoire de référence, comme des gares, des fermes ou
des écoles – pour monter des petites expositions, prévoir des animations pédago-
giques, lancer une revue annelle d’histoire locale intitulée Miroir, en référence à la
définition de l’institution par George Henri Rivière, proposer des visites guidées
de cette architecture contemporaine en voie de patrimonialisation… Au départ
centré sur le souvenir de la vie cheminote et agricole, l’écomusée élabore à partir

464  Gladieu Jean-Dominique, « Un musée en ville nouvelle et sur la ville nouvelle : pour quoi faire ? », in
Musées et collections publiques de France, vol. 246, no 3, 2005, p. 18-24.
465  Entretien avec Julie Guiyot-Corteville, conservatrice en chef du musée de la Ville de Saint-Quentin-
en-Yvelines (28 janvier 2011).
466  Poulot, Une histoire des musées de France, op. cit., p. 182.
467  De Varine Hugues, Rapport sur l’originalité de l’écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines, 1977, archives
du musée. Cité in Guiyot-Corteville Julie, « L’écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines, acteur ou témoin
de la ville nouvelle », in Ethnologie française, t. XXXVII, Paris, Puf, 2003, p. 69-80, p. 71.

138
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

du milieu des années 1980 une politique d’acquisition de collections relatives à la


ville nouvelle, et plus généralement aux modes de vie contemporains.
Enfin, aux côtés des musées et des écomusées, l’apparition de centres d’interpré-
tation dédiés à la vie urbaine constitue une étape essentielle dans l’introduction
d’équipements culturels représentatifs d’une manière de penser différemment
l’institution muséale :
« Car la démarche ne semble pas commune entre le musée classique et le centre d’in-
terprétation […]. Il y a inversion des approches entre l’un et l’autre, selon que l’un place
son action pour communiquer des collections et des savoirs à des publics, ou que l’autre
cherche à développer une sensibilisation pour inviter les publics à aller à la rencontre
d’un questionnement […] 468. »
Les centres d’interprétation sont des institutions pratiquement dépourvues de col-
lections, la plupart du temps liées à un site ou un territoire, naturel ou non, qu’elles
ont pour mission de déchiffrer, de rendre accessible. Dans le cas des centres d’in-
terprétation consacrés aux villes, leur objectif primordial est de fournir au visiteur
les clés de compréhension de l’espace urbain qui se trouve au dehors et de l’in-
citer ensuite à découvrir par lui-même cet environnement. Usant de slogans tels
que « La ville est le musée ! 469 », ces établissements, dont les premiers représen-
tants sont nord-américains, s’inscrivent donc pleinement dans le prolongement
des expériences de muséalisation de la ville, décrites précédemment à partir de
l’exemple de Colonial Williamsburg. Le Centre d’histoire de Montréal (CHM) est
une parfaite application de cette approche.
Le Centre d’histoire de Montréal est créé en 1983, dans le cadre de l’Entente sur le
Vieux-Montréal et le patrimoine montréalais, contrat passé en 1979 entre le minis-
tère de la Culture du gouvernement du Québec et la ville de Montréal, réguliè-
rement reconduit jusqu’à l’heure actuelle 470. L’Entente est un gigantesque projet
de revalorisation du cœur historique de la ville qui subit alors un grave déclin, en
raison du délestage depuis plusieurs décennies d’une part importante de ses fonc-
tions économiques et résidentielles traditionnelles au profit d’un nouveau centre-
ville plus au nord, le Downtown. Face à l’urgence de redonner vie à ce quartier
riche d’un patrimoine architectural, urbanistique et archéologique unique en
Amérique mais bien peu valorisé, les dirigeants politiques de l’époque investissent
des budgets conséquents pour restaurer les immeubles remarquables, réaména-
ger les espaces publics et encourager les initiatives privées. Par ailleurs, un outil
d’interprétation patrimoniale et historique de cette zone de la ville en train de
renaître est vite considéré comme nécessaire. Une caserne de pompiers du début
du xxe siècle, proche du Vieux-Port, est alors restaurée pour accueillir une telle
structure. La conception muséographique du projet est quant à elle confiée au
château Ramezay, l’un des plus anciens musées de Montréal, siège de la Société

468  Chaumier Serge, « De l’interprétation au Centre d’interprétation », in Chaumier et Jacobi, Exposer
des idées…, op. cit., p. 43-57, p. 47.
469  Collins, « La ville est le musée ! », in Les musées de la ville, op. cit., p. 30-34.
470  25 ans d’Entente, les gestes, les acteurs, les témoins, Montréal, Société de développement de Montréal, 2008
[en ligne], www.vieux.montreal.qc.ca/images/pdf/25_ans.pdf (page consultée le 22/05/2015).

139
Le musée de ville

de numismatique et d’archéologie 471, qui est chargé d’imaginer une exposition


permanente de synthèse sur l’histoire de la ville. Dès 1985, la gestion et le finan-
cement du Centre d’histoire de Montréal sont municipalisés.
Lorsque le CHM ouvre ses portes, l’exposition de référence est un parcours « son
et lumière » dans l’ancienne caserne, avec des images de lieux emblématiques du
Vieux-Montréal projetées sur des décors blancs 472. L’institution est rapidement
confrontée à des difficultés logistiques de gestion des flux, car cet aménagement
multimédia automatisé interdit les visites autonomes et impose un temps fixe
dans chaque section. L’exposition est donc revue au début des années 1990 pour
permettre une circulation libre du public dans le bâtiment. Le concept retenu est
d’ordre immersif, avec une scénographie réaliste reconstituant des éléments archi-
tecturaux de la ville ou des lieux de vie, comme le tramway, une usine ou encore
une cuisine. Les collections conservées par le Centre d’Histoire, essentiellement
des objets de la vie domestique au xxe siècle, sont peu nombreuses et exclusi-
vement utilisées comme support à l’interprétation. Comme dans sa première
mouture, l’aspect ludique de la présentation est privilégié, grâce à la recréation de
différentes ambiances par l’usage de bandes sonores et de décors en trompe-l’œil.
Malgré les modifications apportées à sa muséographie, le CHM reste fidèle à son
engagement d’origine, celui d’être une porte ouverte sur Montréal, « le point de
départ du parcours réel que le visiteur fera dans la ville 473 ». Lors de sa création,
le centre d’interprétation est en effet envisagé comme l’équivalent d’un visitor
centre, passage obligé des touristes à l’entrée des parcs et des sites historiques amé-
ricains dans lequel leur sont fournis tous les éléments de contexte et les informa-
tions utiles à la jouissance de la visite. Par ailleurs, les activités proposées par le
Centre d’Histoire comportent des expositions temporaires sur des thèmes d’ac-
tualité, régulièrement changées, et de nombreux programmes éducatifs sans lien
direct avec ces dernières, adressés en particulier au public scolaire et aux adultes
apprenant le français. La majorité de ces animations se déroulent à l’extérieur du
bâtiment, en divers quartiers de la ville, ce en quoi le centre d’interprétation se
distingue fondamentalement de la majorité des musées, dont les activités restent
la plupart du temps confinées en leur sein.
Le Centre d’histoire de Montréal fait figure de précurseur parmi les établisse-
ments dénués de collections consacrés à la ville. Le phénomène prend rapidement
de l’ampleur durant les années 1980, qui voient la naissance, des deux côtés de
l’Atlantique, de plusieurs institutions du même genre, aux considérations néan-
moins distinctes de celles du CHM. Les exemples du Centre d’Interprétation de
la Vie urbaine (CIVU) de Québec, fondé en 1987, et du Pavillon de l’Arsenal à
Paris l’année suivante, témoignent alors de la variété des approches possibles dans
l’interprétation d’un thème aussi riche et complexe que la ville. Essentiellement
financés par la municipalité qui est à l’origine de leur création, tous deux possèdent
un statut d’association sans but lucratif.

471  Gagnon, « Divertissement et patriotisme », in Revue d’histoire de l’Amérique française, op. cit., p. 332-347.
472  Entretien avec Jean-François Leclerc, directeur du Centre d’histoire de Montréal (5 mai 2010).
473  Collins, in Les musées de la ville, op. cit., p. 30-34, p. 31.

140
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Le Centre d’interprétation de la vie urbaine de Québec propose un parcours dans la ville,


à la découverte in situ du patrimoine québécois.

La particularité du CIVU est de se consacrer presque exclusivement à la mise en


valeur in situ des aspects muséaux du quartier historique du Vieux-Québec, classé
au patrimoine mondial de l’Unesco 474. L’institution définissant sa mission essen-
tielle comme étant l’éveil à l’urbanité, les programmes d’éducation et de sensibili-
sation se font principalement au contact de la ville, véritable musée à ciel ouvert.
Le CIVU propose en particulier à ses visiteurs différentes manières d’expérimenter
physiquement la ville, considérée comme une exposition permanente, la plupart
du temps à l’aide de moyens technologiques de pointe. Les classiques panneaux
d’interprétation installés au départ dans les rues ont donc été progressivement
remplacés par des bornes audio permettant d’obtenir un commentaire, en diffé-
rentes langues, sur l’histoire et l’évolution du monument ou du quartier concerné.
À l’inverse, le Pavillon de l’Arsenal, centre d’information, de documentation et d’expo-
sition d’urbanisme et d’architecture de Paris et de la métropole parisienne, concentre
ses activités à l’intérieur d’un ancien entrepôt de la fin du xixe siècle, acquis par la ville

474  Entretien avec Marie-Dominic Labelle, directrice de la Société du patrimoine urbain de Québec
et du Centre d’interprétation de la vie urbaine de Québec (13 juillet 2010) Labelle Marie-Dominic,
« Éducation et sensibilisation au patrimoine mondial : le cas de la Société du patrimoine urbain de Québec »,
in Moumouni Charles et Simard Cyril (dir.), Journalisme et patrimoine mondial, Québec, Presses de l’uni-
versité Laval, 2007, p. 61-64.

141
Le musée de ville

Le Pavillon de l’Arsenal à Paris, centre d’interprétation de l’urbanisme


et de l’architecture de la ville d’aujourd’hui.

de Paris depuis les années 1950. Ce centre d’interprétation a pour mission de retra-


cer l’évolution de la capitale française, du point de vue urbanistique et architectural,
par le biais d’expositions, de conférences, de publications d’ouvrages, de présenta-
tions de concours d’architecture. Il est surtout en charge d’évoquer le Paris contem-
porain et la ville du futur – sujets absolument étrangers au musée Carnavalet –, dont
il n’aborde cependant que les aspects physiques ou liés à l’aménagement du terri-
toire 475. La population parisienne d’aujourd’hui et des thèmes tels que la diversité
culturelle ne trouvent donc leur place dans aucune de ces deux institutions.
Bien que tous différents, les établissements et projets intégrés dans ce sous-­chapitre
revendiquent chacun un lien étroit avec certaines des caractéristiques du courant
muséologique novateur qui s’épanouit au cours des années 1970 et 1980. Qu’il
s’agisse d’un élément architectural permettant l’ouverture du musée sur la ville et
la création d’échanges entre les deux entités, du choix d’une localisation symbo-
lisant la démocratisation du savoir et de la culture, de l’ambition de prendre une
part active à la construction d’une identité urbaine, ou encore d’un positionnement
citoyen au cœur des quartiers, chacune de ces institutions s’inscrit en effet dans
cette dynamique qui les distingue nettement des musées classiques des générations

475  Entretien avec Ian Jones, secrétaire du Camoc (27 juillet 2011).

142
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

antérieures. Dans le cadre d’une volonté de rupture avec les méthodes tradition-
nelles, le temps des utopies muséologiques est une période au cours de laquelle des
logiques ignorées jusqu’alors ont trouvé des terrains d’expérimentation propices.
Deux avancées remarquables doivent dès lors être soulignées pour cette époque :
d’abord la subordination des collections à un discours sur la ville véritablement
construit par l’exposition, et ensuite l’élargissement des thématiques abordées par
le musée à l’histoire la plus contemporaine.

La diversification des approches,


au cours des vingt-cinq dernières années
Comme s’accordent à le reconnaître de nombreux auteurs, le quart de siècle qui
vient de s’écouler constitue une période de prolongement, voire d’accroissement,
du phénomène de diversification des formes et des techniques muséales, engagé
depuis la révolution muséologique des années 1970. Le sociologue britannique
Gordon Fyfe considère « la croissance des activités muséales parmi les faits sociaux
globaux les plus significatifs de la fin du xxe siècle, avec […] plus des trois quarts
des musées anglais établis après 1970 476 ». Dominique Poulot évoque quant à lui
« le mouvement d’accélération [dans lequel] le patrimoine est largement entraîné,
au seuil du xxie siècle 477 », tandis que pour Yves Bergeron, « on assiste à un essor
sans précédent du tourisme culturel, [dont] bénéficient les musées 478 ». « La diver-
sité des approches, [qui] constitue un élément très visible du paysage muséal
[actuel] 479 », est pour sa part mise en exergue par André Gob. Dans la citation
suivante, François Mairesse exprime enfin comment l’évolution récente des mis-
sions assignées aux musées entraîne la création de nouveaux modes d’organisa-
tion des institutions, mieux adaptés aux besoins de la société :
« Filiales ou organisation indépendantes, les musées continuent de proliférer. […] Une
certaine mutation peut être cependant observée en ce qui concerne le contenu des
catégories les plus classiques (art, science, ethnographie), qui sont partiellement refor-
mulées. Le trait commun à ces transformations résulte sans doute du plus grand rappro-
chement du musée avec le monde actuel et des liens que celui-ci veut tisser avec ses
visiteurs, notamment en ce qui concerne son rôle de médiation entre les publics et les
tendances actuelles de l’art, de la science ou de la société. Il ne s’agit plus de montrer
l’histoire de l’art ou celle de la science, ni les civilisations disparues ou lointaines, mais
de présenter les enjeux actuels auxquels le public se voit confronté. Pour réaliser un tel
projet, de nouvelles formes de musées voient le jour 480. »

476  « […] the growth of museum activity amongst the most significant of global social facts in the late twentieth
century, with […] more than three-quarters of English museums established after 1970. » fyfe Gordon, « Sociology
and the social aspects of the museum », in Macdonald, A companion to museum studies, op. cit., p. 33-49, p. 39.
477  Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 198.
478  Bergeron Yves, « La révolution du réseau des musées québécois », in Perron Michel (dir.), Musées,
vol. 28, Montréal, Société des musées québécois, 2009, p. 14-29, p. 26.
479  Gob, Le musée, une institution dépassée ?, op. cit., p. 37.
480  Mairesse, « Musée », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 271-320, p. 302.

143
Le musée de ville

Au cours des vingt-cinq dernières années, les projets de fondation et de rénova-


tion de musées dédiés aux villes se sont succédé à un rythme particulièrement
soutenu, faisant incontestablement de ce secteur l’un des plus dynamiques du
paysage muséal de ce début de xxie siècle.
Les innovations majeures apportées au traitement muséal du thème de la ville
depuis 1990 environ nous semblent pouvoir être synthétisées en trois points, déve-
loppés successivement. Le premier concerne d’abord une approche nouvelle, celle
du « musée de société », dont l’un des effets essentiels est de permettre une réelle
diversification socioculturelle des catégories d’usagers touchées par les institu-
tions. La deuxième évolution repose sur la recherche par les concepteurs de cer-
tains musées d’une spectacularisation de l’expérience qu’y vivront les visiteurs. Le
dernier élément enfin, déjà esquissé au premier chapitre, est celui de la structuration
progressive, à partir de 1993, de différents réseaux constitués de musées consacrés
aux villes, concomitamment à l’identification dans la littérature muséologique de
la notion de musée de ville pour désigner une catégorie autonome. Nous verrons
que l’idée de réseau peut également s’appliquer aux musées eux-mêmes, dès lors
qu’ils sont conçus comme une connexion entre divers sites ou édifices répartis sur
l’ensemble du territoire urbain.

Des musées témoins de l’homme


et de la société d’aujourd’hui
En juin 1991, un grand colloque intitulé « Musées et sociétés » est organisé à
Mulhouse et Ungersheim, siège de l’Écomusée d’Alsace 481. Il rassemble des repré-
sentants, essentiellement français, de diverses catégories d’institutions (musées
d’histoire, écomusées, musées d’ethnographie ou d’arts et traditions populaires…)
qui, tous, se reconnaissent dans une très large définition commune : ils sont, chacun
à leur manière, « témoins de l’évolution de l’homme et de la société 482 ». C’est au
cours de ce colloque qu’est popularisée la formule « musée de société », par ailleurs
destinée à donner à ces musées, dans le contexte français de l’époque :
« … plus de poids aux yeux de la Direction des musées de France, par rapport aux musées
d’art, en particulier, stigmatisés pour leur classicisme, leur attachement à la collection,
et leur élitisme. Les musées de société se sont rassemblés en réaction à ce “bloc” 483 ».
Le processus d’institutionnalisation de cette appellation est rapide car dès 1992,
l’Association des Écomusées en France, « groupe de pression 484 » fondé trois ans
plus tôt, porteur de revendications et « nourri par une culture d’opposition 485 »,
change officiellement de nom pour devenir la Fédération des écomusées et des
musées de société 486.

481  Barroso et Vaillant, Musées et sociétés, op. cit.


482  Vaillant Emilia, « Les musées de société en France », ibid, p. 16-38, p. 16.
483  Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 91-92.
484  « Réseau (de musées) », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 654.
485  Ces mots, publiés sur le site internet de l’association, sont de Julie Guiyot-Corteville, présidente de la
Fédération depuis 2003. Fédération des écomusées et des musées de société [en ligne], http://www.fems.asso.fr
(page consultée le 18/05/2015).
486  Ibid.

144
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Vingt ans après l’émergence de l’expression, le Dictionnaire encyclopédique de muséo-


logie donne quant à lui une définition très large, non limitée à la France, de cet
ensemble de musées, que certains considèrent comme une approche muséale 487
plutôt que comme une catégorie à proprement parler :
« Le nom de “musée de société” est conçu comme rassembleur, cherchant à regrouper
une mouvance qui partage des valeurs et des façons de faire plutôt qu’un sujet particu-
lier, mettant davantage en avant la volonté de produire des expositions de discours. Dans
celui-ci, la société occupe un centre qui relègue l’objet dans une position plus ou moins
seconde, où les sujets sont abordés dans une logique transversale et anthropologique,
intégrant les publics au cœur même de leurs actions. Soucieux d’articuler le local et le
global, la société en son ensemble et les communautés (en se gardant du communauta-
risme), la société et l’humanité dans une vision planétaire, ces musées contribuent à inven-
ter les formes qui correspondent au mieux à la société d’aujourd’hui et de demain 488. »
La filiation entre nouvelle muséologie et musée de société est évidente. Il n’est
donc guère étonnant que l’évolution au cours des dernières années de plusieurs
des institutions décrites dans la première partie de ce chapitre, notamment celles
de Londres, Montréal ou Saint-Quentin-en-Yvelines, se traduise par une forme
d’engagement dans cette voie citoyenne et sociétale.
Dès 1982, en réaction à des menaces de fermeture des activités portuaires dans la
capitale britannique, le conseil d’administration du Museum of London propose la
formation d’une antenne qui serait située dans la zone des docks. Le Museum in
Docklands aurait pour mission d’évoquer le rôle historique joué par la Tamise dans
le développement de Londres en tant que centre mondial de l’industrie et du com-
merce 489. Une petite équipe de conservateurs est alors engagée pour collecter des
artefacts relatifs au port, procéder à une campagne photographique des anciens
docks et initier un programme d’histoire orale destiné à enregistrer la mémoire de
ceux qui y ont vécu et travaillé 490. Rapidement compromis dans les années 1980
en raison de l’extension vers l’est des quartiers d’affaires de la City, synonyme d’un
soudain renchérissement des prix de l’immobilier, le projet est néanmoins main-
tenu. Installé depuis 2003 dans un grand entrepôt du début du xixe siècle réaf-
fecté, le Museum of London Docklands expose des collections provenant en partie
de sa maison mère, qui retracent la chronologie des relations entre les habitants,
la ville et le fleuve depuis l’époque romaine jusqu’à l’actualité la plus récente. Le
phénomène de l’esclavage et du « commerce triangulaire », auquel Londres a pris
une part active à partir du xviie siècle, est le sujet d’une des sections centrales du
musée, ouverte en 2007. La question de la diaspora africaine, ancienne comme
actuelle, en Grande-Bretagne, et plus particulièrement à Londres, est notamment
posée dans cette section de l’exposition.

487  Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 49-50.


488  « Musée de société », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 628.
489  Sheppard, The treasury of London’s past, op. cit., p. 180.
490  Werner Alex, « Icons for the future », in Gervereau Laurent (dir.), Quelles perspectives pour les musées
d’histoire en Europe, Paris, Association internationale des musées d’histoire, 1997, p. 63-66.

145
Le musée de ville

La section de l’exposition permanente du Museum of London Docklands consacrée à l’esclavage.

Aujourd’hui, le Museum of London est une institution fortement engagée en faveur


du dialogue avec les nombreuses communautés immigrées qui font de Londres
l’une des cités les plus cosmopolites du monde. La diversité culturelle est pour-
tant une thématique très peu explorée jusqu’au début des années 1990 491. À cette
époque, le musée procède à des enquêtes qui font le constat d’une non-corres-
pondance entre le profil de son public et celui de l’ensemble des habitants de la
ville : un cinquième des Londoniens déclare appartenir à une minorité ethnique,
alors que ces derniers ne constituent que 4 % du total des visiteurs 492. Des sec-
teurs entiers de la population ne se rendent jamais au musée, institution où ils ne
trouvent pas de trace de leur propre vécu. En 1993-1994, un projet majeur d’ex-
position, intitulé Le peuplement de Londres : 15 000 ans d’implantation étrangère, est
alors entrepris, dans lequel l’histoire de la ville depuis ses origines est revisitée sous
l’angle des apports positifs de l’immigration 493. Parmi les initiatives lancées figure
l’organisation d’une exposition itinérante, The Museum on the move, installée suc-
cessivement dans divers quartiers populaires, afin de sensibiliser les membres des

491  Entretien avec Cathy Ross, Director of Collections and Learning du Museum of London (10 septembre 2010).
492  Merriman Nick, « L’histoire cachée : le projet “Peuplement de Londres” », in Les musées de la ville,
op. cit., p. 12-16, p. 12.
493  Merriman Nick, « Les stratégies de conquête des publics des musées anglais », in Joly et Compère-
Morel, Des musées d’histoire pour l’avenir, op. cit, p. 151-159, p. 157.

146
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

communautés au projet. Soixante-cinq personnes sont interrogées à cette occasion


sur leurs expériences d’immigré, tandis que des représentants de treize groupes eth-
niques – Africains, Antillais, Espagnols, Irlandais, Chypriotes… – participent à la
conception de l’exposition et de la publication qui l’accompagne. Au moment de
la tenue de l’exposition, les communautés ont surtout été sollicitées pour présen-
ter, sous la forme de Focus Weeks, diverses animations de leur choix, représentatives
de leur culture, de leur histoire et de leur mode de vie à Londres. En dehors de
toute intervention du personnel du musée, les différents groupes ont pu y mettre
en scène leurs propres moyens d’expression : représentations théâtrales, dégusta-
tions culinaires, défilés de mode ou encore conférences et débats. Ces activités,
basées sur l’incitation à la participation des visiteurs, ont permis une diversifica-
tion du public jamais observée jusque-là, puisque 20 % d’entre eux appartenaient
à une minorité ethnique.
Malgré le succès évident du projet, les responsables du musée en ont néanmoins
pointé deux éléments négatifs, à l’heure du bilan : l’usage trop marqué de sté-
réotypes et la réticence à aborder les aspects les moins positifs de l’immigration,
comme le racisme ou le communautarisme. Presque vingt ans plus tard, ces réserves
émises au sujet de la difficulté d’un véritable travail muséal de proximité avec les
communautés locales conservent d’ailleurs toute leur pertinence :
« Pour certains, l’appartenance à une communauté n’a pas été une expérience positive,
et mettre l’accent sur l’attachement, la promotion ou le rappel de celle-ci est déplacée.
[…] La représentation des histoires communautaires, comme la création de toute his-
toire, doit être réalisée avec mesure puisque souvent, les nouvelles voix seront aussi par-
tielles que les anciennes 494. »
Depuis de nombreuses années déjà, le Museum of London tente d’impliquer la
population, y compris les Londoniens d’adoption, dans sa politique de collecte
du contemporain. En témoigne par exemple le projet Collecting 2000, conçu pour
célébrer la diversité londonienne au tournant du millénaire 495. Environ mille
groupes, clubs, sociétés et organisations actifs dans tous les domaines ont été sol-
licités en vue de sélectionner et d’offrir au musée un artefact – objet, image ou
enregistrement – qui, selon eux, résume leur identité et les raisons qui poussent
leurs membres à s’investir. L’objectif du musée n’était pas dans ce cas de rassem-
bler des pièces rares, historiques ou précieuses, mais plutôt des éléments porteurs
de sens aux yeux de chacun de ces groupes. Des francs-maçons aux scouts et des
prostituées à la communauté bengalie, 200 associations ont répondu à cette invi-
tation, contribuant par leur participation à la création d’une collection bigarrée,
symbole du dynamisme de la capitale britannique au moment de son entrée dans
le xxie siècle.

494 « For some, community has not been a positive experience and the emphasis on cherishing, fostering, or recal-
ling it is misplaced. […] The representation of community histories, just like the creation of any history, must be
measured, as new voices will often be just as partial as the old. » Crooke Elizabeth, « Museums and commu-
nity », in Macdonald, A companion to museum studies, op. cit., p. 170-185, p. 183-184.
495  Reynolds Rachel, Collecting 2000, Londres, Museum of London, 2000.

147
Le musée de ville

Particulièrement sensible à Londres 496, le thème de l’intégration des immigrants


et du brassage des populations sur un territoire partagé se pose dans toutes les
métropoles mondiales. Depuis une quinzaine d’années, le Centre d’histoire de
Montréal se distingue par l’importance qu’a progressivement acquise cette ques-
tion parmi ses activités. Si les années 2000 correspondent à une seconde refonte
de l’exposition permanente par rapport à celles décrites précédemment 497, cette
période marque surtout le développement d’une approche nouvelle, sous l’im-
pulsion de l’actuel directeur du CHM, Jean-François Leclerc. Celle-ci se veut
« plus communautaire et sociale, centrée sur la mémoire et sur les communautés
de citoyens qui composent la ville 498 », et succède à la politique plutôt patrimo-
niale et urbanistique des débuts de l’institution.
Ce repositionnement dans les missions du Centre d’histoire de Montréal s’est en
fait révélé indispensable en raison de l’apparition soudaine, à partir des années 1990,
d’une concurrence muséale locale jusque-là absente, dont il nous faut dire un
mot. Depuis 1992, un prestigieux et très populaire musée, inauguré à l’occasion
du 350e anniversaire de Montréal, est en effet édifié juste à côté du CHM, sur les
lieux mêmes de la fondation de la ville 499. Le musée de Pointe-à-Callière, financé
lui aussi par la municipalité mais disposant d’un statut d’institution privée et de
budgets beaucoup plus conséquents que ceux du CHM, est bien plus qu’un simple
musée de site archéologique enfoui sous la dalle de béton de la place Royale. Son
mission statement est en effet formulé comme suit :
« Pointe-à-Callière, musée d’Archéologie et d’Histoire de Montréal, s’est donné pour double
mission de conserver et mettre en valeur le patrimoine archéologique et historique de
Montréal et faire connaître et aimer le Montréal d’hier et d’aujourd’hui afin de contribuer
à ce que chacun puisse participer plus activement au présent et au futur de la ville 500. »
À partir de vestiges échelonnés du xvie au xixe siècle, ce nouveau musée tient en
réalité un discours global sur l’histoire de la ville jusqu’au temps présent et sur
la vie de ses habitants. Cette large couverture chronologique est rendue possible
grâce à Signé Montréal, un spectacle multimédia introductif à la visite de dix-huit
minutes, qui retrace l’évolution de la ville depuis l’occupation amérindienne 501, et
par l’aménagement dans un ancien bâtiment de douane accolé au site d’une salle

496  Bailoni Mark et Papin Delphine, « Londres mondiale et communautariste », in Denis Jean-Pierre
et Pourquery Didier (éd.), L’Atlas des villes, 5 000 ans d’histoire, Le Monde/La Vie Hors-série, Paris,
2013, p. 66-67.
497  Toujours visible aujourd’hui, ce nouveau parcours permanent est organisé en cinq espaces chronolo-
giques successifs qui mettent en évidence les traces visibles laissées dans la ville par chaque époque, depuis
le xvie jusqu’au xxie siècle. Lefebvre Josée, Centre d’histoire de Montréal, une histoire vivante. Guide de visite,
Montréal, Centre d’histoire de Montréal, 2004.
498  Montpetit Raymond et Bergeron Yves, Centre d’histoire de Montréal : diagnostic et plan de déve-
loppement, Montréal, 2010, p. 8.
499  Entretien avec Sylvie Dufresne, directrice des expositions honoraire à Pointe-à-Callière, musée d’Ar-
chéologie et d’Histoire de Montréal (4 mai 2010).
500  Demers Clément (éd.), Pointe-à-Callière, musée d’Archéologie et d’Histoire de Montréal, Rapport de
projet, Montréal, Société immobilière du patrimoine architectural de Montréal, 1993, p. 9.
501  Dufresne Sylvie, « Pointe-à Callière, une muséographie multimédia : la relation objet – support –
espace – animation », in Les muséographies multimédias : métamorphose du musée, 62e Congrès de l’ACFAS,
Québec, musée de la Civilisation, 1995, p. 53-59.

148
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Centre d’histoire de Montréal : couloir central de l’exposition permanente.

d’exposition permanente consacrée à des thématiques contemporaines (les objets


familiers d’abord, remplacés après quelques années par les relations amoureuses
dans une ville culturellement mixte) 502.

502  Depuis 2013, cet espace accueille une exposition immersive permanente destinée aux enfants et aux
familles, intitulée Pirates ou corsaires ?.

149
Le musée de ville

Pointe-à-Callière, bâti à l’emplacement du site de fondation de Montréal en 1642.

Par ailleurs, la situation se complexifie encore pour le CHM lorsqu’en 1998, le


musée McCord, institution privée du centre-ville fondée en 1921 par un repré-
sentant de la bourgeoisie anglophone de Montréal 503, procède à la révision de son
exposition permanente, désormais intitulée Simplement Montréal. Ce nouveau par-
cours, qui s’appuie sur les très riches collections du musée, datant principalement
du xixe siècle, n’est pas à strictement parler historique. Organisé autour de quatre
thèmes – Hiverner, S’amuser, Prospérer et Se rencontrer –, il propose néanmoins
divers coups d’œil sur la ville de Montréal à plusieurs époques 504. En 2011, l’ex-
position est à nouveau réaménagée pour faire place à Montréal – Points de vue qui,
dans le même esprit que la précédente, présente dix facettes de l’histoire de la ville,
depuis les premières occupations amérindiennes jusqu’aux gratte-ciel caractéris-
tiques de l’actuel Downtown.
Au début des années 2000, trois musées différents – voire quatre ou cinq si l’on tient
compte du château Ramezay, spécialisé dans l’histoire locale du xviiie siècle 505, et

503  Young Brian, Le McCord, l’histoire d’un musée universitaire, Montréal, Cahiers du Québec, coll. « Histoire
de l’éducation », 2001.
504  Entretien avec Nicole Vallières, directrice des collections, de la recherche et des programmes du musée
McCord d’Histoire canadienne (19 mai 2010).
505  Entretien avec André Delisle, directeur du musée du château Ramezay, Montréal (8 mai 2010).

150
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

de l’écomusée du Fier-Monde, musée consacré depuis 1980 à la mémoire indus-


trielle et ouvrière du quartier populaire du Centre-Sud – présentent chacun leur
propre version de l’histoire de Montréal, créant de la sorte un climat concurrentiel
sans comparaison dans le domaine des musées consacrés aux villes : le CHM avec
son approche interprétative, en lien avec la ville réelle, Pointe-à-Callière sur un
mode archéologique et multimédia et le musée McCord par touches thématiques
à partir d’objets de collection. Ce contexte particulier de répartition non concertée
d’un sujet globalement identique entre plusieurs institutions explique les difficul-
tés du public à percevoir l’identité distincte du Centre d’histoire de Montréal, la
plus modeste d’entre elles en termes d’infrastructure d’accueil, de personnel et de
budget. Ce dernier décide dès lors d’affirmer une vision stratégique plus axée sur
la citoyenneté, qui lui permet de se démarquer du positionnement plutôt touris-
tique de musées tels que Pointe-à-Callière ou le McCord.
Dans cette optique, le CHM initie en 2004 une antenne montréalaise du musée de
la Personne, institution née en 1991 à São Paulo, dont l’ambition est de « garantir
à tous et chacun d’avoir son histoire de vie préservée 506 ». Inscrite dans le mouve-
ment international de la muséologie communautaire 507, cette initiative se traduit
par l’organisation de « Cliniques de mémoire » au cours desquelles est récoltée de
la mémoire vivante, matérielle et immatérielle, au travers de témoignages, d’ob-
jets et de photographies. Ces opérations sont souvent préludes à des expositions
temporaires ou d’autres activités de diffusion consacrées à des communautés, des
associations ou des quartiers. Plus récemment encore, le CHM a développé une
mission d’expertise muséologique pour des groupes de citoyens ou des administra-
tions (arrondissements, bibliothèques publiques…) souhaitant promouvoir locale-
ment des aspects de leur histoire ou de leur patrimoine. Des projets d’expositions,
de conférences, de commémorations sont alors gérés conjointement par les orga-
nismes demandeurs et les équipes du Centre d’Histoire, ces dernières fournissant
un travail d’accompagnement et de conseil. Cette nouvelle orientation de l’insti-
tution, axée prioritairement sur les besoins de la population montréalaise, entraîne
un changement d’implantation du CHM à l’horizon 2017. Celui-ci devrait en
effet quitter son ancienne caserne dans le quartier touristique du Vieux-Montréal
pour une relocalisation en un lieu central de la ville, plus proche des habitants,
facilement accessible et mieux adapté aux normes muséales actuelles.
Du côté de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, c’est seulement
depuis 1995, date de l’intégration de la structure de l’écomusée dans l’organi-
gramme municipal, que l’établissement, fondé près de vingt ans plus tôt, dispose de
locaux permanents pour les expositions et les animations. Rapidement, le constat
est établi par ses dirigeants que le terme « écomusée » ne signifie pas grand-chose
auprès des visiteurs et qu’il tend à brouiller leur perception de la nature de l’insti-
tution. Afin de pallier ces décalages de communication avec son public, cette der-
nière change de dénomination en 2000, pour un plus classique musée de la Ville
de Saint-Quentin-en-Yvelines, que sa directrice de l’époque définit en ces termes :

506  Montpetit et Bergeron, Centre d’histoire de Montréal…, op. cit., p. 33.


507  « Le principe communautaire à travers le monde », in Chaumier, « Société », in Desvallées et
Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 543-558, p. 555-556.

151
Le musée de ville

« À la fois musée d’histoire, à la fois musée d’architecture, à la fois musée de société, je le
vois surtout comme un laboratoire de musée de ville. Il tente sur chaque thème traité de
confronter le discours des acteurs, élus, urbanistes, architectes, habitants pour construire une
analyse critique, mais compréhensive, de la façon dont se fait, se défait et se refait la ville 508. »
Le musée est désormais confronté au défi du changement de statut de la ville
qui, quarante ans après sa création, n’est plus tout à fait nouvelle 509 mais semble
par contre, à l’instar de ses consœurs franciliennes, « avoir échoué à se forger une
identité forte. Dans l’imaginaire collectif, la plupart des anciennes villes nouvelles
demeurent des entités un peu floues 510 ». Tandis que le musée clame le maintien
de son attachement à la philosophie écomuséale qui l’a vu naître, il s’est adapté
à l’évolution au cours du temps des besoins d’ancrage identitaire de sa popula-
tion. Les habitants sont systématiquement impliqués, principalement par le biais
de collectes de témoignages et de prêts d’objets personnels, dans tous les projets
d’exposition mis en place – sur l’habitat à Saint-Quentin, les photos de famille
ou encore les modes de vie au xxe siècle 511.
À partir de l’extrême fin des années 1980 et plus encore durant la décennie sui-
vante, la logique qui préside à la définition du musée de société est dans l’air du
temps. À cette époque, les musées nouvellement créés, en Europe comme ailleurs,
de toutes tailles et catégories, sont nombreux à s’inscrire dans ce mouvement qui
place l’humain plutôt que la collection au centre des préoccupations.
Dans le domaine de l’exposition de la ville, il s’agit par exemple d’institutions aux
thématiques spécialisées, qui n’en abordent qu’un aspect particulier, comme The
People’s Story à Édimbourg, ouvert en 1989, consacré au récit depuis le xviiie siècle
de la vie quotidienne des classes populaires dans la ville 512, ou encore, trois ans
plus tard, le Lower East Side Tenement Museum de New York 513. Cet établissement,
membre de la Coalition internationale des Sites de Conscience 514, est installé au
cœur d’un quartier pauvre de la ville, porte d’entrée traditionnelle des immigrants

508  Guiyot-Corteville, « Musées de ville en France », in Musée et ville, op. cit., p. 19-22, p. 22.
509  En 2006, la ville se voit attribuer par le ministère de la Culture et de la Communication le prestigieux
label de Ville d’art et d’histoire, qui correspond à l’aboutissement institutionnel du processus de légitimation
patrimoniale engagé depuis une génération par ses concepteurs. Par ailleurs, cette labellisation impose aux
collectivités la création d’un Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (CIAP), salle d’ex-
position permanente qui présente l’évolution urbaine de la ville, son patrimoine et son histoire. Le CIAP
de Saint-Quentin est intégré au musée de la Ville. Gasc Cécile et Jacobi Daniel, « Les Centres d’interpré-
tation de l’architecture et du patrimoine », in Chaumier et Jacobi, Exposer des idées…, op. cit., p. 145-157.
Guiyot-Corteville Julie, « Les missions du musée, entre contemplation et éducation », in Muséologies, les
cahiers d’études supérieures, vol. 3, no 2, Montréal, Institut du patrimoine, 2009, p. 48-63, p. 52.
510  Albert Marie-Douce, « Les villes nouvelles ont-elles bien vieilli ? », in Denis et Pourquery, L’Atlas
des villes, op. cit., p. 140-141.
511  Habiter à Saint-Quentin-en-Yvelines, entre utopie et tradition (2002), Photos de famille, toute une his-
toire… (2007), Vous avez de beaux restes ! Objets et modes de vie du xxe siècle (2008).
512  Ross, « Collections and collecting », in Kavanagh et Frostick, Making city…, op. cit., p. 114-132, p. 124.
513  Sheinman Mort (ed.), A tenement story, The history of 97 Orchard Street and the Lower East Side Tenement
museum, New York, Lower East Side Tenement Museum, 2008. Russel-Ciardi Maggie, « Éducation in
situ en environnement urbain », in Vinson et Macdonald, Vie urbaine et musées, op. cit., p. 75-82.
514  La Coalition internationale des sites de conscience est un réseau créé en 1999 de musées, lieux histo-
riques et mémoriaux consacrés à l’interprétation des luttes sociales du passé et à leur héritage contempo-
rain. Il rassemble des institutions telles que le musée du Goulag à Moscou, la Maison des esclaves à Gorée
ou encore Memoria Abierta, l’alliance des organisations argentines des droits de l’homme. Coalition inter-
nationale des sites de conscience [en ligne], http://www.sitesofconscience.org (page consultée le18/05/2015).

152
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Le Lower East Side Tenement Museum raconte l’histoire et recrée les conditions de vie des habitants
du 97 Orchard Street à New York, entre 1864 et 1932.

aux États-Unis, dans un immeuble résidentiel de quatre étages qui, entre 1864 et


1932, date de sa fermeture, a hébergé environ 7 000 résidents de vingt nationalités 515.
À la fin des années 1980, le bâtiment est acheté par les fondateurs du musée qui
veulent y raconter l’histoire des personnes qui y ont vécu. Après d’intenses recherches
archéologiques et dans les archives, les appartements de cinq familles – les Moore,

515  Lindell Henrik, « New York, la ville-monde par excellence », in Denis et Pourquery, L’Atlas des
villes, op. cit., p. 98-99.

153
Le musée de ville

les Rogarshevsky, les Baldizzi… – ayant effectivement occupé les lieux à des périodes
différentes sont fidèlement reconstitués à leur emplacement d’origine, chacun à un
étage de l’immeuble. Le public y accède au cours de visites guidées thématiques qui
tournent autour des problèmes sociaux vécus à l’époque par les populations immi-
grées (les conditions d’hygiène et de travail, l’éducation, les traditions religieuses…).
Mais il se trouve également de tels modèles parmi la dernière génération de musées
« généralistes », au sein desquels se détache nettement la figure du musée d’His-
toire de la ville de Luxembourg. Inauguré en juin 1996 dans un complexe rénové
de quatre bâtiments anciens construits à flanc de colline, à deux pas du centre poli-
tique et touristique de la capitale du grand-duché, cet établissement revendique en
effet avec conviction son engagement envers une dynamique de type sociétale 516.
« Le musée d’Histoire de la ville de Luxembourg n’est comparable à aucun autre musée
d’histoire. En effet, sa création a été motivée, non par le besoin d’accueillir des collec-
tions existantes, mais afin de tenir un discours historique qui manquait 517. »
Ces mots sont ceux de Danièle Wagener, directrice du musée, engagée depuis 1986
dans le montage du projet, à la suite de la décision du conseil communal de
Luxembourg de « créer un musée d’histoire, afin de combler une importante lacune
dans l’ensemble des services offerts par la ville à ses habitants : celle de retracer
l’histoire deux fois millénaire du territoire de la capitale et de décrire l’évolution
au cours des siècles des conditions de vie des habitants 518 ».
Contrairement à la plupart des situations exposées dans cet ouvrage, aucune col-
lection municipale préexistante ne justifie l’implantation de la nouvelle institu-
tion muséale. Celle-ci résulte uniquement d’une volonté politique de créer un outil
culturel de prestige pour la ville, dans le dessein de lui octroyer une meilleure visi-
bilité internationale 519. Elle s’inscrit par ailleurs rapidement dans la programma-
tion mise en place à l’occasion de l’obtention par Luxembourg du titre de Capitale
européenne de la culture, pour l’année 1995.
Une équipe de chercheurs est dès lors rassemblée afin d’élaborer le concept et
le discours du futur musée, la constitution des collections étant subordonnée à
cette première étape cruciale. Le travail de restauration de l’édifice, situé entre la
ville haute et la ville basse, est quant à lui mené en parallèle. Le projet architec-
tural retenu pour le musée est celui d’un passage vertical entre les deux parties
de la ville, résumant symboliquement l’histoire de l’édification de Luxembourg,
depuis le rocher sur lequel la ville est posée jusqu’aux bâtiments en surface, des
xviie, xviiie et xixe siècles, en passant par les caves voûtées d’époque médiévale.
Ce voyage dans le temps est rendu particulièrement perceptible grâce à l’installa-
tion d’un ascenseur panoramique unique, véritable salle mobile entièrement vitrée
– prévue pour accueillir 60 personnes ! –, qui effectue une coupe stratigraphique
dans l’histoire du bâtiment et de la ville.

516  Entretien avec Danièle Wagener, directrice du musée d’Histoire de la ville de Luxembourg (11 février
2010).
517  Comment travaillent-ils ?, interview de Danièle Wagener, in La lettre des musées et des expositions,
no 56, Paris, mai 1993, p. 1-2, p. 2.
518  Musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, dossier de présentation définitif du projet, novembre 1992, p. 3.
519  Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 176.

154
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

La façade vitrée du musée d’Histoire de la ville de Luxembourg.

En 1996, la première exposition permanente est constituée d’un nombre peu


important de pièces acquises, données ou prêtées, entre autres par le musée natio-
nal d’Histoire et d’Art tout proche. Deux thèmes principaux y sont présentés,
de manière séparée : d’une part, sur les trois étages en souterrain, l’histoire de la
construction de la ville et son évolution matérielle depuis le xe siècle, rythmées
par une série de six grandes maquettes urbaines, d’environ 8m2 chacune, mon-
trant son état à différentes époques ; et d’autre part, aux niveaux en surface, l’his-
toire sociale de Luxembourg au cours des xixe et xxe siècles 520.
À peine dix ans plus tard, le musée repense sa scénographie et réorganise ses col-
lections 521, notamment en raison de la reprise de plusieurs pièces présentées dans
l’exposition par les institutions prêteuses 522. La nouvelle exposition permanente,

520  Würth-Polfer Lydie (préf.), Musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, Luxembourg, musée d’His-
toire de la ville de Luxembourg, 1996, p. 26-30.
521  Thewes Guy, Luxembourg, une ville s’expose, Luxembourg, musée d’Histoire de la ville de Luxembourg,
2008. Jungblut Marie-Paule, « Les Luxembourgeois sont-ils tous riches et heureux ? La place du contem-
porain au musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg », in Battesti Jacques (éd.), Que reste-t-il du présent ?
Collecter le contemporain dans les musées de société, Bordeaux et Bayonne, Le festin et Musée basque et de
l’histoire de Bayonne, 2012, p. 198-203.
522  Jungblut Marie-Paule et Desnoux Pascale, « Objets de communication, objets d’interrogation », in
Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 140-147, p. 114.

155
Le musée de ville

intitulée Luxembourg, une ville s’expose et condensée sur les trois niveaux en sous-
sol, est divisée en deux parties distinctes : le niveau 0 est consacré à l’histoire de
Luxembourg, des origines à 1839, selon un point de vue chronologique, tandis
que les deux autres étages, pour les xixe et xxe siècles, sont organisés de manière
thématique, abordant les problématiques du pouvoir (la vie politique, les lois…),
de l’Europe (la neutralité, les identités, les guerres…), du mouvement (les activités
économiques et la mobilité), du confort (les infrastructures, les sans-abri et les mar-
ginaux…) et de l’environnement (les espaces verts, le développement durable…).
Les trois étages supérieurs du musée, libérés, sont dès lors dédiés aux exposi-
tions temporaires, qui disposent désormais d’un espace plus important que la
plupart des musées d’histoire de ville pour se déployer. Si au cours des dix pre-
mières années d’existence du musée, les expositions temporaires étaient princi-
palement consacrées à des thèmes historiques 523, celles réalisées depuis abordent
essentiellement des sujets de société contemporains, qui débordent souvent du
cadre strict de l’histoire urbaine locale : la spoliation des biens des juifs luxem-
bourgeois au cours de la Seconde Guerre mondiale (2005), les Tziganes (2007),
le scoutisme (2008), la foi (2009), le crime (2010), la pauvreté (2011), la construc-
tion européenne (2012)… Par leur scénographie originale et le ton interpellant,
souvent décalé, de leur discours, ces expositions invitent régulièrement le visiteur
à se questionner lui-même et à prendre position : pourquoi (ou pour quoi) seriez-
vous prêt à tuer ? ; vous sentez-vous riche ou pauvre ? ; quel type de croyant êtes-
vous ? Les expositions innovantes proposées par le musée d’Histoire de la ville de
Luxembourg ne sont donc pas sans rappeler les expériences pionnières menées
à partir de 1980 au musée d’Ethnographie de Neuchâtel par Jacques Hainard,
inventeur de la notion de « muséologie de la rupture 524 ».
Cette évolution récente des thématiques explorées au sein du musée témoigne
d’une réorientation de l’institution en tant que « lieu de débat social et politique,
un forum de discussions. […] Une exposition dont le visiteur sort indifférent
ou confirmé dans ses préjugés n’a pas rempli son objectif 525 ». Bien entendu, les
Luxembourgeois ne sont pas les seuls à afficher un tel positionnement, qui corres-
pond à l’un des critères de la définition restrictive du musée de ville. Parmi les ins-
titutions évoquées précédemment, c’est notamment le cas de l’Historisches Museum
Frankfurt. Au début du xxie siècle, le projet du musée comme lieu d’apprentissage
est en effet revu, afin de l’adapter aux évolutions muséologiques récentes. Le bâti-
ment principal conçu en 1972, rapidement dépassé d’un point de vue esthétique
et majoritairement rejeté par les habitants en raison du contraste trop marqué
qu’il affiche avec les monuments anciens qui l’entourent, est alors démoli, bien
qu’il ne soit vieux que de quarante ans. Il sera remplacé, à partir de 2016, par un

523  Mersch Corina (dir.), Luxembourg, les Luxembourgeois, Consensus et passions bridées, Luxembourg,
musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 2001, p. 8.
524  Gonseth Marc-Olivier, Hainard Jacques et Kaehr Roland (dir.), Cent ans d’ethnographie sur la
colline de Saint-Nicolas (1904-2004), Neuchâtel, musée d’Ethnographie, 2005. Desvallées, Schärer et
Drouguet, « Exposition », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 136-173, p. 148.
525  Jungblut et Desnoux, in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire
les musées…, op. cit., p. 114.

156
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Au musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, pendant l’exposition sur la foi, les visiteurs doivent choisir
entre l’entrée réservée aux croyants et l’entrée réservée aux non-croyants.

nouvel édifice considéré comme plus respectueux de son environnement immé-


diat, destiné à accueillir un forum/laboratoire 526 pour la ville :
« Il deviendra un centre d’information, de réflexion et de discussion sur Francfort. […]
Le musée adoptera une nouvelle orientation participative qui considère sérieusement
la richesse de l’expérience et des connaissances de ses visiteurs et s’en sert comme un
élément constitutif 527. »

Une expérience de visite spectaculaire


Selon François Mairesse, le spectaculaire muséal a succédé aux mouvements uto-
piques des années 1970 et 1980 comme courant dominant du paysage actuel 528.

526  Gerchow Jan, « The Historisches Museum Frankfurt : from place of learning to Forum for the
city », communication orale présentée au colloque City museums : collisions/connections, Camoc, Vancouver,
26 octobre 2012.
527 « It will become a centre of information, reflection and discussion about Frankfurt. […] The museum will
adopt a new participatory orientation which takes the wealth of its visitors’ experience and knowledge seriously and
makes use of it as an integral element. » Historisches Museum Frankfurt [en ligne], http://www.historisches-
museum.frankfurt.de/index.php?article_id=28 & clang=1 (page consultée le 18/05/2015).
528  Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., chap. V, p. 129-138.

157
Le musée de ville

Il s’impose cependant moins par le nombre de réalisations calquées sur ce modèle,


finalement restreint, que par l’attention que réussissent à drainer autour d’eux ces
quelques « musées superstars ». Les ingrédients de cette recette sont connus : le
musée spectaculaire dispose d’une image visuelle forte, assimilée à la signature
d’un architecte de renommée internationale ; ses méthodes de gestion, orientées
vers la performance, sont dictées par les techniques de marketing ; ses activités
sont essentiellement centrées sur l’événementiel et l’éphémère, tandis que l’expo-
sition temporaire – idéalement de type blockbuster – prend le pas sur la recherche
et la permanence caractéristiques du musée classique ; enfin, l’institution se veut
avant tout ludique, porteuse d’un discours politiquement correct, parfois au détri-
ment de sa mission éducative.
En raison du sujet spécialisé qu’ils traitent, qui limite de facto leur public poten-
tiel, les musées consacrés aux villes et à leur histoire n’ont pas réellement la possi-
bilité d’entrer dans une course effrénée à la fréquentation avec d’autres catégories
d’institutions présentes sur le même territoire. Ils sont par conséquent nettement
moins concernés par le phénomène de spectacularisation que les grands musées
d’art, d’art contemporain ou centres de science 529. Par touches plus ou moins dis-
crètes, certains établissements, surtout parmi les plus récemment créés ou rénovés,
empruntent néanmoins ponctuellement au vocabulaire du spectaculaire muséal
– dans les aménagements architecturaux et scénographiques, mais aussi l’usage des
nouvelles technologies –, avec en ligne de mire l’intention de rendre l’expérience
personnelle vécue par chaque visiteur la plus mémorable possible.
Ainsi, des créations architecturales récentes comme celles du Museum of Liverpool et
du Museum aan de Stroom d’Anvers (MAS – musée sur le fleuve), tous deux inaugu-
rés en 2011 dans des zones portuaires, respectivement au bord de la Mersey par le
bureau danois 3XN et de l’Escaut par les néerlandais Neutelings et Riedijk, reven-
diquent ostensiblement un statut de signal urbain. Par leur contemporanéité, ces
édifices sont destinés à marquer durablement le paysage de la ville. Au même titre
que le vénérable clocher de la cathédrale Notre-Dame d’Anvers, la tour en esca-
lier du MAS – surmontée au dixième étage d’une terrasse accessible gratuitement,
avec vue panoramique à 360° sur la ville et le port – est définie par les concepteurs
du musée comme une « balise culturelle dans le skyline d’Anvers 530 », ou encore
« […] un bâtiment de musée nouvellement construit qui répond non seulement
aux exigences les plus pointues de la muséologie, mais qui peut aussi être considéré
comme un jalon dans l’architecture des musées 531 ». À cet égard, il nous semble
significatif que le MAS n’ait pas été « marketé » en tant que musée uniquement
consacré à l’histoire de la ville. Bien qu’il soit doté du slogan « Découvrez Anvers
dans le monde, et le monde au cœur d’Anvers », le musée se présente comme une
institution aux multiples vocations, à la fois ethnographique, maritime, historique

529  Mairesse, « Musée », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 271-320, p. 302-303.


530  Beyers Leen, MAS, le guide, Anvers, MAS Books, 2011, p. 203.
531 « […] a newly constructed museum building that will not only meet the very latest museological require-
ments, but which may also be seen as a milestone in museum architecture. » Nauwelaerts Mandy et Pottier
Werner, « The museum on the river », in Nauwelaerts, The Future of the Past, op. cit., p. 203-206, p. 206.

158
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Le MAS d’Anvers, sept étages d’expositions abrités au cœur d’un spectaculaire bâtiment en escalier.

et artistique, susceptible d’intéresser un public bien plus large 532. La section phare


de son exposition permanente ne concerne d’ailleurs pas Anvers mais présente,
sous le thème très général de la vie et de la mort, une célèbre collection de plus
de 400 œuvres d’art précolombien, propriété par dation de la Région flamande
et mise en dépôt au musée municipal anversois. Entre le pouvoir dans le Japon
des samouraïs, la résurrection dans l’ancienne Égypte, la colonisation belge au
Congo à partir du port d’Anvers et les textes sacrés des religions monothéistes, les
thèmes abordés au MAS sont foisonnants, probablement aux dépens de la cohé-
rence globale de son discours. La sensation laissée est dès lors celle du contenant
– un environnement spectaculaire, prélude à une expérience hors du commun –
qui l’emporte sur le contenu. Et s’il s’agissait finalement d’une condition nécessaire
pour susciter le succès de foule ? En deux ans à peine, deux millions de visiteurs
ont en effet déjà poussé les portes de ce tout jeune musée, directement propulsé
en tête des chiffres de fréquentation pour la Belgique.
Depuis quelques années, offrir au public la possibilité d’une personnalisation maxi-
male de sa visite est devenu un objectif régulièrement poursuivi par les musées.

532 Le MAS résulte en effet de la fusion des collections de quatre anciens musées consacrés à l’ethnogra-
phie (Etnografisch Museum), au folklore (Volkskundemuseum), à la marine (Nationaal Scheepvaartmuseum)
et à la ville (Vleeshuis).

159
Le musée de ville

Comme le montrent les quelques exemples suivants, le développement accéléré


des technologies informatiques et numériques est bien entendu l’une des clés de
la diversification des approches de médiation, visant à une participation toujours
plus active des visiteurs.
En 2011, l’Amsterdams Historisch Museum profite de la rénovation de son parcours
permanent pour changer de nom et être rebaptisé Amsterdam Museum, dénomination
plus moderne et moins orientée sur la description exclusive du passé. Sa nouvelle
exposition de référence, Amsterdam DNA, est conçue pour offrir en un peu moins
d’une heure un aperçu de la nature profonde de la ville, des valeurs sur lesquelles
elle s’est construite et continue à prospérer à l’heure actuelle. L’entreprenariat, l’es-
prit civique, la liberté de pensée et la créativité sont les quatre thèmes transver-
saux de ce parcours, structuré en sept étapes chronologiques. Le public est invité
à suivre une ligne du temps qui l’emmène depuis la ville sur pilotis des premiers
temps jusqu’aux enjeux de société néerlandais les plus actuels (le mariage homo-
sexuel, la dépénalisation de certaines drogues, la prostitution…). À son entrée
dans l’exposition, le visiteur reçoit un feuillet explicatif muni d’un code QR qui
lui est personnel et lui permet d’enclencher, dans sa langue, sept séquences vidéo
très dynamiques, une par section, avec des effets tridimensionnels mettant notam-
ment en valeur les collections du musée non exposées. Ce même code donne éga-
lement accès à des bornes tactiles disséminées le long du parcours qui proposent
au visiteur de sélectionner, pour chaque période historique, quelle est, des quatre
caractéristiques de l’ADN amstellodamois citées ci-dessus, celle qui lui correspond
le plus. Des informations spécifiques à ce domaine lui sont alors fournies, tandis
qu’un bilan de ses choix, reflétant sa propre vision de la ville, probablement diffé-
rente de celle de son voisin, lui est présenté à la sortie de l’exposition.
C’est dans un esprit proche qu’ont travaillé en 2009-2010 les équipes du Museum
of London, à l’occasion d’un gigantesque chantier de transformation de tout l’étage
inférieur du musée, budgété à vingt millions de livres sterling, dans le but d’enfin
faire une place à la ville contemporaine 533. Elle aussi organisée autour d’une ligne
du temps courant jusqu’au xxie siècle, l’exposition permanente va même plus loin,
en raison de l’aménagement à la fin du parcours d’une section originale, relative
à l’avenir de la capitale britannique. Thématique futuriste oblige, c’est par l’inter-
médiaire du multimédia que le visiteur est invité à donner son opinion sur diffé-
rents débats concernant la vie à Londres dans les prochaines années, au moyen
de deux grandes tables tactiles reproduisant un plan schématique de la ville. Les
sujets retenus (les Jeux olympiques de 2012, le trafic routier, la pollution urbaine,
les gratte-ciel, les sans-abri, les espaces verts, les lignes de métro, les cabines télé-
phoniques…) sont présentés selon une triple perspective : un rappel historique de
la problématique, la description de la situation actuelle et pour l’avenir, une ques-
tion à choix multiples. Les pourcentages de réponses positives obtenus par chaque
proposition sont ensuite dévoilés, permettant à chacun de situer son point de vue
par rapport à la moyenne des visiteurs.

533  Museum of London is undergoing an exciting transformation, plaquette informative distribuée au musée
en 2009.

160
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

L’usage du multimédia pour évoquer la ville du futur au Museum of London.

Interroger les visiteurs sur leur vision de la ville de demain devient un moyen de
plus en plus régulièrement retenu par les musées lorsqu’ils décident, à l’occasion
de la rénovation de leurs expositions permanentes devenues obsolètes, d’abor-
der le thème du futur. Il s’agit d’une évolution radicale, dans la mesure où jusque
il y a peu, l’époque contemporaine a souvent été presque totalement absente des
préoccupations, exception faite de quelques expositions temporaires qui ont pu
aborder cette période. C’est précisément face à cette situation que se sont récem-
ment trouvés le Museum of London et le musée d’Histoire de Marseille. Le statut
discursif de ce type de dispositif mériterait alors d’être questionné, puisque dans
ce cas, le public n’est plus uniquement envisagé en tant que récepteur du message
construit et transmis par le musée, comme dans le reste de l’exposition. En effet,
la responsabilité de l’énonciation du discours, jusqu’alors entièrement assumée par
l’institution, est ici en quelque sorte déléguée au visiteur.
À Marseille, une vingtaine d’années après la création du musée en un lieu sym-
bolique de l’accès pour tous à la culture, il s’avère que cette proposition idéo­
logiquement engagée s’est essoufflée avec le temps, au rythme du vieillissement et
du non-remplacement de sa muséographie. En 2006, une étude de public menée
par le Laboratoire Culture et Communication de l’université d’Avignon établit
le diagnostic d’une forte érosion de la fréquentation (de plus de 100 000 visiteurs
annuels au début des années 1990 à moins de 40 000 quinze ans plus tard), due
161
Le musée de ville

notamment à une défaillance de la communication relative au musée et à la quasi-


invisibilité de l’institution, littéralement noyée sous les néons des enseignes des
magasins du centre commercial en dessous duquel elle est installée 534. Les diri-
geants proposent alors une rénovation en profondeur des installations pour 2013,
année au cours de laquelle Marseille jouit du titre de Capitale européenne de la
culture. Le concept du nouveau musée présente pour la première fois un récit
continu sur l’histoire de la ville, depuis l’occupation préhistorique du site jusqu’au
xxie siècle. Comme à Londres, cette histoire s’achève, dans la dernière séquence
de l’exposition, avec la possibilité pour le visiteur de construire « son » Marseille
de demain grâce à un dispositif interactif. Repensé du point de vue de son archi-
tecture comme « une porte ouverte sur la ville 535 » le musée inclut désormais une
entrée directe et beaucoup mieux signalée depuis l’extérieur, via le site archéolo-
gique du Jardin des vestiges.
Les technologies multimédias sont indéniablement un moyen efficace de créer des
interactions nouvelles entre les publics, le musée et la ville elle-même. Elles font
sortir et voyager virtuellement les collections, en toute sécurité, hors de leurs murs,
et contribuent également au phénomène de muséalisation de l’espace urbain 536. Il
n’est d’ailleurs pas anodin qu’à l’occasion des trois rénovations qui viennent d’être
évoquées, à Amsterdam, Londres et Marseille, chaque musée ait créé et mis en
ligne une ou plusieurs applications gratuites pour smartphones et tablettes, desti-
nées à l’exploration de la ville par les touristes, fonctionnant grâce à la combinai-
son des principes de géolocalisation et de réalité augmentée 537.
Le recours au multimédia n’est cependant pas la seule stratégie envisageable pour
susciter l’attention et la participation du public, comme en témoigne le STAM
(Stadsmuseum), nouveau musée de la Ville de Gand, inauguré en 2010 sur le site
réaffecté de l’ancienne abbaye médiévale de la Bijloke. Le parcours permanent du
musée, intitulé « Du présent au passé et vice-versa », est introduit par une salle
sombre dont le sol et une partie des murs sont recouverts d’une immense photo
aérienne rétroéclairée de la ville dans son état actuel 538. D’un très haut niveau de
définition, cette image à l’échelle 1/1000e donne à voir chaque détail du terri-
toire de Gand, de son port et de la campagne environnante. Depuis ce point de
vue pour le moins inhabituel, les visiteurs sont invités à déambuler sur et dans la
ville, comme des géants, et nombreux sont alors les Gantois et les touristes à se
prendre au jeu d’y rechercher, parfois longuement et couchés à même le sol, leur
propre habitation ou les monuments célèbres de la cité.

534  Védrine, Marseille ville-monde, op. cit., p. 30-31.


535  Ibid., p. 36.
536  Postula Jean-Louis, « La muséalisation de l’espace urbain. Quand le musée de ville se met en scène
dans les rues… », in Bergeron Yves, Arsenault Daniel et Provencher St-Pierre Laurence (dir.),
Musées et muséologies : au-delà des frontières. La muséologie nouvelle en question, Québec, Presses de l’unive-
risté Laval, coll. « Patrimoine en mouvement », 2015, p. 93-110.
537  La réalité augmentée est une méthode informatique d’incrustation réaliste d’objets virtuels dans une
séquence d’images réelles.
538  Wouters Peter (éd.), STAM, Musée de la ville de Gand, Gand, Openbaar Kunstbezit in Vlaanderen,
2010, p. 4-5.

162
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Au STAM (Stadsmuseum), la ville de Gand comme vue du ciel.

La spectacularisation de l’expérience de visite passe également par le choix de


certains procédés de mise en exposition. À cet égard, les préceptes de la muséo-
graphie analogique 539, autrement dit la reconstitution réaliste d’environnements
complets à l’intérieur du musée, sont appliqués depuis longtemps déjà dans le
domaine de l’histoire de la ville. Depuis la fin des années 1930, de nombreuses
institutions ont en effet eu recours à ce type de parcours extrêmement scénogra-
phié. Dublinia, centre d’interprétation sur la capitale irlandaise au Moyen Âge,
ouvert en 1993, et la plupart des sections du Shanghai History Museum, installé
depuis 2001 dans l’ultra-futuriste Oriental Pearl Tower comptent ainsi parmi les
réalisations récentes qui prolongent le concept, aujourd’hui vieilli, du streetscape.
Désignés par les chercheurs sous l’appellation d’expositions-spectacles – ce terme
faisant évidemment référence au spectaculaire muséal tel que défini en tête de
sous-chapitre 540 –, ces dispositifs immersifs visent à se distancier au maximum
des expositions classiques de pièces rassemblées dans des vitrines, vues comme
rébarbatives, au risque cependant de voir s’effacer l’objet, le discours ou la science
au seul profit du décor.

539  Montpetit, « Une logique d’exposition populaire… », in Publics et Musées, op. cit., p. 55-103.
540  Drouguet Noémie, « Succès et revers des expositions-spectacles », in Culture & Musées, no 5, 2005,
p. 65-90. Flon Émilie et Davallon Jean, « Georges Henri Rivière versus exposition-spectacle, est-ce une
bonne question ? », in Musées et collections publiques de France, no 229, Paris, 2000, p. 70-77.

163
Scène de rue médiévale au Dublinia.

Reconstitution d’une boutique de rue traditionnelle au Shanghai History Museum.


Chapitre 4 – Des modèles en mutation

The Story of Berlin, une exposition-spectacle permanente plus commerciale que culturelle.

Il peut alors arriver que le thème de la ville soit pris comme prétexte pour l’éta-
blissement d’institutions qui ne partagent finalement que très peu de points
communs avec la démarche muséale. Un bel exemple en est The Story of Berlin, une
exposition-spectacle permanente qui a ouvert ses portes en 1999 dans un centre
commercial sur le Kurfürstendamm, l’une des artères les plus fréquentées de la
capitale allemande, notamment par les touristes. Ce projet de parcours interactif
et multimédia, qui retrace l’histoire de Berlin depuis sa fondation au xiiie siècle
jusque après la chute du mur 541, répond à des considérations qui ne sont ni cultu-
relles, ni patrimoniales, mais purement financières : l’attraction a été comman-
dée à un « faiseur d’expositions 542 » par les propriétaires de la galerie marchande
pour augmenter la fréquentation des magasins voisins. Ses caractéristiques l’assi-
milent tout à fait aux grandes expositions-spectacles temporaires ou itinérantes en
vogue à la même époque, analysées par Noémie Drouguet 543 : le choix du thème
est porteur – l’évolution de Berlin est peu abordée dans les institutions muséales
classiques de la ville, à l’exception du Märkisches Museum, musée d’histoire muni-
cipal créé au début du xxe siècle, cependant méconnu des touristes et drainant un

541  Nishen Dirk (ed.), The Story of Berlin, Geschichten einer Metropole, Berlin, Story of Berlin GmbH et
Nishen Kommunikation GmbH, 1999.
542  Nous empruntons l’expression à Noémie Drouguet. Le concepteur de l’exposition berlinoise, Dirk
Nishen est notamment l’auteur, à la fin des années 1990, d’une exposition très populaire sur le Titanic, à
Hambourg et Berlin. Entretien avec Bernhard Schütte, Managing Director du Story of Berlin (30 mars 2010).
543  Drouguet, « Succès et revers des expositions-spectacles », in Culture & Musées, op. cit., p. 65-90.

165
Le musée de ville

public restreint 544 – ; la trame chronologique du parcours expographique, unique


et linéaire, ne laisse aucune liberté au visiteur ; le statut des objets présentés est
ambigu, car rien ne distingue d’éventuelles collections authentiques, probablement
rares, des copies et des éléments de décor purement scénographiques ; enfin, le
mode de gestion de l’établissement est exclusivement axé sur la rentabilité, avec
un prix d’entrée élevé, alors même que le circuit de visite est resté strictement
inchangé depuis son inauguration quinze ans plus tôt et que le lieu ne développe
aucune politique d’expositions temporaires.
Cette pratique, qui dénote un usage mercantile de la thématique de l’histoire de la
ville, demeure cependant extrêmement marginale par rapport au traitement scienti-
fique qui lui est réservé au sein de l’immense majorité des musées, institutions dont
le caractère fondamentalement non lucratif est inscrit au cœur même de la définition.

Des musées mis en réseau


Toutes les villes du monde disposent de sites de natures et d’origines diverses dont
chacun éclaire un pan particulier de l’histoire locale : politique, économique, reli-
gieux, social… Une tendance récente dans l’organisation des musées consiste à
regrouper ces différentes entités sous un chapeau culturel et administratif unique,
éclatant l’institution sur l’ensemble du territoire, à l’instar de la définition origi-
nelle de l’écomusée 545. C’est alors par la mise en réseau de ces antennes fragmen-
tées que s’articule un discours global sur la ville.
Le Bruggemuseum 546, musée d’Histoire de la ville de Bruges, est fondé en 2004
par le rassemblement de sept musées et sites historiques municipaux de premier
ordre – ils sont aujourd’hui douze à en faire partie –, parmi lesquels se trouvent
l’hôtel de ville gothique, le beffroi, l’église Onze-Lieve-Vrouw ou encore le musée
Gruuthuse, anciennement musée de la Société archéologique de Bruges, devenu
en 1955 musée communal d’Archéologie et des Industries d’art 547. Il est intéres-
sant de noter qu’aucun d’entre eux n’était préalablement consacré à la mise en valeur
de l’histoire de Bruges. Un important programme de réaménagement progressif
des édifices a alors été mis en place, en fonction des thèmes spécifiques assignés à
chacun d’eux : par exemple, « l’identité et la communication » pour le beffroi, qui
incarne plus que tout autre monument la fierté brugeoise, « le citoyen et l’admi-
nistration » pour l’hôtel de ville, « le droit et la mémoire » pour le Franc de Bruges,
lieu de réunion du conseil de justice de l’ancienne châtellenie qui s’étendait dans la
campagne alentour, « frontière et défense » pour l’une des portes médiévales de la

544  Entretien avec Peter Schwirkmann, Responsable du Département Histoire à la Stiftung Stadtmuseum
Berlin (29 mars 2010).
545  En 1973, à l’occasion de la réunion de la Commission muséologie de la Conférence permanente des
parcs naturels régionaux, Georges Henri Rivière propose cette première version de la définition évolutive
de l’écomusée : « Musée éclaté, interdisciplinaire, démontrant l’homme dans le temps et dans l’espace […]. »
Par la suite, cette définition sera revue et adaptée à plusieurs reprises et le terme « éclaté » n’apparaîtra plus
tel quel. La muséologie selon Georges Henri Rivière, op. cit., p. 151.
546  De Witte Hubert, « The role of archaeological research and archaeological collections in the making
of the Bruggemuseum », in Kistemaker, City museums as centres of civic dialogue ?, op. cit., p. 78-82.
547  Vermeersch Valentin, Guide musée Gruuthuse, musée communal d’Archéologie et des Industries d’art,
Bruges, Ville de Bruges, 1970.

166
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

ville… Afin d’éclairer le concept muséal dans son ensemble, chaque salle de l’ex-
position permanente du palais Gruuthuse, le siège principal du musée, fait le lien
avec un autre site du Bruggemuseum, par l’intermédiaire de panneaux et d’objets.
Dans la ville de Bologne, le projet Genus Bononiae, Musei nella città a été lancé
en 2003. Il participe d’un processus semblable à celui rencontré à Bruges, à la dif-
férence majeure qu’il ne s’agit cette fois pas d’une initiative émanant des pouvoirs
publics, mais bien d’une très riche fondation privée, branche culturelle et sociale
d’une banque italienne, la Cassa di Risparmio in Bologna 548. Huit sites remar-
quables – deux églises, un ancien couvent, une bibliothèque d’histoire et d’art et
quatre palazzi –, tous propriétés de la Fondation Carisbo ou restaurés par elle,
sont en effet devenus les salles d’exposition d’un musée virtuel, à l’échelle de la
ville, dans lequel sont essentiellement montrées les collections de la fondation.
Genus Bononiae est un parcours artistique et culturel dans le centre historique de
Bologne, mais qui peine à construire un discours liant réellement les lieux les uns
aux autres, probablement en raison de l’approche muséographique retenue, centrée
exclusivement sur les objets conservés dans chaque édifice plutôt que sur la défi-
nition de leur rôle dans l’évolution de la ville.
Deux autres villes encore, Helsinki et Barcelone, appliquent le système d’un musée
historique municipal formé de plusieurs bâtiments et centres d’exposition. Dans les
deux cas, cette configuration s’explique par l’histoire de l’institution et l’agrégation
progressive de nouvelles entités à une structure classique, primitivement solitaire.
Créé en 1911, l’Helsinki City Museum est au départ installé dans une grande villa
du xixe siècle 549. Au début des années 1960, la ville hérite d’un manoir sur les
hauteurs de la capitale, qu’elle transforme en musée d’arts décoratifs et rattache
administrativement au musée historique. Le mouvement s’accélère ensuite à partir
des années 1980 et surtout 1990, avec l’acquisition par la municipalité de plusieurs
bâtiments qu’elle muséalise, diversifiant de la sorte les activités du musée 550, dont le
centre névralgique, qui présente l’exposition de référence sur l’histoire de la capitale
finlandaise, a entre-temps déménagé vers le cœur de la ville. Parmi ces nouvelles
antennes thématiques se trouvent notamment : la Burgher’s House, plus ancienne
maison en bois d’Helsinki, décorée dans le style des années 1860, qui reconstitue
la vie domestique d’une famille de la classe moyenne de cette époque ; le Worker
Housing Museum, immeuble social construit pour les employés et ouvriers muni-
cipaux au début du xxe siècle ; un dépôt de trams avec sa collection de machines
retraçant l’histoire du transport en commun, transformé depuis en centre culturel…
Le MuhBa, Museu d’Història de Barcelona, inauguré en 1943, a lui aussi longtemps
été assimilé à un site unique, celui de la plaça del Rei, qui correspond à l’empla-
cement des vestiges de la ville romaine de Barcino découverts au cours de fouilles
des décennies précédentes. Ce premier musée est essentiellement archéologique
et concentre son discours sur la ville de l’Antiquité et du Moyen Âge. En 1998, la

548  Roversi-Monaco Fabio, « A historical and artistic itinerary of the city » et Buscaroli Beatrice,
« A museum-workshop for the city of Bologna », in Campanini et Negri, The Future of City Museums,
op. cit., p. 229-234 et p. 253-260.
549  Peltonen Jarno, « Musée de la ville d’Helsinki, Finlande », in Museum, vol. 32, no 1-2, 1980, p. 52-56.
550  Entretien avec Tiina Merisalo, directrice de l’Helsinki City Museum (21 mars 2011).

167
Le musée de ville

municipalité réorganise ses musées et collections, avec pour objectif de les regrou-
per en un petit nombre d’institutions mieux gérées 551. Le MuhBa devient alors
un musée de musées, dans la mesure où, à l’ensemble monumental de la plaça
del Rei, sont associés plusieurs musées et centres d’interprétation – le monastère
gothique de Pedralbes, la maison de l’écrivain Jacint Verdaguer, la conciergerie du
parc Güell, conçue par Gaudí… Par ailleurs, le MuhBa projette actuellement d’élar-
gir considérablement son propos historique par l’intégration prochaine de deux
lieux en cours de réaffectation pour accueillir chacun une nouvelle section chro-
nologique 552 : les Temps modernes et le xixe siècle dans l’ancien marché central
du quartier du Born, et les xxe et xxie siècles dans une usine désaffectée au cœur
de Poblenou, un district auparavant industriel en pleine reconversion, désormais
transformé en lieu d’expression des plus grands architectes contemporains ( Jean
Nouvel, Herzog & de Meuron…). L’exposition permanente du musée sera alors
répartie en trois sites différents, chacun d’entre eux centré sur l’époque dont le
bâtiment lui-même est le témoin. À notre connaissance, cette démarche origi-
nale, déployée à l’échelle d’une grande ville, de la fragmentation cohérente du dis-
cours muséal en différents lieux qui le contextualisent reste sans équivalent dans
le domaine des musées d’histoire.
Enfin, le dernier phénomène significatif que nous développerons concernant l’évo-
lution récente de la catégorie muséale est celui de la constitution d’associations
internationales qui lui sont spécifiquement consacrées, avec pour conséquence la
médiatisation depuis vingt ans de l’expression « musée de ville » pour désigner tout
ou partie des institutions du type de celles décrites dans cet ouvrage. Trois de ces
réseaux, respectivement fondés en 1993, 2005 et 2010, seront brièvement évoqués
pour témoigner de l’implication actuelle de nombreux musées dans la mise en place
de projets collectifs, en vue de nourrir une réflexion sur leur objet d’étude commun
et d’officialiser les relations qui existent entre eux. Ce constat ne doit cependant
pas occulter une réalité évidente, qui est celle de l’existence bien antérieure, dès le
xixe siècle, de contacts personnels entre musées et d’influences réciproques.
La dynamique de regroupement des musées d’histoire urbaine en réseaux pro-
fessionnels est initiée en 1993 par le Museum of London, à l’origine de la création
de l’Association internationale des musées de ville (AIMV), la toute première du
genre. Près de trente établissements – essentiellement européens et nord-­américains,
comprenant le Centre d’Histoire de Montréal, l’Amsterdams Historisch Museum
ou le Museum of the City of New York – prennent alors part à l’adoption du texte
concrétisant la naissance d’un réseau délibérément informel : toute personne ou
organisme portant un intérêt au passé, présent et avenir des villes du monde est
libre de s’y investir, en dehors de tout cadre institutionnel et de toute procédure
d’inscription 553. Après l’événement londonien, l’Association internationale des

551  Ubero, « Le musée d’Histoire de la Ville de Barcelone », in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-
Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 140-147. Hebditch, « Portraying the city in European
museum », in Kavanagh et Frostick, Making city…, op. cit., p. 102-113, p. 108-109.
552  Entretien avec Juan Roca, Directeur du Museu d’Història de Barcelona (13 octobre 2010). Roca I Albert
Joan, MuhBa, City History Museum of Barcelona, Summary of the museum’s new strategic plan, Barcelone, 2008.
553  « Agreed terms of reference for an International Forum for City Museum », in Johnson, Reflecting
cities, op. cit., annexe 2.

168
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

Le MuhBA, un musée réparti sur tout le territoire de la ville.

musées de ville est réunie en trois occasions, rassemblant chaque fois une large
audience de spécialistes issus du milieu muséal et des universités : au Museu d’His-
tòria de Barcelona en 1995, au musée d’Histoire de la ville de Luxembourg en 2000
et enfin à celui d’Amsterdam en 2005. Les questions débattues au cours de ces
rencontres sont diverses et concernent aussi bien la façon dont les musées de ville
peuvent refléter les changements politiques du monde contemporain – le premier
169
Le musée de ville

colloque, à Londres, n’intervient finalement que très peu de temps après la chute
du bloc soviétique –, que le multiculturalisme, la nature et les critères de sélection
des collections à conserver ou encore le rôle que peut jouer le musée auprès des
citoyens. En douze années d’existence, l’Association internationale des musées de
ville a durablement marqué de son empreinte l’objet « musée de ville », qu’elle a
largement contribué à faire connaître et à problématiser.
En avril 2005, quelques mois seulement avant la tenue de la quatrième conférence
de l’AIMV, c’est dans la capitale russe qu’un nouveau réseau est porté sur les fonts
baptismaux, à l’initiative de la directrice générale du musée de la Ville de Moscou,
qui en devient la première présidente. Il s’agit du Camoc, trentième Comité inter-
national thématique de l’Icom, dont l’acronyme signifie Collections and Activities of
Museums of Cities 554. Le projet de fonder un comité sur les musées de ville au sein
de l’Icom remonte à la Conférence générale de Barcelone en 2001, où un groupe
de travail réunissant plusieurs représentants de musées consacrés aux villes est mis
en place. Parmi les arguments avancés par les partisans d’un nouveau comité figure
en bonne place la volonté de voir enfin reconnaître au musée de ville une existence
institutionnelle véritable et pérenne en tant que catégorie ; ce rôle ne pouvant, par
définition, échoir au réseau informel de l’AIMV, dont le rythme des activités se
révèle par ailleurs irrégulier. En 2004, lors de la Conférence générale de l’Icom à
Séoul, le Conseil exécutif de l’organisation approuve officiellement la proposition
de créer un comité consacré aux musées de ville, dont le mission statement rédigé
l’année suivante présente d’indéniables similitudes avec le texte de 1992 annon-
çant la création de l’Association internationale des musées de ville :
« Le Camoc a pour objectif de stimuler le dialogue et la coopération entre les musées en
les soutenant et en les encourageant à collecter, protéger et présenter des pièces ori-
ginales liées au passé, au présent et à l’avenir de la ville, renforçant ainsi son identité et
contribuant à son développement 555. »
Dans l’histoire des réseaux de musées de ville, 2005 est une année charnière car l’en-
trée du Camoc sur la scène publique coïncide presque exactement avec la dernière
conférence de l’AIMV. Cependant, la nouvelle structure n’occupe pas exactement
la place laissée vacante par l’ancienne, dans la mesure où l’origine géographique
des membres de chacune des deux associations diffère : la majorité des partici-
pants aux activités de l’AIMV sont des Occidentaux, alors que c’est en Russie et
dans les pays d’Europe orientale issus du démembrement de l’Union soviétique
que sont situés la plus grand part des musées fondateurs du Camoc 556.

554  Zell Eloisa, « Camoc : le 30e Comité international de l’Icom est né », in Les nouvelles de l’Icom, vol. 58,
no 2, 2005, p. 10.
555  Icom (International Council of Museums) [en ligne], http://icom.museum/qui-sommes-nous/les-comites/
comites-internationaux/comites-internationaux/comite-international-sur-les-collections-et-activites-des-
musees-des-villes/L/2.html (page consultée le 18/05/2015).
556  Certaines institutions actives dans le domaine de l’histoire de la ville, comme les musées de Luxembourg,
d’Amsterdam ou d’Helsinki, déjà affiliées au Comité international de l’Icom pour les musées d’Archéolo-
gie et d’Histoire (ICMAH), font d’ailleurs à ce moment le choix de ne pas s’affilier au Camoc. La prédo-
minance de la Fédération de Russie parmi les membres du Camoc ne faiblit pas avec le temps : en 2012,
un quart des membres individuels du comité en sont originaires. Ils sont notamment deux fois plus nom-
breux que les Nord-Américains. Rapport annuel du Camoc en 2012.

170
Chapitre 4 – Des modèles en mutation

La conférence inaugurale du Camoc a lieu à Boston en 2006 sur le thème du musée


de ville comme fenêtre ouverte sur la vie urbaine 557. Depuis, un colloque est orga-
nisé chaque année, qui interroge le concept de musée de ville en lien avec des thé-
matiques de société contemporaines : le développement urbain (Vienne, 2007),
l’avenir des villes (Séoul, 2008), les stratégies participatives des musées pour impli-
quer le public dans la collecte du présent (Berlin, 2011), le patrimoine industriel
et le développement durable (Göteborg, 2014)… Près de dix ans après sa création,
le Camoc s’est inscrit dans la durée et se positionne désormais auprès de la com-
munauté muséale comme le réseau professionnel de référence. À l’heure actuelle,
il fournit le cadre principal des réflexions au sujet de la notion de musée de ville.
Cette situation n’empêche cependant pas que de nouveaux projets voient le jour,
comme celui du City history museums and research network of Europe, dont la pre-
mière réunion se déroule à Barcelone en 2010. Imaginée deux ans plus tôt par le
directeur du Museu d’Història de Barcelona dans le cadre du plan stratégique de
rénovation de son institution 558, cette association se présente comme un « groupe
de travail informel sur l’histoire urbaine, constitué d’un nombre limité de musées
d’histoire de villes et de centres de recherche provenant de différentes villes euro-
péennes 559 ». À l’inverse du Camoc, le City history museums and research network
of Europe ne vise donc pas une quelconque représentativité institutionnelle, ni la
duplication de réseaux déjà actifs dans le domaine de l’histoire des villes, comme
l’Association européenne d’histoire urbaine (EAUH) 560. Il ne s’agit pas non plus
d’un groupe ouvert à tous : c’est sur base de leur dynamisme qu’une vingtaine de
représentants d’établissements provenant de quinze pays d’Europe ont été invités
par les promoteurs du réseau à prendre part aux projets concrets de coopération
proposés. Les productions attendues dans ce cadre consistent en la réalisation
d’expositions, de publications ou de programmes communs sur des sujets spéci-
fiques liés aux stratégies de présentation de l’histoire urbaine et à la conservation
du patrimoine de la ville.

557  Vinson et Macdonald, Vie urbaine et musées, op. cit.


558  Roca I Albert, MuhBa, City History Museum of Barcelona, op. cit., p. 2-3.
559  Texte extrait de l’invitation à la première réunion de travail du réseau, adressée le 15 septembre 2010
aux partenaires potentiels.
560  L’Association européenne d’histoire urbaine (EAUH) est un réseau non muséal fondé en 1989. Tous
les deux ans, elle organise une conférence qui constitue un forum multidisciplinaire pour historiens, socio-
logues, géographes, anthropologues, historiens d’art et architectes, urbanistes et toute personne s’intéres-
sant à l’histoire urbaine. Association européenne d’histoire urbaine [en ligne], http://www.eauh2010.ugent.
be/fr (page consultée le 18/05/2015).

171
Conclusion

À travers cet ouvrage, le phénomène de l’exposition de la ville dans les musées a été
approché sous deux angles complémentaires : d’une part l’histoire d’une théma-
tique muséale, depuis ses origines jusqu’aux créations les plus contemporaines, et
d’autre part l’émergence d’un phénomène de regroupement de ces établissements,
ou du moins d’une partie d’entre eux, en une catégorie en vue de leur assurer plus
de visibilité et une représentation institutionnelle jusqu’alors ignorée.
Nous avons d’abord tenté de montrer qu’aucune réponse évidente ne peut être
apportée à un problème simple en apparence : comment définir le « musée de
ville », expression devenue courante depuis près de vingt ans dans certains cercles
professionnels et la littérature spécialisée ? Le succès de son processus d’institu-
tionnalisation, entrepris à partir de 1993 grâce au directeur du Museum of London,
est indéniable. Cette notion, dont la forme est incontestablement fixée parmi la
communauté muséale, est aujourd’hui durablement attachée à l’idée d’une catégo-
rie particulière de musées. Il n’en va pas de même en ce qui concerne son contenu,
caractérisé par une double nature, à la fois polémique et polysémique.
En novembre 2013, le City history museums and research network of Europe, jeune
réseau dont il a été question précédemment, publie la Déclaration de Barcelone sur
les musées de ville européens 561. À partir de quelques concepts-clés comme l’impli-
cation des citoyens, l’identité, le multiculturalisme, le musée comme lieu de ren-
contre et de discussion ou encore la cohésion sociale, l’ambition de ce texte est de
circonscrire les contours, les rôles et les missions du musée de ville au xxie siècle.
Ce faisant, il synthétise parfaitement les différents constats établis à la suite de
l’étude des discours produits sur le sujet entre 1993 et 2008, développés dans le
premier chapitre. L’accent est ainsi mis dans le document sur la diversité des musées,
dépendant de leur taille, du type de collections qu’ils conservent, de leur période
de création, de leur approche disciplinaire…, qui rend finalement stérile toute
tentative d’établissement d’une typologie. Pour les signataires de la Déclaration de
Barcelone, le vrai point qui unit tous ces musées reste leur objet d’étude commun :
la présentation de la ville et de ses habitants auprès d’une audience mixte com-
posée des résidents et des touristes.
C’est ensuite un panorama diachronique de cent cinquante années de projets
muséaux en relation avec le sujet de la ville qui a été dressé au cours des trois
chapitres suivants. À la question de l’adéquation de ces projets avec leur temps,
la réponse est résolument affirmative : l’histoire des musées consacrés à l’exposi-
tion de la ville se confond avec celle de l’institution muséale dans son ensemble.
Elle en constitue même un résumé microcosmique saisissant. Depuis la seconde
moitié du xixe siècle, chaque strate de l’évolution conceptuelle et formelle des
musées trouve un écho dans le traitement muséal du thème de la ville, tour à tour

561  Roca I Albert Joan et Kistemaker Renée (ed.), The Barcelona Declaration on European City Museums,
Barcelone, City history museums and research network of Europe, 8 novembre 2013.

173
Le musée de ville

politique, bourgeois, classique, pédagogique, totalitaire, immersif, citoyen, uto-


pique ou encore spectaculaire.
« Sous une forme ou sous une autre, la presque totalité des projets muséaux figure encore
dans le paysage muséologique mondial 562. »
Cette affirmation, dont la portée se veut générale – François Mairesse envisage
autant les cabinets de curiosités que les musées coloniaux ou les écomusées –, cor-
respond pourtant parfaitement à la thématique ciblée qui nous occupe. Entre le
« musée diplodocus 563 » au discours immuable et le musée de l’avenir, technolo-
gique, participatif et socialement engagé, la ville apparaît en ce début de xxie siècle
comme un objet muséalisable en fonction de points de vue très variés, dans un
système où les approches muséales se succèdent les unes aux autres par empi-
lement, parfois même s’entremêlent, plutôt qu’elles ne font disparaître les plus
anciennes. Au cœur de villes mondialisées et en voie d’uniformisation avancée
– ne parle‑t‑on pas désormais de la McDonaldisation de nos sociétés 564 ? –, le
plus grand défi à venir pour ces musées sera probablement de réussir à montrer et
faire comprendre à leur public en quoi chacune d’elles, par son histoire mais pas
seulement, est unique et irremplaçable.

562  Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 139.


563  Au cours d’un colloque en 2002, le directeur du musée Carnavalet, Jean-Marc Léri, définit son ins-
titution comme « une forme de musée diplodocus : le poids de la tradition y est plus important que celui
qu’on trouve dans des musées plus récents. » Il n’a sans doute pas tout à fait tort, puisqu’à l’heure actuelle,
la dernière période historique à être documentée dans le parcours permanent est celle de l’Entre-deux-
guerres ! Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 74.
564  Ce terme a été inventé dans les années 1990 par le sociologue américain George Ritzer. Chabaud
Corine, « Copier-coller d’un modèle urbain mondial », in Denis et Pourquery, L’Atlas des villes, op. cit.,
p. 108-109.

174
Annexe
Les dix-sept événements analysés
dans le cadre de la recherche
Nom Lieu et date Type Organisateur/Éditeur
1 Reflecting cities 1 Londres, avril 1993 Colloque
Association internationale
des musées de ville
2 City museums, towards the third Barcelone, avril 1995 Colloque Association internationale
millennium 2 des musées de ville
3 Les musées de la ville 3 Paris, Publication Museum international
septembre 1995
4 Making city histories in museums 4 Leicester, 1998 Publication University of Leicester
5 The Future of the Past. Reflections Anvers, 1999 Publication Stad Antwerpen
on history, urbanity and
museums 5
6 Une histoire sans limites ? Points Luxembourg, Colloque Association internationale des
de vue, point d’interrogation, mai 2000 musées de ville, Association
points de suspension… 6 internationale des musées
d’histoire et Icmah
7 Un musée pour une ville 7 Bruxelles, avril 2002 Colloque Musée de la Ville de Bruxelles
8 Comment inscrire les musées Marseille, juin 2003 Colloque Association internationale
de ville dans la ville ? 8 des musées d’histoire
9 Camoc’s constituent conference 9 Moscou, avril 2005 Colloque Camoc
10 Musée et ville 10 Berlin, mai 2005 Colloque Icom-France
11 City museums as centres of civic Amsterdam, Colloque Association internationale des
dialogue ? 11 novembre 2005 musées de ville, Association
internationale des musées
d’histoire et Icmah
12 I musei della città 12 Rome, Colloque Università Roma Tre
décembre 2005
13 Cities’ Portraits in City Museums. Volos, avril 2006 Colloque Centre municipal des
Global stances, local practices 13 recherches historiques et
documentation de Volos
14 Museums of cities : gateways Boston, mai 2006 Colloque Camoc
to understanding urban life 14
15 The future of city museums Bologne, juillet 2007 Colloque European Museum Forum
in Europe : experiences and et Fondation Carisbo
perspectives 15
16 City museums and city Vienne, août 2007 Colloque Camoc
development 16
17 City museums and the future of Séoul, octobre 2008 Colloque Camoc
the city 17
1  Johnson Nichola (ed.), Reflecting cities. The proceedings of a symposium, Londres, Museum of London, 1993.
2  Nicolau Antoni (ed.), Second international symposium on city museums, Final programme, lecture and abs-
tracts, Musée d’Histoire de la Ville de Barcelone, Barcelone, 1995.
3  Les musées de la ville, Museum international, vol. 47, no 187, Paris, Unesco, septembre 1995.
4  Kavanagh Gaynor et Frostick Elizabeth (ed.), Making city histories in museums, Londres et Washington, Leicester
University Press, coll. « Making histories in museums », 1998.
5  Nauwelaerts Mandy (ed.), De toekomst van het verleden. The Future of the Past. Reflections on history, urbanity
and museums, Anvers, Stad Antwerpen, 1999.
6  Mersch Corina (éd.), Une histoire sans limites ? Points de vue, points d’interrogation, points de suspension…, Luxembourg,
musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 2000.

175
Le musée de ville

7  Laveleye de Bérengère, Vandenbulcke Anne et Vanrie André (éd.), Un musée pour une ville, Bruxelles, musée de la
Ville de Bruxelles, coll. « Studia Bruxellae », no 2, 2003.
8  Fonseca Brefe Ana Claudia, Gervereau Laurent et Morel-Deledalle Myriame (coord.), Comment inscrire les musées
de ville dans la ville ?, Paris et Marseille, Association internationale des musées d’histoire, 2003.
9  CAMOC, [en ligne], http://network.icom.museum/camoc/conferences/moscow-2005/.
10  Musée et ville, Lettre du Comité national français de l’Icom, no 30, actes de l’assemblée générale Icom-France à
Berlin (20-22 mai 2005), Paris, Icom-France, décembre 2005.
11  Kistemaker Renée (ed.), City museums as centres of civic dialogue ?, Amsterdam, Amsterdams Historisch Museum, 2006.
12  Calabi Donatella, Marini Paola et Travaglini Carlo (dir.), I musei della città, Città & Storia, no 1-2, Anno III, Rome,
Associazione italiana di storia urbana (AISU) et Università degli studi Roma Tre, 2008.
13  Cities’ portraits in city museums, Global stances, local practices, [en ligne], http://www.diki.gr/EN/museum_conf.html.
14  Vinson Isabelle et Macdonald Robert R. (éd.), Vie urbaine et musées, Museum international, no 231, Paris, Unesco, 2006.
15  Campanini Graziano et Negri Massimo (ed.), The Future of City Museums in Europe : experiences and perspectives,
Bologne, Bononia University Press, 2008.
16  Jones Ian, Macdonald Robert R. et McIntyre Darryl (ed.), City museums and city development, Lanham, AltaMira
Press, 2008 [1re édition de poche : 2010].
17  CAMOC [en ligne], http://network. icom. museum/camoc/conferences/seoul-2008/.

176
Bibliographie

25 ans d’entente, les gestes, les acteurs, les témoins, Montréal, Société de développement
de Montréal, 2008 [en ligne], www.vieux.montreal.qc.ca/images/pdf/25_ans.pdf.
Catalogue des objets d’art et de curiosité provenant du musée Carnavalet […], vente
de janvier 1881, Paris, hôtel Drouot, 1881.
Comment travaillent-ils ?, interview de Danièle Wagener, in La lettre des musées
et des expositions, no 56, Paris, mai 1993, p. 1-2.
« Établissement d’un Musée communal à Namur : projet de M. J. Wautlet », in
Annales de la Société archéologique de Namur, t. 2, 1851, p. 103-109.
« Institut archéologique liégeois : statuts et convention conclue le 22 juillet 1909
entre la ville de Liège et l’IAL », in Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, tome
XXXIX, 1909, p. I-IX, p. I [en ligne], Internet Archive, http://archive.org/details/
bulletin39instuoft.
Musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, dossier de présentation définitif du
projet, 23 novembre 1992.
Musée d’Histoire de Marseille, note d’information, Paris, ministère de la Culture, 1983.
Musée et ville, Lettre du Comité national français de l’Icom, no 30, actes de l’as-
semblée générale Icom-France à Berlin (20-22 mai 2005), Paris, Icom-France,
décembre 2005.
La muséologie selon Georges Henri Rivière. Cours de muséologie/Textes et témoignages,
Paris, Dunod, 1989.
Les musées de la ville, in Museum international, vol. 47, no 187, Paris, Unesco, sep-
tembre 1995.
Les musées de Strasbourg, in Connaissance des arts, hors-série, no 87, 1996
Museum of London Manifesto, Londres, décembre 1976.
Nouveau Larousse illustré, 7 tomes, Paris, s. d. [1902].
Relation officielle de l’inauguration du Musée historique de la ville de Paris et de la
Bibliothèque historique de la ville de Paris, le jeudi 23 juin 1898, Paris, Imprimerie
de l’école municipale Estienne, 1899.
A Summary of restoration, renovation & reinterpretation completed and proposed under
A Master plan for the Old State House, Boston, The Bostonian Society, mars 2010.
Ville de Bruxelles, bulletin communal, compte rendu des séances, Bruxelles, Veuve Julien
Bartsoen, 1884-1888.
Aimone Linda et Olmo Carlo, Les expositions universelles (1851-1900), Paris,
Belin, coll. « Modernités », 1993 [éd. originale : 1990].
Alderson William et Payne Low Shirley, Interpretation of historic sites, Nashville,
American association for State and local history, 1976.
Alexander Edward et Alexander Mary, Museums in motion, An introduction
to the history and functions of museums, Lanham, AltaMira Press, 2008 [2e éd.].
177
Le musée de ville

Almeida d’ Fabrice, Une histoire mondiale de la propagande, de 1900 à nos jours,


Paris, La Martinière, 2013.
Alphand Jean-Charles, Aménagement de l’hôtel Carnavalet et installation provi-
soire des collections historiques. Rapport à Monsieur le Préfet, 8 octobre 1873 (manus-
crit conservé au musée Carnavalet).
Amalvi Christian (dir.), Les lieux de l’histoire, Paris, Armand Colin, 2005.
Amormino Vanessa, « Expériences sensorielles », in Gob André (dir.), Musées : on
rénove !, Art&Fact, no 22, Liège, 2003, p. 122-125.
Anderson Benedict, L’imaginaire national, Réflexions sur l’origine et l’essor du natio-
nalisme, Paris, La Découverte, 1996 [1re éd. anglaise : 1983].
Arakcheev Boris (ed.), Saint Peter and Paul cathedral and the Grand Ducal
burial chapel, Saint-Pétersbourg, Culture committee of the government of Saint-
Petersburg, 2006.
Baragwanath Albert, More than a mirror to the past, The first fifty years of the
Museum of the City of New York, New York, Museum of the City of New York, 1973.
Barroso Eliane et Vaillant Emilia, Musées et sociétés, actes du colloque de
Mulhouse et Ungersheim (juin 1991), Paris, Réunion des musées nationaux, 1993.
Battesti Jacques (éd.), Que reste-t-il du présent ? Collecter le contemporain dans
les musées de société, Bordeaux et Bayonne, Le Festin et Musée basque et de l’His-
toire de Bayonne, 2012.
Bergeron Yves, « La révolution du réseau des musées québécois », in Perron Michel
(dir.), Musées, vol. 28, Montréal, Société des musées québécois, 2009, p. 14-29.
Bergvelt Ellinoor et al. (ed.), Napoleon’s legacy: the rise of national museums in
Europe 1794-1830, Berlin, Staatliche Museen zu Berlin – Stiftung Preussicher
Kulturbesitz et G + H Verlag, 2009.
Beyers Leen, MAS, le guide, Anvers, MAS Books, 2011.
Boucher François, Les boiseries du musée Carnavalet, Paris, Frazier-Soye, 1928.
Boucher François, Dorbec Prosper et Robiquet Jean, Guide du musée Carnavalet,
Paris, Frazier-Soye, s. d. [1928].
Boudon Jacques-Olivier, Caron Jean-Claude et Yon Jean-Claude, Religion et
culture en Europe au xixe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2001.
Bourdieu Pierre et Darbel Alain, L’amour de l’art, les musées d’art européens et
leur public, Paris, Minuit, 1969 [éd. originale : 1966].
Brinkman Manus, « Do the right thing : museums need a more varied audience
which education must help to achieve », in Cahiers d’étude du CECA (Icom), no 2,
1996, p. 16-18.
Buls Charles, Un projet de musée populaire, Bruxelles, Muquardt, 1874.
Burgess Joanne, « L’historien, le musée et la diffusion de l’histoire », in Revue
d’histoire de l’Amérique française, vol. 57, no 1, Montréal, 2003, p. 33-44.
Burguière André, L’école des Annales, une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob,
2006.
Burrin Philippe, Fascisme, nazisme, autoritarisme, Paris, Le Seuil, 2000.
178
Bibliographie

Calabi Donatella, Marini Paola et Travaglini Carlo (dir.), I musei della città,
Città & Storia,no 1-2, Anno III, Rome, Associazione italiana di storia urbana
(AISU) et Università degli studi Roma Tre, 2008.
Campanini Graziano et Negri Massimo (ed.), The Future of City Museums in
Europe : experiences and perspectives, Bologne, Bononia University Press, 2008.
Carbonell Charles-Olivier, Histoire et historiens, Une mutation idéologique des
historiens français 1865-1885, Toulouse, Privat, 1976.
Carbonnières de Philippe, La Révolution. Musée Carnavalet, Paris, Paris-Musées,
coll. « Petites Capitales », 2009.
Chaline Jean-Pierre, Sociabilité et érudition, les sociétés savantes en France, xixe-
xxe siècles, Paris, Comité des travaux historiques et scientifiques, coll. « Mémoires
de la section d’histoire moderne et contemporaine », 1995.
Charaudeau Patrick et Maingueneau Dominique (dir.), Dictionnaire d’analyse
du discours, Paris, Le Seuil, 2002.
Charléty Véronique, Itinéraire d’un musée, le Heimatmuseum, Paris, L’Harmattan,
2005.
Chaumier Serge et Jacobi Daniel (dir.), Exposer des idées. Du musée au Centre
d’interprétation, Paris, Complicités, 2009.
Chiapparo Maria Rosa, « Le mythe de la Terza Roma ou l’immense théâtre de
la Rome fasciste », in Nuovo Rinascimento [en ligne], http://www.nuovorinasci-
mento.org/n-rinasc/saggi/pdf/chiapparo/roma.pdf (en ligne depuis le 17/05/2004).
Claval Paul, Géographie culturelle. Une nouvelle approche des sociétés et des milieux,
Paris, Armand Colin, coll. » U », 2003.
Constant Jean-Marie, Naissance des États modernes, Paris, Belin, coll. « Histoire
Sup », 2000.
Cousin Jules, Notice sommaire des monuments et objets divers relatifs à l’histoire de
Paris et de la Révolution française exposés au musée Carnavalet suivant l’ordre des
salles parcourues par les visiteurs, Orléans, Georges Jacob, décembre 1881 [2e éd.].
Cuisenier Jean (intr.), Muséologie et ethnologie, Paris, ministère de la Culture et
Réunion des musées nationaux, coll. « Notes et documents des musées de France »,
1987.
Culot Maurice (dir.), La troisième dimension, maquettes d’architecture, Bruxelles,
Archives d’architecture moderne, 2003.
Dalbanne Claude, Le Musée historique de Lyon, Lyon, Albums du Crocodile, 1948.
Davallon Jean, L’exposition à l’œuvre. Stratégies de communication et médiation
symbolique, Paris, L’Harmattan, 1999.
Demers Clément (éd.), Pointe-à-Callière, musée d’Archéologie et d’Histoire de
Montréal. Rapport de projet, Montréal, Société immobilière du patrimoine archi-
tectural de Montréal, 1993.
Demoulin Bruno (dir.), Histoire culturelle de la Wallonie, Bruxelles, Fonds Mercator,
2012.
Denis Jean-Pierre et Pourquery Didier (éd.), L’Atlas des villes, 5 000 ans d’his-
toire, Le Monde/La Vie Hors-série, Paris, 2013.
179
Le musée de ville

Desvallées André (éd.), Vagues, une anthologie de la nouvelle muséologie, 2 vol.,


Mâcon et Savigny-le-Temple, éditions W et MNES, 1992-1994.
Desvallées André et Mairesse François (dir.), Dictionnaire encyclopédique de
muséologie, Paris, Armand Colin, 2011.
Dorbec Prosper, L’histoire de Paris au musée Carnavalet, Paris, Rieder, 1929.
Drouguet Noémie, Le musée de société. De l’exposition de folklore aux enjeux contem-
porains, Paris, Armand Colin, coll. » U », 2015.
Drouguet Noémie, « Succès et revers des expositions-spectacles », in Culture &
Musées, no 5, 2005, p. 65-90.
Dubois Madeleine, Les origines du musée Carnavalet, la formation des collections et
leur accroissement (1870-1897), Paris, École du Louvre, thèse de doctorat, 1947.
Dufour Pierre, Un château au cœur du Vieux-Montréal, Montréal, musée du
château Ramezay, 1998.
Dufresne Sylvie, « Pointe-à Callière, une muséographie multimédia : la relation
objet – support – espace – animation », in Les muséographies multimédias : méta-
morphose du musée, 62e congrès de l’ACFAS, Québec, musée de la Civilisation,
1995, p. 53-59.
Duplat Guy, « Ces curieux objets du désir », La Libre Belgique, Bruxelles, 28 janvier
2011, p. 48.
Eidelman Jacqueline (dir.), Nouveaux musées de sociétés et de civilisations, Culture
& Musées, no 6, Arles, Actes Sud, 2005.
Émond Anne-Marie (dir.), L’éducation muséale vue du Canada, des États-Unis
et d’Europe : recherche sur les programmes et les expositions, Montréal, Groupe de
recherche sur les musées et l’éducation des adultes de l’université de Montréal, 2006.
Favier Jean, Paris, deux mille ans d’histoire, Paris, Fayard, 1997.
Fiori Ruth, L’invention du vieux Paris, Naissance d’une conscience patrimoniale dans
la capitale, Wavre, Mardaga, coll. » Architecture », 2012.
Fiori Ruth, Paris déplacé, du xviiie siècle à nos jours : architecture, fontaines, statues,
décors, Paris, Parigramme et Compagnie parisienne du livre, 2011.
Fleury Michel et Kruta Venceslas, « Premiers résultats des fouilles de la Cour
carrée du Louvre », in Comptes-rendus des séances de l’Académie des inscriptions et
belles-lettres, vol. 129, no 4, Paris, 1985, p. 649-672.
Flon Émilie et Davallon Jean, « Georges Henri Rivière versus exposition-spec-
tacle, est-ce une bonne question ? », in Musées et collections publiques de France,
no 229, Paris, 2000, p. 70-77.
Fonseca Brefe Ana Claudia, Gervereau Laurent et Morel-Deledalle
Myriame (coord.), Comment inscrire les musées de ville dans la ville ?, Paris et
Marseille, Association internationale des musées d’histoire, 2003.
Gagnon Hervé, « Divertissement et patriotisme : la genèse des musées d’histoire
à Montréal au xixe siècle », in Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 48, no 3,
1995, p. 317-349.
Galli Letizia (ed.), Siena, The Palazzo Pubblico, The Civic Museum, The Torre del
Mangia, Sienne, Fondazione Musei Senesi, 2011.
180
Bibliographie

Geary Patrick J., Quand les nations refont l’histoire, l’invention des origines médié-
vales de l’Europe, Paris, Flammarion, 2006 [éd. originale : 2002].
Georgel Chantal (dir.), La jeunesse des musées. Les musées de France au xixe siècle,
Paris, Réunion des musées nationaux, 1994.
Gerchow Jan, « Stadt- und regionalhistorische Museen », in Graf Bernhard
et Rodekamp Volker (ed.), Museen zwischen Qualität und Relevanz. Denkschrift
zur Lage der Museen, Berlin, Berliner Schriften zur Museumsforschung, 2012,
p. 327-333.
Gervereau Laurent (dir.), Quelles perspectives pour les musées d’histoire en Europe,
Paris, Association internationale des musées d’histoire, 1997.
Gervereau Laurent et Constans Claire (dir.), Le musée révélé. L’histoire de France
au château de Versailles, Paris, Robert Laffont, 2005.
Gob André, Le Mouseion d’Epictéta. Considérations sur la polysémie du mot musée, à
paraître in Les cahiers de muséologie, no 1, 2015, université de Liège, séminaire de muséo-
logie [en ligne], http://www.museolog.ulg.ac.be/cahier_museo/cahiermuseo.php.
Gob André, « Vases grecs contre Canova. Une étrange transaction au Louvre
en 1818 », in Morard Thomas (dir.), Art & Antiquité, Art&Fact, no 33, Liège,
2014, p. 33-44.
Gob André, Le musée, une institution dépassée ?, Paris, Armand Colin, coll. « Éléments
de réponse », 2010.
Gob André, Des musées au-dessus de tout soupçon, Paris, Armand Colin, 2007.
Gob André, « Musée ouvert, manifestation de l’espace public ? » in Gob André
(dir.), Musées : on rénove !, Art&Fact, no 22, Liège, 2003, p. 122-129.
Gob André et Drouguet Noémie, La muséologie. Histoire, développements, enjeux
actuels, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2014 [4e éd.].
Gonseth Marc-Olivier, Hainard Jacques et Kaehr Roland (dir.), Cent ans d’eth-
nographie sur la colline de Saint-Nicolas (1904-2004), Neuchâtel, musée d’Ethno-
graphie, 2005.
Gorgus Nina, Le magicien des vitrines. Le muséologue Georges Henri Rivière, Paris,
Maison des sciences de l’homme, 2003 [éd. originale : 1999].
Groult Edmond, Institution des musées cantonaux : lettre à Messieurs les Délégués
des Sociétés savantes à la Sorbonne (3 avril 1877), Paris, Claude Motteroz, 1877 [en
ligne], Bibliothèque électronique de Lisieux, http://www.bmlisieux.com/norman-
die/musees.htm
Guiyot-Corteville Julie, « Les missions du musée, entre contemplation et édu-
cation », in Muséologies, les cahiers d’études supérieures, vol. 3, no 2, Montréal, Institut
du patrimoine, 2009, p. 48-63.
Guiyot-Corteville Julie, « L’écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines, acteur
ou témoin de la ville nouvelle », in Ethnologie française, t. XXXVII, Paris, PUF,
2003, p. 69-80.
Guiyot-Corteville Julie et Mairot Philippe (dir.), Écomusées et musées de société,
pour quoi faire ?, Besançon, Fédération des écomusées et musées de société, 2002.
181
Le musée de ville

Habermas Jürgen, L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension consti-


tutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978.
Haenens d’ Albert et Pinson Colette, Les sociétés d’histoire et d’archéologie de la
communauté Wallonie-Bruxelles, Namur, CACEF, 1980.
Halkin Léon-Ernest, Critique historique, Liège, Derouaux Ordina, 1991 [7e éd.].
Hartog François et Revel Jacques, Les usages politiques du passé, Paris, École des
hautes études en sciences sociales, coll. » Enquête », 2001.
Haskell Francis, Le musée éphémère, Les maîtres anciens et l’essor des expositions,
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 2002 [éd. originale : 2000].
Haussmann Georges Eugène, Mémoires du baron Haussmann, éd. par Choay
Françoise, Paris, Le Seuil, 2000 [éd. originale : 1890-1893].
Haussmann Georges Eugène (préf.), Histoire générale de Paris. Introduction, Paris,
Imprimerie impériale, 1866.
Hazan Eric, L’invention de Paris. Il n’y a pas de pas perdus, Paris, Le Seuil, 2002.
Hertzog Anne, « Musée, espace et identité territoriale en Picardie », in Mappemonde,
no 66, vol. 2, Avignon, UMR Espace, 2002, p. 25-28.
Hobsbawm Eric, Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe, réalité,
Paris, Gallimard, 1992 [éd originale : 1990].
Hudson Kenneth, Museums of influence, Cambridge, Cambridge University Press,
1987.
Hugo Victor, Pamphlets pour la sauvegarde du patrimoine, Apt, L’Archange Minotaure,
2006 [éd. originale : 1834].
Hugo Victor (intr.), Paris Guide par les principaux écrivains et artistes de la France.
Première partie : La science – l’art, Bruxelles, Leipzig, Livourne et Londres, A. Lacroix,
Verboekhoven et Cie, et Samson Low et Marston, 1867.
Hussey Andrew, Paris, ville rebelle, de 1800 à nos jours, Paris, Max Milo, 2008 [éd.
originale : 2006].
Insolera Italo et Sette Alessandra Maria, Roma tre le due Guerre, Cronache da
une città che cambia, Rome, Palombi, 2003.
Jaumain Serge (éd.), Les musées en mouvement : nouvelles conceptions, nouveaux
publics (Belgique, Canada), Bruxelles, Centre d’études canadiennes de l’université
de Bruxelles, 2000.
Johnson Nichola (ed.), Reflecting cities. The proceedings of a symposium, Londres,
Museum of London, 1993.
Joly Marie-Hélène et Compère-Morel Thomas (coord.), Des musées d’histoire
pour l’avenir, Paris, Noêsis, 1998.
Jones Ian, Macdonald Robert R. et McIntyre Darryl (ed.), City museums and
city development, Lanham, AltaMira Press, 2008 [First paperback edition, 2010].
Kavanagh Gaynor et Frostick Elizabeth (ed.), Making city histories in museums,
Londres et Washington, Leicester University Press, coll. « Making histories in
museums », 1998.
182
Bibliographie

Kinard John R. et Nighbert Esther, « Le musée de voisinage d’Anacostia,


Smithsonian Institution, Washington, D. C. », in Museum, vol. 24, no 2, 1972,
p. 102-109.
Kistemaker Renée (ed.), City museums as centres of civic dialogue ?, Amsterdam,
Amsterdams Historisch Museum, 2006.
Knell Simon J. et al., National museums, new studies from around the world, Londres,
Routledge, 2011.
Kostof Spiro, The city shaped : Urban patterns and meanings through history, Londres,
Thames & Hudson, 1991.
Krieg-Planque Alice, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théo-
rique et méthodologique, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, coll.
« Annales littéraires de l’université de Franche-Comté », 2009.
Labelle Marie-Dominic, « Éducation et sensibilisation au patrimoine mondial :
le cas de la Société du patrimoine urbain de Québec », in Moumouni Charles et
Simard Cyril (dir.), Journalisme et patrimoine mondial, Québec, Presses de l’uni-
versité Laval, 2007, p. 61-64.
La Monneraye de Jean, « Le Service des travaux historiques de la ville de Paris et
ses dernières publications », in Journal des savants, vol. 4, no 4, Paris, 1960, p. 173-186.
Laveleye de Bérengère, Vandenbulcke Anne et Vanrie André (ed.), Un musée
pour une ville, Bruxelles, musée de la Ville de Bruxelles, coll. « Studia Bruxellae »,
no 2, 2003.
Lefebvre Josée, Centre d’histoire de Montréal, une histoire vivante. Guide de visite,
Montréal, Centre d’histoire de Montréal, 2004.
lehmann Otto, « L’évolution des musées allemands et les origines des Heimatmuseen »,
in Mouseion, vol. 31-32, no III-IV, Paris, 1935, p. 111-117.
Le Maire Judith, « De l’Urbaneum à la “Conférence permanente” : l’apprentissage
comme pilier de la grammaire participative dans l’architecture et l’urbanisme », in
Espaces de vie, espaces enjeux : entre investissements ordinaires et mobilisations poli-
tiques, actes du colloque de l’UMR 6590 (Espaces et Sociétés) à l’université de
Rennes 2, novembre 2008.
Leon Warren et Rosenzweig Roy (ed.), History museums in the United States, a
critical assessment, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1989.
Léri Jean-Marc, Musée Carnavalet. Histoire de Paris, Paris, Fragments interna-
tional, 2007.
Levie Françoise, L’homme qui voulait classer le monde : Paul Otlet et le Mundaneum,
Bruxelles, Les impressions nouvelles, 2006.
Lohman Jack (ed.), Museum of London : Museum highlights, Londres, Scala, 2010.
Loir Christophe, La sécularisation des œuvres d’art dans le Brabant (1773-1842). La
création du musée de Bruxelles, Bruxelles, université libre de Bruxelles, coll. « Études
sur le xviiie siècle », vol. hors-série 8, 1998.
Macdonald Sharon (ed.), A companion to museum studies, Chichester, Wiley-
Blackwell, coll. « Companions in cultural studies », 2011.
183
Le musée de ville

Mairesse François (éd.), L’inaliénabilité des collections de musée en question, actes


du colloque au musée de Mariemont (28 avril 2009), Morlanwelz, musée royal
de Mariemont, 2009.
Mairesse François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal,
Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. » Muséologies », 2002.
Mairesse François et Hurley Cecilia, « Éléments d’expologie : matériaux pour
une théorie du dispositif muséal », in Carter Jennifer (éd.), Expositions en tant
que médias, Média Tropes, vol. 3, no 2, 2012, p. 1-27 [en ligne], http://www.media-
tropes.com/index.php/Mediatropes/article/view/16896.
Margiotta Anita et Massafra Maria Grazia, Un percorso fotografico a Palazzo
Braschi, 1870-1987, Rome, Gangemi et Museo di Roma, 2002.
Marot Sébastien (ed.), Le visiteur : ville, territoire, paysage, architecture, no 7, Paris,
Éditions de l’imprimeur, 2001.
Martens Mina, Charles Buls, ses papiers conservés aux Archives de la Ville, Bruxelles,
archives de la ville de Bruxelles, 1958.
Merriman Nick (éd.), Making early histories in museums, Londres et New York,
Leicester University Press, coll. « Making histories in museums », 1999.
Mersch Corina (dir.), Luxembourg, les Luxembourgeois. Consensus et passions bridées,
Luxembourg, musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 2001.
Mersch Corina (éd.), Une histoire sans limites ? Points de vue, points d’interrogation,
points de suspension…, Luxembourg, musée d’Histoire de la ville de Luxembourg,
2000.
Miller Nyle H., « A look at historical societies », in The Museum news, Washington,
1962, vol. 40, no 6, p. 26-29.
Montgolfier de Bernard, Le Musée Carnavalet. L’histoire de Paris illustrée. Un
aperçu des collections, Paris, Musées et monuments de France, 1986.
Montpetit Raymond, « Une logique d’exposition populaire : les images de la
muséographie analogique », in Publics et Musées, no 9, 1996, p. 55-103.
Montpetit Raymond et Bergeron Yves, Centre d’histoire de Montréal : diagnos-
tic et plan de développement, Montréal, 2010.
Mosse George, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés euro-
péennes, Paris, Hachette Littératures, coll. « Histoire », 1999 [éd. originale : 1989].
Mottola Molfino Alessandra, Il libro dei musei, Rome, Umberto Allemandi, 1991.
Mourre Michel, Dictionnaire de l’histoire, Paris, Larousse, 2001.
Mumford Lewis, La cité à travers l’histoire, Paris, Le Seuil, 1964 [éd. originale :
1961].
Nauwelaerts Mandy (ed.), De toekomst van het verleden. The Future of the Past.
Reflections on history, urbanity and museums, Anvers, Stad Antwerpen, 1999.
Nelis Jan, From ancient to modern : the myth of romanità during the ventennio fas-
cista. The written imprint of Mussolini’s cult of the “Third Rome”, Bruxelles et Rome,
Institut historique belge de Rome, 2011.
184
Bibliographie

Nicolau Antoni (ed.), Second international symposium on city museums, Final pro-
gramme, lecture and abstracts, Barcelone, musée d’Histoire de la ville de Barcelone,
1995.
Nishen Dirk (ed.), The Story of Berlin, Geschichten einer Metropole, Berlin, Story
of Berlin GmbH et Nishen Kommunikation GmbH, 1999.
Nora Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, 3 tomes et 7 vol., Paris, Gallimard,
1984-1992.
O’Doherty Brian, Inside the White Cube : Ideologies of the Gallery Space, Berkeley,
University of California Press, 1999.
Ory Pascal, Les expositions universelles de Paris, Paris, Ramsay, 1982.
Page Max, The creative destruction of Manhattan 1900-1940, Chicago, The University
of Chicago Press, coll. » Historical studies of urban American », 1999.
Passeron Jean-Claude et Revel Jacques (dir.), Penser par cas, Paris, École des
hautes études en sciences sociales, coll.» Enquête », 2005.
Pessler Wilhelm, « Heimatmuseen d’Allemagne », in Museum, vol. 4, no 2, Paris,
1951, p. 95-103.
Pillorget René et Pillorget Suzanne, France baroque, France classique (1589-
1715), Paris, Robert Laffont, 1996.
Poisson Charles, Mémoire sur l’œuvre historique de la ville de Paris, Paris, Imprimerie
impériale, 1867.
Poncelet François, Des expographes et des œuvres : analyse typologique des formes
d’implication personnelle de l’expographe dans les logiques de disposition qu’il conçoit,
Facultés universitaires de Namur, thèse de doctorat, 2011.
Postula Jean-Louis, « La muséalisation de l’espace urbain. Quand le musée de
ville se met en scène dans les rues… », in Bergeron Yves, Arsenault Daniel et
Provencher St-Pierre Laurence (dir.), Musées et muséologies : au-delà des fron-
tières. La muséologie nouvelle en question, Québec, Presses de l’univeristé Laval,
coll. » Patrimoine en mouvement », 2015, p. 93-110.
Postula Jean-Louis, Le musée de ville, une nouvelle catégorie muséale ?, université
de Liège, thèse de doctorat, 2013.
Postula Jean-Louis, « City museum, community and temporality : a historical
perspective », in Jones Ian et al. (ed.), Our Greatest Artefact : Essays on Cities and
Museums about them, Istanbul, Camoc, 2012, p. 33-48 [en ligne], http://network.
icom.museum/camoc/publications/books/.
Poulot Dominique, « Les musées nationaux et les usages du passé », in Museologia.
pt, no 5, Lisbonne, Instituto dos museus e da conservação, 2011, p. 166-175.
Poulot Dominique, Une histoire des musées de France, xviiie-xxe siècle, Paris, La
Découverte, coll. « L’espace de l’histoire », 2005.
Poulot Dominique, Patrimoine et musées. L’institution de la culture, Paris, Hachette,
coll. « Carré histoire », 2001.
Poulot Dominique (dir.), Patrimoine et modernité, Paris, L’Harmattan, 1998.
185
Le musée de ville

Quatremère de Quincy Antoine, Lettres à Miranda sur le déplacement des


monuments de l’art de l’Italie, introduction et notes par Pommier Edouard, Paris,
Macula, 1989.
Rémond René, Introduction à l’histoire de notre temps, t. 3 : Le xxe siècle, de 1914 à
nos jours, Paris, Le Seuil, 1989.
Renardy Christine (dir.), Liège et l’Exposition universelle de 1905, Bruxelles, La
Renaissance du livre, 2005.
Renwick Chris, « Camera obscura, Edinburgh », in British Society for History of
Science (BSHS) Travel Guide [en ligne], http://www.bshs.org.uk/travel-guide/
camera-obscura-edinburgh (en ligne depuis le 24/03/2010).
Reynolds Rachel, Collecting 2000, Londres, Museum of London, 2000.
Roca I Albert Joan, MuhBa, City History Museum of Barcelona, Summary of the
museum’s new strategic plan, Barcelone, 2008.
Roca I Albert Joan et Kistemaker Renée (ed.), The Barcelona Declaration on
European City Museums, Barcelone, City history museums and research network
of Europe, 8 novembre 2013.
Saule Béatrix (éd.), L’histoire au musée, Paris et Versailles, Actes Sud et Établissement
public du musée et du domaine national de Versailles, 2004.
Schärer Martin (ed.), Museums and community, actes du colloque de l’Icofom
(ISS 25) à Stavanger, Vevey, Alimentarium Food Museum, 1995.
Schnitzler Bernadette, Histoire des musées de Strasbourg, des collections entre France
et Allemagne, Strasbourg, musées de la ville de Strasbourg, 2009.
Selbach Gérard, « Esquisse d’une histoire des musées américains : naissance, crois-
sance, missions et politique fédérale et locale », in Revue LISA/LISA e-journal, vol. 5,
no1, 2007 [en ligne], http://lisa.revues.org/1593 (en ligne depuis le 20/10/2009).
Sénéchal Philippe et Barbillon Claire (dir.), Dictionnaire critique des historiens
de l’art actifs en France de la Révolution à la Première Guerre mondiale, Paris, Institut
national d’histoire de l’art [en ligne], http://www.inha.fr/spip.php?article2329.
Sheinman Mort (ed.), A tenement story, The history of 97 Orchard Street and the
Lower East Side Tenement museum, New York, Lower East Side Tenement Museum,
2008 [éd. originale : 1999].
Sheppard Francis, The treasury of London’s past, an historical account of the Museum of
London and its predecessors, the Guildhall Museum and the London Museum, Londres,
Museum of London, 1991.
Smolar-Meynart Arlette, Deknop Anne et Vrebos Martine, Le musée de la
Ville de Bruxelles, la Maison du roi, Bruxelles, musée de la Ville de Bruxelles et
Fondation pour la protection des monuments et sites ASBL, 1992.
Sohn Andreas (dir.), Mémoire : Culture – Ville – Musée, Bochum, Verlag Dr. Dieter
Winkler, 2006.
Stébé Jean-Marc et Marchal Hervé (dir.), Traité sur la ville, Paris, PUF, 2009.
Theobald Mary, Colonial Williamsburg, the first 75 years, Williamsburg, The
Colonial Williamsburg Foundation, 2001.
186
Bibliographie

Thewes Guy, Luxembourg, une ville s’expose, Luxembourg, musée d’Histoire de la


ville de Luxembourg, 2008.
Thompson James David (ed.), Handbook of learned societies and institutions, America,
Washington, Carnegie Institution of Washington, 1908 [réimpression : Detroit,
Gale Research Company, 1966].
Tilden Freeman, Interpreting our heritage, Chapel Hill, The University of North
Carolina Press, 1977 [3e éd.].
Tisserand Lazare-Maurice, Motifs qui ont déterminé la création du Musée histo-
rique parisien et qui en commandent l’achèvement, mai 1870 (manuscrit conservé
au musée Carnavalet).
Tittoni Maria Elisa (dir.), The Museum of Rome tells the story of the city. Concise
guide, Roma, Gangemi Editore, 2002.
Tulard Jean (dir.), Dictionnaire du Second Empire, Paris, Fayard, 1995.
Van Mensch Peter, « Musées en mouvement. Point de vue dynamique et pro-
vocateur sur l’inter-relation muséologie-musées », in Icofom Studies, no 12, 1987,
p. 25-28.
Van Kalck Michèle, Les musées royaux des Beaux-Arts de Belgique : deux siècles
d’histoire, Bruxelles, Racine, 2003.
Van Lier Bas, Treasures of Amsterdam, Highlights of the Amsterdam Historical
Museum collection, Amsterdam, Amsterdam Historical Museum, 2000.
Van Pelt John, « The museum as a guide to the life of a city », in The Museum News,
vol. 9, no 12, Washington, The American Association of Museums, 1931, p. 8.
Vannieuwenhuyze Bram et al., De la Halle au pain au musée de la Ville, huit siècles
d’histoire de Bruxelles, Bruxelles, musée de la Ville de Bruxelles, coll. « Historia
Bruxellae », 2013.
Vedernikova Galina (ed.), Museum of History of Moscow and its collections, Moscou,
Museum of History of Moscow, 1996.
Védrine Laurent (dir.), Marseille ville-monde. Réalités et représentations, programme
scientifique et culturel du nouveau musée d’Histoire de Marseille, Marseille,
15 novembre 2010.
Vermeersch Valentin, Guide musée Gruuthuse, musée communal d’Archéologie et
des Industries d’art, Bruges, Ville de Bruges, 1970.
Viallaneix Paul, « Jules Michelet, évangéliste de la Révolution française », in
Archives des Sciences sociales des religions, vol. 66, no 1, Paris, CNRS, 1988, p. 43-51.
Vieregg Hildegard K. et al. (ed.), Museology – an instrument for unity and diver-
sity ?, actes du colloque de l’Icofom (ISS 33) à Krasnoyarsk, 2003.
Vinson Isabelle et Mc Donald Robert R. (éd.), Vie urbaine et musées, in Museum
international, no 231, Paris, Unesco, 2006.
Visconti Ennio Quirino, Il Museo Pio Clementino, t. 2, Rome, 1784.
Wallis F. S., « Musées régionaux et locaux en Angleterre, au Pays de Galles et
en Irlande du Nord », in Museum, vol. 10, no 3, Paris, 1957.
Walsh Kevin, The representation of the past. Museums and heritage in the post-modern
world, Londres, Routledge, 1992.
187
Le musée de ville

Wheeler Mortimer, Twenty-five years of the London Museum. An album of pho-


tographs illustrating the range of the collections, Londres, Lancaster House, Saint
James’s, 1937.
Wheeler Mortimer, The London Museum, Short guide to the collections, Londres,
Lancaster House, Saint James’s, 1926.
Willesme Jean-Pierre, « La formation du musée Carnavalet, de Jules Cousin à
Jean Robiquet (1866-1925) », in Cahiers de la Rotonde, no 19, Paris, Commission
du vieux Paris, 1997, p. 145-166.
Wilson Robert A. et Keil Frank C. (ed.), The MIT Encyclopedia of the Cognitive
Sciences, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology, 1999.
Wouters Peter (éd.), STAM, musée de la Ville de Gand, Gand, Openbaar Kunstbezit
in Vlaanderen, 2010.
Würth-Polfer Lydie (préf.), Musée d ’Histoire de la ville de Luxembourg,
Luxembourg, musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 1996.
Yetter George Humphrey, Williamsburg before and after : The rebirth of Virginia’s
colonial capital, Williamsburg, The Colonial Williamsburg Foundation, 1988.
Young Brian, Le McCord, l’histoire d’un musée universitaire, Montréal, Cahiers du
Québec, coll. « Histoire de l’éducation », 2001 [éd. originale: 2000].
Zueblin Charles, « The world’s first sociological laboratory », in American Journal of
Sociology, vol. 4, no 5, Chicago, The University of Chicago Press, 1899, p. 577-592.

Sites web de musées et d’associations


Association européenne d’histoire urbaine [en ligne], http://www.eauh2010.ugent.be/fr
Camoc [en ligne], http://network.icom.museum/camoc
Cities’ portraits in city museums, Global stances, local practices [en ligne], http://www.
diki.gr/EN/museum_conf.html
Coalition internationale des Sites de Conscience [en ligne], http://www.sitesof-
conscience.org
Fédération des écomusées et des musées de société [en ligne], http://www.fems.asso.fr
Gadagne musées, musée d’Histoire de Lyon [en ligne], http://www.gadagne.musees.
lyon.fr
Germanisches Nationalmuseum [en ligne], http://www.gnm.de
Haags Historisch Museum [en ligne], http://www.haagshistorischmuseum.nl
Historisches Museum Frankfurt [en ligne], http://www.historisches-museum.
frankfurt.de
Icom (International Council of Museums) [en ligne], http://icom.museum
Local History online [en ligne], http://www.local-history.co.uk
Massachusetts Historical Society [en ligne], http://www.masshist.org
Münchner Stadtmuseum [en ligne], http://www.muenchner-stadtmuseum.de

188
Bibliographie

Société archéologique de Namur [en ligne], www.lasan.be


Ville de Paris, Commission des Travaux historiques [en ligne], http://www.paris.
fr/politiques/histoire-et-patrimoine/comite-d-histoire-de-la-ville-de-paris/
commission-des-travaux-historiques-cth/rub_9317_stand_72511_port_22755

Revues dépouillées
Cahiers d’étude, Paris, Icom, 1995-2006 (no 1-12).
La lettre de l’OCIM, Dijon, Office de coopération et d’information muséogra-
phiques, depuis 2005 (no 97).
Les nouvelles de l’Icom, Paris, Icom, 1971-2006 (vol. 24-59).
Musées et collections publiques de France, Paris, Association générale des conserva-
teurs des collections publiques de France, depuis 1989 (no 182).
Museological review, Leicester, Department of Museum Studies, Leicester University,
1994-1996 (vol. 1-2).
Mouseion, Paris, Office international des musées, 1927-1946 (vol. 1-56), continué
par Museum, Paris, Unesco, 1948-1992 (vol. 1-44), continué par Museum interna-
tional, Paris, Unesco, depuis 1993 (vol. 45).
The Museums Journal, Londres, Museums Association, 1927-1929 (vol. 27-29) ;
1970-1981 (vol. 69-80) ; 1993-1994 (vol. 93-94) ; 2001-2010 (vol. 101-110).
The Museum News, Washington, American Association of Museums, 1924-2007
(vol. 1-86), continué par Museum, Washington, American Association of Museums,
depuis 2008 (vol. 87).
The museologist, Buffalo, Northeast Museums Conference, 1977-1989 (no 140-181).

189
Index

A
Adenauer, Konrad, 117
Albert de Saxe-Cobourg, 39
Alexandra, reine du Royaume-Uni, 91
Alphand, Jean-Charles, 70
Amiens
musée de Picardie, 43
musée Napoléon, 43
Amsterdam
Amsterdams Historisch Museum – Amsterdam Museum, 133, 134, 160, 168
Rijksmuseum, 133
Anacostia
Anacostia Neighborhood Museum, 124
Anderson, Benedict, 35
Anvers
Museum aan de Stroom (MAS), 158
Arles
Museon Arlaten, 80
Arthurs, Joshua, 115

B
Bakou, 120
Baltimore
Municipal Museum of the City of Baltimore, 106
Bandon, Richard, 94
Baragwanath, Albert, 98, 105
Barcelone
Museu d’Història de Barcelona (MuhBa), 41, 167, 169, 171
Berlin
Kaiser-Friedrich Museum, 76
Märkisches Museum, 165
The Story of Berlin, 165
Berty, Adolphe, 62
Bode, Wilhelm von, 76
Bologne
Genus Bononiae, 167
Museo Civico Archeologico, 55

191
Le musée de ville

Boston
Massachusetts Historical Society, 45
Old State House, 46
Bourgeois, Victor, 90
Brett, Reginald (Lord Esher), 91
Brown Goode, George, 13
Bruges
Bruggemuseum, 166
Bruxelles
Académie des beaux-arts, 81
musée de la Ville de Bruxelles, 80, 85, 86
Musée populaire, 50
musées royaux d’Art et d’Histoire, 103
musées royaux des Beaux-Arts, 81
Urbaneum, 90
Budapest
Magyar Nemzeti Múzeum, 36
Buls, Charles, 50, 80, 81, 82, 85, 102

C
Capart, Jean, 103
Caumont, Arcisse de, 43
Celle
Heimatmuseum, 51
Chalon-sur-Saône, 43
Charles Ier, roi d’Angleterre, 94
Chevreau, Henri, 65
Chicago
Chicago Historical Society, 46
Cologne
Haus der Rheinischen Heimat, 113, 117, 118
Kölnisches Stadtmuseum, 87, 113, 117, 118
Copenhague
Nationalmuseet, 37
Cousin, Jules, 72, 74
Cromwell, Oliver, 94

D
Dana, John Cotton, 100
Deferre, Gaston, 136
Detroit
Detroit Historical Museum, 106

192
Index

Doumergue, Gaston, 74


Dublin
Dublinia, 1 63

E
Édimbourg
Outlook Tower, 90
The People’s Story, 152
Edward VII, roi du Royaume-Uni, 91, 94
Elizabeth II, reine du Royaume-Uni, 91
Erevan, 1 20

F
Ford, Henry, 108
forteresse Pierre-et-Paul, 120
Francfort
Historisches Museum Frankfurt, 87, 125, 156, 157

G
Gailhabaud, Jules, 70, 71, 72
Gand
STAM, 1 62
Geddes, Patrick, 88, 90, 100
George V, roi du Royaume-Uni, 91, 94
Giovo, Paolo, 33
Goebbels, Joseph, 117
Goodwin, William, 107, 108
Groult, Edmond, 52, 53
Guizot, François, 38, 44

H
Hainard, Jacques, 156
Harcourt, Lewis, 91
Haussmann, Eugène, 55, 58, 59, 60, 61, 63, 64, 65, 70
Hazelius, Arthur, 109
Helsinki
Helsinki City Museum, 167

J
Jamaer, Pierre-Victor, 84

193
Le musée de ville

K
Kansas City
Kansas City Museum, 106

L
La Haye
Haags Historisch Museum, 87
Le Corbusier, 128
Le Creusot
écomusée du Creusot, 138
Lenoir, Alexandre, 37
Liège, 4 0, 44
Liesville, Alfred de, 74
Liverpool
Museum of Liverpool, 158
Londres
Barbican Estate, 128
Crystal Palace, 39
Guildhall Museum, 127
Kensington Palace, 91, 94
Lancaster House, 94
London Museum, 90, 91, 94, 127, 131, 132
Madame Tussauds, 94
Museum of London, 17, 95, 116, 126, 127, 128, 130, 132, 136, 145, 146, 147,
160, 161, 168, 173
Museum of London Docklands, 145
South Kensington Museum, 34
Louis-Philippe Ier, roi des Français, 38, 63
Louis XIV, roi de France, 112
Luxembourg
musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 154, 156, 169
musée national d’Histoire et d’Art, 155
Lyon
musée d’Art et d’Industrie, 71
musée Gadagne, 41

M
Malraux, André, 136
Marseille
musée d’Histoire de Marseille, 136, 161
Mexico, 1 24
Montréal
Centre d’histoire de Montréal, 139, 140, 148, 151
château Ramezay, 48

194
Index

écomusée du Fier-Monde, 151


musée McCord, 150, 151
Pointe-à-Callière, musée d’Archéologie et d’Histoire de Montréal, 148
Moscou
Krestovsky Tower, 41
musée de l’Histoire et de la Reconstruction de Moscou, 119
musée d’Histoire de Moscou, 41
Museum of Moscow Municipal Facilities and Services, 41
Munich
Münchner Stadtmuseum, 87
Mussolini, Benito, 114

N
Namur
Musée archéologique de Namur, 44
Nancy
Musée lorrain, 43
Napoléon III, 43, 59, 61, 63, 64, 112
Neuchâtel
musée d’Ethnographie de Neuchâtel, 156
New York
American Museum of Natural History, 99
Bronx Zoo, 99
Carnegie Hall, 99
Central Park, 99
Gracie Mansion, 98, 99
Lower East Side Tenement Museum, 152
Manhattan, 105
Metropolitan Museum of Art, 99
Museum of the City of New York, 15, 16, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104,
105, 106, 108, 124, 168
New York Historical Society, 45, 98
Nijni Novgorod, 41
Nouvelle-Angleterre, 45
Nuremberg
Germanisches Nationalmuseum, 36

O
Orléans, 43
Oslo
Oslo Museum, 87
Otlet, Paul, 90
Ottawa, 48

195
Le musée de ville

P
Paris
Champ-de-Mars, 40
Conservatoire national des arts et métiers, 34
couvent des Petits-Augustins, 37
Marais, 57
Montmartre, 44
musée Carnavalet, 13, 15, 31, 34, 44, 49, 56, 57, 58, 60, 61, 63, 64, 65, 66, 69, 70,
71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 79, 80, 86, 91, 95, 97, 98, 101, 115, 117, 126, 127, 133,
142, 174
musée de Cluny, 1 36
musée de l’Armée, 113
musée de l’Ustensillage, 70, 71
musée des Arts et Traditions populaires, 71
musée des Monuments français, 36, 38
musée du Louvre, 43, 107
musée du Trocadéro, 34, 71
musée Grévin, 9 4
place des Vosges, 58, 75
Périgueux, 43
Philadelphie
Atwater Kent Museum, 106
Philippe-Auguste, 63
Pie IX, 1 16
Pie VI, 116
Pittsburgh, 15
Poisson, Charles, 61, 62, 65, 66, 68, 69, 70
Prague, 120

Q
Quatremère de Quincy, Antoine, 107
Québec
Centre d’interprétation de la vie urbaine, 140, 141

R
Richmond, 107
Riga, 120
Rivière, George Henri, 25, 52, 117, 118, 138
Rockefeller, John D. Jr, 99, 108
Rome
château Saint-Ange, 114, 116
Museo di Roma, 113, 114, 115, 116, 117
Roosevelt, Franklin Delano, 107

196
Index

S
Saint-Germain-en-Laye
musée des Antiquités nationales, 34
Saint-Pétersbourg
musée de l’Histoire et du Développement de Leningrad, 120
musée du Vieux-Pétersbourg, 119
Saint-Quentin-en-Yvelines
musée de la Ville de Saint-Quentin-en-Yvelines, 138, 151
São Paulo
musée de la Personne, 151
Shanghai
Shanghai History Museum, 163
Sienne
Palazzo Pubblico, 55
Sorensen, Colin, 131
Stockholm
Nordiska Museet, 34, 39, 80
Skansen Museet, 109
Strasbourg
Musée historique de Strasbourg, 112, 113
palais Rohan, 112
Sudbury
Wayside Inn, 108

T
Tallinn, 120
Tbilissi, 1 20
Tilden, Freeman, 110
Tisserand, Lazare-Maurice, 65, 66, 67
Toronto, 4 8

U
URSS, 1 19

V
Van Pelt, John V., 10, 11, 15, 16, 21, 97, 99, 100, 101, 102, 106, 125
Vaquer, Théodore, 63
Varsovie
musée d’Histoire de Varsovie, 120
Versailles
château de Versailles, 37, 38
musée de l’Histoire de France, 37
Victoria, reine du Royaume-Uni, 91, 92, 94
197
Le musée de ville

Viollet-le-Duc, Eugène, 84

W
Wauters, Alphonse, 81
Williamsburg
Colonial Williamsburg, 107, 109, 110, 139
Wilson, John-Waterloo, 81

Y
York
York Castle Museum, 110

198
Crédits photographiques
Pour l’ensemble des documents reproduits :
©  Jean-Louis Postula.
Exceptés :
p. 115 : ©  séminaire de muséologie, université de Liège ;
p. 131 : ©  Museum of London.
Tous droits réservés.
Tous droits réservés également pour les documents rédactionnels
et les photographies non cités dans la présente liste.

Vous aimerez peut-être aussi