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Le musée de ville
Histoire et actualités
Le musée de ville
Le musée de ville
Longtemps inscrit dans un schéma classique, centré sur ses collections, le
musée de ville a évolué au rythme de sa diffusion sur tous les continents et
de ses adaptations aux formes successives de la muséologie. Aujourd’hui,
considéré comme un équipement culturel devant répondre aux attentes parfois
Histoire et actualités
divergentes des touristes et de la population locale, le secteur des musées de
ville est particulièrement dynamique et les projets de rénovation et de création
se multiplient.
Cet essor témoigne également de la complexité d’un objet d’étude où s’imbriquent Jean-Louis POSTULA
histoire, urbanisme, modes de vie, diversité culturelle et débats de société…, et Préface d’André GOB
qui conduit à la constitution d’une catégorie de musées résolument originale
et interdisciplinaire.
Richement illustré, cet ouvrage constitue une première synthèse globale d’un
siècle et demi de traitement muséal du thème de la ville dans le monde occidental,
jusqu’à ses développements les plus récents.
Jean-Louis POSTULA
Diffusion
Direction de l’information
légale et administrative
La documentation Française
Tél. : 01 40 15 70 10
www.ladocumentationfrancaise.fr
9:HSMBLA=U^]YVW:
Imprimé en France
ISBN : 978-2-11-009841-2
DF : 5MM38300
Prix : 22 € dF
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Voyage au musée du quai Branly
Traité d’expologie
Visiteurs photographes au musée
Métamorphoses des musées de société
Les Musées au Maghreb et leurs publics
Documenter les collections des musées
Exposer l’histoire contemporaine
Les conservateurs de musées
Le musée de ville
Histoire et actualités
Jean-Louis POSTULA
Préface d’André GOB
La documentation Française
Remerciements
Ce livre est une version abrégée et remaniée de la thèse en Histoire, Art et Archéologie « Le musée
de ville, une nouvelle catégorie muséale ? », soutenue à l’université de Liège le 26 mars 2013, sous la
direction d’André Gob.
Je tiens à présenter mes remerciements sincères à toutes celles et ceux qui m’ont accompagné et
soutenu dans mon projet de recherche et dans la réalisation de cette publication, et en particulier :
– mon promoteur, André Gob, qui m’a accompagné tout au long de cette aventure, ainsi que les
membres de mon jury de thèse : Jean Davallon, Noémie Drouguet, Marie-Paule Jungblut et Dominique
Poulot, qui ont tous contribué à l’évolution de ma réflexion sur le sujet ;
– les professionnels de musées qui m’ont ouvert les portes de leur institution et ont consacré de leur
temps à me faire découvrir leur quotidien passionnant : André Delisle, Sylvie Dufresne, Julie Guiyot-
Corteville, Sarah Henry, Ian Jones, Irina Karpenko (et Nadia Voronchikhina pour la traduction simul-
tanée), Renée Kistemaker, Marie-Dominic Labelle, Jean-François Leclerc, Bryan LeMay, Tiina Merisalo,
Louise Mirrer, Joan Roca I Albert, Cathy Ross, Bernhard Schütte, Peter Schwirkmann, Alexander Sotin,
Corinne Ter Assatouroff, Laurent Védrine, Nicole Vallières, Anne Vandenbulcke et Danièle Wagener ;
– les muséologues et chercheurs rencontrés au détour d’un colloque ou d’un rendez-vous, avec les-
quels les discussions ont toujours été fructueuses : Yves Bergeron, Anna Gabrys, Bernadette Mérenne-
Schumacker, Raymond Montpetit, Marlen Mouliou, Chet Orloff, Habib Saidi et Rainey Tisdale ;
– pour la Documentation française : Jacqueline Eidelman, Dagmar Rolf et Mélanie Roustan ;
– mes amis et les membres de ma famille.
La thèse à l’origine de ce travail a été financée entre 2008 et 2012 par le Fonds de la Recherche
Scientifique – FNRS, sous la forme d’un mandat d’aspirant. Plusieurs séjours de recherche à l’étranger ont
en outre été réalisés grâce à des subsides octroyés par l’Administration Recherche et Développement
de l’université de Liège. Je remercie ces deux institutions pour leur soutien.
Préface 9
André Gob
Introduction 13
Chapitre 1
Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ? 17
Une étude de discours 17
Une définition impossible à établir 30
Chapitre 2
Les origines et le contexte muséal 33
L’affirmation d’un sentiment national 35
L’émergence d’une dimension locale 41
Un musée au croisement du local et du national 55
Chapitre 3
L’âge classique du musée d’histoire de ville 57
Le musée Carnavalet de Paris, institution fondatrice 57
La diffusion européenne du modèle, à la charnière des xixe et xxe siècles 80
La période 1920-1970 96
De la collection à la démocratisation, vers un changement de paradigme 121
Chapitre 4
Des modèles en mutation 123
Une nouvelle muséologie pour un nouveau regard sur la ville (1970-1990) 123
La diversification des approches, au cours des vingt-cinq dernières années 143
Conclusion 173
Annexe
Les dix-sept événements analysés dans le cadre de la recherche 175
Bibliographie 177
Index 191
7
Préface
André Gob,
professeur de muséologie à l’université de Liège
Le monde des musées est généralement structuré selon des catégories dans les-
quelles se rangent les différentes institutions. Cela permet de réduire l’extrême
diversité des musées, d’y mettre un semblant d’ordre, mais on ne peut pas vrai-
ment parler d’une typologie. En effet, ces catégories de musées ne sont jamais
définies de façon précise, lorsqu’elles le sont. Et pourtant, elles sont omniprésentes
dans la vie des musées.
Dans leur organisation, d’abord. L’instance qui les met en place et qui les fait vivre
– État, autorités locales, associations… – trouve naturel de créer côte à côte un
musée de beaux-arts, un musée d’histoire naturelle, un musée d’ethnographie, etc.
Ces musées vont se voir dotés de structures, de bâtiments, de personnels distincts
et différenciés.
Dans l’esprit du public, ensuite. Le choix du musée, la fréquence et les modali-
tés de visite, et l’attitude même, qui va, selon le type de musée, du recueillement
quasi religieux à des activités ludiques exubérantes, s’imposent tout aussi natu-
rellement au visiteur.
Dans la formation initiale des personnels, enfin. Des biologistes dans les muséums,
des historiens dans les musées d’histoire, des archéologues dans ceux d’archéologie
et des historiens de l’art pour les beaux-arts. Et lorsqu’un diplôme ad hoc n’existe
pas, c’est le musée lui-même qui se charge de l’organiser, comme on l’a vu autrefois
pour l’ethnographie. Les difficultés que rencontrent les formations de muséologie
pour s’imposer parmi les cursus ne sont sans doute pas étrangères à cette attitude.
Les comités internationaux de l’Icom et d’autres institutions internationales, des
réseaux nationaux ou régionaux de musées, tel Musées et Société en Wallonie, par
exemple pour la Belgique francophone, reproduisent largement cette catégorisation.
Les catégories muséales sont essentiellement fondées sur les disciplines du savoir
scientifique, comme s’il était impossible de penser le musée pour lui-même, indé-
pendamment de la discipline à laquelle on le rattache. Dans ces conditions, l’inter-
disciplinarité et la multidisciplinarité, dont on nous vante à juste titre les mérites,
ont bien du mal à s’exercer.
Il faut bien constater que les catégories disciplinaires de musées existent depuis
leur origine, dans la seconde moitié du xviiie siècle. C’est même un signe de l’émer-
gence du véritable musée moderne, fondé sur le rationalisme et la scientificité
des Lumières, qui se distingue ainsi du Collectionnisme poly-thématique qui le
précède. Lorsqu’en 1797, la Commission chargée des saisies révolutionnaires en
Italie expédie à Paris le produit de ses réquisitions, elle spécifie la destination de
son envoi : les sculptures et les tableaux au Musée central des arts (le futur Louvre),
les échantillons et les spécimens naturels au Muséum, les manuscrits et même
les vases « étrusques » à la Bibliothèque nationale. Le musée lui-même constitue
9
Le musée de ville
une catégorie d’institution culturelle qui a dû forger son identité, notamment par
rapport aux bibliothèques et à des entreprises à caractère économique actives dans
le domaine de la culture 1. Deux siècles plus tard mais dans la même perspective,
lorsqu’est créé le Centre Pompidou en 1977, on prend bien soin de distinguer le
musée national d’Art moderne de ses voisins – centre de documentation, salle de
projection… – au sein du bâtiment emblématique de Piano et Rodgers.
Ces deux traits – un univers muséal structuré en catégories disciplinaires et une
institution muséale strictement cloisonnée autour de sa collection – constituent
selon moi des caractéristiques du modèle classique de musée 2.
Par le caractère très diversifié de la vie urbaine, le musée de ville transcende les caté-
gories disciplinaires et, par là même, pose problème comme le souligne, dès 1931,
John Van Pelt, l’un des fondateurs, très novateur, du Museum of the City of New
York, qui revendique la création d’une nouvelle catégorie spécifique de musée.
En quatre chapitres très toniques, Jean-Louis Postula dresse un portrait riche
et contrasté de l’univers des musées de ville qui, à bien des égards, reproduit et
amplifie la diversité des musées eux-mêmes. Son analyse – qui, à l’exhaustivité
vite superficielle préfère l’étude approfondie de cas choisis – couvre un champ très
large dans le temps (depuis la création du musée Carnavalet à Paris) et dans l’es-
pace (de Montréal à Shanghai et de Barcelone à Helsinki). On voit bien, à le lire,
que l’expression « musée de ville » recouvre des réalités très différentes qui ne se
laissent pas enfermer dans une définition stricte et consensuelle d’une catégorie
muséale qu’elle prétend désigner.
À travers cet exemple, Jean-Louis Postula s’interroge : comment une nouvelle
catégorie de musées se définit-elle ? Comment s’impose-t-elle au sein des autres
catégories, plus anciennes et, de ce fait, perçues comme plus légitimes ? Le cas du
musée de ville est d’autant plus intéressant qu’à la nouveauté il ajoute l’hétéro
doxie : le musée de ville ne s’appuie pas sur une collection aux contours bien définis
mais, au contraire, il se veut multidisciplinaire, comme le reflète la diversité de
ses collections, de l’archéologie à l’histoire, de l’ethnographie aux arts décoratifs.
Pour dénouer les fils de cet écheveau, l’auteur met en œuvre, dans sa thèse, une
méthodologie fondée sur de nombreux entretiens et sur l’analyse de discours, que
les contraintes éditoriales n’ont pas permis d’exposer dans le détail. Il observe que,
malgré une histoire plus que centenaire, ce n’est que dans la dernière décennie du
xxe siècle que cette catégorie de musées prend conscience d’elle-même (hormis
la perspective visionnaire tracée par Van Pelt) et s’institutionnalise. On constate
alors une sorte d’emballement dans l’usage de l’expression « musée de ville » qui
devient une formule (au sens d’Alice Krieg-Planque 3) et s’impose à un contenu
mal défini : le nom prend le pas sur la chose.
1 Gob André, « Vases grecs contre Canova. Une étrange transaction au Louvre en 1818 », in Morard
Thomas (éd.), Art & Antiquité, Art&Fact, no 33, Liège, 2014, p. 33-44.
2 Gob André, Le musée, une institution dépassée ?, Paris, Armand Colin, coll. « Éléments de réponse »,
2010, p. 26-30.
3 Krieg-Planque Alice, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et méthodologique,
Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Annales littéraires de l’université de Franche-
Comté », 2009.
10
Préface
11
Le musée de ville
12
Introduction
7 « Categorization, the process by which distinct entities are treated as equivalent, is one of the most fundamental and
pervasive cognitive activities. » Medin Douglas et Aguilar Cynthia, « Categorization », in Wilson Robert
A. et Keil Frank C. (ed.), The MIT Encyclopedia of the Cognitive Sciences, Cambridge, Massachusetts
Institute of Technology, 1999, p. 104-105, p. 104.
8 Mairesse François, « Musée », in Desvallées André et Mairesse François (dir.), Dictionnaire encyclo-
pédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 271-320, p. 281.
9 C’est notamment le cas de Georges Henri Rivière et d’Edward Alexander, qui structurent leur historique
du musée selon une logique typologique. La muséologie selon Georges Henri Rivière. Cours de muséologie/Textes
et témoignages, Paris, Dunod, 1989, p. 89-145. Alexander Edward et Alexander Mary, Museums in motion,
An introduction to the history and functions of museums, Lanham, AltaMira Press, 2008 [2e éd.], p. 21-183.
13
Le musée de ville
10 Selon André Gob et Noémie Drouguet, ces quatre grandes fonctions circonscrivent l’offre que le musée
se doit de proposer à son public. Le nombre et l’intitulé des fonctions muséales peuvent varier en fonc-
tion des auteurs. Gob André et Drouguet Noémie, La muséologie. Histoire, développements, enjeux actuels,
Paris, Armand Colin, coll. « U », 2014 [4e éd.], p. 70-71.
11 Hudson Kenneth, Museums of influence, Cambridge, Cambridge University Press, 1987.
12 Mairesse François, Le musée, temple spectaculaire. Une histoire du projet muséal, Lyon, Presses universi-
taires de Lyon, coll. « Muséologies », 2002.
13 Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 76-77.
14 « Raisonner à partir de singularités », in Passeron Jean-Claude et Revel Jacques (dir.), Penser par cas,
Paris, École des hautes études en sciences sociales, coll. « Enquête », 2005, p. 9-44, p. 9.
15 « There has been no major meeting of representatives of museums devoted to the study of cities. » Hebditch
Max, « Reflecting cities : an international symposium on city museums : a key-note address », in Johnson
Nichola (ed.), Reflecting cities. The proceedings of a symposium, Londres, Museum of London, 1993, p. 1-7, p. 1.
14
Introduction
16 Ce texte sera publié quelques mois plus tard dans la revue de l’association : Van Pelt John, « The
museum as a guide to the life of a city », in The Museum News, vol. 9, no 12, Washington, The American
Association of Museums, 1931, p. 8.
15
Le musée de ville
les musées comme le Museum of the City of New York, bien qu’il soit aujourd’hui unique
en son genre [N. D. A. : en Amérique], méritent une classification bien à eux 17. »
Le caractère visionnaire du souhait de John Van Pelt ne peut manquer de nous
impressionner. Il est en effet émis six décennies avant que ne se trouve posée, par
l’intermédiaire de rencontres entre professionnels, de colloques scientifiques ou
encore de publications, la question de la place particulière de ces institutions au sein
de la communauté des musées. Nous le verrons dans le premier chapitre, la toute
fin du xxe siècle correspond à la période d’accession à un espace public toujours
plus grand de l’idée d’une catégorie autonome portant le nom de musée de ville.
Enfin, si le titre du discours de John Van Pelt nous a paru mériter de figurer en
épigraphe, c’est parce qu’il synthétise parfaitement la mission primordiale assi-
gnée depuis les origines à tous les établissements concernés par notre étude : celle
d’être des musées-guides, au service d’une meilleure compréhension des multiples
enjeux – non seulement passés, mais aussi présents et futurs – d’une vie urbaine
en continuelle évolution.
17 « I found a tendency on the part of those I met to catalogue the Museum of the City of New York as a historical
museum. […] We are confronted with the fact that it is no more historical than the art museum or the museum of
natural history – perhaps less so. It is the museum of a city and its value should be sociological […].
I feel sure you will sympathize with my view that such a museum ought not to be classified with the historical
museum pure and simple. I believe museums like the Museum of the City of New York, though at present it is the
only one of its kind, deserve a classification of their own. » Ibid.
16
Chapitre 1
Musée de ville,
une nouvelle catégorie de musées ?
17
Le musée de ville
18
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?
types d’institutions muséales. C’est d’ailleurs cette particularité qui justifie qu’une
nouvelle catégorie doive être envisagée :
« Les musées de ville sont aujourd’hui confrontés à de plus grands défis que tous les
autres musées du monde […] 25. »
L’identification, au sein du corpus étudié, des catégories d’institutions avec les-
quelles le musée de ville est comparé, parfois pour montrer les points communs
qui les unissent mais le plus souvent en quoi ils s’en distinguent, permet d’ailleurs
de recréer une typologie muséale presque complète : du musée d’art au musée
de société, en passant par les arts décoratifs, l’histoire naturelle, l’archéologie ou
encore les musées de science :
« La principale avancée des musées de ville : ils rompent définitivement avec le concept
identitaire “monolithique” qui a longtemps constitué le socle des musées de société 26. »
« À la différence des grands musées d’art, d’archéologie ou de science qui existent dans
nos villes, les musées sur la ville sont […] 27. »
Deux facteurs sont régulièrement avancés pour expliquer le caractère singulier du
musée de ville. Le premier est que celui-ci transcende les clivages disciplinaires, à
l’inverse de la plupart des catégories citées ci-dessus, unidisciplinaires. En raison
de la complexité d’un objet d’étude tel que la ville, ainsi que de l’imbrication pro-
fonde des thèmes qui s’y raccrochent – l’urbanisme, la population et ses modes de
vie, la diversité culturelle, l’histoire et les débats de société… –, aucune approche
centrée sur une unique branche de la connaissance ne se révèle pertinente, qu’il
s’agisse de l’histoire de l’art, la sociologie ou encore l’architecture. Le musée se doit
donc d’orienter ses projets et son discours vers une démarche résolument inter-
disciplinaire. Plusieurs énoncés mettent par ailleurs en exergue la difficulté de
« gérer […] cette symphonie de collecte, pareille pluralité de sources 28 ». Le plus
grand défi que rencontrent les responsables des musées de ville consiste en effet
à devoir rendre compte d’un « objet total, polysémique 29 », tout en se confrontant
à l’impossibilité matérielle « […] de collecter tout ce qui a trait au territoire dans
toutes les disciplines 30 ».
La multiplicité des formes que peut revêtir le musée de ville constitue ensuite la
seconde caractéristique qui fait de lui une catégorie muséale particulière :
25 Grewcock Duncan, « Musées de ville et avenirs urbains : une nouvelle politique d’urbanisme et de
nouveaux défis pour les musées de ville », in Vinson Isabelle et Macdonald Robert R. (éd.), Vie urbaine
et musées, Museum international, no 231, Paris, Unesco, 2006, p. 32-43, p. 32.
26 Guyot-Corteville Julie, « Musées de ville en France », in Musée et ville, Lettre du Comité national
français de l’Icom, no 30, actes de l’assemblée générale Icom-France à Berlin (20-22 mai 2005), Paris, Icom-
France, décembre 2005, p. 19-22, p. 20.
27 Hebditch Max, « Des musées qui parlent de la ville », in Les musées de la ville, Museum international,
vol. 47, no 187, Paris, Unesco, septembre 1995, p. 7-11, p. 7.
28 Gervereau Laurent, « Des musées en première ligne », in Fonseca Brefe Ana Claudia, Gervereau
Laurent et Morel-Deledalle Myriame (coord.), Comment inscrire les musées de ville dans la ville ?, Paris
et Marseille, Association internationale des musées d’histoire, 2003, p. 17-19, p. 18.
29 Guyot-Corteville, « Musées de ville en France », in Musée et ville, op. cit., p. 19-22, p. 19.
30 Delarge Alexandre, « Le patrimoine contemporain : un enjeu démocratique », in Fonseca Brefe,
Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 23-29, p. 27.
19
Le musée de ville
« Il existe de nombreux types de musées de ville, ou mieux, en fonction des circonstances,
de nombreuses typologies sont possibles 31. »
Le musée de ville est en effet considéré comme non réductible à un type d’amé-
nagement formel ou conceptuel qui lui serait spécifique, à l’instar du classique
white cube pour l’art contemporain 32, par exemple. Chaque musée de ville est en
réalité le fruit d’une histoire et d’un contexte institutionnel uniques, qui justifient
à la fois son apparence et son mode de fonctionnement : centre d’interprétation
ou d’information, espace plus classique d’exposition permanente des collections
ou au contraire ne fonctionnant que sur base d’expositions temporaires, maison de
la culture, musée à ciel ouvert ou réparti en différents sites-satellites dans la ville,
voire encore théâtre, bibliothèque, école ou centre d’archives pour certains auteurs
plus audacieux ou visionnaires… Les énoncés du corpus sont émaillés de descrip-
tions témoignant de l’abondante diversité des institutions rassemblées sous le
label « musée de ville », des plus conservatrices aux plus innovantes ou inattendues.
Le musée et la temporalité
« Le temps est une catégorie philosophique essentielle, qui influe directement sur l’acti-
vité d’un musée de ville. Celui-ci reflète le développement passé, présent et futur de la
ville elle-même et de sa communauté. Traditionnellement, la plupart des musées ont tou-
jours privilégié l’évolution historique et se sont moins intéressés au présent et au futur 33. »
Par cette citation, l’historienne et directrice de musée russe Tatiana Gorbatcheva
pose la question du rapport que doit entretenir la catégorie muséale avec les mani-
festations de la temporalité que sont le passé, le présent et l’avenir. Elle est d’ail-
leurs loin d’être la seule à s’en préoccuper, puisque cette problématique est celle
qui revient le plus régulièrement dans l’ensemble des discours. Plus de la moitié
des énoncés du corpus font en effet explicitement référence à au moins l’un des
trois concepts qui marquent le découpage du temps, entre ce qui n’est plus et ce
qui n’est pas encore. La réflexion sur l’exposition de la temporalité est donc indis-
sociable de celle sur le musée de ville, soulignée dès 1993 dans tous les documents
de référence publiés dans le cadre des différents réseaux et associations recensés.
En matière de fréquence d’apparition dans les communications, ce sont d’abord les
références au passé de la ville qui s’imposent largement, devant celles au présent,
elles-mêmes bien plus nombreuses que celles évoquant l’évolution future de la
cité. Il faut noter par ailleurs qu’une majorité d’énoncés mentionne deux tempo-
ralités à la fois, voire les trois.
31 « Stadsmusea zijn er vele types, of beter, afhankelijk van de variabelen zijn er vele typologieën mogelijk. »
Thielemans Steven, « Stadsmusea : sociaal en/of economisch ? en A new city museums in Ghent », in
Laveleye de Bérengère, Vandenbulcke Anne et Vanrie André (éd.), Un musée pour une ville, Bruxelles,
musée de la Ville de Bruxelles, coll. « Studia Bruxellae », no 2, 2003, p. 103-108, p. 104.
32 O’Doherty Brian, Inside the White Cube : Ideologies of the Gallery Space, Berkeley, University of California
Press, 1999.
33 Gorbatcheva Tatiana, « Le musée de ville et ses valeurs », in Vinson et Macdonald, Vie urbaine et
musées, op. cit., p. 53-57, p. 55.
20
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?
34 Hemlinger Paul, « Prologue », in Mersch Corina (éd.), Une histoire sans limites ? Points de vue, points
d’interrogation, points de suspension…, Luxembourg, musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 2000, p. 9.
35 « Museums of history of the city (or City Museums as they now often call themselves) […]. » Kistemaker
Renée, « A local museum on the city’s history or a city museum ? An impression of some recent museologi-
cal developments in cities in Europe », in Campanini Graziano et Negri Massimo (ed.), The Future of City
Museums in Europe : experiences and perspectives, Bologne, Bononia University Press, 2008, p. 301-307, p. 302.
36 « In some case when one speaks of city museums one means history museums, but more often than not the concept
has been widened to include other disciplines which help us to understand the reality of the city : art collections, […],
collections connected to the fields of anthropology, ethnology and sociology. » Nicolau Antoni, « City museums,
towards the third millennium », in Nicolau Antoni (ed.), Second international symposium on city museums,
Final programme, lecture and abstracts, Musée d’Histoire de la Ville de Barcelone, Barcelone, 1995, p. 1-6, p. 2.
37 « City museums at the beginning of the 21st century have a strong role in documenting the change of a city. That
means they have to do something now. » Beier-de Haan Rosmarie, « Discussion », in Kistemaker Renée (ed.),
City museums as centres of civic dialogue ?, Amsterdam, Amsterdams Historisch Museum, 2006, p. 58-59, p. 58.
21
Le musée de ville
« Je vais m’intéresser à la manière dont les musées de ville peuvent placer les problèmes
contemporains dans leur contexte historique 38. »
La seconde option ne vise pas quant à elle à créer du lien entre passé et présent,
mais préfère plutôt les envisager comme deux missions, certes complémentaires
mais néanmoins distinctes, du musée de ville. L’usage du mot « buts » (aims) au
pluriel dans l’extrait suivant en est un indice :
« Sans doute, les buts centraux des musées de ville pourraient être d’informer les visi-
teurs à propos du passé […] et d’augmenter l’intérêt et l’implication dans les problèmes
actuels de préservation, de conservation […] 39. »
L’intégration d’une réflexion sur l’évolution future de la cité comme élément fon-
damental de la définition du musée de ville est également présente dans les dis-
cours, bien que ce concept y soit beaucoup moins régulièrement évoqué que les
deux autres marqueurs de la temporalité. Il est d’ailleurs le plus souvent mobilisé
en association avec le passé ou le présent, plutôt que seul :
« Si la collecte du passé était et continuera certainement à être importante pour les musées
de ville, les programmes muséaux consacrés à la planification du futur doivent occuper
une part toujours plus significative dans les agendas éducatifs des musées de ville 40. »
Enfin, une faible proportion – environ 15 % – des communications du corpus est
quant à elle structurée autour de l’énoncé simultané des trois parties du temps,
octroyant de la sorte au musée de ville un mandat sur l’ensemble du continuum
chronologique. Ces énoncés témoignent alors d’une conception très englobante
du musée de ville en matière de temporalité. Ils permettent aussi de se rendre
compte de la complexité pour les institutions d’atteindre un objectif qui serait
l’articulation harmonieuse et compréhensible pour le public des trois notions
passé-présent-futur :
« Un musée dont le propos est l’histoire de la ville ne peut ainsi parler du passé sans que
le présent ne s’impose : conter l’aventure d’une ville, c’est ouvrir les yeux sur sa réalité
contemporaine. […] L’institution puise alors dans les racines du temps pour ouvrir le
débat sur des problématiques urbaines actuelles, tant à l’échelle locale que planétaire,
et pour susciter des réflexions sur l’avenir 41. »
38 « I’m going to focus on how city museums might set contemporary problems in historical context. » Wallace
Mike, « Razor ribbons, history museums and civic salvation : a key-note address », in Johnson, Reflecting
cities, op. cit., p. 8-25, p. 8.
39 « Arguably, the central aims of museum of cities could be to inform visitors about the past […] and increase
interest and involvement in current issues of preservation, conservation […]. » Unsworth Rachel, « Defining
cities: socio-geographical perspectives », in Kavanagh Gaynor et Frostick Elizabeth (ed.), Making city his-
tories in museums, Londres et Washington, Leicester University Press, coll. « Making histories in museums »,
1998, p. 184-192, p. 189.
40 « Just as collecting the past was and will certainly continue to be important for city museums, so museum pro-
grams about planning the future must become a significant and growing part of city museums’educational and pro-
grammatic agendas. » Orloff Chet, « Museums of cities and the future of cities », in Jones Ian, Macdonald
Robert R. et McIntyre Darryl (ed.), City museums and city development, Lanham, AltaMira Press, 2008,
p. 27-39, p. 31.
41 Lelièvre Francine, « Le musée d’histoire de ville : mémoire et carrefour des populations », in Laveleye,
Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 47-51, p. 48.
22
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?
42 Bellaigue Mathilde, « Des musées pour quelles communautés ? », in Schärer Martin (ed.), Museums
and community, actes du colloque de l’Icofom (ISS 25) à Stavanger, 1995, p. 29-36, p. 29.
43 « All this gives us the possibility of re-evaluating the role of the City Museum. It is said that the museum must
reflect the needs of the populations that pays for it through their taxes. » Selmer Jorgen, « The new Copenhagen
City Museum – Connecting past and present, city centre and suburb », in Johnson, Reflecting cities, op. cit.,
p. 64-67, p. 64.
44 Lelièvre Francine, « Débat-discussion », in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une
ville, op. cit., p. 109-113, p. 109.
23
Le musée de ville
« Les expositions permanentes doivent fournir au visiteur (qu’il soit du “pays” ou touriste),
les connaissances de base pour comprendre et lire la ville 45. »
Notons également que la question du potentiel touristique du musée de ville semble
ne se poser que dans les grandes villes et métropoles, qui disposent d’un important
patrimoine culturel, et n’être finalement considérée dans la majorité des cas que
comme relativement secondaire, puisqu’elle concerne un public difficile à fidéliser :
« Les touristes étrangers ne viendront probablement qu’une fois, en admettant que vous
vous trouviez dans une ville qui attire de nombreux touristes 46. »
Le professeur australien Amareswar Galla va même plus loin. Il fait intervenir
le « touriste de passage » dans une conception négative de l’institution, qui aurait
renié, pour des raisons mercantiles de rentabilité et de profit, ses valeurs fondamen-
tales, à savoir « assurer l’expression des populations et de leurs cultures 47 ». Dans
ses discours, ce chercheur expose par ailleurs une vision particulièrement engagée,
voire radicale, du rôle social du musée de ville, proche de celle de l’écomuséolo-
gie 48. Il est l’un des seuls auteurs du corpus à militer pour une réelle appropria-
tion de l’institution par la communauté des citoyens, à qui doit être garanti « le
droit de participer à la prise de décisions concernant la politique, la gestion et les
activités du musée et de les revendiquer comme leurs 49 ».
La plupart du temps, c’est une relation d’un autre type qui est préconisée entre
le musée de ville et le public local. Plutôt que d’attendre de la population qu’elle
prenne les rênes et s’approprie d’elle-même le musée, les auteurs plaident pour que
ce soit l’institution qui, par son discours et son programme d’activités, entre en
contact avec les citoyens, qui doivent se sentir concernés par les thèmes abordés.
Le caractère nécessairement en phase du message porté par le musée avec les pré-
occupations concrètes des visiteurs est d’ailleurs une constante dans les discours :
« Un musée de ville basé sur des sujets qui sont pertinents pour les citoyens d’aujourd’hui 50. »
La mission du musée de ville consiste dès lors à fournir à la communauté des
clés pour la compréhension du milieu, au départ géographique puis social, dans
lequel elle évolue :
« Depuis le xixe siècle, le musée de ville s’est imposé comme une nécessité face au déve-
loppement de l’urbanisme, dans le but de donner à la population des repères et des
45 Borchert Joern, « Ne pas toucher SVP, Des réflexions sur les musées de ville comme lieu de débat
entre hier et aujourd’hui », in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les
musées…, op. cit., p. 66-73, p. 68.
46 « Foreign tourists are probably going to come once only, assuming that you are in a city that gets a lot of tou-
rists. » Pes Javier, « City biographies », in Campanini et Negri, The Future of City Museums, op. cit., p. 239-
244, p. 242.
47 Galla Amareswar, « Muséologie urbaine : une idéologie de la réconciliation », in Les musées de la ville,
op. cit., p. 40-45, p. 41.
48 Guiyot-Corteville Julie et Mairot Philippe (dir.), Écomusées et musées de société, pour quoi faire ?,
Besançon, Fédération des écomusées et musées de société, 2002.
49 Galla, « Muséologie urbaine… », in Les musées de la ville, op. cit., p. 40-45, p. 42.
50 « A city museum based on topics that are relevant to today’s citizens ». Dauschek Anja, « A city museum for
Stuttgart », in Jones, Macdonald et McIntyre, City museums and city development, op. cit., p. 90-98, p. 92.
24
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?
racines. Aujourd’hui, même si les contenus ont évolué, cette mission du musée de ville
n’a pas changé et elle reste prioritaire 51. »
Le musée de ville procure des repères ; il documente le visiteur sur son environ-
nement, mais également sur le groupe humain dont il est nécessairement partie
prenante, abordant la question fondamentale de l’identité et de l’appartenance à
la société. Les auteurs usent dès lors régulièrement des métaphores du miroir et
du reflet pour qualifier cette institution, qui renvoie à chaque visiteur sa propre
image, parfois d’ailleurs pour regretter que cela ne soit pas suffisamment le cas :
« Beaucoup de musées de ville aujourd’hui ne présentent qu’un pauvre reflet de la diver-
sité culturelle qui fait partie de la richesse de la société urbaine 52. »
L’analogie entre le musée et le miroir n’est cependant pas spécifique aux musées
consacrés aux villes. Elle semble plutôt naturelle, dès lors que l’institution muséale
s’inscrit dans un processus de reconnaissance identitaire. Georges Henri Rivière
l’inclut en effet dès 1980 dans sa définition évolutive de l’écomusée :
« Un miroir où cette population se regarde, pour s’y reconnaître […]. Un miroir que cette
population tend à ses hôtes […] 53. »
Avant lui, cette image a également été utilisée, pour des visées différentes, dans le
contexte idéologique de l’Allemagne nazie, au sujet des Heimatmuseen qui seront
évoqués dans le prochain chapitre 54.
Fait rare, l’analyse du corpus textuel sous l’angle du type de public que le musée
de ville cherche ou doit chercher à capter en priorité met donc en lumière une
ambition partagée par presque tous les intervenants au débat. L’institution muséale
s’insère au sein d’une communauté locale, souvent elle-même composée d’une
diversité de sous-groupes, du point de vue des modes de vie, des cultures ou des
origines. C’est avec chacun d’entre eux que le musée se doit de tisser des liens, afin
qu’ils se sentent représentés par l’institution et qu’ils s’y reconnaissent.
51 Vandenbulcke Anne, « Conclusions », in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une
ville, op. cit., p. 181-184, p. 183.
52 « Most city museums today are but a poor reflection of the cultural diversity that is part of the riches of urban
society. » Theus Carlos et Konsten Marie-Thérèse, « The city museum as a mirror of the city, the dynamics
of a cultural diversity », in Nauwelaerts Mandy (ed.), De toekomst van het verleden. The Future of the Past.
Reflections on history, urbanity and museums, Anvers, Stad Antwerpen, 1999, p. 359-371, p. 362.
53 La muséologie selon Georges Henri Rivière, op. cit., p. 142.
54 Ainsi Joseph Klersch, conservateur de la Haus der Reinischen Heimat de Cologne, créée en 1936, qui
l’évoque la même année dans un article paru dans la revue Mouseion : « Le musée doit aider [les indivi-
dus] à voir le présent dans le miroir du passé, le passé dans le miroir du présent […]. » Klersch Joseph,
« Un nouveau type de musée : la Maison du Pays rhénan », in Mouseion, vol. 35-36, 1936, p. 7-40, p. 16,
cité in Gob André, « De la « race » à la société : identité et musées d’ethnographie régionale en Europe », in
Vieregg Hildegard K. et al. (ed.), Museology – an instrument for unity and diversity ?, actes du colloque de
l’Icofom (ISS 33) à Krasnoyarsk, 2003, p. 51-59, p. 51 et 56.
25
Le musée de ville
lien physique construit entre la ville et le musée, tandis que le deuxième met en
évidence une forme de confusion qui s’installe chez certains entre la ville, les col-
lections du musée et l’institution muséale elle-même.
En écrivant, en 1995, que « les musées de la ville se situent littéralement au-
dessus et au milieu de [leur] matière brute 55 », Nichola Johnson, conservatrice au
Museum of London et co-organisatrice, deux ans plus tôt, du colloque inaugural
de l’Association internationale des musées de ville, met l’accent sur une caracté-
ristique essentielle du musée de ville : l’institution doit prendre conscience qu’elle
s’insère, du point de vue géographique et architectural, dans le milieu qu’elle est
chargée d’interpréter. Il lui est dès lors nécessaire de présenter un discours ouvert
sur le monde, qui ne soit pas déconnecté d’une réalité présente quelques mètres
à peine à l’extérieur des salles d’exposition. Nombreux sont d’ailleurs les auteurs
qui insistent sur ce point, parfois pour d’ailleurs regretter un manque de logique
dans les connexions entre le musée et son environnement :
« La ville […] doit être reliée, d’une façon ou d’une autre, au musée qui est lui-même
une parcelle de ville. Aujourd’hui, aucun musée de ville ne peut faire l’impasse sur cette
réflexion qui oblige à trouver des liaisons cohérentes entre le musée et son entourage 56. »
La façon dont le musée s’approprie la ville en tant que cœur du message qu’il a
à délivrer auprès de son public est cependant loin d’être unanime. L’analyse des
communications fait en effet apparaître une gradation dans les prises de position
par rapport à cette question, entre différenciation et assimilation.
D’abord, certains voient le musée et la ville comme deux entités résolument dis-
tinctes. La ville est le sujet dont s’empare le musée, à travers la mise en exposition
de collections qui y font référence. La mission de ce dernier est dès lors d’infor-
mer, de fournir des clés de compréhension. Il joue le rôle de porte ouverte sur la
ville, qu’il s’agit ensuite pour le visiteur d’arpenter et d’explorer :
« Les meilleurs d’entre eux sont un point de départ pour la découverte de la cité, ils
incitent les gens à contempler avec un regard neuf, mieux informé et plus tolérant, la
richesse du milieu urbain 57. »
Ensuite, un deuxième niveau d’appropriation est atteint lorsque la ville n’est plus
considérée comme le sujet du musée, mais comme un objet, dans le sens d’un
musealium ou objet de musée, « chose muséalisée […] faite pour être montrée 58 ».
La ville est alors le plus souvent décrite comme le principal, voire l’unique, arte-
fact du musée, tandis qu’aucune référence n’est faite aux collections matérielles
réellement conservées et exposées à l’intérieur de l’institution. Cette approche
revêt évidemment une dimension beaucoup plus symbolique que la précédente.
Par nature, la ville est un phénomène d’une complexité et d’une abstraction telles
55 Johnson Nichola, « À la découverte de la ville », in Les musées de la ville, op. cit., p. 4-6, p. 6.
56 Guyot-Corteville, « Musées de ville en France », in Musée et ville, op. cit., p. 19-22, p. 19.
57 Johnson, « À la découverte de la ville », in Les musées de la ville, op. cit., p. 4-6, p. 6.
58 Mairesse François et Deloche Bernard, « Objet [de musée] ou muséalie », in Desvallées et Mairesse,
Dictionnaire…, op. cit., p. 385-419, p. 385-386.
26
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?
qu’il est illusoire d’imaginer pouvoir l’arracher à son contexte d’origine et l’inté-
grer aux collections d’un musée 59 :
« Il a souvent été dit que la pièce principale du musée d’histoire de ville est la ville elle-
même. Quoi qu’il en soit, cette déclaration ne répond pas aux questions soulevées par ce
type d’institutions. Comment convertir une ville en un objet de musée exposable ? […]
Quand acceptera-t-on qu’une ville ne peut être capturée et enfermée dans un musée 60? »
Enfin, probablement en réaction à cette dernière utopie – vouloir faire entrer
l’espace urbain à l’intérieur d’une salle de musée –, c’est quelquefois la solution
inverse qui est préconisée, considérant qu’il s’agit dès lors de propulser le musée
hors de ses murs :
« La ville est le musée 61 ! »
« Nous réaliserons rapidement la justesse d’une remarque qui, bien qu’elle soit un lieu
commun, n’en est pas moins vraie : le meilleur musée de ville est la ville elle-même 62. »
Le musée et la ville sont ici confondus, identifiés l’un à l’autre. Ces cas extrêmes
de dématérialisation de l’institution muséale nous amènent donc à nous interro-
ger sur son utilité, dès lors que la ville semble se suffire à elle-même…
59 L’« arrachement », pour reprendre le terme d’André Desvallées, d’un objet à son contexte d’origine est
une étape essentielle dans son processus de muséalisation. Cette césure par rapport à la réalité est égale-
ment qualifiée par d’autres auteurs de « séparation » ou de « suspension ». Mairesse, « Muséalisation », in
Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 251-269, p. 256.
60 « It has often been said that the main object of the City History Museum is the city itself. Nevertheless, this
statement does not solve the questions raised by these kind of institutions. How to convert a city into a displayable
Museum Object ? […] When does one accept that a city cannot be captured and locked up in a Museum ? » Gonzalez
Camila, « The History Museum of Barcelona City: Origin and foundation », in Johnson, Reflecting cities,
op. cit., p. 39-42, p. 40.
61 Collins Anne Marie, « La ville est le musée ! », in Les musées de la ville, op. cit., p. 30-34, p. 30.
62 « We will quickly come to realise the truth of a remark that, despite being a commonplace, is nonetheless true :
the best city museum is the city itself. » Nicolau, « City museums, towards the third millennium », in Nicolau,
Second international symposium on city museums, op. cit., p. 1-6, p. 3.
27
Le musée de ville
63 « One of the problems City Museums share with other museums that do not have a collection full of master-
pieces […]. » Pes, « City biographies », in Campanini et Negri, The Future of City Museums, op. cit., p. 239-
244, p. 242.
64 « What distinguishes this type of museum is that it traditionally has rich collections at its disposal […]. » Hinz
Hans Martin, « City museums : the underlying themes of recent European experiences », in Campanini et
Negri, The Future of City Museums, op. cit., p. 291-299, p. 291.
65 « An international outlook is therefore essential : city museums must not be parochial. […] The aim must be
to establish local interest, but within an international outlook. And our explanations, too, must mirror the largest
thinking possible. » Lohman Jack, « The prospect of a city museum », in Jones, Macdonald et McIntyre,
City museums and city development, op. cit., p. 60-74, p. 68.
66 « The only professional “should” about city museum collecting should be rooted in the particular context of a par-
ticular city. » Ross Cathy, « Collections and collecting », in Kavanagh et Frostick, Making city…, op. cit.,
p. 114-132, p. 115.
28
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?
67 Grewcock, « Musées de ville et avenirs urbains… », in Vinson et Macdonald, Vie urbaine et musées,
op. cit., p. 32-43, p. 41.
68 Borchert, « Ne pas toucher SVP », in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment
inscrire les musées…, op. cit., p. 66-73, p. 70-71.
69 « For a museum of history or a City Museum to be a good one would mean its getting deeply involved in the life
of the city, and knowing almost everything about the important events that take place in the city. » Boroneant
Vasile, « Bucharest Museum, some general considerations », in Johnson, Reflecting cities, op. cit., p. 137-
142, p. 140.
70 « A city museum in my view has to mirror its citizens through time and in all facets of society. […] It is only
through close cooperation and relations with its citizens that a museum can claim to be a true City Museum. »
Millinger Lena, « The city museum and its citizens – Memories as keys to history. A case study », in
Cities’ portraits in city museums, Global stances, local practices [en ligne], http://www.diki.gr/EN/museum_
conf.html (page consultée le 21/05/2015).
29
Le musée de ville
71 « There has been no major meeting of representatives of museums devoted to the study of cities. » Hebditch,
« Reflecting cities : an international symposium on city museums… », in Johnson, Reflecting cities, op. cit.,
p. 1-7, p. 1.
30
Chapitre 1 – Musée de ville, une nouvelle catégorie de musées ?
à l’étude des villes » incite à conclure que le musée de ville naît en même temps
que l’exposition de la ville dans les musées, c’est-à-dire avec le musée Carnavalet
dans la seconde moitié du xixe siècle. Cette interprétation est d’ailleurs corro
borée par les nombreux énoncés du corpus qui abordent les traits caractéristiques
des « musées de ville des générations précédentes 72 », non seulement en Europe
mais aussi en Amérique. La conception englobante de la catégorie postule ainsi
la succession ou la superposition au cours du temps de différents modèles d’ins-
titutions qui, bien qu’inscrits dans leur contexte muséographique et culturel par-
ticulier, se trouvent tous réunis sous l’étiquette générique du « musée de ville 73 ».
La seconde conception du musée de ville, qui émerge dans les discours en même
temps que la première, est quant à elle plus spécifique, en lien avec l’établissement
de critères. Les musées classiques, les plus anciens, sont exclus de cette perspec-
tive qui construit une définition de la catégorie à partir des évolutions apportées à
l’institution muséale depuis la décennie 1970, telles qu’elles sont décrites au dernier
chapitre. Le musée de ville est alors vu comme un concept muséal novateur, dont
le développement coïncide avec un tournant dans l’histoire générale des musées.
Le modèle qui se profile dans ce cas n’est cependant nullement figé ou définitif,
car les auteurs mettent en évidence des orientations qui divergent radicalement
les unes des autres, bien que toutes rattachées à l’option d’une interprétation res-
trictive du musée de ville. Notons d’ailleurs que la réunion de l’ensemble de ces
critères n’est pas nécessaire pour justifier l’inclusion d’une institution à la caté-
gorie. Chacun des points relevés dans le corpus, résumés ci-après, fonctionne en
effet seul comme une condition d’entrée suffisante :
1. Le musée de ville est une catégorie muséale à part entière, qui dispose de carac-
téristiques propres et se distingue des autres types de musées par son approche
interdisciplinaire et son aspect protéiforme.
2. Le musée de ville couvre une portion temporelle variable en fonction des
auteurs. L’institution n’est pas nécessairement un simple musée d’histoire de la
ville, et c’est régulièrement l’articulation entre le passé, le présent et l’avenir de
cette dernière qui est privilégiée. Le musée peut aussi s’inscrire essentiellement
dans une démarche de réflexion sur l’identité urbaine contemporaine ou poser la
question de son évolution future.
72 « […] City museums of an earlier generation. » Ross, « Collections and collecting », in Kavanagh et
Frostick, Making city…, op. cit., p. 114-132, p. 115.
73 Dans le récent Dictionnaire encyclopédique de muséologie, le philosophe Bernard Deloche expose une
réflexion similaire, en questionnant cette fois la notion de champ muséal – « champ théorique de référence,
[…] domaine global dont relèvent collections, bâtiments et institutions et qui les fédère en un ensemble
cohérent » (p. 236). Selon lui, le principe même du musée et le développement de la discipline muséologique
doivent être fondés sur l’existence préalable du muséal. Il admet cependant que ce point de vue théorique ne
tient pas compte du processus historique qui a conduit à l’identification comme telle, fort récente, de cette
notion au sein de la communauté des chercheurs. Il considère dès lors le muséal comme « un concept élaboré
pour comprendre de façon unitaire la diversité foisonnante des expériences qui se réclament du musée »
(p. 248). Deloche Bernard, « Muséal », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 235-250.
La notion de musée de ville s’inscrit dans le même processus. Il s’avère stérile de tenter de déterminer qui,
des institutions ou de la catégorie « musée de ville », précède l’autre : en tout état de cause, la reconnais-
sance de la catégorie muséale apparait alors qu’existent depuis longtemps des musées consacrés aux villes
et à leur histoire.
31
Le musée de ville
3. Le musée de ville est une institution impliquée auprès de sa communauté, qui
le finance en bonne partie. Il ne s’adresse pas qu’aux touristes de passage ; il encou-
rage au contraire par ses activités à une participation active de toutes les catégo-
ries de citoyens, qui sont eux-mêmes intégrés au discours de l’institution.
4. Le musée de ville se veut, la plupart du temps, un lieu de débat qui joue un rôle
dans les politiques de développement de la ville, à différents niveaux : il invite ses
visiteurs à prendre position sur des sujets qui concernent à la fois leur vie quoti-
dienne et la gestion globale de l’espace urbain.
Si, comme nous en formulons l’hypothèse, la multiplicité des interprétations pos-
sibles est liée la coexistence d’une grande diversité de projets muséaux dans le
paysage d’aujourd’hui, il convient dès lors d’en interroger les origines en se tour-
nant vers le passé. À travers la reconstitution du récit d’un siècle et demi d’histoire
de l’exposition de la ville dans les musées, nous serons mieux à même de perce-
voir la succession ou le maintien dans le temps de ces modèles muséographiques,
clés de compréhension de leur configuration actuelle.
32
Chapitre 2
Les origines et le contexte muséal
33
Le musée de ville
thématiques qui n’avaient jamais été explorées pour elles-mêmes, comme l’archéo-
logie (département des antiquités égyptiennes au Louvre, 1826), la préhistoire
(musée des Antiquités nationales à Saint-Germain-en-Laye, 1862), les sciences et
techniques (Conservatoire national des Arts et Métiers de Paris, 1794, ouvert au
public en 1802), le commerce et l’industrie (South Kensington Museum à Londres,
1852) ou encore l’ethnographie « exotique » (musée du Trocadéro à Paris, 1878)
et régionale (Nordiska Museet à Stockholm, 1873).
C’est précisément dans cette dynamique que la seconde moitié du xixe siècle voit
naître un type original d’institutions, sans doute proche de certaines des catégories
citées précédemment mais néanmoins distinct. Il s’agit des musées consacrés aux
villes et à leur histoire, dont la figure, probablement fondatrice 81 et sans conteste
archétypale, est le musée Carnavalet de Paris, inauguré le 15 février 1880. Nous nous
intéresserons en détail dans le chapitre suivant à cet établissement, à son histoire,
aux raisons de sa création, à son fonctionnement et à l’influence qu’il ne manquera
pas d’exercer sur toute une génération de musées qui, de Bruxelles à New York, se
référeront explicitement à lui comme modèle. Nous souhaitons cependant, dans un
premier temps, mettre en lumière quelques éléments précurseurs de cette catégorie
muséale nouvelle, ainsi que donner un aperçu du contexte dans lequel elle apparaît.
L’apparition d’institutions telles que Carnavalet et ses épigones ne constitue pas,
tant s’en faut, la première mise en relation de la ville avec le musée. Le phéno-
mène muséal trouve en effet son origine dans le monde urbain. C’est au sein des
villes, ces sites où se concentrent le pouvoir politique et religieux, le commerce
et les richesses 82 – à Rome, Londres, Paris ou Munich –, que naissent et s’épa-
nouissent, à partir de la Renaissance, les grandes collections d’œuvres d’art et
les cabinets de curiosité, qui aboutiront plus tard à la fondation des principaux
musées modernes. L’éminent historien de l’urbanisme Lewis Mumford considère
d’ailleurs le musée comme « une institution aussi caractéristique et essentielle au
rôle idéal [de la ville métropolitaine actuelle] que le gymnase dans la cité hellé-
nique ou l’hospice dans la cité médiévale […]. Le musée constitue, sous sa forme
rationnelle et sélective, un instrument indispensable de la culture urbaine, […]
au même titre que la bibliothèque, l’hôpital, l’université 83 ». Cette problématique
81 « Henri IV estimait que Paris valait bien une messe. Environ trois siècles plus tard, on s’aperçut qu’il
valait également un Musée. Et une vieille maison que la Renaissance avait parée de toutes ses grâces fut
désignée pour abriter les souvenirs de la grande ville. Elle était la première en date de ces galeries d’his-
toire locale qui se sont multipliées depuis lors, en France comme à l’étranger. » Robiquet Jean, « Préface »,
in Dorbec Prosper, L’histoire de Paris au musée Carnavalet, Paris, Rieder, 1929, p. 5-7, p. 5.
« Pendant ce temps, de nombreux musées sont créés en France, mais notre pays, qui fait pourtant figure de pré-
curseur dans de nombreux domaines, comme l’histoire naturelle (Muséum d’histoire naturelle), l’archéologie
médiévale (Musée des Monuments français), les sciences et techniques (Conservatoire des Arts et Métiers),
ou encore l’histoire de la ville (musée Carnavalet), n’éprouve pas le besoin de construire […]. » Crosnier-
Leconte Marie-Laure, « Le musée, sujet de concours théorique », in Georgel Chantal (dir.), La jeunesse
des musées. Les musées de France au xixe siècle, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1994, p. 142-151, p. 142.
82 « Le dualisme qui caractérise les civilisations historiques a une dimension géographique ; le pouvoir s’ap-
puie sur les villes où résident une partie des classes dominantes, alors que les populations dominées sont
rurales. » Claval Paul, Géographie culturelle. Une nouvelle approche des sociétés et des milieux, Paris, Armand
Colin, coll. « U », 2003, p. 199.
83 Mumford Lewis, La cité à travers l’histoire, Paris, Le Seuil, 1964, p. 700. Quant au journaliste Guy
Duplat, lorsqu’il écrit dans un article consacré à une exposition du musée des Beaux-Arts d’Anvers sur
les musées emblématiques du xxie siècle, que « les musées sont devenus le Graal de toutes les villes », il
ne s’imagine peut-être pas à quel point cette réflexion se révèle tout aussi pertinente pour hier que pour
aujourd’hui. Duplat Guy, « Ces curieux objets du désir », La Libre Belgique, Bruxelles, 28 janvier 2011, p. 48.
34
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
passionnante des liens, forts et anciens, entre ville et musée dépasse cependant lar-
gement le propos de cet ouvrage. Nous nous concentrerons plutôt sur les facteurs
explicatifs du glissement qui s’est progressivement opéré, au cours du xixe siècle,
depuis des musées dans la ville vers des musées de ou sur la ville.
L’hypothèse que nous défendons est que les musées consacrés aux villes se situent
au croisement de deux phénomènes concomitants, l’un et l’autre étroitement liés
aux concepts d’identité et de territoire, mais appliqués à des aires géographiques et
administratives radicalement opposées : le premier renvoie au contexte nationaliste
qui caractérise cette période. Il conduit à la création de musées qualifiés de natio-
naux, « conçus pour focaliser l’appartenance à une même entité 84 », et, dans le même
ordre d’idées, à la mise en place des expositions universelles, vitrines spectaculaires
du génie industriel et artistique de chacun des États qui y prennent part. Le second
est celui de l’émergence d’un intérêt porté par les sphères érudites à la notion d’en-
racinement local. On voit en effet s’implanter au xixe siècle dans toutes les régions
de nombreuses sociétés savantes et institutions qui, sous différentes formes en fonc-
tion des pays, auront pour objectif de faire connaître les terroirs, d’en étudier l’his-
toire et les particularités, autrement dit de magnifier les « petites patries ».
84 Chaumier Serge, « Société », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 543-558, p. 546.
85 Charléty Véronique, Itinéraire d’un musée, le Heimatmuseum, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 22.
86 Le Britannique Benedict Anderson est l’un des grands théoriciens du concept de « nation ». Anderson
Benedict, L’imaginaire national, Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996
(1re éd. 1983), p. 10-23. Il en propose en 1983 une définition anthropologique : « une communauté politique
imaginaire, et imaginée comme intrinsèquement limitée et souveraine ». Il en explicite ensuite les différents
termes de la manière suivante. Imaginaire : les membres d’une nation ne connaîtront jamais la plupart de
leurs concitoyens, bien que dans leur esprit, il existe une communion. Limitée : même la plus grande des
nations a des frontières finies derrière lesquelles vivent d’autres nations. Souveraine : le concept apparaît à
l’époque où les Lumières et la Révolution française détruisent la légitimité d’un royaume dynastique. Les
nations rêvent d’être libres et de l’être directement, sans intermédiaire entre elles et Dieu, en-dessous duquel
elles se placent. Communauté : la nation est toujours conçue comme une camaraderie profonde, malgré les
inégalités ou l’exploitation qui peut y régner. Par ailleurs, au neuvième chapitre de l’ouvrage (p. 167-188),
Anderson identifie le musée, aux côtés de la carte géographique et du recensement, comme l’un des méca-
nismes ayant favorisé le développement du sentiment national.
35
Le musée de ville
87 Cette conception des différents peuples européens en tant que réalités sociales et culturelles distinctes,
stables et objectivement identifiables est cependant une construction idéologique, conçue dans un dessein poli-
tique. Sur les manipulations de l’histoire en tant qu’instrument des nationalismes européens, voir le chapitre
« Différence ethnique et nationalisme au xixe siècle : un paysage empoisonné », in Geary Patrick J., Quand
les nations refont l’histoire, l’invention des origines médiévales de l’Europe, Paris, Flammarion, 2006, p. 25-56.
88 Constant Jean-Marie, Naissance des États modernes, Paris, Belin, coll. « Histoire sup », 2000.
89 « Rejeter la culture française, savante et raffinée [dominante en Europe tout au long du xviiie siècle]
revient pour certains à retrouver leur véritable identité, une sorte de retour rousseauiste à la nature pro-
fonde de chaque peuple. » Boudon Jacques-Olivier, Caron Jean-Claude et Yon Jean-Claude, Religion et
culture en Europe au xixe siècle, Paris, Armand Colin, coll. « U », 2001, p. 19. La compétition culturelle entre
les nations, caractéristique du romantisme, s’exprime dès lors à travers divers médiums : les lettres, l’archi-
tecture, les arts plastiques, la musique… et le musée.
90 Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 79.
91 Ibid.
92 Germanisches Nationalmuseum, Geschichte und Architektur [en ligne], http://www.gnm.de/index.php?id=8
(page consultée le 18/05/2015). Bien qu’il ne soit pas question de revendications territoriales, le musée
concerne donc un possible Reich et s’intéresse aux pays « de langue allemande », à savoir les Pays-Bas, les
Flandres, la Suisse allemande, l’Autriche et la Bohème. Grossmann G. Ulrich, « Das Nationalmuseum
der Bundesrepublik Deutschland in Nürnberg », in Sohn Andreas (dir.), Mémoire : Culture – Ville – Musée,
Bochum, Verlag Dr. Dieter Winkler, 2006, p. 299-318, p. 315.
93 Pour une analyse plus précise du phénomène des musées nationaux et du nationalisme à partir du
xixe siècle, nous renvoyons le lecteur aux publications spécialisées suivantes. Poulot, Patrimoine et musées,
op. cit., p. 77-114. Poulot Dominique, « Les musées nationaux et les usages du passé », in Museologia. pt,
no 5, 2011, p. 166-175. Bergvelt Ellinoor et al. (ed.), Napoleon’s legacy: the rise of national museums in Europe
1794-1830, Berlin, Staatliche Museen zu Berlin – Stiftung Preussicher Kulturbesitz et G + H Verlag, 2009.
Boudon, Caron et Yon, Religion et culture en Europe au xixe siècle, op. cit. Knell Simon J. et al., National
museums, new studies from around the world, Londres, Routledge, 2011. Mairesse, Le musée, temple spec-
taculaire, op. cit., p. 39-43. Kaplan Flora, « Making and remaking national identities », in Macdonald
Sharon (ed.), A companion to museum studies, Chichester, Wiley-Blackwell, coll. « Companions in cultural
studies », 2011, p. 152-169.
94 Voir notamment le chapitre « La nation, une nouveauté : de la révolution au libéralisme », in Hobsbawm
Eric, Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe, réalité, Paris, Gallimard, 1992, p. 25-62.
36
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
95 Jules Michelet sera l’un des grands admirateurs de ce musée, où se serait, dit-il, éveillée sa vocation d’his-
torien lorsqu’il était enfant. Viallaneix Paul, « Jules Michelet, évangéliste de la Révolution française », in
Archives des Sciences sociales des religions, vol. 66, no 1, Paris, CNRS, 1988, p. 43-51, p. 43. On se reportera
avec intérêt aux travaux suivants : Poulot Dominique, « Alexandre Lenoir et les Musées des Monuments
français », in Nora Pierre (dir.), Les lieux de mémoire, t. II, La Nation, vol. 2, Paris, Gallimard, 1986, p. 496-
531. Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 61-66. Georgel Chantal, « L’histoire au musée », in Amalvi
Christian (dir.), Les lieux de l’histoire, Paris, Armand Colin, 2005, p. 118-125.
96 Lenoir Alexandre, Musée royal des Monuments français ou Mémorial de l’histoire de France et de ses monu-
ments, Paris, 1816, p. 5, cité in Pomian, « Le musée face à l’histoire », in Saule, L’histoire au musée, op. cit.,
p. 99-126, p. 108.
97 Poulot, « Alexandre Lenoir… », in Nora, Les lieux de mémoire, t. II, op. cit., p. 496-531, p. 515.
98 Lenoir Alexandre, Musée des Monuments français ou Description historique […], Paris, 1800, t. I, p. 6-7,
cité in Pomian, « Le musée face à l’histoire », in Saule, L’histoire au musée, op. cit., p. 99-126, p. 108.
99 Ibid., p. 112-113.
100 Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 62.
37
Le musée de ville
gloires de la France » 101. Bien plus que le musée des Monuments français, conçu
primitivement dans un souci de conservation matérielle de chefs-d’œuvre face aux
dangers du vandalisme ambiant, le projet de cette nouvelle institution, créée par
le roi des Français Louis-Philippe – conseillé par son ministre de l’Instruction
publique, l’historien François Guizot – répond quant à lui à un impératif autre,
celui de la réconciliation nationale après un demi-siècle de conflits et de révolu-
tions qui ont épuisé la société française. S’il ne fait aucun doute que, comme l’ont
écrit de très nombreux chercheurs, « tout projet muséal est, par essence, un projet
politique 102 », nous souscrivons entièrement aux réflexions de Michael Werner,
selon lequel « dans le cas des musées d’histoire qui prennent pour cadre la nation,
l’investissement politique est particulièrement lourd 103 ». Le musée d’Histoire de
France à Versailles en est un exemple on ne peut plus éloquent.
L’histoire du pays y est racontée à travers la succession d’espaces – récupérés dans
le château suite à la transformation de nombreux appartements princiers par l’ar-
chitecte Nepveu : salles des Croisades, galerie des Batailles, salle du Sacre, de 1792
ou encore de 1830… – illustrant les événements et personnages majeurs de l’épo-
pée nationale, depuis la victoire de Clovis à Tolbiac au ve siècle jusqu’à la fonda-
tion de la Monarchie de Juillet. Cet épisode, présenté dans la dernière salle du
musée et qui met en scène Louis-Philippe lui-même en tant qu’acteur principal,
est une évocation transparente de « l’apogée politique du présent immédiat 104 », qui
a pour but d’asseoir la propre légitimité dynastique du souverain. L’absolutisme,
la Révolution, la République ou l’Empire, tous les régimes et toutes les périodes
sont représentés, permettant ainsi à chacun, quelle que soit sa sensibilité, de se
reconnaître en ces lieux où, autour de la figure du Roi-citoyen, symbole de la nou-
velle unité nationale, domine le désir de consensus politique et de neutralisation
des antagonismes.
Les œuvres exposées – sculptures, dessins, gravures, et essentiellement peintures de
grand format –, au nombre de 5 500, proviennent en partie des anciennes collec-
tions royales ou institutionnelles 105, mais la majorité d’entre elles ont été expres-
sément commandées pour le musée à des artistes contemporains, parmi lesquels
figurent Horace Vernet et Eugène Delacroix. Ceux-ci ont dès lors créé un gigan-
tesque répertoire iconographique de l’histoire de France, caractéristique de la vision
101 Gaethgens Thomas W., « Le musée historique de Versailles », in Nora, Les lieux de mémoire, t. II, op. cit.,
p. 143-168. Saule Béatrix, « Les galeries historiques du château de Versailles », in Joly Marie-Hélène et
Compère-Morel Thomas (coord.), Des musées d’histoire pour l’avenir, Paris, Noêsis, 1998, p. 113-122. « Le
musée d’histoire nationale, un dispositif partisan ? », in Poulot, Une histoire des musées de France…, op. cit.,
p. 86-95. Sesmat Pierre, « Le musée historique de Versailles : la gloire, l’histoire et les arts », in Georgel
Chantal (dir.), La jeunesse des musées, op. cit., p. 113-119. Gervereau Laurent et Constans Claire (dir.),
Le musée révélé. L’histoire de France au château de Versailles, Paris, Robert Laffont, 2005.
102 Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 83. Voir également Gob André, Des musées au-dessus de
tout soupçon, Paris, Armand Colin, 2007, p. 319-320.
103 Werner Michael, « Deux nouvelles mises en scène de la nation allemande : les expériences du Deutsches
Historisches Museum (Berlin) et du Haus der Geschichte der Bundesrepublik Deutschland (Bonn), in Hartog
François et Revel Jacques, Les usages politiques du passé, Paris, École des hautes études en sciences sociales,
coll. « Enquête », 2001, p. 77-97, p. 77.
104 Gaethgens, « Le musée historique de Versailles », in Nora, Les lieux de mémoire, t. II, op. cit., p. 160.
105 En 1850, 136 sculptures inventoriées à Versailles proviennent d’ailleurs du défunt Musée des Monuments
français. Poulot, Une histoire des musées de France…, op. cit., 2005, p. 91.
38
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
106 Chaumier Serge, « L’identité, un concept embarrassant, constitutif de l’idée de musée », in Eidelman
Jacqueline (dir.), Nouveaux musées de sociétés et de civilisations, Culture et Musées, no 6, Arles, Actes Sud,
2005, p. 21-40, p. 22.
107 Initialement érigé dans Hyde Park, où s’est tenue l’exposition, le Crystal Palace est déplacé en 1854 dans
un quartier du sud de Londres, auquel il donne son nom, et est détruit par les flammes en 1936.
108 « Avec ce nouveau mode de communication commercial, on voit disparaître les limites de l’espace, ainsi
que les contraintes de goût ou de préjugés esthétiques en référence à une élite de visiteurs. » Desvallées
André, Schärer Martin et Drouguet Noémie, « Exposition », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…,
op. cit., p. 136-173, p. 144. Par ailleurs, la popularisation, au sein des expositions universelles du dernier
quart du xixe siècle, de dispositifs scénographiques visant à reconstituer des « images vivantes de scènes
rurales » par le recours à du mobilier et des mannequins vêtus de costumes traditionnels – procédé dont
la paternité est attribuée au Suédois Hazelius en 1873 au Nordiska Museet – a inspiré la création de nom-
breux musées d’ethnographie en Europe. À ce sujet, voir Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 43-52 ;
et Desvallées André, « La muséographie des musées dit “de société” : raccourci historique », in Barroso
Eliane et Vaillant Emilia, Musées et sociétés, actes du colloque de Mulhouse et Ungersheim, Paris, Réunion
des musées nationaux, 1993, p. 130-136, p. 131. Pour une synthèse globale de l’histoire et des caracté-
ristiques des expositions universelles dans la seconde moitié du xixe siècle, voir Aimone Linda et Olmo
Carlo, Les expositions universelles (1851-1900), Paris, Belin, coll. « Modernités », 1993 [éd. originale : 1990].
109 Flaubert Gustave, Dictionnaire des idées reçues, 1913. Cité in Ory Pascal, Les expositions universelles
de Paris, Paris, Ramsay, 1982, p. 6.
110 Cité in Renardy Christine, « Le temps des Expositions universelles », in Renardy Christine (dir.),
Liège et l’Exposition universelle de 1905, Bruxelles, La renaissance du livre, 2005, p. 133-138, p. 134.
39
Le musée de ville
40
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
113 Vedernikova Galina (ed.), Museum of History of Moscow and its collections, Moscou, Museum of History
of Moscow, 1996, p. 3. Entretien avec Alexander Sotin, Responsable du département “Old English Court”
au Moscow City Museum (11 mars 2011).
114 Dalbanne Claude, Le Musée historique de Lyon, Lyon, Albums du Crocodile, 1948, p. 8. Gadagne
Musées, musée d’Histoire de Lyon [en ligne], http://www.gadagne.musees.lyon.fr/index.php/histoire_fr/
Histoire/Le-musee-d-histoire-de-Lyon/La-genese-du-musee (page consultée le 18/05/2015).
115 Entretien avec Juan Roca, directeur du Museu d’Història de Barcelona (13 octobre 2010). Voir égale-
ment Ubero Lina, « Le musée d’Histoire de la ville de Barcelone, un musée de musées », in Fonseca Brefe,
Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 140-147.
116 À cet égard, voir notamment le long chapitre consacré à la notion de « local » à propos de la France
des xixe et xxe siècles dans Les lieux de mémoire. Gasnier Thierry, « Le local, une et indivisible », in Nora,
Les lieux de mémoire, t. III, vol. 2, op. cit., p. 462-525 (« Le jacobin et l’antiquaire », p. 467-469).
41
Le musée de ville
alors les populations elles-mêmes – ou plus exactement certaines catégories éru-
dites de citoyens – qui manifestent un besoin d’enracinement, caractérisé par une
proximité plus forte que celle proposée au niveau national. Cette dernière s’incarne
notamment à travers l’émergence et la structuration des espaces locaux, autrement
dit des divisions du territoire national, en autant de « cadres de mémoire » parti-
culiers, porteurs de sens et vecteurs d’identités spécifiques.
117 Ibid., p. 489. Chaline Jean-Pierre, Sociabilité et érudition, les sociétés savantes en France, xixe-xxe siècles,
Paris, Comité des Travaux historiques et scientifiques, 1995, p. 91-129.
118 Gasnier, « Le local… », in Nora, Les lieux de mémoire, op. cit., p. 462-525, p. 510.
42
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
d’entre eux : la France, la Belgique, les États-Unis, puis le Canada. Il est évident
que bien d’autres nations, comme le Royaume-Uni, auraient eu leur place dans
ce rapide survol 119.
En France, 184 sociétés historiques sont formées en province entre 1818 et 1914.
L’espace normand est clairement celui qui donne l’impulsion, puisque quatre des
cinq sociétés les plus précocement créées y sont situées. Ce dynamisme est dû
à la personnalité hors norme de l’historien et archéologue Arcisse de Caumont
(1801-1873) 120. Celui-ci est en effet le fondateur de deux importantes organisa-
tions toujours en activité aujourd’hui : la Société des antiquaires de Normandie
en 1824 et la Société française d’archéologie dix ans plus tard. Il s’agit indénia-
blement d’une des figures les plus emblématiques de la sociabilité érudite de son
siècle. Dans le reste du pays s’installent progressivement diverses associations
savantes qui prendront une part active à la matérialisation de l’identité des terri-
toires, locaux ou régionaux, par la création de nombreuses institutions muséales.
Ainsi, le Musée lorrain à Nancy, ouvert au public en 1850 dans l’ancien Palais
ducal est-il une création de la jeune Société d’archéologie lorraine, fondée deux ans
plus tôt, notamment dans ce but 121. Inauguré par Napoléon III en 1867, le musée
de Picardie à Amiens – appelé jusqu’en 1875 musée Napoléon – est quant à lui
le fruit du travail acharné des membres de la Société des antiquaires de Picardie
qui prévoient, dès sa fondation en 1836, de constituer un « Musée départemen-
tal et communal ». À grands renforts de loteries destinées à couvrir les frais de
construction et d’aménagement, ils conçoivent un véritable « Versailles picard »
sur le modèle du Louvre, « monument à la Picardie, élevé à toutes les gloires de la
province 122 ». Les antiquaires, endettés, se voient cependant contraints d’en céder
la propriété à la ville dès 1869. Les exemples de localités dotées d’un musée en
partie ou en totalité grâce à l’action de ces sociétés en province pourraient encore
être multipliés (Périgueux, Chalon-sur-Saône, Orléans…), bien qu’à une échelle
souvent plus modeste que l’ambitieux projet amiénois.
La ville de Paris occupe quant à elle, bien logiquement, une place privilégiée dans
la géographie de la France « savante » au xixe siècle. La capitale regroupe en effet
un cinquième des sociétés historiques recensées sur l’ensemble du pays. Ce sont
également parmi celles-ci que se comptent les plus prestigieuses au niveau natio-
nal – en termes de collections, d’activités, de nombre et de qualité des adhérents –,
telles la Société des antiquaires de France, anciennement Académie celtique (1804),
dont le siège se trouve au musée du Louvre, ou la Société de l’histoire de France,
119 Le site internet de la revue Local History Magazine recense par exemple en 2012 plus de 1 200 socié-
tés d’histoire locale sur l’ensemble du territoire britannique, dont une portion considérable sont des créa-
tions du xixe siècle, signe de la vitalité de cette catégorie d’institutions outre-Manche. Local History online
[en ligne], http://www.local-history.co.uk/Groups (page consultée le 18/05/2015). On consultera égale-
ment avec intérêt l’article déjà ancien de Wallis F. S., « Musées régionaux et locaux en Angleterre, au Pays
de Galles et en Irlande du Nord », in Museum, vol. 10, no 3, Paris, 1957, p. 180-184, qui décrit plusieurs
exemples de musées locaux fondés par des sociétés historiques, comme le Colchester Museum, créé en 1866
par la Essex Society for Archaeology and History.
120 Bercé Françoise, « Arcisse de Caumont et les sociétés savantes », in Nora, Les lieux de mémoire, t. II,
vol. 2, op. cit., p. 533-567.
121 Georgel, « L’histoire au musée », in Amalvi, Les lieux…, op. cit., p. 123.
122 Hertzog Anne, « Musée, espace et identité territoriale en Picardie », in Mappemonde, no 66, vol. 2,
Avignon, UMR Espace, 2002, p. 25-28. Voir également Chaline, Sociabilité et érudition, op. cit., p. 177-178.
43
Le musée de ville
123 La liste ne se veut pas exhaustive. Fiori Ruth, L’invention du vieux Paris, Naissance d’une conscience
patrimoniale dans la capitale, Wavre, Mardaga, coll. « Architecture », 2012, p. 13. Chaline, Sociabilité et éru-
dition, op. cit., p. 47-48.
124 Haenens d’ Albert et Pinson Colette, Les sociétés d’histoire et d’archéologie de la communauté Wallonie-
Bruxelles, Namur, CACEF, 1980.
125 « L’Institut archéologique liégeois est fondé pour rechercher, étudier et conserver les antiquités et monu-
ments archéologiques, particulièrement ceux de la province, de l’ancien pays de Liège et de ses dépendances. »
Ainsi est rédigé en 1909 l’article 1 des Statuts de l’Institut archéologique liégeois, à l’occasion du transfert
des collections de la société, créée quelques 60 ans plus tôt, au palais Curtius, siège du nouveau musée d’Ar-
chéologie et d’Arts décoratifs de Liège. Cette préoccupation muséale était présente dès l’origine, même si le
premier musée de l’Institut n’est inauguré qu’en 1874, dans quelques salles du palais des Princes-Évêques.
« Institut archéologique liégeois : Statuts et Convention conclue le 22 juillet 1909 entre la Ville de Liège
et l’IAL », in Bulletin de l’Institut archéologique liégeois, tome XXXIX, 1909, p. I-IX, p. I [en ligne], Internet
Archive, http://archive.org/details/bulletin39instuoft (page consultée le 18/05/2015).
126 Gob André, « Les musées, un enjeu culturel pour la Wallonie », in Demoulin Bruno (dir.), Histoire
culturelle de la Wallonie, Bruxelles, Fonds Mercator, 2012, p. 327-337, p. 329. Voir également Société archéo-
logique de Namur [en ligne], www.lasan.be (page consultée le 18/05/2015).
127 « Établissement d’un Musée communal à Namur : projet de M. J. Wautlet », in Annales de la Société
archéologique de Namur, t. 2, 1851, p. 103-109. Par ailleurs, d’autres musées liés à cette dynamique société
savante seront créés plus tard, dans le courant du xxe siècle : le musée de Groesbeeck-de Croix (arts déco-
ratifs, en 1936) et le musées des Arts anciens du Namurois, en 1964.
44
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
aperçu. The Handbook of learned societies and institutions 128 recense en effet, avec
l’ambition de l’exhaustivité, des centaines de sociétés savantes, non seulement aux
États-Unis – pour l’immense majorité d’entre elles – mais également au Canada
et, dans une moindre mesure, en Amérique du Sud. En ce début de xxe siècle,
il n’est alors pas une ville, un État ou un comté américain qui ne dispose de son
Archaeological Institute ou Historical society 129. Ce type particulier d’institutions,
caractéristiques de la culture américaine, se développe à partir des dernières années
du xviiie siècle, peu de temps seulement après l’accession à l’indépendance de la
nation. C’est tout naturellement sur la côte atlantique, et plus particulièrement en
Nouvelle-Angleterre qu’apparaissent les premières de ces sociétés savantes, prin-
cipalement dédiées à la recherche. Cette région est en effet depuis de nombreuses
années, déjà au temps de la domination britannique, un véritable vivier intellec-
tuel qui a notamment vu naître les universités et bibliothèques américaines 130. La
plus ancienne 131 de toutes ces sociétés historiques est la Massachusetts Historical
Society, installée à Boston dès janvier 1791, dans le but de « rassembler et proté-
ger les sources de l’histoire américaine 132 ». En raison de l’absence à ce moment
de toute autre institution chargée de veiller à la conservation des traces de cette
histoire en train de s’écrire – ce n’est qu’au cours des décennies suivantes qu’appa-
raîtront ailleurs dans le pays des sociétés répondant à ces objectifs, comme la New
York Historical Society 133 en 1804, puis l’American Antiquarian Society en 1812 –,
les érudits bostoniens ont d’abord inscrit leurs travaux dans un cadre national, à
la fois en termes de collections et de publications. Dégagés ensuite de cette res-
ponsabilité pesant sur leurs seules épaules – « l’unique dépôt de la nation pour
l’histoire américaine 134 » –, ils ont l’occasion de porter plus particulièrement leur
attention sur leur ville et l’État du Massachusetts en général, constituant notam-
ment une bibliothèque historique de premier ordre. Celle-ci est formée, selon un
modèle traditionnel, de quatre catégories de matériaux : les manuscrits, les col-
lections de journaux, les documents publics, et enfin les publications locales et
128 Thompson James David (ed.), Handbook of learned societies and institutions, America, Washington,
Carnegie Institution of Washington, 1908 [réimpression : Detroit, Gale Research Company, 1966].
129 Miller Nyle H., « A look at historical societies », in The Museum news, Washington, 1962, vol. 40,
no 6, p. 26-29. « The History Museum », in Alexander et Alexander, Museums in motion, op. cit., p. 113-
138, p. 118-119.
130 L’université d’Harvard, à Cambridge, Massachusetts, a été fondée dès 1636. D’autres universités parmi
les plus prestigieuses du pays sont créées dans le courant du xviiie siècle (Yale, Columbia, Brown…). Par
ailleurs, des bibliothèques publiques existent déjà dans plusieurs villes de la région à la fin du xviiie siècle
(Boston, Philadelphie…). Selbach Gérard, « Esquisse d’une histoire des musées américains : naissance,
croissance, missions et politique fédérale et locale », in Revue LISA/LISA e-journal, vol. 5, no 1, 2007 [en
ligne], http://lisa.revues.org/1593 (en ligne depuis le 20/10/2009, page consultée le 18/05/2015), § 6.
131 Entretien avec Louise Mirrer, présidente et CEO de la New York Historical Society (23 juin 2010).
Voir aussi Thompson, Handbook of learned societies…, op. cit., p. 216-218. Nyle H. Miller recense 65 socié-
tés historiques dans le pays en 1860, et Edward et Mary Alexander 78 en 1876.
132 « […] to gather and protect the basic sources of American history. » The Massachusetts Historical Society [en
ligne], http://www.masshist.org (page consultée le 18/05/2015).
133 Entretien avec Louise Mirrer (23 juin 2010). Vail Robert W., Knickerbocker birthday, a sesqui-cen-
tennial history of the New York Historical Society 1804-1954, New York, New York Historical Society, 1954.
Sandweiss Eric, « “ The novelties of the town” – Museums, cities, and historical representation », in Jones,
Macdonald et McIntyre, City museums and city development, op. cit., p. 40-59.
134 « […] the nation’s only repository of American history. » The Massachusetts Historical Society [en ligne], op. cit.
45
Le musée de ville
135 « […] one of the most practical, enjoyable and instructive means of bringing the past to life. » Miller, « A
look at historical societies », in The Museum news, op. cit., p. 29.
136 « To institute and encourage historical inquiry, to collect and preserve the materials of history, and to spread
historical information, especially within the Northwestern states. » Thompson, Handbook of learned societies…,
op. cit., p. 153. Ce processus a atteint son aboutissement très récemment, en 2006, lorsque le nom Chicago
Historical Society est changé en The Chicago History Museum. Le musée a finalement pris le pas sur l’insti-
tution qui l’a créé un siècle et demi plus tôt. Il semble également que ce changement de nom traduise une
volonté d’ouverture auprès de nouveaux publics, qui n’étaient pas la cible traditionnelle des historical socie-
ties, plutôt exclusives d’un point de vue social.
137 « […] the average historical society museum [:] a dull and stodgy place with row after row of cases filled with
assorted bric-a-brac. » Miller, « A look at historical societies », in The Museum news, op. cit., p. 29.
138 A Summary of restoration, renovation & reinterpretation completed and proposed under A Master plan for
the Old State House, Boston, The Bostonian Society, mars 2010.
46
L’Old State House de Boston, le plus grand édifice de la ville à l’époque de sa construction.
Le musée de ville
139 Entretien avec Bryan LeMay, président et directeur exécutif de la Bostonian Society and Old State
House Museum (8 juin 2010).
140 Thompson, Handbook of learned societies…, op. cit., p. 116.
141 Entretien avec André Delisle, directeur du musée du château Ramezay, Montréal (8 mai 2010). Dufour
Pierre, Un château au cœur du Vieux-Montréal, Montréal, musée du château Ramezay, 1998, p. 12. Gagnon
Hervé, « Divertissement et patriotisme : la genèse des musées d’histoire à Montréal au xixe siècle », in Revue
d’histoire de l’Amérique française, vol. 48, no 3, 1995, p. 317-349, p. 332-347.
48
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
142 Pomian, « Le musée face à l’histoire », in Saule, L’histoire au musée, op. cit., p. 99-126, p. 116.
49
Le musée de ville
143 lehmann Otto, « L’évolution des musées allemands et les origines des Heimatmuseen », in Mouseion,
vol. 31-32, no III-IV, Paris, 1935, p. 111-117, p. 114.
144 Buls Charles, Un projet de musée populaire, Bruxelles, Muquardt, 1874, p. 4 et 26. Pour une analyse
détaillée de ce Musée populaire, voir Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 45-46. Noémie
Drouguet a également abordé ces questions. Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 47. Cette figure poli-
tique bruxelloise sera évoquée au chapitre suivant, car Charles Buls a joué un rôle déterminant dans la créa-
tion du musée de la Ville de Bruxelles, ouvert au public en 1887.
145 Charléty, Itinéraire d’un musée…, op. cit., p. 41.
146 « Heimatmuseum », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 608.
50
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
51
Le musée de ville
152 lehmann, in Mouseion, op. cit., p. 116. Bien qu’un peu tardive (1935), cette citation se révèle pour-
tant valable pour décrire la politique muséographique des premiers Heimatmuseen. Charléty, Itinéraire
d’un musée…, op. cit., p. 77-78.
153 Gorgus Nina, Le magicien des vitrines. Le muséologue Georges Henri Rivière, Paris, Maison des sciences
de l’homme, 2003, p. 233-249. Voir également Poulot, Une histoire des musées de France, op. cit., p. 148-149.
154 « Musée cantonal », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 626.
155 Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 169, note 50.
156 Groult Edmond, Institution des musées cantonaux : lettre à Messieurs les Délégués des Sociétés savantes
à la Sorbonne (3 avril 1877), Paris, Claude Motteroz, 1877 [en ligne], Bibliothèque électronique de Lisieux,
http://www.bmlisieux.com/normandie/musees.htm (page consultée le 18/05/2015).
52
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
du juge de paix 157. L’organisation d’un musée cantonal est quant à elle soumise
à l’autorisation préalable de l’administration communale, et émane générale-
ment de « deux ou trois hommes de bonne volonté 158 », le plus souvent des per-
sonnalités qui comptent au sein de la communauté – le notaire ou l’instituteur –,
mais certaines initiatives sont l’œuvre des travailleurs mêmes auquel le musée est
destiné : humbles artisans, cordonniers, boulangers 159. Cette dimension sociale
en fait l’un des précurseurs de l’écomuséologie. Les lieux les plus divers peuvent
abriter le musée, qui s’adosse alors à une institution locale existante : la salle de la
mairie ou de la Caisse d’épargne, le foyer du théâtre, la salle d’attente de la gare
ou de la justice de paix.
Chaque musée est globalement structuré de la même manière, autour de quatre
sections de taille variable « selon les besoins de la localité 160 » : une section artis-
tique, la moins importante, car les besoins journaliers de la vie sont plus essentiels
que les « nobles jouissances de l’esprit et de l’imagination » ; une section agricole et
industrielle, qui représente tous les métiers manuels du canton, avec des modèles
réduits de machines et d’instruments prêtés pour une durée déterminée par les
inventeurs et les marchands en guise de publicité gratuite ; une section scienti-
fique destinée aux amateurs de physique, de chimie, de mécanique, de géologie
et d’histoire naturelle, avec l’exposition d’instruments de laboratoire, divers spé-
cimens et cartes, des insectes ou encore des collections botaniques ; et enfin une
section historique présentant les principaux monuments du canton, la biographie
des hommes marquants et la liste actualisée sur un tableau d’honneur des culti-
vateurs et négociants récompensés dans les concours.
La caractéristique probablement la plus étonnante pour l’époque de ce programme
idéal de musée cantonal établi par Edmond Groult est son aspect résolument
pratique : il doit concrètement aider le travailleur dans sa vie de tous les jours,
« par la vulgarisation des meilleures machines, par l’indication des meilleurs pro-
cédés de culture et des meilleures races d’animaux à propager dans le canton ».
Plusieurs dispositions muséographiques se révèlent également bien en avance sur
leur temps, par exemple la présence de cartels, « notices très courtes, quelquefois
curieuses, mais toujours instructives, qui accompagnent chacun de ces objets », l’or-
ganisation d’expositions temporaires « d’une durée plus ou moins longue, suivant
l’importance qu’ils [les directeurs des musées] croient devoir accorder à tel ou tel
enseignement » ou encore, en cas d’abondance de certaines catégories d’objets, la
présentation en alternance des collections, « de telle sorte que le musée, fidèle à
son programme général d’enseignement, se transforme perpétuellement dans ses
détails », incitant le public à renouveler régulièrement ses visites puisqu’il y trou-
vera « toujours de nouveaux sujets d’étude et de nouvelles connaissances à ajouter
aux anciennes ». Les instituteurs sont évidemment incités à faire découvrir le
musée cantonal à leurs élèves, tandis qu’une collaboration fructueuse est encou-
ragée entre les deux institutions par l’instauration « d’un petit Musée scolaire dans
53
Le musée de ville
chacune des écoles rurales du canton », à partir des collections excédentaires d’ob-
jets scientifiques appartenant au musée 161.
Enfin, la troisième forme de musée local relevée par Krzysztof Pomian est le museo
civico, institution typiquement italienne qui se distingue nettement des deux pré-
cédentes 162. En effet, contrairement à ces dernières qui revendiquent plutôt un
ancrage rural, c’est uniquement dans le contexte urbain que s’épanouit le museo
civico, et ce d’autant plus logiquement que, depuis toujours, ce sont les villes qui
constituent le fondement de la structure politique de l’Italie. Le terme civico
renvoie d’une part au statut public du musée, signifiant que sa gestion est assurée
par la municipalité, et fait intervenir d’autre part les notions de communauté et
d’identité : le musée documente la culture du lieu, « il “sentire” locale 163 ». Né au
xviiie siècle, ce type d’établissements connaît son heure de gloire au cours de la
seconde moitié du xixe, et plus particulièrement dans la période du Risorgimento,
autour des décennies 1850 et 1860. Le museo civico affirme alors fièrement les
« vertus quasi immémoriales 164 » et l’identité particulière de chaque ville, grande
ou petite, au moment même où ces dernières sont absorbées au sein d’un nouvel
État désireux de créer un véritable sentiment national italien. Dans cette optique,
le musée est conçu comme l’expression et le miroir – « lo specchio » – de la commu-
nauté urbaine, ce qui signifie que les objets et témoignages qui y sont rassemblés,
de quelque nature qu’ils soient, sont originaires de la région ou de la ville. Les
collections ne sont donc pas constituées sur base de critères qualitatifs ou esthé-
tiques, mais toujours en fonction de leur valeur historique. On y trouve donc, à côté
d’œuvres d’art issues des écoles locales – souvent offertes à la ville par des mécènes
plus ou moins prestigieux –, toutes sortes d’objets et de documents relatifs à la
vie citadine, sans toutefois s’aventurer sur le terrain réellement ethnographique.
Le museo civico forme un groupe très hétérogène en soi, « pluritipologico 165 », car il
n’est défini par aucun type dominant de programme muséographique ou de col-
lection. La diversité des approches domine en effet le paysage des musées locaux
italiens au xixe siècle, et la situation n’a guère évolué depuis : on y retrouve pêle-
mêle pinacothèques, musées archéologiques, scientifiques ou historiques, parfois
associés à d’autres institutions culturelles dépendant des villes, comme les biblio-
thèques, les dépôts d’archives ou les académies. Le musée est la plupart du temps
161 Les musées scolaires sont particulièrement nombreux dans la France du xixe siècle et jusqu’à la veille
de la Première Guerre mondiale : plus de 13 000. Les collections rassemblées permettent aux enseignants de
développer le sens de l’observation des enfants à partir d’objets courants, dans le cadre des leçons de choses.
Pour Noémie Drouguet, le musée cantonal, qualifié de « pédagogique », s’est développé sur le modèle des
musées scolaires. Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 47. « Musée scolaire », in Desvallées
et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 632. Drouguet, Le musée de société, op. cit., p. 47.
162 Peu de synthèses semblent avoir été écrites au sujet du museo civico et de son histoire. Nous avons
consulté les trois publications suivantes : Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 91. Visser Travagli Anna
Maria, « Museo civico – Museo della città – Museo e città : Profilo strorico, trasformazioni e nuovi compiti
di un’istituzione locale », in Calabi Donatella, Marini Paola et Travaglini Carlo (dir.), I musei della
città, Città & Storia, no 1-2, Anno III, Rome, Associazione italiana di storia urbana (AISU) et Università
degli studi Roma Tre, 2008, p. 51-71. Mottola Molfino Alessandra, Il libro dei musei, Rome, Umberto
Allemandi, 1991, p. 43-44.
163 Visser Travagli, in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 54.
164 Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 91.
165 Visser Travagli, in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 53.
54
Chapitre 2 – Les origines et le contexte muséal
166 Galli Letizia (ed.), Siena, The Palazzo Pubblico, The Civic Museum, The Torre del Mangia, Sienne,
Fondazione Musei Senesi, 2011.
55
Le musée de ville
56
Chapitre 3
L’âge classique du musée d’histoire de ville
167 Hugo Victor (intr.), Paris Guide par les principaux écrivains et artistes de la France. Première partie : La
science – l’art, Bruxelles, Leipzig, Livourne et Londres, A. Lacroix, Verboekhoven et Cie, et Samson Low
et Marston, 1867, p. 524.
168 Les projets du MuCEM à Marseille ou du musée des Confluences à Lyon ont ainsi été très docu-
mentés sur leurs sites de préfiguration respectifs.
169 Poulot Dominique, « Le patrimoine et les aventures de la modernité », in Poulot Dominique (dir.),
Patrimoine et modernité, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 7-67, p. 45.
170 Poisson Charles, Mémoire sur l’œuvre historique de la ville de Paris, Paris, Imprimerie impériale, 1867, p. 18.
57
Le musée de ville
œuvre de Jean Goujon – et xviie siècles qui ornent la cour 171. Mais outre son archi-
tecture, l’hôtel doit surtout sa renommée à sa plus fameuse locataire. La marquise
de Sévigné, grande épistolière de son temps, l’occupe en effet durant une ving-
taine d’années à la fin du Grand siècle et y tient un salon fort prisé de la bonne
société 172. Cet « argument d’autorité culturelle » est l’un de ceux qui emportent
la décision de faire de cet hôtel particulier au passé prestigieux le musée munici-
pal. Des travaux de restauration et d’agrandissement du monument sont dès lors
rapidement entamés par la ville. Les amateurs devront pourtant prendre leur mal
en patience, puisque cette institution, désignée désormais sous le nom de musée
Carnavalet, n’ouvrira ses portes au public que treize ans plus tard, en 1880, après
un certain nombre de péripéties.
171 Pour de plus amples descriptions et analyses architecturales du bâtiment, voir notamment Montgolfier de
Bernard, Le Musée Carnavalet. L’histoire de Paris illustrée. Un aperçu des collections, Paris, Musées et monu-
ments de France, 1986, p. 13-18. Léri Jean-Marc, Musée Carnavalet. Histoire de Paris, Paris, Fragments
international, 2007, p. 8-10.
172 « Marquise de Sévigné », in Pillorget René et Pillorget Suzanne, France baroque, France classique
(1589-1715), t. II, Paris, Robert Laffont, 1996, p. 1102-1105.
173 En 1834, Victor Hugo publie deux pamphlets sous le titre Guerre aux démolisseurs ! ; Hugo Victor,
Pamphlets pour la sauvegarde du patrimoine, Apt, L’Archange Minotaure, 2006 [éd. originale : 1834]. L’ouvrage
récent de l’historienne du patrimoine Ruth Fiori constitue par ailleurs une synthèse remarquable sur ces
questions. Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit. Voir notamment le chapitre 2 : « Du Paris moderne
au vieux Paris : les origines d’une perception de la ville », p. 51-77.
174 Valynseele Joseph, « Haussmann, Georges Eugène », in Tulard Jean (dir.), Dictionnaire du Second
Empire, Paris, Fayard, 1995, p. 616-618.
58
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
175 Favier Jean, Paris, deux mille ans d’histoire, Paris, Fayard, 1997, p. 196.
176 En 1765, un architecte, Pierre Patte, propose même, afin de désencombrer l’île de la Cité, de détruire
dix-sept églises qui s’y trouvent pour ne laisser subsister que Notre-Dame. La Révolution a également
entraîné nombre de démolitions, à commencer par la plus emblématique d’entre toutes, celle de la Bastille.
Ibid., p. 196. Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 54.
177 Favier, Paris, deux mille ans d’histoire, op. cit., p. 204.
178 Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 59-67.
179 Ibid., p. 72.
59
Le musée de ville
180 Cette association se donne pour mission première la publication et la diffusion de documents anciens
relatifs à l’histoire et la vie de Paris, mais son intérêt s’étend rapidement à tous les souvenirs du passé, y
compris aux découvertes, aux fouilles archéologiques et aux démolitions d’immeubles. Ibid., p. 82-85.
181 Ce comité a notamment pour but d’étudier les propositions d’inscriptions et de plaques commémo-
ratives nouvelles à installer sur les murs ou le sol de la ville, marquant le souvenir d’événements, de person-
nages ou de lieux importants de l’histoire de Paris. Ibid., p. 86-88.
182 Haussmann Georges Eugène, Mémoires du Baron Haussmann [t. III, Grands travaux de Paris, 1893],
éd. par Choay Françoise, Paris, Le Seuil, 2000, p. 810.
183 « Haussmann, Georges Eugène », in Tulard, Dictionnaire…, op. cit., p. 616.
60
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
entre autres le vocabulaire utilisé pour évoquer à la fois l’homme et son œuvre.
Certains mettent en exergue le caractère finalement indispensable de cette dernière
– une ville embellie, plus propre et au trafic fluidifié –, tout en reconnaissant que
certains « sacrifices », principalement celui de l’île de la Cité, n’étaient pas néces-
saires 184. D’autres sont plus sévères et décrivent la réalisation de son plan, effec-
tuée avec une « efficacité impitoyable 185 », comme « passablement autoritaire 186 »,
voire « brutale 187 ». On parle même des « massacres 188 » d’Haussmann, ou encore
de sa « main assassine 189 ». Les préoccupations anti-émeutières du régime impé-
rial sont également souvent considérées comme l’une des raisons justifiant le « net-
toyage par le vide 190 » auquel le préfet soumet la capitale : si les grandes avenues
qui traversent Paris permettent une meilleure circulation quotidienne, elles sont
surtout un moyen de faciliter le déplacement de troupes en cas d’insurrection et
donc d’assurer le contrôle politique et militaire sur la ville 191. Il est par ailleurs un
autre grief formulé à l’encontre du “couple” Napoléon III-Haussmann par l’his-
torien britannique Andrew Hussey, selon lequel « tous deux n’ont, de plus, aucune
considération pour le passé 192 ». Nous ne partageons pas entièrement cette der-
nière opinion, considérant qu’absence d’attachement, effectivement indéniable,
ne signifie pas pour autant mépris. La meilleure preuve nous semble en être le
soutien décisif apporté par Haussmann au développement des recherches histo-
riques et archéologiques dans la capitale au cours de sa période aux affaires 193.
Le baron Haussmann, chef de l’édilité parisienne, est en effet le fondateur en 1860
d’un nouveau département au sein de son administration, le service des Travaux
historiques, qui met en œuvre une politique dont le musée Carnavalet est direc-
tement issu 194. L’une des sources essentielles pour comprendre la philosophie
de ce projet est un document de trente pages rédigé en 1867 par un autre baron,
Charles Poisson (1820-1879), ami personnel d’Haussmann, conseiller munici-
pal et président de la commission chargée d’encadrer cette structure. Le Mémoire
sur l’œuvre historique de la ville de Paris décrit la mission du service des Travaux
historiques, composé de deux parties. Bien que considérées par l’auteur comme
d’égale importance, celles-ci sont entreprises avec plusieurs années de décalage :
la première est le lancement dès 1860 d’une collection de monographies et de
documents originaux qui seront connus sous le titre d’Histoire générale de Paris,
et la seconde est la fondation, actée en 1866, d’un « Musée municipal » qui lui
184 Ibid., p. 616-618. Fleury Michel, « Paris », in Tulard, Dictionnaire…, op. cit., p. 964-970, p. 968.
185 Hussey Andrew, Paris, ville rebelle, de 1800 à nos jours, Paris, Max Milo, 2008, p. 80.
186 Favier, Paris, deux mille ans d’histoire, op. cit., p. 204.
187 Hazan Eric, L’invention de Paris. Il n’y a pas de pas perdus, Paris, Le Seuil, 2002, p. 176.
188 Hussey, Paris, ville rebelle…, op. cit., p. 83.
189 Ibid.
190 Hazan, L’invention de Paris…, op. cit., p. 146.
191 Hazan, L’invention de Paris…, op. cit., p. 146-147 (sur l’île de la Cité) et p. 176-177 (sur la place de
la République). Hussey Andrew, Paris, ville rebelle…, op. cit., p. 81-83.
192 Ibid., p. 80.
193 « Paris », in Tulard, Dictionnaire…, op. cit., p. 970.
194 Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 76-82.
61
Le musée de ville
62
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
« J’applaudis à l’heureuse pensée que vous avez eue de faire écrire l’Histoire générale de
Paris. Cette collection de monographies, de plans et de documents authentiques, desti-
née à s’accroître sans cesse, permettra de suivre à travers les siècles la transformation de
la ville, qui, grâce au concours intelligent de son Conseil municipal et à votre infatigable
activité, est aujourd’hui la plus splendide et la plus salubre des capitales de l’Europe 203. »
La qualité intrinsèque de ce travail d’édition historique à l’ampleur inégalée, dont
les publications « restent des références incontournables 204 », lui a permis de traver-
ser les années, malgré la chute du régime politique qui l’a vu naître. Supprimé en
août 1870, le service des Travaux historiques est reconstitué dès l’année suivante.
Rebaptisé Commission des Travaux historiques dans le courant du xxe siècle, il
fait toujours partie du cadre administratif de la ville. L’Histoire générale de Paris,
dont le nombre considérable de volumes continue à croître 205, poursuit quant à
elle aujourd’hui encore son objectif initial de diffusion des différentes sources de
l’histoire de la capitale auprès d’un public varié, « les Parisiens de tout état et de
toute classe, administrateurs, jurisconsultes, commerçants, architectes, militaires,
ouvriers, etc. 206 ».
Par ailleurs, les travaux de recherche mis en œuvre dans le cadre de l’Histoire générale
de Paris ont une incidence directe sur le développement durant le Second Empire
de la discipline archéologique dans la capitale, qui est encouragé par Haussmann
et le Conseil municipal :
« La ville de Paris, voulant éditer sa propre histoire, ne [doit] négliger aucun moyen d’en
découvrir les particularités ignorées. Un service des fouilles [est] donc institué pour recher-
cher les renseignements parfois enfouis dans les profondeurs du sol 207. »
C’est ainsi que l’Inspection des fouilles archéologiques, service municipal fondé
sous le règne de Louis-Philippe et à la tête duquel est placé Théodore Vaquer,
futur conservateur de la section gallo-romaine du musée Carnavalet, est intégrée
au service des Travaux historiques. Les résultats des chantiers de fouilles effec-
tuées dans la capitale, comme celui de la Cour carrée du Louvre en 1866, destiné
à déterminer l’emplacement exact du château de Philippe-Auguste 208, sont dès
lors publiés dans les collections de l’Histoire générale de Paris, qui reflètent l’état le
plus actualisé des connaissances historiques sur la ville.
203 Napoléon III, « Lettre de l’Empereur », in Haussmann Georges Eugène (préf.), Histoire générale de
Paris. Introduction, Paris, Imprimerie impériale, 1866, p. 13.
204 Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 77.
205 Quarante-huit ouvrages sont publiés entre 1870 et 1910, et la collection compte 67 titres en 1958.
À l’heure actuelle, les publications de la Commission des travaux historiques font l’objet d’un inventaire,
en vue d’une prochaine diffusion des ouvrages recensés. Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 77.
La Monneraye de Jean, « Le Service des Travaux historiques de la ville de Paris et ses dernières publi-
cations », in Journal des savants, vol. 4, no 4, Paris, 1960, p. 173-186, p. 173. Ville de Paris, Commission des
Travaux historiques [en ligne], http://www.paris.fr/politiques/histoire-et-patrimoine/comite-d-histoire-
de-la-ville-de-paris/commission-des-travaux-historiques-cth/rub_9317_stand_72511_port_22755 (page
consultée le 21/05/2015).
206 Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 8.
207 Ibid., p. 12.
208 Cette première campagne de fouilles est notamment évoquée dans l’introduction de la publication
relative à un second chantier sur le même site, dans les années 1980 : Fleury Michel et Kruta Venceslas,
« Premiers résultats des fouilles de la Cour carrée du Louvre », in Comptes-rendus des séances de l’Académie
des inscriptions et belles-lettres, vol. 129, no 4, Paris, 1985, p. 649-672, p. 651.
63
Le musée de ville
Les quelques éléments qui viennent d’être exposés dans ce sous-chapitre témoignent,
à l’encontre de certains jugements négatifs, d’un réel soutien des autorités du Second
Empire envers la recherche historique et archéologique à Paris. Ce soutien n’est
cependant pas gratuit, et répond à une volonté claire de légitimation de la poli-
tique culturelle et urbanistique menée alors par Napoléon III et son Préfet de la
Seine. Le court extrait du courrier de l’Empereur reproduit précédemment montre
en effet que l’histoire de la ville est vue comme le suivi, à travers les siècles, de
ses propres transformations, processus dont le Paris contemporain constitue un
aboutissement – « la plus splendide et la plus salubre des capitales de l’Europe 209 ».
Napoléon III entend incarner une forme de continuité, dans laquelle il inscrit son
action, plutôt que d’assumer une rupture avec le passé, comme si la capitale suivait
depuis toujours une trajectoire historique inéluctable menant aux grands travaux
d’Haussmann. Ces derniers trouvent dès lors leur justification, contrant la per-
ception de « négation de l’histoire 210 » qui leur est attachée dans certains cercles
intellectuels de l’époque.
La décision de créer le musée Carnavalet, musée municipal consacré à la ville de
Paris, arrive dans ce contexte comme une réponse des pouvoirs publics face aux
critiques sur la politique menée et à la prise de conscience grandissante parmi la
population de l’importance patrimoniale que représentent les témoins de l’archi-
tecture et de l’urbanisme du passé. Dans un article publié en 2006, le conservateur
en chef du musée explique la naissance du musée en évoquant très justement « la
mémoire de la bonne conscience, [qui] s’impose comme la moindre excuse aux
démolitions du Second Empire 211 ». Effectivement, dès lors qu’un musée existe
dont le rôle est de recueillir et conserver les vestiges les plus représentatifs de l’his-
toire de la cité, les grands chantiers qui vont contribuer à l’enrichir se trouvent
légitimés et peuvent se poursuivre. Paradoxalement, la classe politique dirigeante,
ordonnatrice des travaux, est donc responsable de la disparition progressive d’un
patrimoine fragile, mais lui assure néanmoins, arraché à son environnement d’ori-
gine, une forme de protection par son intégration au sein de l’institution muséale.
209 Napoléon III, « Lettre de l’Empereur », in Haussmann, Histoire générale de Paris, op. cit., p. 13.
210 Fiori, L’invention du vieux Paris…, op. cit., p. 76-82.
211 Willesme Jean-Pierre, « Le musée Carnavalet : mémoire et patrimoine de la Ville de Paris », in Sohn,
Mémoire…, op. cit., p. 283-298, p. 284.
212 Gob et Drouguet, La muséologie, op. cit., p. 134.
64
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
213 « Henri Chevreau », in Nouveau Larousse illustré, tome II, Paris [1902], p. 774.
214 Tisserand Lazare-Maurice, Motifs qui ont déterminé la création du Musée historique parisien et qui en
commandent l’achèvement, mai 1870, p. 14.
215 Les conceptions paternalistes qui ont été évoquées au chapitre précédent au sujet des musées locaux
restent parfaitement d’actualité au musée Carnavalet : « [Le musée sera] un moyen d’enseignement, par
les yeux, pour la grande famille artistique et ouvrière, toujours riche d’imagination mais trop ignorante ou
trop oublieuse des leçons de l’histoire. » Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 5. Cet
extrait du texte de Tisserand n’est d’ailleurs pas sans rappeler les mots de Charles Buls à la même époque
(voir chapitre 2, p. 50).
216 Tisserand, Motifs qui ont déterminé la création…, op. cit., p. 1-3.
217 Poisson, Mémoire sur l’œuvre historique…, op. cit., p. 17.
218 Ibid., p. 19.
65
Le musée de ville
66
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
67
Le musée de ville
volonté de limiter au maximum les frais pour cette section et sa pauvreté théma-
tique tranchent dès lors singulièrement avec le traitement encyclopédique et les
budgets d’acquisition conséquents accordés à la représentation des quatre siècles
précédents. Il est cependant significatif qu’une telle section soit prévue, puisqu’elle
affirme de la sorte l’inscription légitime du temps présent, en l’occurrence le Second
Empire, dans un continuum historique que certains lui contestent.
Par ailleurs, ce programme muséal revêt plusieurs caractéristiques qui nous semblent
devoir être mises en évidence. La première est la primauté consentie au discours
sur la ville – dans un entremêlement entre grande et petite histoire typique de
cette époque – sur les collections déjà en possession de l’administration muni-
cipale. Si le baron Poisson ne manque pas de rappeler au lecteur que « la ville de
Paris possède une grande quantité de tableaux, de médailles, d’esquisses et d’ob-
jets d’art de diverses sortes [ne disposant pas] d’un lieu de dépôt convenable 233 »,
le musée n’est cependant jamais conçu comme un simple réceptacle pour ceux-ci,
qu’il s’agirait alors d’exposer le plus fastueusement possible dans le but de glori-
fier leur propriétaire. Au contraire, c’est la décision de réécrire l’histoire de Paris
qui entraîne la création du musée, et la soumission des collections au récit projeté.
Dans le même ordre d’idée, ce ne sont pas les œuvres les plus riches d’aspect ou
les plus onéreuses qui sont recherchées pour être intégrées à l’exposition. Bien que
« le musée [soit] envisagé comme un instrument de propagation des saines tra-
ditions du goût 234 », ce ne sont cependant pas « les pièces exceptionnelles carac-
térisant les existences princières, les mœurs et coutumes de l’aristocratie et de la
haute bourgeoisie 235 » qu’il convient d’acquérir. Dans une ambition explicite de
« démocratiser le futur musée 236 », ses concepteurs s’intéressent plutôt à la carac-
térisation de la vie parisienne dans les classes bourgeoises et populaires. Lorsqu’il
s’agit de réunir des documents de nature topographique et biographique, la qualité
esthétique des objets de la collection n’est pas non plus un critère : « un tableau
médiocre au point de vue de l’art, qu’on n’admettrait certainement pas dans les
collections du Louvre, mérite parfois d’être classé au premier rang comme docu-
ment historique 237 ». L’accent est donc systématiquement placé sur la valeur de
témoignage des pièces de la collection, et le baron Poisson va même jusqu’à ima-
giner la présence au sein du musée d’un enfer, « caché aux yeux de la foule et s’ou-
vrant seulement pour les adeptes, [au cas où] quelques toiles des plus intéressantes
[se trouveraient] dans un état d’infériorité ou de dégradation qui s’oppose à leur
exhibition publique 238 ».
De plus, il nous semble essentiel de noter qu’à aucun moment, le musée n’est
conçu comme l’archétype d’une forme nouvelle d’institution. La notion de caté-
gorie muséale ne suscite d’ailleurs probablement pas de grands débats à l’époque,
et c’est en tant que classique musée d’histoire, comme il en existe déjà beaucoup,
68
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
que le musée Carnavalet est « catégorisé » par les auteurs du projet. Ces derniers
en revendiquent cependant avec une certaine fierté le caractère novateur :
« La condition indispensable pour réussir aujourd’hui dans une pareille tentative est que
la nouvelle entreprise réponde à une idée non encore réalisée 239. »
« Rien n’a été fait encore dans cette voie […] 240. »
Ces deux phrases s’adressent surtout en réalité au microcosme muséal de la capi-
tale. Elles visent à démontrer, après avoir énuméré les principaux musées de Paris
et leurs domaines d’étude respectifs, « qu’une collection destinée uniquement à
rappeler l’histoire de la cité parisienne ne peut porter ombrage à aucun de ces
établissements 241 ». L’insistance sur l’originalité du projet muséal s’inscrit donc
manifestement dans une stratégie de légitimation de sa place au sein du paysage
institutionnel local. Il ne faut donc y voir aucun rapport avec une éventuelle pré-
tention à devenir une figure influente au niveau international dans le domaine de
la représentation de l’histoire de la ville.
Enfin, comment ne pas relever le caractère tristement ironique, malgré elle, d’une
des dernières phrases du mémoire du baron Poisson. Confiant dans l’avenir, celui-
ci annonce que les dispositions générales du futur musée, qu’il vient d’exposer et
« dont la mise à exécution va commencer, sont commandées par la nature même du
but que l’on poursuit, et les circonstances éventuelles ne pourront y apporter que
des modifications de détail 242 ». Les événements politiques qui accompagneront,
quatre ans plus tard, la transition entre les régimes impérial et républicain dans la
capitale française auront pourtant des conséquences dramatiques sur l’évolution du
projet. L’hôtel de ville de Paris, dans les greniers et bureaux duquel sont provisoi-
rement stockées depuis 1866 les collections destinées au futur musée, est en effet
victime des affrontements entre communards et versaillais durant la « Semaine san-
glante » 243. Tout comme d’autres monuments publics emblématiques de la capi-
tale – les Tuileries ou le Palais de Justice –, celui-ci est, le 24 mai 1871, la proie
d’un violent incendie délibérément allumé par les insurgés refusant d’abandonner
les lieux. Cette destruction par le feu de la quasi-intégralité du noyau primitif des
collections, en même temps d’ailleurs que l’ensemble des archives municipales, est
dès lors responsable du report de presque dix ans de l’ouverture du musée, qui se
fera de surcroît sur un mode mineur par rapport aux ambitions affichées initiale-
ment par les premiers concepteurs du musée.
69
Le musée de ville
244 Alphand Jean-Charles, Aménagement de l’hôtel Carnavalet et installation provisoire des collections his-
toriques, Rapport à Monsieur le Préfet, 8 octobre 1873, p. 2. Cette note manuscrite de quatorze pages est
conservée au musée Carnavalet.
245 Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 81.
246 Alphand, Aménagement de l’hôtel Carnavalet…, op. cit., p. 2-3.
247 Rodriguez Peggy, « Jules Gailhabaud », in Sénéchal Philippe et Barbillon Claire (dir.), Dictionnaire
critique des historiens de l’art actifs en France de la Révolution à la Première Guerre mondiale, Paris, Institut natio-
nal d’histoire de l’art [en ligne], Institut national d’histoire de l’art, http://www.inha.fr/spip.php?article2329
(page consultée le 18/05/2015).
248 Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 84.
70
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
71
Le musée de ville
257 Mairesse François (éd.), L’inaliénabilité des collections de musée en question, actes du colloque au musée
de Mariemont (28 avril 2009), Morlanwelz, musée royal de Mariemont, 2009. Gob, Le musée, une institu-
tion dépassée ?, op. cit., p. 119-125.
258 Catalogue des objets d’art et de curiosité provenant du musée Carnavalet […], vente de janvier 1881, Paris,
hôtel Drouot, 1881. Un exemplaire de ce catalogue est conservé à la Bibliothèque historique de la ville de Paris.
259 Dubois, Les origines du musée Carnavalet, op. cit., p. 151.
260 L’un des murs extérieurs du bâtiment, sur la rue des Francs-Bourgeois, constitue d’ailleurs un témoi-
gnage éloquent de l’importance prise par les livres au détriment des objets au musée Carnavalet à la fin du
xixe siècle. Cette façade aveugle honore, en huit cartouches, les plus fameux historiens parisiens, qui sont
répartis non pas en fonction des différentes sections thématiques du musée, mais bien selon les rubriques
de classement de la bibliothèque : histoire, chronique, administration, mœurs et coutumes, monuments,
beaux-arts, topographie et iconographie.
261 Robiquet Jean, « Introduction », in Boucher François, Dorbec Prosper et Robiquet Jean, Guide du
musée Carnavalet, Paris, Frazier-Soye, s. d. [1928], p. VII-XI, p. VIII.
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Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
L’arc de Nazareth, pavillon du xvie siècle remonté dans les jardins du musée Carnavalet, à Paris.
262 L’article suivant, rédigé par le conservateur en chef du musée, constitue une excellente synthèse de
l’histoire architecturale du musée Carnavalet à la charnière entre les xixe et xxe siècles : Willesme Jean-
Pierre, « La formation du musée Carnavalet, de Jules Cousin à Jean Robiquet (1866-1925) », in Cahiers de
la Rotonde, no 19, Paris, Commission du vieux Paris, 1997, p. 145-166.
263 Pour de plus amples informations sur ces morceaux d’architecture remontés au musée Carnavalet, voir
Fiori, Paris déplacé…, op. cit., p. 50-53.
73
Le musée de ville
74
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
Outre la Révolution française, qui n’est pas spécifiquement parisienne, ce sont les
documents iconographiques et topographiques prenant la capitale, ses quartiers
et ses monuments pour sujets qui constituent la part la plus essentielle des col-
lections du musée. Mais ce qui fait réellement la marque de fabrique du musée
Carnavalet, et qui détermine sa physionomie d’ensemble, ce sont les remarquables
décors de boiseries qui peuplent progressivement les salles à partir de la fin des
années 1880, sur et au milieu desquels sont exposés tableaux, meubles précieux et
délicats objets d’art. Dès 1889, les lambris et plafonds provenant de la chambre
à coucher et la salle à manger de l’hôtel de La Rivière, sur la place des Vosges,
sont installés au musée. Œuvre des peintres Lebrun et Perrier au xviie siècle, cet
ensemble reconstitué est le premier d’une longue série : le musée compte dix salles
de boiseries à l’aube de la Première Guerre mondiale et plus d’une trentaine dans
les années 1920. Les remontages de décors intérieurs se prolongent durant tout le
xxe siècle, jusqu’en 1989, date à laquelle sont présentées les deux dernières acqui-
sitions de ce genre : la monumentale salle de bal de l’hôtel de Wendel, décorée
entre 1923 et 1925 par Josep Maria Sert, et une bijouterie de style Art nouveau,
façade comprise, par Alphonse Mucha.
75
Le musée de ville
Plus de la moitié des salles du musée, actuellement une centaine, sont ainsi « habil-
lées » de décors des xviie et xviiie siècles, considérés comme un âge d’or pour les
arts et la culture. Égrenant les noms prestigieux des grandes familles en vogue à
Paris sous l’Ancien Régime – hôtels Colbert de Villacerf, de Fersen, de Breteuil,
château de Conflans… –, ces salles « valent elles-mêmes comme œuvres d’art 270 »,
comme le note en 1928 le conservateur du musée dans la préface d’un ouvrage
consacré à ces boiseries. Celui-ci ajoute même, avec raison, que « ce procédé d’ex-
position, maintenant si répandu, constituait alors une trouvaille, aucun de nos
établissements d’art ne l’ayant encore employé 271 ». L’approche muséographique
de l’Epochemuseum, qui vise à contextualiser les œuvres exposées – mobilier, arts
décoratifs, peinture, sculpture – au sein de salles fastueuses rappelant leur époque
de création ne sera en effet largement popularisée que plus tard, à partir de l’ou-
verture en 1904 à Berlin du Kaiser-Friedrich Museum, imaginé par Wilhelm von
Bode 272. À Paris, dès la dernière décennie du xixe siècle, le musée Carnavalet
270 Boucher François, Les boiseries du musée Carnavalet, Paris, Frazier-Soye, 1928, p. 2.
271 Ibid.
272 Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 84-85. Poncelet François, Des expographes et des œuvres :
analyse typologique des formes d’implication personnelle de l’expographe dans les logiques de disposition qu’il conçoit,
Facultés universitaires de Namur, thèse de doctorat, 2011, p. 245-248.
76
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
L’exposition permanente du musée Carnavalet est placée sous le signe des Arts décoratifs
(ici, le règne de Louis XVI).
décisions prises par des investisseurs 273 –, la situation est toute autre au moment
de l’aménagement du musée Carnavalet. Le discours porté par l’institution sur la
thématique à laquelle il se consacre, en l’occurrence l’histoire de la capitale, est en
effet un fidèle reflet de l’historiographie de son temps, telle que la décrit Charles-
Olivier Carbonell. Celui-ci est l’auteur en 1976 d’un ouvrage de référence sur la
façon d’écrire l’histoire en France au cours de la période 1865-1885, presque exac-
tement celle qui nous a occupé tout au long de ce chapitre 274. L’ensemble de la
production historique de cette époque y est étudié sous différents angles – statis-
tique, géographique, démographique, thématique… –, et les conclusions auxquelles
il aboutit ne manquent pas d’étonner, tant elles sont proches, par de nombreux
aspects, de celles relevées pour le musée Carnavalet.
Carbonell indique notamment qu’un cinquième des ouvrages historiques publiés
alors sont consacrés à l’histoire locale, qui occupe dès lors la première place tous
domaines de recherche confondus, devant les autres catégories : histoire religieuse,
biographie, histoire nationale, publication de documents… Le cas de la ville de Paris,
au sujet de laquelle les publications historiques fourmillent, n’est donc pas isolé.
« Raconter l’histoire d’un village ou d’une ville, narrer dans le détail un épisode de la vie
municipale ou l’évolution d’une institution urbaine fut, il y a cent ans, l’exercice favori
des historiens français 275. »
L’émergence à ce moment précis de musées dédiés au fait local n’est donc pas
fortuite. Elle s’inscrit dans un contexte intellectuel et scientifique qui favorise ce
type d’entreprise.
Plusieurs caractéristiques de ces monographies locales sont ensuite soulignées. En
premier lieu, le recours au document, qui est une condition essentielle pour l’éru-
dit. Le récit se trouve cependant biaisé par la nature même des archives conser-
vées, qui se rapportent presque exclusivement aux institutions, aux guerres ou à
divers événements sortant de l’ordinaire. Les histoires du xixe siècle concernant les
périodes médiévale et moderne sont donc le plus souvent des chroniques décou-
sues, détaillant les généalogies des souverains, les expéditions et haut-faits mili-
taires, les fêtes de corporations et les débats échevinaux. Un second trait commun
à la production des historiens de ce temps est son caractère de fourre-tout docu-
mentaire dans lequel le peuple n’occupe qu’une place minime, comparée à celle
prise par les héros.
« Grande et petite histoire s’entremêlent où la seconde n’a pas la place la plus petite,
quand elle n’occupe pas la première 276. »
273 Voir notamment les deux articles suivants, qui abordent cette question des rapports parfois ambigus
entre le musée et l’historien : Burgess Joanne, « L’historien, le musée et la diffusion de l’histoire », in
Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 57, no 1, Montréal, 2003, p. 33-44. Kesteloot Chantal et
Vanderpeelen Cécile, « De l’historien partenaire à l’historien alibi », in Jaumain Serge (éd.), Les musées
en mouvement : nouvelles conceptions, nouveaux publics (Belgique, Canada), Bruxelles, Centre d’études cana-
diennes de l’université de Bruxelles, 2000, p. 53-62.
274 Carbonell, Histoire et historiens…, op cit. Voir plus particulièrement le chapitre « Les domaines de
l’histoire », p. 91-161.
275 Ibid., p. 127.
276 Ibid., p. 131.
78
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
277 Burguière André, L’école des Annales, une histoire intellectuelle, Paris, Odile Jacob, 2006.
278 Carbonell, Histoire et historiens…, op cit, p. 455.
279 Dorbec, L’histoire de Paris…, op. cit., p. 90.
79
Le musée de ville
La place importante accordée au musée Carnavalet dans ces pages se justifie par
sa position comme figure archétypale du musée classique, dans le domaine de l’ex-
position de la ville. Cette dernière expression est notamment utilisée par André
Gob pour décrire le modèle qui domine progressivement le paysage muséal à
partir du milieu du xixe siècle et durant la première moitié du xxe siècle 280. Les
prochains sous-chapitres montreront dès lors l’évolution de cette nouvelle thé-
matique à deux moments clés, d’abord au tournant du xxe siècle, puis au cours de
la période 1920-1970, annonciatrice de certains changements.
80
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
un homme qui s’est personnellement impliqué depuis longtemps dans des réflexions
novatrices sur la notion de musée se trouve en mesure, par son accession postérieure
au statut d’homme public, de mettre en pratique ses convictions engagées. C’est en
tant que pédagogue et penseur qu’il s’est illustré durant la première moitié de sa
vie 286. Fondateur en 1864 de la Ligue pour l’Enseignement – association visant à
réformer le réseau éducatif officiel, dont le pouvoir organisateur est l’État ou toute
personne de droit public –, il s’est particulièrement investi dans le domaine de l’édu-
cation des masses populaires et a toujours considéré à cet égard que les musées ont
un rôle social essentiel à jouer, à côté des parents et du système scolaire.
L’occasion saisie par Charles Buls de créer un musée « conforme à ses aspira-
tions premières 287 » est le legs à la ville en 1881 par un riche mécène, le britan-
nique John-Waterloo Wilson, d’une importante somme d’argent, 300 000 francs,
devant spécifiquement être affectée à l’achat de tableaux anciens. À cette époque,
le déficit est alors criant en matière de musées communaux. La ville est en effet
orpheline d’un grand musée depuis 1842, date à laquelle elle a vendu au jeune État
belge le musée d’art dont elle avait hérité en 1811 du Département de la Dyle 288.
Lorsque Charles Buls accède au pouvoir au début des années 1880, la munici-
palité ne dispose que d’un minuscule musée, « absolument inconnu 289 », selon les
termes d’un conseiller communal, dans une salle de l’Académie des beaux-arts où
quelques tableaux offerts par divers donateurs sont exposés 290. Le bourgmestre
souhaite donc remédier à cette situation, indigne d’une capitale aux grandes ambi-
tions. Il est bien conscient que ce don, malgré sa générosité, ne permettra pas un
enrichissement significatif du musée communal de l’Académie, condamné à ne
rester « qu’une insignifiante doublure du musée de l’État 291 », si riche en œuvres
d’art fameuses. Conseillé par Alphonse Wauters, archiviste municipal et futur
président fondateur de la Société archéologique de Bruxelles (1887), il propose
plutôt d’employer le legs Wilson à la constitution d’un premier noyau de collec-
tions pour un musée historique :
« Nous achèterions en conséquence des tableaux qui, soit par le sujet qu’ils repré-
sentent, soit par la personnalité du peintre, offriraient un intérêt pour l’étude de l’his-
toire de notre ville 292. »
286 Martens Mina, Charles Buls, ses papiers conservés aux Archives de la Ville, Bruxelles, archives de la ville
de Bruxelles, 1958, p. 16-27. Heymans Vincent, « Charles Buls et les musées, une réflexion en trois actes »,
in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 23-28.
287 Martens, Charles Buls…, op. cit., p. 24.
288 Ce musée, fondé en 1801 et ouvert au public en 1803 dans l’ancienne Cour (le palais de Charles de
Lorraine), est le futur musée royal de Peinture et de Sculpture de Belgique, devenu en 1927 musées royaux
des Beaux-Arts de Belgique. Loir Christophe, La sécularisation des œuvres d’art dans le Brabant (1773-1842).
La création du musée de Bruxelles, Bruxelles, université libre de Bruxelles, coll. « Études sur le xviiie siècle »,
vol. hors-série 8, 1998, p. 83-84 et p. 133-135. Van Kalck Michèle, Les musées royaux des Beaux-Arts de
Belgique : deux siècles d’histoire, Bruxelles, Racine, 2003.
289 Ville de Bruxelles, bulletin communal, op. cit., t. I, 1883, p. 244.
290 Au cours des années 1830, la création dans les grandes villes de Belgique des académies des beaux-
arts, institutions municipales, implique obligatoirement l’existence d’un musée en leur sein, destiné à l’ins-
truction des étudiants. Gob, « Les musées, un enjeu culturel pour la Wallonie », in Demoulin, Histoire
culturelle, op. cit., p. 327-337, p. 331.
291 Buls, « Legs Wilson… », in Ville de Bruxelles, bulletin communal…, op. cit., p. 184.
292 Ibid., p. 185.
81
Le musée de ville
82
La Maison du roi, sur la Grand-Place de Bruxelles.
Le musée de ville
Le musée de la Ville de Bruxelles, dans Le Patriote illustré, 1887 (archives de la Ville de Bruxelles).
296 Smolar-Meynart Arlette, Deknop Anne et Vrebos Martine, Le musée de la Ville de Bruxelles, la
Maison du roi, Bruxelles, musée de la Ville de Bruxelles et Fondation pour la protection des monuments
et sites ASBL, 1992, p. 7-18.
297 Ville de Bruxelles, bulletin communal, op. cit., t. I, 1887, p. 241-242.
298 Ville de Bruxelles, bulletin communal, op. cit., t. II, 1888, p. 680.
299 Deknop Anne, « Le passé, le présent et l’avenir du musée de la Ville. Historique de la Maison du roi »,
in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 29-32, p. 29.
85
Le musée de ville
86
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
87
Le musée de ville
ceux des musées fondateurs décrits jusqu’alors. Le paysage muséal de cette époque
n’est cependant pas réductible à un bloc monolithique à l’intérieur duquel tous les
objectifs et les approches seraient identiques. Soit par leur projet global, soit par
leur origine, certains établissements font en effet figure d’exception. C’est notam-
ment le cas de deux institutions britanniques créées au tournant du xxe siècle.
308 Chabard Pierre, « L’Outlook Tower, anamorphose du monde », in Marot Sébastien (éd.), Le visi-
teur : ville, territoire, paysage, architecture, no 7, Paris, Éditions de l’imprimeur, 2001, p. 64-73. Renwick
Chris, « Camera obscura, Edinburgh », in British Society for History of Science (BSHS) Travel Guide [en
ligne], http://www.bshs.org.uk/travel-guide/camera-obscura-edinburgh (en ligne depuis le 24/03/2010,
page consultée le 18/05/2015).
88
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
89
Le musée de ville
est le projet visionnaire, à la fois scientifique et social, porté par Patrick Geddes
avec son Outlook Tower, désignée en 1899 par le prestigieux American Journal of
Sociology comme « le premier laboratoire sociologique mondial 310 ». Son succès
s’essoufflera cependant à partir de la Première Guerre mondiale et dans le courant
du xxe siècle, la tour, rebaptisée Camera Obscura and World of Illusions, retrouve sa
vocation initiale d’activité touristique et commerciale. Malgré son abandon rapide,
la démarche interprétative avant la lettre 311 mise en place par Patrick Geddes ne
manque pas d’originalité, et influencera durablement certains esprits soucieux de
présenter la ville d’une manière différente que dans le musée classique.
À cet égard, le projet resté sans suite d’Urbaneum bruxellois 312, imaginé dans les
années 1930 par le sociologue belge Paul Otlet 313 – connu pour être l’initiateur au
début du xxe siècle du Mundaneum, « Google de papier 314 » – et l’architecte Victor
Bourgeois, trouve son inspiration dans celui de l’Outlook Tower. L’Urbaneum est
conçu comme une forme d’exposition sur la ville, facilement transposable partout
dans le monde, qui en reprend les deux dimensions essentielles : la morphologie
et la sociologie. Un bâtiment dont trois côtés seraient entièrement vitrés aurait été
installé au sommet du Mont des Arts, colline qui domine la vieille ville, permet-
tant l’observation directe du panorama, tandis que le dernier mur aurait accueilli
cartes et graphiques. Le centre de la salle aurait consisté en une grande maquette
évolutive de la cité, régulièrement tenue à jour, afin d’intéresser les citoyens au
développement de la ville. En tant que « musée vivant de l’urbanisme », le com-
plexe aurait été composé, en plus de la salle d’exposition, d’un centre de documen-
tation, d’une bibliothèque et d’une salle d’étude.
Par son statut particulier, le London Museum, ouvert au public en avril 1912 dans
les State Apartments du palais de Kensington, se distingue lui aussi parmi les
musées d’histoire de ville pionniers 315. Contrairement à la plupart de ces institu-
tions qui sont fondées par des édiles communaux, le musée consacré à la capitale
anglaise est quant à lui issu de la vision de deux aristocrates qui ont réussi à inté-
resser la famille royale britannique au projet, entraînant dès lors la création d’un
musée national, et non municipal. L’implication réelle des souverains anglais tout
310 « […] the world’s first sociological laboratory. » Zueblin Charles, « The world’s first sociological laboratory »,
in American Journal of Sociology, vol. 4, no 5, Chicago, The University of Chicago Press, 1899, p. 577-592.
311 Chaumier Serge et Jacobi Daniel (dir.), Exposer des idées. Du musée au Centre d’interprétation, Paris,
Complicités, 2009.
312 Le Maire Judith, « De l’Urbaneum à la “Conférence permanente” : l’apprentissage comme pilier de la
grammaire participative dans l’architecture et l’urbanisme », in Espaces de vie, espaces enjeux : entre investis-
sements ordinaires et mobilisations politiques, actes du colloque de l’UMR 6590 (Espaces et Sociétés) à l’uni-
versité de Rennes 2, novembre 2008. Culot Maurice (dir.), La troisième dimension, maquettes d’architecture,
Bruxelles, Archives d’architecture moderne, 2003, p. 21-22. Gob André, « Musée ouvert, manifestation
de l’espace public ? » in Gob André (dir.), Musées : on rénove !, Art&Fact, no 22, Liège, p. 122-129, p. 126.
313 Levie Françoise, L’homme qui voulait classer le monde : Paul Otlet et le Mundaneum, Bruxelles, Les
impressions nouvelles, 2006.
314 Le Monde, édition du 19 décembre 2009.
315 Entretien avec Cathy Ross, Director of Collections and Learning au Museum of London (10 septembre
2010). Sheppard Francis, The treasury of London’s past, an historical account of the Museum of London and its
predecessors, the Guildhall Museum and the London Museum, Londres, Museum of London, 1991, p. 31-130.
Wheeler Mortimer, The London Museum, Short guide to the collections, Londres, Lancaster House, Saint
James’s, 1926. Wheeler Mortimer, Twenty-five years of the London Museum. An album of photographs illus-
trating the range of the collections, Londres, Lancaster House, Saint James’s, 1937.
90
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
316 « […] considerable proprietary interest. » Cité in Sheppard, The treasury of London’s past, op. cit., 1991, p. 40.
317 « It has been the dream of my life to establish a London (Carnavalet) Museum. » Cité in ibid., p. 36.
318 « In accordance with Your Majesty’s wishes I have carefully thought out the best mode of exhibiting the pro-
foundly interesting relics […]. The Victoria and Albert [Museum] would be unsuitable as it is entirely devoted to
art in connection with education. Indeed there is no museum at present in existence which is altogether suitable. […]
I think a great opportunity would be lost if advantage were not taken of Your Majesty’s offer to at once bring into
existence a Museum for London on the principle of the Carnavalet Museum in Paris. […] Many have regretted
that we have nothing to show in London at all comparable to it. » Cité in ibid., p. 41.
91
Le musée de ville
Comme de coutume à l’époque, les objets de collection que les trustees du musée
tentent d’acquérir sont variés : archéologie, art, arts décoratifs, costumes, artisa-
nat… Toutes les pièces d’intérêt historique ou local qui ne trouveraient leur place
ni au British Museum ni au Victoria and Albert Museum sont recherchées. Dès l’an-
nonce publique de la formation du musée, de nombreux dons affluent, tandis que
des acquisitions sont réalisées, soutenues d’abord par la cassette royale, puis rapi-
dement par des budgets gouvernementaux. Le musée est donc riche d’environ
18 000 pièces lors de son inauguration, et connaît immédiatement un véritable
succès populaire : 13 000 curieux s’y pressent le premier jour et ensuite environ
50 000 visiteurs par mois 319.
Le parcours emprunté par le visiteur lui fait traverser les anciens cabinets privés,
chambres et galeries du palais de Kensington dans lesquels ont été installées de
lourdes vitrines en bois et verre spécialement conçues pour l’occasion. Dans la pre-
mière salle, la Queen Mary’s Gallery, sont exposés des objets de la vie quotidienne
depuis la préhistoire jusqu’au xviie siècle (couteaux, ustensiles de cuisine, épées,
chaussures…). Les vitrines sont particulièrement chargées, chacune de plus d’une
centaine d’objets, et toutes accompagnées de cartels. Dans un souci didactique, le
conservateur du musée a fait réaliser par un artiste huit grands dessins à la craie
92
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
La ville de Londres se penche sur son passé, dans Punch, 27 mars 1912.
Illustration extraite de Mortimer Wheeler, Twenty-five years of the London Museum, 1937, pl. 2.
soit objets personnels à caractère privé – les poupées d’enfance de la reine Victoria,
la boîte à cigares et une paire de gants ayant appartenu à Edward VII ou le para-
pluie bleu de George V – soit costumes officiels et de cérémonie – habits de cou-
ronnement des souverains et nombreuses robes portées lors d’occasions spéciales.
Des pièces plus imposantes sont également exposées dans une annexe du bâti-
ment, comme les vestiges pesant vingt tonnes d’un bateau de la période romaine,
découvert l’année précédant la création du musée au cours de travaux d’excava-
tion près du pont de Westminster, et ceux d’une pirogue prétendument préhis-
torique – datant en réalité du Moyen Âge – agrémentée par souci de réalisme
d’un mannequin en cire grandeur nature, barbu, chevelu et habillé d’une peau
de bête 320. Inspirées du succès des Chambers of Horrors d’institutions à la mode,
comme Madame Tussauds (depuis 1835) ou le musée Grévin (depuis 1882), deux
cellules en bois d’une ancienne prison du xviiie siècle, dont les murs sont gravés
de la signature de certains détenus, ont aussi été reconstituées. Pour ajouter au
réalisme de la scène, on y voit, couché sur un lit de paille à côté d’un rat natura-
lisé et d’instruments de torture, le mannequin d’un célèbre repris de justice, Jack
Sheppard, connu pour s’être évadé quatre fois avant de finir pendu.
Certaines critiques émises au moment de l’ouverture du musée concernent le carac-
tère par trop hétérogène des collections rassemblées, et pour la plupart desquelles
la connexion spécifique avec la ville de Londres est difficile à établir. L’arrangement
thématique ou typologique, plutôt que strictement chronologique, des pièces au
sein des salles d’exposition est également regretté par quelques-uns. Ces critiques
sont en réalité parfaitement généralisables à l’ensemble des musées d’histoire de
ville de cette époque, et nous souhaitons plutôt mettre en exergue l’effort de péda-
gogie, encore rare à cette période, dont fait preuve le musée londonien.
Tout au long de son histoire, le London Museum a considérablement développé
ses collections dans toutes les directions possibles, et a notamment acquis ou
reçu de nombreuses maquettes – la plus célèbre étant celle du Grand incendie de
Londres de 1666, animée par des lampes électriques simulant le mouvement des
flammes –, des véhicules, des horloges, du mobilier, des objets relatifs à des per-
sonnages historiques comme le masque funéraire d’Oliver Cromwell ou le crâne
de Richard Bandon, le bourreau en 1649 du roi Charles Ier.
Selon la volonté du roi, Kensington Palace n’est dès le départ qu’un abri provisoire
pour le musée. Un autre lieu est dès lors rapidement trouvé et dès 1913, les col-
lections sont déménagées à Lancaster House, un hôtel aristocratique du xixe siècle
loué à cette fin par le gouvernement. Jusqu’au second conflit mondial, les collec-
tions y seront déployées avec beaucoup plus d’espace qu’auparavant, tandis que le
grand nombre de pièces du bâtiment permet désormais d’amorcer une présenta-
tion de l’histoire de Londres par ordre chronologique, avec des salles dédiées à des
périodes spécifiques : Roman room, Saxon room, Tudor room… Après la guerre, le
London Museum doit pourtant quitter Lancaster House, entre-temps passé sous la
gestion du Foreign Office qui souhaite l’affecter à d’autres usages. Ironie de l’histoire,
94
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
La période 1920-1970
Durant la période qui court des années 1920 à environ 1970, la figure qui domine le
paysage muséal demeure, comme précédemment et depuis le milieu du xixe siècle,
le modèle classique du musée. Le fonctionnement de l’institution se fonde majo-
ritairement sur les collections, dans un mode d’exposition de type « situation de
rencontre » entre l’objet et le visiteur. La mise en exposition ne vise pas nécessai-
rement un impact social – « redonner à un groupe le sentiment de son existence et
de son identité 321 » – ni à communiquer de manière didactique un message ou un
discours, dans la mesure où, pour le domaine de l’exposition de la ville, muséologie
d’idée et de point de vue sont des concepts inconnus ou largement inexploités 322.
En d’autres termes, il n’est pas encore question ici d’un déplacement de l’intérêt
du musée centré sur l’objet vers un intérêt centré sur la communauté des citoyens,
correspondant à l’émergence d’une nouvelle muséologie 323.
La plupart des musées créés au cours de la période 1920-1970 présentent donc
des conceptions qui les rapprochent de ceux de la précédente. Bien qu’ils pro-
fitent des évolutions de la technique muséographique inhérentes au temps qui
passe 324, ils s’inscrivent toujours – chacun avec sa propre personnalité, fruit du
contexte spécifique dans lequel il apparaît – dans la lignée du musée d’histoire de
ville de type classique, déjà longuement décrit dans ce chapitre. En conséquence,
nous proposons plutôt de souligner trois situations nouvelles qui prennent place
à cette époque, signes malgré tout d’un cheminement des idées et des méthodes :
tout d’abord la conquête du continent américain par le musée d’histoire de ville
depuis les années 1920, ensuite la diversification des approches liées à l’interpré-
tation du fait urbain, à la fois dans et en dehors de l’institution, et enfin le phé-
nomène de la manipulation du musée à des fins idéologiques et de propagande à
partir de l’Entre-deux-guerres.
De nouveaux horizons
Nous avons vu qu’au début du xxe siècle, de très nombreuses historical societies
sont depuis longtemps disséminées à travers les États-Unis et le Canada. Bien
que la plupart d’entre elles incluent la gestion d’un musée local parmi leurs attri-
butions, leur champ d’action n’est pas spécifiquement tourné vers la ville en tant
321 Davallon Jean, L’exposition à l’œuvre. Stratégies de communication et médiation symbolique, Paris,
L’Harmattan, 1999, p. 159.
322 Ibid., p. 158-160 et p. 245-253.
323 Van Mensch Peter, « Musées en mouvement. Point de vue dynamique et provocateur sur l’inter-rela-
tion muséologie-musées », in Icofom Studies, no 12, 1987, p. 25-28.
324 « Le développement de la technique », in Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit, p. 69-75.
96
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
que telle, mais généralement vers un champ plus large : l’histoire de l’État ou de la
nation. La création en 1923 du Museum of the City of New York constitue dès lors
un jalon d’importance dans l’histoire de notre type muséal. Elle marque en effet
la première traversée de l’océan Atlantique par le modèle du musée d’histoire de
ville tel qu’il a été initié en Europe. Comme l’écrit John Van Pelt en 1931, dans
son discours déjà cité en introduction de l’ouvrage :
« Je crois que le Museum of the City of New York est la première tentative, à une telle
échelle en Amérique, de créer un musée exclusivement consacré à la vie d’une ville 325. »
À partir de ce moment, le continent américain constituera un terreau fertile pour
les développements futurs de la catégorie muséale.
Dès ses origines, la muséologie nord-américaine a revêtu des formes spécifiques
et originales, comparées à celles des musées européens contemporains 326. S’il
n’entre pas dans le cadre de ce livre d’insister longuement sur ces spécificités, nous
proposons néanmoins d’en évoquer succinctement certains des principaux traits
caractéristiques.
De manière générale, les musées américains ont choisi de ne pas centrer leur dis-
cours sur la collection, probablement en raison d’un manque initial de « matière
première », dont leurs confrères européens disposent eux en abondance. Celle-ci
est plutôt envisagée comme un outil à mettre au service du visiteur. La vision amé-
ricaine du musée est celle d’une institution véritablement démocratique, au sens
étymologique du terme, d’où un souci constant envers l’éducation populaire et
une insistance répétée sur la mission avant tout pédagogique du musée. « À part
quelques exceptions, les musées américains ont d’abord été créés dans le but d’at-
tirer le public 327 », indique en 1977 Nathaniel Burt, auteur d’une histoire sociale
des musées d’art. Cette assertion sonne comme une évidence, et pourtant l’exemple
du musée Carnavalet, parmi d’autres, nous a montré que cet aspect est loin d’avoir
toujours été envisagé comme une priorité sur le Vieux Continent.
La gestion proprement dite du musée diffère également par l’introduction du
système des trustees, inconnu en Europe, à l’exception de l’Angleterre. Ces admi-
nistrateurs, issus la plupart du temps des couches aisées de la société, s’occupent,
bénévolement et à titre privé, de l’organisation du musée, tâche dont ils portent la
responsabilité légale. Le statut, « public » ou « privé », des musées américains se dis-
tingue lui aussi, dans la mesure où même les institutions fondées par la puissance
publique ne sont pas entièrement financées par celle-ci. Ce non-engagement éta-
tique est compensé par une culture systématique du mécénat et de la philanthropie.
Les musées sont donc le plus souvent établis à partir de dons, déductibles d’impôts,
faits par de riches collectionneurs, tandis que les collectes de fonds constituent une
part prépondérante du travail des professionnels américains des musées. Tous les
325 « I believe that the Museum of the City of New York is the first attempt, on such a scale in America, to create
a museum devoted solely to the life of a city. » Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News,
op. cit., p. 8.
326 Coleman Laurence V., « Les musées européens dans l’opinion américaine », in Mouseion, vol. 17-18,
no 1-2, Paris, 1932, p. 76-81. La muséologie selon Georges Henri Rivière, op. cit., p. 52-60. Mairesse, Le musée,
temple spectaculaire, op. cit., p. 53-59. Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 92-93 et 144-146. Selbach,
« Esquisse d’une histoire des musées américains… », in Revue LISA/LISA e-journal, op. cit. [en ligne].
327 Burt Nathaniel, Palaces for the people, Boston, 1977, cité in Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 92.
97
Le musée de ville
328 « A good date for the beginning of the story of the Museum of the City of New York might be 1880, the year
the musée Carnavalet was established. For it was this museum of the history of Paris which acted as a stimulus to a
small group of men to organize in 1923 a museum for New York’s history. No major American city had a museum
of its history by that date. » Baragwanath Albert, More than a mirror to the past, The first fifty years of the
Museum of the City of New York, New York, Museum of the City of New York, 1973, p. 5.
329 Entretien avec Sarah Henry, Deputy Director et Curator in Chief du Museum of the City of New York
(25 juin 2010). Les deux articles suivants évoquent la création et l’histoire du musée : « Inventing and dis-
playing the past at the Museum of the City of New York », in Page Max, The creative destruction of Manhattan
1900-1940, Chicago, The University of Chicago Press, coll. « Historical studies of urban American », 1999,
p. 145-175. Wallace Michael, « Razor ribbons, history museums and civic salvation », in Kavanagh et
Frostick, Making city histories…, op. cit., p. 19-39.
330 « […] to teach the inhabitants of the city just what New York really is and its importance in relation to the
Union. » New York Times, 2 décembre 1920, cité in Page, The creative destruction of Manhattan, op. cit.,
p. 151-152.
331 Il s’agit actuellement de la résidence officielle du maire de New York.
98
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
Ce projet n’aboutit pas et la Society of Patriotic New Yorkers est rapidement dis-
soute. Cependant, l’idée de faire de Gracie Mansion le siège d’un musée relatif à
la culture et l’histoire de New York a suscité un réel intérêt auprès d’un groupe de
riches citoyens qui, en décembre 1923, y fondent officiellement le Museum of the
City of New York, en partenariat avec la ville. Dès sa création, le musée est intégré
au Cultural Institutions Group (CIG), qui rassemble aujourd’hui 34 institutions
culturelles ou scientifiques new-yorkaises, parmi lesquelles se comptent l’American
Museum of Natural History (depuis 1869), le Metropolitan Museum of Art (1878),
le Bronx Zoo (1895) ou Carnegie Hall (1960). Installées dans des édifices et sur
des terrains municipaux – c’est la ville qui pourvoit à leur entretien et leur sécu-
rité –, toutes ces institutions sont néanmoins privées. Elles disposent donc d’une
totale autonomie en matière de programmes ou de collections, en contrepartie de
laquelle elles doivent en bonne partie s’autofinancer.
À partir de 1924, Gracie Mansion est restaurée par le Parks Department, service en
charge de l’entretien des espaces verts de la ville, et quelques collections (mobilier,
estampes…) offertes par les fondateurs y sont exposées, de manière quelque peu
chaotique. Le succès n’est pas au rendez-vous, et le besoin se fait vite sentir de dépla-
cer le musée dans un environnement plus adéquat et plus spacieux, permettant une
approche plus professionnelle et le développement de nouvelles techniques cura-
toriales. Un terrain longeant Central Park est alors mis à la disposition du musée
par la Ville sur la Cinquième Avenue, bordant au sud le privilégié Upper East Side
et au nord un quartier beaucoup plus populaire et cosmopolite, East Harlem. La
construction du nouveau musée, de style néo-géorgien, à la mode en ce temps de
revival colonial, nécessite une levée de fonds de deux millions de dollars, somme
dont le milliardaire John D. Rockefeller Jr. apporte à lui seul le quart, à côté de
1 500 contributeurs volontaires. Les travaux commencent en 1929 et le musée est
inauguré dans ses locaux modernes trois ans plus tard.
C’est précisément dans le contexte de ce déplacement des collections que John Van
Pelt, l’un des trustees du musée, prend la parole en 1931 auprès de l’Association
américaine des musées, dessinant à cette occasion une figure radicalement novatrice
d’institution, en décalage complet avec les classiques musées d’histoire de ville ren-
contrés jusqu’alors en Europe 332. Bien que ce document particulièrement intéres-
sant ait déjà été évoqué, il nous semble utile d’en détailler encore quelques extraits.
La citation reproduite dans l’introduction pose la question de la catégorisation.
John Van Pelt estime en effet que la classification « musée d’histoire » n’est pas per-
tinente pour le Museum of the City of New York, dans la mesure où, à leur manière,
« tous les musées sont des musées d’histoire, si nous acceptons la définition qui fait
s’appliquer l’histoire au futur, aussi bien qu’au présent et au passé 333 ». L’évolution
physiologique de l’oiseau au musée d’histoire naturelle, les progrès de l’agriculture
dans le musée industriel ou la succession des styles et des écoles au sein du musée
d’art témoignent eux aussi d’un regard sur le passé, au même titre que le dévelop-
pement dans le temps d’une ville.
332 Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News, op. cit., p. 8.
333 « All museums are museums of history, if we accept the definition which makes history apply to the future, as
well as the present and the past. » Ibid.
99
Le musée de ville
Le Museum of the City of New York, établi depuis 1932 face à Central Park.
Selon Van Pelt, l’appellation traditionnelle de musée d’histoire de ville est donc
dénuée de sens, tant l’ambition du Museum of the City of New York va au-delà de la
simple représentation du passé de la métropole. Cette réflexion sur la valeur socio-
logique du musée renvoie dès lors aux démarches atypiques d’un Patrick Geddes
à Édimbourg, quelque quarante ans plus tôt.
Plus proches de lui dans le temps et dans l’espace, les réflexions pionnières déve-
loppées par l’américain John Cotton Dana, fondateur de la Newark Museum
Association, sur le rôle social du musée au cours des années 1920 sont une source
d’inspiration évidente pour les conceptions muséales de John Van Pelt 334. Les
deux considèrent que la mission première du musée est de rendre la vie meilleure.
« S’il ne fait rien pour améliorer la vie de la ville et de ses habitants, le musée perd sa prin-
cipale opportunité et manque à son premier devoir 335. »
De fait, l’auteur du document exprime une volonté puissante de faire de l’institu-
tion new-yorkaise un réel outil communautaire d’éducation populaire. S’il est sans
doute utile que le musée expose à ses visiteurs les épisodes du passé – « comment les
100
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
Indiens ont été éjectés d’une île précieuse pour un vil prix, comment les Hollandais
sont arrivés… 336 » –, c’est bien la ville contemporaine et les problèmes de la vie
quotidienne auxquels chacun fait face qui doivent en être le sujet principal :
« Il est beaucoup plus essentiel d’enseigner aux enfants d’aujourd’hui les solutions aux
districts municipaux congestionnés, ce que coûte un trajet en métro lorsque la ville
contrôle les transports en commun, quels avantages pour les citoyens représentent de
beaux alignements de bâtiments dans les rues […] 337. »
Le projet muséal ainsi présenté repose fondamentalement sur la mise en pers-
pective du temps présent. Il s’aventure même sur le terrain, incertain, de l’avenir :
« Il y a des problèmes futurs qui devraient être envisagés dans toutes les villes et qui
pourraient être prévus par le musée 338. »
L’exemple que donne John Van Pelt est celui de l’aviation. Le trafic aérien est alors
en pleine croissance et son expansion dans le futur est prévisible. Le musée aurait
donc un rôle à jouer dans la planification urbaine, notamment en ce qui concerne
la réflexion sur la création éventuelle de nouveaux aéroports dans la ville. L’auteur
n’explique cependant pas sous quelle forme le musée peut atteindre cet objectif.
Une autre idée développée par Van Pelt consiste à faire sortir le musée de ses
murs, pour aller à la rencontre des citoyens et leur faire concrètement comprendre
comment fonctionne la ville et quels services elle peut leur offrir. Il imagine alors
que les classes d’écoliers soient emmenées par des guides à la découverte des docks,
des marchés, de l’hôtel de ville et même des tribunaux, puisque « New York en
tant que telle est quand même notre objet de musée principal 339 ». Par ailleurs, le
musée lui-même se doit d’établir des antennes thématiques dans la ville, pour faire
voir à toutes les catégories de visiteurs, riches comme pauvres, « de l’autre côté de
la clôture 340 ». Pour ce faire, Van Pelt envisage de faire voir aux « moins fortunés »
une maison bourgeoise représentative des conditions de vie des classes aisées et
cultivées, et aux « prospères » un appartement sordide dans un quartier de taudis.
La lecture du texte The museum as a guide to the life of a city nous fait prendre
conscience à quel point la distance entre le Museum of the City of New York et
l’immense majorité des musées d’histoire de ville européens à la même époque
n’est pas tant géographique que conceptuelle. Rappelons qu’en 1929, soit deux
ans à peine avant la rédaction du discours de Van Pelt, le conservateur-adjoint du
musée Carnavalet insiste sur le nécessaire recul d’au moins cinquante ans entre
la tenue d’un événement et son traitement par le musée 341 ! Le musée projeté à
New York est dépouillé du statut unidisciplinaire d’institution purement historique
pour intégrer de nouvelles dimensions liées au présent, voire au futur (sociologie,
336 « […] how the Indians were done out of a valuable island for a song, how the Dutch came […]. » Ibid.
337 « It is far more vital to teach the children of today the remedies for congested municipal districts, what a subway
ride costs when the city takes over the subways, what advantage accrue to the city dweller when the buildings that
line the streets are beautiful […]. » Ibid.
338 « There are future problems that should be provided for in any city and that may be forecast by the museum. » Ibid.
339 « […] nevertheless, New York itself is our chief exhibit. » Ibid.
340 « […] how the other half lives. » Ibid.
341 Dorbec, L’histoire de Paris…, op. cit., p. 90.
101
Le musée de ville
342 « As I see our problem […], I have no doubt that we shall have […], I believe that […], I feel sure you will sym-
pathize with my view that […]. » Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News, op. cit., p. 8.
343 Page, The creative destruction of Manhattan, op. cit., p. 164.
344 Montpetit Raymond, « Une logique d’exposition populaire : les images de la muséographie analo-
gique », in Publics et Musées, no 9, 1996, p. 55-103, p. 63-67.
345 Burns Ned, « The value of miniature and life size historical groups », in The Museum News, vol. 10,
no 13, Washington, The American Association of Museums, 1933, p. 7-8.
102
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
Museum of the City of New York : period-room évoquant un riche intérieur des années 1820-1830.
103
Le musée de ville
104
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
table, les voyageurs à New York, la mode, les lithographies historiques du célèbre
atelier de gravure américain Currier and Ives, les parcs d’attractions de Coney
Island… La plus fameuse de ces expositions, New York Street Scenes, 1852, a lieu
en 1952. Témoignage du goût largement partagé à l’époque pour les reconstitu-
tions en taille réelle des modes de vie d’autrefois – qui constitue d’ailleurs le sujet
du prochain sous-chapitre –, elle se distingue toutefois par l’introduction dans sa
scénographie de la multisensorialité 353, « une technologie radicalement nouvelle
pour cette époque 354 ». Enregistrés par une troupe de théâtre professionnelle, les
bruits urbains du milieu du xixe siècle et les différents cris de la rue d’alors ponc-
tuent le parcours, chargé d’une forte dimension immersive, encore renforcée par
les odeurs typiques de l’industrie ou du commerce qui accueillent le visiteur à l’en-
trée de chacun des décors de boutiques construits à l’intérieur du musée : l’étoupe
chez le marchand d’articles maritimes, l’hamamélis – un arbuste employé en phar-
macie – chez le barbier…
Par sa fonction d’animation, le musée new-yorkais fait montre dès le début des
années 1930 de traits de caractère bien en avance sur les institutions de son temps.
Cependant, force est de constater que ses autres domaines d’activité – la présen-
tation de l’exposition permanente, la nature des collections rassemblées – l’assi-
milent largement au modèle classique maintes fois évoqué.
Les travaux de l’historien américain Max Page sur l’urbanisme à Manhattan
durant la première moitié du xxe siècle démontrent qu’au cours de son histoire
et jusqu’au temps présent, le musée a toujours oscillé entre deux objectifs diver-
gents : d’une part l’ambition de tenir un vrai discours sur la ville, assorti d’un
usage moderne des techniques muséographiques et de la concentration sur son
rôle éducatif, et d’autre part le maintien d’un rôle traditionnel de grenier de la
ville – « the city “attic” 355 ». En raison de ses moyens limités d’acquisition et sous la
pression d’une concurrence bien réelle entre les institutions muséales sur ce point,
le Museum of the City of New York a, dès le départ, accepté pratiquement tous les
dons qui lui étaient proposés, même les plus anecdotiques ou hors-sujet, et s’est
vu contraint de les exposer. Avec l’évolution de la sociologie de Manhattan et les
conséquences du contexte économique difficile durant les années 1920 et 1930,
les familles les plus fortunées quittent progressivement leurs grandes maisons du
cœur de l’île pour s’installer dans les banlieues ou des appartements plus modestes.
Le musée arrive alors à point nommé pour recueillir leurs collections devenues
la plupart du temps encombrantes, et il va de soi que les donateurs ne compren-
draient pas pourquoi tel portrait de l’ancêtre, telle robe de bal ayant appartenu à
la grand-mère ou le mobilier complet de tel salon de musique ne mérite pas une
place au sein de « leur » musée, qu’ils financent par ailleurs régulièrement lors des
galas de charité. Les conséquences de cette politique ambivalente sont exprimées
au début des années 1970 par Albert Baragwanath qui constate, au sujet des col-
lections conservées, de très nombreux doublons, de grandes disparités en termes
de qualité, et surtout l’absence quasi-totale de la ville d’aujourd’hui :
353 Amormino Vanessa, « Expériences sensorielles », in Gob, Musées : on rénove !, op. cit., p. 122-125.
354 « […] another radical technique for that time » Baragwanath, More than a mirror to the past, op. cit., p. 13.
355 Page, The creative destruction of Manhattan, op. cit., p. 168.
105
Le musée de ville
« Le musée n’a jamais développé de politique de collecte du présent ou du passé récent 356 ! »
À l’instar de très nombreuses institutions autour du monde, c’est à partir des
années 1970 qu’une volonté de changement radical dans les buts et les méthodes
se fera jour, remettant alors en lumière la vision originale de John Van Pelt, quelque
peu assoupie par le poids conjugué du temps et de la tradition.
Par sa position prééminente sur le nouveau continent, le Museum of the City of
New York constitue bel et bien un jalon essentiel dans l’histoire de notre catégorie
muséale. Sa fondation en 1923 et son installation au début des années 1930 dans
son bâtiment définitif ont ouvert la voie à la création rapide d’institutions du même
type à travers les États-Unis au cours de la période qui nous occupe : le Detroit
Historical Museum 357 en 1928, le Municipal Museum of the City of Baltimore 358
en 1931, l’Atwater Kent Museum 359, musée d’Histoire de Philadelphie, en 1938
ou encore le Kansas City Museum 360 en 1940. Les historical societies ne sont désor-
mais plus seules dépositaires des missions de conservation et d’exposition de l’his-
toire locale américaine.
356 « The museum had never had a policy of collecting present or recent past ! » Baragwanath, More than a
mirror to the past, op. cit., p. 19.
357 Brown Henry, « History museum gives sense of belonging », in The Museum News, vol. 39, no 8, 1961,
p. 24-27.
358 « Baltimore Museum Show tells story of city », in The Museum News, vol. 17, no 9, 1939, p. 2.
359 Frisch Michael, « The presentation of urban history in big-city museums », in Leon Warren et
Rosenzweig Roy (ed.), History museums in the United States, a critical assessment, Urbana et Chicago,
University of Illinois Press, 1989, p. 38-63, p. 46.
360 « Kansas City Museum to open in the spring », in The Museum News, vol. 17, no 15, 1940, p. 1.
361 Desvallées, Schärer et Drouguet, « Exposition », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…,
op. cit., p. 133-173, p. 134.
106
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
L’idée d’assimiler un lieu – une cité, une région tout entière – à un musée n’est
pas neuve. Dès 1796, Antoine Quatremère de Quincy écrit, à propos de l’Italie et
plus particulièrement de Rome :
« C’est encore avec plus de vérité qu’on pourrait dire que le pays lui-même fait partie
du muséum de Rome. Que dis-je, en faire partie ? Le pays est lui-même le muséum 362. »
Quatremère se montre ici un farouche défenseur du maintien à Rome du patri-
moine artistique italien, saisi par les Français au cours de la Campagne d’Italie et
transféré provisoirement au musée du Louvre – notamment l’Apollon du Belvédère
et le Laocoon. Cette phrase est en réalité une condamnation sévère par l’auteur de
l’idée même de musée, qui entraîne une rupture, d’après lui malvenue, entre les
œuvres et leur environnement 363. Le point de vue défendu est donc celui du statu
quo, de la mise sous cloche de la ville de Rome. En d’autres termes, Quatremère
se fait à la fin du Siècle des Lumières le chantre d’une ville muséifiée, « le néolo-
gisme [muséification] traduisant l’idée péjorative de la pétrification (ou de momi-
fication) d’un lieu vivant 364 ».
À l’inverse, le phénomène de muséalisation de la ville, « transformation en une sorte
de musée d’un foyer de vie 365 », dont nous faisons part ci-dessous, s’inscrit résolu-
ment dans une optique positive. À cet égard, l’un des projets pionniers et proba-
blement le plus abouti de ville entièrement muséalisée est Colonial Williamsburg,
site de plus de 120 hectares dans l’État de Virginie, ouvert au public depuis 1934.
Le président Roosevelt déclarera à cette occasion son plaisir d’inaugurer « la plus
historique des avenues en Amérique 366 ».
L’aventure de ce projet patrimonial hors du commun remonte au début du xxe siècle.
À ce moment, Williamsburg est depuis longtemps devenu une paisible bour-
gade provinciale, « village calme et endormi 367 », à cent lieues de l’activité bour-
donnante qui a caractérisé la ville un siècle et demi plus tôt. Entre 1699 et 1780,
Williamsburg a en effet joué un rôle majeur dans la vie politique, sociale et cultu-
relle de sa région, en tant que capitale de la colonie de Virginie, siège des institu-
tions britanniques. Après la guerre d’indépendance, la capitale du nouvel État est
transférée à Richmond, et Williamsburg entre dans une longue phase de déclin
progressif : les édifices anciens, témoins de la période la plus glorieuse de l’his-
toire de la ville, disparaissent les uns après les autres. Dans les années 1920, un
pasteur local, le révérend William Goodwin, passionné d’histoire, souhaite ardem-
ment sortir Williamsburg de sa torpeur et faire profiter la ville de la croissance du
362 Quatremère de Quincy Antoine, Lettres à Miranda sur le déplacement des monuments de l’art de l’Ita-
lie, introduction et notes par Pommier Edouard, Paris, Macula, 1989, p. 115.
363 Gob, Des musées au-dessus de tout soupçon, op. cit., p. 113-120. Sur ce sujet, voir également McClellan
Andrew, « For and against the universal museum in the age of Napoleon », in Bergvelt et al., Napoleon’s
legacy, op. cit., p. 91-100.
364 Mairesse, « Muséalisation », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 251-269, p. 251.
365 Ibid.
366 « […] the most historic avenue in America. » Discours d’inauguration de la Duke of Gloucester Street par
Franklin Roosevelt, 1934. Cité in Yetter George Humphrey, Williamsburg before and after : The rebirth of
Virginia’s colonial capital, Williamsburg, The Colonial Williamsburg Foundation, 1988, p. 71.
367 « […] a quiet and sleepy village. » Extrait d’une chronique parue en 1861 dans le Southern Litterary
Messenger. Cité in ibid., p. 38.
107
Le musée de ville
368 Selbach, « Esquisse d’une histoire des musées américains… », in Revue LISA, op. cit., § 54.
369 « It is my desire and purpose to carry out this enterprise completely and entirely. The purpose of this undertaking
is to restore Williamsburg, so far at it may be possible, to what it was in the old colonial days and to make it a great
center for historical study and inspiration. » Courrier de John D. Rockefeller en 1927. Cité in Theobald Mary,
Colonial Williamsburg, the first 75 years, Williamsburg, The Colonial Williamsburg Foundation, 2001, p. 9.
370 « Williamsburg’s colonial Capitol dedicated », in The Museum News, vol. 11, no 18, 1934, p. 1.
371 Walsh Kevin, The representation of the past. Museums and heritage in the post-modern world, Londres,
Routledge, 1992, p. 95-97 et 103.
372 Raymond Montpetit montre que le même type de distinction existe au sujet des period-rooms dans
les musées, qui peuvent se révéler esthétiques, historiques ou sociologiques, en fonction de leur objectif.
Montpetit, « Une logique d’exposition populaire… », in Publics et Musées, op. cit., p. 55-103, p. 75-76.
373 Alderson William et Payne Low Shirley, Interpretation of historic sites, Nashville, American asso-
ciation for State and local history, 1976, p. 11-13.
108
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
reconstruits sur ses fondations d’origine est la Raleigh Tavern, qui constitue un site
documentaire par excellence. C’est en ce lieu qu’en 1774 se sont réunis les repré-
sentants de la Chambre des Bourgeois de Virginie – la plus ancienne assemblée
législative des colonies, à laquelle appartenait notamment Thomas Jefferson –
après la dissolution de leur groupe par le gouverneur, dans le but d’organiser la
résistance au pouvoir britannique. Le rôle joué par cette taverne dans le « scéna-
rio » de Colonial Williamsburg est donc de rappeler l’épisode majeur menant à la
Révolution américaine qui s’est déroulé entre ses murs. Par contre, de l’autre côté
de la rue se trouvent des boutiques – le fabricant de perruques, le bijoutier, d’autres
tavernes… – qui répondent quant à elles à une autre mission, celle de montrer à
quoi servent et comment fonctionnent de tels d’établissements, typiques de toute
ville de la seconde moitié du xviiie siècle.
À la différence des musées de plein air fondés depuis la fin du xixe siècle – le
premier du genre est le Skansen Museet (1891), par Artur Hazelius à Stockholm –,
Williamsburg n’est pas conçu comme le rassemblement de bâtiments transplan-
tés donnant à voir la variété des styles architecturaux et des modes de vie de leurs
occupants, en fonction de leur époque et de leur provenance géographique. Colonial
Williamsburg est la restitution fidèle et documentée d’une ville réelle dans un état
historique antérieur. L’expérience que propose le musée est donc un voyage dans le
temps jusqu’à la genèse des États-Unis, à la rencontre des acteurs qui ont contribué
à leur indépendance. Loin de n’être qu’une enveloppe architecturale vide, Colonial
109
Le musée de ville
374 Sur la genèse du terme interprétation, voir notamment l’article suivant : Jacobi Daniel et Meunier
Anik, « Les centres d’interprétation : qualités et limites de la reconnaissance sensible du patrimoine », in
Chaumier et Jacobi, Exposer des idées…, op. cit., p. 19-42.
375 « To me, it is elementary that participation must be physical. […] It must also be something that the parti-
cipant himself would regard as novel, special and important. […] The carriage rides at Williamsburg, as I see it,
come gracefully within the meaning of our term ». Tilden Freeman, Interpreting our heritage, Chapel Hill, The
University of North Carolina Press, 1977 [3e éd.], p. 73-74.
376 « I like the word animation to describe the thing, because to animate is to give life, to vivify. […] I believe
that many of the beautifully planned and executed devices at Colonial Williamsburg, aimed at bringing past into
present for visitors, can properly be described as animation. » Ibid., p. 76-77.
377 « […] A place of brilliant achievement in interpretation for children. » Ibid., p. 47.
378 Montpetit, « Une logique d’exposition populaire… », in Publics et Musées, op. cit., p. 55-103, p. 58.
379 Ibid., p. 77.
110
À Colonial Williamsburg, les animateurs en costumes prennent la pose pour les touristes.
Le musée de ville
380 Mosse George, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris,
Hachette Littératures, coll. « Histoire », 1999. Burrin Philippe, Fascisme, nazisme, autoritarisme, Paris,
Le Seuil, 2000. Rémond René, Introduction à l’histoire de notre temps, t. 3 : Le xxe siècle, de 1914 à nos jours,
Paris, Le Seuil, 1989. Les historiens du musée ont aussi abordé cette période dans leurs travaux : « Le musée
totalitaire », in Mairesse, Le musée, temple spectaculaire op. cit., p. 63-69. « Le poids des totalitarismes », in
Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 141-144.
381 Mairesse, « Musée », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 271-320, p. 285.
Voir également Almeida d’ Fabrice, Une histoire mondiale de la propagande, de 1900 à nos jours, Paris, La
Martinière, 2013, p. 86-89.
382 « Le musée historique de Strasbourg : du musée militaire au musée d’histoire », in Schnitzler
Bernadette, Histoire des musées de Strasbourg, des collections entre France et Allemagne, Strasbourg, musées de
la Ville de Strasbourg, 2009, p. 183-203. Klein Jean-Pierre, « Le musée historique », in « Les musées de
Strasbourg », Connaissance des arts, hors-série, no 87, 1996, p. 64-65.
383 Schnitzler, Histoire des musées de Strasbourg, op. cit., p. 185.
112
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
de la ville jusque 1870. Le Musée historique ouvre ses portes quelques mois plus
tard, avec un programme chronologique identique. En guise de réponse du berger
à la bergère, la dernière période de souveraineté allemande sur les lieux est tout
simplement ignorée. La vocation de l’institution est limpide : il lui incombe de
rappeler le caractère principalement français de Strasbourg, et le rôle de l’Alsace
dans l’histoire militaire de la nation 384. Le musée est donc avant tout « une œuvre
patriotique et éducatrice de premier ordre 385 », selon les termes du conservateur
des musées municipaux en 1922. Pendant des décennies, les xviiie et xixe siècles
jusqu’au Second Empire, périodes françaises de l’histoire de la ville, seront inva-
riablement privilégiés dans le discours et la politique de collecte du musée – sa
pièce la plus prestigieuse est un grand plan-relief de Strasbourg et sa campagne,
datant de 1727 et emmené à Berlin en 1815 comme butin, après la bataille de
Waterloo –, au détriment de son passé germanique. L’orientation dite « patrio-
tique » du musée, qui l’amènera à être souvent assimilé à une « réplique du musée
de l’Armée à Paris 386 », n’évoluera qu’à partir de la fin des années 1960, vers un
récit élargi sur le plan chronologique et ouvert sur de nouvelles thématiques.
Au cours de l’Entre-deux-guerres se structurent puis triomphent les régimes dicta-
toriaux fasciste et nazi qui, chacun à leur manière, vont mettre l’institution muséale
au service de leur idéologie, dans une optique d’endoctrinement des populations
et d’exaltation des valeurs considérées comme centrales, qu’il s’agisse de l’impéria-
lisme ou de la pureté de la race. Dans le domaine de l’histoire de la ville, deux réa-
lisations exemplaires se manifestent : la création en 1930 du Museo di Roma, et la
transformation au cours de la même décennie du Kölnisches Stadtmuseum, musée
déjà évoqué précédemment, en une Haus der Rheinischen Heimat (maison de la
patrie rhénane), figure modèle du dévoiement par les nazis de l’Heimatmuseum 387.
L’établissement du fascisme en Italie s’appuie sur un mythe, celui de la Terza
Roma, la Troisième Rome, ère contemporaine qui succède à la Rome antique,
portée au pinacle, et à celle des papes, période quant à elle méprisée 388. L’obsession
mussolinienne de la recréation de la grandeur impériale passe notamment par
de gigantesques programmes d’aménagement du territoire de la capitale, syno-
nymes de bouleversements urbanistiques sans précédent. Une nouvelle Rome se
doit d’émerger, inspirée de l’époque la plus glorieuse de son histoire et débarrassée
des vestiges accumulés par des siècles de décadence, c’est-à-dire depuis la chute
de l’Empire. En 1925, Il Duce lui-même précise brutalement ses ambitions pour
Rome en ces termes :
384 Fuchs Monique, « Les collections xxe siècle du musée historique de Strasbourg », in Fonseca Brefe,
Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 30-33, p. 30.
385 Riff Alphonse, Musées de Strasbourg. Compte-rendu 1919-1921, Strasbourg, 1922. Cité in Schnitzler,
Histoire des musées de Strasbourg, op. cit., p. 190.
386 Ibid., p. 201.
387 Gorgus, Le magicien…, op. cit., p. 235.
388 Chiapparo Maria Rosa, « Le mythe de la Terza Roma ou l’immense théâtre de la Rome fasciste », in
Nuovo Rinascimento [en ligne], http://www.nuovorinascimento.org/n-rinasc/saggi/pdf/chiapparo/roma.pdf
(en ligne depuis le 17/05/2004, page consultée le 18/05/2015). Nelis Jan, From ancient to modern : the myth
of romanità during the ventennio fascista. The written imprint of Mussolini’s cult of the “Third Rome”, Bruxelles
et Rome, Institut historique belge de Rome, 2011.
113
Le musée de ville
« Mes idées sont claires, mes ordres sont précis… D’ici cinq ans, Rome doit apparaître
merveilleuse à tous les peuples dans le monde : vaste, ordonnée, puissante comme elle
l’était à l’époque du premier empire d’Auguste. […] Tout ce qui a été édifié au cours des
siècles de décadence doit disparaître. […] Les monuments millénaires de notre histoire
doivent apparaître dans l’isolement nécessaire 389. »
Si le projet répond en partie à des préoccupations hygiénistes et de salubrité publique,
comme à Paris sous le Second Empire, il est avant tout une mise en scène de la
politique de Mussolini sur le plan monumental. Cette volonté d’un retour sym-
bolique à un état antérieur de la ville nécessite dès lors l’éradication de toutes les
couches intermédiaires qui l’ont progressivement dénaturée. De très nombreuses
interventions sur le tissu urbain sont donc menées dans les années 1920 et 1930.
Des quartiers essentiellement populaires sont éventrés, voire entièrement détruits,
afin de dégager l’environnement des monuments antiques, comme autour du théâtre
de Marcellus, proche du Capitole, ou de créer de nouvelles perspectives, telle la
Via della Conciliazione entre le château Saint-Ange et la cité du Vatican. Par ail-
leurs, d’immenses complexes à l’architecture inspirée de l’Antiquité sont construits
en périphérie de la ville, comme le centre sportif du Foro Mussolini et le quartier
de l’EUR. Ce dernier est une vitrine urbanistique du fascisme, imaginée en pré-
vision d’une triomphale Exposition universelle en 1942, qui n’aura jamais lieu.
Enfin, d’énormes sommes sont investies dans des fouilles archéologiques à travers
Rome, dans le but de mettre au jour et valoriser l’héritage impérial dont le régime
se réclame. La modernisation de la ville passe donc par un recours systématique
à la célébration des temps les plus reculés, âge d’or perdu mais vers lequel l’Italie
peut à nouveau tendre, grâce à l’instauration du nouvel ordre fasciste.
Le Museo di Roma est établi en avril 1930 par la Direction des Antiquités et des
Beaux-Arts du Governatorato di Roma, entité administrative en charge de la gestion
de la ville, sous l’autorité directe de Mussolini. Cette institution s’inscrit au cœur
de la politique urbanistique du régime, qui impose à de nombreux Romains de
quitter définitivement leurs foyers du centre-ville, sans possibilité de résistance 390.
C’est en réalité pour cette population fragilisée, dont le cadre de vie traditionnel
est sacrifié sur l’autel de l’intérêt national, qu’est conçu le musée. Ce dernier n’est
en effet pas du tout envisagé comme l’exposition du récit de l’histoire glorieuse
de la cité et de ses héros depuis l’Antiquité – tant de musées bien plus prestigieux
remplissent déjà cet office à Rome –, mais au contraire comme le lieu où sera fixé
le souvenir de tous ces aspects de la ville volontairement voués à la destruction,
sous les coups des pioches. Le Museo di Roma n’est donc ni le musée de la ville
moderne projetée par Mussolini (telle qu’elle sera), ni le musée de l’Urbs vénérée
par le dictateur (telle qu’elle était), mais bien le musée de la Roma sparita, de la
Rome en train de disparaître, celle du Moyen Âge jusqu’au début du xxe siècle.
389 « Le mie idee sono chiare, i miei ordini sono precisi… fra cinque anni Roma deve apparire meravigliosa a
tutte le gentil del mondo : vasta, ordinata, potente come fu ai tempi del primo impero di Augusto. […] Tutto ciò
che vi crebbe attorno nei secoli della decadenza deve scomparire. […] I monumenti millenari della nostra storia
deveno giganteggiare nella necessaria solitudine. » Mussolini Benito, Opera omnia, XXII, 1957, p. 48. Cité
in Insolera Italo et Sette Alessandra Maria, Roma tre le due Guerre, Cronache da une città che cambia,
Rome, Palombi, 2003, p. 19.
390 Arthurs Joshua, « Roma Sparita : local identity and fascist modernity at the Museo di Roma », in
Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 189-200.
114
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
La scène de l’auberge du Museo di Roma, créée en 1930, transférée durant les années 1970
au musée du Folklore romain, devenu depuis le Museo di Roma in Trastevere.
Illustration extraite de Un percorso fotografico a Palazzo Braschi, 2002, p. 79.
Plus encore qu’à Paris, la fondation d’un musée sur la ville répond à une opéra-
tion de légitimation des chantiers en cours. Il s’agit même à Rome de la princi-
pale raison d’être de la nouvelle institution. La méthode de conservation et de
présentation des traces de la ville ancienne diffère entre les deux musées. Si le
musée Carnavalet remonte dans ses salles des décors remarquables sauvés de la
destruction, le Museo di Roma privilégie quant à lui des campagnes photogra-
phiques destinées à montrer l’avancement des travaux et l’acquisition de peintures
représentant les monuments et quartiers voués à la disparition. Lors de l’ouver-
ture de ce dernier, son fondateur définit ainsi le rôle d’un tel musée auprès du
public, qui se doit d’être « une urne pour notre douce nostalgie, un refuge pour nos
âmes rêveuses, l’oasis où nous, Romains, serons capables de recréer notre esprit,
parmi les petites choses bien aimées de la vie d’autrefois 391 ». L’historien amé-
ricain Joshua Arthurs considère dès lors ce musée non pas comme une institu-
tion scientifique ou éducative, mais comme un endroit essentiellement dédié à
l’émotion, prévu pour susciter de la part des Romains une certaine réminiscence
391 « […] an urn for our sweet nostalgia, a refuge of our dreaming souls, the oasis where we Romans will be
able to recreate our spirit, among the beloved small things of the life that once was. » Muñoz Antonio, Il Museo
di Roma, 1930, p. 8. Traduit de l’italien vers l’anglais et cité in Tittoni Maria Elisa (dir.), The Museum of
Rome tells the story of the city. Concise guide, Roma, Gangemi Editore, 2002, p. 7.
115
Le musée de ville
affective au sujet de leur ville, semblable à celle ressentie lorsque l’enfance loin-
taine se rappelle soudain à nos souvenirs 392.
Le musée est installé dans un imposant bâtiment de la fin du xixe siècle au pied
du mont Palatin, ancien siège d’une fabrique de pâtes, la Pastifficio Pantanella. Les
thèmes exposés à partir de 1930 sont ceux de la culture urbaine depuis le xiiie siècle,
avec une emphase sur les coutumes et la couleur locale. Les grands événements
historiques et personnages marquants n’y ont pas leur place, car ce premier Museo
di Roma est pratiquement tout entier consacré à la description pittoresque de la
vie domestique d’autrefois. Par cet aspect, il s’assimile dès lors plutôt aux musées
d’arts et traditions populaires qui lui sont contemporains qu’à un musée d’his-
toire 393. Trois salles présentent d’ailleurs des reconstitutions grandeur nature de
scènes populaires dites « romaines » figurant, à l’aide de mannequins de cire en
situation, l’ambiance des années 1820 chez l’écrivain public, dans une taverne, et
lors de l’exécution du Saltarello, danse typique de la région 394. La plupart des col-
lections du musée sont issues de la section topographique d’une exposition rétros-
pective sur l’art italien tenue en 1911 au château Saint-Ange, dans le cadre de
l’exposition internationale de Rome, à l’occasion du cinquantième anniversaire de
l’unité du pays 395. Bien avant l’avènement du fascisme, cette section constituait
une sorte de préfiguration pour un musée sur l’histoire médiévale et moderne de
Rome. La présence de certains objets est classique pour un musée d’histoire de
ville, voire attendue : plans anciens de la ville, gravures de Piranèse dépeignant
la Rome de l’époque du Grand Tour, paysages romantiques, costumes, photogra-
phies… L’un d’entre eux est par contre beaucoup plus original, puisqu’il s’agit du
train privé du pape Pie IX, composé de trois wagons somptueusement décorés et
comprenant notamment une salle du trône.
En raison de la guerre, le musée est fermé au public en 1939 et ses collections
mises à l’abri. Il ne rouvrira qu’en 1952, dans un nouveau cadre bien plus presti-
gieux, celui du Palazzo Braschi, magnifique hôtel de la fin du xviiie siècle donnant
sur la Piazza Navona, construit par la famille du pape Pie VI. Le changement
de régime politique et de lieu entraîne pour le musée la perte de son orientation
populaire, quasi « ethnographique », au profit d’une approche essentiellement artis-
tique, centrée sur le mode de vie fastueux des grandes familles à la cour papale
durant la période moderne. À partir de ce moment, plus rien ne rappelle alors le
contexte spécifique de la création du musée, qui entame une existence de riche
palais romain peuplé d’œuvres d’art et ouvert aux touristes, comme il s’en trouve
tant d’autres à travers la ville. En 1998, Max Hebditch, directeur du Museum of
London, déplore même que l’institution romaine soit désormais essentiellement
visitée comme un morceau d’architecture remarquable à parcourir le nez en l’air
392 Arthurs, « Roma Sparita… », in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 189-
200, p. 198.
393 Nous pensons notamment au Musée alsacien de Strasbourg et au musée Perrin de Puycousin à Dijon,
adeptes de ce genre de reconstitutions, nostalgiques plutôt que scientifiques. Voir Drouguet, Le musée de
société, op. cit., p. 62-64.
394 Margiotta Anita et Massafra Maria Grazia, Un percorso fotografico a Palazzo Braschi, 1870-1987,
Rome, Gangemi et Museo di Roma, 2002, p. 72-81.
395 Ilie Mihaela et Travaglini Carlo, « Per un museo-laboratorio della città a Roma. Note su una vicenda
incompiuta », », in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 201-224, p. 205.
116
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
pour en admirer les plafonds, plutôt qu’en tant que véritable musée consacré à la
capitale italienne 396.
Du côté de l’Allemagne, la Haus der Rheinischen Heimat, inaugurée en mai 1936
en présence du ministre de la propagande du Reich, Joseph Goebbels, est régu-
lièrement citée dans la littérature muséologique francophone comme l’archétype
de l’institution muséale pervertie par l’idéologie national-socialiste 397. L’intérêt
marqué pour cette institution particulière plutôt qu’une autre s’explique probable-
ment en raison de la fascination exprimée à son égard par Georges Henri Rivière,
pourtant « ni anti-démocrate ni raciste 398 », dans les années 1930. Ayant à l’esprit
l’évolution dramatique des événements dans le pays à cette époque, l’observateur
du xxie siècle est dès lors poussé à s’interroger sur les raisons de cette admiration,
qui apparaît rétrospectivement comme contre-nature. Peu d’auteurs soulignent
cependant que cet Heimatmuseum à la destinée singulière est l’héritier d’un clas-
sique musée d’histoire de ville de la fin du xixe siècle, le Kölnisches Stadtmuseum,
et que sa conception est bien antérieure à l’arrivée au pouvoir du NSDAP.
Le projet d’un musée consacré non plus à la seule ville de Cologne, mais à la
Rhénanie dans son ensemble, remonte à 1925, année de commémoration du
millénaire d’appartenance de cette région à l’Empire germanique. Cette année-
là, une exposition sur la Rhénanie est présentée au public et connaît un immense
succès, avec près d’un million et demi de visiteurs 399. Devant cet engouement,
Konrad Adenauer, qui occupe le poste de maire de Cologne entre 1917 et 1933,
décide alors de transformer le musée communal déjà évoqué, hébergé dans deux
portes du rempart de la ville, en un grand musée à vocation régionale qui intégre-
rait des éléments des deux entités : le « vieux » musée et l’exposition temporaire.
Malgré le contexte économique extrêmement difficile en Allemagne, Adenauer
obtient divers soutiens financiers, publics et privés, pour ce projet. Dans cette
optique, le musée historique ferme ses portes en 1931, et la Haus der Reinischen
Heimat est ouverte cinq ans plus tard, dans l’ancienne caserne des cuirassiers de
Deutz, sur la rive droite du Rhin. Entre-temps, la prise du pouvoir par les nazis
en 1933 a entraîné une accélération du projet muséal, et sa récupération au profit
des conceptions identitaires et raciales du nouveau régime. De plus, l’inaugura-
tion du musée coïncide avec la remilitarisation de la Rhénanie par la Wehrmacht
en 1936. Dominique Poulot estime d’ailleurs que l’un des rôles attribués au musée
est de justifier cette occupation 400. L’originalité de cet Heimatmuseum par rapport
aux musées d’histoire de ville de la même époque, tels que le Museo di Roma ou
le musée Carnavalet, repose dans son approche muséographique moderne et
396 Hebditch Max, « Approaches to portraying the city in European Museums », in Kavanagh et
Frostick, Making city…, op. cit., p. 102-113, p. 105.
397 Gorgus, Le magicien…, op. cit., p. 233-238 et 246-249. Gorgus, in Publics et Musées, op. cit., p. 57-69.
Gob, « De la « race » à la société… », in Vieregg et al., Museology, op. cit., p. 51-59. Drouguet, Le musée de
société, op. cit., p. 67. Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 143.
398 Gorgus, in Publics et Musées, op. cit., p. 57-69, p. 58.
399 Le Musée municipal de Cologne : introduction, guide et table chronologique, plaquette des années 1990
distribuée au musée.
400 Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 143.
117
Le musée de ville
didactique 401. Si Georges Henri Rivière s’intéresse au musée nazi, c’est parce que
celui-ci s’appuie avec méthode sur des démonstrations logiques pour exposer un
point de vue scientifique, sans faire appel aux sens et aux reconstitutions, telle-
ment en vogue partout ailleurs.
Victime de bombardements durant la Seconde Guerre mondiale, la Haus der
Rheinischen Heimat ne se relèvera pas, d’autant plus que, comme l’a énoncé André
Gob, « l’usage politique que le régime nazi a fait [de ce genre de musées] en condamne
la formule en Allemagne après 1945 402 ». Une partie de ses collections est néan-
moins sauvée et c’est à nouveau sous l’appellation de Kölnisches Stadtmuseum que
l’institution renaît en 1958, dans l’arsenal réhabilité, à proximité de la cathédrale
et du cœur historique de la ville.
À l’extrême opposé sur l’échiquier politique, l’institution muséale connaît égale-
ment une évolution particulière dans le monde communiste, depuis la révolution
bolchévique de 1917. Parti de Russie, le mouvement s’étend à partir de la fin de la
Seconde Guerre mondiale à toute l’Europe centrale et orientale, structurée jusqu’à
la fin des années 1980 en un bloc soviétique isolé du reste du monde et soumis à
l’autorité et la dictature du parti unique.
Revendiquée comme non neutre 403, la muséologie marxiste s’appuie sur une phi-
losophie de l’histoire qui lui est propre. Le matérialisme historique fait en effet
de la lutte des classes – le prolétaire ne possédant que les seuls revenus de son
labeur, opposé au capitaliste qui l’asservit en tant que détenteur des moyens de
production – le véritable moteur de l’histoire, appelant dès lors « la souveraineté
du travail et des travailleurs 404 ». Le point de vue marxiste sur le monde apporte
à la discipline historique un centrage inédit sur les faits économiques et les rap-
ports sociaux, dans la mesure où la création d’un État communiste est vue comme
l’aboutissement logique des tendances profondes de toute l’évolution socio-éco-
nomique depuis le Moyen Âge. La propagation des conceptions politico-phi-
losophiques du régime se traduit dans les musées soviétiques par une approche
nouvelle, militante, du mode d’exposition 405, destiné à éduquer les masses ouvrières
et paysannes. Évitant les présentations typologiques, « l’objet muséalisé sorti de
son contexte naturel et social [est] présenté comme partie d’un ensemble, comme
élément d’un organisme. […] Mais l’aspect le plus important de chaque expo-
sition est le “récit” auquel sont subordonnés tous les thèmes. Ce fil conducteur
repose sur des idées marxistes, sur la représentation du processus historique de la
lutte des classes 406 ».
401 Klersch Joseph, « Un nouveau type de musée. Le Maison du Pays rhénan », in Mouseion, vol. 35-36,
1936, p. 7-46.
402 Gob, « De la « race » à la société », in Vieregg et al., Museology…, op. cit., p. 51.
403 Mairesse, Le musée, temple spectaculaire op. cit., p. 64.
404 « Les philosophies de l’histoire », in Halkin, Critique historique, op. cit., p. 127-133, p. 131.
405 Mairesse François et Hurley Cecilia, « Éléments d’expologie : matériaux pour une théorie du dis-
positif muséal », in Carter Jennifer (éd.), Expositions en tant que médias, Média Tropes, vol. 3, no 2, 2012,
p. 1-27, p. 19 [en ligne], http://www.mediatropes.com/index.php/Mediatropes/article/view/16896 (page
consultée le 18/05/2015).
406 Gorgus, Le magicien…, op. cit., p. 89.
118
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
407 Entretien avec Alexander Sotin, responsable du département Old English Court” au Moscow City
Museum (11 mars 2011). Vedernikova, Museum of History of Moscow…, op. cit., p. 3-4.
408 Loknev A., « Musée de l’Histoire et de la Reconstruction de Moscou », in Museum, vol. 25, no 3,
1973, p. 259-260, p. 259.
409 Ibid.
119
Le musée de ville
410 Entretien avec Irina Karpenko, secrétaire scientifique au State Museum of the History of St Petersburg
(17 mars 2011). Dementieva Natalia, « The city museum in the changing political climate », in Johnson,
Reflecting cities, op. cit., p. 130-131.
411 Arakcheev Boris (ed.), Saint Peter and Paul cathedral and the Grand Ducal burial chapel, Saint-
Pétersbourg, Culture committee of the government of Saint-Petersburg, 2006.
412 « It has been said often enough that museum directors in a socialist country have a much easier task than their
colleagues in the West, at least in a museum which is concerned with history, because the political framework within
which they operate provides them with a straight line through history. They are not required to make sense of history,
because the task has already been performed for them. » Hudson Kenneth, Museums of influence, op. cit., p. 136.
413 Durko Janusz, « Le Musée d’Histoire de Varsovie », in Museum, vol. 10, no 4, 1957, p. 258-263.
414 Meller Beata, « Histoire, idéologie et politique au musée d’Histoire de Varsovie », in Les musées de
la ville, op. cit., p. 22-27, p. 26.
120
Chapitre 3 – L’âge classique du musée d’histoire de ville
De la collection à la démocratisation,
vers un changement de paradigme
Le chapitre qui s’achève a retracé l’évolution du musée d’histoire de ville dans sa
configuration classique, modèle auquel se conforment la plus grande part des ins-
titutions, depuis l’apparition presque simultanée des premières d’entre elles dans
l’Europe des années 1880, jusque 1970 environ. Le plus souvent organisées par
les autorités locales, elles sont au départ une réaction aux profonds chamboule-
ments subis par l’ensemble des structures urbaines dans leur processus d’adap-
tation à la société industrielle, en voie de modernisation accélérée. Leurs projets
muséaux et les missions qui leur sont assignées sont multiples, enracinés dans le
contexte spécifique de création de chacune d’elles. Le musée peut jouer le rôle d’un
conservatoire des vestiges du passé, voué à fixer le souvenir de la ville d’avant, en
pleine mutation. Il peut aussi être utilisé comme un instrument de légitimation
des politiques urbanistiques déployées par les pouvoirs en place, voire contribuer
à la manipulation des opinions, dans le cadre des idéologies totalitaires. Parfois
envisagé comme un outil touristique, destiné à faire connaître la ville aux étran-
gers, le musée peut au contraire revêtir un fort caractère identitaire et contribuer
au renforcement des sentiments d’appartenance des citoyens à leur communauté.
121
Le musée de ville
415 Navarre Auguste, « Discours de M. le Président du conseil municipal », in Relation officielle de l’inau-
guration du Musée historique de la ville de Paris et de la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, le jeudi 23 juin
1898, Paris, Imprimerie de l’école municipale Estienne, 1899, p. 14-20-, p. 14-15.
416 Lelièvre, « Le musée d’histoire de ville : mémoire et carrefour des populations », in Laveleye,
Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 47-51, p. 49.
417 Desvallées André (éd.), Vagues, une anthologie de la nouvelle muséologie, 2 vol., Mâcon et Savigny-le-
Temple, éditions W et M. N. E. S., 1992-1994.
418 Brinkman Manus, « Do the right thing : museums need a more varied audience which education
must help to achieve », in Cahiers d’étude du CECA (Icom), no 2, 1996, p. 16-18.
122
Chapitre 4
Des modèles en mutation
123
Le musée de ville
réside dans une redéfinition radicale des relations entre le musée et les popula-
tions auxquelles il s’adresse 423. Avec l’apparition des musées communautaires, des
neighborhood museums 424 et des écomusées 425 – à Anacostia, banlieue culturelle-
ment défavorisée de Washington, dans les bidonvilles de Mexico ou au cœur de
la région économiquement sinistrée du Creusot –, l’institution cherche à toucher
de nouveaux publics parmi les exclus du système classique, hérité du xixe siècle.
En raison de l’aspect territorial, et par conséquent communautaire, inhérent à leur
sujet d’étude, les musées consacrés aux villes font logiquement partie des insti-
tutions concernées au premier chef par ce processus. Contrairement aux décen-
nies précédentes qui peuvent être assimilées pour la plupart de ces musées à une
période d’engourdissement quasi léthargique, les années 1970 et 1980, sujet de ce
sous-chapitre, constituent pour eux un moment faste. Partout dans le monde, des
institutions sont créées, de São Paulo à Shanghai, et d’anciennes complètement
repensées, entre autres à Francfort et à Londres. Poussés par une volonté grandis-
sante de démocratisation de la culture et de participation des communautés locales,
les responsables d’un certain nombre de musées font le constat que leur discours
ne peut plus être figé dans la seule matérialité d’une collection. Il s’agit à l’avenir
d’appréhender le caractère mouvant de la ville, de son histoire et de ses habitants.
124
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
Dans le hall d’entrée du musée, le visiteur est accueilli par trois cercueils, respecti-
vement en bronze, pin et bois blanc, qui symbolisent les trois New-Yorkais décédés
chaque jour du fait de leur addiction, sans distinction de classe sociale, d’âge ou de
couleur de peau. Financée en partie par la Narcotic Addiction Control Commission 428,
l’exposition s’éloigne du schéma muséographique classique d’images sur les murs
et d’objets dans des vitrines. À la place sont installées dans les salles des photo-
graphies grandeur nature de vrais toxicomanes occupés à se droguer, réalisées avec
leur consentement pour les besoins de la manifestation. Elles sont plaquées sur
des structures de carton autoportantes dans lesquelles sont incorporées de petites
boîtes de plexiglas aux endroits adéquats : à la main pour un verre de whisky, au
creux du bras pour une seringue, à la bouche pour une capsule d’amphétamine…
Les thématiques qui constituent généralement l’arrière-plan sociétal de l’usage
des drogues, comme la pauvreté, la discrimination, l’aliénation ou le matérialisme
sont abordées dans l’exposition, ainsi d’ailleurs que la problématique plus large de
la surconsommation des « drogues légales » – le tabac, l’alcool, les médicaments.
Comme l’indique un panneau montrant une famille moyenne, apparemment sans
histoire, « nous faisons tous partie de la scène de la drogue 429 ». Pour faire vivre
l’exposition et répondre aux nombreuses questions suscitées par ces artefacts inha-
bituels, les guides engagés par le musée sont tous d’anciens drogués. Véritables
« living exhibits », ces derniers témoignent de leurs expériences personnelles. Ils
apportent également des conseils de prévention auprès des plus jeunes et des solu-
tions d’accompagnement pour les personnes en détresse qui trouvent là l’occasion
de solliciter discrètement de l’aide. Le Museum of the City of New York dépasse
dès lors le stade purement informatif, descriptif d’une situation, qui le caracté-
risait jusqu’alors. Le désir, affiché dès 1931 par John Van Pelt, d’un musée sou-
cieux de jouer un rôle actif dans l’amélioration des conditions de vie des citoyens
est maintenant concrétisé 430.
De ce côté-ci de l’Atlantique, l’Historisches Museum Frankfurt est l’un des tout pre-
miers musées d’histoire de ville européens à opérer sa mutation vers un nouveau
type d’institution, ouvert sur le xxe siècle et prêt à aborder avec un regard critique
la période nazie, sujet particulièrement délicat dans l’Allemagne d’après-guerre.
En 1968, le programme d’un musée entièrement renouvelé, plaçant l’éducation au
premier rang de ses missions, dans un bâtiment à construire sur l’une des princi-
pales places de la ville, le Römerberg, est validé par les autorités municipales. Ses
objectifs sont formulés de la sorte par son directeur :
« Le musée d’histoire ne peut pas se limiter à faire le tri parmi les objets accumulés au fil
des ans et à bien les présenter, en laissant au visiteur le soin d’en tirer profit en fonction
de sa culture. Nous voulons plutôt faire connaître au public les rapports historiques et
sociaux. Cette connaissance permet aussi de percevoir des possibilités de changement
dans la situation sociale actuelle. Ainsi, le musée peut devenir une partie intégrante d’un
système d’éducation démocratique 431. »
428 Il s’agit du service administratif de l’État de New York en charge de la question des drogues.
429 « We are all part of the drug scene. »
430 Van Pelt, « The museum as a guide… », in The Museum News, op. cit., p. 8.
431 Stubenvoll Hans, « Musée d’histoire, Francfort-sur-le-Main », in Museum, vol. 29, no 2-3, 1977,
p. 156-157.
125
Le musée de ville
126
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
436 « In the end one’s mind turns back to the Carnavalet, from which in some degree this Museum may be said to have
sprung. As they are now, the two could not be more widely different. One is accommodated in an ancient mansion ;
infinitely rich in small objects, suited to the small rooms that contain them. The other is housed in a new building
of high distinction specially designed for it. The new Museum reflects new thinking about the nature of museums
themselves, the approach they should make, the facilities they should afford to those who come to them. » Simmons
Jack, « The Museum of London », in The Museums Journal, vol. 77, no 1, Londres, juin 1977, p. 15-18, p. 18.
437 Hume Tom, « Musée de Londres », in Museum, vol. 29, no 2/3, 1977, p. 98-105.
127
Le musée de ville
disposition par la City d’un terrain lui appartenant afin d’y édifier un bâtiment
neuf, à la pointe des techniques muséographiques du temps. Le chantier du « plus
vaste et plus complet [musée] qui ait été construit en Grande-Bretagne depuis
bien longtemps 438 », est lancé en 1971 et s’achève cinq ans plus tard. Élisabeth II
procède alors à l’inauguration, en décembre 1976, d’une institution « pas simple-
ment “de” ou à propos de Londres, mais aussi pour Londres 439 ».
Le Museum of London s’intègre dans un complexe urbanistique de quatorze hec-
tares, de style moderniste, le Barbican Estate 440. Bâtie dans les années 1960 et
1970, cette zone de redéveloppement remplace un quartier ancien dévasté par les
bombardements durant le Blitz. Inspiré des travaux brutalistes de Le Corbusier,
le Barbican se veut la reproduction en miniature d’une véritable ville, où les fonc-
tions se mélangent : des tours d’habitations et de bureaux voisinent avec des écoles,
des lieux de culte et des équipements culturels, dont un important centre d’art.
Tous ces lieux de vie sont reliés entre eux par des passerelles piétonnes surélevées,
séparées de la rue où le trafic automobile est particulièrement dense. L’entrée du
musée se situe d’ailleurs au niveau de ces « high walks », dont l’accès n’est malheu-
reusement pas toujours aisé à repérer à partir de la route. Pratiquement invisible
depuis la ville, alors que la cathédrale Saint-Paul et ses flots de visiteurs ne se
trouvent qu’à deux pas, le bâtiment se signale surtout par le nom du musée inscrit
en grandes lettres blanches sur la construction en forme de tambour qui se dresse
au milieu du rond-point adjacent.
Le choix du Barbican, site à l’apparence extrêmement contemporaine, voire futu-
riste pour l’époque, pour y bâtir un musée sur l’histoire de Londres n’est pas le
fruit du hasard :
« Le site choisi pour le bâtiment symbolise de manière appropriée le rôle fondamental
du musée : relier le Londres d’aujourd’hui avec son passé 441. »
Le musée est édifié le long d’une portion excavée du rempart de la ville romaine,
qu’il est possible d’apercevoir à travers quelques ouvertures depuis certaines salles
d’exposition – justement celles consacrées à la période antique. Les fenêtres exté-
rieures sont pourtant rares, car les architectes ont choisi d’enrouler les deux niveaux
du musée sur eux-mêmes, autour d’un jardin intérieur clos de parois entièrement
vitrées, « référence visuelle constante du public 442 ». L’aménagement du bâtiment
est conçu de telle sorte que sa structure globale, ainsi que celle de l’exposition,
soient en permanence perceptibles pour le visiteur, amené à cheminer linéairement.
438 Bell James, « Le Museum of London », in Museum, vol. 31, no 1, 1979, p. 122-127, p. 122.
439 « […] not simply “of ” or about London, but also for London. » Museum of London Manifesto, Londres,
décembre 1976, p. 6.
440 Kostof Spiro, The city shaped : Urban patterns and meanings through history, Londres, Thames &
Hudson, 1991, p. 90.
441 « The site chosen for the building appropriately symbolises the museum’s fundamental role : linking present-
day London with its past. » Museum of London Manifesto, op. cit., p. 8.
442 Bell James, in Museum, op. cit., p. 125.
128
Le site du Museum of London, au cœur du Barbican Estate et de la City.
Un passage latéral, sorte de balcon courant tout le long des fenêtres du jardin,
lui permet cependant de faire l’impasse sur une section ou l’autre et de rejoindre
rapidement n’importe quel point du musée. Les fonctions muséales non direc-
tement liées à l’exposition – service éducatif, réserves, salle de conférences et de
cinéma, bibliothèque, laboratoire de conservation, studio photo, administration
et bureaux… – sont toutes installées dans une aile séparée.
Si, comme à Francfort, la décision de concevoir le musée dans un nouvel édifice
plutôt que dans un lieu historique sort déjà de l’ordinaire – « le Museum of London
est l’un des très rares grands musées anglais du xxe siècle à disposer d’un édifice
prévu spécialement pour lui 443 » –, c’est avant tout dans l’approche muséographique
retenue que le Museum of London se fait novateur. Pour la première fois, un musée
ambitionne de dresser la biographie tridimensionnelle d’une ville, et plus parti-
culièrement de ses habitants, depuis la formation de son cadre naturel, aux temps
préhistoriques, jusqu’au milieu du xxe siècle. En raison de la superficie dispo-
nible limitée, deux grands thèmes structurants sont retenus, sur les trois initiale-
ment envisagés : d’une part « Londres et le monde », et d’autre part « Londres et
le peuple ». Le projet « Londres et l’environnement bâti », dévolu au développe-
ment physique et architectural de la ville, en lien avec l’évolution de la planifica-
tion urbaine, est quant à lui abandonné. De manière probablement inédite pour
ce genre de musée, l’histoire des pierres est ici subordonnée à celle des gens. Les
collections réunies des deux anciens musées, auxquelles s’ajoutent des acquisitions
depuis les années 1960, sont résolument mises au service d’un récit chronologique
sur la ville, très documenté : 7 500 objets sont exposés, sur un nombre total d’un
demi-million conservés. À l’exception de la dernière salle du parcours, consa-
crée aux cérémonies londoniennes et dont le fameux carrosse du Lord-Maire de
la City 444 constitue la pièce maîtresse, le musée ne présente aucune section thé-
matique, bien que le principe ait été envisagé au départ. Il est en effet apparu aux
muséographes que des salles dédiées spécifiquement à des domaines tels que les
jouets, le théâtre, l’éducation, les palais royaux, la police et les pompiers ou encore
les institutions municipales et nationales auraient nui à la vision d’ensemble du
discours. Si ces sujets méritent d’être abordés dans l’exposition, ils le sont au sein
du parcours principal, chronologique.
Le circuit de visite est composé de neuf sections successives, correspondant chacune
à une période déterminée. Quatre sont situées au niveau de l’accueil du musée (The
Thames in Prehistory, Roman London, Saxon and Medieval London, Tudor and early
Stuart London) et cinq à l’étage inférieur (Late Stuart London, Georgian London,
Early 19th century London, Imperial London, 20th century London). La répartition
spatiale de ces chapitres biographiques tient compte du fait que les 250 dernières
années de l’histoire de la ville concentrent à elles seules plus des deux tiers de la
population londonienne totale. Pour cette raison, l’histoire contemporaine, grande
443 « The Museum of London is one of the very few large museums in 20th century Britain to have a building
specially planned for it. » Museum of London Manifesto, op. cit., p. 8.
444 Ce véhicule hippomobile, du xviiie siècle, est particulièrement populaire auprès des Londoniens. Il
prend part chaque année en novembre à la parade du Lord-Maire, tradition festive, événement à la fois
politique et folklorique, qui se déroule dans les rues de Londres. Bien que muséalisé, le carrosse conserve
aussi son usage dans la vie réelle. Lohman Jack (ed.), Museum of London : Museum highlights, Londres,
Scala, 2010, p. 66-67.
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
445 « If you haven’t got an object, you either go and get one, or you find another way of dealing with the subject. »
Cité in Sheppard, The treasury of London’s past, op. cit., p. 173.
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Le musée de ville
446 « The exhibition tails away at the end. It is obviously not yet complete. How satisfactory to think that there is
still something more to come. » Simmons, in The Museums Journal, op. cit., p. 15-18, p. 17.
447 « What we get here emphasizes generally the life of the middle and working classes. That is reasonable enough ;
in harmony with current thinking, and a salutary corrective of the older view, which made a cliché of Georgian
elegance. » Ibid.
448 « The aristocracy has been pushed firmly out of sight. » Ibid.
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
449 Van Lier Bas, Treasures of Amsterdam, Highlights of the Amsterdam Historical Museum collection,
Amsterdam, Amsterdam Historical Museum, 2000, p. 86-89.
450 Entretien avec Renée Kistemaker, Senior Consultant Research and Development à l’Amsterdam Historical
Museum (15 mars 2010).
451 Snoep Derk, « Musée d’histoire d’Amsterdam », in Museum, vol. 29, no 2/3, 1977, p. 114-125, p. 121.
452 Ibid., p. 114-115.
453 Kistemaker Renée, « The origins of the Amsterdam Historical Museum and its relations with the
Rijksmuseum », in Calabi, Marini et Travaglini, I musei della città, op. cit., p. 37-50.
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Le musée de ville
454 Le temps passant, Rembrandt fera finalement son entrée dans les collections de l’Amsterdams Historisch
Museum près de vingt ans plus tard, en 1994, avec La Leçon anatomique du docteur Deyman, devenue la pièce
centrale de la section de l’exposition consacrée à l’âge d’or de la ville.
455 « Prix européen du musée de l’année », in Les nouvelles de l’Icom, vol. 32, no 1-4, 1979, p. 11-12.
456 Van Lakerveld Carry, « Whose museum ? The Amsterdam Historical Museum and the multicul-
tural city », in Johnson, Reflecting cities, op. cit., p. 101-104. Ernst Mila, « East Amsterdam, an outreach
project », in Kistemaker, City museums as centres of civic dialogue ?, op. cit., p. 107-112.
457 Van Veldhuizen Arja, « New galleries on recent history in the Amsterdam Historical Museum, Result
of an intensive process », in Laveleye, Vandenbulcke et Vanrie, Un musée pour une ville, op. cit., p. 155-162.
458 Au sens de François Mairesse : Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., p. 101-128.
459 Gob André, « Musée ouvert, manifestation de l’espace public ? » in Gob, Musées : on rénove !, op. cit.,
p. 122-129, p. 122.
134
La galerie civique de l’Amsterdams Historisch Museum, véritable rue au cœur d’un musée.
Les collections de l’Amsterdams Historisch Museum, à la fois dans le musée et dans la ville.
Le musée de ville
Elle est cependant une salle à part entière du musée, sur les murs de laquelle est
présentée une collection d’œuvres non exposables ailleurs en raison de leur grand
format, celle des portraits de groupes des gardes civiques au xviie siècle, c’est-à-
dire des compagnies de miliciens composées de bourgeois amstellodamois, chargés
de la sécurité publique. La thématique citoyenne de ce passage ouvert à tous n’est
évidemment pas due au hasard.
Par ailleurs, cette galerie permet plusieurs échappées visuelles vers les salles à l’in-
térieur du musée, tandis qu’en divers endroits du bâtiment, des vitrines semblent
faire déborder les collections dans la ville, comme les armures de la garde civique.
Sa curiosité éveillée, le promeneur est alors amené à vivre, sans nécessairement s’en
rendre compte, une première expérience muséale. Ce contact avec l’institution, à
la frontière physique entre le dedans et le dehors, est dès lors conçu comme une
invitation à la visite de l’ensemble.
Le deuxième établissement caractéristique des conceptions de l’époque visant
à rapprocher le musée de la ville et de ses habitants est le musée d’Histoire de
Marseille, ouvert au public en 1983. Par sa localisation au sous-sol d’un grand
centre commercial aménagé au cours des années 1970, lui-même situé à l’empla-
cement du port antique de la ville, il constitue un cas extrême de désacralisation
de l’institution muséale classique 460.
Le musée est né de la conjonction de divers éléments : d’abord la découverte for-
tuite en 1967, à l’occasion des travaux de construction du futur Centre Bourse, des
vestiges exceptionnels de la Massalia grecque, entre le Vieux-Port et la Canebière ;
ensuite la décision du ministre des Affaires culturelles de l’époque, André Malraux,
de conserver et de valoriser in situ ces vestiges sur une superficie d’un hectare,
aboutissant à leur classement en 1972 comme monument historique ; et enfin la
ferme volonté des promoteurs immobiliers et du maire Gaston Deferre de mener
néanmoins à bien leur grand projet de requalification de ce quartier du centre-
ville, par l’édification d’un centre commercial et résidentiel. Un espace initialement
prévu pour un centre culturel est alors réservé dans la nouvelle construction, entre
trois étages de magasins en hauteur et trois étages de parking en sous-sol, pour
accueillir un musée consacré au site archéologique. À la suite d’une visite inspi-
rante du tout récent Museum of London par l’équipe de conception de la future ins-
titution marseillaise, le projet évolue rapidement d’un simple musée de site vers
un véritable musée d’histoire urbaine, qui prend le Jardin des vestiges attenant
comme un point de départ pour retracer le récit plus de deux fois millénaire de la
plus ancienne ville de France 461. Contrairement à Londres cependant, l’ambition
460 Entretien avec Laurent Védrine, conservateur et directeur de projet du nouveau musée d’Histoire de
Marseille (4 février 2011). Pilato Dominique, « France : quelques cas controversés », in Museum, vol. 41,
no 164, 1989, p. 215-220, p. 218. Morel-Deledalle Myriame, « Le musée d’Histoire de Marseille, un
projet qui aboutit », in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…,
op. cit., p. 150-155.
461 « Il existait des musées de site en milieu urbain qui sont des musées d’histoire de ville. Parmi les plus
anciens, le musée de Cluny à Paris, parmi les plus récents, à l’époque de la programmation, le Museum of
London. À partir d’un élément de la muraille romaine, conservée in situ, c’est toute l’histoire de la ville de
Londres jusqu’à nos jours qui est racontée par des objets de fouilles, des collections historiques et des recons-
titutions. Ce musée fut un exemple et une référence dans les réflexions pratiques du musée d’Histoire de
Marseille ». Védrine Laurent (dir.), Marseille ville-monde. Réalités et représentations, programme scienti-
fique et culturel du nouveau musée d’Histoire de Marseille, 15 novembre 2010, p. 15.
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
Le Jardin des vestiges du musée d’Histoire de Marseille, à l’emplacement du port antique de la ville.
462 Musée d’Histoire de Marseille, note d’information, Paris, ministère de la Culture, 1983, p. 2.
463 Morel Myriame, « Le dernier né des musées de Marseille : le musée d’Histoire », in Musées et collec-
tions publiques de France, vol. 162, no 4, 1984, p. 139-144, p. 144.
137
Le musée de ville
464 Gladieu Jean-Dominique, « Un musée en ville nouvelle et sur la ville nouvelle : pour quoi faire ? », in
Musées et collections publiques de France, vol. 246, no 3, 2005, p. 18-24.
465 Entretien avec Julie Guiyot-Corteville, conservatrice en chef du musée de la Ville de Saint-Quentin-
en-Yvelines (28 janvier 2011).
466 Poulot, Une histoire des musées de France, op. cit., p. 182.
467 De Varine Hugues, Rapport sur l’originalité de l’écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines, 1977, archives
du musée. Cité in Guiyot-Corteville Julie, « L’écomusée de Saint-Quentin-en-Yvelines, acteur ou témoin
de la ville nouvelle », in Ethnologie française, t. XXXVII, Paris, Puf, 2003, p. 69-80, p. 71.
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
468 Chaumier Serge, « De l’interprétation au Centre d’interprétation », in Chaumier et Jacobi, Exposer
des idées…, op. cit., p. 43-57, p. 47.
469 Collins, « La ville est le musée ! », in Les musées de la ville, op. cit., p. 30-34.
470 25 ans d’Entente, les gestes, les acteurs, les témoins, Montréal, Société de développement de Montréal, 2008
[en ligne], www.vieux.montreal.qc.ca/images/pdf/25_ans.pdf (page consultée le 22/05/2015).
139
Le musée de ville
471 Gagnon, « Divertissement et patriotisme », in Revue d’histoire de l’Amérique française, op. cit., p. 332-347.
472 Entretien avec Jean-François Leclerc, directeur du Centre d’histoire de Montréal (5 mai 2010).
473 Collins, in Les musées de la ville, op. cit., p. 30-34, p. 31.
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
474 Entretien avec Marie-Dominic Labelle, directrice de la Société du patrimoine urbain de Québec
et du Centre d’interprétation de la vie urbaine de Québec (13 juillet 2010) Labelle Marie-Dominic,
« Éducation et sensibilisation au patrimoine mondial : le cas de la Société du patrimoine urbain de Québec »,
in Moumouni Charles et Simard Cyril (dir.), Journalisme et patrimoine mondial, Québec, Presses de l’uni-
versité Laval, 2007, p. 61-64.
141
Le musée de ville
142
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
antérieures. Dans le cadre d’une volonté de rupture avec les méthodes tradition-
nelles, le temps des utopies muséologiques est une période au cours de laquelle des
logiques ignorées jusqu’alors ont trouvé des terrains d’expérimentation propices.
Deux avancées remarquables doivent dès lors être soulignées pour cette époque :
d’abord la subordination des collections à un discours sur la ville véritablement
construit par l’exposition, et ensuite l’élargissement des thématiques abordées par
le musée à l’histoire la plus contemporaine.
476 « […] the growth of museum activity amongst the most significant of global social facts in the late twentieth
century, with […] more than three-quarters of English museums established after 1970. » fyfe Gordon, « Sociology
and the social aspects of the museum », in Macdonald, A companion to museum studies, op. cit., p. 33-49, p. 39.
477 Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 198.
478 Bergeron Yves, « La révolution du réseau des musées québécois », in Perron Michel (dir.), Musées,
vol. 28, Montréal, Société des musées québécois, 2009, p. 14-29, p. 26.
479 Gob, Le musée, une institution dépassée ?, op. cit., p. 37.
480 Mairesse, « Musée », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 271-320, p. 302.
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Le musée de ville
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
145
Le musée de ville
491 Entretien avec Cathy Ross, Director of Collections and Learning du Museum of London (10 septembre 2010).
492 Merriman Nick, « L’histoire cachée : le projet “Peuplement de Londres” », in Les musées de la ville,
op. cit., p. 12-16, p. 12.
493 Merriman Nick, « Les stratégies de conquête des publics des musées anglais », in Joly et Compère-
Morel, Des musées d’histoire pour l’avenir, op. cit, p. 151-159, p. 157.
146
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
494 « For some, community has not been a positive experience and the emphasis on cherishing, fostering, or recal-
ling it is misplaced. […] The representation of community histories, just like the creation of any history, must be
measured, as new voices will often be just as partial as the old. » Crooke Elizabeth, « Museums and commu-
nity », in Macdonald, A companion to museum studies, op. cit., p. 170-185, p. 183-184.
495 Reynolds Rachel, Collecting 2000, Londres, Museum of London, 2000.
147
Le musée de ville
496 Bailoni Mark et Papin Delphine, « Londres mondiale et communautariste », in Denis Jean-Pierre
et Pourquery Didier (éd.), L’Atlas des villes, 5 000 ans d’histoire, Le Monde/La Vie Hors-série, Paris,
2013, p. 66-67.
497 Toujours visible aujourd’hui, ce nouveau parcours permanent est organisé en cinq espaces chronolo-
giques successifs qui mettent en évidence les traces visibles laissées dans la ville par chaque époque, depuis
le xvie jusqu’au xxie siècle. Lefebvre Josée, Centre d’histoire de Montréal, une histoire vivante. Guide de visite,
Montréal, Centre d’histoire de Montréal, 2004.
498 Montpetit Raymond et Bergeron Yves, Centre d’histoire de Montréal : diagnostic et plan de déve-
loppement, Montréal, 2010, p. 8.
499 Entretien avec Sylvie Dufresne, directrice des expositions honoraire à Pointe-à-Callière, musée d’Ar-
chéologie et d’Histoire de Montréal (4 mai 2010).
500 Demers Clément (éd.), Pointe-à-Callière, musée d’Archéologie et d’Histoire de Montréal, Rapport de
projet, Montréal, Société immobilière du patrimoine architectural de Montréal, 1993, p. 9.
501 Dufresne Sylvie, « Pointe-à Callière, une muséographie multimédia : la relation objet – support –
espace – animation », in Les muséographies multimédias : métamorphose du musée, 62e Congrès de l’ACFAS,
Québec, musée de la Civilisation, 1995, p. 53-59.
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
502 Depuis 2013, cet espace accueille une exposition immersive permanente destinée aux enfants et aux
familles, intitulée Pirates ou corsaires ?.
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Le musée de ville
503 Young Brian, Le McCord, l’histoire d’un musée universitaire, Montréal, Cahiers du Québec, coll. « Histoire
de l’éducation », 2001.
504 Entretien avec Nicole Vallières, directrice des collections, de la recherche et des programmes du musée
McCord d’Histoire canadienne (19 mai 2010).
505 Entretien avec André Delisle, directeur du musée du château Ramezay, Montréal (8 mai 2010).
150
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
151
Le musée de ville
« À la fois musée d’histoire, à la fois musée d’architecture, à la fois musée de société, je le
vois surtout comme un laboratoire de musée de ville. Il tente sur chaque thème traité de
confronter le discours des acteurs, élus, urbanistes, architectes, habitants pour construire une
analyse critique, mais compréhensive, de la façon dont se fait, se défait et se refait la ville 508. »
Le musée est désormais confronté au défi du changement de statut de la ville
qui, quarante ans après sa création, n’est plus tout à fait nouvelle 509 mais semble
par contre, à l’instar de ses consœurs franciliennes, « avoir échoué à se forger une
identité forte. Dans l’imaginaire collectif, la plupart des anciennes villes nouvelles
demeurent des entités un peu floues 510 ». Tandis que le musée clame le maintien
de son attachement à la philosophie écomuséale qui l’a vu naître, il s’est adapté
à l’évolution au cours du temps des besoins d’ancrage identitaire de sa popula-
tion. Les habitants sont systématiquement impliqués, principalement par le biais
de collectes de témoignages et de prêts d’objets personnels, dans tous les projets
d’exposition mis en place – sur l’habitat à Saint-Quentin, les photos de famille
ou encore les modes de vie au xxe siècle 511.
À partir de l’extrême fin des années 1980 et plus encore durant la décennie sui-
vante, la logique qui préside à la définition du musée de société est dans l’air du
temps. À cette époque, les musées nouvellement créés, en Europe comme ailleurs,
de toutes tailles et catégories, sont nombreux à s’inscrire dans ce mouvement qui
place l’humain plutôt que la collection au centre des préoccupations.
Dans le domaine de l’exposition de la ville, il s’agit par exemple d’institutions aux
thématiques spécialisées, qui n’en abordent qu’un aspect particulier, comme The
People’s Story à Édimbourg, ouvert en 1989, consacré au récit depuis le xviiie siècle
de la vie quotidienne des classes populaires dans la ville 512, ou encore, trois ans
plus tard, le Lower East Side Tenement Museum de New York 513. Cet établissement,
membre de la Coalition internationale des Sites de Conscience 514, est installé au
cœur d’un quartier pauvre de la ville, porte d’entrée traditionnelle des immigrants
508 Guiyot-Corteville, « Musées de ville en France », in Musée et ville, op. cit., p. 19-22, p. 22.
509 En 2006, la ville se voit attribuer par le ministère de la Culture et de la Communication le prestigieux
label de Ville d’art et d’histoire, qui correspond à l’aboutissement institutionnel du processus de légitimation
patrimoniale engagé depuis une génération par ses concepteurs. Par ailleurs, cette labellisation impose aux
collectivités la création d’un Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine (CIAP), salle d’ex-
position permanente qui présente l’évolution urbaine de la ville, son patrimoine et son histoire. Le CIAP
de Saint-Quentin est intégré au musée de la Ville. Gasc Cécile et Jacobi Daniel, « Les Centres d’interpré-
tation de l’architecture et du patrimoine », in Chaumier et Jacobi, Exposer des idées…, op. cit., p. 145-157.
Guiyot-Corteville Julie, « Les missions du musée, entre contemplation et éducation », in Muséologies, les
cahiers d’études supérieures, vol. 3, no 2, Montréal, Institut du patrimoine, 2009, p. 48-63, p. 52.
510 Albert Marie-Douce, « Les villes nouvelles ont-elles bien vieilli ? », in Denis et Pourquery, L’Atlas
des villes, op. cit., p. 140-141.
511 Habiter à Saint-Quentin-en-Yvelines, entre utopie et tradition (2002), Photos de famille, toute une his-
toire… (2007), Vous avez de beaux restes ! Objets et modes de vie du xxe siècle (2008).
512 Ross, « Collections and collecting », in Kavanagh et Frostick, Making city…, op. cit., p. 114-132, p. 124.
513 Sheinman Mort (ed.), A tenement story, The history of 97 Orchard Street and the Lower East Side Tenement
museum, New York, Lower East Side Tenement Museum, 2008. Russel-Ciardi Maggie, « Éducation in
situ en environnement urbain », in Vinson et Macdonald, Vie urbaine et musées, op. cit., p. 75-82.
514 La Coalition internationale des sites de conscience est un réseau créé en 1999 de musées, lieux histo-
riques et mémoriaux consacrés à l’interprétation des luttes sociales du passé et à leur héritage contempo-
rain. Il rassemble des institutions telles que le musée du Goulag à Moscou, la Maison des esclaves à Gorée
ou encore Memoria Abierta, l’alliance des organisations argentines des droits de l’homme. Coalition inter-
nationale des sites de conscience [en ligne], http://www.sitesofconscience.org (page consultée le18/05/2015).
152
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
Le Lower East Side Tenement Museum raconte l’histoire et recrée les conditions de vie des habitants
du 97 Orchard Street à New York, entre 1864 et 1932.
515 Lindell Henrik, « New York, la ville-monde par excellence », in Denis et Pourquery, L’Atlas des
villes, op. cit., p. 98-99.
153
Le musée de ville
les Rogarshevsky, les Baldizzi… – ayant effectivement occupé les lieux à des périodes
différentes sont fidèlement reconstitués à leur emplacement d’origine, chacun à un
étage de l’immeuble. Le public y accède au cours de visites guidées thématiques qui
tournent autour des problèmes sociaux vécus à l’époque par les populations immi-
grées (les conditions d’hygiène et de travail, l’éducation, les traditions religieuses…).
Mais il se trouve également de tels modèles parmi la dernière génération de musées
« généralistes », au sein desquels se détache nettement la figure du musée d’His-
toire de la ville de Luxembourg. Inauguré en juin 1996 dans un complexe rénové
de quatre bâtiments anciens construits à flanc de colline, à deux pas du centre poli-
tique et touristique de la capitale du grand-duché, cet établissement revendique en
effet avec conviction son engagement envers une dynamique de type sociétale 516.
« Le musée d’Histoire de la ville de Luxembourg n’est comparable à aucun autre musée
d’histoire. En effet, sa création a été motivée, non par le besoin d’accueillir des collec-
tions existantes, mais afin de tenir un discours historique qui manquait 517. »
Ces mots sont ceux de Danièle Wagener, directrice du musée, engagée depuis 1986
dans le montage du projet, à la suite de la décision du conseil communal de
Luxembourg de « créer un musée d’histoire, afin de combler une importante lacune
dans l’ensemble des services offerts par la ville à ses habitants : celle de retracer
l’histoire deux fois millénaire du territoire de la capitale et de décrire l’évolution
au cours des siècles des conditions de vie des habitants 518 ».
Contrairement à la plupart des situations exposées dans cet ouvrage, aucune col-
lection municipale préexistante ne justifie l’implantation de la nouvelle institu-
tion muséale. Celle-ci résulte uniquement d’une volonté politique de créer un outil
culturel de prestige pour la ville, dans le dessein de lui octroyer une meilleure visi-
bilité internationale 519. Elle s’inscrit par ailleurs rapidement dans la programma-
tion mise en place à l’occasion de l’obtention par Luxembourg du titre de Capitale
européenne de la culture, pour l’année 1995.
Une équipe de chercheurs est dès lors rassemblée afin d’élaborer le concept et
le discours du futur musée, la constitution des collections étant subordonnée à
cette première étape cruciale. Le travail de restauration de l’édifice, situé entre la
ville haute et la ville basse, est quant à lui mené en parallèle. Le projet architec-
tural retenu pour le musée est celui d’un passage vertical entre les deux parties
de la ville, résumant symboliquement l’histoire de l’édification de Luxembourg,
depuis le rocher sur lequel la ville est posée jusqu’aux bâtiments en surface, des
xviie, xviiie et xixe siècles, en passant par les caves voûtées d’époque médiévale.
Ce voyage dans le temps est rendu particulièrement perceptible grâce à l’installa-
tion d’un ascenseur panoramique unique, véritable salle mobile entièrement vitrée
– prévue pour accueillir 60 personnes ! –, qui effectue une coupe stratigraphique
dans l’histoire du bâtiment et de la ville.
516 Entretien avec Danièle Wagener, directrice du musée d’Histoire de la ville de Luxembourg (11 février
2010).
517 Comment travaillent-ils ?, interview de Danièle Wagener, in La lettre des musées et des expositions,
no 56, Paris, mai 1993, p. 1-2, p. 2.
518 Musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, dossier de présentation définitif du projet, novembre 1992, p. 3.
519 Poulot, Patrimoine et musées, op. cit., p. 176.
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
520 Würth-Polfer Lydie (préf.), Musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, Luxembourg, musée d’His-
toire de la ville de Luxembourg, 1996, p. 26-30.
521 Thewes Guy, Luxembourg, une ville s’expose, Luxembourg, musée d’Histoire de la ville de Luxembourg,
2008. Jungblut Marie-Paule, « Les Luxembourgeois sont-ils tous riches et heureux ? La place du contem-
porain au musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg », in Battesti Jacques (éd.), Que reste-t-il du présent ?
Collecter le contemporain dans les musées de société, Bordeaux et Bayonne, Le festin et Musée basque et de
l’histoire de Bayonne, 2012, p. 198-203.
522 Jungblut Marie-Paule et Desnoux Pascale, « Objets de communication, objets d’interrogation », in
Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 140-147, p. 114.
155
Le musée de ville
intitulée Luxembourg, une ville s’expose et condensée sur les trois niveaux en sous-
sol, est divisée en deux parties distinctes : le niveau 0 est consacré à l’histoire de
Luxembourg, des origines à 1839, selon un point de vue chronologique, tandis
que les deux autres étages, pour les xixe et xxe siècles, sont organisés de manière
thématique, abordant les problématiques du pouvoir (la vie politique, les lois…),
de l’Europe (la neutralité, les identités, les guerres…), du mouvement (les activités
économiques et la mobilité), du confort (les infrastructures, les sans-abri et les mar-
ginaux…) et de l’environnement (les espaces verts, le développement durable…).
Les trois étages supérieurs du musée, libérés, sont dès lors dédiés aux exposi-
tions temporaires, qui disposent désormais d’un espace plus important que la
plupart des musées d’histoire de ville pour se déployer. Si au cours des dix pre-
mières années d’existence du musée, les expositions temporaires étaient princi-
palement consacrées à des thèmes historiques 523, celles réalisées depuis abordent
essentiellement des sujets de société contemporains, qui débordent souvent du
cadre strict de l’histoire urbaine locale : la spoliation des biens des juifs luxem-
bourgeois au cours de la Seconde Guerre mondiale (2005), les Tziganes (2007),
le scoutisme (2008), la foi (2009), le crime (2010), la pauvreté (2011), la construc-
tion européenne (2012)… Par leur scénographie originale et le ton interpellant,
souvent décalé, de leur discours, ces expositions invitent régulièrement le visiteur
à se questionner lui-même et à prendre position : pourquoi (ou pour quoi) seriez-
vous prêt à tuer ? ; vous sentez-vous riche ou pauvre ? ; quel type de croyant êtes-
vous ? Les expositions innovantes proposées par le musée d’Histoire de la ville de
Luxembourg ne sont donc pas sans rappeler les expériences pionnières menées
à partir de 1980 au musée d’Ethnographie de Neuchâtel par Jacques Hainard,
inventeur de la notion de « muséologie de la rupture 524 ».
Cette évolution récente des thématiques explorées au sein du musée témoigne
d’une réorientation de l’institution en tant que « lieu de débat social et politique,
un forum de discussions. […] Une exposition dont le visiteur sort indifférent
ou confirmé dans ses préjugés n’a pas rempli son objectif 525 ». Bien entendu, les
Luxembourgeois ne sont pas les seuls à afficher un tel positionnement, qui corres-
pond à l’un des critères de la définition restrictive du musée de ville. Parmi les ins-
titutions évoquées précédemment, c’est notamment le cas de l’Historisches Museum
Frankfurt. Au début du xxie siècle, le projet du musée comme lieu d’apprentissage
est en effet revu, afin de l’adapter aux évolutions muséologiques récentes. Le bâti-
ment principal conçu en 1972, rapidement dépassé d’un point de vue esthétique
et majoritairement rejeté par les habitants en raison du contraste trop marqué
qu’il affiche avec les monuments anciens qui l’entourent, est alors démoli, bien
qu’il ne soit vieux que de quarante ans. Il sera remplacé, à partir de 2016, par un
523 Mersch Corina (dir.), Luxembourg, les Luxembourgeois, Consensus et passions bridées, Luxembourg,
musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 2001, p. 8.
524 Gonseth Marc-Olivier, Hainard Jacques et Kaehr Roland (dir.), Cent ans d’ethnographie sur la
colline de Saint-Nicolas (1904-2004), Neuchâtel, musée d’Ethnographie, 2005. Desvallées, Schärer et
Drouguet, « Exposition », in Desvallées et Mairesse, Dictionnaire…, op. cit., p. 136-173, p. 148.
525 Jungblut et Desnoux, in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-Deledalle, Comment inscrire
les musées…, op. cit., p. 114.
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Chapitre 4 – Des modèles en mutation
Au musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, pendant l’exposition sur la foi, les visiteurs doivent choisir
entre l’entrée réservée aux croyants et l’entrée réservée aux non-croyants.
526 Gerchow Jan, « The Historisches Museum Frankfurt : from place of learning to Forum for the
city », communication orale présentée au colloque City museums : collisions/connections, Camoc, Vancouver,
26 octobre 2012.
527 « It will become a centre of information, reflection and discussion about Frankfurt. […] The museum will
adopt a new participatory orientation which takes the wealth of its visitors’ experience and knowledge seriously and
makes use of it as an integral element. » Historisches Museum Frankfurt [en ligne], http://www.historisches-
museum.frankfurt.de/index.php?article_id=28 & clang=1 (page consultée le 18/05/2015).
528 Mairesse, Le musée, temple spectaculaire, op. cit., chap. V, p. 129-138.
157
Le musée de ville
158
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
Le MAS d’Anvers, sept étages d’expositions abrités au cœur d’un spectaculaire bâtiment en escalier.
532 Le MAS résulte en effet de la fusion des collections de quatre anciens musées consacrés à l’ethnogra-
phie (Etnografisch Museum), au folklore (Volkskundemuseum), à la marine (Nationaal Scheepvaartmuseum)
et à la ville (Vleeshuis).
159
Le musée de ville
533 Museum of London is undergoing an exciting transformation, plaquette informative distribuée au musée
en 2009.
160
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
Interroger les visiteurs sur leur vision de la ville de demain devient un moyen de
plus en plus régulièrement retenu par les musées lorsqu’ils décident, à l’occasion
de la rénovation de leurs expositions permanentes devenues obsolètes, d’abor-
der le thème du futur. Il s’agit d’une évolution radicale, dans la mesure où jusque
il y a peu, l’époque contemporaine a souvent été presque totalement absente des
préoccupations, exception faite de quelques expositions temporaires qui ont pu
aborder cette période. C’est précisément face à cette situation que se sont récem-
ment trouvés le Museum of London et le musée d’Histoire de Marseille. Le statut
discursif de ce type de dispositif mériterait alors d’être questionné, puisque dans
ce cas, le public n’est plus uniquement envisagé en tant que récepteur du message
construit et transmis par le musée, comme dans le reste de l’exposition. En effet,
la responsabilité de l’énonciation du discours, jusqu’alors entièrement assumée par
l’institution, est ici en quelque sorte déléguée au visiteur.
À Marseille, une vingtaine d’années après la création du musée en un lieu sym-
bolique de l’accès pour tous à la culture, il s’avère que cette proposition idéo
logiquement engagée s’est essoufflée avec le temps, au rythme du vieillissement et
du non-remplacement de sa muséographie. En 2006, une étude de public menée
par le Laboratoire Culture et Communication de l’université d’Avignon établit
le diagnostic d’une forte érosion de la fréquentation (de plus de 100 000 visiteurs
annuels au début des années 1990 à moins de 40 000 quinze ans plus tard), due
161
Le musée de ville
162
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
539 Montpetit, « Une logique d’exposition populaire… », in Publics et Musées, op. cit., p. 55-103.
540 Drouguet Noémie, « Succès et revers des expositions-spectacles », in Culture & Musées, no 5, 2005,
p. 65-90. Flon Émilie et Davallon Jean, « Georges Henri Rivière versus exposition-spectacle, est-ce une
bonne question ? », in Musées et collections publiques de France, no 229, Paris, 2000, p. 70-77.
163
Scène de rue médiévale au Dublinia.
The Story of Berlin, une exposition-spectacle permanente plus commerciale que culturelle.
Il peut alors arriver que le thème de la ville soit pris comme prétexte pour l’éta-
blissement d’institutions qui ne partagent finalement que très peu de points
communs avec la démarche muséale. Un bel exemple en est The Story of Berlin, une
exposition-spectacle permanente qui a ouvert ses portes en 1999 dans un centre
commercial sur le Kurfürstendamm, l’une des artères les plus fréquentées de la
capitale allemande, notamment par les touristes. Ce projet de parcours interactif
et multimédia, qui retrace l’histoire de Berlin depuis sa fondation au xiiie siècle
jusque après la chute du mur 541, répond à des considérations qui ne sont ni cultu-
relles, ni patrimoniales, mais purement financières : l’attraction a été comman-
dée à un « faiseur d’expositions 542 » par les propriétaires de la galerie marchande
pour augmenter la fréquentation des magasins voisins. Ses caractéristiques l’assi-
milent tout à fait aux grandes expositions-spectacles temporaires ou itinérantes en
vogue à la même époque, analysées par Noémie Drouguet 543 : le choix du thème
est porteur – l’évolution de Berlin est peu abordée dans les institutions muséales
classiques de la ville, à l’exception du Märkisches Museum, musée d’histoire muni-
cipal créé au début du xxe siècle, cependant méconnu des touristes et drainant un
541 Nishen Dirk (ed.), The Story of Berlin, Geschichten einer Metropole, Berlin, Story of Berlin GmbH et
Nishen Kommunikation GmbH, 1999.
542 Nous empruntons l’expression à Noémie Drouguet. Le concepteur de l’exposition berlinoise, Dirk
Nishen est notamment l’auteur, à la fin des années 1990, d’une exposition très populaire sur le Titanic, à
Hambourg et Berlin. Entretien avec Bernhard Schütte, Managing Director du Story of Berlin (30 mars 2010).
543 Drouguet, « Succès et revers des expositions-spectacles », in Culture & Musées, op. cit., p. 65-90.
165
Le musée de ville
544 Entretien avec Peter Schwirkmann, Responsable du Département Histoire à la Stiftung Stadtmuseum
Berlin (29 mars 2010).
545 En 1973, à l’occasion de la réunion de la Commission muséologie de la Conférence permanente des
parcs naturels régionaux, Georges Henri Rivière propose cette première version de la définition évolutive
de l’écomusée : « Musée éclaté, interdisciplinaire, démontrant l’homme dans le temps et dans l’espace […]. »
Par la suite, cette définition sera revue et adaptée à plusieurs reprises et le terme « éclaté » n’apparaîtra plus
tel quel. La muséologie selon Georges Henri Rivière, op. cit., p. 151.
546 De Witte Hubert, « The role of archaeological research and archaeological collections in the making
of the Bruggemuseum », in Kistemaker, City museums as centres of civic dialogue ?, op. cit., p. 78-82.
547 Vermeersch Valentin, Guide musée Gruuthuse, musée communal d’Archéologie et des Industries d’art,
Bruges, Ville de Bruges, 1970.
166
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
ville… Afin d’éclairer le concept muséal dans son ensemble, chaque salle de l’ex-
position permanente du palais Gruuthuse, le siège principal du musée, fait le lien
avec un autre site du Bruggemuseum, par l’intermédiaire de panneaux et d’objets.
Dans la ville de Bologne, le projet Genus Bononiae, Musei nella città a été lancé
en 2003. Il participe d’un processus semblable à celui rencontré à Bruges, à la dif-
férence majeure qu’il ne s’agit cette fois pas d’une initiative émanant des pouvoirs
publics, mais bien d’une très riche fondation privée, branche culturelle et sociale
d’une banque italienne, la Cassa di Risparmio in Bologna 548. Huit sites remar-
quables – deux églises, un ancien couvent, une bibliothèque d’histoire et d’art et
quatre palazzi –, tous propriétés de la Fondation Carisbo ou restaurés par elle,
sont en effet devenus les salles d’exposition d’un musée virtuel, à l’échelle de la
ville, dans lequel sont essentiellement montrées les collections de la fondation.
Genus Bononiae est un parcours artistique et culturel dans le centre historique de
Bologne, mais qui peine à construire un discours liant réellement les lieux les uns
aux autres, probablement en raison de l’approche muséographique retenue, centrée
exclusivement sur les objets conservés dans chaque édifice plutôt que sur la défi-
nition de leur rôle dans l’évolution de la ville.
Deux autres villes encore, Helsinki et Barcelone, appliquent le système d’un musée
historique municipal formé de plusieurs bâtiments et centres d’exposition. Dans les
deux cas, cette configuration s’explique par l’histoire de l’institution et l’agrégation
progressive de nouvelles entités à une structure classique, primitivement solitaire.
Créé en 1911, l’Helsinki City Museum est au départ installé dans une grande villa
du xixe siècle 549. Au début des années 1960, la ville hérite d’un manoir sur les
hauteurs de la capitale, qu’elle transforme en musée d’arts décoratifs et rattache
administrativement au musée historique. Le mouvement s’accélère ensuite à partir
des années 1980 et surtout 1990, avec l’acquisition par la municipalité de plusieurs
bâtiments qu’elle muséalise, diversifiant de la sorte les activités du musée 550, dont le
centre névralgique, qui présente l’exposition de référence sur l’histoire de la capitale
finlandaise, a entre-temps déménagé vers le cœur de la ville. Parmi ces nouvelles
antennes thématiques se trouvent notamment : la Burgher’s House, plus ancienne
maison en bois d’Helsinki, décorée dans le style des années 1860, qui reconstitue
la vie domestique d’une famille de la classe moyenne de cette époque ; le Worker
Housing Museum, immeuble social construit pour les employés et ouvriers muni-
cipaux au début du xxe siècle ; un dépôt de trams avec sa collection de machines
retraçant l’histoire du transport en commun, transformé depuis en centre culturel…
Le MuhBa, Museu d’Història de Barcelona, inauguré en 1943, a lui aussi longtemps
été assimilé à un site unique, celui de la plaça del Rei, qui correspond à l’empla-
cement des vestiges de la ville romaine de Barcino découverts au cours de fouilles
des décennies précédentes. Ce premier musée est essentiellement archéologique
et concentre son discours sur la ville de l’Antiquité et du Moyen Âge. En 1998, la
548 Roversi-Monaco Fabio, « A historical and artistic itinerary of the city » et Buscaroli Beatrice,
« A museum-workshop for the city of Bologna », in Campanini et Negri, The Future of City Museums,
op. cit., p. 229-234 et p. 253-260.
549 Peltonen Jarno, « Musée de la ville d’Helsinki, Finlande », in Museum, vol. 32, no 1-2, 1980, p. 52-56.
550 Entretien avec Tiina Merisalo, directrice de l’Helsinki City Museum (21 mars 2011).
167
Le musée de ville
municipalité réorganise ses musées et collections, avec pour objectif de les regrou-
per en un petit nombre d’institutions mieux gérées 551. Le MuhBa devient alors
un musée de musées, dans la mesure où, à l’ensemble monumental de la plaça
del Rei, sont associés plusieurs musées et centres d’interprétation – le monastère
gothique de Pedralbes, la maison de l’écrivain Jacint Verdaguer, la conciergerie du
parc Güell, conçue par Gaudí… Par ailleurs, le MuhBa projette actuellement d’élar-
gir considérablement son propos historique par l’intégration prochaine de deux
lieux en cours de réaffectation pour accueillir chacun une nouvelle section chro-
nologique 552 : les Temps modernes et le xixe siècle dans l’ancien marché central
du quartier du Born, et les xxe et xxie siècles dans une usine désaffectée au cœur
de Poblenou, un district auparavant industriel en pleine reconversion, désormais
transformé en lieu d’expression des plus grands architectes contemporains ( Jean
Nouvel, Herzog & de Meuron…). L’exposition permanente du musée sera alors
répartie en trois sites différents, chacun d’entre eux centré sur l’époque dont le
bâtiment lui-même est le témoin. À notre connaissance, cette démarche origi-
nale, déployée à l’échelle d’une grande ville, de la fragmentation cohérente du dis-
cours muséal en différents lieux qui le contextualisent reste sans équivalent dans
le domaine des musées d’histoire.
Enfin, le dernier phénomène significatif que nous développerons concernant l’évo-
lution récente de la catégorie muséale est celui de la constitution d’associations
internationales qui lui sont spécifiquement consacrées, avec pour conséquence la
médiatisation depuis vingt ans de l’expression « musée de ville » pour désigner tout
ou partie des institutions du type de celles décrites dans cet ouvrage. Trois de ces
réseaux, respectivement fondés en 1993, 2005 et 2010, seront brièvement évoqués
pour témoigner de l’implication actuelle de nombreux musées dans la mise en place
de projets collectifs, en vue de nourrir une réflexion sur leur objet d’étude commun
et d’officialiser les relations qui existent entre eux. Ce constat ne doit cependant
pas occulter une réalité évidente, qui est celle de l’existence bien antérieure, dès le
xixe siècle, de contacts personnels entre musées et d’influences réciproques.
La dynamique de regroupement des musées d’histoire urbaine en réseaux pro-
fessionnels est initiée en 1993 par le Museum of London, à l’origine de la création
de l’Association internationale des musées de ville (AIMV), la toute première du
genre. Près de trente établissements – essentiellement européens et nord-américains,
comprenant le Centre d’Histoire de Montréal, l’Amsterdams Historisch Museum
ou le Museum of the City of New York – prennent alors part à l’adoption du texte
concrétisant la naissance d’un réseau délibérément informel : toute personne ou
organisme portant un intérêt au passé, présent et avenir des villes du monde est
libre de s’y investir, en dehors de tout cadre institutionnel et de toute procédure
d’inscription 553. Après l’événement londonien, l’Association internationale des
551 Ubero, « Le musée d’Histoire de la Ville de Barcelone », in Fonseca Brefe, Gervereau et Morel-
Deledalle, Comment inscrire les musées…, op. cit., p. 140-147. Hebditch, « Portraying the city in European
museum », in Kavanagh et Frostick, Making city…, op. cit., p. 102-113, p. 108-109.
552 Entretien avec Juan Roca, Directeur du Museu d’Història de Barcelona (13 octobre 2010). Roca I Albert
Joan, MuhBa, City History Museum of Barcelona, Summary of the museum’s new strategic plan, Barcelone, 2008.
553 « Agreed terms of reference for an International Forum for City Museum », in Johnson, Reflecting
cities, op. cit., annexe 2.
168
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
musées de ville est réunie en trois occasions, rassemblant chaque fois une large
audience de spécialistes issus du milieu muséal et des universités : au Museu d’His-
tòria de Barcelona en 1995, au musée d’Histoire de la ville de Luxembourg en 2000
et enfin à celui d’Amsterdam en 2005. Les questions débattues au cours de ces
rencontres sont diverses et concernent aussi bien la façon dont les musées de ville
peuvent refléter les changements politiques du monde contemporain – le premier
169
Le musée de ville
colloque, à Londres, n’intervient finalement que très peu de temps après la chute
du bloc soviétique –, que le multiculturalisme, la nature et les critères de sélection
des collections à conserver ou encore le rôle que peut jouer le musée auprès des
citoyens. En douze années d’existence, l’Association internationale des musées de
ville a durablement marqué de son empreinte l’objet « musée de ville », qu’elle a
largement contribué à faire connaître et à problématiser.
En avril 2005, quelques mois seulement avant la tenue de la quatrième conférence
de l’AIMV, c’est dans la capitale russe qu’un nouveau réseau est porté sur les fonts
baptismaux, à l’initiative de la directrice générale du musée de la Ville de Moscou,
qui en devient la première présidente. Il s’agit du Camoc, trentième Comité inter-
national thématique de l’Icom, dont l’acronyme signifie Collections and Activities of
Museums of Cities 554. Le projet de fonder un comité sur les musées de ville au sein
de l’Icom remonte à la Conférence générale de Barcelone en 2001, où un groupe
de travail réunissant plusieurs représentants de musées consacrés aux villes est mis
en place. Parmi les arguments avancés par les partisans d’un nouveau comité figure
en bonne place la volonté de voir enfin reconnaître au musée de ville une existence
institutionnelle véritable et pérenne en tant que catégorie ; ce rôle ne pouvant, par
définition, échoir au réseau informel de l’AIMV, dont le rythme des activités se
révèle par ailleurs irrégulier. En 2004, lors de la Conférence générale de l’Icom à
Séoul, le Conseil exécutif de l’organisation approuve officiellement la proposition
de créer un comité consacré aux musées de ville, dont le mission statement rédigé
l’année suivante présente d’indéniables similitudes avec le texte de 1992 annon-
çant la création de l’Association internationale des musées de ville :
« Le Camoc a pour objectif de stimuler le dialogue et la coopération entre les musées en
les soutenant et en les encourageant à collecter, protéger et présenter des pièces ori-
ginales liées au passé, au présent et à l’avenir de la ville, renforçant ainsi son identité et
contribuant à son développement 555. »
Dans l’histoire des réseaux de musées de ville, 2005 est une année charnière car l’en-
trée du Camoc sur la scène publique coïncide presque exactement avec la dernière
conférence de l’AIMV. Cependant, la nouvelle structure n’occupe pas exactement
la place laissée vacante par l’ancienne, dans la mesure où l’origine géographique
des membres de chacune des deux associations diffère : la majorité des partici-
pants aux activités de l’AIMV sont des Occidentaux, alors que c’est en Russie et
dans les pays d’Europe orientale issus du démembrement de l’Union soviétique
que sont situés la plus grand part des musées fondateurs du Camoc 556.
554 Zell Eloisa, « Camoc : le 30e Comité international de l’Icom est né », in Les nouvelles de l’Icom, vol. 58,
no 2, 2005, p. 10.
555 Icom (International Council of Museums) [en ligne], http://icom.museum/qui-sommes-nous/les-comites/
comites-internationaux/comites-internationaux/comite-international-sur-les-collections-et-activites-des-
musees-des-villes/L/2.html (page consultée le 18/05/2015).
556 Certaines institutions actives dans le domaine de l’histoire de la ville, comme les musées de Luxembourg,
d’Amsterdam ou d’Helsinki, déjà affiliées au Comité international de l’Icom pour les musées d’Archéolo-
gie et d’Histoire (ICMAH), font d’ailleurs à ce moment le choix de ne pas s’affilier au Camoc. La prédo-
minance de la Fédération de Russie parmi les membres du Camoc ne faiblit pas avec le temps : en 2012,
un quart des membres individuels du comité en sont originaires. Ils sont notamment deux fois plus nom-
breux que les Nord-Américains. Rapport annuel du Camoc en 2012.
170
Chapitre 4 – Des modèles en mutation
171
Conclusion
À travers cet ouvrage, le phénomène de l’exposition de la ville dans les musées a été
approché sous deux angles complémentaires : d’une part l’histoire d’une théma-
tique muséale, depuis ses origines jusqu’aux créations les plus contemporaines, et
d’autre part l’émergence d’un phénomène de regroupement de ces établissements,
ou du moins d’une partie d’entre eux, en une catégorie en vue de leur assurer plus
de visibilité et une représentation institutionnelle jusqu’alors ignorée.
Nous avons d’abord tenté de montrer qu’aucune réponse évidente ne peut être
apportée à un problème simple en apparence : comment définir le « musée de
ville », expression devenue courante depuis près de vingt ans dans certains cercles
professionnels et la littérature spécialisée ? Le succès de son processus d’institu-
tionnalisation, entrepris à partir de 1993 grâce au directeur du Museum of London,
est indéniable. Cette notion, dont la forme est incontestablement fixée parmi la
communauté muséale, est aujourd’hui durablement attachée à l’idée d’une catégo-
rie particulière de musées. Il n’en va pas de même en ce qui concerne son contenu,
caractérisé par une double nature, à la fois polémique et polysémique.
En novembre 2013, le City history museums and research network of Europe, jeune
réseau dont il a été question précédemment, publie la Déclaration de Barcelone sur
les musées de ville européens 561. À partir de quelques concepts-clés comme l’impli-
cation des citoyens, l’identité, le multiculturalisme, le musée comme lieu de ren-
contre et de discussion ou encore la cohésion sociale, l’ambition de ce texte est de
circonscrire les contours, les rôles et les missions du musée de ville au xxie siècle.
Ce faisant, il synthétise parfaitement les différents constats établis à la suite de
l’étude des discours produits sur le sujet entre 1993 et 2008, développés dans le
premier chapitre. L’accent est ainsi mis dans le document sur la diversité des musées,
dépendant de leur taille, du type de collections qu’ils conservent, de leur période
de création, de leur approche disciplinaire…, qui rend finalement stérile toute
tentative d’établissement d’une typologie. Pour les signataires de la Déclaration de
Barcelone, le vrai point qui unit tous ces musées reste leur objet d’étude commun :
la présentation de la ville et de ses habitants auprès d’une audience mixte com-
posée des résidents et des touristes.
C’est ensuite un panorama diachronique de cent cinquante années de projets
muséaux en relation avec le sujet de la ville qui a été dressé au cours des trois
chapitres suivants. À la question de l’adéquation de ces projets avec leur temps,
la réponse est résolument affirmative : l’histoire des musées consacrés à l’exposi-
tion de la ville se confond avec celle de l’institution muséale dans son ensemble.
Elle en constitue même un résumé microcosmique saisissant. Depuis la seconde
moitié du xixe siècle, chaque strate de l’évolution conceptuelle et formelle des
musées trouve un écho dans le traitement muséal du thème de la ville, tour à tour
561 Roca I Albert Joan et Kistemaker Renée (ed.), The Barcelona Declaration on European City Museums,
Barcelone, City history museums and research network of Europe, 8 novembre 2013.
173
Le musée de ville
174
Annexe
Les dix-sept événements analysés
dans le cadre de la recherche
Nom Lieu et date Type Organisateur/Éditeur
1 Reflecting cities 1 Londres, avril 1993 Colloque
Association internationale
des musées de ville
2 City museums, towards the third Barcelone, avril 1995 Colloque Association internationale
millennium 2 des musées de ville
3 Les musées de la ville 3 Paris, Publication Museum international
septembre 1995
4 Making city histories in museums 4 Leicester, 1998 Publication University of Leicester
5 The Future of the Past. Reflections Anvers, 1999 Publication Stad Antwerpen
on history, urbanity and
museums 5
6 Une histoire sans limites ? Points Luxembourg, Colloque Association internationale des
de vue, point d’interrogation, mai 2000 musées de ville, Association
points de suspension… 6 internationale des musées
d’histoire et Icmah
7 Un musée pour une ville 7 Bruxelles, avril 2002 Colloque Musée de la Ville de Bruxelles
8 Comment inscrire les musées Marseille, juin 2003 Colloque Association internationale
de ville dans la ville ? 8 des musées d’histoire
9 Camoc’s constituent conference 9 Moscou, avril 2005 Colloque Camoc
10 Musée et ville 10 Berlin, mai 2005 Colloque Icom-France
11 City museums as centres of civic Amsterdam, Colloque Association internationale des
dialogue ? 11 novembre 2005 musées de ville, Association
internationale des musées
d’histoire et Icmah
12 I musei della città 12 Rome, Colloque Università Roma Tre
décembre 2005
13 Cities’ Portraits in City Museums. Volos, avril 2006 Colloque Centre municipal des
Global stances, local practices 13 recherches historiques et
documentation de Volos
14 Museums of cities : gateways Boston, mai 2006 Colloque Camoc
to understanding urban life 14
15 The future of city museums Bologne, juillet 2007 Colloque European Museum Forum
in Europe : experiences and et Fondation Carisbo
perspectives 15
16 City museums and city Vienne, août 2007 Colloque Camoc
development 16
17 City museums and the future of Séoul, octobre 2008 Colloque Camoc
the city 17
1 Johnson Nichola (ed.), Reflecting cities. The proceedings of a symposium, Londres, Museum of London, 1993.
2 Nicolau Antoni (ed.), Second international symposium on city museums, Final programme, lecture and abs-
tracts, Musée d’Histoire de la Ville de Barcelone, Barcelone, 1995.
3 Les musées de la ville, Museum international, vol. 47, no 187, Paris, Unesco, septembre 1995.
4 Kavanagh Gaynor et Frostick Elizabeth (ed.), Making city histories in museums, Londres et Washington, Leicester
University Press, coll. « Making histories in museums », 1998.
5 Nauwelaerts Mandy (ed.), De toekomst van het verleden. The Future of the Past. Reflections on history, urbanity
and museums, Anvers, Stad Antwerpen, 1999.
6 Mersch Corina (éd.), Une histoire sans limites ? Points de vue, points d’interrogation, points de suspension…, Luxembourg,
musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 2000.
175
Le musée de ville
7 Laveleye de Bérengère, Vandenbulcke Anne et Vanrie André (éd.), Un musée pour une ville, Bruxelles, musée de la
Ville de Bruxelles, coll. « Studia Bruxellae », no 2, 2003.
8 Fonseca Brefe Ana Claudia, Gervereau Laurent et Morel-Deledalle Myriame (coord.), Comment inscrire les musées
de ville dans la ville ?, Paris et Marseille, Association internationale des musées d’histoire, 2003.
9 CAMOC, [en ligne], http://network.icom.museum/camoc/conferences/moscow-2005/.
10 Musée et ville, Lettre du Comité national français de l’Icom, no 30, actes de l’assemblée générale Icom-France à
Berlin (20-22 mai 2005), Paris, Icom-France, décembre 2005.
11 Kistemaker Renée (ed.), City museums as centres of civic dialogue ?, Amsterdam, Amsterdams Historisch Museum, 2006.
12 Calabi Donatella, Marini Paola et Travaglini Carlo (dir.), I musei della città, Città & Storia, no 1-2, Anno III, Rome,
Associazione italiana di storia urbana (AISU) et Università degli studi Roma Tre, 2008.
13 Cities’ portraits in city museums, Global stances, local practices, [en ligne], http://www.diki.gr/EN/museum_conf.html.
14 Vinson Isabelle et Macdonald Robert R. (éd.), Vie urbaine et musées, Museum international, no 231, Paris, Unesco, 2006.
15 Campanini Graziano et Negri Massimo (ed.), The Future of City Museums in Europe : experiences and perspectives,
Bologne, Bononia University Press, 2008.
16 Jones Ian, Macdonald Robert R. et McIntyre Darryl (ed.), City museums and city development, Lanham, AltaMira
Press, 2008 [1re édition de poche : 2010].
17 CAMOC [en ligne], http://network. icom. museum/camoc/conferences/seoul-2008/.
176
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189
Index
A
Adenauer, Konrad, 117
Albert de Saxe-Cobourg, 39
Alexandra, reine du Royaume-Uni, 91
Alphand, Jean-Charles, 70
Amiens
musée de Picardie, 43
musée Napoléon, 43
Amsterdam
Amsterdams Historisch Museum – Amsterdam Museum, 133, 134, 160, 168
Rijksmuseum, 133
Anacostia
Anacostia Neighborhood Museum, 124
Anderson, Benedict, 35
Anvers
Museum aan de Stroom (MAS), 158
Arles
Museon Arlaten, 80
Arthurs, Joshua, 115
B
Bakou, 120
Baltimore
Municipal Museum of the City of Baltimore, 106
Bandon, Richard, 94
Baragwanath, Albert, 98, 105
Barcelone
Museu d’Història de Barcelona (MuhBa), 41, 167, 169, 171
Berlin
Kaiser-Friedrich Museum, 76
Märkisches Museum, 165
The Story of Berlin, 165
Berty, Adolphe, 62
Bode, Wilhelm von, 76
Bologne
Genus Bononiae, 167
Museo Civico Archeologico, 55
191
Le musée de ville
Boston
Massachusetts Historical Society, 45
Old State House, 46
Bourgeois, Victor, 90
Brett, Reginald (Lord Esher), 91
Brown Goode, George, 13
Bruges
Bruggemuseum, 166
Bruxelles
Académie des beaux-arts, 81
musée de la Ville de Bruxelles, 80, 85, 86
Musée populaire, 50
musées royaux d’Art et d’Histoire, 103
musées royaux des Beaux-Arts, 81
Urbaneum, 90
Budapest
Magyar Nemzeti Múzeum, 36
Buls, Charles, 50, 80, 81, 82, 85, 102
C
Capart, Jean, 103
Caumont, Arcisse de, 43
Celle
Heimatmuseum, 51
Chalon-sur-Saône, 43
Charles Ier, roi d’Angleterre, 94
Chevreau, Henri, 65
Chicago
Chicago Historical Society, 46
Cologne
Haus der Rheinischen Heimat, 113, 117, 118
Kölnisches Stadtmuseum, 87, 113, 117, 118
Copenhague
Nationalmuseet, 37
Cousin, Jules, 72, 74
Cromwell, Oliver, 94
D
Dana, John Cotton, 100
Deferre, Gaston, 136
Detroit
Detroit Historical Museum, 106
192
Index
E
Édimbourg
Outlook Tower, 90
The People’s Story, 152
Edward VII, roi du Royaume-Uni, 91, 94
Elizabeth II, reine du Royaume-Uni, 91
Erevan, 1 20
F
Ford, Henry, 108
forteresse Pierre-et-Paul, 120
Francfort
Historisches Museum Frankfurt, 87, 125, 156, 157
G
Gailhabaud, Jules, 70, 71, 72
Gand
STAM, 1 62
Geddes, Patrick, 88, 90, 100
George V, roi du Royaume-Uni, 91, 94
Giovo, Paolo, 33
Goebbels, Joseph, 117
Goodwin, William, 107, 108
Groult, Edmond, 52, 53
Guizot, François, 38, 44
H
Hainard, Jacques, 156
Harcourt, Lewis, 91
Haussmann, Eugène, 55, 58, 59, 60, 61, 63, 64, 65, 70
Hazelius, Arthur, 109
Helsinki
Helsinki City Museum, 167
J
Jamaer, Pierre-Victor, 84
193
Le musée de ville
K
Kansas City
Kansas City Museum, 106
L
La Haye
Haags Historisch Museum, 87
Le Corbusier, 128
Le Creusot
écomusée du Creusot, 138
Lenoir, Alexandre, 37
Liège, 4 0, 44
Liesville, Alfred de, 74
Liverpool
Museum of Liverpool, 158
Londres
Barbican Estate, 128
Crystal Palace, 39
Guildhall Museum, 127
Kensington Palace, 91, 94
Lancaster House, 94
London Museum, 90, 91, 94, 127, 131, 132
Madame Tussauds, 94
Museum of London, 17, 95, 116, 126, 127, 128, 130, 132, 136, 145, 146, 147,
160, 161, 168, 173
Museum of London Docklands, 145
South Kensington Museum, 34
Louis-Philippe Ier, roi des Français, 38, 63
Louis XIV, roi de France, 112
Luxembourg
musée d’Histoire de la ville de Luxembourg, 154, 156, 169
musée national d’Histoire et d’Art, 155
Lyon
musée d’Art et d’Industrie, 71
musée Gadagne, 41
M
Malraux, André, 136
Marseille
musée d’Histoire de Marseille, 136, 161
Mexico, 1 24
Montréal
Centre d’histoire de Montréal, 139, 140, 148, 151
château Ramezay, 48
194
Index
N
Namur
Musée archéologique de Namur, 44
Nancy
Musée lorrain, 43
Napoléon III, 43, 59, 61, 63, 64, 112
Neuchâtel
musée d’Ethnographie de Neuchâtel, 156
New York
American Museum of Natural History, 99
Bronx Zoo, 99
Carnegie Hall, 99
Central Park, 99
Gracie Mansion, 98, 99
Lower East Side Tenement Museum, 152
Manhattan, 105
Metropolitan Museum of Art, 99
Museum of the City of New York, 15, 16, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104,
105, 106, 108, 124, 168
New York Historical Society, 45, 98
Nijni Novgorod, 41
Nouvelle-Angleterre, 45
Nuremberg
Germanisches Nationalmuseum, 36
O
Orléans, 43
Oslo
Oslo Museum, 87
Otlet, Paul, 90
Ottawa, 48
195
Le musée de ville
P
Paris
Champ-de-Mars, 40
Conservatoire national des arts et métiers, 34
couvent des Petits-Augustins, 37
Marais, 57
Montmartre, 44
musée Carnavalet, 13, 15, 31, 34, 44, 49, 56, 57, 58, 60, 61, 63, 64, 65, 66, 69, 70,
71, 72, 73, 74, 75, 76, 77, 79, 80, 86, 91, 95, 97, 98, 101, 115, 117, 126, 127, 133,
142, 174
musée de Cluny, 1 36
musée de l’Armée, 113
musée de l’Ustensillage, 70, 71
musée des Arts et Traditions populaires, 71
musée des Monuments français, 36, 38
musée du Louvre, 43, 107
musée du Trocadéro, 34, 71
musée Grévin, 9 4
place des Vosges, 58, 75
Périgueux, 43
Philadelphie
Atwater Kent Museum, 106
Philippe-Auguste, 63
Pie IX, 1 16
Pie VI, 116
Pittsburgh, 15
Poisson, Charles, 61, 62, 65, 66, 68, 69, 70
Prague, 120
Q
Quatremère de Quincy, Antoine, 107
Québec
Centre d’interprétation de la vie urbaine, 140, 141
R
Richmond, 107
Riga, 120
Rivière, George Henri, 25, 52, 117, 118, 138
Rockefeller, John D. Jr, 99, 108
Rome
château Saint-Ange, 114, 116
Museo di Roma, 113, 114, 115, 116, 117
Roosevelt, Franklin Delano, 107
196
Index
S
Saint-Germain-en-Laye
musée des Antiquités nationales, 34
Saint-Pétersbourg
musée de l’Histoire et du Développement de Leningrad, 120
musée du Vieux-Pétersbourg, 119
Saint-Quentin-en-Yvelines
musée de la Ville de Saint-Quentin-en-Yvelines, 138, 151
São Paulo
musée de la Personne, 151
Shanghai
Shanghai History Museum, 163
Sienne
Palazzo Pubblico, 55
Sorensen, Colin, 131
Stockholm
Nordiska Museet, 34, 39, 80
Skansen Museet, 109
Strasbourg
Musée historique de Strasbourg, 112, 113
palais Rohan, 112
Sudbury
Wayside Inn, 108
T
Tallinn, 120
Tbilissi, 1 20
Tilden, Freeman, 110
Tisserand, Lazare-Maurice, 65, 66, 67
Toronto, 4 8
U
URSS, 1 19
V
Van Pelt, John V., 10, 11, 15, 16, 21, 97, 99, 100, 101, 102, 106, 125
Vaquer, Théodore, 63
Varsovie
musée d’Histoire de Varsovie, 120
Versailles
château de Versailles, 37, 38
musée de l’Histoire de France, 37
Victoria, reine du Royaume-Uni, 91, 92, 94
197
Le musée de ville
W
Wauters, Alphonse, 81
Williamsburg
Colonial Williamsburg, 107, 109, 110, 139
Wilson, John-Waterloo, 81
Y
York
York Castle Museum, 110
198
Crédits photographiques
Pour l’ensemble des documents reproduits :
© Jean-Louis Postula.
Exceptés :
p. 115 : © séminaire de muséologie, université de Liège ;
p. 131 : © Museum of London.
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et les photographies non cités dans la présente liste.