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Morgane Pierson Étude typographique du système d’écriture nsibidi,

des pictos-idéogrammes du Nigeria

2017-2019 Atelier National de Recherche Typographique


L’écriture est la forme solide du langage, son précipité. La parole sort de nos
bouches, de nos mains, de nos yeux comme une forme liquide et s’évapore aussitôt.
Il me semble que cela fait partie d’un cycle naturel : une des façons du climat pour se
former sur l’océan du sens. Que sont ces mots que nous lâchons comme des galets
dans l’océan sinon une condensation de parole évaporée, des parts recyclées de ce
même océan du sens ? Pourtant, le langage peut aussi se solidifier — en cristaux
irisés, tranchants, symétriques, en structure proche de la grêle, en couche de schiste
ou en boue. Dans leur forme solide ou liquide, les croisements de sens peuvent se
renforcer ou s’effacer l’un l’autre.
Pour porter la métaphore à terre, l’écriture est le langage déplacé du mode de
la parole ou du geste immédiat vers le mode du souvenir — un peu comme les
coquillages, le bois flottant et les traces de pas sur la plage. L’écriture est faite de
restes — mais de ceux que certains estiment autant que le repas originel ou
l’organisme mère, même.

Le poète, dessinateur de caractères et linguiste Robert Bringhurst dans La forme solide


du langage, Ypfilon.éditeur, Bibliothèque typographique, Paris, 2011
Cette étude présente une partie de mes recherches
menées à l’ANRT. J’ai travaillé conjointement au
sein du programme de recherche The Missing Scripts
et sur le système d'écriture nsibidi. Par des
problématiques communes, chacun de ces projets
a nourri l’autre dans l’étude, le développement et
la valorisation d’écritures minoritaires n’ayant
jamais eu de formes typographiques.

Morgane Pierson, ANRT 2019
Étude typographique du système d’écriture
nsibidi, des pictos-idéogrammes du Nigeria

p. 7 Introduction

p. 11 Contexte historique du nsibidi, du pré-colonialisme


à sa découverte au IXe siècle
1.0 La société Ekpe ou « hommes-léopards »
1.1 Relations entre sociétés traditionnelles et colonisation
1.2 Répercussions post-coloniales

p. 19 Analyse du point de vue linguistique et étude des formes


2.0 Support et outils
2.1 Les signes et leur composition
2.2 Analyses et comparaisons formelles

p. 35 Du système d’écriture à la typographie


3.0 Réflexions sur le statut « d’écriture »
3.1 Quelle approche du « non-latin » ?
3.2 L’étude historique pour une quête d’authenticité
et de diversité formelle
3.3 Solutions techniques au développement de systèmes
d’écriture complexes

p. 55 Les difficultés pour donner une forme typographique


à un système d’écriture tel que le nsibidi

p. 61 Conclusion

p. 70 Iconographie

p. 71 Bibliographie
Signes nsibidi, Talbot P. A., In The Shadow of the Bush, 1917 fig. 01

Nsibidi sur les costumes du film fig. 03


Black Panther (2018)

Nsibidi sur calebasse, site archéologique, IXe siècle fig. 02


Introduction

Le nsibidi est un système d’écriture pictographique et idéographique originaire du


sud du Nigeria. On ignore encore la date de création du nsibidi, mais les plus
anciennes traces mises au jour sur un site archéologique au centre de Calabar,
prouvent son existence aux alentours du IXe siècle. Le premier rapport de
missionnaires britanniques qui confirma l’existence de ces signes fut écrit par le
commissaire de district de Calabar, Thomas Doveton Maxwell en 1904. C’est ensuite
le révérent J.K. MacGregor1 qui en 1909 rapporta 24 signes traduits, suivi en 1911 par
Elphinstone Dayrell2 (également commissaire de district) et le botaniste et
anthropologue Percy Amaury Talbot3 en 1912. Les efiks (ethnie de 200 000 individus
habitant principalement la capitale de la Cross River, Calabar) sont considérés par
beaucoup comme les inventeurs du nsibidi mais il est possible qu’ils l’aient acquis
par les ekoïs (groupe ethnique de 400 000 individus vivant à la frontière Nigeria-
Cameroun). Par les emprunts successifs et les échanges avec d’autres codes locaux,
le nsibidi est donc commun à diverses populations de la région de la Cross River au
sud-est du Nigeria, région où l’écriture, l’art et le rituel sont intimement liés.

Les pictos-idéogrammes du nsibidi sont assez peu connus par le grand public, bien
que ces signes fassent de manière ponctuelle leur apparition dans la culture
populaire comme dans le film Black Panther4. Si dans ce cas précis, il est question de
rendre hommage à une culture africaine dévalorisée et une minorité afro-
américaine délaissée aux États-Unis, les pratiques étrangères au monde occidental
ont souvent été la proie (souvent à leurs dépends) des curiosités — comme le montre
l’article de National Geographic5 en avouant avoir fait preuve de racisme dans certains
reportages jusqu’aux années 1970. John Edwin Mason, professeur à l'Université de
Virginie spécialisé dans l’histoire de la photographie et de l’histoire de l’Afrique, a
été chargé de faire cet état des lieux. Il précise dans cet article : « Si je parlais à mes
étudiants de la période qui a précédé les années 1960, je dirais : ‘Faites attention à ce
que vous pensez apprendre ici’. Et en même temps, il faut reconnaître à National
Geographic d’avoir pu durant cette période faire découvrir aux gens des choses que
nous n’avions jamais vues auparavant. Il est possible de dire qu’un magazine peut

1 J. K. MacGregor, The Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, « Some Notes on
Nsibidi », Vol. 39, 1909, PP. 209-219
2 Elphinstone Dayrell, The Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, « Further
Notes on Nsibidi Signs with their Meanings from the Ikom District, Southern Nigeria », Vol. 41, 1911, PP.
521-540
3 P. Amaury Talbot, In The Shadow of the Bush, 1917, PP. 447-461
4 Coogler R., Cole J. R., Feige K., Boseman C., Jordan M. B., Nyong’o L., Gurira D., Buena Vista Home
Entertainment (Firm), Black Panther, 2018
5 Susan Goldberg, https ://www.nationalgeographic.fr/photographie/pendant-des-decennies-nos-
reportages-etaient-racistes-pour-nous-en-detacher-il-nous, publié le 12/03/2018, consulté le 15/03/2018

7
Signes nsibidi, Elphinstone Dayrell, 1911 fig. 04
ouvrir les yeux des gens en même temps qu’il les ferme ». Sur ce point on peut
reconnaître aux missionnaires et anthropologues de l’époque coloniale qu’ils ont
permis des avancées dans la connaissance et la recherche sur certaines pratiques
culturelles et sociologiques étrangères aux occidentaux.
Pour le cas du nsibidi, la plupart des sources qui existent aujourd’hui ont été
rapportées par des missionnaires britanniques et les recherches récentes portant sur
cette écriture se basent encore sur leurs écrits. Cependant, nous avons conscience
aujourd’hui des conséquences désastreuses que la colonisation a fait subir aux
populations natives. C’est donc dans un contexte sombre d’exploitation,
d’accaparement de ressources (et parfois de populations) que des missionnaires et
des militaires britanniques vont, par leur curiosité et leur intérêt vis-à-vis de la
culture locale, permettre la sauvegarde de savoirs, d’artefacts ou dans notre cas, de
systèmes d’écriture.

Dans ces conditions, comment doit-on se placer par rapport aux écrits de ces
missionnaires ? Quelle légitimité et quelle fiabilité peut-on leur accorder ? Ce qui
nous amène à nous poser la question comment aborder une écriture qui n’est pas la
nôtre ? Ou encore comment étudier une écriture minoritaire et indéchiffrée ? Aussi,
est ce que le fait d’extraire ces signes, qu’ils soient sacrés ou profanes, de leur
contexte et de leur support ne leur fait pas perdre tout leur sens ?
Il sera donc nécessaire d’étudier en premier lieu le contexte historique du
nsibidi, du pré-colonialisme à sa découverte au IXe siècle. Dans un deuxième temps,
nous analyserons les picto-idéogrammes d’un point du vue formel et linguistique
mais aussi ses supports et outils. Ensuite nous nous intéresserons au passage d’un
système d’écriture à la typographie et enfin, nous ferons un constat de cette période
de recherche, et des difficultés rencontrées pour donner une forme typographique à
un système d’écriture tel que le nsibidi.

9
Procession ekpe fig. 05
Contexte historique du nsibidi,
du pré-colonialisme à sa découverte
au IXe siècle

1.0 La société ekpe ou « hommes-léopards »

Les principaux utilisateurs du nsibidi sont les individus de l'institution ekpe (ou
« hommes-léopards ») qui permet la régularisation sociale au sein de l’ethnie des
efiks1. Composé d’un groupe élitiste d’individus masculins, l’institution imposait
les règles socio-économiques de la Région de Calabar.
Selon les historiens et anthropologues Ivor Miller et Matthew Ojong, ekpe
aurait joué quatre rôles majeurs dans la vie pré-coloniale2. D’abord c’est l’institution
qui octroyait ou non le statut de citoyen et ainsi le droit de prendre des décisions
importantes dans la société. Elle représentait aussi l’autorité exécutive et donc le
pouvoir de punition. Par exemple si un membre désobéissait à la loi, l’institution
pouvait choisir de lui confisquer des biens. Les membres d’ekpe s’occupait
également des divertissements comme la danse, la musique ou l’organisation de
mascarades3. Enfin l’institution ekpe était une école ésotérique où les membres
donnaient des enseignements sur le sens de la vie et le processus cyclique de
régénération et donc de réincarnation de l’être.

Par leur emploi du nsibidi, l'institution ekpe donnait à ses signes une forte fonction
sociale et politique. En effet, le sens de certains signes est en principe connu des ses
seuls affiliés, mais pouvaient être montrés en public pour montrer la puissance
d’ekpe : les non-initiés les reconnaissaient comme étant les insignes de l’institution
et respectaient les personnes ou les lieux qui en étaient revêtus. Il existait sept rangs
dans la hiérarchie sociale ekpe, le plus élevé étant appelé « Nchibbi » et était censé
connaître la signification de l’ensemble des glyphes du nsibidi. En outre, le degré de
connaissance de l’écriture définissait le rang dans l’échelle sociale. Ainsi, le secret de
la signification de ces signes était censé assurer une juste redistribution des savoirs
et des profits de toute la population. Le nsibidi était donc, plus qu’une écriture,
c’était aussi une garantie d’ordre, de paix sociale et de protection du commerce.
Aussi, l’importance politique du nsibidi peut être révélée par une anecdote : suite à
la colonisation, les efiks auraient remis aux autorités britanniques lors d’une
cérémonie solennelle le secret de leur écriture comme signe de soumission.
Il est important de ne pas réduire ekpe à un clan ou une secte (du moins à
l’époque pré-coloniale). Ekpe représentait l’ensemble de la communauté et les
décisions prises affectaient tous les citoyens. Selon la région et le groupe ethnique,

1 Sous-groupe de l’ethnie des ibibios. Les ibibios représentent 3% de la population nigérianne et sont
en sixième position dans le classement des 71 plus grandes ethnies du pays.

2 Ivor Miller, Matthew Ojong, Ethnic and Racial Studies, « Ékpè ‘leopard’ society in Africa and the
Americas : influence and values of an ancient tradition », 2012, PP. 01-16

3 Rassemblement, défilé de personnes déguisées et masquées.

11
Ukara (pagne), insigne de l'institution ekpe fig. 06

Représentation d'une hutte igbo par P. A Talbot, 1917 fig. 07


les femmes étaient généralement exclues du cercle décisionnel. Le chef de
l’institution préférait toujours initier son premier fils mais il pouvait parfois
prendre la décision d’initier une de ses filles. Cependant cette initiation restait
honorifique et esthétique. Dans certaines régions, seules les femmes âgées étaient
autorisées à participer à certaines activités ou à pénétrer dans certains lieux sacrés.
Au nord de la Cross River, les femmes étaient invitées à participer plus activement
aux affaires d’ekpe. Il n’existe donc pas de règle à proprement parler quant à la place
de la femme au sein de l’institution ekpe, et cette condition pouvait varier
énormément dans toute la région de la Cross River.
De nos jours, il existe encore quelques représentants de cette institution mais
avec l’occidentalisation, elle a perdu beaucoup de son pouvoir. Le nsibidi reste
cependant présent en particulier grâce à une tendance de revalorisation de la culture
africaine. Quelques artistes contemporains l’intègrent alors dans leurs oeuvres (sans
forcément comprendre la signification des signes). Parmi eux, Viktor Ekpuk qui
questionne l’interaction de l’art et l’écriture par l’exploration des systèmes
graphiques et d’écritures traditionnelles.

1.1 Relations entre sociétés traditionnelles et colonisation

Aujourd’hui, le Nigeria est une république fédérale peuplée de 190 millions


d’habitants4. Pays le plus peuplé d’Afrique, sa capitale est Abuja et sa plus grande
ville Lagos, sur le delta du Niger. Le pays est construit selon des frontières coloniales
arbitraires datant de la conférence de Berlin de 1878, qui sépare l’Afrique entre les
différentes puissances coloniales (France, Grande-Bretagne, Allemagne pour ce qui
concerne le Nigeria). Le pays connaît une grande diversité ethnico-religieuse. En
effet on y parle plus de 250 langues et dialectes. Les trois principaux groupes
ethniques du Nigeria sont les haoussas situés au nord, les igbos au sud-est et les
yorubas au sud-ouest. Les langues qui nous intéressent sont dites igboïdes et sont
transfrontalières avec le Cameroun voisin (région de la Cross River).

Le Nigeria fut en partie une colonie britannique. Longtemps dominée par des entités
politiques musulmanes comme l’empire Kanem-Bornou Haoussa ou le sultanat de
Sokoto, puis par les portugais et les anglais, la région qui nous concerne autour de
Calabar a été un réservoir de populations serviles animistes pour la traite
transsaharienne puis transatlantique. La cité portuaire de Calabar a vu 30% des
esclaves africains du commerce triangulaire passer sur ses quais, soit 2,5 millions de
personnes. Avec la fin de la traite esclavagiste et le congrès de Berlin, la Grande-
Bretagne a développé une activité économique et missionnaire dès le milieu
du XIXe siècle. Le pays est donc séparé en douze protectorats différents, selon des
limites linguistiques plus qu’approximatives. L’effort missionnaire s’est ainsi
concentré sur les provinces du sud. Déjà touchées par le christianisme avec les

4 Estimations 2017 selon l’UN DESA (United Nations Department of Economic and Social Affairs)

13
comptoirs portugais et restées hors de l’influence des prédicateurs islamiques
berbères venus du nord (touaregs, maures…), les populations locales (notamment de
la Cross River) se sont converties progressivement aux différentes églises
occidentales et ont parfois adopté des pratiques syncrétiques originales, comme le
vaudou, aussi présentes au Bénin et au Cameroun. Cette activité missionnaire s’est
accompagnée d’une étude des populations dans la logique des théories ethno-
raciales, d’où un intérêt pour les populations africaines peu connues.
Cet effort s’est conjugué avec une politique d’indirect rule5 typique des colonies
britanniques en créant une élite locale à partir d’une ethnie ou d’un groupe
religieux. Dans les protectorats (puis provinces en 1914) du sud-est, ce sont les igbos
qui ont fourni un important contingent d’administrateurs et de militaires.
Fortement christianisés et interlocuteurs privilégiés des britanniques, ils se sont
très vite démarqués par des revendications nationalistes face aux colonisateurs, puis
face aux musulmans du nord. Modernisées plus rapidement, du fait de la présence
des 2/3 des ressources pétrolières du pays, les populations de la région développèrent
alors des idées indépendantistes en 1951 et les premières violences inter-ethniques
sont apparues à la suite de la constitution du premier gouvernement nigérian.
Indépendantes en 1960, les provinces christianisées majoritairement igbo font
sécessions en 1967, et fondent la république du Biafra. Cette révolte qui créa une
guerre civile et une famine tuant presque deux millions de personnes fut écrasée au
bout de trois ans par l’armée nigériane. Cette réunification par la force créa une
animosité très forte envers certaines ethnies dont les structures traditionnelles
furent bouleversées par la répression et les déplacements de populations. Parmi ces
structures, les confréries traditionnelles animistes (notamment celle de ekpe), si
elles subsistent encore, furent mises à mal par les assassinats des anciens des
villages et la modernisation. Les influences extérieures ont donc eu un rôle
déterminant dans le pays, et plus généralement en Afrique, dans la destructuration
des sociétés traditionnelles et la perte des savoirs.

5 Indirect rule : C’est un système de gouvernement colonial mis au point par le Britannique Lugard pour
le protectorat du Nigeria du Nord au XXe siècle. Il consistait à gouverner les autochtones par
l’intermediaire de leurs chefs, en conservant leur droit et leur coutume. Ce nouveau système de
gouvernement fut qualifié de remarquable, humain, et efficace par les autorités britaniques. Ils
s’engagèrent alors en faveur de sa diffusion dans l’ensemble des colonies. C’est ainsi qu’à compter des
années 1920-1930, l’indirect rule fut mise en place tant à l’est qu’à l’ouest de l’Afrique dans les possessions
britanniques. Mais il s’avera que la politique d’indirect rule apporta davantage de problèmes que de
solutions en créant notamment de nombreux conflits inter-ethniques.
Sarah Rivron,.La notion d’Indirect rule, Thèse Droit, Université de Poitiers, Faculté de droit et sciences
sociales, Institut d’histoire du droit, 2014, PDF
1.2 Répercussions post-coloniales

Si l’on considère que les écrits des missionnaires et militaires du début du XXe siècle
font partie des principales preuves de l’existence de l’écriture nsibidi, doit-on rester
neutre face à leurs rapports ? À quel point étaient-ils intégrés à la population locale ?
Parlaient-ils leurs langues ? Qui leur a inculqué les quelques signes qu’ils ont pu
rapporter et dans quelles conditions ? Où étaient ces signes et sur quels supports ?
Comment étaient-ils tracés avant d’être reproduits au crayon dans un carnet ? Ont-ils
eux-même dessinés les pictos-idéogrammes dans leurs carnets ou ont-ils tendus
leurs crayons au populations locales ? De nombreuses questions sans réponses ou du
moins, pouvons-nous émettre quelques suppositions.

Comme nous l’avons vu, le contexte de la découverte du nsibidi est sombre et rend
les recherches a posteriori relativement complexes. Il est difficile de savoir si les
premiers missionnaires, militaires ou anthropologues à écrire sur le sujet sont
fiables et s’ils ont bien saisis tout ce que comporte l’utilisation de ce système
d’écriture. Et pourtant, ces écrits et reproductions de signes restent les principales
traces d’existence du nsibidi. Et malgré quelques rares objets conservés dans des
musées, la meilleure manière de comprendre l’étendue des utilisations du nsibidi
est de se rendre au Nigeria dans l’espoir de trouver des personnes prêtes à partager
leur savoir et procéder à une initiation.

Si la pratique scripturale devait être largement employée avant l’époque coloniale,


aujourd'hui, le nsibidi se matérialise principalement par des gestes pantomimiques6
ou dansés. Les preuves matérielles restent dont relativement pauvres. Il est
cependant déjà remarquable que certaines pratiques liées au nsibidi survivent
encore actuellement ; pour cause la colonisation et l’évangélisation chrétienne.
Didier Fassin cite Carothers7 dans son article d’ethnopsychiatrie8 où il interroge
notamment les dysfonctionnements sociaux liés à la transition culturelle de
l’Afrique : « Contrairement aux cultures occidentales modernes, toutes les cultures
primitives sont relativement statiques et leurs survivances dépend de la gradualité
de leur évolution. Chaque élément de la culture forme partie intégrante de celle-ci
qui, en retour, dépend étroitement des relations familiales et des lois de la
tribu ; c’est pourquoi tout changement rapide et profond renverse l’édifice en
entier ». La problématique pour trouver des sources fiables et de réels artefacts est

6 Gestuelle impliquant l’ensemble du corps (non simplement les mains et/ou le visage)
7 John Colin Carothers était un commissaire spécial chargé par le gouvernement britannique
d’enquêter sur la révolte Mau Mau au Kenya en 1954. Sa mission était en outre de donner aux autorités
coloniales, alors en train de réprimer les mouvements Mau Mau, les moyens de comprendre les
fondements de la révolte et ensuite adopter une politique en conséquence. Il publia ses recherches The
Psychology of Mau Mau la même année.
8 Didier Fassin, Les politiques de L’ethnopsychiatrie : la psyché africaine, des colonies africaines aux banlieues parisiennes,
« L’Homme », numéro 153, 2000, pp. 231–250. JSTOR, www.jstor.org/stable/25157018

15
fig. 08
donc inhérente à toute forme de colonisation et conflits culturels. Ce qui influe
inévitablement dans le travail de recensement des systèmes d’écritures du
monde ; mais nous reviendrons sur ce point plus tard.

Les confréries comme celle d’ekpe étaient présentes partout en Afrique.


Traditionnellement réservées à une élite guerrière et nobiliaire (comme les aniotas,
ou « hommes-guépards », au Congo), elles ont vu reculer leur pouvoir à mesure que
les colonisateurs, puis les états, prenaient le contrôle administratif, économique et
militaire des régions sous leur juridiction. Ayant parfois recours à la violence avec le
meurtre rituel pour maintenir leur contrôle, elles ont attisé les fantasmes et la
méfiance voire les moqueries des occidentaux et des pouvoirs nationaux (par
exemple dans la culture populaire avec la bande dessinée Tintin au Congo9). De par le
culte du secret et leur logique de transmission orale ou cryptée, conjugués avec la
diminution de leur nombre et le déclin de leur influence (voire leur disparition pure
et simple), les savoirs de ces sociétés secrètes sont menacés d’oublis sans recherche
préventive ni processus de conservation.

9 Hergé, Tintin au Congo, Casterman, Tournais-Paris, 1931

17
Une tortue

Le soleil
X
L
L'argent, la richesse
Posture d'écriture sur le sol fig. 09

K
d
La médecine
Analyse du point de vue linguistique
et étude des formes

2.0 Supports, outils et transcriptions

L’une des particularités du nsibidi est qu’il est constitué à la fois d’idéogrammes
simplifiés exprimant des idées abstraites mais aussi de pictogrammes dont la
signification est presque sans équivoque. Nous sommes donc face à une écriture
figurative analytique (pour reprendre le terme utilisé par Ernst Doblhofer)
réunissant deux tendances de notation de la parole : l’une vers la fixation et la
définition précise du sens par la description et l’autre vers une simplification et une
normalisation du signe1.
Alors que la lettre de l’alphabet n’a de sens que par corrélation avec une autre
lettre, le pictogramme ne renvoie qu’au seul objet qu’il figure. Selon Anne-Marie
Christin, spécialiste de l’histoire de l’écriture et des relations entre le texte et
l’image, l’idéogramme peut remplir les trois rôles : c’est-à-dire qu’il est
simultanément logogramme (le signe renvoie à un mot), phonogramme (le signe
renvoie à tous les mots homophones) et déterminatif (en permettant de définir
l’appartenance lexicale du signe voisin)2. Aussi, il est alors possible d’imaginer que
le nsibidi, lors de sa découverte, était encore en pleine évolution et qu’à l’heure
actuelle, les signes seraient peut être tous devenus idéographiques. Ceci aurait été
expliqué par un nombre d’utilisateurs grandissant et un besoin de standardisation
dans le but d’écrire plus vite et plus facilement au plus grand nombre.
Le nsibidi est alors, comme dit précédemment, constitué d’idéogrammes et de
pictogrammes. Il est donc sémasiographique, c’est à dire qu’il dénote sens et
logique, en évitant la notation du son et de la parole — en opposition à une écriture
glottographique dont les signes ne sont pas figuratifs et transcrivent des unités de
l'oral (logographique comme les idéogrammes chinois ou phonographiques comme
le latin). Le dessin est principalement au trait et pour beaucoup constitué de formes
géométriques. Ces formes caractéristiques sont sans doute dues aux premières
utilisations de ce système d’écriture par un tracé dans le sable. L’écriture digitale sur
le sol est une technique idéale pour l’apprentissage et la communication collective :
les doigts constituent un moyen direct pour le scripteur et établissent le meilleur
rapport avec les supports. Une première colonne de signes est tracée et s’arrête
quand le bras est tendu. Le corps bascule en avant et participe à définir un espace
d’inscription. On peut faire ici le lien avec les postures d’écritures utilisées par les
touaregs pour dessiner les signes du tifinagh.

1 Ernst Doblhefer, Le déchiffrement des écritures, Arthaud, 1959

2 Anne-Marie Christin, Histoire de l’écriture. De l’idéogramme au multimedia, Paris, Flammarion, coll.


Histoire de l’art, 2012

19
fig. 10

Invisioning Information, Edward Tufte, 1990 fig. 11


Les fonctions principales du nsibidi sont de protéger les connaissances, conserver la
mémoire collective, exprimer l’amour et les relations sociales ou encore consigner
des procédés rituels. Si, sous forme matérielle, il se présente le plus souvent teinté
dans des tissus appelés Ukara3, tracé dans l’argile des calebasses ou sur le corps, le
nsibidi peut aussi être interprété par des gestes pantomimiques, dansé ou
tambouriné. Ces techniques imposent alors une technique de tracé monolinéaire et
une organisation syntagmatique bien particulière pouvant paraître hasardeuse.
Les supports et outils sont relativement variés. Les signes peuvent être tracés au
doigt, teintés, entaillés dans le bois comme ce masque cimier représentant une tête
d’oiseau (cf : p.26), acquis en 1914 par le Pitt Rivers Museum, ou même martelé
comme sur ce plateau en laiton (cf : p.28) acquis en 1942 (également par le Pitt Rivers
Museum). Cette diversité pourrait en partie expliquer le fait que les signes ne soient
pas « standardisés », c’est-à-dire que la longueur des traits, leur largeur ou leur
orientation sont modulables. Aussi, nous rappelons encore une fois que dans cette
étude, les principales sources donnant l’accès à un maximum de signes sont les
rapports des missionnaires. Tous ont retranscrit les pictos-idéogrammes sur du
papier et ont utilisé sensiblement les mêmes outils. Pierre Déléage dans Lettres
Mortes, rapporte les travaux de Karl von den Steinen qui dit « Un homme primitif
à qui l'on donne un crayon et du papier pour qu'il dessine un objet dans son
environnement naturel est confronté à des outils qui ne lui sont pas familiers et
à une technique qu'il n'a jamais expérimenté »4. Qu’en est-il de l’authenticité des
signes (qu'ils soient tracés par les autochtones ou par les missionaires) ? L’exemple
d’Edward Tufte dans Invisioning Information est révélateur des différences
d’interprétation dans les transcriptions d’une même inscription5. Ici, plus que
l’outil, c’est la personnalité et le savoir faire du transcripteur qui rentre en jeu.
Même un simple tracé, censé représenter la forme de la roche dans la transcription,
peut suffire à créer de grandes confusions dans le déchiffrement de l’écriture et la
transcription des signes.

2.1 Les signes et leurs compositions

Selon l’anthropologue et ethnologue Kenneth Campbell en 1983, il existe plus de


1000 signes qu’il convient de diviser entre les glyphes de base qu’il estime a environ
600 signes, les signes complexes et les groupes de signes concaténés6. Il est très
compliqué de les recenser et de les comptabiliser. En effet, certains signes sont
facilement reconnaissables et identifiables, et même certaines séries peuvent être
aisément assimilées dès l’initiation. Mais leur composition dans un texte et les

3 Vêtement de cérémonie des membres d’Ekpe


4 Pierre Déléage, Lettres mortes, Essai d'anthropologie inversée, Arthème Fayard, 2017
5 Edward R.Tufte, Invisioning Information, Graphics Press, 1990
6 Kenneth F. Campbell, 1983. Nsibidi update : a recent study on the old communication system of the Ejagham peoples
of the Cross River region of Eastern Nigeria and Western Cameroon, « Arts D’Afrique Noire », numéro 47, automne
1983, pages 33-46

21
Traduction par J.K. MacGregor :

(a) Le jugement s’est tenu sous un arbre


comme le veut la coutume. (b) les deux
parties dans l’affaire. (c) le chef qui l’a
jugé (d) son personnel (e) un homme
murmurant à l’oreille d’un autre au delà
du cercle des gens concernés (f) tous les
membres de la partie ayant gagné le
procès (g) Deux d’entre eux s’embrassent
(h) Un homme tient un tissu entre ses
doigts en signe de mépris. Il se fiche de
ce qui a été dit. C’était un cas difficile à
juger pour les gens de la ville donc ils ont
appelés les sages des villes
environnantes pour qu’ils le jugent pour
eux (i) et en donnent le verdict (j) c’est
un cas d’adultère.

fig. 12

Traduction par Percy Amaury Talbot

La calebasse (1) dans laquelle la femme avait coutume de


préparer la cuisine pour l’homme qui n’était pas son mari, le
psyché (2)devant lequel elle se faisait belle et la cuvette (3)
d’eau dans laquelle elle faisait sa toilette avant la visite de son
amant. Le mari (4) et un témoin (5)invité par le mari à épier sa
femme. La véranda (6) où se déroule le palpabre avec : les
témoins (7) à charge et le public écoutant l’exposé des faits, le
couple amoureux (8), les jeunes amis (9) du mari qui sont
venus conseiller l’épouse d’abandonner son amant. La cour
composée de deux juges (10ab), des témoins et assesseurs
(10c), de l’amant, de l’épouse adultère et du plaignant (11). Des
jeunes filles (12), de la classe d’âge de la femme adultère, la
supplient d’abandonner son amant. Le père du mari (13)
s’approche de la cour ; il fait appel à la clémence des juges. Les
personnes (14) venues témoigner à la demande du père pour
l’aider à plaider en faveur de son fils. Ce dernier (15) est
menotté, jambes entravées. La propriété (16) dans laquelle le
fils a été arrêté. Des hommes entrent dans la propriété (17) et
disent à l’amant : « Vous n’êtes pas célibataires et vous avez
votre propre femme chez vous. Pourquoi cherchez-vous à
posséder la femme d’un autre homme et à consommer la
nourriture de son mari ? » (18). Les amants écoutent les avis
qu’on leur donne. On autorise l’amant et la femme à s’éloigner
un moment ensemble et à avoir un dernier conciliabule en
privé (19). À présent, ils se tiennent tous deux de chaque côté
du bâton (20) du bourreau ekpé posé au sol. Et ils se disent
« adieu » l’un à l’autre. Puis chacun part de son côté. L’épouse
et ses amies approuvent la décision (21). fig. 13
procédés d’économie sont très complexes et peuvent varier d’une ethnie à l’autre. Le
même signe peut également avoir différentes interprétations, et donc le contexte
joue un rôle différenciateur essentiel ; ce qui rend la tâche du déchiffreur étranger à
cette culture d’autant plus ardue.

D’après Simon Battestini, il semble que certains signes correspondent à nos


lexèmes7, c’est-à-dire une unité de sens et de son figée dans une langue (par exemple
en français, « mangent » et « mangeront » sont des formes du même lexème
« manger »). Tandis que d’autres ne seraient lus qu’avec l’aide de groupes de signes
plus ou moins nombreux correspondant à nos groupes nominaux, en tant que
groupe pensé plus ou moins complexe. Cette organisation textuelle se caractérise
dans la lecture tout d’abord par une recherche préalable des principaux blocs de sens
et ensuite une lecture détaillée selon la succession logique des idées. C’est ici que les
différences de taille de certains glyphes peuvent avoir leur importance. Ces
variations d’échelle entre les glyphes permettent au lecteur de repérer, avant même
de démarrer une lecture approfondie, le contexte ou certains mots et/ou phrases
importantes. Nous-même, en usant du latin, utilisons des différences de style
(regular, bold et italique) pour mettre en exergue certaines phrases ou mots. Alors
que MacGregor ne voit aucun ordre syntagmatique, Battestini constate que les
signes sont groupés sémantiquement et peuvent tout à fait être distribués de
manière linéaire selon le déroulement du récit.
Si l’on compare l'un des procès rapporté par Percy Amaury Talbot en 1912 avec sa
transcription (fig. 11), on constate que le texte originel comprend 14 blocs de signes
tandis que sa traduction en français nécessite 158 mots, soit 800 signes. On
remarque donc une grande économie dans le système d’écriture nsibidi qui amène
une plus grande liberté dans la lecture que notre alphabet logocentrique. Qu’il soit
lu ou oralisé, le nsibidi est laissé libre à une interprétation ouverte et propre à
chacun du message. Derrida nomme ce type de texte des ellipses8 dans le sens ou il
s’efface dans la redite pour donner sens à un autre texte, souvent plus abstrait, que
le lecteur peut croire avoir inventé puisqu’il s’en empare totalement. Dans ce
contexte de performance, le lecteur est créatif et transcende le texte. Anne-Marie
Christin souligne la différence qui sépare cette conception de la lecture de la notre
logocentrée9. Dans le cas du nsibidi, elle est vécue comme une activité propre à
chacun et indépendante, n’utilisant le support visuel non comme une incarnation
de la parole, mais comme une source d’inspiration à la lecture. L’usage du nsibidi
était aussi principalement d’accompagner et de donner une valeur au discours10.
L’écriture devient alors un outil offrant à l’orateur un statut d’autorité.

7 Simon Battestini, De l’écrit africain à l’oral, Le phénomène graphique africain, Georgetown University,
L’Harmattan, 2006
8 Derrida, J., L’Écriture et la différence, Paris, Éditions du Seuil, 1967
9 Anne-Marie Christin, L’image écrite ou la déraison graphique, Flammarion, Paris, 2009
10 Voir chapitre I : La société Ekpe ou « hommes-leopard »

23
A1 A2 B1 C1 D1 E1 F1 G1 H1

A3 A4 A5 A6 C2 C3

C4 C5 C6 C7

B2 A7 A8 A9

D2 C8 C9 E2 G2
2.2 Analyses et comparaisons formelles

Si nous prenons pour exemple le signe  signifiant l’amour, l’union, l’unité ou le


couple, on peut remarquer les divergences de tracés selon le support et l’outil utilisé.
La liberté et l’imprécision de la main est aussi un facteur dans les discordances de
proportions des contreformes. Le tracé dans le bois A1, A2 et B1 est plus hasardeux,
tandis que le même signe teinté sur l’ukara D1 est plus symetrique et ses courbes
plus tendues. Ce picto-idéogramme est par ailleurs le plus connu et le plus
emblématique de ce système d’écriture.

Il est difficile de savoir dans un système d’écriture en partie indéchiffré ce qui, dans
le signe, est signifiant et ce qui ne l’est pas. Pour le signe du palabre1, on peut se
demander si le nombre de tracés est évocateur (cf : A3/A4). Est-ce une unité de sens
ou cela donne-t-il une information sur le nombre précis de participants ? Dans le cas
du signe C2, l’une des terminaisons ne possède pas « d’empatement ». Ceci est très
inhabituel, aussi, en considérant que le support se trouve être parmis les plus
ouvragés, on peut donc supposer que ceci n’est pas un oubli. Nous serions donc
enclin à le considérer comme une variante de ce même signe.

Le pictogramme montrant un plateau, ou une tablée, avec une bouteille et un verre


(C4-C7) révèle bien dans ce cas précis la finesse que permet cette technique utilisée
pour inscrire le nsibidi. Marteler le bronze par pointillés permet une certaine
précision et une sophistication dans la composition, mais nécessite aussi du temps.
Le fait que les incisions dans le bois (B2, A7, A8) semblent moins habiles que
l’embossage, voire parraissent maladroites ou grossières, montre la résistence du
support bois et aussi une certaine vitesse et une précipitation dans le tracé.

Le signe  signifie, d’après Talbot et Macgregor, une querelle entre un mari et sa


femme. Ils se tournent le dos et ont placé un oreiller entre eux deux. Sur l’ukara, les
courbes du signe D2 sont beaucoup plus géometriques que sur les autres supports.
Les tracés de part et d’autre sont constitués de deux horizontales et une verticale avec
un angle arrondi. C’est sans doute le motif qui contraint l’idéogramme dans un
carré et cette géometrisation permet d’occuper l’ensemble de l’espace attribué.
Sur le plateau, les tracés qui entourent la verticale centrale sont beaucoup plus
ronds. Les extrémités vont presque vers l’intérieur du cercle. Les transcriptions
de Macgregor (E2) et Talbot (G2), ont une courbe beaucoup moins prononcée.
Il est alors intéressant de se demander si c’est une reproduction fidèle, ou si ils ont
reproduit la même courbure observée dans d’autres idéogrammes, à l’image
d’un module.

1 [En Afrique noire] : Assemblée coutumière, généralement réservée aux hommes, où s'échangent les
nouvelles, se discutent les affaires pendantes, se prennent les décisions importantes.

25
A3 A4

A1 → A9

Masque cimier en bois en forme de tête A6 A5


et de bec d’oiseau, recouvert
d’inscriptions nsibidi.

Localisation :
Afrique, Nigeria, région

de la Cross River, monts Oban

Utilisateurs :
Ejagham

Materiaux :
Bois, fibre végétale

Procédé d’inscription : A2
Pyrogravure, tressage, vannerie A7
A9
Dimensions :
A8
H = 163mm / L = 445mm / l = 90mm A1

Collecté par :
P. A. Talbot

Acquisition :
en 1914 par le Pitt Rivers Museum,
Oxford
B2

B1
B1 → B2

Épée en bois recouverte d’inscriptions


nsibidi.

Localisation :
Afrique, Nigeria, région

de la Cross River, monts Oban

Utilisateurs :
Ejagham

Materiaux :
Bois

Procédé d’inscription :
Pyrogravure, bois sculpté, gravure

Dimensions :
L = 480mm / l = 94mm

Acquisition :
en 1914 par le Pitt Rivers Museum,
Oxford

27
C1 → C12

Plateau circulaire en laiton

Localisation : Afrique, Nigeria,


région de la Cross River, Old Calabar

Utilisateurs : Ibibio / Efik ?

Materiaux : Laiton Muntz

Procédé d’inscription :
Martelage/embossage

Dimensions :
Diamètre = 745mm / profondeur =
120mm

Collecte : 1919

Acquisition :
en 1942 par le Pitt Rivers Museum,
Oxford

C8

C11
C9

C2
C7

C10 C3
C4

C12

C6

C5 C1
Analyse par le Pitt Rivers Museum

Description de l’objet

Plat en laiton fabriqué localement à partir d’une feuille recyclée de laiton Muntz
laminé à chaud, à l’origine fabriqué autour des années 1860 ou 1870, et
probablement récupéré d’un naufrage. Décoré de dessins martelés et représentant
une sirène au centre avec une queue écailleuse bifurquée et portant une couronne,
encerclées de symboles nsibidi.

Histoire

Un plat en laiton, vraisemblablement de Vieux Calabar, comportant l’image d’une


sirène ; probablement le travail d’un membre de la famille Ironbar ; fait en
1919 ; 745 mm de diamètre, 120 mm de profondeur. Musée Pitt Rivers, Université
d’Oxford PRM 1942.13.1089.

Une reproduction d’un dessin en noir et blanc figure dans « Mermaids et Mami Wata
sur Brassware du Vieux Calabar », de Jeremy Coote et Jill Salmons, Sacred Waters : Arts
pour Mami Wata et autres divinités en Afrique et la Diaspora (African Expressive Cultures), édité par
Henry Drewal, Bloomington, Indiana. Indiana University Press (2008) : « Dessin de
Heinrich Meinhard du plat en laiton reproduit à la fig. 19,5 ; encre sur papier ; 190 x
202 mm (sur papier 212 × 278 mm) ; M.D.W. Collection Jeffreys (dossier 28), Archives
de l'Université, Université du Witwatersrand. »
Le plat est analysé en détail aux pages 267-269 comme suit : « Le quatrième et
dernier plat est celui des collections du Pitt Rivers Museum de l'Université d’Oxford,
avec lequel les recherches de Coote pour cet essai ont commencé. Il a été acquis par le
Musée en 1942 dans le cadre d’un don du Wellcome Historical Medical Museum. Les
collections ethnographiques et archéologiques ont été acquises par l’administrateur
colonial, et plus tard académique, M.D.W. Jeffreys. Des recherches d’archives à
Londres et à Johannesburg ont permis à Coote d’établir que le plat était en la
possession de Jeffrey en novembre 1919 ; Jeffreys a commencé sa carrière dans le
service colonial à Calabar en 1915, donc il peut être présumé avoir acquis le plat entre
1915 et novembre 1919. Ce plat est à bien des égards le plus intrigant du corpus. Ceci
est dû en partie à la présence de nombreux motifs nsibidi dans sa décoration, mais
aussi à son iconographie particulière. De plus, contrairement aux autres dont nous
avons parlé, il ne semble pas être un plat fabriqué en Europe. Au lieu de cela, il
semble être un plat fabriqué localement à partir d’une feuille de laiton alpha-bêta
laminée à chaud, fabriquée à l’origine autour des années 1860 ou 1870. Un tel laiton,
également connu sous le nom de « métal de Muntz », a été utilisé pour gainer les
coques des navires, augmentant ainsi la possibilité que ce plat ait été fait à partir

29
d’une feuille récupérée d’un naufrage. Une telle source pour le matériau « brut »
pourrait bien avoir eu une grande résonance en tant que support pour la
représentation d’une sirène. Comme pour les autres plats, la figure centrale est une
sirène, mais cette fois avec une queue écailleuse divisée. Elle porte une couronne de
style anglais avec un feuillage qui l’accompagne. Elle est ornée de motifs complexes
de peinture corporelle ou porte un corsage élaboré à manches longues orné de motifs
géométriques. Elle tient un peigne dans sa main droite et un miroir dans sa main
gauche. Dans l’espace au-dessus de son épaule droite, il y a une bouteille et un verre
sur une table, et au-dessus de son épaule gauche il y a ce qui semble être une fleur
dans un pot ou un vase. Elle est accompagnée d’un poisson et d’un lézard. Cette
disposition est entourée d’un anneau contenant de nombreux pictogrammes
nsibidi. Le bord du plat est divisé en huit sections, quatre décorées avec des images
d’oiseaux sur le feuillage, les quatre plus longues avec d’autres pictogrammes
nsibidi.
D’après la collection de signes nsibidi de Thompson de la Cross River, il est
possible de voir qu’au moins deux des signes sur ce plat sont d’une grande
importance. La balle avec les plumes sur le dessus (C10), qui apparaît sur la jante et
dans le cercle intérieur, représente la calebasse Nkanda. Nkanda est la plus haute
classe de la société ekpe à laquelle tous les hommes efik aspiraient. L’ovale avec un
double contour et plusieurs cercles à l’intérieur (situé sur la jante C11 et dans le cercle
intérieur C12), représente le signe primordial du corpus nsibidi et se retrouve dans de
nombreux supports en association avec les rituels ekpe. Étant donné que le roi
d’Oban, dans le sud d’ejagham, a dit à Thompson que « les sirènes nous ont montré
comment écrire nsibidi », nous ne devrions peut-être pas être surpris par l’apparition
de symboles nsibidi sur un plat en laiton avec une figure de sirène. Comme indiqué
plus haut, ces plats ne sont pas simplement des objets décoratifs, mais des objets
dans lesquels des forces puissantes peuvent être perçues par ceux qui possèdent les
connaissances culturelles nécessaires.

Traduit et adapté de l'anglais pas Morgane Pierson

Copyright 2012 — The Pitt Rivers Museum, University of Oxford

Consulté le 05/04/2018
http ://objects.prm.ox.ac.uk/pages/PRMUID14231.html

31
Signes extraits d'une Minute judiciaire

À gauche : dessins de J.K. Mac Gregor (1912)


À droite : dessins de S. Battestini (2006)
2.2 Analyses et comparaisons formelles
(suite)

La minute judiciaire ci-contre a été rapportée par P. A. Talbot en 1912 et reprise par
S. Battestini en 2006. La signification des picto-idéogrammes a été donnée en
anglais par Talbot et la traduction française par Battestini. Il n’existe que des
transcriptions de ce texte et le support d’origine nous est inconnu.
Si l’on compare les dessins de Talbot et Battestini, la première remarque que
nous pouvons faire est que les proportions, et parfois l’orientation, des signes, sont
sensiblement différentes. On ignore si Battestini a fait des choix sensés au regard
d’artefacts ou si il s’est autorisé une réinterpretation plus rationnelle et normée. Le
sens du tracé, relativement simple, nous semble pour autant respecté. Un autre
point pouvant poser problème est que certains idéogrammes dessinés par Battestini
ont des tracés manquants par rapport à ceux de Talbot. Il manque une verticale au
glyphe (12) à gauche, une autre à été ajoutée au (14) ainsi qu’une oblique à droite.
Un tracé à également été supprimé au glyphe (16). Cette imprécision des sources est
un réel problème dans la numérisation a posteriori des picto-idéogrammes nsibidi.
Aussi, ceci est révélateur de la necessité d’avoir à disposition des « sources du sol »,
c’est à dire des artefacts originels.

La fiabilité de la traduction peut aussi être contestée. P. A. Talbot ne précise pas dans
quel contexte il a eu accès à cette minute et qui la lui a traduite. Était-il présent au
palabre ? Et dans ce cas, a-t-il interprété les signes au regard de la scène qu’il
observait ? Ces questions resteront sans réponses, et pourtant sont essentielles à la
bonne interprétation des picto-idéogrammes nsibidi.

g h i j k
l m n o
p q r s
33
Systèmes de notation non linéaires fig. 14
Du système d’écriture
à la typographie

3.0 Réflexions sur le statut « d’écriture »

Comme souligné précédemment, le travail de recensement des systèmes d’écritures


du monde est largement dépendant des sources accessibles aux chercheurs. Le
nsibidi n’est pas en l’état actuel compris dans ce classement proposé par le
consortium Unicode1. Probablement car ce système de notation reste encore en
partie codé et indéchiffré. Les supports du nsibidi sont aussi fragiles ou éphémères
(calebasses d’argiles, tracé direct dans le sable, peintures corporels…). C’est aussi la
raison pour laquelle la plupart des sources accessibles aujourd’hui sont d’anciennes
transcriptions. Ainsi, le manque de sources fiables peut être déterminant dans son
intégration ou non dans l’Unicode. Ajoutons à cela le débat ô combien complexe et
épineux sur la définition d’une écriture. Qu’est ce qu’une écriture et qu’est ce qui ne
l’est pas ? Un système de notation mnémotechnique en fait-il partie ? Ou même
est-ce qu'un système de notation sélectif, qui ne retranscrit qu'une partie de la
pensée humaine, est une écriture ? Pour Pierre Déléage, les écritures sélectives ont
été dénigrées à tort, uniquement car, à la différence des écritures intégrales, elles
n'ont pour unique but d'inscrire et d'accompagner des discours issus d'un corpus
limité2. En occident, et malgré le déchiffrement sans cesse de nouveaux systèmes
d’écriture, nous avons trop longtemps eu une vision logocentrique de l’écriture. Il
nous semblerait cependant plus juste de définir ici l’écriture comme un moyen de
fixation, certe de la parole, mais avant tout de la pensée. Le dessinateur de
caractères suisse Adrian Frutiger confirme cette définition mais en limite ses
applications presque immédiatement : selon lui, une écriture est une écriture à la
condition que les signes qui la constituent soient « ordonnés » selon un
développement linéaire de la pensée3.
Ces questions ont été récurrentes dans le projet The Missing Scripts4 conduit
également à l’ANRT, en partenariat avec Institut Designlabor Gutenberg (IDG, Hochschule
Mainz, Allemagne) et the Script Encoding Initiative (SEI, University of California,
Berkeley, USA). Ce projet a pour vocation de valoriser la variété des systèmes
d'écritures du monde, mais aussi de rendre compte de l’étendue des écritures

1 Unicode est un standard informatique qui permet des échanges de textes dans différentes langues.
Il vise au codage de texte écrit en donnant à tout caractère de n’importe quel système d’écriture un nom et
un identifiant numérique. Lors de sa dernière mise à jour en juin 2018, la norme unicode couvrait 137 374
caractères, et englobe maintenant un large éventail de symboles et de systèmes d’écritures, anciens et
modernes.
2 Pierre Déléage, Lettres mortes, Essai d'anthropologie inversée, Arthème Fayard, 2017
3 Adrian Frutiger, Des signes et des hommes, édition Delta & Spes, Denges (Lausanne), 1983
4 The Missing Scripts a été initié par Johannes Bergerhausen à la suite du projet Decodeunicode qui a pour
vocation de montrer l'ensemble de l'Unicode.

35
fig. 15
minoritaires, qui ne sont pas encore intégrées à la norme d’encodage Unicode.
Encoder une écriture, c’est la rendre accessible sur les outils numériques, mais aussi
un moyen de la préserver. Cela permet également à des communautés d’accéder à
leur patrimoine écrit et la possibilité de s’en emparer. Sur les 292 systèmes
d’écritures comptabilisés, seuls la moitié sont représentés dans l’Unicode 11.0. Ici le
parti pris était de ne classifier uniquement les systèmes permettant la notation de la
pensée (par exemple, les systèmes de notations musicales ne font pas partie de ce
classement). Les décisions dans le classement était plus particulièrement prises par
la docteure Deborah Anderson5 et une équipe de spécialistes. Pour certainement les
mêmes raisons pour lesquelles le nsibidi n’est pas intégré à l’Unicode, le nsibidi ne
fait pas non plus l’objet d’une proposition d’intégration dans l’Unicode. Il n’est donc
pas compris aujourd’hui dans le classement des missing scripts.

L’une des raisons pour lesquelles le nsibidi n’est pas (encore ?) considéré comme une
écriture par la communauté Unicode pourrait aussi être lié à un manque d’études
poussées sur le sujet. À cause du secret autour des pictos-idéogrammes, et de ses
différents moyens de lecture, il a souvent été défini par les spécialistes comme des
« jeux d’énigmes amusantes » plus qu’une écriture à proprement parler. Prenons
pour exemple l’Histoire de l’écriture6 de 1948 par James G. Février qui dit :

« Dans un cas particulier nous saisissons plus clairement encore, quoique sous une forme beaucoup plus
évoluée, le rapport entre le tatouage et les signes d’écriture. Nous faisons allusion à la mystérieuse
écriture nsibidi. Elle était pratiquée au début de ce siècle par les membres d’une société secrète, dans le
sud du Nigéria. Il n’est même pas certain que ce soit une écriture au vrai sens du mot, c’est à dire de noter
intégralement la parole. C’est plutôt une collection de symboles, d’idéogrammes, dont chacun à en
même temps une valeur magique. Ils sont souvent tatoués sur le corps. Ils ont en général un caractère
pictographique accentué et l’origine de leur signification a pu être établie dans de nombreux cas : si le
sens échappe souvent au non initié, il est fort clair pour celui à qui on a expliqué la représentation, plus
ou moins schématisée. C’est ainsi que le signe désignant l’argent à des barres de cuivre ployées, que
l’opposition de témoignages contradictoires se rend par deux lignes, l’une droite, l’autre sinueuse,
enchevêtrées l’une dans l’autre, que l’idée de commerce est symbolisée par un homme (un marchand) à
une bifurcation de la route. Petites énigmes amusantes, plus que système cohérent d’écriture. L’intérêt
en réside surtout, nous le répétons, dans le rapport établi entre le signe graphique et le tatouage. »

Si nous citons assez longuement James G. Février, c’est pour bien comprendre le type
d’analyses qui ont pu être faites sur le nsibidi. Il est déroutant de penser qu’il était
possible de qualifier des picto-idéogrammes, non-déchiffrés alors, comme des
énigmes et non un système d’écriture permettant d’inscrire la pensée. Ce fut
certainement le cas pour les hiéroglyphes et sûrement d’autres écritures
pictographiques avant leur déchiffrement. Nous aurions pu penser que le
déchiffrement des hiéroglyphes auraient pu diffuser le fait que d'autres modes

5 Deborah Anderson est docteure en linguistique à l'Université de Berkeley. Elle est à l’origine de
ScriptwEncoding Initiative dont le but est d’aider à financer des propositions pour les systèmes d’écritures
actuellement manquants dans l'Unicode (et ISO 10646). Créé en avril 2002, SEI est devenu une source
majeure de nouvelles propositions de systèmes d’écritures auprès de l’UTC (Unicode Technical
Committee).

6 James G. Février, Histoire de l’écriture, Payot, Paris, 1948

37
Quelques caractères grecs remarquables,
selectionnés par Gerry Leonidas, et
regroupés par modèles de contraste.
Le groupe supérieur suit un modèle
traditionnel ; le second a un contraste
plus droit (de type latin) ; le troisième
groupe utilise une interprétation
contemporaine du contraste grec
d'origine.

De haut en bas :
Monotype Series 90 (version 2000),
Garamond Premier Pro (2005), Brill
(2012), Arno Pro (2007), Adobe Text Pro
(2010), Microsoft Cambria (2003), Source
Serif Pro (2016), Literata (2015), Skolar PE
(2011), Colvert (2012), Microsoft Candara
(2003).

Autres caractères remarquables,


toujours selon un classement de Gerry
Leonidas, à faible contraste :
FF Tisa Sans Pro (2016), Source Sans Pro
(2013), Bliss Pro (2006), Neue Haas Unica
(2015), Helvetica Linotype (2002).

fig. 16
d'écritures soient possibles — mais ce ne fut pas le cas. Ici l’Histoire de l’écriture est
parût en 1948, cela fait un siècle que les hiéroglyphes ont été déchiffrés et pourtant,
des systèmes d’écritures étrangers au système latin continuent d’être stigmatisés et
nous en subissons peut-être encore les conséquences : un bon nombre d’écritures
sont certainement tombées dans l’oubli car mal jugées ou simplement restées
indéchiffrées. La définition d’une écriture de James Février est profondément
occidentale et logocentrée. Pour lui « l’homme civilisé » est celui qui pense par
« concepts », le matérialise par le langage, et aboutit au mot écrit pour décrire ce
« concept ». Il oppose cet « homme civilisé » ou « homme moderne » au primitif qui,
toujours selon lui, n’use pas de ce processus : « [Le primitif] n’a pas pas le souci
désinteressé de couler sa pensée dans le nom et de noter le nom par l’écriture. Il agit
— et cela lui suffit : vivere primum7 ». Dans Tristes Tropiques, « La leçon d'écriture »,
Claude Lévi-Strauss qualifie l'écriture comme étant un outil d'exploitation et
d'asservissement de l'homme par l'homme, soit, un critère séparant la barbarie de la
civilisation. Mais cette théorie donnant un unique rôle à l'écriture nous parait
quelque peu réductrice.
La question n’est pas de savoir si le nsibidi est une écriture ou non ; même si le
débat reste entier. Mais peut-on en juger sans connaître l’ensemble des signes et/ou
leurs significations ? Ou simplement car sa composition non-linéaire et son
fonctionnement de lecture peuvent paraître curieux d’un point de vue étranger.
Mais si effectivement le nsibidi ne permettait pas d’inscrire l’ensemble de la pensée
(ce qui n’est pas encore admis), son analyse n’en reste pas moins intéressante.

3.1 Quelle approche du « non-latin » ?

Aborder le nsibidi, à travers le dessin de caractères, est particulièrement nécessaire


car ce système d’écriture peut regrouper différentes contraintes qui n’ont pas
encore été solutionnées typographiquement. La domination de l’alphabet latin
a fortement influencé le développement et l’interprétation de certaines écritures.
Le transfert de style typographique adapté pour le latin (Helvetica, Baskerville, Futura…)
vers d’autres systèmes d’écritures, a été révelateur d’une appropriation et d’une
expansion de « styles occidentaux », au détriment des dessinateurs de caractères
natifs8 (tout particulièrement lors de la démocratisation de l’imprimerie).
Gerry Leonidas, dessinateur de caractères, président du congrès ATypI
et co-fondateur de l’ISTVC9 et de la fondation Granshan10, a beaucoup étudié ces
problématiques — notamment à travers le grec.

7 Expression latine qui signifie « vivre d’abord, puis philosopher ».


8 Gerry Leonidas, « Greek type design », Langage Culture Type, Edité par John D. Berry, Association
Typographique Internationale, Graphis, 2002, pp 76-90
9 Institute for the Study of Typography and Visual Communication
10 La fondation Granshan se concentre sur les défis techniques liés à l’intégration de polices de
caractères non latines, et sur des systèmes d’écritures comme le cyrillique, le grec, l’arabe, l’indien
et l’arménien.

39
Skolar, David Březina, 2011

Lumen, Ben Mitchell, 2012 November, Peter Bil’ak, Irina Smirnova, Kristyan Sarkis, 2016
Cette adaptation vers le latin a aussi découragé la conception d’outils qui
permettraient de supporter ou aider à la création de caractères singuliers. Le terme
global de « non-latin » crée immédiatement une opposition radicale entre le système
latin et tout autre forme d’écriture. Aussi, ce terme est profondément révélateur
d’un conflit culturel et d’une certaine domination occidentale. Le besoin de
« normalisation » ou de « stabilisation » est encore bien présent, également dans le
développement typographique d’écritures très répandues comme l’arabe. Il y a
cependant de plus en plus d’acteurs appelant à un certain recul sur les divers
développements typographiques de systèmes d’écriture « non-latins » qui ont pu être
faits jusqu’à nos jours. Ces personnes engagées sont aussi très actives dans le
développement d’outils qui seraient capables de supporter les différentes contraintes
de certaines écritures du monde, mais nous y reviendrons plus précisément. Parmi
eux, nous pourrons citer Kristyan Sarkis et Lara Captan (tous deux dessinateurs de
caractères) qui ont signé un manifeste11 en juin 2017 sur le statut et l’avenir de la
typographie arabe.
Ces questionnements sur le dessin de caractères « non-latin » sont essentiels tout
particulièrement dans le développement de fontes multiscripts où le parti pris entre
harmonisation avec le latin et fidélité historique et culturelle est primordial. Doit-on
imposer des styles qui ne sont pas inhérents au système d’écriture ? Et doit-on
continuer de s’efforcer à faire correspondre tout système d’écriture aux conventions
latines ? Aussi, il est important de se demander si l’harmonisation est un passage
obligé ou non. Pourquoi ne pas envisager que deux écritures fonctionnent ensemble
dans un même texte sans être harmonisées : si le latin cohabite avec un autre
système d’écriture dans un même contexte, peut-être qu’il pourrait exister du
contraste entre les caractères ?
Ce choix, d’harmonisation ou non de plusieurs systèmes d’écritures entre eux,
est laissé libre à l’expertise de chacun, tout en sachant que ce parti pris est
largement dépendant de la demande et du contexte de création. Quoi qu’il en soit,
Fiona Ross, connue comme étant une spécialiste du design non-latin, souligne
qu’une connaissance approfondie de l’héritage culturel, qu’une attention
particulière à une fidélité linguistique et une recherche soucieuse de solutions
techniques de composition est nécessaire pour une bonne approche du design
typographique non-latin12. Elle ajoute également que l’échange entre les disciplines
(dessinateurs de caractères, programmeurs, linguistes…) et le dialogue avec les
utilisateurs en question est essentiel.

11 Lara Captan, Kristyan Sarkis, Arabic script to Type : A Manifesto (v.1), https ://tptq-arabic.com/articles/
arabic_script_to_type_a_manifesto_v1, publié le 17/06/2017, consulté le 31/10/2018
12 Fiona Ross, « Non-Latin type design », Langage Culture Type, Edité par John D. Berry, Association
Typographique Internationale, Graphis, 2002, pp 65-75

41
fig. 17
3.2 L’étude historique pour une quête d’authenticité et de diversité formelle

Avoir un recul historique est fondamental dans la création de caractères : tout


d’abord dans un souci de préservation et de mémoire mais également dans la quête
d’une authenticité et d’une diversité formelle. La quasi-omniprésence du latin est
un signe de changements radicaux dans les populations et les cultures ; il est
important d’en avoir conscience et de promouvoir les héritages qui nous sont légués.
Ces transformations ont pu se manifester sous différentes formes. Cela peut
commencer par une modification de l’organisation textuelle — tout comme ce fût le
cas pour le système d’écriture hangul en Corée. Initialement, le sens de lecture se
faisait du haut vers le bas. Mais depuis le XIXe siècle, on le lit comme l’alphabet
latin, c’est à dire de la gauche vers la droite. Cette transformation est due à l’arrivée
de missionnaires Français qui ont commencé à éditer des dictionnaires hangul/
français ainsi que des livres de grammaire. Puis ils ont entrepris une campagne
d’évangélisation par l’impression de la Bible en hangul. Aussi il est important de
rappeler le rôle, presque central, qu’a joué la religion dans l’évolution des systèmes
d’écriture du monde. La tendance actuelle dans le domaine du design graphique
coréen est par ailleurs de recomposer les blocs de texte de manière verticale. On
remarque alors un désir de revenir aux origines de l’écriture et d’une volonté de se
démarquer d’une certaine norme que les occidentaux voulaient imposer.

La réforme scripturale d’un pays — via une intervention extérieure ou non — est l’un
des cas les plus fréquent révélant une domination d’un système d’écriture particulier
sur un autre. L’un des derniers grands bouleversements de cet ordre se manifesta en
Turquie où l’alphabet arabe (en usage sous l’Empire Ottoman) fût remplacé par un
alphabet latin étendu. Ici la réforme fut à l’initiative du président de la République
Mustafa Kemal Atatürk (Muṣtafâ Kemâl Paşa). C’est donc le 1eʳ novembre 1928 que la
révolution des signes prit forme et dès le 3 novembre suivant, l’arabe fut
officiellement interdit. Plusieurs théories existent quant aux raisons ayant amené
un tel bouleversement. La première, donnée par Atatürk, est d’ordre linguistique et
éducative. Le turc est une langue altaïque possédant huit voyelles écrites, tandis que
l’arabe qui est une langue sémitique, contient trois voyelles. L’alphabet latin
se trouverait donc plus à même de répondre aux caractéristiques linguistiques
turques. De même, les caractères phonétiques faciliteraient l’apprentissage de la
lecture et de l’écriture (à l’époque où la population était majoritairement
analphabète). Une autre raison à cette révolution rejoint les problématiques que
nous verrons plus loin sur les difficultés à faire exister le système d’écriture arabe
vis-à-vis des contraintes de l’imprimerie. En effet, la nécessité de manipuler plus de
480 caractères typographiques au temps du plomb aurait constitué une entrave
technique et financière à la diffusion de l’imprimé. Enfin l’une des grandes
conséquences est que le déchiffrage des archives de l’époque ottomane, antérieures
à la réforme, serait uniquement accessible à une élite intellectuelle (chercheurs,
universitaires ou religieux).

43
Annonce du changement d'alphabet, Turquie, 1928 fig. 18

Mustafa Kemal Atatürk enseignant le nouvel alphabet à des fonctionnaires, Sivas, Turquie, 1928 fig. 19
L'ALPHABET TURQUE

« Lorsque j’ai décidé de participer à la Grande Offensive, j’ai dit


à Ismet Pasha : ‘Vous allez voir ce qui va se passer !’. Je vous dis
à présent : ‘Vous allez voir ce qui va se passer !’ »

Le victorieux M. KEMAL
1928

Türk Alfabesi, 1928 fig. 20

45
Systèmes d’écritures d'Afrique :
The Missing Scripts (2018)

𞤀  ꚠ 𖫐  
ADLAM BAGAM BAMUM BASSA VAH BERIA BÉTÉ

  𓀀 አ  
BORAMA DEMOTIC EGYPTIAN ETHIOPIC FULA BA FULA DITA
HIEROGLYPHS

     
GARAY HAUSA 1 HAUSA 2 HAUSA 3 HIERATIC ISIBHEQE
SOHLAMVU

    
KADDARE KPELLE LOMA LUO MANDOMBE MASABA

 𞠉 𐦠 𐦀  ߐ
MEDEFAIDRIN MENDE KIKAKUI MEROITIC MEROITIC MWANGWEGO N’KO
CURSIVE HIEROGLYPHS

  𖠅 𐒀 ⵘ ꔅ
NUMIDIAN NWAGU ANEKE IGBO OLD BAMUM OSMANYA TIFINAGH VAI
Le choc de la réforme scripturale d’Atatürk a évidemment eu des répercutions dans
le domaine de la typographie. Cela fut perçu comme un cataclysme par la perte
brutale de 700 ans d’art ottoman. Aujourd’hui, il est donc essentiel de connaître
et préserver le patrimoine qui nous est légué sous toutes ses formes. Aussi,
le dessinateur de caractères Onur Yazıcıgil travaille notamment sur l’histoire et la
culture typographique dans l’Empire Ottoman. Ses études approfondies sur le sujet
permettent de mettre en lumière un héritage artistique et littéraire jusqu’alors passé
sous silence. En effet, par une révolution linguistique encore trop récente et brutale
— et donc par l’absence de patrimoine typographique latin, le dessin de caractères en
Turquie peine encore à s’affirmer. Ainsi, en travaillant conjointement sur le latin,
la démarche d’Onur Yazıcıgil est également de réconcilier le dessin de caractères
turque avec la communauté typographique internationale.

Le continent africain est très peu représenté, voire inexistant, dans la communauté
typographique internationale. Pourtant, les enjeux ne font pas défaut. L’Afrique est
sans doute le continent qui a été le plus marqué par des réformes scripturales
autoritaires. À la différence de la Turquie, ces changements radicaux se sont
généralement concrétisés suite à une intervention extérieure. Nous ne reviendrons
pas ici sur l’influence des missionnaires ou de la colonisation en général, l’idée étant
de faire un constat plus actuel du dessin de caractères en Afrique. C’est un des
continents les plus délaissés par le domaine du dessin de caractères et il est
important de mettre en valeur la variété et la richesse de ces systèmes d’écritures.
Le designer graphique et dessinateur de caractères Saki Mafundikwa en est sans
doute l’un des plus grand porte parole. Avec son livre African Alphabets13, il fût le
premier à réunir la quasi totalité des systèmes d’écritures africain dans un même
ouvrage (soit 20 systèmes d’écritures14, y compris le nsibidi), et ainsi prouver que
l’Afrique n’est pas un continent « sans écriture », comme il a souvent été affirmé.
Pour ce faire, Saki Mafundikwa encourage aussi l’enseignement et l’apprentissage
du design graphique et du dessin de caractères en Afrique du Sud. Aussi, en 1997
il fonda ZIVA (Zimbabwe Institute of Vigital Arts), la première école d’art du
Zimbabwe. Il souhaite ainsi que les étudiants s’imprègnent et s’emparent de leur
traditions. Le but étant qu’ils soient de véritables acteurs dans les domaines du
design en Afrique et qu’ils portent cette voix à l’international.
D’autres acteurs commencent à exploiter ce territoire presque vierge dans
le domaine du dessin de caractères. Par exemple les dessinateurs de caractères
Mark Jamra et Neil Patel15 travaillent depuis presque cinq ans au développement
d’une fonte multiscript, Kigelia, qui regroupe pour la première fois les systèmes
d’écritures les plus utilisés aujourd’hui en Afrique. Kigelia possède notamment des

13 Saki Mafundikwa, African Alphabets, The story of writing in Africa, Mark Batty Publisher, 2004
14 Au sein du projet The Missing Scripts, nous avons comptabilisé 33 systèmes d’écritures originaires
d’Afrique, actuels et anciens confondus.
15 Mark Jamra, Neil Patel, A multi-script type system for Africa, conférence, ATypI, Antwerp, 15/09/2018

47
Kigelia, Jamra Patel, 2018 fig. 21
Adaptation fidèle du N'Ko par Marc Jamra et Neil Patel (Kigelia, 2018):

Adaptation simplifiée de Monotype (Noto Sans NKo, 2017):

ߡߊ߲߬ ߘߋ߲߬ ߛߊ߲ ߘߊ ߘߏ߫ ߟߋ߬ ߞߊ߲߫ ߞߏ߫ ߌ ߓߊ߯ ߌ ߢߊ ߟߐ߬ ߕߋ߬ߟߋ ߘߐ߫ ߞߵߌ
ߕߊ߯ ߦߙߐ ߡߊߝߟߍ߫߸ ߛߎ߫ ߕߍ߫ ߞߏ߬ ߌ ߡߊ߬ ߒ߬ߓߊ߬ ߊ߲ ߧߋ߫ ߒ߬ ߠߞߊߟߌߦߊ߫ ߛߊ߫
ߒ߬ ߘߌ߫ ߞߍ߫ ߒ߬ ߘߎߢߊߘߐߕߍ߯ ߢߐ߲߮ ߠߎ߬ ߘߐ߫ ߞߊ߬ ߞߍ߫ ߞߎߟߎ߲߫
ߞߋߟߋ߲߫ ߞߣߐ߫ ߏ߬ ߘߐ߫
49
GAYATHRI (2019)

Regular:
തിരുവനന്തപുരത്ത് വിജ്ഞാനമുദ്രണം പ്രസിലത്
2 അസിസ്റ്റന്ത് ഫ�ഞാരത്മഞാനത്, 2 യു.ഡി പ്രിന്രത് എന്നീ
തസ്ികകളിഫലക്ത് ഡഡപ്യൂഫടേഷനത് വ്യവസ്ഥയിലത്
അഫപ്ക്ഷകളത് ക്ഷണിക്കുന്നു. അഫപ്ക്ഷകരത്

Bold:
കേരള ഭാഷാ ഇന്സ്റ്റിറ്റ്യൂട്്റിന്റെ േണ്ണൂര്,
ത്റിരുവനന്തപുരം എന്്റിവ്റിടങ്ങള്റില്
കഷാപ്്ാകനജറായ്റി 2 യു.ഡ്റി ക്ലര്ക്്,

Thin:
ഡയറക്ടര്, കേരള ഭാഷാ ഇന്സ്റ്റിറ്റ്യൂട്്, നാളന്ദ,
ത്റിരുവനന്തപുരം-695003 എന്ന വ്റിലാസത്്റില് വകുപ്്
കേധാവ്റിേളുടെ സാക്ഷ്യപത്ം സഹ്റിതം ജനുവര്റി
15നേം അകപക്േള് സേര്പ്്റികകേണ്ടതാണ്.

ഇനത്സ്റ്റിറ്റയൂടേത്
-ഡഡപ്യൂഫടേഷനത്
അഫപ്ക്ഷ

ക്ഷണ്റിച്ചു. Malayalam, Table Unicode 11.0 fig. 22

എല്ാ
-്ന്ത്റി
Gayathri est une police de titrage conçus pour le malayalam

ടെയ്യു
par Binoy Dominic. Les fonctionnalitées Opentype ont été
réalisées par Kavya Manohar et le projet coordonné par
Santhosh Thottingal.

Ce caractère a été prévu pour soutenir l'orthographe


traditionnelle malayalam. Gayathri, qui totalise 1 124 glyphes,
a également une couverture de base en latin. Tous les
caractères malayalam définis jusqu'à l'Unicode 11 sont pris
en charge.
fonctionnalités techniques auparavant indisponibles pour plusieurs langues du
continent africain. En débutant ce projet, ils ont pu remarquer les lacunes dans le
dessin de caractères des systèmes d’écritures en Afrique. En effet, ils ont pu
constater une très faible visibilité sur le marché (et donc peu de financement), un
manque de recherche sérieuse sur la justesse formelle des signes et généralement
une simplification abusive des formes (cf : Noto Sans NKo, p.49). La fonte comprend
donc du latin étendu (l’Alphabet Africain de Référence et l’Alphabet Phonétique
International), le n’ko, le ge’ez, le vai, le tifinagh et l’osmanya. Ils ont récemment
ajouté le grec, le cyrillic, et l’arabe est en cours de développement. L’origine du
projet est aussi de rendre accessible aux populations africaines les outils
numériques. L’Afrique contient plus de 2000 langues parlées par environ 1,216
milliard de personnes et on estime aujourd’hui que 67% de la population africaine
possède un téléphone portable — l’envoi de SMS étant l’utilisation la plus courante.
Le nombre d’utilisateurs d’Internet est bien plus faible et concerne seulement 28% de
la population du continent. Cela s’expliquerait notamment par un manque, voire
tout simplement l’absence de contenu utilisant des systèmes d’écritures
autochtones. C’est pourquoi l’ambition du projet de Mark Jamra et Neil Patel est
d’adapter le dessin de caractère vers une utilisation numérique optimisée, et ainsi,
rendre accessible des informations et des savoirs à des populations minoritaires.

Par ses contraintes et ses choix techniques, l’Unicode exerce un pouvoir sur l’accès à
l’information des populations minoritaires, mais aussi, sur l’évolution de l’écriture
dans le monde. L’exemple de l’écriture malayalam, dans l’état indien du Kerala,
montre bien l’importance du codage des caractères et du logiciel dans l’adoption
d’un système d’écriture par une population. Le malayalam est la langue maternelle
de 38 millions de personnes. Cet alphasyllabaire, ou abujida, est constitué
de 18 voyelles et 39 consonnes. En 1971, le gouvernement décida d’appliquer une
réforme de l’orthographe en simplifiant ses 1 000 ligatures, et ainsi, faciliter son
impression et son informatisation. Mais la population conserva l’écriture
manuscrite traditionnelle avec les ligatures complexes. Lors de l’arrivée de l’Unicode
en 1990, les systèmes d’exploitation intégrèrent la version simplifiée du malayalam.
Ce fut sans compter sur le développement parallèle de logiciels libres, qui rendairent
disponible sur ordinateur le système d’écriture avec les ligatures traditionnelles16.
Aujourd’hui, d’après Kavya Manohar (développeuse spécialiste de la communication
numérique) et Santhosh Thottingal (ingénieur logiciel, concepteur de caractères et
spécialiste en langage informatique), l’écriture traditionnelle est revenue en force.
Aussi, en considérant que les formes traditionnelles deviennent de plus en plus
populaires, il serait judicieux de repenser les qualificatifs de « modernes » et
« contemporains » trop souvent utilisé à propos d’un système d’écriture réformé.

16 Kavya Manohar & Santhosh Thottingal, Malayalam Orthographic Reforms : Impact on Language and Popular
Culture, /g afematik/, colloque IMT Atlantique, Brest, 14/06/2018
я

51
Exemples de calligraphie arabe diwani fig. 23 fig. 24

Thuraya, Kristyan Sarkis, 2010 fig. 25


3.3 Solutions techniques au développement de systèmes d’écriture complexes

Prenons à présent quelques exemples pour lesquels le développement typographique


a pu poser question vis-à-vis des caractéristiques de certains systèmes d’écriture.
Pour commencer, la linéarité est l’une des premières contraintes techniques à
laquelle nous faisons face. En effet, les outils qui nous sont accessibles aujourd’hui
ne nous permettent pas de noter des écritures dont l’organisation textuelle est non
linéaire, ou qui possèdent pour le moins une certaine liberté dans la composition et
l’agencement des glyphes.

Le style calligraphique arabe Diwani serait un parfait exemple dans le sens où cette
écriture peut sembler linéaire mais si l’on regarde avec attention l’agencement des
blocs de glyphes, on remarque une inclinaison de la ligne de base. Associé à cela, ce
style possède de très nombreuses ligatures, variantes de signes et élongations.
Toutes ces spécificités suffisent pour rendre son développement typographique
relativement ardu si l’on souhaite préserver les caractéristiques historiques et
traditionnelles de ce style. Aux prémices de l’imprimerie, la complexité des styles de
calligraphie arabe dépassait de loin les capacités des systèmes de composition
orientés vers le latin. En conséquence, selon Kristyan Sarkis, la typographie arabe
s’est retrouvée globalement à l’ère du numérique très limitée17. Si nous prenons
l’exemple des caractères en plomb, une reproduction fidèle des styles calligraphiques
a nécessité la création d’un jeu de caractères extrêmement volumineux — c’est à dire
plus de 900 caractères (par Bulaq Presse, au Caire, au début des années 1800). Quant
à l’adaptation de Linotype vers un arabe simplifié, les limites de la technologie de
composition ont nécessité des modifications fondamentales du système d'écriture en
lui-même. Les récents développements technologiques ont supprimé bon nombre de
ces restrictions et plusieurs nouvelles possibilités émergent grâce à un intérêt
croissant pour la typographie arabe et aux nouvelles ressources à disposition.
Kristyan Sarkis a longuement travaillé sur ces problématiques et a fait du
Diwani le sujet de son projet d’étude au post-diplôme de la KABK en 2010. Il a donc
développé le Thuraya, un caractère de titrage (encore au stade expérimental) qui
réconcilie la calligraphie généreuse du Diwani et les contraintes de la numérisation.
Comme souligné précédemment, la caractéristique la plus distinctive de ce style est
l’inclinaison de la ligne de base. C’est donc avec l’aide d'Erik van Blokland,
dessinateur de caractères et programmeur, qu’ils ont pu mettre au point un
programme permettant la connexion des glyphes, tout en préservant l’essence du
style Diwani.

17 Kristyan Sarkis, Arabic Calligraphy and Type Design, https ://tptq-arabic.com/articles/arabic_calligraphy_


and_type_design, publié le 09/05/2011, consulté le 31/10/2018

53
Hiéroglyhes mayas (bois) fig. 26 fig. 27

Logiciel de l'Idiap peremettant la translitération et la traduction du maya, Codice, 2015 fig. 28


Le développement typographique du maya est encore plus restreint par les limites
de la technologie et notamment l’aspect laborieux de l’encodage d’un système
d’écriture aussi complexe. En effet, cette écriture est constituée de logogrammes18
(ou signes-mots) et de signes syllabaires. Ces glyphes sont alors combinés,
fusionnés, réduits ou agrandis de manière à transmettre au mieux l’ensemble de la
pensée. Depuis quelques années, la complexité remarquable de ce système d’écriture
intéresse très fortement le consortium Unicode.
Carlos Pallán Gayol (chercheur en archéologie et épigraphie mésoaméricaine
et maya) et son équipe ont commencé en 2015 à intégrer les hiéroglyphes mayas
à la norme Unicode19 ; notamment grâce au projet Codice qui permet d’analyser
et générer automatiquement les codex mayas20. L’outil que développent les
chercheurs de l’Idiap à l’origine de Codice a plusieurs fonctions. La première est
de déterminer, parmi une base de données de glyphes, ceux qui sont les plus
semblables à un signe fourni en requête. La deuxième est une recherche plus large :
dans quels documents un glyphe précis apparaît-il ? La troisième est
la classification : elle permet de ranger un glyphe dans une famille thématique.
Enfin, la dernière, la « fonction de découverte », vise à découvrir des éléments
récurrents à l’intérieur d’un même document.
Les premières tentatives d’encodage, jugées prématurées par Carlos Pallan Gayol
et Deborah Anderson (Docteure en linguistique à l'Université de Berkeley), ont eu
lieu dès 1960. Mais malgré d’importantes difficultés rencontrées dans l’encodage, les
avancées dans le déchiffrement et le développement des technologies sont
considérables. Ces progrès techniques mériteraient de s’y attarder plus précisément
mais ce n’ai pas l’objet de notre réflexion ici. Nous pouvons toutefois constater dans
tout ce processus et ces partenariats l’absence totale de dessinateurs de caractères.
L’expertise du dessin de caractères serait pourtant d’une grande aide d’abord dans le
développement de logiciels appropriés mais aussi dans la recherche d’une justesse et
d’une précision formelle.

18 Dessin représentatif d’une notion (logogramme sémantique ou idéogramme) ou d’une suite


phonique constituée par un mot (logogramme phonétique ou phonogramme).
19 Carlos Pallán Gayol, A preliminary proposal for encoding mayan hieroglyphic text in Unicode, Institute for Archaeology
and Ethnology of the Americas, University of Bonn, 22/01/2018
20 Philippe Morel, Déchiffrer le passé avec du silicium, « Le langage, cet inconnu », revue Horizons, numéro
84, mars 2010, pp8-9

55
Aztec fig. 29

Codex Mendoza, 1542 fig. 30


Si le système d’écriture maya est en cours d’intégration à l’Unicode,
le développement typographique des pictogrammes aztec pose question chez
certains chercheurs — tout comme pour le nsibidi. Lors du colloque « Les rencontres
du IIIe Type », organisé par l’ANRT en 2018 à Nancy sur le thème « Écrire avec des
images », Luciano Perondi a rappelé comment l’analyse de systèmes d’écritures
ayant différentes normes que le latin peut constituer un domaine de recherche
fascinant pour les dessinateurs de caractères. Il expliquait également que l’étude de
ces pictogrammes aztèques constituait une base solide pour repenser l’écriture et le
dessin de caractères selon une approche non-alphabétique et non-linéaire. Toutefois
il finit par conclure qu’il serait certainement impossible de numériser un jour le
système d’écriture aztec. Il explique cela par les mêmes spécificités des
pictogrammes maya citées plus haut, mais aussi, à cause des variations de couleurs
et de l’organisation non linéaire des glyphes21. Néanmoins la principale raison pour
que ce système d’écriture soit si peu adapté au dessin numérique est principalement
que le contexte (par exemple le support) joue un rôle essentiel dans la lecture.

21 Luciano Perondi, Framing space in Aztec writing : the Codex Mendoza as a model of transposition, colloque « Les
rencontres du IIIe type : écrire avec des images », Nancy, organisé par l’ANRT, 19/02/2018

57
Les contraintes pour donner une
forme typographique à un système
d’écriture tel que le nsibidi

Un manque de sources

Depuis sa mise au jour au XVIIIe siècle, le nsibidi a été relativement peu étudié, ou


du moins il n’existe pas à notre connaissance de recherches poussées sur sa forme et
sa structure. Les rapports des missionnaires sont davantage des comptes-rendus de
signes, avec des traductions plus ou moins incertaines, et n’apportent pas de
réflexions scientifiques1. Certains chercheurs abordent rapidement ce système
d’écriture mais il ne fait pas l’objet principal de la recherche (Amanda Carlson,
historienne de l'Art, a par exemple abordé le nsibidi dans le cadre d’études sur la
culture Igbo et les mascarades à travers le domaine de l’Histoire de l’Art).
Enfin, il ne reste guère d’artefacts et le laps de temps accordé à cette recherche
ne nous a pas permis d’y accéder — c’est aussi pourquoi cette étude du nsibidi mérite
d’être poursuivi en dehors de ce cadre. Il est essentiel à la recherche de croiser les
sources (archives écrites et archives du sol) et les domaines (expertise du design, de
la linguistique ou de l’anthropologie).

L'interprétation typographique

Des tentatives d'interprétations typographiques numériques du nsibidi ont toutefois


été faites durant le temps accordé à cette recherche. Dans ce processus de dessin, si
un signe apparaissait dans au moins deux sources avec un même sens attribué, alors
ce signe était intégré dans le répertoire typographique.

Par la monolinéarité et des formes relativement simples, l’attention s’est plûtot


portée sur les différentes applications d'un caractère typographique pour le nsibidi.
Différentes graisses ont donc été testées tout au long de cette étude. Le degré de
complexité des picto-idéogrammes peut énormément varier entre les glyphes. Il
s’est donc vite avérer que la première graisse choisi était trop épaisse. Plus la
numérisation progressait, plus les signes se complexifiaient, et plus nous étions
contraints par ses dimensions.

1 J. K. MacGregor, The Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, « Some Notes on
Nsibidi », Vol. 39, 1909, PP. 209-219
Elphinstone Dayrell, The Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, « Further
Notes on Nsibidi Signs with their Meanings from the Ikom District, Southern Nigeria », Vol. 41, 1911, PP.
521-540
P. Amaury Talbot, In The Shadow of the Bush, 1917, PP. 447-461

59
� Une femme enceinte � nsibidi

� Femme qui ne veut plus de son mari


� Un arc et une flèche

�� Querelle de couple
� Faiseur d'ennui,
courtisant
Homme qui veut s'attirer les faveurs
� d'une femme mariée
� Corne d'appel

� L'amour, l'unité, l'union


ou un couple dans un lit � Une chaîne
(très lourde)

��� Un miroir
� La faim (l'homme est censé se replier sur
son ventre)

� Beaucoup d'argent,
la richesse � Un papillon

� Le nid d'une oie


� Bois à brûler

� Amants avec un oreiller à la tête


et au pieds (signe de richesse) � Une route
avec deux passants

� Une tortue
� Mortier avec des médicaments

� Un homme, une femme


L'être humain � Homme attaché
par des fers aux chevilles

� Le soleil
� La médecine, des médicaments

� L'élice
d'un bateau � esclave à vendre
ou esclave avec les mains attachées

� Un crabe
� Un·e amant·e (inconstant·e)
La deuxième étape de dessin a consisté en l’insertion de glyphes nsibidi dans un
texte. Dans ce cas précis, une graisse relativement importante serait plus
appropriée, notamment pour contraster avec le Time New Roman (couramment
utilisé pour les articles scientifiques). Mais encore une fois, cette intégration dans
un texte serait limitée par les dimensions des glyphes. Si un signe complexe devait
être intégrer dans un texte en latin, serait il restreint par la hauteur de la ligne de
base ou dépasserait-il sur les lignes alentours ? Cependant il ne semble pas, pour
l’instant, qu’il y ait de besoin de la part de la communauté scientifique sur ce point.
Nous nous sommes enfin orientés vers une graisse fine qui semblait être la meilleure
option afin d’harmoniser les signes entre-eux. Ce dessin permettait également de
mettre en valeur le squelette et donc le ductus. Ce type de dessin a permis également
l’experimentation d’une fonte variable avec différents axes (optique, échelle, chasse,
courbure…).
Mais à chaque remise en question de dessin ou simplement de graisse, la
frustration de figer ses formes aussi souples et de les contraindre à la linéarité était
toujours présente — et les tests de variabilité n’ont pas suffit à retranscrire la
richesse formelle du nsibidi.

Un autre obstacle et non des moindres a été la contrainte technique. Comme


expliqué précédemment, la non-linéarité pose des questions de l’ordre du
développement typographique. Les possibilités de composition du nsibidi presque
infini, ne permettent pas de prévoir ou de rationaliser les utilisations d’une
hypothétique police de caractère, du moins via l’outil Unicode. Les changements
d’échelles entre les glyphes pourraient être solutionnés grâce à la création d’un axe
optique, mais ne résoudre qu’une spécificité parmi d’autres, ne serait pas
satisfaisant. Par ailleurs, les écritures à directions multiples ou boustrophédon posent
encore des problèmes d’affichage et d’intéraction avec l’utilisateur que l’Unicode n’a
pas encore résolu.

Si l’on prend en compte la dimension performative et l’aspect central du contexte


dans la lecture du nsibidi, est-ce que ce système d’écriture est vraiment voué à avoir
une existence typographique ? Est-ce qu’en passant au numérique, le nsibidi ne
perdrait pas toutes les qualités qui lui sont propres (spacialisation, interaction avec
le support, contexte) ? Si la numérisation se base sur des sources historiques et non
par l’intermédiaire d’utilisateurs, quel doit être notre positionnement ? Doit-on
l’étudier comme un système d’écriture historique à destination des chercheurs ?
Est-ce que tous les systèmes d’écritures du monde sont destinés à avoir une forme
typographique ?

61
02/2018

����������������
�������������
�������������
������������
06/2018


Si nous prenons pour exemple le signe  signifiant
l’amour, l’union, l’unité ou le couple, on peut remarquer
qu'il est constitué de deux signes  signifiant l'homme
ou la femme. Ce signe  récurrent et constitutif est très
représentatif du nsibidi.

fig. 31
10/2018

A B C D E F G H I
J K L M N O
P Q R S T
U V W X Y
Z d e f g h
i j k l m n
opqrst
u v x � � �
63
J. K. MacGregor, 1909 fig. 32
Elphinstone Dayrell, 1911 fig. 33

65
P. Amaury Talbot, 1912 fig. 35
P. Amaury Talbot, 1912 fig. 34

67
Une écriture n’est pas une langue — et la classification des écritures diffère autant
de la classification des langues que la classification des vêtements de celle des
peuples. L’écriture, cependant, est multiple, utilisée par différentes personnes de
différentes façons. En soi, elle est à la fois plus et moins qu’une langue. Plus, car elle
peut se développer en formes riches et variées d’art graphique. Moins car, bien que
nous l’aimions, elle n’est pas un élément incontournable de l’expérience humaine ou
de la perpétuelle condition humaine. Si la langue était perdue, l’humanité serait
perdue. Si l’écriture était perdue, certaines formes de civilisations et de société
seraient perdues, mais bien d’autres formes subsisteraient — et il n’y a pas de raison
de penser que ces alternatives seraient inférieures. Les humains ont vécu sur terre
avec succès — et pour autant que l’on sache, plutôt heureux — pendant une
centaine de milliers d’années sans le bénéfice de l’écriture. Ils n’ont jamais vécu, ni
jamais été heureux, pour autant que l’on sache, en l’absence de langues.

Le poète, dessinateur de caractères et linguiste Robert Bringhurst dans La forme solide


du langage, Ypfilon.éditeur, Bibliothèque typographique, Paris, 2011
Conclusion

Il est certain que le système d'écriture nsibidi mériterait une bien plus longue étude
et la mobilisation de ressources plus importantes. Ce système d’écriture convoque de
nombreuses problématiques aussi bien historiques, linguistiques, sémiologiques et
typographiques. Cependant, Le travail réalisé tout au long de cette année sur le
nsibidi nous amène à conclure que ce système d'écriture n'est sans doute pas voué à
conaître une existence typographique, ou même à être l’objet d’une proposition de
codage pour intégrer la norme unicode — et ce n’est pas mal pour autant. Le fait que
l’Unicode soit l’unique système de codage de caractère au monde implique d’avoir
l’entière responsabilité de l’évolution d’une écriture1 — aussi bien dommageable que
bénéfique. Une fois acceptées par le consortium Unicode, les propositions de codage
sont définitives. Faites par des linguistes et des passionnés, ces propositions sont
parfois incomplètes et faites sans échanges avec les utilisateurs et sans le regard de
dessinateurs de caractères. Des erreurs se sont accumulées et impactent le plus
souvent les systèmes d’écritures les plus fragiles comme les écritures mortes et
anciennes. Aussi, la norme Unicode est sûrement trop standardisé pour un système
d’écriture aussi libre et mobile que le nsibidi. Ces pictos-idéogrammes dépassent de
beaucoup notre vision de l’écriture et de la lecture pour être normalisés dans un
système de codage aussi figé et irrévocable que l’Unicode — ou du moins, à notre
connaissance, pas aujourd’hui.
Pour autant, le projet The Missing Script conduit à l’ANRT démontre bien que le
travail d’intégration à l’Unicode, et de numérisation des systèmes d’écriture du
monde qui reste à faire est considérable. Car si le système d’écriture nsibidi ne
correspond pas à cette norme aujourd’hui, d’autres ont besoin d’être numérisés et
encodées. Sur 292 systèmés d’écritures, seul la moitié sont intégrés à l’Unicode 11.0.
Des communautés de chercheurs (archéologues, épigraphistes…) et des populations
minoritaites ont besoin d’accéder à ses écritures manquantes (ou Missing Scripts),
aussi bien dans un souci de préservation que de communication et d’accès au savoir.
Il est possible de qualifier l’Unicode comme un outil de globalisation critiquable,
néanmoins, l’Unicode est avant tout un formidable moyen de préservation, de
diffusion et de valorisation de systèmes d’écritures minoritaires.

1 Yannis Haralambous, « Unicode et typographie : un amour impossible », Unicode, écriture du monde ?,


« Document numérique », Vol. 6, numéro 3-4/2002, Dir. Jacques André et Henri Hudrissier, Lavoisier,
Paris : Hermès Science Publications, 2002, pp 105-137

69
Iconographie

fig. 01-34-35 Talbot P. A., In The Shadow of the Bush, 1917


fig. 19 M. K. Atatürk enseignant le nouvel
fig. 02 Nsibidi sur calebasse, site archéologique, alphabet à des fonctionnaires, Sivas,
Calabar, IXe siècle Turquie, 1928
Source : Pofesseur Ekpo Eyo
fig. 20 1eʳ livre de grammaire imprimé adoptant le
fig. 03 Nsibidi sur les costumes du film Black Panther nouvel alphabet, Türk Alfabesi, Necmeddin
(2018) Sadık Kapak, 1928

fig. 04-33 Dayrell E., The Journal of the Royal Anthropological fig. 21 Specimen de Kigelia, Jamra Patel, 2018
Institute of Great Britain and Ireland, « Further
Notes on Nsibidi Signs with their Meanings fig. 22 Malayalam, Standard Unicode 11.0,
from the Ikom District, Southern Nigeria », 1991-2018 Unicode
Vol. 41, 1911, PP. 521-540
fig. 23 Exemple de caligraphie diwani,
fig. 05 Procession ekpe, Dr. Eli Bentor source inconnue

fig. 06 Ukara (pagne), attribut d'un membre de fig. 24-25 Specimen Thuraya, Kristyan Sarkis, 2010
l'institution ekpe
fig. 26 Glyphes maya sculptés, The Alphabet,
fig. 07 Hutte Igbo, P. A Talbot, 1917 « A Key to the History of Mankind »,
David Diringer, 3e édition, 1968
fig. 08 Major A. J. N. Tremearne, “Notes of Some
Nigerian Tribal Marks”, The Journal of the Royal fig. 27-28 A Preliminary Proposal for Encoding Mayan
Anthropological Institute of Great Britain and Ireland, Hieroglyphic Text in Unicode, L2/12-038, Carlos
1911 Pallán Gayol, Institute for Archaelogy and
Ethnology of the Americas, University of
fig. 09 Postures d'écriture sur le sol, Afrique, J. Bonn, Janvier 2018
Drouin, 1975
fig. 29 Construction des pictogrammes aztec, The
fig. 10-11 Tufte E. R., Invisioning Information, Graphics Delineation of the Day Signs in the Aztec
Press, 1990 Manuscripts, Thomas Talbot Waterman, 1916

fig. 12-31-32 MacGregor J. K., The Journal of the Royal fig. 30 Codex Mendoza, 1542
Anthropological Institute of Great Britain and Ireland,
« Some Notes on Nsibidi », Vol. 39, 1909

fig. 13 Talbot P. A., In The Shadow of the Bush, 1917

fig. 14 Poster The World's Writing Systems, The Missing


Scripts, Concept : Johannes Bergerhausen,
Recherche : Dr. Deborah Anderson, Type
Design : BlockDock, J. Bergerhausen & Jérome
Knebusch, Missing Scripts, Arthur Francietta &
Morgane Pierson (ANRT), Design : Ilka
Helmig, Johannes Bergerhausen, 2018

fig. 15 The Alphabet, « A Key to the History of


Mankind », David Diringer, 3e édition, 1968

fig. 16 Designing Greek typefaces, Gerry Leonidas,


https ://link.medium.com/eIEfhE3awU, 2018

fig. 17 Dictionnaire Coréen-Français et livre de


Grammaire Coréenne, Yokohoma, 1880, 1881

fig. 18 Annonce du changement de l'alphabet,


Turquie, 1928
Bibliographie

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Haralambous Y., « Unicode et typographie : un amour


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numérique », Vol. 6, numéro 3-4/2002, Dir. Jacques André et
Henri Hudrissier, Lavoisier, Paris : Hermès Science
Publications, 2002, pp 105-137

71
REMERCIEMENTS

À Thomas Huot-Marchand, pour toutes ces expériences


inoubliables,

À Johannes Bergerhausen, pour ces bons conseils,

À Jérémie Hornus, Jérôme Knebusch, Charles Mazé,


Émilie Rigaud, Alice Savoie, pour tout leur savoir,

À Alexis Faudot, Rémi Forte, Rafael Ribas, Tanguy Vanlæys,


Rosalie Wagner, pour le plaisir d'être ensemble,

À la promotion ANRT 2016, pour tous ces bons moments,

À la promotion ANRT 2018, you have to traverse,

À ma famille, pour leur confiance,

À Francis Ramel et Julie Luzoir, pour leurs encouragements.

Merci aussi à Montasser Drissi, Victor Reinhard,


Onur Yazıcıgil, pour ces passionnantes conversations.

73
Caractères
Fedra Serif A & B Pro (Peter Bil'ak, Typothèque)
Fedra Sans Alt Std (Peter Bil'ak, Typothèque)
Missing Script (Arthur Francietta, Morgane Pierson, ANRT)
Blockdock (Jérôme Knebusch, Johannes Bergerhausen)

Atelier National de Recherche Typographique,


1 place Charles Cartier-Bresson, 54013 Nancy.

Mars 2019.

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