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INDIVIDU ET SOCIÉTÉ

5e ÉDITION

CLAIRE DENIS • GILLES MILLETTE • JOËLLE QUÉRIN • ISA VEKEMAN-JULIEN


INDIVIDU ET SOCIÉTÉ
5e ÉDITION

CLAIRE DENIS
Cégep de Sherbrooke

GILLES MILLETTE
Cégep de Sherbrooke

JOËLLE QUÉRIN
Cégep de Saint-Jérôme

ISA VEKEMAN-JULIEN
Cégep Limoilou

CONCEpTION ET RÉDACTION DES OUTILS pÉDAGOGIQUES EN LIGNE :


Dominique Comtois (Cégep de Trois-Rivières),
Robert Ménard (Cégep régional de Lanaudière à Terreborne),
Joëlle Quérin (Cégep de Saint-Jérôme) et
Isa Vekeman-Julien (Cégep Limoilou)
Individu et société
5e édition Des marques de commerce sont mentionnées ou illus-
trées dans cet ouvrage. L’Éditeur tient à préciser qu’il
Claire Denis, Gilles Millette, Joëlle Quérin et Isa Vekeman-Julien n’a reçu aucun revenu ni avantage conséquemment
à la présence de ces marques. Celles-ci sont repro-
© 2013 Chenelière Éducation inc. duites à la demande de l’auteur en vue d’appuyer le
© 2007, 2001,1995 Les Éditions de la Chenelière inc. propos pédagogique ou scientifique de l’ouvrage.
© 1991 McGraw-Hill Éditeurs
Conception éditoriale : Sophie Jaillot
Édition : Maxime Forcier Les cas présentés dans les mises en situation de cet
Coordination : David Bouchet ouvrage sont fictifs. Toute ressemblance avec des
Révision linguistique : Mireille Léger-Rousseau personnes existantes ou ayant déjà existé n’est que
Correction d’épreuves : Maryse Quesnel pure coïncidence.
Conception graphique : Pige Communication
Illustrations : Julien Paré-Sorel
Conception de la couverture : Tatou
Impression : TC Imprimeries Transcontinental Le matériel complémentaire mis en ligne dans notre
site Web est réservé aux résidants du Canada, et ce,
Édition des activités interactives : Daphnée Marion-Vinet à des fins d’enseignement uniquement.
et Maxime Forcier
Coordination éditoriale du matériel
complémentaire Web : Daphnée Marion-Vinet
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Catalogage avant publication


de Bibliothèque et Archives nationales du Québec
et Bibliothèque et Archives Canada

Vedette principale au titre :


Individu et société
5e éd.
(Comprend des réf. bibliogr. et un index.
Pour les élèves de l’élémentaire.
ISBN 978-2-7650-2981-6
1. Sociologie. 2. Structure sociale. 3. Différenciation sociale.
4. Québec (Province) – Conditions sociales – 21e siècle. i. Denis, Claire,
1956- .
HM588.I53 2013 301 C2012-941574-X

5800, rue Saint-Denis, bureau 900


Montréal (Québec) H2S 3L5 Canada
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ISBN 978-2-7650-2981-6
Dépôt légal : 1er trimestre 2013
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
Imprimé au Canada
1 2 3 4 5 ITIB 17 16 15 14 13
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par
l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.
Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de
livres – Gestion SODEC.
AVANT-PROPOS

Étudier dans le champs des sciences humaines et sociales nécessite d’acquérir


une compréhension minimale de la société et des phénomènes sociaux. Voilà ce
qu’entend apporter cette cinquième édition d’Individu et société. En effet, une lec-
ture sociologique de notre monde est non seulement utile dans toute pratique
professionnelle, mais elle est aussi indispensable pour saisir la réalité de manière
plus juste et pouvoir faire des choix éclairés en tant que citoyen.
Cet ouvrage est structuré en trois parties. Dans la première, « La nature de la
sociologie », nous présentons la sociologie en la distinguant d’abord des autres
sciences humaines, puis en exposant les principales théories sur lesquelles elle
s’appuie.
La deuxième partie, « L’organisation de la vie sociale », traite plus précisément
des différents modes d’insertion de l’individu dans la société et présente certains
concepts fondamentaux qui aident à lire la dynamique sociale : la culture, les
valeurs, les normes, la socialisation, les groupes, le contrôle social et la déviance,
pour n’en nommer que quelques-uns.
La troisième partie, « Les inégalités et les différences sociales », porte sur le
processus de différenciation sociale. Ce processus, que l’on observe dans toutes
les sociétés, nous permet de comprendre le fait que l’identité d’un individu est
largement tributaire des caractéristiques de son groupe d’appartenance. Par
ailleurs, l’étude de la différenciation sociale nous éclaire également sur quelques-
unes des facettes négatives de la vie sociale comme l’exploitation, la discrimina-
tion, le racisme ou le sexisme.
Au terme de votre lecture, vous aurez sans doute compris que l’individu est
non seulement le produit de la société dans laquelle il vit, mais qu’il en est aussi
un acteur, et que de ce fait, il a le pouvoir de l’améliorer par ses actions. C’est
cette idée qui ne nous a pas quittés tout au long de la rédaction de cet ouvrage
et que nous souhaitons vous transmettre.
REMERCIEMENTS

Ce manuel d’introduction à la sociologie a vu le jour en 1991 dans le but d’orir du


matériel pédagogique original adapté à l’enseignement collégial. Ce type de maté-
riel était pratiquement inexistant à l’époque.
Nous proftons de la publication de cette 5e édition pour exprimer notre recon-
naissance à David Descent et à Jacques Fournier, sans qui ce livre n’aurait pas vu
le jour. Nous tenons à les remercier chaleureusement pour leur apport dans la
production de matériel pédagogique et pour leur contribution à l’enseignement
de la sociologie. Ces deux membres de l’équipe originale d’auteurs ont cédé leur
place à deux jeunes collègues, Joëlle Quérin et Isa Vekeman-Julien.
Un manuel a tout avantage à être le ruit d’un travail de collaboration. En plus
du travail minutieux et concerté de notre équipe d’auteurs, les critiques et com-
mentaires des collègues qui œuvrent quotidiennement sur le terrain auprès des
étudiantes et étudiants nous ont été extrêmement précieux. On peut penser
notamment à Maurice Angers et à Gérard Daigle, proesseurs de sociologie, qui
ont agi à titre de consultants lors des premières éditions de cet ouvrage, mais
aussi à tous les consultants, qui, grâce à leurs commentaires et suggestions, ont
contribué à l’élaboration de cette édition :
Julie Allard (Cégep de Drummondville), Mélina Bouard (CEC de Montmagny),
Martin Bussières (Cégep Lévis-Lauzon), Dominique Comtois (Cégep de Trois-Rivières),
Frédéric D’Astous (Cégep de Granby-Haute-Yamaska), Patrik Garon (Collège
Montmorency), Marie-Michèle Giroux (Cégep Lévis-Lauzon), Robert Ménard
(Cégep régional de Lanaudière à Terreborne), Éric Richard (Campus Notre-
Dame-de-Foy), Mathieu Saint-Jean (Cégep régional de Lanaudière à Joliette),
Pierre Spénard (Collège de Valleyfeld) et André St-Louis (Collège Shawinigan).
Enfn, nous remercions l’équipe de Chenelière Éducation qui a soutenu avec
proessionnalisme et enthousiasme chaque étape de la production de ce livre, en
particulier Sophie Jaillot (éditrice conceptrice), Maxime Forcier (éditeur) et David
Bouchet (chargé de projet).

Claire Denis, Gilles Millette, Joëlle Quérin et Isa Vekeman-Julien


PRÉSENTATION DES AUTEURS

Claire Denis
Claire Denis enseigne au Cégep de Sherbrooke depuis 1987. Elle a auparavant
enseigné la sociologie au Collège de Maisonneuve ainsi qu’au Collège Champlain
de Lennoxville, puis elle a été chargée de cours à l’Université de Sherbrooke et à
l’Université Bishop’s. Elle détient une maîtrise en sociologie de l’Université de
Montréal. Ses intérêts portent particulièrement sur les problèmes sociaux, le émi-
nisme et le changement social.

Gilles Millette
Gilles Millette enseigne la sociologie au Cégep de Sherbrooke depuis 1977. Il est
détenteur d’une maîtrise en sociologie de l’Université de Montréal. Au l des ans,
il s’est intéressé au domaine des médias de masse, de l’inormation et de la publi-
cité de même qu’à celui de la amille.

Joëlle Quérin
Joëlle Quérin enseigne la sociologie au Cégep de Saint-Jérôme depuis janvier 2010.
Elle détient une maîtrise en sociologie de l’Université de Montréal et poursuit un
doctorat en sociologie à l’Université du Québec à Montréal. Elle collabore égale-
ment à l’Institut de recherche sur le Québec à titre de chercheuse associée.

Isa Vekeman-Julien
Isa Vekeman-Julien enseigne la sociologie au Cégep Limoilou depuis 2008 et termine
ses études de maîtrise en sociologie à l’Université Laval. Ses multiples engagements
proessionnels refètent sa passion pour l’enseignement et la compréhension des
enjeux sociaux actuels, particulièrement ceux liés à l’infuence sociale des techno-
logies et au monde de l’éducation. Elle est également coauteure de l’ouvrage Défs
sociaux et transormation des sociétés, publié chez le même éditeur.
CARACTÉRISTIQUES DU MANUEL

Ce manuel propose plusieurs composantes favorisant un apprentissage structuré et stimulant.

PLAN DE CHAPITRE
8.1 Le processus de différenciation sociale
8.1.1 Les différences et les inégalités sociales
8.1.2 Les critères de différenciation sociale

En ouverture de chapitre 8.2 La différenciation ethnique : une forme


de différenciation sociale
8.2.1 Les minorités
8.2.2 Les groupes ethniques
8.2.3 Les groupes racisés

CHAPITRE
8
8.3 Les relations ethniques

Les objectifs d’apprentissage


8.3.1 L’identité et l’appartenance ethnique
8.3.2 L’ethnocentrisme et le relativisme culturel
8.3.3 La discrimination et le racisme
8.4 Quelques enjeux relatifs aux relations ethniques

permettent à l’étudiant de cibler 8.4.1 L’immigration


8.4.2 Les modèles gouvernementaux de gestion
de la diversité

les connaissances à acquérir LA DIFFÉRENCIATION SOCIALE


et les habiletés à maîtriser. ET LES RELATIONS ETHNIQUES
CONCEPTS-CLÉS
• Accommodement • Groupe racisé .......253

Les concepts-clés identient les


raisonnable ..........267
OBJECTIFS D’APPRENTISSAGE • Assimilation ..........267
• Intégration ............266
• Interculturalisme ...269
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :
• Différenciation

principales notions qui seront


• Multiculturalisme ..269
sociale .................243
de reconnaître et de décrire les processus de reconnaître et de décrire les différentes
• Pluralisme ............269
de différenciation sociale à l’œuvre dans formes que peuvent prendre les relations • Discrimination .......260
une société ; ethniques dans une société ; • Préjugé .................259
• Ethnicisme ...........260

abordées dans le chapitre. de distinguer et d’utiliser de façon appropriée


les différents concepts-clés relatifs aux
relations ethniques ;
de discerner différents enjeux propres aux
relations ethniques et de mieux comprendre
les débats qu’ils soulèvent dans nos sociétés.
• Ethnocentrisme .....257
• Groupe ethnique ...251


Racisme ...............260
Relativisme
culturel .................258

Le plan de chapitre ore une vue


d’ensemble du chapitre et de sa
structure.
Individual_Ch08.indd 240 08/03/13 2:32 PM Individual_Ch08.indd 241 08/03/13 2:33 PM

Au cours du chapitre
MISE EN CONTEXTE

Au cours des années 1930, deux jumeaux ont été séparés dès la petite
enance. Le premier a été pris en charge par sa grand-mère maternelle, qui
La mise en contexte :
vivait dans le sud de la Tchécoslovaquie et qui lui a donné une éducation
catholique très stricte. Membre d’une organisation paramilitaire du parti
nazi, les Jeunesses hitlériennes, il a appris à haïr les Juis. Le second a été
éduqué par son père, jui, dans la colonie britannique de l’île de Trinité.
Chaque chapitre s’ouvre sur un texte
À 17 ans, il a intégré un kibboutz (communauté nationaliste juive) et rallié
les rangs de l’armée israélienne. Par la suite, durant la Seconde Guerre mon-
diale, il a intégré l’armée britannique, et appris à détester les nazis.
Les deux rères se sont revus quelques années plus tard, en 1954. À ce
de mise en contexte qui vient introduire
et illustrer le thème à l’étude. Elle est
moment, le second n’a pas mentionné au premier qu’il était jui. En 1979, ils
ont été de nouveau réunis (Begley, 1979). Les chercheurs leur ont alors
trouvé une ressemblance physique et quelques comportements similaires.
Cependant, malgré leurs origines génétiques si semblables, les deux rères

accompagnée de questions destinées


se distinguaient nettement sur bon nombre de points. Le premier avait une
préérence pour les loisirs, était traditionaliste, considérait que l’homme
était supérieur à la emme et ne parlait jamais de ses origines juives. À l’op-
posé, le second était un véritable bourreau de travail, adhérait à des idées contenu sexuel aurait notamment pour eet d’encourager l’adoption de certains
libérales, acceptait le courant éministe et semblait extrêmement er de ses
origines. Leurs valeurs, leurs açons d’agir et de penser, leurs idéologies,
leur personnalité en somme, se distinguaient nettement.
à susciter une première réfexion.
comportements délétères chez les jeunes : obsession de l’image corporelle, particu-
lièrement chez les jeunes lles, adhésion à des stéréotypes, précocité des relations
sexuelles, comportements sexuels non sécuritaires et violence dans les relations
amoureuses. Bien entendu, cela ne signie pas que les médias infuencent les jeunes
de manière inconditionnelle. Ils leur orent davantage une gamme de supports sym-
boliques dans laquelle, par une opération de classement et de choix, ils puisent
Qu’est-ce qui explique les diérences importantes observées entre ces
pour élaborer leurs rôles et développer leur identité (Caron et Caronia, 2000).
deux êtres biologiquement si semblables ?
En regard de ce cas vécu, peut-on dire que les manières d’être, d’agir Par-delà les reproches que l’on peut aire aux médias, les critiques concèdent tou-
et de penser d’un individu sont principalement instinctives (innées) ou teois qu’ils n’ont pas toujours une infuence négative sur la socialisation. Ainsi, les
développées sous l’infuence de l’éducation et de l’environnement
social (acquises) ?
émissions télévisées éducatives, même si elles ne constituent pas une proportion
signicative de la programmation destinée aux enants et regardée par eux, peuvent
Quels liens cela permet-il d’établir entre l’identité individuelle d’une
personne et les éléments constitutis de la culture propre à sa quand même les aider à acquérir certaines aptitudes essentielles à l’école : l’écoute,
collectivité ? l’échange, la curiosité, la dextérité et la réfexion. Elles mettent aussi les jeunes en
présence de connaissances, de cultures et de modes de vie dont ils n’auraient peut-
être jamais entendu parler autrement. Internet, pour sa part, jouit d’un potentiel
presque inni en ce qui concerne l’accès à de l’inormation. Pour quiconque sait
l’utiliser judicieusement et avec discernement, c’est-à-dire en questionnant la crédi-
bilité et la validité des sources d’inormation qui s’y trouvent, cette énorme biblio-
thèque à domicile ore une multitude d’avantages. De plus, Internet participe
désormais à la vie sociale des individus. En eet, selon certains spécialistes, loin de
rendre les gens passis, Internet exige au contraire la participation active des indi-
vidus. Il constitue une pratique sociale accessible et commune qui leur permet de
communiquer au sein d’un groupe social. Loin d’éloigner les gens, il donne alors un
nouveau sens aux mots « communication » et « socialisation » (voir l’encadré 4.3).
reconnu pour lui-même, par l’intermédiaire
de modèles auxquels il se rattache, pour se
4 Partie II L’organisation de la vie sociale orger une image de ce qu’il est et de ce qu’il
Encadré 4.3 SOCIOLOGIE AU QUOTIDIEN sera. Il prend ses distances à l’égard de ses
parents, souhaitant se défnir en tant qu’in-
Individual_Ch04.indd 4 06/02/13 10:25 AM La construction de l’identité… virtuelle ! dividu indépendant (voir l’encadré 4.2). Les
groupes d’amis deviennent alors son milieu
L’engouement pour les réseaux sociaux numériques s’amplie autre, aux médias sociaux et y consacrentdeenréérence,
moyenne en lieu et place de la amille.
d’année en année. Ceux qui recueillent le plus d’adeptes sont 8,6 heures par semaine (CEFRIO, 2012). Le perectionnement
Le développement physique découlant
sans conteste Facebook (750 millions d’utilisateurs actis des technologies de l’inormation et des communications
de la puberté qui s’eectue durant ces

Les encadrés :
avec, en moyenne, 130 amis chacun), Twitter (200 millions (TIC), comme celui des téléphones cellulaires et de la messa-
années contribue aussi au désir d’afrma-
d’envois par jour) et YouTube (700 milliards de vidéos regar- gerie texte, participe à rendre ces médias de tionplusdeenl’adolescent,
plus notamment par l’afr-
dées depuis sa création). Aujourd’hui, 91,8 % des jeunes accessibles et omniprésents. mation de son identité sexuelle. Après

L’encadré Sociologie au quotidien illustre,


Québécois de 18 à 24 ans participent, d’une manière ou d’une avoir
Dès lors, comment ignorer l’infuence grandissante desvécu
médias l’assujettissement de l’enance,
sociaux ainsi que leur incidence sur le processus il se
de sent devenir égal à l’adulte et il sou-
socialisa-
haite
tion et la construction de l’identité ? L’élaboration exercer
de prols sur les droits et libertés que cela

à travers des exemples pertinents, le rôle les médias sociaux mène régulièrement à uneimplique.
de l’identié, où le « moi virtuel » domine parois
extériorisation
autres,
le « moipar
mentaires
Cette afrmation passe, entre
réell’apparence
remettant en question la rontière entre réalité et virtualité. Les
», et des tenues vesti-
provocantes qui ont sursauter

et l’infuence que la sociologie exerce dans bien


placés,
des
usages identitaires des internautes vont de la simple manipu-
lation de l’image projetée à la création pure et simple d’une
Le développement physique qui s’eectue à la puberté contribue au désir
personnalité inventée de par
toutes remise
pièces (Géoris,
à
2009).en
parents.
cette étape,
Or,question
la
Les adolescents sont
dans une situation de
de ce qu’ils sont et de
d’afrmation de l’adolescent. Cette afrmation passe, entre autre, des tenues

la vie de tous les jours.


ce qui les entoure, et doivent défnir et
vestimentaires qui ont sursauter bienconstruction
des parents. d’identités virtuelles, associées dans certains cas
construire
extrêmes à de la cyberdépendance, peut mener à une véri- ce qu’ils seront.
table théâtralisation de l’identité : une abrication identitaire
pure et simple, plus ou moins inspirée de la personne réelle,
Encadré 4.2 APPLICATION THÉORIQUE

L’encadré Application théorique vient


un jeu de rôles, en somme. Plus réquemment, l’anonymat
Du marquage traditionnel au bodyart

montrer à l’étudiant comment certaines 36 Partie II L’organisation de la vie sociale


Tatouage et piercing, stretching
(agrandissement par étirement pro­
social pour l’individu au sein de sa communauté (Le Breton,
2002), qui se distingue dès lors de ceux n’ayant pas ranchi
gressi d’un piercing), branding cette épreuve rituelle. Par exemple, les mokos (motis tatoués)

thématiques précises peuvent être Individual_Ch04.indd 36


(mar quage par brûlure) ou scarif­
cation (marquage par incision)… Si
recouvrant la tête des hommes et le menton des emmes
maoris, étaient réservés aux plus 25/01/13
importants membres de la
1:22 PM

les modifcations corporelles ont communauté. Les individus sans moko étaient traditionnelle­
expliquées sous l’angle des principales aujourd’hui la cote, ces pratiques
n’ont pourtant rien de nouveau.
ment considérés sans statut social. De plus, ces marquages
ont souvent lieu lors de grands rites qui sont, pour Durkheim,
Marquer le corps de manière dis­ des occasions pour une collectivité de communier. Ces rituels
théories sociologiques. tinctive relève des rites les plus
séculaires. On désigne d’ailleurs
ont pour onction de aire perdurer les représentations collec­
tives et d’assigner les statuts sociaux selon une procédure
sous le terme modern primitives les consacrée, contribuant ainsi à la stabilité sociale.
adeptes contemporains de modifcations corporelles inspirées
de ces usages ancestraux. D’un point de vue marxiste, on s’intéresse plutôt au caractère
de servitude du marquage. Par exemple, le marquage des
D’un point de vu onctionnaliste, ces diverses ormes de mar­ esclaves ou des prisonniers a été adopté dans de nombreuses
quage corporel, dans les sociétés traditionnelles ondées sur cultures et à de nombreuses époques : marquage puniti des
la solidarité organique, découlent d’une démarche collective et criminels par les autorités au Japon jusqu’à l’ère Edo, numéros
remplissent des onctions sociales précises. Elles visent à
de matricule gravés sur les bras des détenus d’Auschwitz à
marquer l’inclusion et l’appartenance de l’individu au groupe,
l’époque du iiie Reich, signes tatoués sur le ront des esclaves
avorisant ainsi la cohésion sociale.
rebelles en Rome antique, etc. En ce sens, le tatouage peut être
Ces pratiques, communément associées à des rites de pas­ le symbole d’un rapport de domination d’un groupe social sur
sage, marquent en eet l’acquisition d’un nouveau statut un autre, matérialisant et, en un sens, légitimant celui­ci. Il est
L’encadré Sociologue en action brosse Encadré 3.2 SOCIOLOGUE EN ACTION

le portrait d’un sociologue dont les Guy Rocher, professeur titulaire, Université de Montréal

travaux ont contribué à l’enrichissement Guy Rocher est sans conteste l’un déf à relever : celui de ne pas tomber dans la régulation exces-
des pionniers de la sociologie qué- sive et celui de respecter la créativité des chercheurs.
bécoise. Titulaire d’un doctorat en

de la connaissance et de la recherche. sociologie de l’Université Harvard


(1958), il entame sa carrière en diri-
Les sociologues en action développent aussi une culture poli-
tique en prenant part aux changements sociaux. Guy Rocher
revient sur la nécessité d’une culture politique dynamique au
geant l’École de service social de
Québec. Dans un de ses écrits (1997b), il expose l’évolution de
l’Université Laval et sa revue Service
la culture politique québécoise du point de vue de l’histoire
social (1958-1960), tout en ensei-
des classes sociales : l’évolution de la classe rurale jusqu’à la
gnant la sociologie et la psychologie
fn des années 1950, celle de la classe ouvrière dans les
sociale. Puis, en 1960, il devient proesseur au département
années 1960 et 1970, puis celle de la classe moyenne
de sociologie de l’Université de Montréal, où il est encore acti
aujourd’hui. Ces étapes ont amené à une redéfnition de l’État
à ce jour, en plus d’être chercheur au Centre de recherche en
L’encadré En complément jette un droit public à la aculté de droit de laEncadré
même université.
perspective sociologique a inuencé la ormation de l’esprit
et de la démocratie. Les groupes de pression se ont plus
9.1 ENLaCOMPLÉMENT
entendre qu’autreois, lorsque l’Église était plus puissante. La
proessionnalisation du Québec a largement contribué à cet
critique de ce grand penseur du social. La condition féminine dans le monde
éclairage sur une question précise ou essor démocratique. Le nationalisme, d’abord canadien-ran-
Au cours de sa carrière, Guy Rocher a écrit plusieurs livres et çais, puis québécois, a aussi joué un rôle très important dans
articles, chapitres de livres et documents d’étude. Plusieurs de le développement culturel et politique moins dudéveloppés,
Québec. Quelle il estque
de 1/75. En Arique subsaharienne,

offre un complément d’information ses ouvrages, comme la ameuse Introduction à la sociologie soit l’allégeance politique des individus, il est deil 1/22.
est clair pour Guy
générale (1969) et la présentation des théories de Talcott Rocher que le Québec a besoin d’un • EnÉtat ort. subsaharienne, 59 % des porteurs du VIH sont
Arique
Parsons (1972), lui ont valu des prix prestigieux et ont été tra-
Pour cela, il aut aussi que les des emmes.soient solides.
institutions

pertinent en lien avec le sujet à l’étude. duits en plusieurs langues. Depuis plus de 50 ans, ce socio-
logue engagé contribue aux grandes transormations du
Québec. À plusieurs reprises, il a conseillé le gouvernement
Concernant l’éducation, Guy Rocher
déense du réseau collégial, remis en
• Dans certains
a pris
dequestion
pays,pour
position
mutilations
la majorité
par legénitales.
la des emmes sont victimes
gouverne-C’est le cas de la Guinée, de
ment Charest. Dans une conérencel’Égypte, de l’Érythrée,
retranscrite et publiée du parMali, de l’Éthiopie et du Burkina
québécois en tant que membre de la Commission royale d’en-
la CSN (Rocher, 2004), ce grand sociologue, Faso. qui a largement
quête sur l’enseignement (Commission Parent, 1961-1966),
contribué à l’élaboration du système • Plusd’éducation
de 43 % desquébécois,
victimes du trac humain sont destinées
puis en tant que président du Comité d’étude pour la ondation
afrme que le cégep a un rôle ormateur de premiersexuelle.
à l’exploitation plan. SelonParmi ces dernières, 98 % seraient
de l’Université du Québec à Montréal (1965-1966). Il a égale-
lui, cette institution permet d’orienter des les élèvesetpendant
emmes des lles. une
ment occupé le poste de sous-ministre au Développement
Les conditions de vie des emmespériode varientdede leur
açonvieimportante
remplie d’hésitations devant un marché du
culturel (1977-1979) et au Développement social (1981-1983). • Seulement 14 % des ches de gouvernement dans le monde
d’une région du monde à l’autre. Un travail de plus
rapport en plus
de l’ONU complexe.
publié en Elle avorise aussi une transi-
Chaque encadré est accompagné d’une De nombreux prix nationaux et internationaux ont récompensé
2010 révèle que, si les conditionstion
ce grand intellectuel, Chevalier de l’Ordre national du Québec
et Compagnon de l’Ordre du Canada.
desouple
vie desentre
eet de réduire
liorent globalement sur la planète, certaines
l’écoles’amé-
emmes
le décrochage
situations
sont des emmes.
secondaire et l’université, ce qui a pour
• Seuls 23 parlements
demeurent et d’encourager le « raccrochage dans» le monde sont composés d’au
scolaire.
alarmantes. Voici quelques aits saillants : En outre, la ormation collégiale moins 30 % de
aide les emmes.
individus à

question de discussion en lien avec le Récipiendaire de plusieurs doctorats


• Parmihonorifques
Université Laval, 1996 ; en sociologie,
(en droit,
les 774 millions
deuxUniversité
tiers sont de
d’adultesatteindre
desMoncton,
illettrésune
danscertaine
le monde,égalité
les devant
Question
l’acquisition des connais-
emmes. sances et, enfn, elle participe à l’enrichissement de la culture
1997), Guy Rocher continue ses recherches et poursuit son rôle québécoise. L’engagement de Rocher pour l’éducation
Identiez des causess’est tra- de ces conditions vécues par
possibles
contenu présenté. • Dans les pays développés, le risque de mort obstétrique
de citoyen engagé. Ainsi, dans un article concernant la recherche, duit, plus récemment, par sa priselesdeemmes
(maternal death) est de 1/7 300, alors que dans les pays
positiondans
il critique les nombreuses normes qui régulent aujourd’hui la gratuité scolaire à l’université, objecti déjà proposé lors de la
en regard
le monde. de la

recherche scientifque (Rocher,Source


1997a). Il trouve
: United l’idéologie
Nations de World’s
(2010). The rédaction
Women du2010
rapport de laand
: Trends Commission Parent.
Statistics, New York,Pour GuyNations,
United Rocher,
l’excellence trop prédominante et élitiste.o La
Department survivance
Economic des Aairs.
and Social la perspective sociologique permet une réexivité sur notre
plus aptes à évoluer dans cet univers ait que les chercheurs société. Cette réexivité est chaque jour à entretenir comme un
doivent être en perpétuelle adaptation. Il voit alors un double bien précieux dont on a hérité.
RÉSEAU DE CONCEPTS Le sexe biologique et le sexe social

L’intégrationSexe
sociale repose
biologique sur social
et sexe l’idée d’interdépendance plus ou moins étroite
entre les éléments du système social. Selon Durkheim, trois caractéristiques se
rattachent à ce concept :
• Les membres d’une société partagent une culture commune, des sentiments,
des
Sexe pratiques
biologique et des croyances. Sexe social (ou genre)

12 Partie II distingue
L’organisation de la vie socialele éminin assure
du masculin

L
’individu ne décide pas entièrement de sa propre dénition puisque distingue le éminin
celle-ci se onde sur une image qu’il se açonne en onction des à partir de du masculin
caractéristiques Formation de Intériorisation
perceptions culturelles de sa société. Les expériences de socialisa- à partir de manières
Individual_Ch03.indd 12 l’identité sexuelle des rôles sexuels
30/01/13 6:57 AM
tion, comme nous le verrons dans ce chapitre, ont ainsi une infuence
directe sur la ormation de la personnalité. L’identité individuelle et
sociale d’une personne est le produit de cette socialisation, c’est-à-dire qu’elle Physiques D’être
sous l’infuence des
résulte de l’intériorisation par l’individu des valeurs et des comportements société jette le blâme sur les personnes jugées incapables de satisaire aux exi-
sociaux rattachés à la culture à laquelle il appartient. Ainsi, ce qu’une per-
sonne est au début de sa vie n’a pas de commune mesure avec ce qu’elle veut gences de la réussite. Autant on admire ceux qui se débrouillent
Génétiques D’agir bien dans la vie,
Agents de
être et ce qu’elle sera en n de compte. An de mieux comprendre comment socialisation
se produit ce développement social de l’individu, voyons quels sont les onde-
autant on condamne ceux qui n’y arrivent pas.
ments du processus de socialisation, ses étapes, ses mécanismes et ses agents. à l’aide de deux mécanismes
Devant cette relation inégale (les entreHormonales
les buts etc.) et valeurs,Deles
penser
idéologies,
les moyens de les atteindre (ce que chacun era, concrètement, pour réaliser un diérencié
Traitement Auto-identication aux
selon le sexe
idéal), Merton a élaboré une théorie de la déviance qui ait réérence à quatre membres de son sexe
4.1 Qu’est-ce que la socialisation ?
La socialisation est essentiellement un processus par lequel l’individu ait l’appren- Socialisation types d’adaptation individuelle pathologique.
tissage des manières d’être, d’agir et de penser partagées par sa collectivité pour Processus par lequel l’individu
ensuite se les approprier. Elle peut être analysée sous plusieurs angles, notam- intègre à sa personnalité les Le tableau 6.4 montre que la rontière entre la conormité et la déviance est à la
ment en tant que processus de construction de l’identité. manières d’être, d’agir et de 10 Partie III Les inégalités et diérences sociales
penser propres à la culture ois ragile et rigide. La moindre dérogation en ce qui concerne l’acceptation des
dont il ait partie.
4.1.1 Un processus de construction de l’identité buts que la société nous demande d’atteindre et des moyens qu’elle nous demande
L’identité se construit essentiellement de deux manières : par l’identité indivi-
duelle, c’est-à-dire par la représentation que l’on se crée de soi-même, et par
l’identité sociale, soit par la représentation que l’on se crée de soi-même en
Identité individuelle
Représentation de soi ondée
sur un ensemble de caractéris-
Les défnitions en marge :
d’utiliser nous ait tendre vers la déviance. Les types de déviance mentionnés
dans le tableau mettent en lumière les contradictions entre les valeurs dominantes
d’une société et les moyens dont disposent certains groupes pour s’y conormer.
Pour aider à mieux comprendre la matière,
onction de ses appartenances. Comme l’explique le sociologue Denys Cuche : tiques subjectives (qualités,
L’identité sociale « [...] permet à l’individu de se repérer dans le système social et déauts, traits de personnalité,
etc.) perçues par un individu
d’être lui-même repéré socialement » (Cuche, 1996, p 84). Trois composantes inter-
au sujet de lui-même et sur Le tableau de Merton tente de reéter les diverses ormes d’adaptation obser-
viennent dans cette construction identitaire : l’airmation d’une autonomie

certains mots, écrits en bleu dans le texte,


distinctive qui assure à l’individu son caractère unique (moi), l’appartenance à un
lesquelles se onde son
sentiment d’unicité.
vables dans une société en ce qui a trait à la « normalité ». La poursuite du but
groupe où il se sent semblable aux autres (nous) et la non-appartenance au groupe,
Identité sociale « succès matériel », par exemple, incite les individus à se conormer dans la mesure
qui découle des diérences constatées chez les autres (eux).
Représentation de soi ondée où ils adhèrent à cette valeur et aux moyens socialement acceptés d’y parvenir
sont défnis dans la marge.
La complémentarité de ces trois composantes est touteois paradoxale (voir sur un ensemble de caractéris-
la fgure 4.1, page suivante). Le « moi » et le « nous » se construisent aussi à partir tiques sociales objectives (âge, (travail, eort, études, etc.).
du « eux ». Par exemple, le ait de aire partie d’une équipe de sport ne donne sexe, proession, etc.) propres à
un individu et qui permettent de
pas de acto un sentiment d’appartenance à l’équipe. Ce sentiment d’apparte-
l’identifer à un groupe (jeunes, Ceux qui adhèrent également à ce but, mais qui se désaflient des moyens
nance peut touteois émerger lorsque cette équipe entre compétition avec une
autre dans le cadre d’un championnat.
emmes, étudiants, etc.).
considérés comme acceptables en regard de la légitimité et de la légalité, sont
En ait, le « nous » collecti qu’est l’identité sociale est un héritage social arbi- contraints de trouver de nouveaux moyens (illégitimes ou carrément illégaux) de
traire légué à l’individu dès sa naissance. Notamment, l’individu appartient à
l’un des deux sexes, sexes qui reçoivent des dénitions sociales diérentes
l’atteindre, comme le trafc de drogue, le trafc d’inuence et les raudes de toutes
selon les sociétés. Il hérite également d’un rang social déni par la classe sortes. Ce type de déviance correspond, dans le tableau de Merton, à
sociale à laquelle appartiennent ses parents. De même, un nom et un prénom
lui sont attribués, marquant plusieurs identités sociales : celle de son groupe l’innovation.
ethnique, celle de son groupe linguistique et celle de son groupe amilial.
L’identité est donc un construit social qui se développe dans un contexte d’alté- D’autre part, l’impossibilité pour certains individus d’adhérer aux valeurs
rité, c’est-à-dire dans une dynamique d’interaction.
sociales dominantes, parce qu’ils les considèrent comme inaccessibles, dépas-
Alors que la société tend à réclamer des identités préétablies et standardi-
sées sur les plans physique et intellectuel – ce qui ne acilite pas la tâche à l’in- sées ou moralement inacceptables, peut les conduire à se joindre à des groupes
dividu qui tente de se démarquer –, elle développe par ailleurs une culture de ayant des croyances diérentes (des Églises, des sectes, etc.). Par exemple, ces
personnes se désaflient du but « succès matériel » et poursuivent des buts autres
Chapitre 4 La socialisation 5 (ascétisme religieux, dévouement total au développement spirituel, etc.), souvent
jugés illégitimes sinon illégaux, tout en acceptant de les poursuivre par des
Individual_Ch04.indd 5 06/02/13 10:22 AM
actions (des moyens) socialement acceptables. Cette non-concordance s’exprime
dans le ritualisme.
L’évasion, quant à elle, se traduit par un reus à la ois des valeurs et des
normes de conduite. Elle exprime une orme de démission qui se manieste par la

La diversité ethnique entraînée par l’immigration n’est touteois pas répartie


Tableau 6.4 Les modes d’adaptation selon Merton de manière uniorme dans toutes les régions du pays. Comme l’illustre la fgure 8.1,
les immigrants ont tendance à s’établir dans les grandes villes comme Toronto,
Mode d’adaptation But Moyen Vancouver et Montréal. On prévoit même qu’en 2031, plus de la moitié de la popu-
Exemples
lation torontoise sera née à l’étranger.
Conormité Adhésion Adhésion Étudiant, travailleur, etc.
Il importe de ne pas conondre les termes « immigrant » et « minorité ethnique »,
Innovation Adhésion Rejet (désafliation) bien qu’il s’agisse de termes connexes. En eet, les minorités ethniques sont le
Voleur, raudeur, etc.
plus souvent issues de l’immigration, mais elles ne le sont pas toujours. Les
Ritualisme Rejet (désafliation) Adhésion termes
Secte,«communauté
personne issue de l’immigration » ou « immigré de deuxième génération »
sont également
ermée, etc. utilisés pour désigner les descendants directs des immigrants,
qui sont nés dans le pays d’adoption de leurs parents. L’expression « nouveaux
Évasion Rejet (démission) Rejet (démission) arrivants » esttoxicomane,
Décrocheur, quant à elle utilisée à propos des immigrants dont l’arrivée au pays
est récente.
etc.
Afn de souligner le ait que les immigrants sont des membres à part entière de
Rébellion Rejet (contestation) Rejet (contestation) Terroriste,
leur sociétéactiviste
d’accueil, les gouvernements utilisent parois des expressions telles
extrémiste,
que etc.
« néo-Québécois » ou « néo-Canadien ». Si ces appellations sont généralement
utilisées correctement, il importe de rappeler que le préfxe « néo » signife « nou-

Les éléments visuels : 22 Partie II L’organisation de la vie sociale


veau ». Il aut donc éviter d’utiliser ce terme pour désigner des immigrants ins-
tallés au pays depuis plusieurs décennies et dont l’appartenance à leur société
d’accueil n’est pas particulièrement nouvelle !

Les tableaux et les fgures apportent La proportion de la population canadienne née à l’étranger
un complément d’information, facilitent Individual_Ch06.indd 22 Figure 8.1

Pourcentage
selon la région métropolitaine de recensement, entre 2006 et 2031*
30/01/13 7:03 AM

la compréhension ou illustrent de façon


60
2006
2031
50

concrète des aspects particuliers de 40

la matière. 30
Canada 2031 (26,5%)

20
Canada 2006 (19,8%)

10

0
Toronto

Abbotsford

London

Barrie
Sherbrooke

Peterborough

Saguenay
Edmonton
Victoria

Kelowna
Winnipeg
Calgary

Halifax

Moncton
Montréal

Ottawa-Gatineau (Ontario)

Oshawa
St. Catharines-Niagara
Guelph

Ottawa-Gatineau (Québec)
Kingston

Brantford

Regina

Saint John
Grand Sudbury

Trois-Rivières
Hamilton

Saskatoon

Thunder Bay
Québec

St-John's
Vancouver

Windsor
Kitchener

Villes canadiennes

Source : Statistique Canada. Projections de la diversité de la population canadienne : 2006 à 2031, Canada, Ministre de l’Industrie,
mars 2010, p. 31.
* Le scénario de référence est établi en tenant compte de la fécondité, de l’espérance de vie, des niveaux d’immigration et de la composition
de l’immigration prévus pour les prochaines années.

26 Partie III Les inégalités et différences sociales

Individual_Ch08.indd 26 Caractéristiques du manuel 30/01/13 7:04 AM VII


regard de ceux des groupes auxquels il appartient.
Le terme conformité suggère l’imitation presque paraite des gens qui nous Conformité
entourent. On parle de conormité, par exemple, lorsque d’un commun accord un Adhésion spontanée ou réféchie
groupe d’adolescents adopte la même tenue vestimentaire, ou que des gens d’a- à des manières d’être, d’agir
aires se vêtent d’une même manière dite conservatrice : complet gris ou marine ou de penser provenant d’une
pour les hommes, robe classique sombre ou tailleur pour les emmes. La conor- pression exercée par un groupe
ou la société.
mité peut aussi signifer la solidarité, c’est-à-dire l’appartenance à un groupe, à
une équipe, où existe une cohésion.
La société, au moyen de mécanismes de contrôle social ormel et inormel,
nous pousse à entrer dans ce jeu. Nous cherchons une identité au moyen du pou-
voir plus ou moins réel qui se rattache à ce jeu ainsi qu’une justifcation à certains
comportements que nous désirons adopter. Nous choisissons ainsi des vête-
ments à la mode, dont la marque devient un critère de sélection (Hilfger, Dolce
Gabbana, Jean-Paul Gaultier), et achetons des voitures non pas pour ce qu’elles
sont, mais pour ce qu’elles représentent (Volvo, Hummer, BMW).
Tout comme l’étude d’Asch présentée au
début de ce chapitre, une étude de Muzaer
Sheri (1936) a démontré l’incontournable besoin
pour les individus d’en arriver à défnir et à sou-
tenir une norme de groupe. En eet, Sheri a mis
à jour le processus de normalisation qui parti-
cipe à aire converger les individus vers une
norme commune. Dans le cadre d’une expé-
rience, il a utilisé un eet d’optique créant l’illu-
sion qu’une lumière de aible intensité se mouvait
de manière erratique alors qu’elle était en réalité
totalement immobile. Invités à estimer indivi-
duellement la distance à laquelle cette lumière se
mouvait, les participants tendaient à réduire
progressivement la variation perçue en regard
d’un barème qui leur était personnel, chacun
Les photos et les caricatures viennent
Nos comportements de tous les jours sont infuencés par le désir de

dynamiser le texte. En lien avec le


établissant sa propre norme. Invités à évaluer en
conormité. Jusqu’à nos habitudes de consommation traduisent cette
groupe cette même distance, les participants
volonté de désirabilité sociale.
tendaient également à réduire peu à peu la

Chapitre 6 Le contrôle social 15


contenu, elles mettent en scène des
personnages ou des aits et des situations
variation perçue dans les mouvements de la lumière,
mais cette ois, en regard d’un barème collecti. Ils
Individual_Ch06.indd 15 modiaient ainsi leur 30/01/13norme
7:27 AM individuelle initiale

connus des étudiants.


pour l’accorder à une norme construite collective-
ment. Cette norme commune n’a touteois rien d’uni-
versel puisqu’elle varie d’un groupe à l’autre. Sheri a
de plus observé que l’établissement de la norme col- et divers problèmes de santé mentale (Ehrenberg, 1998). En eet, la réduction du
lective est ortement infuencé par des individus contrôle extérieur quant aux manières d’être et d’agir augmente la liberté indivi-
duelle. Or, celle-ci a un prix : celui de l’augmentation des exigences envers soi
infuents. Cependant, une ois établie, la norme tend pour l’individu qui adhère volontairement aux attentes sociales. On constate
à s’ancrer de sorte que, même si c’est le leader qui donc une interdépendance entre les volontés individuelles et le onctionnement
dévie de la norme, il ne sera généralement pas suivi collecti qui en découle.
par les autres. Au contraire, il sera plutôt jugé par le Comme on le voit, la société infuence incontestablement l’individu. Jusqu’à
reste du groupe comme déviant en regard de la quel point celui-ci peut-il s’en détacher ? Pour le sociologue, quelle que soit sa
conception des rapports entre individu et société, il n’est pas possible de conce-
norme qu’il a lui-même contribué à établir. voir l’individu en dehors de la société. Ce point de vue, partagé par l’ensemble
du présent et les historiens, ceux du passé. Ainsi, le rôle du journaliste est d’abord
Que doit-on retenir de ces recherches menées
des sociologues, est parois mis en doute. Selon certains, chacun serait respon-
sable de sa vie et de son destin, comme si les classes sociales, la culture ou l’idéo-
de relater, alors que le but premier de la sociologie est plutôt
sur la conormité d’interpréter,
? Elles d’ana-
nous amènent à constater logie dominante n’exerçaient plus d’infuence sur les choix que nous aisons indi-
lyser et d’expliquer. À ces ns, le sociologue alatendance à distinguer
mise en veilleuse parmi
par une les aits
personne de son opi- viduellement ou collectivement. Or, si aujourd’hui les individus semblent
et les événements ceux qui lui apparaissent comme eectivement plus libres que jamais, gageons qu’il ne audra qu’une grande crise,
nion, de signicatis.
son jugement,En desomme, le même.
la logique ait Cette telle une guerre ou une catastrophe quelconque, pour rappeler à tous que ce
d’insister sur l’explication
acceptationconduit le le
repose sur sociologue
désir de neàpas
choisir
déroger lesaux
aits qui peuvent
consignes données et sur sentiment de grande liberté est illusoire et qu’il repose sur des bases ténues.
celui de la
l’amener à comprendre se solidariser
mécaniqueavec l’ensemble
sociale pourleêtre
derrière réciproquement
phénomène étudié,accepté
et à par lui. Ainsi, la sociologie est essentielle pour mettre en évidence nos choix, notre inter-
dépendance et la ragilité des sociétés actuelles.
En d’autres
proposer des théories mots, les opinions collectives deviennent souvent des normes
pour l’expliquer.
sociales, et les gures d’autorité, des modèles d’application de ces normes, compte
tenu du pouvoir ou de la domination qu’elles exercent sur la vie des gens, ou
RÉSEAU DE CONCEPTS Les principaux objets d’étude de la sociologie
1.3.2 Les études
encore desréalisées à partir
sanctions subtiles de données
ou directes qu’elles présagent et des valeurs
qu’elles expriment.
secondaires Groupes

6.2.2
Il arrive parois que La variance
des études sociologiques soient réalisées uniquement à partir
de données secondaires, c’est-à-dire à partir des résultats de recherches produites Organisations
Qu’en est-il de la personne qui n’est pas paraitement conorme ? Soit elle est consi-
par d’autres. Cette approche assez classique, qui consiste à réféchir à partir de
dérée comme unique, comme une personne à part qui a une personnalité orte et
données existantes, amène le sociologue à théoriser en mettant en relation des
Les réseaux de concept proposent une
Institutions
qu’il aut respecter, soit elle est rejetée, donc exclue parce qu’elle viole les normes Organisation par
aits généralement du connus ou produits
groupe duquel par d’autres
elle se distingue, chercheurs.
soit elle est isolée etEn pareilà cas,
connée la paral-
un monde Sociologie
s’intéresse
à
et fonctions l'analyse
de la société des
démarche méthodologique décrite
lèle dans lequel elle précédemment
devra onctionner. est
Lepartiellement suivie,social
lien entre le contrôle car elle
et la conor- Phénomènes sociaux

synthèse ecace des grands concepts


ne nécessite pas mité
d’instruments de collecte
est donc évident particuliers.
: le premier Le chercheur
a pour nalité de conduireadopte néan- Toute
à la deuxième.
moins un cadre théorique
violation desprécis
normeset provoque
veille à ceuneque chacun de ses arguments soit
exclusion.
étayé et vériable.Selon
On ales parois qualié
sociétés, d’« essayisme
la tolérance » (Champagne,
au non-respect des normes2002)
varie. ces
Par exemple,
Problèmes sociaux

abordés. thèses, diuséesde

viennent souventune
plus ou moinssociétés
nombreuses
gique, mais pas toujours
vidu, de sorte
stimuler
largement,
réalisées
qu’unesous
la sont
légère
discussion
découlantattendent
traditionnelles
orme d’enquêtes
diérence
d’analyses
physique
unede
sociales.
type
orte sociolo- de l’indi-
conormité
Or, ces essais
ou un comportement enreignant Rapports
individu-société
coutume aussitôtpublique
réprimés.sur des
C’est réalités
ainsi sociales
que les personneset pro-
aux cheveux
posent des points de ou
roux vuelespertinents,
emmes vivant un peu à laont
seules manière
longtempsde laété
philosophie.
considéréesLes comme des analysés selon
essais sociologiques peuvent également contribuer à ouvrir de nouvelles avenues la vie
parias dans de nombreuses sociétés. Par ailleurs, encore aujourd’hui, 3 conceptions
des personnes
porteuses de réfexion albinos en Tanzanie est souvent menacée, car la culture de ce
théorique.
pays leur prête des pouvoirs magiques. Plus proche de nous, on constate qu’il est
Certaines théories inédites
plus dicile de ont été construites
s’éloigner de la normepar dansdelesgrands auteursque
petits villages endans
socio-
les grandes
logie essentiellement villes. àDans
partir
nosdesociétés
données secondaires. particulièrement
contemporaines, Ainsi, des grands danspen-
les milieux
Déterminisme
Individualisme
Interdépendance
seurs ont conçu des urbains, la marge d’explication
hypothèses de liberté est plus vaste : non
concernant seulementdes
l’évolution un plus grand nombre
sociétés méthodologique

(Marx, Durkheim, deSpencer),


modèles des de comportements sont considérés
typologies sociales (Marx, Weber, comme normaux,
Freitag) et desmais on y
modèles explicatis accepte également plus
essentiellement aisément
à partir de une dérogation
recherches etpartielle à ceux-ci.
de documents exis-
20 Partie I La nature de la sociologie
tants ou à la suite de travaux
À ce importants
sujet, Guy qui ont
Rocher (1969) aitpermis de construire
remarquer que toutes ces
les théo-
sociétés et les
ries. L’enquête sociale cultures estorent un éventail
une activité de valeurspour
importante dominantes et de valeurs
le sociologue, mais secondes
elle ne (voir le
constitue pas l’unique 3) et qu’elles
chapitreavenue ont preuve
de réfexion d’une certaine
sociologique. tolérance vis-à-vis des
Occasionnellement, cer-comporte- Individual_Ch01.indd 20 30/01/13 7:33 AM

tains théoriciensments qui s’en écartent.


se penchent Bien que cette
sur la signication demarge de libertéou
aits sociaux laissée à l’individu varie
historiques
en adoptant une d’une collectivité à l’autre, Rocher arme qu’une part de décision revient toujours
perspective plus large, permettant de aire le point ou encore de
synthétiser de manière pertinente et originale les données existantes. Cette
16 Partie II approche ouvre
L’organisation de lade nouvelles avenues de réfexion et donne parois naissance à
vie sociale

Les questions de révision :


des explications essentielles pour éclairer des phénomènes sociaux signicatis
ou la dynamique du monde actuel.
Individual_Ch06.indd 16 30/01/13 7:27 AM

FAITES LE POINT La rubrique Faites le point clôture


7. Pourquoi est-il particulièrement important pour le sociologue de
onder ses travaux sur une solide démarche scientique ? chaque grande section du chapitre par
8. Quelles sont les étapes habituelles d’une enquête sociologique ?
9. Expliquez en quoi se distinguent les méthodes quantitatives et les
des questions de révision qui invitent
l’étudiant à vérier sa compréhension
méthodes qualitatives.
10. Est-il possible d’eectuer une analyse sociologique sans l’accompa-
gner d’une enquête sur le terrain ? Expliquez votre réponse.
au ur et à mesure de l’étude du chapitre.
24 Partie I La nature de la sociologie

Individual_Ch01.indd 24 30/01/13 7:34 AM

À la fn du chapitre
Pour aller plus loin
La section Résumé revient Résumé Volumes et ouvrages de référence

BEAULIEU, Alain (2005). Michel Foucault et le contrôle social,


Audiovisuel

BLAIS, Claudine. « Chasse aux gangs », Enquête, Société

brièvement sur certains points du


1. Les açons d’agir et d’être sont liées à des per- 4. Il arrive que l’individu s’adapte, mais de manière Mercure Nord, Paris, 322 p. Radio-Canada, 2011, [En ligne], www.tou.tv
ceptions concernant la normalité. Pour déter- pathologique. Certains individus dépassent le
Cet ouvrage présente les idées de Michel Foucault qui réorme La région de Québec dépense plus d’un million de dollars
miner ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, les niveau de soumission que l’on attend d’eux tant les théories déterministes du contrôle social. Il ait état des annuellement pour réprimer le phénomène des gangs de rue.
paramètres de légalité et de légitimité servent leur besoin de solidarité avec le groupe est inté- ormes variées du pouvoir qui s’exercent par des pratiques Pourtant, l’existence même de ces gangs ne ait pas l’unanimité.

chapitre an d’en aire ressortir


de barèmes. Ces notions sont mouvantes, mais riorisé (surconormité). D’autres transgressent les d’auto-gouvernance, répondant à une logique de décentra- Une chasse aux gangs qui donne lieu à des méthodes policières
l’évaluation des individus (menant à l’accepta- normes d’un groupe ou d’une société (déviance). lisation des pouvoirs caractéristique de nos sociétés controversées, sources de tensions sociales.
tion ou au rejet) se ait toujours selon ces deux contemporaines.
5. La déviance ne peut être comprise que dans un GANSEL, Dennis. La vague, BAC Film, Allemagne, 2008
paramètres.

les éléments essentiels.


contexte social donné. Elle relève de la non- (101 min).
Périodiques et journaux
2. Toute société exerce un contrôle social, c’est- intégration ou du rejet de certaines normes. Ce  lm de  ction, librement inspiré de aits vécus, raconte
à-dire une pression visant à régulariser le com- DESJARDINS, David. « Le contrôle social », Le Devoir, l’histoire d’un proesseur qui décide de mettre en place avec
portement humain et à aire adhérer l’individu à 6. Une des ormes de déviance la plus poussée, la 20 septembre 2012, [En ligne], www.ledevoir.com ses étudiants une expérience sur les régimes autocratiques
cette « normalité ». Cette pression est exercée criminalité, se dénit d’abord de manière statis- an de mieux comprendre les mécanismes de soumission
Le contrôle social, de la science- ction à la réalité : un éloquent
non seulement sur le plan des comportements tique, quantitative et juridique. L’explication cau- à l’autorité d’un leader charismatique.
éditorial sur le thème de l’omniprésence insidieuse du contrôle

La section Exercez votre regard


globaux, mais aussi sur celui des comporte- sale de la criminalité peut, quant à elle, se onder social dans notre société. NICK, Christophe. Le jeu de la mort, France Télévision et
ments les plus intimes. Le contrôle social peut sur diverses théories sociologiques (onctionna- Radio Télévision Suisse, France, 2009 (91 min).
LACHANCE, André (1985). « Le contrôle social dans la société
s’exercer d’une açon ormelle (limites directes liste, interactionniste et du confit social). Ce documentaire se veut une critique de la téléréalité et de
canadienne du Régime rançais au XVIIIe siècle », Criminologie,
et explicites) ou inormelle (limites indirectes et l’inf uence des médias. L’expérience de Milgram, réalisée dans
vol. 18, n° 1, p. 7-18, [En ligne], www.erudit.org

sociologique propose des exer-


parois inconscientes). 7. La marginalité recoupe une réalité liée à l’exclu-
les années 1960, y est reproduite au goût du jour, mettant en
sion sociale et à la stigmatisation pour les per- Le contrôle social existe de tout temps et en tous lieux, il ne ait
scène un aux jeu télévisé durant lequel un candidat doit inf iger
3. L’individu qui s’adapte normalement se conorme sonnes qui sont dans l’impossibilité de corres- que changer de orme. Un regard historique sur les mécanismes
des décharges électriques de plus en plus ortes à un autre
aux normes (conormité) ou adopte des modèles pondre à la conormité. La société détermine de contrôle social et sur la criminalité.
candidat, jusqu’à des tensions pouvant entraîner la mort.

cices d’analyse qui plongent


de comportements divergents, mais tout de quels individus seront exclus et stigmatisés en
même acceptables socialement (variance ou onction de critères comme le mode de vie, l’ex- Sites Web
adaptation novatrice). clusion du travail salarié ou le reus du pouvoir.
Association canadienne de justice pénale. www.ccja-acjp.ca
Rendez-vous
Pour en savoir plus sur la criminalité et découvrir la Revue

l’étudiant au cœur de la pratique


en ligne
canadienne de criminologie et de justice pénale, visitez ce site
http://mabibliotheque.
de l’ACJP, un organisme volontaire voué à l’amélioration du
cheneliere.ca
Exercez votre regard sociologique système de justice pénale.

et de la réfexion sociologique. Exercice 1


Il vous est sans doute déjà arrivé d’enreindre, volon-
Exercice 3
Chaque individu est à la ois la cible du contrôle social
tairement ou non, une norme inormelle comme une et son instrument. Expliquez cette armation et
bonne manière ou une règle de bienséance ou de illustrez-la à l’aide d’exemples de la vie quotidienne.

La section Pour aller plus loin


savoir-vivre. Quelles ont alors été les réactions de ceux
qui en ont été témoins ? Qu’est-ce que cela vous a ait Exercice 4
ressentir ? Avez-vous recommencé par la suite ?
Dans le tableau ci-dessous, où situeriez-vous les élé-
À la suite de cette réfexion, élaborez un réseau de
ments suivants : conormité, variance, déviance, sur-

présente des suggestions de


concepts explicitant les liens que vous aites en
conormité, adaptation novatrice, criminalité et mar-
regard de cette expérience et des notions vues dans
ginalité ? Justiez votre choix et illustrez-le à l’aide
ce chapitre.
d’exemples.

ressources complémentaires en Exercice 2 Légitimité Illégitimité


Du point de vu sociologique, la déviance est un produit Légalité
de la société et non pas un comportement anormal de
Illégalité

lien avec les concepts explorés


l’individu. Expliquez et justiez cette armation.

dans le chapitre. Chapitre 6 Le contrôle social 203 204 Partie II L’organisation de la vie sociale

Individual_Ch06.indd 203 08/03/13 1:11 PM Individual_Ch06.indd 204 08/03/13 1:11 PM

VIII Caractéristiques du manuel


GLOSSAIRE

A Apartheid C
En Arique du Sud, régime de séparation
Accommodement raisonnable Capitaliste (bourgeoisie)
systématique des « races » reléguant les
(pour moti religieux) Propriétaire d’entreprises et d’autres
Noirs à un statut nettement inérieur à
Adaptation aite à une règle commune celui des Blancs sur les plans politique, moyens de production (machinerie, etc.)
pour permettre à un individu de pratiquer juridique, économique et social. dans la théorie marxiste.
sa religion. Catégorie sociale
Assignation
Action créatrice

À la fn du livre
Composante du processus de diérencia- Ensemble de personnes qui partagent
Action qui annonce une rupture avec les tion sociale qui consiste à imposer une certaines caractéristiques sociales ou
modèles culturels connus ou établis et qui étiquette à un individu ou à un groupe, certaines conditions de vie.
permet d’inventer de nouvelles valeurs et généralement contre son gré. Champ de rôles
de nouveaux modèles de comportements.
Assimilation Ensemble des rôles sociaux avec lesquels
Adaptation novatrice un individu est en relation à travers un rôle
Abandon, de la part des immigrants,
Adhésion plus ou moins conorme aux des traits culturels issus de leur pays donné. Par exemple, en tant qu’étudiant, un
individu interagit avec son aide pédago-
modèles de comportements dominants se d’origine, au proft de ceux de leur société
gique individuel (API), ses proesseurs, ses BIBLIOGRAPHIE
Un glossaire reprend, par ordre
concrétisant par des manières d’être, d’accueil.
d’agir ou de penser innovatrices qui sont collègues de classes, le bibliothécaire, etc.
acceptables, et parois même valorisées, Association volontaire
Changement social
par la société ou le groupe social. Groupe social organisé autour d’un
Transormation durable et collective des A ASSOCIATION CANADIENNE DE JUSTICE BAZIN, Hugues (1995). La culture du
objecti commun et qui compte sur la

alphabétique, toutes les défnitions


Adaptation sociale modèles sociaux. PÉNALE (2000). « Les Autochtones et le hip-hop, Paris, Desclée De Brouwer,
libre participation de ses membres.
Résultats conjugués du processus de Classe sociale ADMIRAT, Mathilde (2010). Le tatouage ou système de justice pénale », Bulletin, 305 p.
socialisation et des mécanismes de Autogestion l’illusion de liberté, Institut d’études mai.
1. Au sens large, ensemble de personnes qui BEAUDELOT, Christian, et Roger ESTABLET
contrôle social rendant l’individu apte à Gestion d’une entreprise par les travailleurs. politiques de Lyon, Lyon, 47 p., [En
partagent une même situation économique, ASSOGBA, Yao Ayetokan (1999). La (1975). L’école primaire divise, Paris,

des mots que l’on retrouve en marge


appartenir à un groupe et, plus largement, Une entreprise autogérée est dirigée par les ligne], http://doc.sciencespo-lyon.r/
et qui, de ce ait, se distinguent des autres Ressources/Documents/Etudiants/ sociologie de Raymond Boudon : essai Librairie François Maspero, 119 p.
à onctionner en société. personnes qui la ont onctionner.
classes sociales par des caractéristiques et Memoires/Cyberdocs/MFE2010/ de synthèse et d’application de
L’autogestion est donc l’appropriation des des comportements particuliers. 2. Selon BEGLEY, Sharon (1979). « Twins : Nazi and
Adaptation sociale pathologique admirat_m/pd/admirat_m.pd l’individualisme méthodologique, PUL,
décisions par ceux qui auront à exécuter et l’approche marxiste, groupe d’individus qui Jew », Newsweek, no 94, décembre.
Résultats conjugués du processus de (page consultée le 17 août 2012). L’Harmattan.
à mettre en œuvre ces mêmes décisions.

dans les chapitres.


socialisation et des mécanismes de se caractérisent par la place qu’ils occupent
Auto-identifcation dans un mode de production donné. 3. Dans ALLAIN, Carol (2008). Génération Y : Qui BELOTTI, Elena Gianini (1974). Du côté des
contrôle social rendant l’individu apte à B petites flles, Paris, Éditions des
appartenir à un groupe social illégal et Composante du processus de diérencia- la théorie onctionnaliste, synonyme de sont-ils, comment les aborder ? Un
strate sociale. regard sur le choc des générations, Femmes.
illégitime, ou encore à se conormer de tion sociale qui consiste à revendiquer BAILLARGEON, Stéphane (2009). « Michel
manière excessive et néaste. soi-même son appartenance à une Classisme 2e éd., Montréal, Les éditions Logiques. BENGHOZIE, Pierre Jean (2011). « Le
Freitag 1935-2009 - Mort d’un géant
catégorie sociale. Attitude ou comportement discriminatoire de la sociologie », Le Devoir, [En ligne], deuxième choc de l’économie de la
Agent de changement ALLARD, Philippe. Peut-on donner une

Une bibliographie regroupe l’ensemble


B envers une personne ou un groupe de défnition de la secte ?, [En ligne], www.ledevoir.com/societe/actualites-en- culture », Revue Esprit, no 376,
Individu, groupe ou association qui p. 111-125.
personnes en raison de leur classe sociale. http://www.membres.lycos.r/ societe/277190/michel-reitag-1935-
propose ou appuie des actions visant à
Bagage culturel morlhach/Allard/sommaire.html, 2009-mort-d-un-geant-de-la-sociologie
inuencer le cours des événements de Cogestion BENHAMOU, Françoise (2011). « L’état et
Ensemble des connaissances et caractéris- (page consultée le 12 évrier 2013). (page consultée le 13 évrier 2013).
açon signif cative. Mode de gestion d’une entreprise qui l’Internet : un cousinage à géométrie

des réérences utilisées dans l’ouvrage.


tiques culturelles assimilées par un individu,
Agent de socialisation demande la participation active des travail- ALTHUSSER, Louis (1976). « Idéologie et BARNES, John A. (1954). « Class and variable », Revue Esprit, no 376,
souvent si intimement qu’elles lui semblent
leurs à la gestion. Les patrons et travailleurs appareils idéologiques d’État », dans committees in a Norwegian island p. 96-110.
Individu, groupe ou institution qui, par la naturelles.
prennent ensemble les grandes décisions. Louis ALTHUSSER, Positions, p. 67-125, parish », Human Relations, no 7,
transmission des éléments culturels

Pour Un
aller plus loin et détaillé simplife
Bureaucratie p. 39-58. BENN MICHAELS, Walter (2009). La
propres à une collectivité, contribue au Col blanc Paris, Les Éditions sociales, 172 p.
Type d’organisation visant à l’ef cacité au diversité contre l’égalité, Paris, Éditions
processus de socialisation d’un individu. Personne dont l’emploi suppose surtout ANZIEU, Didier, et Jean Yves MARTIN BARTHES, Roland (1983). Le Système de Raisons d’agir, 155 p.
moyen d’un onctionnement impersonnel,
une activité intellectuelle.

complet
Âgisme de règles ormelles et écrites, d’une (2004). La dynamique des groupes la mode, Paris, Éditions du Seuil,

index INDEX
Attitude ou comportement discriminatoire
envers une personne ou un groupe de
personnes en raison de leur grand âge.
hiérarchie de onctions et de la spécialisa-
tion du travail.
Bureaucratisation
Col bleu
Personne dont l’emploi suppose surtout
une activité manuelle.
restreints, PUF, 397 p.
ARON, Raymond (1967). Les étapes de la
pensée sociologique, Paris, Gallimard.
330 p.

BAUDRILLARD, Jean (1968). Le système


des objets, coll. « TEL », Paris, Éditions
BERA, Mathieu, et Yvon LAMY (2008).
Sociologie de la culture, 2e éd.,
coll. « Cursus », Paris, Colin, 235 p.

le repérage desde
concepts
ou des
Gallimard, 288 p. BERGE, Manon, et Véronique GARCIA
Anomie Tendance générale d’une société à Communalisation
Association ARON, Raymond (1978). « La sociologie (2009). Les eets des technologies
A caractérisée par une
État d’une société adopter pour ses institutions volontaire,
le modèle 150-152
Concept développéaupar
Québec, 222-223
Max Weber pour parmi les sciences », Encyclopédie BAUDRILLARD, Jean (1970). La société de Internet sur les relations entre les
Volumes et ouvrages référence Audiovisuel désintégration Accommodement,
de ses règles. 242
raisonnable, 267-268
bureaucratique.Attentes sociales, 19-20
Auto-identifcation, 244
dominante,
désigner le processus 53, se
par lequel 231, voir aussi Élite(s)
crée
et la poursuite d’études supérieures, 233-234 Larousse de la sociologie, Paris,
Librairie Larousse.
consommation : ses mythes, ses
structures, Paris, Éditions Gallimard,
parents et les adolescents dans les
amilles québécoises, Université Laval,

personnages présentés dans le manuel.


Autochtone, 192-193, 253-254, voir aussi et la santé, 234-235
Action 316 p. Département de sociologie de
Minorité visible inuence sur l’individu des, 233-236
créatrice, 72 ASCH, Solomon (1951). « Eects o group l’Université Laval, 93 p.
Autogestion, 154-155 moyenne, 212-213 BAUDRILLARD, Jean (1972). Pour une
mimétique, 71 pressure upon the modif cation and
Autonomie, 93-94, 99 ouvrière, voir Prolétariat
répétitive, 71 distortion o the judgment », dans critique de l’économie politique du BERGER, Joseph, et coll. (2009). Le prix

BEAULIEU, Alain (2005). Michel Foucault et le contrôle social, BLAIS, Claudine. « Chasse aux gangs », Enquête, Société
Individual_Glossary.indd 306
sociale, 71
Adaptation
au changement, 73
Autorité, soumission à l’, 109, 185
Avortement, 17, 174, 191, 287
théorie onctionnaliste des, 224-226, 227,
228, 233
théorie marxiste des, 38, 46-47, 55, 1:49 PM
08/03/13
Harold GUETZKOW (dir.), Groups,
leadership and men, Carnegie
University Press, Pittsburg, PA,
signe, coll. « TEL », Paris, Éditions
Gallimard, 316 p.
du savoir, Sherbrooke, La Fondation
canadienne des bourses d’études
du millénaire, 243 p.
B 221-224, 226, 227, 228, 231, 233 BAUMGARTNER, Franck R., et Bryan D.

Mercure Nord, Paris, 322 p. Radio-Canada, 2011, [En ligne], www.tou.tv novatrice, 183, 184, voir aussi vol. 27, p. 177-190.
Bagage culturel, 71 vote de, 236 JONES (2002). « Positive and negative
Adaptation sociale BERGER, Peter L. (1986). Comprendre la
Berger, Peter, 103, 135 Classisme, 246 ASCH, Solomon (1952). Social Psychology, eedback in politics », dans Policy sociologie, Paris, Centurion, 263 p.
sociale, 180-183, 199, voir aussi
Adaptation novatrice ; Conormité ; Variance Berk, Bernard, 113 Cogestion, 154 New York, Prentice-Hall, 574 p. Dynamics, Chicago, The University o
sociale pathologique, 184-193, voir Cohésion sociale, 98, 104, 105, 171, 180, 227 Chicago Press, p. 3-28. BERK, Bernard (1977). « Face-Saving at
Besoin social, 174

Cet ouvrage présente les idées de Michel Foucault qui réorme La région de Québec dépense plus d’un million de dollars
aussi Déviance ; Surconormité
Adolescence, 102, 103-104, 106
Bible Belt, 15
Bilge, Sirma, 259
Col
blanc, 53, 213, 223
bleu, 213, 223
ASCH, Solomon (1956). « Studies o
independence and conormity : A
minority o one against a unanimous
BAUMRIND, Diana (1971). « Current
Patterns o Parental Authority »,
the Singles Dance », Social Problems,
no 24, juin.
Âge, 248 Blau, Peter, 147 majority », Psychological Monographs, BERNARD, Jean-Pierre, et Diane CHAREST
les théories déterministes du contrôle social. Il ait état des annuellement pour réprimer le phénomène des gangs de rue.
Developmental Psychology
adulte, 105, 106, 121 Communalisation, 256
Bodyart, 105 vol. 70, no 146. Monographs, no 4, p. 1-103. (2003). « Quelques chires pour
de la maturité, 105-106 Communauté culturelle, 93, 251-252
Bourdieu, Pierre, 71-72, 86, 98-99, 161, 191,
quatrième, 106 210, 231, 233, 236 Communication à double étage, théorie

ormes variées du pouvoir qui s’exercent par des pratiques Pourtant, l’existence même de ces gangs ne ait pas l’unanimité.
troisième, 106
Agent
de changement, 25-26, 43, 44
Bourgeoisie, voir Capitalistes
Brien-Dandurand, Renée, 161
de la, 137
Compétence, 146
Comte, Auguste, 5, 36-37, 39, 40, 45
Brownmiller, Susan, 55

d’auto-gouvernance, répondant à une logique de décentra- Une chasse aux gangs qui donne lieu à des méthodes policières
de socialisation, 116-129 Conditionnement social, 98, 99, 119, 201
Bureaucratie, 144-148, 179
Âgisme, 248, 298 Conit
efcacité de la, 146-147
Agression d’enants, voir Maltraitance d’enants de travail, 223, 224, 237
Bureaucratisation, 146-147

lisation des pouvoirs caractéristique de nos sociétés controversées, sources de tensions sociales.
Alcoolisme, 106, 189, 190, 202 intergénérationnel, 230, 301-303
Analyse sociologique, 24, 35 C social, 47, voir aussi Théorie du conit
Individual_Bib.indd 313 08/03/13 1:59 PM
des mouvements sociaux, 156-157 Capital social

contemporaines.
Anomie, 9, 10, 187, voir aussi Norme culturel, 98-99, 210, 231, 233 Conormisme, 136
Anorexie, 185-186 économique, 98-99, 210, 231 Conormité, 181-182, 183, 184, 187, 188,

GANSEL, Dennis. La vague, BAC Film, Allemagne, 2008


Anthropologie culturelle, 11, 12, 48 social, 98-99, 161, 210, 231 194, 200, voir aussi Adaptation sociale ;
Capitalisme, 34, 37, 38, 41, 46, 221-222, 237 Déviance ; Norme
Apartheid, 173, 251
Capitaliste(s), 33, 38, 221-222, 223 Conjugalité, voir Modèle conjugal
Appartenance
Caste(s), voir Système de castes Connaissance empirique, 42

(101 min).
culturelle, 74-76, voir aussi Identité
culturelle Catégorie sociale, 102 Considération sociale, 224, 225

Périodiques et journaux ethnique, 248, 255-257, voir aussi Identité


ethnique
sociale, 9
Champ de rôles, 112
Changement
agent de, 25-26, 43, 44
Contexte social, 175-176, 177
Contraception, 17, 191
Contradiction, principe de, 38

Ce  lm de ction, librement inspiré de aits vécus, raconte


Approche
de l’interdépendance, voir Interdépendance
du conit social, voir Théorie du conit social
culturel, 72-73, 74
social, 17-18, 47, 174-175, 222
Contre-culture, 67, 137
Contrôle social, 171
Chargé d’études, 216 ondements du, 171-180

DESJARDINS, David. « Le contrôle social », Le Devoir, l’histoire d’un proesseur qui décide de mettre en place avec
éministe, voir Féminisme
onctionnaliste, voir Fonctionnalisme
interactionniste, voir Interactionnisme
Chercheur en sciences sociales, 215
Choix, 106-107
d’un conjoint, 7, 51
ormel, 178-179, voir aussi Mécanismes de
contrôle social ormel
inormel, 179, voir aussi Mécanismes de

ses étudiants une expérience sur les régimes autocratiques


marxiste, voir Marxisme contrôle social inormel

20 septembre 2012, [En ligne], www.ledevoir.com


de poursuivre des études supérieures,
Armée, 108, 137, 138, 140, 144, 149 233-234 mécanismes de, 177, 178-179, 180, 181, 194
Aron, Raymond, 8 électoral, 235-236 modalités du, 176-179

a n de mieux comprendre les mécanismes de soumission


Asch, Solomon E., 136, 170, 171, 181 Chômage, 208, 214, 230 Cooley, Charles Horton, 49, 110-111, 112, 116
Assignation, 244 Coutumes, 80

Le contrôle social, de la science- ction à la réalité : un éloquent


Clan, 135
Assimilation, 267-269 Classe(s) sociale(s), 208, 209, 245-246, Crime, voir Criminalité

à l’autorité d’un leader charismatique.


Assimilationnisme, 268-269 voir aussi Rang social Criminalisation, 174

éditorial sur le thème de l’omniprésence insidieuse du contrôle


social dans notre société. NICK, Christophe. Le jeu de la mort, France Télévision et
Individual_Index.indd 326 12/03/13 5:10 PM

LACHANCE, André (1985). « Le contrôle social dans la société Radio Télévision Suisse, France, 2009 (91 min).
canadienne du Régime rançais au XVIIIe siècle », Criminologie, Ce documentaire se veut une critique de la téléréalité et de
vol. 18, n° 1, p. 7-18, [En ligne], www.erudit.org l’infuence des médias. L’expérience de Milgram, réalisée dans
les années 1960, y est reproduite au goût du jour, mettant en
Le contrôle social existe de tout temps et en tous lieux, il ne ait
scène un aux jeu télévisé durant lequel un candidat doit infiger
que changer de orme. Un regard historique sur les mécanismes
des décharges électriques de plus en plus ortes à un autre
de contrôle social et sur la criminalité.
candidat, jusqu’à des tensions pouvant entraîner la mort.
Sur Internet
Sites Web

Des
Association ressources
canadienne pénale. www.ccja-acjp.casont
complémentaires
de justice
Rendez-vous
Pour enaussi disponibles
savoir plus sur la criminalitéen ligne. laDestinées
et découvrir Revue en ligne
auxdeenseignants
canadienne criminologie et deet aux
justice visitez ce site
étudiants,
pénale, ces http://mabibliotheque.
de l’ACJP, un organisme volontaire voué à l’amélioration du
composantes viennent orir un soutien cheneliere.ca
système de justice pénale.
additionnel à l’enseignement et à
l’apprentissage.

Caractéristiques du manuel IX
TABLE DES MATIÈRES

PARTIE I 1.3.2 Les études réalisées à partir


de données secondaires                      24
LA NATURE DE LA SOCIOLOGIE 1.4 La sociologie : une science et une proession
comme les autres ?                                  25
Chapitre 1 1.4.1 Une posture critique inconortable            25
LA PERSPECTIVE SOCIOLOGIQUE                   2 1.4.2 Le sociologue, un agent de changement ?     25
1.4.3 La ormation en sociologie et les débouchés 26
1.1 Qu’est-ce que la sociologie ?                       5 Résumé                                                     28
1.1.1 Une manière de voir                           5 Exercez votre regard sociologique                           28
Au-delà des apparences                       6 Pour aller plus loin                                          29
Le social en nous                              7
Une perspective globalisante                   8 Chapitre 2
En complémEnt LES THÉORIES SOCIOLOGIQUES                    30
Le suicide : un geste personnel
à résonance sociale                                 9 2.1 La naissance et l’essor de la sociologie           33
2.1.1 L’origine de la sociologie : trois révolutions   33
1.1.2 Une science vaste et complexe                10
La révolution politique                          33
La sociologie : quelques défnitions            10
La révolution industrielle                       34
Une place au sein de la amille
La révolution scientifque                       34
des sciences humaines                        10
Une manière révolutionnaire d’expliquer
ApplicAtion théoriquE les comportements sociaux                    35
Les perspectives sociologique et psychologique 2.1.2 Les principaux précurseurs et ondateurs     36
appliquées à la maltraitance d’enants             12
Auguste Comte                                36
1.2 Quels sont les principaux objets d’étude Karl Marx                                      37
de la sociologie ?                                    13 Émile Durkheim                                39
1.2.1 L’organisation et le onctionnement Max Weber                                     40
de la société                                   13 2.2 Le développement de la sociologie
Les groupes, les organisations et les institutions   14 contemporaine                                      42
Les phénomènes et les problèmes sociaux    15 2.2.1 Les phases de la constitution
de la sociologie contemporaine               42
1.2.2 Les rapports sociaux et les processus sociaux   16
2.2.2 Le développement de la sociologie québécoise  43
Les interactions et le lien social                16
En complémEnt
Les processus sociaux et la dynamique
des sociétés                                    La sociologie québécoise : compagne et artisane
17
de la modernisation du Québec                     43
En complémEnt
Le changement social : l’exemple du modèle conjugal 17 2.3 Les courants théoriques classiques
de la sociologie                                      45
1.2.3 Les rapports individu-société
2.3.1 Le confit social                                46
et le déterminisme social                     18
Origine et défnition                            46
1.3 La sociologie : une question de méthode ?       21 Les tensions et le changement                 47
1.3.1 Une démarche scientique essentielle        21 2.3.2 Le onctionnalisme                             48
La défnition du problème Origine et défnition                            48
et la recension des écrits                      21 L’analyse de l’organisation sociale
La précision d’un cadre théorique             22 et des institutions sociales                     48
Le choix de la méthode et la collecte 2.3.3 L’interactionnisme                              49
de données                                    22 Origine et défnition                            49
L’analyse et l’interprétation des résultats      23 L’individu et la société                          50
ApplicAtion théoriquE 3.3.6 Les productions matérielles
Les trois approches à l’œuvre : une analyse et artistiques                                   85
sociologique du sport                               52 3.3.7 Les habitus                                     86
Résumé                                                     88
2.4 Des courants de pensée contradictoires
Exercez votre regard sociologique                           88
ou complémentaires ?                               53
Pour aller plus loin                                          89
2.4.1 Des thèses contradictoires en apparence      53
SociologuE En Action
Charles Wright Mills                                 54
Chapitre 4
LA SOCIALISATION                                      90
L’interdépendance                              54
L’approche féministe                           55 4.1 Qu’est-ce que la socialisation ?                    93
2.4.2 Des perspectives souvent complémentaires   55 4.1.1 Un processus de construction de l’identité    93
Résumé                                                     57 4.1.2 Un processus d’adaptation et d’intégration   94
Exercez votre regard sociologique                           57 4.1.3 Les approches théoriques de la socialisation    97
Pour aller plus loin                                          58 Les visions déterministes de la socialisation   97
SociologuE En Action

PARTIE II Pierre Bourdieu                                     98

L’ORGANISATION DE LA VIE SOCIALE Les visions interactionnistes


de la socialisation                              99
4.2 Le déroulement du processus de socialisation   100
Chapitre 3
4.2.1 Un processus continu, mais changeant        100
LA CULTURE                                              60 4.2.2 Les étapes du processus de socialisation     103
L’enfance                                       103
3.1 Qu’est-ce que la culture ?                           63
L’adolescence                                  103
3.1.1 Le sens du mot « culture »                      63
ApplicAtion théoriquE
3.1.2 La culture individuelle et la culture collective 64
Du marquage traditionnel au bodyart               104
3.1.3 La sous-culture et la contre-culture            65
En complémEnt L’âge adulte                                    105
La culture hip-hop                                   67 La maturité                                     105
La vieillesse                                    106
3.2 Les caractéristiques de la culture                  68 4.2.3 Les périodes de transition                     106
3.2.1 Un enracinement dans le quotidien           69
4.2.4 La resocialisation                              107
3.2.2 Une source de stabilité et de changement    69
4.3 Les mécanismes de socialisation                  110
La stabilité                                     69
4.3.1 Le miroir réféchissant                         110
SociologuE En Action
4.3.2 Le jeu de rôle                                  111
Guy Rocher                                          70
4.3.3 Le maniement des impressions                112
Le changement                                 72 4.3.4 La socialisation par anticipation               113
3.2.3 Un système organisé                           73 4.4 Les agents de socialisation                         116
3.2.4 Un acquis et un construit                      74 4.4.1 La amille                                      116
3.3 Les éléments de la culture                          77 4.4.2 L’école                                          118
3.3.1 La langue                                      77 4.4.3 Les pairs                                       120
En complémEnt 4.4.4 Le monde du travail                            121
La question de la langue au Québec 4.4.5 Les médias                                     122
et dans le monde                                   77 SociologiE Au quotidiEn
La construction de l’identité… virtuelle!            124
3.3.2 Les normes : types et onctions                78
3.3.3 Les valeurs : caractéristiques et onctions     81 4.4.6 L’État                                           125
3.3.4 Les symboles                                  83 4.4.7 Les autres agents de socialisation             127
3.3.5 Les croyances et les idéologies               83 Résumé                                                     130
Les croyances et les tabous                    84 Exercez votre regard sociologique                           130
Les idéologies                                  84 Pour aller plus loin                                          131

Table des matières XI


Chapitre 5 Chapitre 6
LES GROUPES, LES ORGANISATIONS LE CONTRÔLE SOCIAL  168
ET LES RÉSEAUX SOCIAUX                            132
6.1 Le contrôle social                                    171
5.1 Le groupe social                                     135 6.1.1 La normalité, une question de légalité
5.1.1 L’individu et le groupe : la dynamique et de légitimité                                 171
de groupe                                     
135
6.1.2 La normalité : une notion mouvante           173
5.1.2 La classifcation des groupes                
137
Une question d’évolution                       174
Les groupes primaires et secondaires         137
Une question de contexte                      175
Les groupes d’appartenance et de réérence    140
5.1.3 Les sous-classifcations des groupes          140 6.1.3 Le contrôle social en action                    176
Les groupes d’intérêts                         
140 SociologiE Au quotidiEn
Les groupes ormels et inormels              
141 La violence dans le sport                           177
5.2 Les organisations sociales hiérarchiques         142 Les mécanismes de contrôle
5.2.1 La typologie des organisations hiérarchiques 143 social inormel                                 178
L’organisation sociale traditionnelle            143 Les mécanismes de contrôle
L’organisation sociale charismatique           143 social ormel                                   179
L’organisation sociale rationnelle-légale        144
6.2 L’adaptation sociale                                 180
ApplicAtion théoriquE
6.2.1 La conormité                                  181
La onction publique : un modèle
de onctionnement bureaucratique  145 6.2.2 La variance                                     182
6.2.3 L’adaptation novatrice                         183
5.2.2 Les principales organisations hiérarchiques-
bureaucratiques                                148 6.3 L’adaptation sociale pathologique                 184
Les institutions totalitaires et 6.3.1 La surconormité                               184
les organisations coercitives                   148 6.3.2 La déviance                                    186
En complémEnt Des explications de la déviance                187
Les sectes : tendances et caractéristiques sociales   148 La déviance : une étiquette                     190
Les organisations utilitaires La déviance : une notion mouvante            190
et les associations volontaires                 150 La déviance et les inégalités sociales          191
5.3 Les organisations sociales non hiérarchiques 6.3.3 La criminalité                                  193
ou en réseau                                         153 SociologuE En Action
5.3.1 La cogestion et l’autogestion                  154 Shirley Roy                                          194
La cogestion                                    154
L’autogestion                                   154 Une défnition de la criminalité                 195
5.3.2 Les mouvements sociaux                      155 Un portrait de la criminalité                    195
L’évolution des mouvements sociaux           155 ApplicAtion théoriquE
L’analyse sociologique des Des regards théoriques sur la criminalité           196
mouvements sociaux                           156
5.3.3 Les réseaux sociaux                            157 6.4 L’inadaptation sociale ou la marginalité          199
L’organisation en réseau                        157 6.4.1 La marginalité : vivre en dehors de la société    199
Les caractéristiques générales 6.4.2 La marginalisation : un processus
du réseau social                                158 d’exclusion                                     200
Les propriétés du réseau social                158 En complémEnt
Les onctions du réseau social                 161 L’itinérance et l’exclusion sociale                   202
Les nouveaux réseaux sociaux et Internet      161
Résumé                                                     166 Résumé                                                     203
Exercez votre regard sociologique                           166 Exercez votre regard sociologique                           203
Pour aller plus loin                                          167 Pour aller plus loin                                          204

XII Table des matières


PARTIE III SociologuE En Action
Michel Doré                                         237
LES INÉGALITÉS ET LES
Résumé                                                     238
DIFFÉRENCES SOCIALES Exercez votre regard sociologique                           238
Pour aller plus loin                                          239
Chapitre 7
LES INÉGALITÉS ET Chapitre 8
LA STRATIFICATION SOCIALE                         206 LA DIFFÉRENCIATION SOCIALE ET
7.1 Les inégalités socioéconomiques                  209 LES RELATIONS ETHNIQUES                          240
7.1.1 La richesse et la pauvreté dans le monde     209
8.1 Le processus de diérenciation sociale  243
La richesse dans le monde                     209
8.1.1 Les diérences et les inégalités
La pauvreté dans le monde                    210 sociales                                        243
7.1.2 Les inégalités au Canada et au Québec       211 8.1.2 Les critères de diérenciation sociale         245
Les plus ortunés                               212 La classe sociale                               245
La classe moyenne                             212 Le sexe ou le genre                             246
La pauvreté                                     213 L’orientation sexuelle                           246
7.1.3 La mesure des inégalités socioéconomiques  215 L’âge                                           248
Qui mesure les inégalités ?                     215 L’ethnicité ou l’appartenance
En complémEnt à un groupe racisé                             248
La lutte contre les inégalités et le rôle de l’État    216 Les autres critères de diérenciation
sociale                                         248
Comment mesure-t-on les inégalités ?         217 8.2 La diérenciation ethnique :
7.2 Des regards théoriques sur une orme de diérenciation sociale              250
les classes sociales                                 220 8.2.1 Les minorités                                   250
7.2.1 Les classes sociales selon 8.2.2 Les groupes ethniques                         251
la théorie marxiste                             221 8.2.3 Les groupes racisés                            252
Les caractéristiques des classes sociales En complémEnt
selon la théorie marxiste                       221
Les Autochtones                                     254
Une typologie d’inspiration marxiste           222
L’actualisation de la théorie marxiste           223 8.3 Les relations ethniques                             255
7.2.2 Les classes sociales selon 8.3.1 L’identité et l’appartenance ethnique         255
la théorie onctionnaliste                      224 Le développement de l’identité ethnique       256
Les caractéristiques de la stratifcation L’appartenance ethnique et
sociale selon la théorie onctionnaliste        224 la vie communautaire                          256
Une typologie d’inspiration onctionnaliste     225 8.3.2 L’ethnocentrisme et le relativisme culturel     257
L’actualisation de la théorie onctionnaliste    226 L’ethnocentrisme                               257
7.2.3 Une comparaison des deux théories           227 Le relativisme culturel                          258
7.3 La mobilité et la reproduction sociales           228 8.3.3 La discrimination et le racisme                258
7.3.1 La mobilité ascendante                        228 En complémEnt
7.3.2 La mobilité descendante                       230 La déense culturelle                                259
7.3.3 La reproduction sociale                        231 Les préjugés, les stéréotypes et
La reproduction sociale selon Bourdieu        231 la discrimination                               259
Les systèmes de castes                        231 Le racisme                                     260
7.4 L’infuence des classes sociales sur l’individu    233 Le génocide                                    261
7.4.1 Sur le parcours scolaire et proessionnel      233 8.4 Quelques enjeux relatis aux relations ethniques    262
7.4.2 Sur le plan de la santé physique 8.4.1 L’immigration                                  262
et psychologique                               234 La sélection des immigrants                   265
7.4.3 Sur le plan politique                           235 L’intégration des immigrants                    266

Table des matières XIII


8.4.2 Les modèles gouvernementaux 9.2.3 Les théories émergentes                       286
de gestion de la diversité                      267 La troisième vague éministe                   287
Les modèles assimilationnistes                267 La théorie queer                                288
SociologiE Au quotidiEn 9.3 Quelques enjeux relatis aux rapports
Les accommodements raisonnables                268 hommes/emmes                                    289
Les modèles pluralistes                        269 9.3.1 Le partage des tâches amiliales              289
Résumé                                                     272 La maternité aujourd’hui                       290
Exercez votre regard sociologique                           272 La paternité aujourd’hui                        290
Pour aller plus loin                                          273 9.3.2 La violence conjugale                          291
9.3.3 L’hypersexualisation                            292
Chapitre 9 9.4 Les diérences générationnelles                   294
LA DIFFÉRENCIATION SOCIALE FONDÉE 9.4.1 Un portrait des générations                    294
SUR LE SEXE ET LES RELATIONS SociologuE En Action
Stéphane Kelly                                      295
INTERGÉNÉRATIONNELLES                            274
9.4.2 La jeunesse                                    296
9.1 Le sexe biologique et le sexe social               277
9.4.3 La vieillesse                                    297
9.1.1 Le sexe biologique                             277
9.1.2 Le sexe social                                  278 9.5 Les rapports intergénérationnels                   300
9.1.3 La ormation de l’identité sexuelle             278 9.5.1 Les confits intergénérationnels                300
9.1.4 Les modèles masculins et éminins Les baby-boomers et la génération X          300
et leur transormation                          280 La génération Y sur le marché du travail        301
Les modèles traditionnels                      280 9.5.2 La solidarité intergénérationnelle              302
La transormation des modèles                281 Les fnances publiques et
En complémEnt l’équité intergénérationnelle                    302
La condition éminine dans le monde               282 La solidarité intergénérationnelle
au sein de la amille                           303
9.2 Les théories sur les rapports hommes/emmes    283 Résumé                                                     304
9.2.1 Les théories biologiques                       283 Exercez votre regard sociologique                           304
9.2.2 Les théories éministes classiques             284
Pour aller plus loin                                          305
Le éminisme libéral                            284
Le éminisme marxiste                         285 Glossaire                                                    306
Le éminisme radical                           285 Bibliographie                                               313
ApplicAtion théoriquE Sources iconographiques                                   325
Des regards éministes sur la prostitution          286 Index                                                        326

XIV Table des matières


PARTIE I
La nature de
La socioLogie
1
Chapitre

La perspective sOciOLOgique

Objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

d’expliquer la contribution de la perspective de distinguer la démarche scientifque


sociologique à l’étude des phénomènes propre à la sociologie ;
sociaux et humains ;
de reconnaître les particularités de
de nommer les principales caractéristiques la proession de sociologue.
de la sociologie ;
pLan de chapitre
1.1 Qu’est-ce que la sociologie ?
1.1.1 Une manière de voir
1.1.2 Une science vaste et complexe
1.2 Quels sont les principaux objets d’étude
de la sociologie ?
1.2.1 L’organisation et le onctionnement de la société
1.2.2 Les rapports sociaux et les processus sociaux
1.2.3 Les rapports individu-société et le déterminisme social
1.3 La sociologie : une question de méthode ?
1.3.1 Une démarche scientifque essentielle
1.3.2 Les études réalisées à partir de données secondaires
1.4 La sociologie : une science et une profession
comme les autres ?
1.4.1 Une posture critique inconortable
1.4.2 Le sociologue, un agent de changement ?
1.4.3 La ormation en sociologie et les débouchés

cOncepts-cLés
• Agent de • Perspective .............. 6
changement........... 26
• Perspective
• Anomie .................. 10 sociologique ............ 8
• Changement • Phénomène social... 15
social .................... 17
• Pression sociale ....... 7
• Déterminisme
• Problème social ..... 15
social .................... 19
• Représentation
• Homogamie sociale .... 7
sociale .................... 6
• Individualisme
• Science ................. 21
méthodologique ..... 19
• Sciences humaines... 10
• Individualisme
négatif................... 19 • Société.................. 13
• Institution .............. 14 • Sociologie.............. 10
• Intégration
sociale .................. 10
Mise en contexte

Un soir d’hiver, sur la 14e avenue, une amille croit entendre un coup de eu.
Inquiète et apeurée, la mère compose le « 911 » pour signaler l’événement à
la police. Arrivés rapidement sur les lieux, les services d’urgence confrment
les craintes des témoins : il s’agit bien de la détonation d’une arme à eu. Peu
de temps après, la nouvelle du suicide d’un jeune voisin se répand dans le
quartier.
Atterrés et sous le choc, tous cherchent à comprendre ce qui a pu
conduire un garçon en pleine santé à s’enlever la vie. Un journaliste dépêché
pour couvrir l’événement tente de s’inormer sur les motis qui auraient pu
le mener à poser pareil geste. Un témoin qui connaissait bien le déunt lui
raconte que ce jeune homme avait une amille normale et afchait de bons
résultats scolaires. Pourquoi cette personne maniestement appréciée de
tous en est-elle venue à commettre l’irréparable ?
De tels drames, qui ont occasionnellement les manchettes, nous laissent
perplexes. Comment expliquer un comportement qui, de prime abord, peut
sembler lié à une orme de dépression ? Un geste aussi radical peut-il être
expliqué autrement que par des approches psychologiques ou médicales ?

Le suicide peut-il s’expliquer uniquement par des problèmes personnels ?


Quelle est la part de responsabilité de la société à l’égard du suicide ?
Quel est l’apport de la perspective sociologique dans la compréhen-
sion du phénomène du suicide ?

4 parte i La nature de la sociologie


D
ivers phénomènes sociaux nous sont rapportés tous les jours par
les médias : une oule qui s’emballe à la suite d’une partie de hockey,
l’engouement pour un nouveau jeu vidéo, les changements engen-
drés par l’essor des technologies de communication. Les grands
quotidiens ont aussi constamment état de problèmes sociaux : l’ex-
plosion de la violence dans un quartier déavorisé, le taux de suicide élevé
chez les jeunes, l’hypersexualisation ou un taux de décrochage scolaire alar-
mant. Ces événements qui rappent l’imaginaire collecti suscitent inquiétudes
et interrogations. Selon certains, ils sont le ruit de diverses ormes de mésa-
daptation ou de déviance individuelles. D’autres encore y voient le résultat
d’un monde en crise, d’une société qui ne sait plus où elle va.
Ce chapitre a pour objecti de mettre en lumière le point de vue particulier
qu’adoptent les sociologues lorsqu’ils observent la vie sociale. La perspec-
tive propre à la sociologie y est d’abord présentée, suivie d’une description
des principaux objets d’étude de cette discipline. Puis, nous y expliquons la
démarche empruntée par cette science et sa açon d’envisager les rapports
entre l’individu et la société. Enfn, nous y présentons brièvement la proes-
sion et la ormation du sociologue.

1.1 Qu’est-ce que la sociologie ?


C’est Auguste Comte qui, semble-t-il, a utilisé le premier le terme « sociologie » en
1822 (Ritzer, 1994). Cette nouvelle science se donnait alors pour mission de
comprendre et d’analyser scientifquement le monde social : un univers vaste,
complexe et changeant. L’idée d’étudier méthodiquement et scientifquement la
société pose, encore aujourd’hui, d’immenses défs. Pour mieux comprendre
la sociologie, voyons d’abord quel regard cette jeune discipline porte sur
notre monde.

1.1.1 Une manière de voir


La sociologie appréhende la société selon une perspective particulière. Ce que l’on
désigne sous le vocable de perspective est un point de vue, une manière de voir,
qui permet de mieux discerner certains aspects d’un phénomène. Pour illustrer
cette idée, revenons au drame relaté au début de ce chapitre. Supposons mainte-
nant que le psychologue du jeune homme qui s’est suicidé nous parle de ce der-
nier. Il évoquera certainement les événements malheureux qui ont marqué sa vie,
ses eorts pour surmonter la dépression, ses tentatives de suicide antérieures.
Comme on le voit, le point de vue du psychologue dière grandement de celui du
journaliste qui a rapporté l’événement. En eet, le premier tente de aire com-
prendre la vie aective de l’homme et les événements importants qui ont jalonné
sa vie, tandis que le second décrit la situation et se penche sur les circonstances
particulières de ce suicide.
Comme le journalisme et la psychologie, la sociologie possède son propre
point de vue. Ainsi, concernant la personne qui vient de se suicider, le sociologue
s’intéresserait à certaines caractéristiques sociales qui la relient à telle ou telle
catégorie d’individus, comme son sexe, son état civil ou sa religion ; de même qu’à
sa situation sociale, défnie par son emploi, sa scolarité et son revenu. Dans notre
exemple, le sociologue obtiendrait le profl d’un homme jeune, célibataire, plutôt
solitaire et qui réquentait l’université. Comme on le voit, le point de vue du socio-
logue ne porte pas nécessairement sur les raisons personnelles qui ont poussé

chapitre 1 La perspective sociologique 5


cet individu à se suicider ni sur les moyens qu’il a employés. Il cherchera plutôt
à découvrir pourquoi certains types de personnes ont davantage tendance à
se suicider.
pesectve Les diérentes açons dont le journaliste, le psychologue et le sociologue envi-
Point de vue permettant sagent les choses, dans notre exemple, montrent bien qu’il est possible de com-
d’envisager un phénomène prendre un phénomène humain – en l’occurrence le suicide – en adoptant des
sous un certain angle. points de vue diérents. C’est ce que l’on nomme une perspective disciplinaire.
Ainsi, en sciences humaines, chaque discipline (la sociologie, bien sûr, mais éga-
lement la psychologie, la politique, l’histoire, la géographie, l’économie et l’an-
thropologie) a développé sa perspective particulière, qui permet d’analyser un
phénomène sous un angle précis.
Pourquoi est-il nécessaire de choisir une perspective pour étu-
dier les phénomènes humains ? Ne serait-il pas plus intéressant
d’analyser globalement le suicide plutôt que de l’envisager selon
un angle restreint ? Les phénomènes humains, comme les phéno-
mènes naturels, sont très complexes. L’adoption d’un point de vue
permet de rétrécir et de concentrer le champ de vision, tout
comme des jumelles limitent l’étendue du paysage pour préciser
l’objet observé. Ainsi, de même que les jumelles permettent d’ap-
préhender en proondeur ce qui ne serait pas visible à l’œil nu, la
perspective disciplinaire révèle des aspects d’un phénomène
La perspective adoptée pour analyser des faits ou donné qui n’apparaîtraient pas autrement. Par exemple, lorsqu’un
des événements n’est bien souvent qu’une fenêtre, géographe regarde les alaises le long du feuve Saint-Laurent en
un point de vue sur un phénomène plus vaste. Gaspésie, il ne voit pas seulement la beauté du paysage, l’eau, le
sable et les roches de diverses couleurs. À l’aide de ses connais-
sances en géographie physique – sa perspective particulière –, il peut concentrer
son champ de vision sur certains aspects de la réalité et les interpréter à l’aide des
outils qui lui sont propres. Il remarque alors une série de roches stratiées qui
sont très ondulées au lieu d’être droites à l’horizontale comme elles ont d’abord
été ormées au ond de l’océan. Cette observation l’amène à imaginer les divers
mouvements de l’écorce terrestre qui sont à l’origine de cette ormation rocheuse.

Au-delà des apparences


Lorsqu’une situation nous interpelle, nous pouvons être tentés d’échaauder une
explication spontanée. Ainsi, pour reprendre l’exemple de la mise en contexte, les
proches du jeune déunt pourraient avancer que celui-ci était trop exigeant envers
lui-même, qu’il s’était trop investi dans ses études, qu’il s’était atigué à l’extrême,
qu’il évitait d’avoir des amis pour se concentrer sur ses études ou qu’il n’avait pas
un mode de vie équilibré. Bien que ces tentatives d’explication puissent contenir
une bonne part de vérité dans ce cas précis, elles nous apprennent peu de choses
sur le phénomène plus large ; elles n’expliquent pas, par exemple, l’augmentation
ulgurante du taux de suicide chez les jeunes depuis les années 1960.
reésentaton socale Les tentatives d’explication spontanée correspondent souvent à des représenta-
Perception socialement acquise, tions sociales ayant cours dans une société (Champagne 1998). La représentation
partagée par un grand nombre sociale se dénit comme une perception, une manière d’expliquer la réalité qui est
de personnes. socialement acquise. Ces représentations sont partagées par de nombreuses per-
sonnes. Elles peuvent relever de croyances non ondées et ne sont pas nécessaire-
ment vraies d’un point de vue scientique. Par exemple, une personne peut penser
qu’il est bon de boire du thé tous les jours pour prévenir les cancers ou qu’il y a plus
de naissances lors d’une pleine lune. Or, ce que nous dit la science sur ces questions
ne correspond pas nécessairement aux représentations partagées par une part
importante de la population. Ces idées assez répandues portent sur toutes sortes

6 pate i La nature de la sociologie


d’aspects de la réalité et ont des origines diverses. Elles proviennent parois de
croyances ancestrales, de légendes urbaines ou du sens commun. La science peut
contribuer à açonner ou à contredire les perceptions, analyses et croyances qui
circulent dans la population, mais les représentations sociales, vraies ou ausses, ne
sont pas aciles à modier.
La sociologie propose réquemment des points de vue et des analyses qui homogamie soiale
déent le sens commun et les représentations sociales. Un exemple d’analyse Règle qui détermine l’union
sociologique qui ébranle une croyance généralisée concerne nos choix amou- de deux personnes à partir
reux. Plusieurs d’entre nous croient à l’existence de l’« âme sœur ». Nous l’imagi- de ressemblances sociales.
nons dotée de traits de personnalité que nous chérissons et espérons trouver un
jour la personne qui nous est destinée. Or, cette représentation du partenaire
idéal est mise à mal par une analyse statistique des choix amoureux que ont les
individus. En eet, les enquêtes sociologiques révèlent que ce qui apparaît comme
une décision très personnelle est grandement infuencé par des acteurs sociaux.
Ce phénomène, connu sous le nom d’homogamie sociale, a été dévoilé par les
études de Girard (1974) et de Bozon et Héran (1987), qui ont contribué à mettre
en évidence le ait que les choix personnels se ressemblent ortement d’un indi-
vidu à l’autre. Ces auteurs ont notamment montré que, en plus d’avoir en commun
des caractéristiques physiques, les conjoints proviennent souvent de la même
région et du même quartier, et qu’ils partagent souvent le même niveau de scola- pression soiale
rité, la même origine sociale, la même religion, la même langue ou la même origine Infuence exercée par la
ethnique (Lacourse, 2010). L’homogamie sociale constitue ainsi l’un des principes société sur l’individu.
qui régissent le choix d’une conjointe ou d’un conjoint.
Comment expliquer cette manière de choisir
un partenaire ? Autreois, dans la société tradi-
tionnelle, les obligations sociales et nancières
amenaient la amille et la parenté à veiller au
destin amoureux des jeunes gens. Avec l’avène-
ment de la société moderne, le libre choix du
conjoint s’est imposé. Touteois, le point de vue
sociologique montre que des pressions sociales
infuent encore sur la ormation du couple sous
la orme de règles implicites.
Comme on le voit, le principe d’homogamie
sociale va donc à l’encontre des représenta-
tions de l’amour généralement ondées sur
l’idée que le choix du partenaire se onde sur ses
caractéristiques personnelles plutôt que so-
ciales. Ainsi, la sociologie nous permet de voir
au-delà des apparences.

Le social en nous
Chacun de nous a le sentiment d’être unique. Or, cette impression nous empêche
parois de reconnaître les pressions sociales agissantes. Même si les êtres humains
prennent des décisions qui açonnent leur destin, ils sont infuencés par le contexte
social dans lequel ils vivent. Ainsi, leurs valeurs, leurs croyances et tout ce qui
oriente leurs actions seraient sans doute ort diérents s’ils étaient nés à une autre
époque, dans un autre pays ou dans un autre milieu. Le social ait partie de notre
être, de la même manière que nous sommes aits de chair et d’os. Il se traduit par
des açons de penser et d’agir, des structures mentales assimilées progressivement
au contact de l’entourage. Ces manières de comprendre la réalité ne sont pas propres
à l’individu ; elles sont partagées par le groupe social auquel celui-ci appartient.

caitre 1 La perspective sociologique 7


Le point de vue sociologique permet de découvrir comment
la ormation de notre individualité s’inscrit dans le contexte
social dans lequel nous évoluons. En suggérant une explication
générale à des phénomènes humains, la perspective sociolo-
gique nous aide à comprendre comment les individus intègrent
la dimension sociale à leur identité. On imagine habituelle-
ment la société autour de nous, alors qu’en ait, elle se trouve
aussi en nous. En dénitive, l’individu est indissociable de la
société qui l’a açonné.
Les sociologues ont des recherches sur un large éventail de
sujets, par exemple les rapports amoureux, la amille, la répar-
tition des richesses, le mode de vie des jeunes, la pratique reli-
gieuse ou le sport. Même si ces sujets d’étude sont variés, les
sociologues s’entendent pour adopter une perspective simi-
Les hommes et les femmes sont des êtres intrinsè- laire. Cette perspective, selon Raymond Aron, sociologue ran-
quement sociaux. En cela, nous sommes liés les uns çais réputé, considère la réalité comme sociale, c’est-à-dire
aux autres. comme résultant de l’action réciproque des individus et de l’in-
fuence qu’exerce la société sur ceux-ci.
persectve socologque La perspective sociologique est donc le point de vue qui s’intéresse à l’aspect
Point de vue permettant social de la réalité humaine. En plus de mettre l’accent sur les acteurs sociaux
d’envisager la réalité humaine qui infuencent divers phénomènes humains, cette perspective permet aussi de
sous l’angle social. comprendre notre identité, sorte de personnalité sociale qui établit notre spéci-
cité de Québécois, de Chinois, de Sénégalais ou de tout autre groupe auquel nous
appartenons. Notre manière de concevoir la réalité est largement tributaire de
nos appartenances sociales. La société açonne ce que nous sommes comme indi-
vidu, nos açons d’être et d’agir.

Une perspective globalisante


L’une des caractéristiques de la sociologie est sa propension à observer les phé-
nomènes dans leur globalité. Pour discerner les caractéristiques d’un phénomène
social, le sociologue doit tenter d’en dégager les paramètres principaux, un peu
comme l’architecte tente de voir la totalité d’un édice an d’en comprendre les
grandes structures.
Ainsi, la sociologie met en relation les problèmes qu’elle étudie avec la manière
dont la société est organisée globalement. Par exemple, si le sociologue étudie le
système d’éducation, il ne limitera pas son analyse au système lui-même ; il ten-
tera de replacer celui-ci dans son contexte social plus global. Ainsi, il s’attardera
probablement aux besoins sociaux pour lesquels le système d’éducation a été
mis en place et dévoilera la manière dont l’origine sociale des individus en aecte
l’ecacité et l’accessibilité. Il pourra mettre en relation le système d’éducation et
les classes sociales an de montrer comment ce système concourt à reproduire
ou à atténuer les inégalités sociales, ou comment il agit sur les mécanismes d’in-
tégration ou d’exclusion sociale. De même, si le sociologue se penche sur le sys-
tème de santé, il critiquera l’ecacité de ce système en onction des besoins aux-
quels il doit répondre. Il s’interrogera peut-être sur l’accessibilité du système
selon les moyens des individus. En outre, il pourra montrer comment les inéga-
lités sociales se traduisent en inégalités de santé (voir le chapitre 7 ). De ait, le
milieu social de provenance a une incidence directe sur la longévité et l’espé-
rance de vie en santé des individus (Lacourse 2010).
Lorsque le sociologue s’attarde à une institution particulière, il cherche à éta-
blir des liens avec d’autres structures sociales importantes comme les classes

8 parte i La nature de la sociologie


sociales, les générations et les rapports sociaux de genre. En défnitive, la socio-
logie trace un portrait du phénomène étudié, en mettant au jour l’organisation
interne de la société. Cette architecture de la vie sociale est souvent largement
responsable de la situation ou du problème qui ait l’objet de l’enquête, et
contribue à l’expliquer. Ainsi, comme nous le verrons dans l’encadré 1.1, une

encadré 1.1 en coMPlÉMent

Le suicide : un geste personnel à résonance sociale

Émile Durkheim, l’un des ondateurs de la sociologie (voir le sociales que les personnes mariées et sont donc moins inté-
chapitre 2), a mené une étude approondie sur le suicide. Ses grées à la société.
recherches, menées à la n du xixe siècle, en France et dans
Avant qu’Émile Durkheim ne publie son étude sur le suicide, on
d’autres pays d’Europe lui ont permis de démontrer que le sui-
supposait que ce geste était un acte de désespoir isolé, ou
cide n’est pas simplement un acte isolé de désespoir. À
même de lâcheté. L’explication de ce phénomène est plutôt
l’époque, certaines catégories de personnes, comme les
liée, selon lui, au sentiment d’appartenance, à l’intégration
hommes, les protestants, les riches et les célibataires,
sociale et à la cohésion sociale qui en résulte. Ainsi, les princi-
présentaient un taux de suicide beaucoup plus élevé que
pales variations des taux de suicide refètent les variations de
certains autres groupes, comme les emmes, les catholiques
degré d’intégration sociale. Le suicide anomique déni par
et les juis, les pauvres ou les personnes mariées. Le principe
Durkheim montre que, à certaines époques, comme au moment
général qui se dégage de cet état de ait : un individu bien
de transormations sociales importantes, il peut se produire un
intégré dans un groupe social aura moins tendance à vouloir
dérèglement de la société qui aaiblit l’intégration des indi-
s’enlever la vie.
vidus. L’anomie, terme utilisé par Durkheim pour décrire une
Dans les sociétés européennes de la n du xixe siècle, où les société caractérisée par une désintégration de ses règles,
hommes occupent une position dominante, les emmes sont semble donc avoriser une augmentation du taux de suicide.
moins indépendantes que ces derniers ; par conséquent, elles
Au Québec, depuis le début des années 1960, les transorma-
sont davantage tournées vers les autres et entretiennent avec
tions particulièrement rapides des valeurs liées à la religion, à
leur entourage des liens plus solides. De même, les rites du
la amille, au mariage et à la situation économique ont eu et
catholicisme et du judaïsme privilégient les rapprochements
ont encore pour eet d’augmenter le degré d’anomie et, par
sociaux et une stricte soumission au groupe, par opposition au
conséquent, le taux de suicide, surtout chez les jeunes. En
protestantisme, qui met l’accent sur la liberté individuelle de
2009, il y a eu 21,3 suicides pour 100 000 hommes, compa-
pensée et d’action, d’où un sentiment d’appartenance sociale
rativement à 5,9 pour 100 000 emmes (INSPQ, 2011). En
plus aible. Par ailleurs, vu leurs moyens matériels plus impor-
outre, 3 % des Québécois de 15 ans et plus auraient songé
tants, les personnes riches peuvent davantage que les per-
sérieusement au suicide (État du Québec, 2012).
sonnes pauvres aire des choix qui refètent leur individualité,
ce qui amoindrit chez elles le sentiment de solidarité sociale. À Le sociologue québécois Daniel Dagenais (2007) a expliqué le
l’opposé, la liberté des pauvres est limitée par leur condition. suicide des jeunes Québécois comme une orme de meurtre
Enn, les célibataires sans enant ont moins de responsabilités d’une identité. La haine de soi, de l’idée que l’on se ait de soi,
mènerait la personne à vouloir en nir, à tuer cette identité
dont elle n’est pas satisaite. Dagenais avance notamment que
le processus de socialisation (voir le chapitre 4), le mode d’in-
sertion dans le monde adulte et la capacité limitée de se pro-
jeter dans l’avenir seraient en cause. En ait, les études socio-
logiques sur le suicide illustrent en quoi ce geste qui, de prime
abord, peut sembler individuel s’explique largement par des
réalités sociales comme la manière dont l’individu s’intègre et
se dénit dans son monde.

Question
Quel rapprochement peut-on aire entre l’explication du sui-
cide selon Durkheim et selon Dagenais ?

chapitre 1 La perspective sociologique 9


intégrton ocle étude classique en sociologie réalisée par Émile Durkheim a révélé que le degré
Interdépendance des membres d’intégration sociale ainsi qu’une orme de dérèglement de la société appelée
d’une société et des groupes anomie aectent directement le nombre de suicides.
sociaux qui entraînent la
cohésion de cette dernière.
anome
1.1.2 Une science vaste et complexe
État d’une société caractérisée La sociologie est une discipline scientique dicile à cerner selon certains. De açon
par une désintégration de ses intuitive, on pourrait être tenté de la dénir comme la science de la société. Or, la
règles. société est un vaste sujet d’étude et la sociologie n’est pas la seule discipline à s’y
attaquer : toutes les sciences humaines contribuent à étudier la société ou l’une de
ses parties. De quelle manière les nombreuses disciplines relevant des sciences
humaines se démarquent-elles ? Quelle est la spécicité de la sociologie ?

La sociologie : quelques défnitions


socologe Fille du Siècle des lumières, la sociologie est une science relativement jeune et
Étude systématique des complexe, ce qui lui conère une orme d’instabilité. En outre, au sein même de la
comportements sociaux et discipline coexistent diérentes conceptions de cette science de la société. Elle
des groupes humains. comporte, en eet, des divergences d’opinions qui, de prime abord, peuvent sem-
bler irréconciliables (Berthelot, 2003). Ainsi, diverses écoles de pensée, présentées
en détail dans le chapitre 2, se côtoient sur le même terrain. Certains auteurs
évitent même de dénir la sociologie en arguant que la dénition proposée serait
immédiatement critiquée (Mendras, 1975). Ces divergences de points de vue ont
donné lieu à diérentes dénitions de la sociologie. Tenant compte de ces diver-
gences d’opinions, quelques dénitions tout de même peuvent être avancées. Ainsi,
une dénition assez répandue de la sociologie est l’étude systématique et scienti-
que des comportements sociaux et des groupes humains, la plaçant parmi les
sciences du comportement. Alain Touraine, sociologue rançais, l’a dénie comme
la « science de l’action sociale » (1965), mettant de l’avant les propositions de chan-
gements qui découlent inévitablement de l’étude de problèmes sociétaux. Des
auteurs américains, comme Talcott Parsons et Robert K. Merton, l’ont caractérisée
par son objet d’étude principal, c’est-à-dire le onctionnement de la société ou de
l’une de ses parties, la décrivant ainsi comme la science des systèmes sociaux.
D’autres sociologues encore mettent l’accent sur ce qui relie les individus entre
eux. Ils dénissent la sociologie comme l’étude des interactions sociales, du lien
social ou encore l’étude des rapports sociaux.
En somme, il existe plusieurs açons de dénir cette science critique et dyna-
mique, et cette diversité constitue l’une des richesses de la discipline. En orant
des points de vue analytiques variés, elle se dote d’outils qui refètent la com-
plexité de la réalité étudiée.

Une place au sein de la amille des sciences humaines


scence humne La propension de la sociologie à s’intéresser à tout l’amène à se mesurer à plu-
Étude scientifque des diérents sieurs autres disciplines et à interagir avec elles. D’autres sciences humaines s’in-
aspects de la réalité humaine téressent aussi à l’aspect social de la réalité humaine, telles que l’anthropologie,
et sociale. l’économie, la science politique, l’histoire, la géographie et la psychologie. Toutes
ces disciplines ont pour objet de connaissance la réalité humaine dans toute sa
complexité. Or, cette réalité est très largement sociale, car l’humain peut dicile-
ment être dissocié de la société dont il est issu.
On distingue habituellement les sciences de la nature des sciences humaines.
Les sciences de la nature, comme l’astronomie, la biologie, la physique, la géo-
logie et la chimie, s’intéressent aux phénomènes naturels. Pour leur part, les
sciences humaines étudient, chacune selon sa perspective, et chacune à sa
manière, l’être humain et divers aspects du monde social.

10 prte i La nature de la sociologie


Par ailleurs, les sciences sociales se concentrent sur les aspects sociaux de la siene oiale
réalité humaine, comme la politique, l’économie ou une société dans son Disciplines scientifques
ensemble. Assez réquemment, les sciences sociales sont englobées sous le centrées sur l’étude des sociétés
terme plus général de « sciences humaines », celui-ci étant estimé plus représen- ou de certaines de leurs
tati de ce vaste champ d’études. En anglais, touteois, Social sciences et Humanities composantes.
sont pratiquement synonymes.
Les principales disciplines qui constituent les sciences humaines peuvent être
dénies sommairement de la manière suivante :
• L’anthropologie est un vaste champ d’études qui comporte plusieurs ramica-
tions. Ses deux branches principales sont l’anthropologie physique, qui se
consacre principalement à l’humanité et à son évolution en tant qu’espèce bio-
logique ; et l’anthropologie culturelle ou sociale (ethnologie), qui s’intéresse
surtout aux cultures et aux civilisations du passé. Les recherches anthropolo-
giques ont notamment pour objecti de décrire la culture des communautés
autochtones préindustrielles, comme celles qui vivent encore en Amérique du
Sud. Enn, les anthropologues utilisent de plus en plus leurs connaissances
pour nous aider à comprendre les diverses cultures qui sont établies dans les
sociétés contemporaines.
• L’économie s’intéresse à la açon dont les gens produisent des biens et des ser-
vices à l’aide des ressources qui sont à leur disposition et comment ces biens
produits circulent et sont redistribués Cette science sociale permet notamment
de comprendre les enjeux liés à l’emploi, aux revenus et aux prix des biens de
consommation.
• La science politique étudie l’exercice du pouvoir et de l’autorité, le onctionne-
ment des gouvernements et les relations internationales. Elle se penche notamment
sur les diérents régimes politiques, les règles de la démocratie et les princi-
pales idées ayant marqué la pensée politique.
• L’histoire s’intéresse aux individus et aux événements du passé de même qu’à la
signication qu’ils acquièrent pour nous. Elle vise à recueillir et à consigner tous
les événements qui permettent de comprendre l’évolution spatio-temporelle de
l’humanité. Le passé constitue la matière première du travail de l’historien.
• La géographie se déploie en deux grands champs d’études : la géographie phy-
sique et la géographie humaine (ou sociale). La géographie physique se
consacre à l’étude des caractéristiques de la terre et se rapproche des sciences
de la nature. La géographie humaine étudie à diérentes échelles les phéno-
mènes spatiaux et les relations qu’entretiennent les sociétés avec leur terri-
toire. Elle s’intéresse notamment aux représentations spatiales des acteurs, à la
démographie, aux conséquences du développement humain sur le territoire, à
l’utilisation des ressources, au développement durable et aux confits
géopolitiques.
• La psychologie se penche sur la personnalité et le comportement individuel ;
elle se dénit comme l’étude des comportements et des processus mentaux.
Les psychologues recherchent les lois générales qui règlent le comportement
des humains, tant en ce qui concerne la personnalité que le développement (le
comportement en onction de l’âge). Ses domaines de recherche ondamentaux
incluent la sensation, la perception et l’apprentissage.
D’ailleurs, puisque les études sociologiques portent souvent sur des pro-
blèmes sociaux qui aectent gravement les individus touchés, les analyses
sociologique et psychologique sont souvent placées côte à côte. Pour illustrer la
contribution respective de chacune de ces disciplines, l’encadré 1.2, à la page
suivante, discute de la maltraitance des enants et de la manière dont un socio-
logue et un psychologue pourraient l’aborder.

chapitre 1 La perspective sociologique 11


encadré 1.2 APPlicAtion thÉorique

Les perspectives sociologique et psychologique appliquées à la maltraitance d’enfants

Régulièrement, les médias rap- Le sociologue, pour sa part, compilerait probablement les
portent des histoires d’horreur caractéristiques sociales des victimes et des agresseurs.
concernant des enants négligés, Ensuite, pour expliquer ce type de déviance, il s’interrogerait
battus, violés ou tués. Lorsque vient sur des acteurs comme les modèles sociaux de sexualité véhi-
le temps d’expliquer comment des culés par la société, notamment par la pornographie, ou
humains en viennent à maltraiter ou encore sur les rôles sociaux liés au genre. En ait, le sociologue
à tuer leurs propres enants, l’état de se penche sur les mécaniques sociales qui se cachent derrière
santé psychologique des agresseurs est souvent invoqué. Or, pareil phénomène, en dévoilant notamment comment l’organi-
si pareil problème s’explique en partie par la psychologie ou la sation même de la société avorise l’apparition de ce type de
médecine, certains acteurs sociaux contribuent également à problème. Lorsqu’un psychologue observe des gens, ce qu’il
l’élucider. Quel est l’apport respecti de la sociologie et de la voit d’abord par la lorgnette de sa discipline, ce sont des per-
psychologie à l’explication de phénomènes de nature psycho- sonnes. Le groupe et la société se présentent seulement
sociale comme les agressions ou la maltraitance des enants ? comme une somme d’individus dont le psychologue cherche à
discerner le onctionnement typique sur le plan personnel. En
Imaginons un cas fcti de maltraitance. Un groupe d’entraide
sociologie, c’est exactement l’inverse : ce que le sociologue
pour les victimes d’agression sexuelle a été mis sur pied par
une clinique locale. Ghyslaine, une jeune emme de 25 ans, est voit d’abord, c’est une amille, une classe sociale, une nation.
invitée à exposer ce qui l’a amenée à se joindre au groupe. Elle Ainsi, contrairement aux psychologues, qui analysent surtout
raconte que, dans son enance, alors qu’elle était âgée de 6 à les comportements individuels, les sociologues désirent savoir
14 ans, elle a connu des difcultés avec le compagnon de sa de quels groupes l’individu ait partie (ethnie, sexe, occupa-
mère, jusqu’à ce que sa mère rompe fnalement avec lui. tion, religion, âge, revenu, etc.). Dans notre exemple, il évalue-
Celui-ci la harcelait réquemment en tenant un langage gros- rait les eets de acteurs sociaux ou culturels, liés aux inéga-
sier, souvent équivoque, trué de connotations sexuelles plus lités ou à la socialisation, souvent à la racine de ce type de
ou moins explicites. Il l’exposait même parois à du matériel problème. Pour le sociologue, l’individu peut aussi devenir
pornographique. Bien que l’homme ne l’ait jamais touchée, elle indirectement un objet d’étude, mais il est conçu comme un
se sentait menacée et ne savait pas comment lui aire ace. En construit social, comme le produit d’une société et d’un pro-
outre, elle en veut à sa mère de ne pas l’avoir protégée. cessus historique que tout pousse vers une orme d’individua-
Maintenant qu’elle est adulte, elle voudrait pouvoir guérir ce lisation (Le Bart, 2008).
traumatisme et réapprendre à aire confance à son entourage, En ce qui a trait à un problème psychosocial, comme celui des
et aux hommes en particulier. enants maltraités, tous s’entendent pour afrmer que les vic-
Dans une telle situation, le psychologue se préoccuperait de times conserveront des séquelles importantes des mauvais
comprendre pourquoi un individu en particulier en est arrivé à traitements subis. Or, il est de notre responsabilité collective
poser des gestes d’agression. Par exemple, est-il possible que de comprendre toutes les causes de ces situations aux consé-
l’agresseur reproduise simplement ce qu’il a lui-même vécu, quences individuelles et sociales coûteuses, pour arriver à les
ou encore qu’il ne ressente pas le mal qu’il ait aux autres ? Le prévenir et à mettre en place les ressources nécessaires pour
psychologue se pencherait aussi sur les manières d’aider les aider les victimes à se reconstruire.
victimes à surmonter les conséquences de ces actes d’agres- Question
sion psychologique ou physique. La psychologie développe
Qu’est-ce qui diérencie la perspective sociologique de
donc des outils théoriques et pratiques pour comprendre les
l’angle psychologique dans l’analyse du phénomène de la
comportements individuels et pour tenter de les aider à s’en
violence envers les enants ?
sortir personnellement.

Certains domaines spécialisés sont très proches de la sociologie. Ainsi, l’ethno-


logie et la psychologie sociale ont des méthodes de travail et des objets d’études
qui recoupent en partie ceux de la sociologie. En outre, le corpus théorique et
méthodologique propre à la sociologie a ortement infuencé des domaines appli-
qués tels que la criminologie et le travail social. La criminologie, par exemple,
intègre à son approche des notions de psychologie, de sociologie et de droit, et le

12 parte i La nature de la sociologie


travail social est parois décrit comme une orme de sociologie appliquée. Touteois,
les travailleurs sociaux ont développé un corpus de connaissances bien distinct,
notamment en ce qui a trait à l’intervention sociale, puisqu’ils ont à travailler auprès
de divers groupes sociaux tels que les jeunes, les amilles et les personnes âgées.
Enfn, la sociologie a aussi enrichi plusieurs autres domaines appliqués comme
les sciences de l’administration, de l’éducation, de la santé et des communica-
tions. Comme on le voit, les méthodes de recherche des sociologues ont parti-
cipé à la consolidation de la démarche scientifque de plusieurs champs de la
connaissance.

Faites Le point

1. Pourquoi utilise-t-on plusieurs perspectives pour expliquer les phéno-


mènes humains ?
2. Énumérez trois caractéristiques propres à la perspective sociologique.
3. Nommez deux particularités des sciences humaines.

1.2 Quels sont les principaux objets d’étude


de la sociologie ?
La difculté de s’entendre sur une défnition de la sociologie rend également difcile
la précision de son objet. Pour Durkheim (voir le chapitre 2) l’objet d’étude principal
du sociologue est le ait social. Un ait social peut se décliner en toutes sortes de
« choses » qui résultent de l’action des humains en société, ce qui conduit la sociologie
à s’intéresser à une variété quasi infnie de phénomènes ou de problèmes sociaux.
Selon les diérents courants de pensée, les objets
d’étude privilégiés et la açon de les concevoir
varient substantiellement. Les groupes, les
interactions sociales, les processus sociaux
constituent également des centres d’intérêt
incontournables. En outre, les rapports entre
l’individu et la société ont régulièrement l’objet
de travaux importants. La sociologie s’attarde à
décrire et à expliquer des institutions, des
phénomènes ou des problèmes particuliers :
médias, système de santé, système d’éducation,
amille, religion, travail, classes sociales, ethnicité,
mouvements sociaux, changement social, pau-
vreté, exclusion sociale, etc. Ainsi, les programmes
des colloques réunissant des sociologues et la
table des matières des manuels de sociologie com-
La sociologie du travail s’intéresse notamment aux liens que développent
portent souvent l’expression « sociologie de » asso-
les individus entre eux, en rapport avec leur milieu de travail.
ciée à la plupart des activités humaines.

1.2.1 L’organisation et le fonctionnement de la société soiété


Ensemble d’individus,
Une société est constituée d’individus, de groupes et d’institutions interdépen- de groupes et d’institutions
dants ; elle peut être conçue comme une sorte de réseau d’interactions sociales interdépendants, généralement
généralement situé à l’intérieur d’un territoire donné. Or, à partir du moment où situé sur un territoire donné.

chapitre 1 La perspective sociologique 13


les humains se concertent et interagissent pour organiser leur vie commune, ils
ont des choix. Ainsi, la manière de vivre ensemble, le mode de vie et les traditions
adoptées par un groupe refètent l’ensemble de ces choix, eectués plus ou moins
consciemment au l du temps. Cela explique en partie pourquoi tout geste posé
par l’humain, surtout s’il résulte d’une orme de tradition ou de contrainte est sus-
ceptible de devenir un objet d’étude pour le sociologue. En outre, chaque groupe
et chaque société se distinguent par des açons de aire instaurées avec le temps.
Ainsi, les diérents modèles de sociétés et de collectivités découlant des choix
collectis constituent également un objet d’étude central en sociologie.

Les groupes, les organisations et les institutions


Selon plusieurs sociologues, le groupe constitue l’unité d’analyse de base de cette
discipline (Jonhson, 1986). Pour répondre aux besoins individuels et collectis, les
humains créent des groupes, des organisations, des entreprises ou des systèmes
de toutes sortes pour organiser la vie sociale. Ils tissent des liens pour satisaire
leurs besoins, pour donner des réponses collectives à des problèmes communs.
Vivre ensemble de açon structurée implique une orme d’organisation des rap-
ports entre les individus. En ait, en plus d’étudier des groupes ou des organisa-
tions qui interagissent sur une base régulière, comme les coopératives ou les
sectes, la sociologie a tendance à créer des regroupements et catégories de toutes
sortes pour décortiquer des situations complexes. Par exemple, on regroupera les
individus selon leur âge, leur sexe, leur niveau de scolarité, leur classe sociale ou
leur appartenance à divers groupes. Cette catégorisation a souvent permis de
révéler des problèmes importants, comme celui des inégalités de classe ou
de genre.
Lorsque le sociologue étudie des groupes constitués et assez stables, comme
les gangs de rue ou les sectes, il le ait toujours avec sa lorgnette disciplinaire, en
cherchant notamment à comprendre les interrelations de ces groupes avec les
autres dimensions de la société. Par exemple, les gangs de rue n’ont pas que des
codes sociaux et culturels à analyser ; on observe que les jeunes qui s’y impliquent
naissent généralement dans des quartiers déavorisés, qu’ils sont marginalisés et
ont peu de chances de s’intégrer aisément à la société. Comme nous le verrons
dans le chapitre 7, il existe une orme de discrimination systémique envers les
personnes provenant de milieux déavorisés. Le sociologue s’attardera au mode
d’organisation et au onctionnement interne des gangs de rue, tout en cherchant
à discerner ce que l’existence même ce de ce type de groupe nous révèle sur l’or-
ganisation de la société dans son ensemble.
Par ailleurs, des organisations comme les entreprises privées ou publiques,
les coopératives, les syndicats ou les organismes à but non lucrati (OBNL)
peuvent aire l’objet d’enquêtes sociologiques. L’organisation se dénit comme un
regroupement ayant pour mission de répondre à un besoin ou d’atteindre un but
précis. Ce type de groupe est essentiel au onctionnement des sociétés com-
plexes et est généralement encadré juridiquement par diverses législations.
D’ailleurs, plusieurs de nos actions quotidiennes se déroulent dans le cadre de
ces organisations privées ou publiques : les entreprises pour lesquelles nous tra-
vaillons, l’école ou la garderie réquentée par nos enants, les services que nous
utilisons pour nous détendre, etc. La vie sociale est en bonne partie régie et arti-
culée par ces diérents types de groupes ou d’organisations (voir le chapitre 5 ).
insttuton
Système de conduites sociales Les sociologues étudient couramment des institutions importantes comme
et manières de faire très stables, les médias ainsi que les systèmes de santé et d’éducation. Celles-ci se dénissent
articulées autour des besoins comme des structures stables dont la nalité est de satisaire des besoins essen-
fondamentaux de la société. tiels à la vie collective. Les institutions s’inscrivent dans diérents systèmes :

14 parte i La nature de la sociologie


l’économie, la politique, l’éducation, la amille, etc. Si une institution change radi-
calement ses açons de aire, cela ébranlera l’ensemble de la société. Pour cette
raison, certains sociologues considèrent les institutions et leurs conditions de
transormation comme l’objet d’étude primordial de la sociologie (Giddens, 1982).
De ait, toute structure mise en place pour organiser la vie en société est suscep-
tible de se retrouver dans la mire de la sociologie.
Historiquement, l’une des institutions importantes dans la plupart des sociétés
était l’Église. Les religions ont longtemps constitué une structure centrale en pro-
curant aux individus des valeurs et des croyances leur permettant d’expliquer
l’univers physique et social et de justier maintes açons de aire. Puis, progressi-
vement, la plupart des sociétés modernes se sont laïcisées, c’est-à-dire qu’elles
ont tenté de séparer le religieux et le politique, avec plus ou moins de succès.
Cependant, les groupes religieux jouent encore un rôle important dans le onc-
tionnement de la société américaine. Ainsi, les rapports entre ces organisations et
le système politique sont très diérents de ceux que l’on peut observer dans
d’autres sociétés comme la France ou la Chine. L’expression Bible Belt désigne une
région correspondant aux États du sud-est des États-Unis qui exerce une infuence
considérable sur la scène politique américaine. Cette région est surnommée ainsi
parce que les États qui la composent sont très imprégnés par les valeurs chré-
tiennes ondamentalistes qui agissent de manière concertée dans le but d’in-
fuencer le vote des Américains et prendre le contrôle des institutions politiques
américaines. Ainsi, ces organisations militent activement pour aire valoir leurs
croyances religieuses très conservatrices. Par ailleurs, les États-Unis ne sont pas
le seul pays où des groupes aux croyances religieuses très ortes s’organisent et
investissent l’appareil politique. Dans l’histoire récente, on peut penser égale- phénomène soial
ment aux talibans de l’Aghanistan ou aux Ayatollahs de l’Iran. Au Canada, cer-
Fait, situation ou événement
tains ont aussi critiqué les liens que la droite religieuse entretiendrait avec le parti observable résultant d’une
conservateur de Stephen Harper (Dubuc, 2006). Comme on le voit, le phénomène action collective.
religieux, institutionnalisé ou non, constitue une dimension importante des
sociétés humaines et continuera d’intéresser au plus haut point la sociologie. problème soial
Situation reconnue comme ne
Les phénomènes et les problèmes sociaux répondant pas aux valeurs ou
attentes sociales, sur laquelle
Divers phénomènes sociaux attirent régulièrement l’attention des sociologues, par on souhaite agir et dont les
exemple l’engouement généralisé pour l’émission Star Académie, ou encore les causes sont largement
eets de plateormes de réseautage sur les mouvements sociaux comme Occupy attribuées à la société.
Wallstreet et le Printemps érable. Les comporte-
ments humains, coordonnés ou non, relèvent
du social. Parmi les situations et phénomènes
observés, certains sont qualiés de problèmes
sociaux, notamment la violence, la criminalité,
les inégalités sociales, l’itinérance et la toxico-
manie. Ceux-ci sont jugés problématiques parce
qu’ils contreviennent aux attentes de la société,
à ses normes et valeurs (Dumont, 1994) (voir le
chapitre 3). Les causes de ces problèmes sont
largement attribuées à l’organisation ou au onc-
tionnement de la société. Lorsqu’un problème
social a été reconnu, il peut aire l’objet de
diverses interventions, devenir une sorte
de dé que la société tentera de relever. Par
exemple, la pauvreté n’a pas toujours été perçue
L’engouement généralisé pour les réseaux sociaux et le Web 2.0 fait partie
comme un problème social. Au Moyen Âge, on
des phénomènes sociaux les plus marquants de ces dernières années.
croyait qu’elle résultait de la volonté de Dieu.

chaitre 1 La perspective sociologique 15


Aujourd’hui, la pauvreté est assimilée à un problème social parce qu’on estime
qu’elle est notamment causée par une mauvaise répartition des richesses. Ainsi
conçue, elle devient une sorte de pathologie sociale que l’on voudrait éradiquer.
Les problèmes sociaux commandent généralement la mise en œuvre d’une orme
d’intervention sociale, législative ou institutionnelle (Dorvil et Mayer, 2001). Dans
le cas de problèmes aussi importants que celui de la pauvreté, les interventions
collectives ne seront pas toujours couronnées de succès, puisque les causes de
pareils problèmes sont complexes et liées à l’organisation même de la société.
Cependant, les eets négatis les plus graves qui y sont associés pourront être atté-
nués par divers programmes comme l’assurance-maladie, l’aide sociale, etc.
Les sociologues analysent tous ces objets d’études – phénomènes ou pro-
blèmes sociaux – de manière à tenter d’en comprendre les causes sociologiques.
Par exemple, dans le cas de la violence, ces derniers ne s’intéresseront pas tant à
expliquer pourquoi un individu en particulier devient violent qu’à découvrir
quelles conditions sociales avorisent le développement de comportements vio-
lents, systématisés ou non. Comment expliquer que des catégories d’individus ou
des groupes particuliers de la société deviennent plus à risque d’user de violence
pour asseoir leur domination, pour résoudre des situations confictuelles ou
encore pour tenter de se aire une place dans leur quartier ou leur société ? En
matière de violence, la sociologie peut aussi chercher à comprendre la méca-
nique sociale expliquant les agressions d’enants ou d’autres types de comporte-
ments comme la violence conjugale ou les agressions sexuelles. Ainsi, cette disci-
pline est parois assimilée à l’étude des problèmes sociaux. Or, cet objet d’étude
est important, mais il constitue seulement l’un des nombreux centres d’intérêt
auxquels le sociologue est susceptible de s’attarder.

1.2.2 Les rapports sociaux et les processus sociaux


Les recherches en sociologie ont tendance à mettre au jour des dimensions peu
visibles de la société. Tout comme le physicien ou l’architecte, le sociologue
cherche à découvrir les murs porteurs, les poutres et les lignes de orce de son
objet d’étude. Cependant, les groupes humains sont constitués de personnes
qui interagissent. Bien que l’on puisse analyser des aits sociaux comme des
objets, en réalité, ils ne sont pas statiques comme des maisons ou des ponts. La
société peut être envisagée comme un ensemble de réseaux de relations entre
diérents individus, groupes et institutions. Lorsqu’elle est envisagée de cette
manière, des processus actis qui résultent des rapports entre les éléments qui
la composent seront au centre de son analyse. Les interactions sociales et le lien
social deviennent les éléments à scruter attentivement. En outre, des processus
sociaux comme l’intégration, l’exclusion, le contrôle social (voir le chapitre 6)
ou la socialisation (voir le chapitre 4) constituent des centres d’intérêt
incontournables.

Les interactions et le lien social


Len socal La plus petite unité d’analyse sur laquelle un sociologue peut s’attarder est l’inter-
Type de relations qui s’établit action entre deux individus. La multitude d’interactions qui relient les individus
entre des individus, des groupes engendre les groupes et les sociétés. Dans cette perspective, le lien ou l’interaction
ou différents éléments d’une entre les diérents éléments qui composent la société deviennent l’objet primor-
société. dial à analyser sociologiquement. Les diérentes ormes du lien social mettent en
évidence la complexité des sociétés humaines. Ces liens sont parois représentés
par les ls d’une toile d’araignée (social web) ou encore comme la toile de l’In-
ternet. Certains auteurs utilisent le terme « tissu social » pour décrire les interac-
tions entre les individus ou les rapports entre divers éléments d’une société. C’est

16 parte i La nature de la sociologie


l’agencement de ces éléments qui révèle la conguration spécique d’une société,
un peu à la manière d’un tissu où les ls de couleurs et les motis insérés lui
conèrent sa texture particulière. Ainsi, le type de relations, d’interactions, d’a-
liations et d’appartenances qui s’établit infuence la qualité du tissu social et de
l’ensemble des rapports sociaux.

Les processus sociaux et la dynamique des sociétés


Pour bien saisir une société, il est utile d’étudier diérents processus sociaux changement soial
comme la socialisation ou encore les mécanismes de contrôle et de régulation uti- Transormation durable et
lisés pour contraindre les individus à se conormer aux attentes et aux règles du collective des modèles sociaux.
groupe. Bien qu’elle comporte des éléments de stabilité, une société comprend
également des principes actis comme les tensions générées par des rapports de
domination ou encore les actions engendrées par les processus de socialisation,
d’intégration ou de marginalisation des individus. Ces actions ont souvent pour
eet d’engendrer une orme d’instabilité dans un groupe qui l’amène à se trans-
ormer. Le changement social ait partie de la dynamique de toute société (voir
l’encadré 1.3). Ainsi, bien qu’une orme de stabilité soit souhaitable pour veiller
notamment aux besoins vitaux d’une société, la manière de le aire varie considé-
rablement d’une société à l’autre et évolue avec le temps. Par exemple, le Québec
des années 1980 et celui d’aujourd’hui n’est pas tout à ait le même. Même si l’on
reconnaît diérentes institutions ou traits de la culture québécoise, plusieurs modi-
cations se sont produites au l des ans. Pourquoi les sociétés changent-elles ou
encore pourquoi résistent-elles au changement, comme ces Amish de Pennsylvanie
qui reusent d’intégrer les technologies modernes ? Dans le même ordre d’idées,
comment une société ait-elle pour se reproduire et transmettre sa culture ? Selon
plusieurs sociologues, pour bien comprendre une société, il est essentiel de se
centrer sur les processus sociaux et autres orces agissantes qui ont d’une société
un ensemble dynamique et changeant.

encadré 1.3 en coMPlÉMent

Le changement social : l’exemple du modèle conjugal

Pour comprendre le divorce selon la perspective sociologique, il leur rôle social, lequel était déini par la communauté et
aut observer par-delà les causes personnelles de mésentente accentué par les lois et les croyances religieuses. D’ailleurs,
entre les conjoints. Ainsi, la rupture d’un couple ne s’explique avant la Loi canadienne sur le divorce, entrée en vigueur en
pas uniquement par le ait que les conjoints se disputent conti- 1968, le mariage était pratiquement indissoluble. Par consé-
nuellement, qu’ils ne s’aiment plus ou qu’ils n’éprouvent plus quent, le divorce devant les tribunaux revêtait un caractère
de plaisir à vivre ensemble. Derrière cette açade, en tentant de exceptionnel, n’étant autorisé que si l’un des conjoints avait
comprendre l’augmentation importante du nombre de divorces commis l’adultère.
au cours des dernières décennies, on en découvre les causes
Aujourd’hui, il n’existe pratiquement plus de « mariages d’in-
sociologiques. Ces dernières sont intimement liées aux muta-
térêt » arrangés par les parents. De plus, les « mariages obligés »
tions de notre modèle de société, qui détermine en partie les
sont beaucoup plus rares depuis la généralisation des méthodes
choix personnels des individus.
anticonceptionnelles ainsi que l’acceptation accrue de l’avortement
Dans la amille traditionnelle (Shorter, 1981), le mariage et de la situation de flle-mère, qu’on appelle plus justement
remplissait un rôle social : il servait à transmettre la pro- « mère célibataire ». En ait, dans la amille contemporaine
priété et à assurer la lignée ; c’est pourquoi le mariage était (Roussel, 1989), le mariage ne joue plus de rôle social. Il est
soumis à l’autorité des parents. Plusieurs sociologues pré- devenu une aaire privée qui relève uniquement de l’intimité
tendent que les mariages arrangés d’autreois étaient plus entre deux personnes, se ondant essentiellement sur l’amour.
stables parce qu’ils ne reposaient pas sur le sentiment En 1985, une nouvelle loi sur le divorce a d’ailleurs reconnu
amoureux. De plus, les membres du couple étaient liés par cette nouvelle conception du mariage : une séparation de ait,

chapitre 1 La perspective sociologique 17


d’au moins un an, est désormais sufsante pour mettre fn à un couples québécois ont d’ailleurs choisi ce mode d’union (Le
mariage, reconnaissant la « fn de l’amour » comme une cause Soleil, 2012).
sufsante pour justifer une rupture. À présent, les couples se
En outre, la conception et les ondements de la amille, du
séparent, se remarient ou vivent en union libre ; 38 % des
mariage et du couple se sont grandement diversifés. Ainsi,
l’on accepte désormais toutes sortes de ormes de amilles et
d’unions : union libre, amille monoparentale, amille recom-
posée, mariage homosexuel, amille homoparentale, etc.
Même la perception du célibat s’en trouve changée : vivre en
solo est devenu un choix valorisé par un nombre signifcati
d’individus. Comme on le voit, la amille traditionnelle, en
60 ans, s’est transormée et désinstitutionnalisée ; elle adopte
désormais de multiples ormes.

Question
Quelles transormations le modèle conjugal a-t-il connues
au cours des 60 dernières années ?

Pour plusieurs sociologues, l’étude des rapports sociaux représente l’objet


d’étude le plus révélateur de la constitution des groupes et des sociétés. La nature
des interactions au sein d’une société, les liens ormés, les pressions exercées, la
açon de maintenir en place l’ordre établi ou encore de le transormer constituent
des orces qui ont de la société une structure dynamique et changeante. Par
exemple, l’étude des rapports entre hommes et emmes ou entre Blancs et Noirs,
ou encore entre riches et pauvres, laisse entrevoir des processus d’intégration ou
d’exclusion. L’analyse du type de lien qui existe entre ces grands groupes peut
aire apparaitre une société inégale, sexiste, raciste ou, au contraire, un modèle
égalitaire et inclusi.

1.2.3 Les rapports individu-société et


le déterminisme social
La posture qu’adopte un sociologue pour aborder un objet d’étude particulier
est grandement infuencée par sa conception des rapports entre l’individu et
la société. L’analyse du suicide par Émile Durkheim, vue précédemment, nous
a montré l’infuence qu’exerce la société sur l’individu. L’exemple de l’homo-
gamie sociale montre également l’emprise des appartenances sociales. Est-ce
à dire que les comportements des individus sont déterminés par la société ?
L’inverse est-il vrai également : les individus exercent-ils une infuence sur la
société ? Qui a le rôle prépondérant dans le onctionnement social : les individus
ou la société ?
Dans les sociétés occidentales, qui tendent à prêter une grande importance
aux décisions individuelles, nous avons tendance à croire que la personne décide
entièrement de ses actes. C’est ce que l’on appelle le « libre arbitre ». Or, la pers-
pective sociologique révèle que la société joue un rôle majeur dans les choix qui
semblent personnels. Comment décrire le rapport société-individu : contrainte
ou liberté ? À ce sujet, la tradition sociologique est traversée par deux grands
courants classiques, qui proposent des conceptions distinctes des rapports
entre l’individu et la société, et désormais par un troisième, qui semble proposer
une synthèse entre les deux.

18 parte i La nature de la sociologie


Un premier courant propose une dénition de la vie en société comme étant le invualsme
résultat de multiples actions, décisions, collaborations et rivalités entre des indi- méthoologque
vidus libres. Pour les tenants de cette approche, la société est donc le produit de Courant théorique qui conçoit
l’interaction d’individus autonomes. Ce courant, appelé individualisme métho- la société comme le produit
dologique (Moutoussé et Renouard, 2009), s’oppose à la vision strictement déter- de l’interaction d’individus
ministe des sociétés proposée par Marx notamment. Elle est une construction autonomes.
humaine qui change selon la volonté des acteurs sociaux que sont les individus.
Dans une certaine mesure, ces sociologues considèrent que les individus sont les
premiers responsables du onctionnement social. Le sociologue allemand Max
Weber (1864-1920), l’un des ondateurs de la sociologie, s’inscrit dans ce courant
de pensée (voir le chapitre 2).
Un deuxième courant, représenté par Émile Durkheim (1858-1917) et Karl Marx détermnsme soal
(1818-1883), avorise une conception déterministe des rapports entre l’individu et Perspective selon laquelle les
la société. Ainsi, le déterminisme social est une perspective sociologique qui structures sociales exercent une
considère que la structure sociale a une infuence prépondérante sur la vie des infuence cruciale sur la vie des
individus. Les sociologues qui s’inscrivent dans ce courant estiment que les com- individus.
portements sociaux sont largement conditionnés par la société. Pour Durkheim
ou Marx, la société est donc une organisation sociale qui existe indépendamment
des individus et qui conditionne leur comportement. Une organisation sociale se
dénit comme la manière dont les divers éléments d’une société sont organisés.
Selon ces sociologues, la société dans laquelle nous vivons possède une organi-
sation sociale particulière, qui encourage ou décourage certains comportements
chez les individus. Par exemple, la tendance à ne vivre que pour soi, qui apparaît
avec la société moderne est, selon Durkheim, une conséquence du type de société
dans laquelle nous vivons (Durand et Weil, 1997).
Un troisième courant propose plutôt une vision des liens entre l’individu et la interépenane
société ondée sur l’interdépendance. Cette approche plus récente, mise de Conception de la société qui
l’avant notamment par les sociologues Norbert Élias et Edgar Morin, met l’accent met l’accent sur le lien social
sur le lien social et les interactions entre l’individu et la société. Elle avance l’idée et sur l’interdépendance entre
que les individus peuvent infuencer l’organisation des sociétés et que l’individu les individus et la société.
et la société sont étroitement liés. Ainsi, le point de vue de l’interdépendance
permet probablement de réconcilier les positions déterministes et celles qui
accordent une place plus importante à la responsabilité individuelle.
Dans cette perspective, l’individualisme n’est plus uniquement une orme de
dérèglement de la société comme Durkheim l’aurait estimé. Il procure à l’indi-
vidu une plus grande liberté d’action, puisque ce dernier se voit aranchi de
règles de vie très contraignantes, ce qui autorise une grande diversité de com-
portements. Or, cette liberté chèrement acquise, qui a permis à l’individu de se
libérer des contraintes de la société traditionnelle, s’est transormée en une
invualsme négatf
négligence des responsabilités envers les autres et les solidarités collectives.
Aranchissement des membres
Ainsi, cet individualisme qui comporte des avantages sur le plan des droits et d’un groupe sur le plan de
libertés est désormais jugé négativement (Montoussé et Renaud, 2009). normes et de valeurs collectives,
L’individualisme négatif est donc assimilé à une orme d’égoïsme parce qu’il ait aisant primer les besoins et
primer les droits individuels sur ceux du groupe. Les solidarités sociales perdent désirs individuels sur ceux
du terrain, et ce nouveau contexte social rend l’individu responsable de ses de la collectivité.
succès comme de ses échecs.
La marge de liberté des individus n’est pas aussi grande qu’il n’y paraît de
prime abord, puisque ces derniers ont ortement intégré les attentes sociales,
comme le désir de perormer, et qu’ils ont preuve d’une orme d’autocontrôle
très développée. Cette nouvelle orme d’interaction entre l’individu et la société a
pour eet d’augmenter considérablement la détresse individuelle, la dépression

chaptre 1 La perspective sociologique 19


et divers problèmes de santé mentale (Ehrenberg, 1998). En eet, la réduction du
contrôle extérieur quant aux manières d’être et d’agir augmente la liberté indivi-
duelle. Or, celle-ci a un prix : celui de l’augmentation des exigences envers soi
pour l’individu qui adhère volontairement aux attentes sociales. On constate
donc une interdépendance entre les volontés individuelles et le onctionnement
collecti qui en découle.
Comme on le voit, la société infuence incontestablement l’individu. Jusqu’à
quel point celui-ci peut-il s’en détacher ? Pour le sociologue, quelle que soit sa
conception des rapports entre individu et société, il n’est pas possible de conce-
voir l’individu en dehors de la société. Ce point de vue, partagé par l’ensemble
des sociologues, est parois mis en doute. Selon certains, chacun serait respon-
sable de sa vie et de son destin, comme si les classes sociales, la culture ou l’idéo-
logie dominante n’exerçaient plus d’infuence sur les choix que nous aisons in -
dividuellement ou collectivement. Or, si aujourd’hui les individus semblent
eectivement plus libres que jamais, gageons qu’il ne audra qu’une grande crise,
telle une guerre ou une catastrophe quelconque, pour rappeler à tous que ce
sentiment de grande liberté est illusoire et qu’il repose sur des bases ténues.
Ainsi, la sociologie est essentielle pour mettre en évidence nos choix, notre inter-
dépendance et la ragilité des sociétés actuelles.

réseau de concepts Les rncaux objets d’étude de la socologe

Groupes

Organisations

Institutions
Organisation par
s’intéresse
Sociologie et fonctions l'analyse
à
de la société des
Phénomènes sociaux

Problèmes sociaux

Rapports
individu-société

analysés selon
3 conceptions

Individualisme
Déterminisme Interdépendance
méthodologique

20 parte i La nature de la sociologie


Faites Le point

4. Nommez les principaux objets d’étude de la sociologie.


5. Identiez les principales institutions de la société.
6. Identiez trois açons de concevoir les rapports entre l’individu et la
société d’un point de vue sociologique.

1.3 La sociologie : une question de méthode ?


Toutes les sciences essaient d’expliquer des aits particuliers à l’aide d’un principe siene
général. Par exemple, le médecin qui soigne une blessure est un praticien qui uti- Ensemble cohérent de
lise une partie du savoir en biologie. Grâce à cette science, il sait qu’en général, connaissances ondées sur
une plaie prend quatre à cinq jours pour cicatriser. La connaissance de ce principe l’observation de la réalité et
général acilite grandement le travail du médecin. La sociologie n’échappe pas à sur le respect de la méthode
scientifque.
cette logique. Pour aspirer au statut de science, elle doit donc dégager des théo-
ries et principes présentant une valeur explicative solide et dicile à contester.
Une démarche méthodologique appuyée sur ces concepts théoriques se situe au
cœur de toute science.

1.3.1 Une démarche scientifque essentielle


La sociologie, comme bien des sciences, est issue de la philosophie. Pendant des
siècles, les philosophes représentaient le savoir sous toutes ses ormes. Puis, la
philosophie et les sciences en sont venues à s’opposer et le discours scientique
a ni par prédominer sur l’approche philosophique dans la production de la
connaissance sur notre monde. Aujourd’hui, les sciences humaines, de par leur
désir de s’imposer comme sciences, doivent rendre compte d’une manière accep-
table par la communauté scientique de la démarche qui sous-tend leurs thèses.
Ainsi, la sociologie doit pouvoir soutenir scientiquement les théories et expli-
cations qu’elle avance. La volonté de se donner des bases scientiques est proba-
blement plus vive chez les chercheurs issus de cette discipline que dans les
autres sciences humaines. En eet, pour se distancer de la philosophie sociale et
vu la nature même du travail du sociologue, la mise en place de méthodes solides
est essentielle. En outre, les travaux des sociologues contribuent régulièrement
à révéler des aspects dérangeants du monde social et, parois, remettent en
cause l’ordre établi. Pour ces raisons, les conclusions qui en découlent risquent
d’être ortement critiquées et la méthodologie utilisée, scrutée à la loupe. Ainsi,
pour satisaire aux exigences de la démarche scientique, le sociologue doit en
respecter les étapes principales : la dénition du problème (incluant la recension
des écrits), la précision d’un cadre théorique, le choix d’une méthode, la col-
lecte des données et, enn, l’analyse et l’interprétation des résultats.

La défnition du problème et la recension des écrits


Pour démarrer une enquête sociologique, le chercheur doit clarier le sujet qui
l’intéresse, le ormuler sous la orme d’une question de recherche et démontrer
en quoi il vaut la peine d’être étudié. Pour rédiger sa problématique, il applique la
méthode de l’« entonnoir », en partant de réfexions plus larges pour se diriger vers
un aspect précis du sujet à l’étude. Par exemple, un sociologue qui s’interroge sur
les causes de l’augmentation de la consommation d’antidépresseurs chez les

chapitre 1 La perspective sociologique 21


jeunes procédera d’abord à une recension des écrits (aussi appelée « revue de la
littérature ») sur le sujet ou sur des questions connexes. Avant de pousser plus loin
sa démarche, il s’assurera que son étude est originale, c’est-à-dire qu’elle n’a pas
déjà été réalisée partiellement ou entièrement par d’autres. La recherche docu-
mentaire vise donc à recenser tout ce que l’on sait déjà sur un sujet donné pour
construire une problématique originale.

La précision d’un cadre théorique


Après avoir bien déni la question de recherche et orienté les travaux à l’aide d’un
objecti ou d’une hypothèse de travail, le chercheur doit se doter d’une approche
théorique qui servira à comprendre et interpréter les résultats de l’enquête. Ce
cadre servira également à orienter sa réfexion ainsi qu’à la construction d’outils
de collecte de données. Par exemple, en ce qui a trait à la question de l’augmen-
tation de la consommation d’antidépresseurs chez les jeunes, des thèses exis-
tantes, comme celles de Marcelo Otero (2012) et d’Alain Ehrenberg (2000), pour-
raient orienter le choix des questions à poser dans le cadre d’entrevues ou d’un
sondage, de même que celui de la méthodologie à employer. De ait, ces sociolo-
gues ont avancé des théories proposant un cadre explicati au sujet de l’augmen-
tation générale des problèmes de santé mentale. Les théories qui s’en dégagent,
en ce qui a trait aux exigences de perormance et aux pressions sociales qui en
découlent, serviront à cadrer la démarche de recherche et à orienter la réfexion.

Le choix de la méthode et la collecte de données


Après avoir ormulé la problématique de la recherche, le sociologue choisit la
méthode la plus appropriée au type de démarche qu’il envisage. Puis, les outils de
collecte de données (questionnaire, guide d’entrevue, grille d’observation, etc.) sont
mis au point. Ils peuvent être de nature qualitative ou quantitative, ou encore com-
biner les deux approches, selon l’ampleur des travaux envisagés et selon ce qui
convient le mieux aux objectis de la recherche. Pour reprendre notre exemple d’une
étude liée à une question de santé mentale, il est possible qu’un outil de type quali-
tati (entrevue, observation, analyse documentaire, etc.) soit particulièrement appro-
prié. Pour d’autres types de questions, les outils dits quantitatis (sondage, compila-
tion de données statistiques, etc.) s’avéreraient possiblement plus pertinents, car ils
présentent l’avantage de se compiler rapidement. Des questions claires et univoques
oriront généralement un aperçu précis et pertinent sur diverses questions.
Par exemple, en 2006, les rmes Léger Marketing et Gallup ont lancé une vaste
enquête intitulée l’Opinion du monde an de dégager les perceptions populaires
concernant les dés internationaux les plus importants sur les plans écono-
mique, politique et social. Cette enquête menée partout sur la planète a révélé
que, peu importe le pays de provenance et le niveau personnel de richesse des
répondants, ceux-ci considéraient le plus souvent la pauvreté et les écarts entre
les riches et les pauvres comme le problème principal de l’humanité. Ces son-
dages orent un coup d’œil parois très intéressant sur des questions précises.
En outre, ce type d’enquête permet aux sociologues de mettre en relation dié-
rentes variables pour raner leurs analyses. Par ailleurs, l’analyse des résultats
de l’Opinion du monde nous a appris que plus les répondants sont scolarisés, plus
ils jugent l’immigration comme une bonne chose dans leur propre pays. La socio-
logie utilise régulièrement cette stratégie de mise en relation de variables et de
catégories sociales pour tenter d’éclairer les phénomènes sociaux. Cette enquête
a, pour sa part, établi une corrélation entre le niveau de scolarité et une percep-
tion négative de l’arrivée d’immigrants.
Les approches qualitatives permettent d’aller plus en proondeur pour éclairer
certains aspects des problèmes à l’étude. Par exemple, un sociologue pourrait

22 parte i La nature de la sociologie


chercher à comprendre les représentations sociales qui expliquent les percep-
tions négatives de l’immigration mentionnées précédemment. Pourquoi les gens
moins scolarisés sont-ils plus souvent réticents à l’arrivée d’immigrants sur leur
territoire ? L’entrevue avorise une compréhension approondie des inquiétudes
qui induisent ces perceptions, sans chercher à prévoir l’ensemble des réponses
possibles. Elle peut également être utilisée pour préparer une enquête quantita-
tive, afn de dégager des types de réponses à valider auprès d’un plus grand
nombre de répondants. Comme on le voit, plus d’une technique peut être utilisée
pour analyser un même objet de recherche.
Quelle que soit la technique de collecte retenue, lorsque les outils sont prêts
(questionnaire, guide d’entrevue, grille d’observation, etc.), il convient de les
tester avant de lancer la cueillette ormelle des données. Cette précaution permet
au chercheur de préparer soigneusement ses questions et ses interventions sur
le terrain. Plus les étapes préalables à la cueillette sont bien planifées et exécu-
tées, plus les résultats seront valables et aciles à interpréter.

L’analyse et l’interprétation des résultats


Après avoir compilé et traité les renseignements recueillis, le chercheur procède
à l’analyse et à l’interprétation des résultats, qui constituent une étape cruciale.
Dans notre exemple, pour expliquer le lien entre la scolarité et la perception de
l’immigration, le sociologue pourrait avancer l’hypothèse que, pour les personnes
moins scolarisées, le ait d’occuper des emplois précaires et souvent mal rému-
nérés avorise chez eux la perception des nouveaux arrivants comme des concur-
rents potentiels sur le marché du travail. Des théories existantes sur le sujet
peuvent être mises à contribution dans l’analyse du phénomène, puis les interpré-
tations avancées pourront être validées à nouveau dans le cadre de utures
enquêtes qualitatives ou quantitatives.
La sociologie insiste particulièrement sur l’explication. Ce trait la distingue du
journalisme et de l’histoire, qui partagent une préoccupation plus importante pour
la description des événements. En un sens, les journalistes sont les chroniqueurs

réseau de concepts Les étapes de la démarhe sientifque en soiologie

Défnition du problème

Recension des écrits

Précision d’un cadre


théorique
s’appuie sur Démarche composée des
Sociologie
une scientifque étapes suivantes
Choix de la méthode

Collecte de données

Analyse et interprétation
des résultats

chapitre 1 La perspective sociologique 23


du présent et les historiens, ceux du passé. Ainsi, le rôle du journaliste est d’abord
de relater, alors que le but premier de la sociologie est plutôt d’interpréter, d’ana-
lyser et d’expliquer. À ces ns, le sociologue a tendance à distinguer parmi les aits
et les événements ceux qui lui apparaissent comme signicatis. En somme, le ait
d’insister sur l’explication conduit le sociologue à choisir les aits qui peuvent
l’amener à comprendre la mécanique sociale derrière le phénomène étudié, et à
proposer des théories pour l’expliquer.

1.3.2 Les études réalisées à partir de données


secondaires
Il arrive parois que des études sociologiques soient réalisées uniquement à partir
de données secondaires, c’est-à-dire à partir des résultats de recherches produites
par d’autres. Cette approche assez classique, qui consiste à réféchir à partir de
données existantes, amène le sociologue à théoriser en mettant en relation des
aits généralement connus ou produits par d’autres chercheurs. En pareil cas, la
démarche méthodologique décrite précédemment est partiellement suivie, car elle
ne nécessite pas d’instruments de collecte particuliers. Le chercheur adopte néan-
moins un cadre théorique précis et veille à ce que chacun de ses arguments soit
étayé et vériable. On a parois qualié d’« essayisme » (Champagne, 2002) ces
thèses, diusées plus ou moins largement, découlant d’analyses de type sociolo-
gique, mais pas toujours réalisées sous orme d’enquêtes sociales. Or, ces essais
viennent souvent stimuler la discussion publique sur des réalités sociales et pro-
posent des points de vue pertinents, un peu à la manière de la philosophie. Les
essais sociologiques peuvent également contribuer à ouvrir de nouvelles avenues
porteuses de réfexion théorique.
Certaines théories inédites ont été construites par de grands auteurs en socio-
logie essentiellement à partir de données secondaires. Ainsi, des grands pen-
seurs ont conçu des hypothèses d’explication concernant l’évolution des sociétés
(Marx, Durkheim, Spencer), des typologies sociales (Marx, Weber, Freitag) et des
modèles explicatis essentiellement à partir de recherches et de documents exis-
tants ou à la suite de travaux importants qui ont permis de construire ces théo-
ries. L’enquête sociale est une activité importante pour le sociologue, mais elle ne
constitue pas l’unique avenue de réfexion sociologique. Occasionnellement, cer-
tains théoriciens se penchent sur la signication de aits sociaux ou historiques
en adoptant une perspective plus large, permettant de aire le point ou encore de
synthétiser de manière pertinente et originale les données existantes. Cette
approche ouvre de nouvelles avenues de réfexion et donne parois naissance à
des explications essentielles pour éclairer des phénomènes sociaux signicatis
ou la dynamique du monde actuel.

Faites Le point

7. Pourquoi est-il particulièrement important pour le sociologue de


onder ses travaux sur une solide démarche scientique ?
8. Quelles sont les étapes habituelles d’une enquête sociologique ?
9. Expliquez en quoi se distinguent les méthodes quantitatives et les
méthodes qualitatives.
10. Est-il possible d’eectuer une analyse sociologique sans l’accompa-
gner d’une enquête sur le terrain ? Expliquez votre réponse.

24 parte i La nature de la sociologie


1.4 La sociologie : une science et une profession
comme les autres ?
Dans l’imaginaire populaire, il n’existe pas une image stéréotypée du sociologue,
comme c’est le cas pour le psychologue ou le philosophe. Devenir sociologue est
une entreprise exigeante et de longue haleine. Comment se aire une idée claire de
cette discipline pour la choisir ? Les sociologues ont un point de vue relativement
clair sur leur science, mais le rôle du sociologue et de sa proession engendre des
discussions animées. D’abord, le travail du sociologue est ardu en raison de sa
nature critique et cette posture est souvent dicile à soutenir. Ensuite, comme on
l’a vu, la sociologie a souvent tendance à mettre au jour des problèmes de société,
voire des injustices. Dans ce contexte, le sociologue doit-il rester neutre, ou plutôt
chercher à susciter les changements qui devraient découler de ses découvertes ?
Quels sont les avantages d’une ormation en sociologie ?

1.4.1 Une posture critique inconfortable


Choisir la sociologie, c’est choisir une proession où l’on doit constamment se
remettre en question. Pour analyser objectivement un problème de société, le
sociologue doit accepter le ait qu’il n’est pas acile de prendre la distance néces-
saire pour avoir un regard neutre sur la situation, comme il est malaisé de décrire
sa propre personnalité et son onctionnement social. En ce sens, la posture du
sociologue se compare à celle du unambule, chez qui la moindre baisse de vigi-
lance risque de l’entraîner là où la loi de la gravité veut l’amener. Prendre du recul
sur sa culture, tenter de aire  de ses propres préjugés et représentations sociales
est, en eet, un exercice périlleux.
Au cours de sa ormation, le sociologue intériorise progressivement des
concepts qui l’amèneront à mieux se connaître et à comprendre comment la
société l’a infuencé. Or, cette connaissance de ses appartenances personnelles et
du onctionnement social génère inévitablement des émotions. Ainsi, la pratique
de la sociologie devient non seulement une açon de concevoir le monde, mais
aussi d’en aire l’expérience, puisque le sociologue ait partie du monde qu’il
étudie (Coulson et Riddell, 1981).
Pour ajouter à l’inconort, la sociologie est parois perçue comme menaçante
par ceux qui ne souhaitent pas voir la société changer. Le simple ait de dévoiler
la manière dont les choses sont organisées, de montrer les inégalités, de révéler
qui gagne ou perd dans la situation qui ait l’objet de l’enquête constitue une
orme de menace à l’ordre établi. Pour ces raisons, les analyses sociologiques ne
reçoivent pas toujours un accueil avorable. Enn, certaines thèses risquent d’en-
gendrer du désenchantement (Bourdieu, 1980) et une orme de pessimisme quant
à notre avenir et notre capacité individuelle ou collective à changer les choses.

1.4.2 Le sociologue, un agent de changement ?


Historiquement, les travaux des sociologues ont contribué à nourrir de nombreux
mouvements de contestation. Il peut être en eet dicile pour le sociologue de
demeurer neutre lorsque les solutions à un problème social mis au jour par ses
travaux impliquent des changements qui interpellent son sens de l’éthique. Par
exemple, certaines études sur les inégalités de santé montrent clairement les
conséquences sérieuses de la pauvreté matérielle et culturelle sur la santé et l’es-
pérance de vie des personnes qui en sourent. Touteois, les solutions au problème
de la pauvreté appellent des changements structuraux importants dans les

chapitre 1 La perspective sociologique 25


sociétés. Or, ceux qui bénécient du système actuel ne sont pas très enthousiastes
à l’idée de le changer. Ainsi, tant que la pauvreté aecte une minorité d’individus,
on préérera les blâmer pour leur condition sociale plutôt que remettre en ques-
tion le système qui cause les injustices.
La question de la nalité de cette discipline se pose avec plus d’acuité que pour
toute autre science, de par le regard parois très cru qu’elle pose sur le onction-
nement de notre monde. Par exemple, pour le sociologue, les inégalités sociales
sont largement attribuables à l’organisation même de la société. Dans cette pers-
pective, il est clair que nous avons une responsabilité collective devant la situa-
tion, et le ait de souhaiter le changement est une conséquence logique de ce
point de vue.
Cependant, le but de la sociologie est la connaissance et non l’action. Cela ne
veut pas dire que la connaissance soit incompatible avec l’action ; il s’agit simple-
ment de deux choses diérentes. Cette nalité diérencie les sociologues des tra-
vailleurs sociaux, des avocats, des travailleurs communautaires ou de toute per-
sonne dont la proession vise l’action. En principe, la connaissance exige un
certain détachement des intérêts sociaux immédiats, notamment pour tendre
vers l’objectivité. Or, être objecti ne veut pas dire avoriser l’inaction. Dans les
aits, les sociologues ne sont pas indiérents à l’action, mais leur recherche de la
connaissance vise surtout à éclairer les actions subséquentes. La sociologie pro-
pose des analyses de problèmes de nature collective. Le ait de chercher à trouver
des manières de résoudre les problèmes soulevés nécessite des ormes d’engage-
ment collecti.
Ainsi, le sociologue ne peut porter seul les changements qui découleraient de
ses travaux. De açon analogue, lorsqu’un chercheur en médecine trouve la cause
d’une maladie, il n’a pas pour autant la responsabilité de aire en sorte que toute
la société en tire des bénéces. Ce sont les décideurs, ainsi que tous les acteurs
sociaux concernés, qui doivent prendre en compte les travaux scientiques exis-
tants pour éclairer leurs décisions et actions. Le sociologue peut choisir de
devenir un agent de changement et tenter d’infuencer le cours des choses
agent de chngement comme tout citoyen. Si les études sociologiques peuvent éventuellement contri-
Individu, groupe ou association
buer à éclairer et à soutenir des actions visant à provoquer des changements
qui propose ou appuie des sociaux, l’objecti de cette science demeure avant tout la connaissance. En outre,
actions visant à infuencer la sociologie a parois été associée à une orme d’ingénierie sociale qui lui a valu
le cours des événements certaines critiques, notamment en ce qui a trait à des interventions susceptibles
de açon signicative. d’entrer en confit avec des changements plus proonds.

1.4.3 La formation en sociologie et les débouchés


Bien que qu’elle pose certains dés particuliers, la proession de sociologue
demeure un choix de carrière intéressant. La ormation en sociologie ouvre, en
eet, des perspectives de travail variées aux personnes qui l’empruntent : cher-
cheur, méthodologue, proesseur, journaliste, publiciste, gestionnaire, conseiller
syndical, etc. (Fournier, 2011).
Touteois, cette proession peut sembler imprécise à première vue, puisqu’elle
n’est pas soumise à un ordre proessionnel et que sa pratique n’est pas encadrée,
contrairement aux proessions de psychologue et de travailleur social, par
exemple. D’ailleurs, les sociologues s’identient généralement davantage à la
discipline qu’à la proession (Fournier, 2011). Certains préèrent parler du métier
de sociologue, un domaine qui permet à ceux qui le pratiquent de se perec-
tionner constamment.

26 prte i La nature de la sociologie


En outre, ce champ d’études complète de
açon constructive toute autre ormation. En
eet, si un diplôme en sociologie n’aboutit pas
automatiquement au titre de sociologue, les
connaissances et méthodes de travail acquises
seront bénéques à tout proessionnel qui
aura à eectuer un travail d’analyse rigoureux.
Ainsi, un journaliste ormé en sociologie béné-
cie de cadres solides pour analyser et inter-
préter les aits de société qu’il présentera à ses
lecteurs. De même, dans les domaines de la
gestion, du droit, de l’éducation ou des com-
munications, les habiletés d’analyse apportées
par une ormation en sociologie seront d’une
grande utilité pour cerner diverses questions
et planier des interventions. Les emplois qui
demandent de bonnes habiletés en recherche,
pour une émission de télévision ou de radio ou Certains domaines du journalisme exigent notamment une très bonne
encore pour des organismes publics ou com- connaissance de la société et de ses caractéristiques.
munautaires, peuvent également convenir à
une personne ormée en sociologie. En outre, les rmes de sondage et les agences
gouvernementales ont intérêt à embaucher des travailleurs capables de mener
des enquêtes et de rédiger des rapports. Des études en sociologie procurent une
meilleure connaissance de la relation entre l’individu et la société, anent l’esprit
critique et permettent de développer certains outils nécessaires à l’exercice de la
citoyenneté. Ainsi outillée, la personne est en mesure d’infuencer la société en
devenant elle-même un acteur social.
En somme, la orce de cette discipline réside dans les analyses qu’elle propose.
S’il y a peu d’emplois aits sur mesure pour les sociologues en dehors de l’ensei-
gnement et de la recherche, cette ormation – comme c’est le cas des sciences,
des arts, des lettres et de la philosophie – contribue à enrichir l’individu et toute
la collectivité.

Faites Le point

11. Expliquez pourquoi le travail du sociologue peut se révéler dicile et


inconortable.
12. Expliquez pourquoi le sociologue n’est pas automatiquement un
agent de changement social.
13. Quelles sont les orces de la ormation en sociologie ?

chapitre 1 La perspective sociologique 27


Résumé
1. La perception que l’on a de la réalité est liée à 4. La sociologie s’intéresse à tous les phénomènes
notre perspective personnelle, laquelle permet et problèmes sociaux. Elle étudie aussi bien les
de considérer certains aspects d’un phénomène groupes, que les organisations ou les institu-
plutôt que certains autres. La perspective socio- tions, les rapports sociaux étant au cœur de
logique nous révèle que, par-delà la marge d’au- l’analyse sociologique.
tonomie dont les individus disposent, des orces
sociales conditionnent leurs gestes quotidiens. 5. La sociologie est une science et une proession
où il n’est pas acile de se distancer de son objet
2. La perspective sociologique permet de voir au- d’étude. La neutralité scientifque y est délicate.
delà des apparences, de voir le social en nous.
Elle permet ainsi de comprendre que l’individu 6. La sociologie appelle souvent des ormes de chan-
est à la ois un produit de sa société et un acteur gements sociaux. Cependant, son objecti de-
capable de modifer celle-ci. meure la connaissance davantage que l’action.

3. La sociologie est l’étude systématique (à l’aide


de méthodes de travail bien établies) des com-
portements sociaux et des groupes humains.
Elle se distingue des autres sciences humaines
notamment par son intérêt pour l’aspect social
de la réalité humaine et par le caractère global
de son analyse.

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 Exercice 3
Suivez les nouvelles présentées dans deux quoti- En équipe, discutez des principaux éléments qui com-
diens pendant une semaine, puis relevez trois phéno- posent et qui caractérisent la société actuelle. À
mènes ou problèmes sociaux d’actualité pendant partir des principales conclusions issues de votre dis-
cette période. Expliquez en quoi ils nous concernent cussion, produisez un schéma représentant la société
ou nous engagent collectivement. telle que vous la concevez. Comparez les images pro-
duites à celles de vos collègues de classe. Quelles
Exercice 2 similitudes et diérences y voyez-vous ? Comment
expliquez-vous celles-ci ?
En équipe, discutez d’un problème social (par
exemple, la violence, l’intimidation, le décrochage
scolaire ou l’itinérance). Tentez de déterminer intuiti-
vement les causes sociologiques de ce problème afn
de ormuler une hypothèse explicative. Trouvez
ensuite une ou des études sur la question afn de
confrmer ou d’infrmer votre hypothèse.

28 parte i La nature de la sociologie


Pour aller plus loin
Volume et ouvrge de référence site Web

BOURDIEU, Pierre (1980). Questions de sociologie, Paris, Association canadienne des sociologues et anthropologues
Les éditions de minuit. de langue rançaise (ACSALF). www.acsal.ca
Ce classique de la littérature sociologique permet de situer Association ayant pour objecti de avoriser les échanges
clairement la perspective propre à la sociologie et d’en jauger au sein des deux disciplines et d’en aire la promotion.
la pertinence dans le champ de la connaissance.
audioviuel
CHAMPAGNE, Patrick (2009). La sociologie, Toulouse,
Les essentiels de Milan. ROCHER, Anne-Marie. Guy Rocher, un sociologue militant [Film
Pour s’initier de manière simple et ludique à la sociologie. documentaire], Montréal, Québec, Productions Testa, 2002.
DUMONT, Fernand (1994). Le Lieu de l’homme - la culture Portrait du sociologue Guy Rocher, universitaire de réputation
comme distance et mémoire, Montréal, Fides. internationale. Ce chercheur passionné a participé aux travaux
de la Commission Parent et contribué, par ses travaux et son
Ouvrage québécois un peu plus dicile, mais qui constitue
engagement, à açonner le Québec moderne. À titre de proes-
une réfexion de haut niveau sur la culture et ses liens avec
seur, il a ormé plusieurs générations de sociologues québécois.
la société et l’avenir de l’humanité.

ROCHER, Guy (1992). Introduction à la sociologie générale,


Montréal, HMH.
Un classique de la sociologie québécoise et mondiale. C’est Rendez-vous
une œuvre claire, accessible et toujours d’actualité. en ligne
http: // mabibliotheque.
périodique et journux heneliere.a

Sociologie et sociétés. [En ligne], www.erudit.org


Fondée par le Département de sociologie de l’Université de
Montréal, cette revue biannuelle a pour objecti de diuser
les connaissances produites par les sociologues québécois
et canadiens de langue rançaise.

chapitre 1 La perspective sociologique 29


2
Chapitre

Les théOries sOciOLOgiques

Objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

de vous représenter le contexte d’émergence de distinguer les principales théories


de la sociologie comme science ; sociologiques et de les appliquer à l’étude
d’une activité humaine.
de reconnaître les ondateurs de cette disci-
pline et leur infuence sur le développement
de la sociologie ;
pLan de chapitre
2.1 La naissance et l’essor de la sociologie
2.1.1 L’origine de la sociologie : trois révolutions
2.1.2 Les principaux précurseurs et ondateurs
2.2 Le développement de la sociologie contemporaine
2.2.1 Les phases de la constitution de la sociologie
contemporaine
2.2.2 Le développement de la sociologie québécoise
2.3 Les courants théoriques classiques de la sociologie
2.3.1 Le confit social
2.3.2 Le onctionnalisme
2.3.3 L’interactionnisme
2.4 Des courants de pensée contradictoires
ou complémentaires ?
2.4.1 Des thèses contradictoires en apparence
2.4.2 Des perspectives souvent complémentaires

cOncepts-cLés
• Confit social .......... 47 • Matérialisme
historique .............. 38
• Connaissance
empirique .............. 42 • Microsociologie ...... 46
• Dysonction sociale .. 49 • Positivisme ............ 37
• Fait social .............. 39 • Science
compréhensive ...... 40
• Fonction latente ..... 49
• Solidarité
• Fonction manieste.. 48
mécanique............. 39
• Fonction sociale ..... 48
• Solidarité
• Fonctionnalisme ..... 48 organique .............. 39
• Interactionnisme .... 49 • Théorie .................. 45
• Macrosociologie ..... 46 • Type idéal .............. 41
Mise en contexte

Aéroport de Dorval, 18 janvier, 0 h 30. Un groupe d’élèves du cégep revient


d’un stage de six semaines au Nicaragua, en Amérique centrale. Après avoir
récupéré leurs bagages, les stagiaires montent dans l’autocar qui les ramè-
nera chez eux. Encore deux heures de route et ils retrouveront leur amille
et leurs amis. Ariane est assise à l’avant ; elle n’arrive pas à dormir même si
elle s’est réveillée très tôt le matin. Elle est rappée par le conort de
l’autocar.
Une semaine plus tard, elle est encore sous l’eet de l’expérience qu’elle
a vécue pendant son stage. Elle regarde d’un œil diérent les gens de son
entourage, que ce soit au collège ou dans le quartier résidentiel qu’elle
habite avec ses parents. Elle trouve que tous ces gens consomment beau-
coup trop et gaspillent les ressources, qu’ils vivent comme des égoïstes
dans des maisons trop grandes et trop luxueuses. Il aut dire que le thème
de son stage était justement « L’appauvrissement devrait-il préoccuper les
riches ? »
Depuis son retour, Ariane n’a plus la même vision de la pauvreté. Avant
ce stage, elle n’avait pas pris conscience des écarts entre les riches et les
pauvres. Elle croyait que la plupart des gens pauvres étaient des paresseux
ou des proteurs qui vivent aux dépens des autres. Ce stage dans un pays
où le chômage dépasse les 50 %, de même que les cours et les activités pré-
paratoires à ce stage, lui ont permis d’envisager la pauvreté autrement. Les
personnes pauvres lui apparaissent maintenant comme les victimes d’un
système injuste qui redistribue mal la richesse. Comment expliquer ce féau
planétaire ? Les pauvres sont-ils, comme le pense désormais Ariane, des
victimes d’un système impitoyable qui ne leur laisse aucune chance ou ont-
ils encore une part de responsabilité dans leur condition sociale ? Comment
expliquer ce grand problème de notre temps ?

Comment expliquer les inégalités entre les nations ou entre diérentes


catégories d’individus ?
Comment les sciences humaines, et plus précisément la sociologie,
pourraient-elles contribuer à relever les grands dés de notre temps,
comme celui des inégalités ?

32 parte i La nature de la sociologie


L
a sociologie est apparue dans un contexte historique particulier.
Dès le départ, elle se veut une entreprise de connaissance scienti-
fque du social. Le désir des chercheurs d’enquêter sur notre monde
a essentiellement pour objecti de proposer des théories pour l’ex-
pliquer. Comme dans toutes les disciplines scientifques, des écoles
de pensée, des manières diérentes de comprendre et d’expliquer le réel se
déploient sur un même terrain. Les théories qui ont école résistent au passage
du temps et conservent une valeur explicative élevée.
Les ondateurs de la sociologie se situent parmi les grandes fgures ayant
marqué la pensée occidentale. En Europe d’abord, puis ailleurs dans le
monde, les théories proposées par les sociologues ont contribué à açonner
les États modernes. Ainsi, la pensée sociologique a soutenu et accompagné
l’édifcation du Québec moderne. Cette discipline a notamment contribué à
mettre en évidence la responsabilité des humains concernant le onctionne-
ment des sociétés et à déaire plusieurs idées largement répandues, ondées
sur des préceptes religieux notamment. Que l’on pense aux inégalités ou à la
nature des rapports entre divers groupes sociaux, ce que l’on a longtemps
cru normal ou naturel se révèle généralement une construction sociale.
Dans ce chapitre, nous décrirons les conditions qui ont avorisé l’essor
de la sociologie, et présenterons les principaux ondateurs et les écoles de
pensée qui ont constitué des jalons importants de la discipline. Enfn, nous
exposerons brièvement quelques études représentant des courants ayant
marqué la pensée sociologique.

2.1 La naissance et l’essor de la sociologie


La sociologie comme discipline scientifque date de la fn du xixe siècle, alors que
se produisent des transormations sociales proondes qui impulsent une nouvelle
direction à l’Occident. La sociologie apparaît donc en même temps que la société
industrielle. Les précurseurs de la sociologie contemporaine sont des penseurs
sociaux qui désirent comprendre un monde transormé par de grands boulever-
sements et qui cherchent à résoudre les problèmes sociaux de leur époque.

2.1.1 L’origine de la sociologie : trois révolutions


Trois révolutions importantes ayant eu cours principalement aux xviiie et xixe siècles
(politique, industrielle et scientifque) ont mené à la naissance de la sociologie
(Durand et Weil, 1997). Les bouleversements de cette époque ont eu des eets
dans tous les domaines de la société et ont mis en place des conditions propices
au développement des sciences.

La révolution politique
La révolution politique qui pose l’un des jalons décisis vers la modernité, la
Révolution rançaise, est caractérisée par l’eondrement de la société dite de l’An-
cien Régime (royauté, noblesse, paysannerie, etc.). On assiste à l’apparition d’une
nouvelle classe de gens au pouvoir, la bourgeoisie, qui contribuera à la mise en
place d’une société ondée sur un autre modèle que celui ayant cours depuis des
siècles. Cette transormation politique met fn à la domination de l’aristocratie et
ait la preuve que l’on peut changer la société, comme le désirent les penseurs
sociaux de l’époque. Cette révolution revêt une importance capitale dans la concep-
tion même que l’on se ait du monde. Ainsi, la représentation du monde ondée sur

chapitre 2 Les théories sociologiques 33


l’idée que l’ordre social de type éodal était l’œuvre de Dieu se voit proondément
ébranlée. Pour justier un nouvel ordre social, il allait accepter de remettre en
question des conceptions ayant cours depuis plusieurs siècles. Cette nouvelle
vision de la société admettait notamment l’idée d’une égalité entre les « hommes »
qui n’aurait pas été possible antérieurement. La construction d’un nouvel ordre
social s’est appuyée sur des idées très révolutionnaires. Les valeurs nouvelles
portées par la devise « liberté, égalité, raternité », scandée par les révolutionnaires,
contiennent l’idée de démocratie et celle d’une orme de responsabilité et de soli-
darité envers la collectivité. En se libérant de la domination de la noblesse, les
citoyens obtiennent des droits de même que de nouveaux devoirs.

La révolution industrielle
En ce qui concerne la révolution industrielle, c’est-à-dire l’invention de la machine
et ses innovations continuelles, elle permet de changer proondément le travail tel
qu’il existait dans la société rurale. Cette révolution a mené à l’exploitation sau-
vage des travailleurs et à des conditions de vie misérables pour la population. Des
fots humains ont migré vers les villes. Ces paysans déracinés se retrouvent alors
dans des logements insalubres et des quartiers aux inrastructures inadéquates
pour accueillir tous ces gens. Cette masse de pauvres se voit obligée d’accepter
des conditions de travail très diciles pour survivre. Le drame humain qui accom-
pagne cette révolution a d’ailleurs donné lieu aux premières enquêtes de type
sociologique. Les graves crises sociales qui accompagnent l’essor du capitalisme
industriel amènent plusieurs penseurs de l’époque à tenter de les expliquer. Ce
mode de production redoutable et impitoyable exploite sans merci tant les res-
sources humaines que les ressources naturelles. Il provoque des changements
rapides et violents. Cette étape critique du développement des sociétés occiden-
tales aura pour eet de provoquer une avancée remarquable des sciences sociales
et humaines.

La révolution scientifque
La révolution scientique a joué un rôle capital dans l’émergence de nouvelles
conceptions de l’ordre social. Une révolution implique que l’on modie radicale-
ment une situation ou une açon de aire. Dans le cas de la
science, cela signie que l’on a remis en question les açons
d’aborder l’étude de la réalité physique et sociale. Il a allu se
doter d’une nouvelle représentation du monde. À cet égard, les
penseurs du mouvement des Lumières comme Voltaire,
Rousseau et Montesquieu constituent des gures marquantes
qui se sont attaquées aux conceptions dominantes de l’époque
en cherchant notamment à aire progresser la connaissance par
la science. Montesquieu est même considéré comme l’un des
pères de la sociologie. Dans l’Esprit des lois, il s’intéresse à la
diversité des lois et des mœurs qui caractérise les sociétés
humaines pour tenter d’en dégager des principes universels et
une conception générale de la société (Aron, 1967). Par cette
manière globalisante de réféchir à la vie, à la société et à ses
institutions, on voit poindre une approche qui deviendra le
propre de la sociologie.
Au xixe siècle, la révolution scientique amorcée depuis la n
du Moyen Âge porte ruit. Elle a pour résultat l’apparition de
nouvelles technologies. Les nouvelles connaissances dans les
domaines de la physique et de la chimie permettent la mise au
Montesquieu (1689-1755).
point de techniques industrielles, tandis que les techniques

34 parte i La nature de la sociologie


médicales se perectionnent grâce aux découvertes en biologie. Encouragés par
ces développements scientiques et techniques, les précurseurs de la sociologie
croient qu’il est possible d’élaborer une science qui a pour objet la vie en société
de même que des techniques sociales qui pourront aider à résoudre les pro-
blèmes que pose la vie en société. La science prend le pas sur la conception théo-
logique de la réalité. Les conditions sont également réunies pour avoriser l’appa-
rition de nouvelles sciences.

Une manière révolutionnaire d’expliquer les comportements sociaux


L’essor des sciences apporté par la modernité et la prise de conscience du ait que
la volonté de Dieu n’explique plus tous les maux de l’humanité engendrent le
changement de paradigme avorable à l’émergence de la sociologie. Le contexte
historique de ces révolutions a généré les conditions rendant possibles des
analyses de type sociologique.
Pour comprendre comment ces courants de pensée contribuent à changer
radicalement la compréhension que l’on avait de la société, reprenons l’exemple
de la pauvreté présenté au début du chapitre. Avant le xixe siècle, la pauvreté était
jugée naturelle puisqu’elle aisait partie de la condition humaine. Seules quelques
personnes, des visionnaires (comme le philosophe Jean-Jacques Rousseau),
osaient armer vers la n du xviiie siècle que les êtres humains étaient égaux à la
naissance. La majorité des gens croyaient plutôt le contraire. La pauvreté était
vue comme une « volonté de Dieu », le résultat du péché originel ou d’un mauvais
sort. Elle était assimilée à un malheur, et on croyait que rien ne pouvait l’enrayer.
On pouvait la déplorer, l’alléger dans certains cas, mais on ne pouvait ni la prévenir
ni l’empêcher. Ce n’est que lorsque les gens ont commencé à penser qu’ils pou-
vaient améliorer la société pour s’orir de meilleures conditions de vie qu’ils ont
considéré la pauvreté non plus comme un malheur, mais comme une injustice qui
pouvait être soulagée, voire éradiquée par une réorganisation de la société.
Les transormations sociales proondes qu’a connues le xixe siècle ont imposé
peu à peu l’idée que des problèmes sociaux, comme la pauvreté, ne se réduisent
pas à un plan « divin » ou « naturel », mais qu’ils sont plutôt le ruit de la manière
dont la société est organisée. Jusqu’au xviii e siècle, on avait tendance à expliquer
les phénomènes sociaux, et d’une açon générale l’ordre social, soit par le droit
divin, soit par le droit naturel. Selon cette conception, la pauvreté et autres pro-
blèmes sociaux tels que la déviance et l’exploitation des travailleurs étaient soit
une création de Dieu, soit une création humaine remontant au début de la vie
selon les termes d’un contrat originel. Dans les deux cas, les phénomènes
sociaux se réduisaient à un plan préétabli et échappaient à la maîtrise des êtres
humains (Berthelot, 1992). Or, les transormations proondes qui se produisent
au xixe siècle avorisent une remise en question de cette explication de divers
phénomènes sociaux. Dès lors, on rejette l’idée d’un droit divin. Certaines per-
sonnes considèrent que l’organisation de la société est une conséquence de la
nature. Pour elles, les phénomènes sociaux sont le prolongement des phéno-
mènes naturels. D’autres pensent plutôt que des phénomènes sociaux comme la
pauvreté s’expliquent par d’autres aits sociaux comme la répartition des res-
sources dans la société. Les problèmes de la société paraissent alors une consé-
quence de la vie en société elle-même. Étant donné qu’il semble possible de
modier la société et son organisation, il devient possible d’agir sur les pro-
blèmes qui l’afigent.
Ainsi, le nouveau contexte politique, scientique, économique et, somme
toute, social engendre une nouvelle vision de la vie en société et de la manière
de la transormer. Le courant humaniste de la Renaissance croit que l’être

chapitre 2 Les théories sociologiques 35


humain peut et doit s’améliorer. Les sciences humaines naissantes orent une
manière de soutenir scientifquement l’espoir d’un monde meilleur. En ce sens,
la sociologie cherche depuis toujours à contribuer à bonifer et à humaniser
notre monde.

2.1.2 Les principaux précurseurs et fondateurs


Les penseurs des xviiie et xixe siècles ont senti le besoin d’analyser la société avec des
outils autres que ceux qui étaient traditionnellement proposés par la philosophie.
Les précurseurs de la sociologie ont été les premiers à proposer une nouvelle
açon de comprendre la vie sociale et de la percevoir comme ayant ses propres
règles de onctionnement. Par la suite, les ondateurs de la sociologie ont voulu
systématiser l’étude de la société, en aire une véritable science afn notamment
de comprendre et de résoudre les nombreux problèmes de société causés par les
changements qui ont marqué cette période de l’histoire.
Nous verrons brièvement les préoccupations de quatre de ces penseurs, sou-
vent présentés comme ayant contribué à la naissance et à l’essor de la sociologie :
Auguste Comte (1798-1857) et Karl Marx (1818-1883), considérés comme des pré-
curseurs, ainsi qu’Émile Durkheim (1858-1917) et Max Weber (1864-1920), consi-
dérés comme des ondateurs.

Auguste Comte
Philosophe rançais, Auguste Comte vit dans un monde qui a connu de proondes
transormations entre la Révolution rançaise de 1789 et les débuts de l’industria-
lisation, qui marquent la première moitié du xixe siècle. Dans son œuvre, il insiste
sur l’existence de lois sociales qui ont la même importance que les lois de la nature.
Selon Comte, les phénomènes sociaux apparaissent à la suite des phénomènes
naturels : la vie en société est en quelque sorte le prolongement de la nature. Cette
conception dite naturaliste amène Comte à élaborer une science qu’il nomme
d’abord « physique sociale ». Pour lui, la physique sociale est « la science qui a pour
objet propre d’étude l’étude des phénomènes sociaux, consi-
dérés dans le même esprit que les phénomènes astronomiques,
physiques, chimiques et physiologiques, c’est-à-dire assujettis
à des lois naturelles invariables, dont la découverte est le but
spécial de ses recherches » (Dérec, 1978). Le néologisme « socio-
logie » est déjà dans l’air du temps, mais c’est à Comte que l’on
attribue la paternité et la diusion de cette nouvelle science,
qu’il défnit à ce moment comme « la vraie science de la nature
humaine » (Férréol et Noreck, 1990).
Deux principes sous-tendent l’œuvre d’Auguste Comte : des lois
régissent les diérentes étapes du développement de l’humanité
et la nécessité de classifer les sciences. Selon Comte, l’évolution
des sociétés et de la connaissance au cours de l’histoire de l’huma-
nité connaît trois stades distincts : les stades théologique, méta-
physique et scientifque. À chacun de ces stades, la réalité est
appréhendée diéremment.
1. Le stade théologique remonte à l’origine de l’humanité. Les
phénomènes naturels sont alors expliqués comme étant
des créations de l’esprit, comme la superstition, la religion
et le étichisme. La mythologie gréco-romaine, c’est-à-dire
l’ensemble des mythes et des légendes propres aux civilisa-
Auguste Comte (1798-1857).
tions grecque et romaine, est caractéristique de ce stade.

36 parte i La nature de la sociologie


2. Le stade métaphysique, qui commence autour du Moyen Âge, est un stade de
transition où les phénomènes naturels s’expliquent par des lois naturelles ou
encore par des abstractions. C’est le stade de la recherche de la cause princi-
pale. Au stade théologique, on a tendance à associer une croyance ou un mythe
diérent à chacun des phénomènes. À ce stade, l’objecti est de découvrir la
cause dont toutes les choses dérivent : l’absolu, Dieu.
3. Le stade scientique est l’aboutissement du processus de la connaissance. Ce positivisme
stade opère une analyse complexe et consciente grâce à l’utilisation de Application en sciences sociales
méthodes systématiques qui relèvent du positivisme. Le positivisme est l’ap- de méthodes jusque-là adop-
plication aux sciences sociales des méthodes utilisées jusque-là dans les tées par les sciences positives,
sciences dites positives, comme les mathématiques, et expérimentales, comme qui font de l’expérimentation.
la chimie et la physique.
Auguste Comte propose une classication des sciences suivant un ordre de
complexité croissant. Le développement des sciences est inégal. Certaines
sciences, comme l’astronomie ou la physique, ont déjà atteint le stade scienti-
que, alors que d’autres, comme la physique sociale ou la sociologie, en sont
encore à leurs balbutiements. Auguste Comte a été l’un des premiers à concevoir
les sciences sociales, et plus particulièrement la sociologie, comme des sciences
positives, qui construisent un savoir à l’aide de l’observation et de l’analyse des
phénomènes sociaux.
Voici quelques œuvres d’Auguste Comte :
• Opuscules de philosophie sociale (1820-1826)
• Cours de philosophie positive (1830-1842)
• Système de politique positive ou
Traité de sociologie instituant la religion de l’humanité (1851-1854)

Karl Marx
Philosophe, économiste et historien, Karl Marx vit presque à la même époque
qu’Auguste Comte. Sa pensée et sa vision du monde sont cependant très diérentes
de celles de Comte. Le capitalisme, c’est-à-dire la propriété par des particuliers
des entreprises naissantes, ses contradictions et, d’une açon plus
générale, le changement dans l’histoire sont ses principaux champs
d’intérêt. Karl Marx et Friedrich Engels sont à l’origine d’un courant
de pensée déterminant en sciences sociales, auquel on a attribué
un nom inspiré du premier : le marxisme. Né en Allemagne, Marx y
ait ses études, puis s’y marie. En 1843, il s’installe à Paris, où il ren-
contre Engels dans les milieux socialistes. Avec lui, il écrit entre
autres le Manifeste du parti communiste en 1848. En 1849, il s’installe
dénitivement à Londres, où, vivant dans une pauvreté extrême, il
rédige ses principaux ouvrages, dont Le capital.
Toute sa vie, Marx demeure étroitement lié aux partis révolu-
tionnaires européens. La pensée de Marx est d’abord orientée vers
un projet politique et social, à savoir la création d’une société plus
juste et plus humaine. Les transormations proondes des condi-
tions de vie, comme le déracinement des paysans qui deviennent
des ouvriers au moment de la première révolution industrielle, l’in-
citent à élaborer une explication originale de la vie en société. La
rigueur de son œuvre a marqué l’univers des sciences sociales et
a alimenté divers courants de pensée. Elle a infuencé grandement
le xixe et le xxe siècle, notamment en inspirant quelques grandes Karl Marx (1818-1883).
révolutions.

chaitre 2 Les théories sociologiques 37


L’apport principal de Karl Marx à la sociologie est sa conception des classes
sociales (Durand, 1992). Bien qu’il n’ait pas consciemment cherché à aire de la
sociologie, son infuence a été déterminante sur cette discipline en devenir. Pour lui,
les classes sociales ne sont pas des masses d’individus, mais plutôt des ensembles
qui se structurent dans des rapports de classes. Les classes sociales existent en
dehors des individus, car elles sont pour ainsi dire le prolongement de l’organisa-
tion de la vie matérielle. Il aut savoir qu’une société, selon Marx, est composée de
deux grandes parties : l’inrastructure, qui comprend les orces productives et les
rapports de production constituant la base de la société, et la superstructure, qui
comprend l’organisation politique et sociale ainsi que la structure idéologique (les
connaissances, les conceptions du monde, la religion, etc.). Pour Marx, l’inrastruc-
ture détermine la superstructure. Dans la société capitaliste, la açon dont sont
organisés les moyens de travail ou de production (l’inrastructure) provoque un
confit entre les deux grandes classes, c’est-à-dire entre la classe des propriétaires
des moyens de travail, ou la bourgeoisie capitaliste, et la classe des individus qui ne
possèdent que leur orce de travail, ou la classe ouvrière. La lutte entre ces deux
classes engendrera une autre société, qui sera, selon Marx, plus égalitaire. C’est de
cette théorie que se sont inspirés les révolutionnaires de 1917 en Russie.
Matéralsme hstorque La pensée de Marx repose sur une conception philosophique : le matérialisme
Conception selon laquelle historique. Selon cette conception, les phénomènes sociaux sont le résultat du rap-
les phénomènes sociaux port matériel de l’homme à la nature. En produisant leurs moyens d’existence, les
proviennent du lien matériel êtres humains produisent leur vie matérielle elle-même. Celle-ci est caractérisée
entre l’homme et la nature. par le mouvement et le principe de contradiction. En ait, pour simplier, la techno-
logie et l’économie infuencent grandement le modèle de société qui en découlera.
Ainsi, de nos jours, on pourrait dire que l’inormatisation de notre monde et l’appa-
rition des télécommunications, alliées au capitalisme mondial, déterminent large-
ment le modèle de société dans lequel nous vivons. Selon Durand (1992), Marx et
Engels conçoivent que la matière est mouvement ; ainsi, la stabilité ou le repos n’est
qu’un équilibre momentané du mouvement général. Cela amène Marx et Engels à
attacher une grande importance aux tensions, aux confits et aux contradictions.
Selon le principe de contradiction, chaque situation est ormée par l’unité des
contraires, c’est-à-dire que chaque élément doit être envisagé comme une contra-
diction entre deux composantes. La contradiction est dépassée par la disparition
d’une des composantes et par la transormation de l’autre composante en une nou-
velle contradiction. Suivant ce principe, les changements dans l’histoire humaine
ne se ont pas de açon graduelle et linéaire. Ils se produisent plutôt au moment des
révolutions, comme ce ut le cas lors de la révolution industrielle du xixe siècle.
L’écroulement du modèle communiste, à la n du xxe siècle, a mis dans l’ombre les
ouvrages de Marx et d’Engels. Or, cela n’a pas réduit l’infuence considérable du
marxisme sur la sociologie. Ainsi, il serait dicile aujourd’hui de discuter du lien
entre l’individu et la société sans aire réérence aux écrits de Karl Marx. Une phrase
célèbre résume sa conception : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui déter-
mine leur être, c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. »
(Durand, 1992) L’individu construit son identité au moyen des rapports qu’il établit
avec la nature et avec les autres individus dans une société donnée en participant à
la production collective. Ainsi, les individus qui, au xix e siècle, subissaient pendant
plus de 12 heures par jour des conditions de travail pénibles et répétitives avaient
une existence limitée par le capitalisme industriel. Selon Marx, ces conditions de vie
imposées par l’organisation capitaliste du travail infuent ortement sur ce qu’il
appelle la richesse individuelle de l’individu (Durand et Weil, 1997).
Voici quelques œuvres de Karl Marx :
• L’idéologie allemande (écrit en 1846 avec Engels)
• Manifeste du parti communiste (1848 avec Engels)

38 parte i La nature de la sociologie


• Travail salarié et capital (1849)
• Les luttes de classes en Allemagne 1848-1850 (1850)
• Contribution à la critique de l’économie politique (1859)
• Salaire, prix et profts (1865)
• Le capital (tome I : 1867 ; tomes II et III publiés par Engels en 1885 et 1894)

Émile Durkheim
Premier à enseigner la sociologie dans un cadre universitaire en
Allemagne, Émile Durkheim est le ondateur d’un courant socio-
logique, l’École rançaise de sociologie, resté vivant jusqu’à nos
jours. Il est aussi le précurseur du onctionnalisme, une des trois
principales théories sociologiques.
Le nom d’Émile Durkheim est étroitement lié à l’institution-
nalisation de la sociologie, c’est-à-dire à sa reconnaissance et à
sa diusion dans les universités en France. Après avoir reçu
une ormation en philosophie, il devient proesseur de péda-
gogie et de sciences sociales à l’Université de Bordeaux, en
1887, et plus tard responsable de la première chaire de socio-
logie créée à Paris, à la Sorbonne, en 1912. Ses cours portent
sur la pédagogie et l’éducation, de même que sur la amille, le
suicide, la religion, la criminalité, la morale, le droit et l’histoire
de la sociologie. En 1896, il onde L’Année sociologique, une
revue qui rend compte des recherches de ce que l’on a cou-
tume d’appeler l’École rançaise de sociologie.
La pensée d’Émile Durkheim se situe dans la lignée de celle
d’Auguste Comte, dont il adopte les méthodes et les buts issus
Émile Durkheim (1858-1917).
du positivisme. Le modèle des sciences de la nature l’amène à
étudier les faits sociaux comme des phénomènes qui peuvent
être révélés par des signes objectis comme les statistiques. Pour Durkheim, fait oial
comme pour Comte, la sociologie doit être utile ; elle doit produire un savoir qui Tout ce qui a trait à la vie des
aide à résoudre les problèmes de la société. Selon lui, le rôle du sociologue est humains, du plus organisé au
comparable à celui du médecin, qui est capable de diagnostiquer les maladies de plus éphémère. Selon Durkheim,
son patient. les faits sociaux peuvent être
analysés en utilisant la même
À l’instar de Marx et de Comte, Durkheim désire comprendre les problèmes démarche que celle des
engendrés par l’évolution des sociétés. Au moment où il élabore sa pensée, à la sciences de la nature.
n du xix e siècle, la société industrielle est dénitivement installée. Cette nou-
velle société lui apparaît, comme à plusieurs intellectuels rançais de l’époque,
plongée dans une grave crise morale, qui se révèle entre autres par des aits
sociaux comme le déclin de l’infuence de la religion et une augmentation du taux
de suicide. Cette crise morale est, selon Durkheim, une maniestation du type de solidarité méanique
solidarité sociale que l’on trouve dans la société industrielle. Dans les sociétés
Solidarité caractéristique des
les plus simples comme les sociétés traditionnelles, la solidarité naît de la res- sociétés les plus simples qui
semblance entre les individus. C’est la solidarité mécanique. À l’autre extrémité, naît de la ressemblance entre
les sociétés industrielles, par le biais du processus de la division du travail, spé- les individus.
cialisent de plus en plus les individus dans des tâches diérentes et complémen-
solidarité organique
taires. La solidarité ne peut être que le ruit de la collaboration, et les individus
Solidarité qui naît de la
ne se sentent solidaires que parce qu’ils occupent chacun une onction spécia-
collaboration des individus, qui
lisée dans un ensemble plus vaste. En ce sens, ils doivent être solidaires des
occupent chacun une fonction
autres étant donné qu’ils dépendent les uns des autres pour la satisaction com- spécialisée dans un plus grand
plète de leurs besoins. C’est la solidarité organique. S’inspirant de la biologie, ensemble, comme dans les
Durkheim voit la société comme un organisme vivant composé de diérentes sociétés industrielles, où règne
parties qui ont chacune un rôle à jouer dans le onctionnement de l’ensemble. la division du travail.

chapitre 2 Les théories sociologiques 39


Pour Durkheim, le passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique
s’explique tout simplement par des aits sociaux comme l’augmentation de la
population des sociétés modernes et de leur densité.
L’avènement de la solidarité organique avorise à la ois l’autonomie et la dépen-
dance des individus. L’autonomie et l’individualisme sont plus grands grâce à la
division du travail, mais la dépendance est également plus grande puisque les
individus ne peuvent plus, comme dans la société traditionnelle, se sufre à eux-
mêmes. Selon Durkheim, le problème majeur de ce type de société est de main-
tenir la cohésion ou la solidarité entre les individus. D’après Claude Polin (1978a),
Durkheim considère que la prépondérance morale, c’est-à-dire le ait pour une
société d’imposer des valeurs et des règles de conduite à l’individu, est saine et
souhaitable. Sans la prépondérance morale, l’individu se détruit lui-même par
excès de liberté. Il ne peut normalement s’épanouir que dans l’intégration à une
structure qui le dépasse.
Voici quelques œuvres d’Émile Durkheim :
• De la division du travail social : étude sur l’organisation des sociétés supérieures (1893)
• Règles de la méthode sociologique (1895)
• La prohibition de l’inceste et ses origines (1896)
• Le suicide : étude de sociologie (1897)
• Les formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie (1912)

Max Weber
Contemporain d’Émile Durkheim, Max Weber est le père de la
sociologie dite compréhensive et, par là, un précurseur de l’in-
teractionnisme, courant sociologique qui s’est particulièrement
développé aux États-Unis à partir de 1950.
Max Weber naît en Allemagne d’un père juriste et député et
d’une mère très croyante. Il rencontre très tôt des intellectuels
et des hommes politiques dans le salon de ses parents. Il ait
des études en droit, en histoire et en économie politique. Puis
il enseigne le droit et l’économie politique dans des universités
allemandes. Il se préoccupe des questions sociales et en parti-
culier du sort des travailleurs soumis aux nouvelles conditions
de la production industrielle.
Weber aborde les sciences sociales en prenant comme
modèle non pas les sciences de la nature, comme Durkheim et
Comte, mais plutôt les sciences humaines. La pensée de Weber
prend sa source dans un bouleversement intellectuel, en
Allemagne, provoqué par la rencontre de l’histoire, de la philo-
sophie et de l’économie politique. Selon Claude Polin (1978b), la
Max Weber (1864-1920).
sociologie est pour Weber une science de l’action, c’est-à-dire
une science de l’être humain en tant qu’être agissant.
L’explication sociologique consiste à dégager le sens des actions humaines. Et c’est
là l’originalité de Weber, qui veut onder la sociologie sur l’individu et son action.
scence comréhenve Science de l’action, la sociologie est donc une science compréhensive, car elle
Science qui cherche à cherche à comprendre la rationalité et le but des actions humaines. En ce sens, le
comprendre la rationalité et travail du sociologue s’apparente à celui de l’historien, qui désire comprendre les
le sens des actions humaines. humains tels qu’ils ont été, et les açons dont ils ont agi et pensé.

40 parte i La nature de la sociologie


Weber croit que les actions humaines et leur signication peuvent être com- type idéal
prises à l’aide de ce qu’il appelle un type idéal. Cet outil construit par Weber Représentation de la réalité
permet de se doter d’une représentation simpliée de la réalité an d’en dégager construite à partir de ses traits
les traits les plus signicatis. Par exemple, l’esprit du capitalisme serait le type typiques qui, en créant un
idéal qui permet de comprendre la pensée et le comportement des entrepreneurs modèle abstrait, permet de
capitalistes. Cet esprit est une mentalité économique – un « éthos », selon les mots mieux comprendre le phéno-
mène étudié.
de Weber –, qui s’est d’abord développée en étroite relation avec les croyances
religieuses des protestants. Lorsqu’il débute, l’entrepreneur capitaliste a besoin
d’accumuler de l’argent. Gagner de l’argent et éviter d’en jouir tout de suite pour
continuer à accumuler du capital, voilà l’attitude essentielle au développement
du capitalisme. Cette mentalité existait chez les protestants de l’Angleterre au
moment de la révolution industrielle.
Les Églises protestantes ont adopté des pratiques religieuses austères et sévères,
présentes également chez les premiers colons de la Nouvelle-Angleterre. Weber éta-
blit une relation étroite entre le puritanisme et l’esprit capitaliste à ses débuts. Ainsi,
le côté austère ou ascétique des protestants s’opposerait à la jouissance spontanée
des richesses et découragerait la consommation, particulièrement des objets de
luxe, tout en justiant le désir de conserver et d’acquérir des biens durables.
L’esprit du capitalisme est né de l’esprit de l’ascétisme chrétien, mais, comme
le rappellent Durand et Weil (1997, p. 64) : « le ondement religieux s’est perdu et
désormais la base mécanique assure le relais : le puritain voulait être un homme
besogneux, tandis que nous sommes orcés de l’être ».
Alors que, pour Marx, l’action humaine est d’abord le refet de la vie matérielle,
Weber arme le contraire. Pour lui, ce sont certaines croyances religieuses qui
ont avorisé le développement de la mentalité économique caractéristique de
l’entrepreneur capitaliste.
En utilisant le modèle des sciences humaines et de la culture, Weber construit
une sociologie qui s’oppose aussi à celle de Durkheim. Selon Claude Polin, dans la
pensée de Weber, il n’y a pas de aits sociaux qui puissent être mesurés de
la même açon que les choses, comme l’arme Durkheim. Il n’y a que des inter-
prétations sociologiques des actions humaines. Weber ne croit pas non plus qu’il
y ait des lois en sociologie ; il n’y a que des types d’action sociale.
Voici quelques œuvres de Max Weber :
• L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905)
• L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociale (1904)
• Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive (1913)
• L’hindouisme et le bouddhisme (1916)
• Le judaïsme antique (1917)
• Le savant et le politique (1919)
• Économie et société (1919, ouvrage inachevé)

Faites Le point

1. Dans quel contexte sociohistorique la sociologie est-elle née ?


2. Comment la modernité a-t-elle modié la manière de concevoir la pauvreté ?
3. Nommez les grands ondateurs de la sociologie et précisez la période
historique où ils ont vécu.

chapire 2 Les théories sociologiques 41


2.2 Le développement de la sociologie
contemporaine
Depuis l’époque des ondateurs, la sociologie s’est considérablement développée.
Elle a notamment beaucoup évolué sur le plan des techniques de recherche et sur
celui de l’explication des phénomènes sociaux. Les grandes enquêtes sociolo-
giques menées aux États-Unis pendant la période de la maturation de la sociologie
(1914-1950) sont associées au développement d’une véritable sociologie empi-
rique, c’est-à-dire une sociologie qui s’appuie sur l’observation et l’enquête sociale
(Berthelot, 1992).

2.2.1 Les phases de la constitution de la sociologie


contemporaine
La sociologie se construit et s’impose comme une science importante de la vie en
société tout au long du xixe siècle et au début du xxe siècle. Berthelot (1992) dis-
tingue quatre phases dans la constitution de la sociologie contemporaine :
1. La période du dérichement et des précurseurs, de 1810 à 1890 ;
2. La période de la ondation, de 1890 à 1914 ;
3. La période de la maturation, de 1914 à 1950 ;
4. La période de l’institutionnalisation et de l’internationalisation, depuis le
milieu des années 1950.
C’est donc en Allemagne et en France qu’est née la nouvelle discipline.
Cependant, la Première Guerre mondiale (1914-1918) ayant tué en France comme
en Allemagne une grande partie de la jeunesse intellectuelle, c’est aux États-Unis
que s’eectue la période de maturation.
Berthelot précise quatre dimensions importantes dans ce processus histo-
rique de constitution de la sociologie en tant que discipline scientique :
1. La sociologie apparaît comme un savoir permettant de résoudre les nouveaux
problèmes dans un monde qui connaît des transormations rapides. Il s’agit
d’élaborer une connaissance qui puisse être utile. Les ondateurs de la socio-
logie étaient des penseurs sociaux parce qu’ils voulaient trouver le moyen de
résoudre les problèmes sociaux de leur époque tels que les conditions misé-
rables des travailleurs ou, encore, les taux de suicide très élevés. Pour les on-
dateurs de la sociologie comme Émile Durkheim, les sociologues sont en
quelque sorte des médecins qui s’attaquent aux pathologies sociales. Pour
d’autres ondateurs, comme Karl Marx, l’activité de la connaissance est une
étape importante dans le processus d’un changement ondamental de la
société rendu possible par la révolution.
connassane emrque 2. Le savoir sociologique naissant va se distinguer radicalement des réfexions
Connaissance qui s’appuie sur précédentes sur la vie sociale par son souci d’élaborer une connaissance empi-
l’expérience et l’observation. rique, c’est-à-dire une connaissance qui s’appuie sur les aits. La sociologie ne
s’intéresse plus seulement à ce que devrait être la société, elle veut aussi
décrire correctement la société telle qu’elle est. Les recensements statistiques
et les enquêtes sociales qui sont mises au point à l’époque ourniront les aits,
les interrogations et même les techniques dont pourront se servir les sociolo-
gues. L’explication sociologique se rane grâce à l’utilisation de nombreuses
techniques de recherche (voir le chapitre 1) et elle se complexie, car de nou-
velles açons de voir les phénomènes sociaux apparaissent.

42 parte i La nature de la sociologie


3. La sociologie s’est constituée comme discipline scientique lorsque son savoir
s’est institutionnalisé, c’est-à-dire lorsqu’il a commencé à être diusé dans les
universités. Les premiers sociologues universitaires étaient soit des philo-
sophes, soit des juristes, soit même des prêtres, comme le père Georges-Henri
Lévesque, qui a ondé la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval à
Québec, ou encore le prêtre et théologien Jacques Grand’Maison, sociologue
québécois de renom. Depuis le milieu des années 1950, la sociologie s’est insti-
tutionnalisée et enracinée dans plusieurs pays à la ois. Elle s’est en même
temps diversiée quant à sa onction d’explication. La pluralité des méthodes
et des explications caractérise aujourd’hui la sociologie. Par exemple, Nicole
Delruelle-Vosswinkel présente neu théories sociologiques contemporaines
dans son Introduction à la sociologie générale (1987). Pour leur part, Durand et
Weil (1997) distinguent huit courants sociologiques majeurs.
4. Ces nouveaux penseurs ont construit et transmis un nouveau savoir en utili-
sant la science comme norme de réérence pour l’étude de la vie en société,
que ce soit en ce qui concerne les règles de construction de la connaissance ou
la açon d’entreprendre une action visant à transormer la société.
La sociologie s’est institutionnalisée en cours de route, c’est-à-dire que son
corpus théorique particulier et ses méthodes de recherche ont acquis une recon-
naissance au regard de l’histoire des sciences. Malgré ses écoles de pensée bien
campées et les divergences d’approches à l’intérieur de ce champ disciplinaire, la
qualité des analyses qu’elle propose lui a valu ses lettres de noblesse.

2.2.2 Le développement de la sociologie québécoise


Au Québec, la sociologie a également évolué au l des changements qui ont marqué
la société. Des problèmes cruciaux se posaient étant donné l’état de sous-
développement relati qui caractérisait le Québec de la première moitié du
xxe siècle. Comme le montre l’encadré 2.1, la sociologie québécoise a contribué à
la modernisation du Québec et, du même soufe, elle a développé sa spécicité
en contribuant au développement de cette discipline, ce qui lui a permis de
rayonner sur la scène mondiale de la sociologie.

encadré 2.1 en coMPlÉMent

La sociologie québécoise : compagne et artisane de la modernisation du Québec

La naissance de la sociologie québécoise s’est produite dans le groupe de fnissants, inuencés par le père Lévesque, ira pour-
contexte d’une société qui accusait un retard important sur plu- suivre des études avancées aux États-Unis pour revenir occuper
sieurs plans. En ce qui a trait au système d’éducation, sa moder- les postes de proesseurs et autres emplois de haut niveau dont
nisation s’amorce dans les années 1920. À l’Université de le Québec avait grandement besoin (Faucher, 1988).
Montréal, Édouard Montpetit onde l’École des sciences sociales,
Le département de sociologie de l’Université Laval a quant à lui
économiques et politiques. Cette école deviendra en 1942 la
été ondé en 1943 et celui de l’Université de Montréal, en 1955.
Faculté des sciences sociales de l’Université de Montréal
Le troisième département de sociologie à naître dans une uni-
(Université de Montréal, archive). En 1932, l’Université Laval crée
versité rancophone est celui de l’UQAM, ondé en 1969.
à son tour une première école des sciences sociales (Faucher,
1988). Cette nouvelle école prendra son essor grâce au dyna- Plusieurs sociologues québécois de renom ont poursuivi des
misme du père Georges-Henri Lévesque (Sciences sociales, études dans de grandes universités rançaises ou américaines.
Université Laval). Cette école naissante deviendra une pépinière C’est notamment le cas de Jean-Charles Falardeau (Cornell),
d’intellectuels québécois qui deviendront des agents de change- Fernand Dumont (La Sorbonne), Marcel Rioux (Paris), Gérald
ments au sein de la société québécoise. D’ailleurs, un premier Fortin (Cornell), Guy Rocher (Harvard) et Yves Martin (Paris).

chapitre 2 Les théories sociologiques 43


Rioux, dans son livre La question du Québec, discute de
l’identité nationale québécoise ; il est aussi l’auteur d’un
Essai de sociologie critique. Fortin, dans La fn d’un règne,
s’intéresse aux transormations du Canada rançais rural ;
Martin a collaboré à plusieurs ouvrages, dont l’un produit
avec Rioux, intitulé La société canadienne-rançaise. Plusieurs
autres pionniers de la sociologie québécoise mériteraient
d’être cités.
Nombre de ces sociologues ont centré leurs analyses sur les
problèmes d’un Québec en mal de changements. En ce sens,
ils ont travaillé au développement de la société québécoise à
un moment critique de son histoire, tout en participant
à l’avancement mondial de cette science.
Plus récemment, la contribution théorique de Michel Freitag,
Fernand Dumont (1927-1997).
sociologue d’origine suisse ayant œuvré à l’UQAM de 1971
jusqu’à sa mort en 2009, est remarquable. Freitag est l’au-
Léon Gérin, considéré comme l’un des précurseurs de la socio-
teur d’une œuvre monumentale intitulée Dialectique et
logie québécoise (Warren, 2003), découvre sa vocation de
société, qui opère une orme de synthèse des trois écoles de
sociologue à l’École des sciences sociales de Paris (Tremblay,
pensée classiques et propose une typologie des sociétés
s.d.). Il inuencera les ondateurs des écoles des sciences
jugée innovatrice sur le plan de la théorie sociologique.
sociales de Montréal et de Québec (Gagné et Warren, 2003).
Cette théorie a ait école et l’on parle désormais de « L’École
Parmi les personnages importants mentionnés ci-dessus,
de Montréal » comme on parlerait de l’École de Francort
Marcel Fournier (1974) décrit Jean-Charles Falardeau, proes-
ou de celle de Chicago (Stéphane Baillargeon, Le Devoir,
seur et directeur au département de sociologie de l’Université
14 novembre 2009).
Laval, comme une véritable institution et le « che de fle
de l’école de Laval » ondée par le père Lévesque. Il a collaboré La sociologie québécoise a connu son âge d’or au cours de la
à plusieurs ouvrages dont l’un intitulé La dualité canadienne, deuxième moitié du xxe siècle. Le chantier de la Révolution
Essais sur les relations entre Canadiens rançais et Canadiens tranquille et de la modernisation de l’État québécois a été l’oc-
anglais avec Mason Wade, en 1960. casion de proposer des analyses et des solutions originales.
En contribuant à orienter les changements dont la société qué-
On ne peut passer sous silence les contributions majeures de
bécoise avait grandement besoin, en soutenant les eorts col-
Fernand Dumont et de Guy Rocher à la sociologie d’ici et d’ail-
lectis nécessaires à cette transormation historique, la socio-
leurs. Dumont propose une réexion magistrale sur la culture
logie a joué un rôle d’agent de changement et s’est développée
dans son œuvre Les lieux de l’homme. Pour sa part, Rocher,
de concert avec la société qui l’a engendrée.
dans son Introduction à la sociologie générale, a contribué à
la ormation de plusieurs générations de sociologues et son Question
œuvre a été traduite dans plusieurs langues. Marcel Rioux,
Comment la sociologie québécoise a-t-elle contribué à
Gérald Fortin et Yves Martin ont contribué, de par la qualité de
la modernisation de la société québécoise ?
leurs travaux, à aire progresser la sociologie québécoise :

Faites Le point

4. Quelles sont les quatre phases dans la constitution de la sociologie


contemporaine ?
5. Quelles sont les quatre dimensions du processus historique de consti-
tution de la sociologie en tant que discipline scientifque ?
6. Nommez quelques-uns des principaux ondateurs de la sociologie
québécoise.

44 parte i La nature de la sociologie


2.3 Les courants théoriques classiques
de la sociologie
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, les théories sociologiques se distinguent
notamment selon qu’elles considèrent que c’est la société qui détermine l’individu
(déterminisme social) ou, à l’inverse, que c’est l’individu qui, en tant qu’être auto-
nome, açonne la société (individualisme méthodologique). Malgré leur diversité
et leur pluralité, il est possible de classier les approches théoriques selon les
réponses qu’elles donnent aux deux questions ondamentales suivantes :
1. Est-ce que l’individu est le produit de la société ou est-ce plutôt la société qui
est le produit des individus ?
2. Quel est l’objecti du travail du sociologue ? Consiste-t-il à avoriser les trans-
ormations sociales ou, au contraire, à avoriser l’intégration sociale des
individus ?
Selon les réponses qu’ils donnent à ces deux questions ondamentales, les théorie
auteurs élaborent des théories sociologiques très diérentes. Dans le contexte Ensemble cohérent d’énoncés
des sciences humaines, une théorie cherche à expliquer des aits, des comporte- qui tentent d’expliquer des faits,
ments ou des phénomènes d’origine humaine. Si les causes d’un phénomène sont des comportements et des
bien précisées, il est alors possible de suggérer des solutions ou encore des problèmes humains.
pistes de recherche. Touteois, pour cela, une théorie doit être susamment
structurée.
Reprenons l’exemple de la pauvreté pour illustrer cette distinction. Les repré-
sentations sociales concernant les personnes bénéciaires de l’aide sociale sont
plutôt négatives. On a tendance à penser qu’elles sont responsables de leur condi-
tion. Cependant, on peut se demander si ces gens ne seraient pas plutôt les vic-
times d’un contexte économique dicile (la société détermine l’individu) plutôt
que des paresseux ou des proteurs qui préèrent vivre aux crochets de l’État
(l’individu est libre). La tendance dominante chez les sociologues, selon Frédéric
Lesemann (1994), est de considérer que les assistés sociaux sont des victimes de
la société. En eet, la majorité des études sur la pauvreté peuvent être qualiées
de positivistes dans le sens que Comte et Durkheim
donnaient à ce mot. Dans ce cas-ci, c’est la situation
économique et démographique globale qui déter-
mine la condition des individus. À l’aide de ces
études, on peut reconnaître des groupes vulné-
rables, comme les amilles monoparentales ou les
travailleurs des secteurs d’activité qui déclinent.
Plusieurs grands sociologues contemporains
adhèrent à cette açon de penser. Selon eux, les
structures sociales existent indépendamment des
individus et exercent une infuence déterminante sur
la vie de ces derniers. D’autres recherches sont au
contraire axées sur la pauvreté telle qu’elle est vécue
au quotidien. Elles se penchent sur des histoires per-
sonnelles. Ces recherches tentent de comprendre et
Les travailleurs des activités économiques en déclin sont
d’interpréter l’expérience de la pauvreté en s’intéres-
particulièrement exposés au risque de pauvreté.
sant aux individus eux-mêmes (Lesemann, 1994).
Les théories sociologiques peuvent également être distinguées selon les buts
qu’elles poursuivent. Certaines théories, comme celle de Karl Marx, visent à com-
prendre le changement dans la société. Celles-ci relèvent de la sociologie des
confits parce qu’elles visent à déterminer les oppositions à la transormation

chapire 2 Les théories sociologiques 45


des sociétés (Durand et Weil, 1997). D’autres théories veulent au contraire aci-
liter le consensus et cherchent les moyens de avoriser une meilleure intégration
à la société. C’est le cas de la pensée d’Émile Durkheim.
Les sociologues disposent d’un large éventail de possibilités lorsqu’ils désirent
élaborer des théories au sujet des sociétés humaines. La décision d’examiner tel
phénomène ou de rapprocher des aits entre eux en vue de mettre au point une
théorie ne se prend pas au hasard. Au contraire, l’élaboration d’une théorie est
guidée par un modèle général ou une approche. Une approche est une manière
de voir qui précise les questions qui intéressent le sociologue de même que la
açon dont il les traitera. Dans l’exemple précédent concernant la pauvreté, le
Macrosocologe type d’approche utilisée est dit macrosociologique, c’est-à-dire que les phéno-
Étude des phénomènes qui mènes sociaux sont envisagés à grande échelle, dans une même société ou
se produisent à grande échelle encore dans diérentes sociétés ou civilisations. Il est à noter que certains socio-
dans une ou plusieurs sociétés logues adoptent une approche microsociologique pour aborder diérentes ques-
ou civilisations. tions de société. La microsociologie s’intéresse notamment à l’étude des petits
Mcrosocologe groupes eectuée notamment dans le cadre d’études expérimentales en labora-
Étude des petits groupes qui toire. Ainsi, l’approche macrosociologique peut être comparée à une vue à vol
peut se faire par l’intermédiaire d’oiseau permettant de voir les grands systèmes et leurs interrelations alors que
d’études expérimentales en l’approche microsociologique se ocaliserait sur un élément particulier du
laboratoire. système ou du sous-système.
Diérents courants et écoles de pensée ont proposé des théories permettant
de mieux comprendre les sociétés ou diérents phénomènes sociaux. Les cou-
rants théoriques les plus importants sont issus des travaux de Marx, Durkheim
et Weber.

2.3.1 Le confit social


Le confit social est une école de pensée majeure en sociologie. Ce courant s’ins-
pire de l’analyse de Karl Marx concernant les classes sociales et leur infuence sur
la dynamique des sociétés. L’analyse marxiste a évolué au l du temps pour en
arriver à ne plus se limiter à l’analyse de classe et à inclure d’autres ormes de
rapports de pouvoir et de domination entre diérentes catégories d’humains.
Ces rapports sont parois plus rigides et plus contraignants que ceux qui dé-
nissent les classes sociales. On peut penser à la ségrégation raciale, aux castes ou
à la diérenciation de genre qui, dans certaines sociétés, déterminent entièrement
la place des individus.

Origine et dénition
Karl Marx a une grande infuence en sociologie grâce à sa conception des classes
sociales. Nous présenterons plus en détail cette conception dans le chapitre 7,
mais il est essentiel, pour comprendre la théorie du confit social, de connaître les
principes de la théorie marxiste des classes sociales. Selon Karl Marx, dans la
société capitaliste, les moyens de production sont organisés de telle açon qu’il
existe deux grandes classes sociales qui sont en opposition : la classe des proprié-
taires de ces moyens de production, c’est-à-dire les capitalistes ou la bourgeoisie,
et la classe des exécutants, c’est-à-dire les ouvriers ou le prolétariat. Ces deux
classes sociales, qui existent en dehors des individus parce qu’elles sont le pro-
longement de l’organisation de la vie matérielle, ont des intérêts ondamentalement
opposés et sont en lutte pour l’appropriation du pouvoir et de la richesse. La lutte
entre ces deux grandes classes sociales est, selon Marx, l’enjeu ondamental de la
société capitaliste. Cette dynamique occasionne une orme d’instabilité qui nit
par générer des changements sociaux.

46 parte i La nature de la sociologie


L’approche du confit social retient de l’analyse marxiste l’idée des confits
engendrés principalement par les inégalités entre les classes sociales, et l’ap-
plique à d’autres ormes de confits comme ceux reliés aux rapports entre les
groupes ethniques ou entre les genres. Selon cette approche, les inégalités
découlent d’une répartition injuste, entre les diverses catégories de la popula-
tion, des ressources telles que l’argent ou l’instruction. En général, des
enjeux matériels et de pouvoir se trouvent à la racine d’un confit social.

Les tensions et le changement


L’approche du confit social est une approche macrosociologique qui considère confit soial
la société comme un système caractérisé par les tensions sociales. Ces tensions Approche macrosociologique
trouvent leur origine dans la lutte entre les diérentes classes et les diérents selon laquelle la société est un
groupes de la société pour l’appropriation du pouvoir et de la richesse. Même s’ils système caractérisé par les
s’orientent eux aussi vers la macrosociologie, les sociologues qui adoptent l’ap- tensions sociales, notamment
proche du confit social envisagent la société d’une tout autre manière que les pour l’appropriation du pouvoir
ou de la richesse.
sociologues onctionnalistes. La plupart d’entre eux nourrissent, tout comme Marx,
l’espoir de non seulement comprendre la société, mais encore de contribuer à
réduire les inégalités. L’approche du confit social est donc très préoccupée par le
changement social.
Cette approche souligne le ait que la plupart des modèles sociaux, c’est-à-dire
les attentes qui guident notre conduite, sont utiles à certaines personnes tout en
étant inecaces ou même nuisibles pour d’autres. L’organisation du système
d’éducation en deux réseaux, l’un public et l’autre privé, illustre ce phénomène.
Bien que le réseau privé soit assez accessible au Québec parce que largement
soutenu par des onds publics, il reste que les élèves en provenance de milieux
déavorisés y ont peu accès. L’existence même de ces deux réseaux pose la ques-
tion de l’accessibilité à l’éducation et de l’égalité des chances selon les moyens
nanciers dont on dispose. Dans la plupart des cas, l’école publique est jugée de
moins bonne qualité que l’école privée et cet écart a pour eet de contribuer à
maintenir les inégalités entre les classes sociales.
Pour les élèves qui proviennent de milieux avorisés, l’organisation du système
scolaire est très ecace et permet d’accroître leurs chances de réussite sociale
alors que pour les élèves en provenance de milieux déavorisés, il peut constituer
un obstacle. Les sociologues qui adoptent l’approche du confit social cherchent
à découvrir les oppositions et les inégalités qui
règnent dans la société. Les possédants et les
puissants essaient de protéger leurs privilèges en
déendant le statu quo. Or, les pauvres et les
« sans-pouvoir » tentent de contrer cette situation
en réclamant une distribution plus équitable des
ressources. Diérentes ormes de tensions et de
confits peuvent être analysées à l’aide de la
lunette du confit social : classes sociales, rap-
ports de genre, rapport entre groupes ethniques,
etc. Toute situation dans laquelle un groupe en
domine un autre, ou présentant un rapport de
orce inégal, peut être analysée selon cette
approche. Les confits sociaux, qui se maniestent
souvent sous orme de grèves, de revendications
éministes ou révolutionnaires, sont le résultat
des tensions sociales entre groupes qui s’a-
rontent pour obtenir la liberté ou encore pour
déendre leurs intérêts ou leurs droits.

chapitre 2 Les théories sociologiques 47


2.3.2 Le onctionnalisme
Les sociologues proposent diérentes visions de la société. Certains analysent ce
qui provoque le changement et ce qui oppose les individus, comme on l’a vu avec
l’approche du confit social, alors que d’autres mettent l’accent sur les acteurs de
stabilité et sur ce qui rassemble les membres d’une société. Le onctionnalisme
est un courant de pensée important de la sociologie qui analyse la société globa-
lement et qui réféchit sur sa cohérence interne.

Origine et défnition
L’approche onctionnaliste désigne un courant de pensée qui provient de l’anthro-
pologie culturelle anglo-saxonne. Cette approche, qui est née vers 1920, s’est déve-
loppée selon trois grandes tendances (onctionnalisme absolu, onctionnalisme
relativisé et structuro-onctionnalisme) jusque dans les années 1970. Les noms de
deux sociologues états-uniens, Robert King Merton (1910-2003) et Talcott Parsons
(1902-1979), sont associés à ce courant de pensée.
fonctonnalsme Les sociologues onctionnalistes s’orientent surtout vers la macrosociologie.
Approche macrosociologique Le fonctionnalisme insiste sur la açon dont les diérentes parties de la société
qui voit la société comme un s’organisent entre elles pour maintenir la stabilité. Chacune de ces parties a un
système composé de parties rôle ou une onction dans la bonne marche de l’ensemble du système social.
fortement liées entre elles et
relativement stables, qui ont Ce courant de pensée découle en partie de la vision de Durkheim, qui s’est lui-
chacune un rôle à jouer pour même inspiré de la biologie et qui considère que la société peut se comparer à un
assurer le fonctionnement de organisme comme le corps humain. Ce dernier est composé de plusieurs organes,
l’ensemble de la société. comme le cœur et le oie, qui remplissent une onction précise pour la survie de
l’organisme. Comme le corps humain, la société est un organisme social composé
de plusieurs parties qui ont une onction nécessaire à sa survie. Les besoins on-
damentaux de la société, comme le renouvellement de la population, l’enseigne-
ment ou la production des biens et des services, sont comblés par des institu-
tions sociales telles que la amille, le système d’éducation et le système
économique. Pour un onctionnaliste, la société est une organisation sociale qui
se compose de l’ensemble des institutions sociales.
Un sociologue onctionnaliste qui observe les individus en société sera rappé
par le ait que des personnes très diérentes ont des comportements semblables.
Pourquoi des emmes telles qu’une Québécoise, une États-Unienne et une
Ontarienne, issues de diverses classes sociales, ont-elles tendance à réquenter
les mêmes secteurs d’études à l’université et à éviter les acultés de sciences phy-
siques ? Qu’est-ce qui les incite à adopter le même comportement ? Le sociologue
onctionnaliste répondra que c’est parce que le Québec, les États-Unis et l’Ontario
ont une organisation sociale semblable.

L’analyse de l’organisation sociale et des institutions sociales


Nous avons vu dans le chapitre 1 que les sociétés empruntent diérentes straté-
gies pour résoudre les problèmes posés par la vie collective. Elles créent des orga-
nisations et des institutions articulées entre elles qui orment un arrangement qui
foncton socale leur est propre. Pour les onctionnalistes, la amille, la religion et les systèmes
Effet que provoquent politique et économique constituent les principales institutions sociales. Chacune
les différentes institutions de ces composantes de l’organisation sociale possède des fonctions sociales,
sociales sur le fonctionnement soit des eets qu’engendrent les diverses institutions sociales sur le onctionne-
de la société. ment de l’ensemble de la société.
foncton maneste Robert King Merton (1910-2003), l’éminent sociologue onctionnaliste états-
Effet recherché par les membres unien, distingue les onctions maniestes des onctions latentes à l’intérieur d’une
de la société. organisation sociale. Les fonctions manifestes d’une organisation sociale sont

48 parte i La nature de la sociologie


les eets qui ont été sciemment recherchés par les membres de la société, alors fonton latente
que les fonctions latentes sont des eets qui n’avaient pas nécessairement été Effet qui est en grande partie
voulus au départ. Pour illustrer ces notions, prenons le simple cas d’une maison non recherché par les membres
dans notre société. La onction manieste de la maison consiste à abriter des per- de la société.
sonnes contre les diverses conditions extérieures et à leur ournir un lieu d’inti-
mité. Cependant, la maison présente plusieurs onctions latentes. Ainsi, une dysonton soale
grande maison uniamiliale dans un quartier cossu de la ville devient un symbole Conséquence indésirable de
d’appartenance à une classe supérieure. On n’achète donc pas une maison uni- l’organisation sociale qui peut
quement pour s’abriter. Plus ou moins consciemment, on pourrait aussi l’acheter dérégler un système social et en
pour le statut social qu’elle est susceptible de nous conérer. ébranler la stabilité.
Merton considère cependant que certains éléments d’une organisation sociale
engendrent une orme de dysonctionnement – c’est-à-dire un onctionnement
irrégulier ou anormal – de la société. Les dysfonctions sociales ont
des eets qui peuvent dérégler un système social et en ébranler la
stabilité. La surconsommation constitue une dysonction sociale
générée par le système économique actuel. Touteois, devant le pro-
blème du gaspillage et de l’utilisation excessive des ressources mon-
diales, une prise de conscience s’est eectuée et divers moyens sont
préconisés pour ramener une certaine stabilité, par exemple une
consommation plus responsable, adopter une orme de simplicité
volontaire ou encore privilégier l’achat local.
L’approche onctionnaliste a exercé une infuence proonde sur la
sociologie et en particulier sur la sociologie états-unienne. Touteois,
elle a été critiquée à compter des années 1960. Les tenants de l’ap-
proche marxiste et du confit social lui ont en eet reproché d’idéa-
liser le onctionnement de la société et de sous-estimer les inégalités
dues au sexe, à la classe sociale ou à l’ethnicité. En outre, on critique
aussi l’approche onctionnaliste parce qu’en mettant davantage l’ac- Pour les fonctionnalistes, la surconsommation
est une dysfonction sociale créée par le système
cent sur la stabilité et l’intégration que sur le changement, elle
économique actuel.
contribue à maintenir en place un système ondé sur les inégalités.

2.3.3 L’interactionnisme
Contrairement aux deux approches qui précèdent, l’interactionnisme a une orien-
tation microsociologique qui l’amène à se ocaliser sur des groupes ou des caté-
gories d’individus. L’une des préoccupations des interactionnistes est l’infuence
réciproque que les individus exercent les uns sur les autres dans des milieux
sociaux particuliers et restreints.

Origine et défnition
Bien que la sociologie compréhensive de Max Weber soit perçue comme l’ancêtre interatonnsme
de l’interactionnisme, ce courant de pensée est d’origine états-unienne. Il est né Approche microsociologique
entre les deux guerres et s’est développé en opposition avec les théories sociolo- permettant de comprendre les
giques qui perçoivent l’individu comme étant déterminé par la structure sociale. multiples formes de rapports
L’interactionnisme privilégie l’individu et son aptitude à donner un sens aux situa- entre les individus.
tions qu’il rencontre. Les sociologues Erving Goman, George Herbert Mead et
Charles Horton Cooley (voir le chapitre 4) sont les principaux représentants de ce
courant de pensée. L’intérêt que les sociologues portent actuellement à la vie quo-
tidienne s’inscrit dans ce courant.
La macrosociologie tente de dévoiler les grandes structures de la société,
tandis que la microsociologie montre les rapports entre les individus. Ceux-ci ne
vivent pas dans un système social abstrait. Ainsi, l’interactionnisme a su montrer

chaptre 2 Les théories sociologiques 49


que la société constitue avant tout la somme des nombreuses expériences que
les êtres humains vivent quotidiennement entre eux.
Comment la vie quotidienne des êtres humains est-elle à la base de la société ?
La réponse à cette question, qui sera examinée en détail dans le chapitre 4, réside
dans le ait que les individus expérimentent la vie par le truchement de la signif-
cation symbolique qu’ils donnent au monde.

L’individu et la société
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 1, les interactionnistes donnent aux indi-
vidus un rôle prépondérant dans la construction de la société. À l’opposé de la
conception déterministe, les tenants de l’individualisme méthodologique croient
que pour comprendre les phénomènes sociaux, il aut partir des individus (Assogba,
1999). Goman concevait la société comme une sorte de pièce de théâtre où chacun
joue son rôle, une sorte de société-drame (Berger, 1973). De ce point de vue, la
société, au lieu d’asservir les individus, ait place à l’improvisation de chacun. En
ait, la plupart du temps, les individus collaborent volontairement
à la vie sociale. Tout système a besoin de ses participants pour se
maintenir, et tous doivent jouer le jeu. Cependant, il est possible
de jouer ce rôle sans y adhérer et sans accepter la signifcation que
la société lui reconnaît, surtout dans une situation imposée (Berger,
1973). Pour les interactionnistes, les acteurs sociaux sont actis et
disposent d’une orme de libre arbitre qu’on peut difcilement leur
enlever. La signifcation et le sens que les individus conèrent aux
gestes et aux interactions quotidiennes constituent des éléments
clés de la conception interactionniste de la vie sociale.
Dans notre société, les individus répondent rarement de açon
spontanée aux messages émis par les autres. Par exemple, cer-
taines personnes baisseront la tête pour éviter de croiser le regard
d’un skinhead ou n’iront pas s’asseoir à côté d’une personne d’un
autre groupe ethnique dans le métro. La plupart du temps, les indi-
vidus réagissent aux autres en se ondant sur la signifcation
La société peut être considérée comme une sorte subjective de ce qu’ils perçoivent. Dans cette perspective, l’inter-
de pièce de théâtre où chacun joue son rôle, de
action et la communication avec l’autre de même que le sens donné
manière parfois codée, parfois improvisée.
à cette communication sont au cœur du lien social.
L’approche interactionniste montre d’ailleurs à quel point les perceptions des
individus sont variées, voire opposées. Ainsi, devant une jeune de la rue qui
demande de l’argent, un passant sera âché qu’elle ne travaille pas puisqu’elle
semble en bonne santé, tandis qu’un autre passant considérera que si elle mendie,
ce n’est certes pas par plaisir, mais plutôt parce qu’elle a besoin d’aide.
Le sociologue états-unien George Herbert Mead (1863-1931) a mis en lumière le
ait que la personnalité commence à se développer après la naissance seulement,
lorsque l’individu entre en relation avec les autres. Mead afrmait également que
l’image de soi d’un individu est largement conditionnée par sa capacité d’ima-
giner la réaction des autres. Pour ce sociologue, l’interaction sociale est un
échange défni par trois composantes : le geste d’une personne, la réaction d’une
deuxième personne à ce geste et l’achèvement de l’acte commencé par le geste de
la première personne. Les sociologues interactionnistes ont placé l’échange au
cœur de leur étude du comportement social. Ils se sont penchés sur le ait que
l’échange implique un gain et une perte. Par exemple, certains sociologues ont
voulu savoir dans quelle dynamique s’inscrivent les réquentations des jeunes.
Ainsi, ils ont découvert que lorsque les jeunes recherchent une personne en vue
d’une union, ils désirent recevoir autant qu’ils donnent, que ce soit sur le plan

50 parte i La nature de la sociologie


Réseau De concepts Les ourants soiologiques lassiques

Courants sociologiques
classiques

caractérisés par deux


types d’approches

Microsociologique Macrosociologique

Interactionnisme Fonctionnalisme Conit social

selon lequel la société selon lequel la selon lequel la société


s’intéresse aux est caractérisée par
constitue la somme des société est une

Interactions Interactions entre Organisation


Inégalités Tensions
quotidiennes les individus sociale

constituant la auxquelles ils composée de


conèrent une l’ensemble sont une entre
des source de
Base de Signifcation
la société symbolique et Institutions Changement
un sens sociales social

peuvent possédant Dominés Dominants


engendrer chacune leur
des

Dysonctions Fonction
sociales sociale

nuisant à avorisant

Intégration et
stabilité sociale

physique, social ou intellectuel. Également, des recherches menées aux États-


Unis (Myers et Lamarche, 1992) démontrent que les membres d’un couple ont
habituellement des attraits comparables sur les plans intellectuel et physique.
Former un couple ou se marier peut être vu comme un échange entre deux per-
sonnes qui tentent d’obtenir le maximum de leurs atouts respectifs.
La communication, l’échange, l’interaction, la rationalité, le sens donné aux
actions, les symboles sociaux et le libre arbitre sont des concepts importants de
l’approche interactionniste. Dans cette perspective théorique liée à l’individua-
lisme méthodologique, la société part des individus, elle se construit de bas en

chapitre 2 Les théories sociologiques 51


haut (bottom up) plutôt que de haut en bas (top down), comme le conçoivent les
déterministes (Assogba, 1999).
L’encadré 2.2 illustre comment on peut observer le phénomène du sport dans
notre société à l’aide des trois approches sociologiques.

encadré 2.2 APPlicAtion thÉorique

Les trois approches à l’œuvre : une analyse sociologique du sport

Le sport est un élément très important de la vie sociale ;


presque tous les individus s’adonnent à un moment ou l’autre
à une activité sportive. Le sport est une industrie majeure qui
représente plusieurs centaines de millions de dollars annuelle-
ment. Des millions de personnes assistent régulièrement à di-
érents événements sportis et plusieurs chaînes de télévision
y sont exclusivement consacrées.
Le onctonnalsme : à la recherche des onctons du sort
L’analyse onctionnaliste du sport porte sur les onctions qu’il
remplit dans la société en général. Sa onction manieste
consiste à permettre une orme de loisir ; il constitue un excel-
lent moyen d’améliorer la orme physique de la population. De
plus, le sport a des onctions latentes majeures, qui vont du
développement des relations sociales à la création de milliers
coûte cher, et de ce ait, est accessible seulement aux per-
d’emplois. En ait, une de ses principales onctions latentes
sonnes les plus nanties de la société. Certains clubs de gol
est peut-être de proposer aux individus des modèles d’atti-
maintiennent une politique d’accès tellement restrictive qu’ils
tudes et de comportements qui contribuent au meilleur onc-
deviennent des lieux de rencontre réservés à une classe pri-
tionnement de la société. Par exemple, la discipline et les
vilégiée. Même les sports pratiqués par un grand nombre de
eorts nécessaires à la pratique d’un sport sont aussi utiles
personnes, comme le ski ou le hockey, demeurent difcile-
dans les autres secteurs de la vie sociale. La capacité de tra-
ment accessibles aux personnes les plus pauvres. De même,
vailler en équipe en respectant les règles du jeu est également
la participation à des compétitions internationales comme
une habileté qu’il permet de développer.
les Olympiques dépend directement des ressources fnan-
Touteois, le sport peut aussi engendrer des dysonctions cières des individus. En outre, le sport est une activité
sociales. Ainsi, aux États-Unis, des collèges et des universités dominée par les hommes. Une orme de discrimination
désirent tellement posséder des équipes gagnantes qu’ils ondée sur le genre a traditionnellement limité la participa-
recrutent certains élèves sur la base de leurs aptitudes phy- tion des emmes à la plupart des sports proessionnels, et
siques et non sur leurs aptitudes intellectuelles. Cette situa- ce, même si elles avaient le talent, l’intérêt et les moyens.
tion encourage des athlètes à accorder moins d’importance à Les emmes sont toujours exclues des sports les mieux rému-
leurs études même si très peu d’entre eux ont les qualités nérés et les plus prestigieux. En somme, l’approche du conit
nécessaires pour accéder au niveau proessionnel. Une autre social montre comment la pratique du sport est empreinte
dysonction résulte du surentraînement des athlètes. Ce qui d’inégalités sociales.
doit être une activité saine devient source de problèmes chro-
niques de santé et peut même causer la mort. L’analyse onc- L’nteractonnsme : à la recherche des ercetons
ndvduelles du sort
tionnaliste révèle notamment que le sport met de l’avant deux
valeurs dominantes de notre société : la compétition et le Un événement sporti est aussi un ensemble complexe d’inter-
succès personnel. actions sociales. Dans une certaine mesure, le comportement
des participants est guidé par la position qu’ils occupent et
Le conft socal : à la recherche des négaltés dans le sort par les règles du jeu. Touteois, dans le sport, comme dans
L’analyse du sport à l’aide de l’approche marxiste ou du toutes les activités humaines, s’exprime la spontanéité des indi-
conit social dévoile d’entrée de jeu que tous n’ont pas accès vidus. Pour cette raison, chacun des matchs est unique, et nul
aux mêmes sports. Ainsi, la pratique du gol ou du ski alpin ne peut en prédire l’issue. Selon l’approche interactionniste, le

52 parte i La nature de la sociologie


sport est une activité qui s’inscrit dans un processus vivant ; ce les activités sportives sont simplement un moyen de se faire
n’est pas un « système » abstrait. des amis ou de se maintenir en bonne forme physique.
Chacun des participants a une représentation particulière du L’approche interactionniste fait place au sens que les individus
monde du sport. Tous ne réagissent pas de la même façon à donnent à leurs actions parce qu’elle pose en principe que les
une situation de compétition. Pour les personnalités très com- individus sont des sujets conscients. Les représentations indi-
pétitives, la pression qui accompagne le sport peut accroître viduelles du sport contribuent à en expliquer l’importance
leur motivation à se dépasser. Certaines personnes font même dans notre société.
du sport pour avoir l’occasion de rivaliser avec les autres et Question
d’atteindre leurs objectifs. Cependant, une pression excessive
Démontrez que le sport n’est pas accessible à tous d’une
peut nuire à la performance. D’autres le font par plaisir du jeu
manière équitable et nommez quelques dysfonctions du sport.
et ne ressentent pas le besoin de gagner. Pour d’autres, encore,

Faites Le point

7. Distinguez « onctions maniestes », « onctions latentes » et « dysonctions ».


8. Nommez les caractéristiques de la dynamique sociale qui intéressent
particulièrement les sociologues utilisant l’approche du confit social.
9. Nommez une caractéristique propre à l’approche interactionniste.

2.4 Des courants de pensée contradictoires


ou complémentaires ?
Les diérents courants de pensée et théories en sociologie sont-ils contradictoires ?
Existe-t-il des courants présentant une valeur explicative plus grande qu’un autre ?
Dans la plupart des sciences, il existe des écoles de pensée ou des théories qui ne
ont pas l’unanimité dans la communauté scientique concernée. Par exemple, en
sociologie, la question du déterminisme et de la place du libre arbitre ne ait pas
l’unanimité (voir le chapitre 1). De même, la théorie onctionnaliste et celle du
confit social ne sont pas à l’abri des critiques.

2.4.1 Des thèses contradictoires en apparence


Les apparentes contradictions entre les écoles de pensée peuvent parois trouver
une orme de réconciliation dans de nouveaux courants qui adoptent des points de
vue moins campés sur ces questions théoriques. C’est le cas de l’interdépendance
et de la perspective éministe. On peut penser au sociologue américain C. Wright Mills
(voir l’encadré 2.3, page suivante) qui, se sentant mal à l’aise avec la sociologie onc-
tionnaliste américaine, a emprunté des pistes de réfexion originales, très édiantes.
Dans ses ouvrages sur les cols blancs et la classe moyenne américaine (1951) et sur
le pouvoir des élites (1956), il analyse la classe moyenne un peu à la manière du confit
social, mais il traite également des dicultés plus psychologiques ressenties au quo-
tidien par les cols blancs. En ce qui a trait à la classe dominante, il montre qu’à l’inté-
rieur de cette classe, l’élite qui contrôle le « complexe militaro-industriel » américain
détient le véritable pouvoir sur la société états-unienne. Cette manière originale d’ana-
lyser la société peut être associée à l’approche de Marx et au confit social, mais aussi
à une orme de sociologie compréhensive plus proche de celle de Weber. Elle a donné
lieu à une œuvre marquante et incontournable de l’histoire de la sociologie.

chapitre 2 Les théories sociologiques 53


encadré 2.3 Sociologue en Action

Charles Wright Mills (1916-1962)

Charles Wright Mills est une fgure parois valu à Mills d’être marginalisé dans sa carrière. En ce
marquante de la sociologie améri- sens, son étude sur l’élite du pouvoir conteste certaines idées
caine. Il s’intéresse à l’étude de sa liées aux valeurs ondatrices de la société états-unienne, à
propre société, notamment avec ses savoir la présence d’une réelle mobilité sociale.
ouvrages White Collar : The American
Mills ne conçoit pas l’élite comme une classe sociale en soi. Il
Middle Classes (1951) et The Power
considère plutôt qu’il existe plusieurs « élites de classe »,
Elite (1956).
essentiellement constituées de ceux qui commandent aux
Il s’inscrit dans le courant de la socio- prises de décision sur les plans politique, économique et mili-
logie critique, courant qui incite à une taire (Derivry, s.d.). Or, on assiste selon lui à une convergence
prise de position intellectuelle ondée sur une réexion scienti- de ce « triangle du pouvoir ». Celui-ci se centralise, les ron-
fque. Cette approche s’intéresse particulièrement à l’étude, sur tières entre ces diérents champs du pouvoir étant de plus en
le plan empirique, des réalités sociales contemporaines et de plus perméables, tout en restant généralement ermé aux
leurs conséquences culturelles, économiques, politiques, etc. Il apports extérieurs. Dès lors, les diérentes élites combinent
en découle que Mills est un sociologue engagé qui considère que leurs orces pour dominer. Il n’y a donc pas de véritable mobi-
la sociologie doit être un outil de changement social permettant lité, mais plutôt des échanges et des glissements de plus en
de voir au-delà des apparences et de lutter contre les préjugés. plus réquents entre ces divers pôles, donnant lieu à une élite
de plus en plus homogène.
Ses nombreux travaux ont suscité plusieurs controverses.
Dans son célèbre ouvrage L’imagination sociologique (1959), il Sa vision se onde sur l’idée qu’une minorité de personnes
critique surtout la sociologie américaine de son époque, l’ac- détient le pouvoir au sein d’une société et que cette société,
cusant de conservatisme et de ausse impartialité. Il reproche tout comme son parcours, s’explique par les intérêts de cette
à certains de ses pairs de verser dans la « suprême théorie », minorité dominante. Mills dénonce cet état de ait, afrmant
ayant recours à un jargon sociologique hermétique, se conten- que la vie démocratique s’en ressent. Le débat public se res-
tant de recherches purement ormelles et abstraites ne per- treint ainsi à une simple exposition des opinions des élites, ne
mettant pas de mener à des analyses concrètes des réalités laissant pas de place à l’expression du peuple et d’une véri-
sociales. À l’opposé, il condamne également ceux qui tombent table opinion publique.
dans ce qu’il qualife d’« empirisme abstrait » : un positivisme
Quoique sa démarche soit ondée sur la sociologie compré-
qu’il juge absurde parce qu’axé uniquement sur la méthode et
hensive de Weber, son analyse lui vaudra d’être considérée par
aisant abstraction de la réexion ondamentale et de la com-
plusieurs comme ranchement de gauche et s’inscrivant dans
préhension critique.
le courant marxiste, ce dont il s’est toujours déendu. Il
Ses prises de position, parois radicales et souvent cho- demeure que ses travaux ont largement inspiré les théories
quantes pour la société de l’époque (notamment son essai sociologiques du conit dans les États-Unis d’après-guerre
Listen, Yankee : The Revolution in Cuba paru en 1960), ont (Garner, 2010, p. 338-339).

L’interdépendance
L’approche dite de l’interdépendance, mentionnée dans le chapitre 1, peut constituer
un autre exemple de rapprochement entre diérents courants. Cette manière d’aborder
les questions sociologiques n’envisage plus les rapports entre l’individu et la société
comme étant totalement le résultat du déterminisme social ou au contraire, du libre
arbitre des individus. Les sociologues qui adoptent le point de vue de l’interdépen-
dance réconcilient d’une certaine manière les approches déterministes et celles asso-
ciées à l’individualisme méthodologique. L’interdépendance est un exemple d’analyse
sociologique qui dépasse la contradiction apparente entre les écoles de pensée.
Norbert Élias utilise l’analogie du flet pour aire comprendre les liens qui se tissent
entre l’individu et la société (Campeau, 2007). Cette perspective admet l’idée que la
société contribue à mouler l’individu et à déterminer sa place, mais elle admet égale-
ment que l’individu joue un rôle dans la manière de se représenter ce qui est attendu

54 parte i La nature de la sociologie


de lui. Les penseurs qui travaillent sur l’individualisation des sociétés, comme
Ehrenberg, laissent voir l’interaction entre le cadre social et les choix personnels ;
comment l’individu ait siens et interprète les codes sociaux, comme il le montre dans
son livre La atigue d’être soi (1998). Dans ce type d’approche, la marge de liberté des
individus et la capacité de modier, consciemment ou non, les trajectoires indivi-
duelles et collectives sont davantage reconnues.

L’approche féministe
Un autre exemple de courant qui chevauche diérentes perspectives analytiques
d’une manière complémentaire est celui de la perspective éministe (voir le
chapitre 9). Ce courant de pensée important, porté par un mouvement social inno-
vateur, a orcé une réfexion sur les écoles classiques de la sociologie. Des sociolo-
gues éministes, comme la Canadienne Dorothy E. Smith (1977), ont démontré les
limites de la sociologie marxiste tout en en conservant les éléments pertinents. La
vision éministe des rapports de genre a obligé les tenants d’une approche marxiste
stricte, pour qui les classes sociales constituaient la seule analyse valable de la domi-
nation, à revoir leur position. Les éministes ont jeté un regard novateur sur la vie
privée, plus microsociologique, notamment par des études sur la violence conjugale
ou sur le viol. Elles ont mis en évidence le caractère social des rapports au sein de
la amille en dénonçant la violence privée. Elles ont analysé ces aits sociaux comme
l’expression du rapport de domination entre les hommes et les emmes. Susan
Brownmiller, éministe américaine, dans son œuvre Le Viol (1976), a montré d’une
manière magistrale la mécanique de contrôle social (voir le chapitre 6) à l’œuvre der-
rière le viol. Dans les situations de guerre, il constitue une orme d’attaque particu-
lière qui illustre les rapports de domination et de propriété des hommes sur les
emmes. Cette étude importante ait en outre la démonstration qu’en maintenant
les emmes en état de peur, l’agression sexuelle constitue un moyen d’intimidation
qui assoit la domination de tous les hommes sur toutes les emmes. La mécanique
de socialisation des genres (voir les chapitres 4 et 9) a également été analysée avec
brio dans le cadre d’œuvres célèbres réalisées par des sociologues comme Élena
Gianini Bellotti (Du côté des petites flles [1973]) ainsi que Georges Falconnet et Nadine
Leaucheur (La abrication des mâles [1977]). Au Québec, Francine Descarries, l’une
des pionnières de la sociologie éministe québécoise, dans L’école rose… et les cols
roses (1980), analyse le même phénomène. Ce courant en sociologie illustre la perti-
nence d’étudier une question à l’aide de diérentes approches. L’étude d’un même
phénomène à l’aide de plusieurs théories permet de saisir celui-ci sous plusieurs
angles et de dégager des points de vue souvent complémentaires.

2.4.2 Des perspectives souvent complémentaires


En somme, les diérents courants et écoles de pensée orent des perspectives qui
mettent en valeur des aspects souvent complémentaires de la réalité étudiée, tout en
conservant une approche sociologique. Chaque courant accentue une dimension de
la réalité qui peut parois être dicilement perceptible à partir d’un autre éclairage.
Selon le sociologue québécois Guy Rocher (1993), les sociologues contempo-
rains ne peuvent plus se cantonner dans une seule école de pensée. La multipli-
cation des théories montre selon lui la limite de chacune. On se rend compte
désormais que la réalité sociale est trop complexe pour être enermée dans une
seule vision. De la même açon, il aut reconnaître, selon ce sociologue, que la
perspective sociologique a elle-même ses limites, car elle ore une seule manière
de voir la réalité sociale, qui est pourtant complexe. D’autres disciplines, comme
l’histoire, l’économie et la politique apportent des contributions essentielles pour
cerner diverses acettes d’une question ou d’un problème de société.

chapitre 2 Les théories sociologiques 55


Le tableau 2.1 présente une synthèse des principaux courants théoriques qui ont
marqué l’évolution de la pensée sociologique. Comme nous l’avons vu avec l’ana-
lyse du sport, pour cerner le même phénomène à l’aide de trois points de vue, il aut
poser des questions diérentes et interpréter diéremment les réponses. Touteois,
ces distinctions ne signifent pas qu’une approche soit plus « vraie » qu’une autre.
Chacune de ces approches attire notre attention sur des dimensions particulières
d’un phénomène social complexe. Les études en provenance de divers courants de
pensée ou disciplines des sciences humaines se complètent souvent de açon
remarquable et orent des analyses plus globales et systématiques.

tblu 2.1 Les rtérstques des rux ourts théorques e soologe


Fonctionnalisme Confit social Interactionnisme Féminisme
nveu d’lyse • Macrosociologique • Macrosociologique • Microsociologique • Macrosociologique et
microsociologique
coets lés • Fonctions manifestes • Inégalités • Symboles • Point de vue
• Fonctions latentes • Classes sociales • Interaction féministe
• Dysfonctions • Tensions • Communication • Rapports de genre
• Intégration • Rapports dominants/ • Rôles • Oppression
dominés • Rationalité • Action politique
• Changement • Libre arbitre • Changement

coeto • Déterminisme : • Déterminisme : • Individualisme • Déterminisme :


des rorts l’individu est socialisé l’individu est soumis méthodologique : l’individu est socialisé
dvdu et à occuper des rôles à un contrôle social l’individu intègre des selon divers rôles :
soété qui lui permettent de coercitif. symboles sociaux et genre, classe,
s’intégrer à la société. construit son rapport ethnicité, âge,
à la société. orientation sexuelle…
Vso du • Prévisible, renforce- • Le changement est • Apparaît dans le point • Nécessaire pour
hgemet ment du système permanent et peut de vue des individus engendrer une
sol établi avoir des effets sur la société et dans société égalitaire.
positifs. leurs communications
avec les autres.
alyse tyque • La punition publique • L’État et le système • Les individus se • La violence
sert à renforcer judiciaire renforcent conforment aux lois conjugale, le viol
l’ordre social. la position de la ou y désobéissent, et la dépendance
classe dominante. en fonction de leur économique sou-
expérience personnelle tiennent l’oppression
de vie. et doivent disparaître.
Source : Adapté de Richard T. SHEAFFER (2005). Sociology. A Brief Introduction, McGraw–Hill Ryerson, p. 16.

Faites Le point

10. Donnez un exemple de courant théorique qui recoupe deux écoles de


pensée.
11. Expliquez en quoi les diérents courants de la sociologie peuvent
être réconciliés.
12. Expliquez pourquoi il est souhaitable d’analyser un aspect de la
société à l’aide de plus d’un courant théorique ou de plus d’une
discipline scientifque.

56 prte i La nature de la sociologie


Résumé
1. La sociologie comme discipline scientifque date l’origine de la lutte entre les diérentes catégo-
de la fn du xixe siècle. Elle a été ortement ries de personnes. Les conits sociaux pro-
inuencée par le contexte des révolutions poli- voquent le changement.
tique, industrielle et scientifque. Elle est héritière
des humanistes et des penseurs du Siècle des 5. L’approche onctionnaliste considère que la
Lumières. Les ondateurs de cette discipline vou- société est un système composé de parties sou-
laient constituer un savoir qui permettrait à la ois dées les unes aux autres et relativement stables.
de comprendre le monde dans lequel ils vivaient, Chacune de ces parties a une onction à remplir
en proie à de proonds bouleversements, et de pour la bonne marche de la société dans son
résoudre les problèmes sociaux de leur époque. ensemble. Les onctionnalistes voient la société
comme une organisation sociale qui exerce une
2. La sociologie s’est d’abord développée en grande inuence sur les individus. Ils cherchent
Europe, principalement en France, en Allemagne les éléments qui avorisent l’intégration des indi-
et en Grande-Bretagne. Auguste Comte et Karl vidus et la cohérence sociale.
Marx ont été des précurseurs alors qu’Émile
Durkheim et Max Weber en ont été les principaux 6. L’interactionnisme est une approche microsocio-
ondateurs ; ils représentent des courants de logique qui s’intéresse à l’inuence qu’exercent
pensée encore vivants de nos jours. les individus les uns sur les autres dans divers
milieux sociaux. Cette approche attire notre
3. Plusieurs théories sociologiques aident les attention sur les réponses des individus aux
sociologues à comprendre et à expliquer les phé- messages qu’ils reçoivent des autres. Les sym-
nomènes sociaux. Les trois théories classiques boles sociaux et le sens donné par les individus
qui orent des angles d’analyses sociologiques aux interactions sociales contribuent à défnir
assez diérents sont le conit social, le onction- diérents phénomènes sociaux.
nalisme et l’interactionnisme.
7. De nouveaux courants illustrent la pertinence
4. L’approche du conit social met l’accent sur les d’adopter des points de vue diérents dans
tensions et les conits sociaux qui résultent des l’étude de problèmes de société. L’interdépen-
inégalités présentes dans la société. La réparti- dance et la perspective éministe présentent des
tion inégale, dans la société, des ressources açons innovatrices de théoriser les rapports
comme l’argent, l’éducation et le pouvoir est à entre l’individu et la société.

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 de votre propre société, répondez aux points
suivants :
Vérifez vos connaissances et votre habileté à utiliser
les trois théories sociologiques. D’abord, aites une a) Donnez une ou plusieurs onctions maniestes
brève analyse sociologique des bars dans notre société. et latentes des bars du Québec.
Ensuite, montrez comment chacune des trois théories b) Donnez un exemple de dysonction sociale liée
sociologiques permet d’analyser l’éducation au Québec. à ces bars.
1. une analyse sociologiqe des bars dans notre c) Comment l’approche interactionniste et celle
société du conit social analysent-elles les bars ?
Il existe au Québec plusieurs lieux de rencontre où d) Quels aspects de ces lieux de rencontre pour-
l’on peut consommer de l’alcool tout en s’amu- raient intéresser un sociologue qui adopte cha-
sant. À partir des connaissances que vous avez cune de ces perspectives ?

chapitre 2 Les théories sociologiques 57


2. une analyse sociologiqe de l’édcation Exercice 2
Le système d’éducation, de l’école primaire à l’uni-
À partir d’un phénomène social, tel l’engouement
versité, est une des principales « industries » dans
pour le dernier modèle de téléphone intelligent ou
notre société. À partir des connaissances que un nouveau jeu vidéo, ou de tout autre ait que vous
vous avez de l’éducation au Québec, illustrez la avez observé, défnissez une question de recherche
diérence entre le conit social, le onctionna- qu’un sociologue pourrait avancer pour l’analyser et
lisme et l’interactionnisme. Vous pouvez vous ins- déterminez la théorie que vous jugez la plus perti-
pirer de l’analyse sociologique du sport. nente pour poursuivre votre enquête.

Pour aller plus loin


Volume et ouvrage de référence Sociologie et société, Recherches sociographiques et
Cahiers de recherche sociologique
EHRENBERG, Alain (1991). Le culte de la performance, Paris,
Des revues spécialisées québécoises permettant de suivre
Hachette littératures. les travaux de divers sociologues d’ici.
Dans ce livre, Ehrenberg analyse trois grands domaines de la vie
quotidienne d’une société qui se veut égalitaire et démocra- site Web
tique : le sport, la consommation et la culture entrepreneuriale.
Ce livre ascinant est le premier d’une trilogie portant sur Les classiques des sciences sociales. http://classiques.uqac.ca
l’individualisation de nos sociétés qui, selon cette thèse,
Ce site se veut une bibliothèque numérique présentant de
engendre de plus en plus de problèmes de santé mentale.
nombreux classiques de la sociologie et des sciences sociales
MILLETT, Kate (1971). La politique du mâle, Paris, Stock. d’ici et d’ailleurs. À explorer.
Un classique de la littérature éministe, estimé aussi important The sociological imagination. www.sociologicalimagination.org
que le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Ce livre constitue
Ce site, consacré à la sociologie, tire son nom du célèbre
un jalon marquant de la pensée éministe. L’auteure y déend
ouvrage de Charles Wright Mills. On y retrouve de nombreux
notamment l’idée que la sexualité, généralement jugée comme
articles et résumés de recherches sur une oule de sujets.
une aaire relevant de rapports privés, contient un aspect
À noter : la section « Visual Sociology » oisonne d’images et
politique, d’où le titre anglais Sexual Politics.
de vidéos aussi instructives qu’humoristiques, notamment
WEBER, Max (1959). Le savant et le politique, Paris, Plon. celle intitulée « Making the familiar strange ».
Ce livre reproduit deux conérences, l’une concernant les défs
du métier de « savant » (aujourd’hui, on dirait plutôt le métier
de « scientifque »), et l’autre, de celui de politicien. Il eectue
un lien entre ces deux proessions par les importantes res -
Rendez-vous
en ligne
ponsabilités et les problèmes éthiques qui caractérisent ces
deux vocations. htt://mabblotheque.
chenelere.ca
périodique et journaux

Sciences Humaines, Auxerre, France.


Cette revue rançaise traite de sujets variés d’une manière
intéressante et rigoureuse. Elle constitue une mine de
renseignements utiles pour vos travaux de recherche.

58 parte i La nature de la sociologie


PARTIE II
L’organisation
de La vie sociaLe
3
Chapitre

La cuLture

Objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

de comprendre le sens du mot « culture » ; d’énumérer les principales composantes


d’une culture ;
de nommer les principales caractéristiques
de la culture ; de comprendre les fonctions principales
de la culture.
pLan de chapitre
3.1 Qu’est-ce que la culture ?
3.1.1 Le sens du mot « culture »
3.1.2 La culture individuelle et la culture collective
3.1.3 La sous-culture et la contre-culture
3.2 Les caractéristiques de la culture
3.2.1 Un enracinement dans le quotidien
3.2.2 Une source de stabilité et de changement
3.2.3 Un système organisé
3.2.4 Un acquis et un construit
3.3 Les éléments de la culture
3.3.1 La langue
3.3.2 Les normes : types et fonctions
3.3.3 Les valeurs : caractéristiques et fonctions
3.3.4 Les symboles
3.3.5 Les croyances et les idéologies
3.3.6 Les productions matérielles et artistiques
3.3.7 Les habitus

cOncepts-cLés
• Action créatrice ...... 72 • Habitus ................. 86
• Contre-culture ........ 67 • Idéologie ............... 84
• Coutume ............... 80 • Mœurs .................. 79
• Croyance ............... 84 • Norme ................... 78
• Culture .................. 63 • Norme formelle ...... 78
• Culture collective.... 64 • Norme informelle .... 78
• Culture de masse ... 65 • Reproduction
sociale ..................... 71
• Culture élitiste ....... 65
• Sous-culture .......... 65
• Culture
individuelle ............ 64 • Symbole ................ 83
• Culture populaire.... 65 • Valeur.................... 81
Mise en cOntexte

Dans l’espace médiatique, le sentiment amoureux est présent dans toutes les
représentations ou presque de relations intimes entre les êtres humains. Notre
société accorde une grande importance au sentiment de l’amour romantique,
qu’Edward Shorter dénit comme une relation érotique caractérisée par la
spontanéité (la liberté de choisir, de créer des jeux amoureux) et par l’empa-
thie (le ait de comprendre l’autre) (Shorter, 1981). Si l’amour romantique trans-
pire de toutes parts dans notre quotidien médiatique, notre existence est éga-
lement marquée par d’autres ormes d’amour. Pensons à l’amour maternel et
à l’amour amilial, qui orgent la amille comme lieu de la vie aective.
Or, cette conception du sentiment amoureux sous-estime l’infuence de la
culture sur notre açon d’agir, de penser et même de ressentir les émotions.
En ait, nous aisons l’apprentissage du sentiment amoureux dès la petite
enance. De ce ait, dans bon nombre de sociétés (surtout traditionnelles), si
ce sentiment n’est pas appris, il n’existe pas. Dans un tel cas, hommes et
emmes n’éprouvent pas l’un envers l’autre cette aection intense qui carac-
térise le sentiment amoureux. Par exemple, les Bretons du xviiie siècle, comme
la plupart de leurs contemporains, ne connaissaient pas le sentiment de la
passion amoureuse, du moins pas comme nous le concevons aujourd’hui.
Les hommes et les emmes se liaient par le mariage pour des raisons
pratiques et matérielles, mais le mariage d’amour leur était complètement
inconnu. Dans ce genre de sociétés, l’homme cherchait une emme en
bonne santé pour assurer le travail domestique et lui donner des enants
aptes à travailler la terre. Le sentiment amoureux se serait répandu dans la
culture occidentale vers la n du xviie siècle dans les villes (Shorter, 1981),
époque où naissent le romantisme et la passion amoureuse entre les
hommes et les emmes. Puis, cette tendance n’a cessé de croître avec l’in-
dustrialisation et la valorisation de la vie privée. Les jeunes vivant dans
les villes se sont aranchis des contraintes sociales que constituaient les
parents, la religion et, surtout, la communauté villageoise, et ont choisi
librement leur amoureux ou amoureuse.
Ainsi, l’amour entre deux personnes n’est pas un sentiment naturel ; c’est
un produit de la société. Par conséquent, le sentiment amoureux varie
d’une époque à une autre : presque absent dans les sociétés traditionnelles,
il est devenu romantique et usionnel dans la société moderne, avant de
se dénir par la satisaction d’un bonheur individuel dans la société
contemporaine.

Est-il possible de vivre sans amour ?


Peut-on apprendre à aimer, mais aussi à ne pas aimer ?
L’amour peut-il être diérent d’une société à une autre ?

62 par ii L’organisation de la vie sociale


L
’amour est un exemple de phénomène qui, tout comme l’intelligence,
la démarche, l’habillement, l’alimentation, l’obéissance à l’autorité
ou la politique, illustre le ait que la plupart des habitudes de vie ne
relèvent pas de la « nature », mais sont conditionnées par la « culture ».
Dans ce chapitre, nous défnirons d’abord la notion de culture
en général et ce qui est culturel dans la vie des individus. Seront ensuite dis-
tinguées les notions de culture individuelle, plus « circonscrite », et de culture
collective, plus « diuse » et parois insaisissable, puis celles de culture d’élite,
de culture de masse et de culture populaire. Une culture est-elle homogène
en tout temps et en tout lieu ? Nous nous attarderons aux caractéristiques qui
s’y rattachent, aux principaux éléments qui la composent et à ses principales
onctions, c’est-à-dire à quoi sert la culture, au sein d’un groupe social.

3.1 Qu’est-ce que la culture ?


Dans la langue de tous les jours, on entend souvent dire qu’une personne est « très
cultivée » ou qu’elle possède une « grande culture ». Dans ces expressions, le
concept de culture renvoie à la compétence d’une personne dans le domaine des
arts et des lettres ou encore à ses connaissances générales, encyclopédiques ou
philosophiques. Ce sens usuel du mot « culture » n’est pas celui qui intéresse la
sociologie et les sciences sociales en général.

3.1.1 Le sens du mot « culture »


Le concept de culture est central dans l’analyse sociologique, d’où l’importance
de s’interroger sur sa défnition. Le mot, sans en aire l’étymologie complète, aisait
réérence au départ à l’activité humaine au sens large, et principalement dans le
domaine de l’agriculture. Cicéron (106 à 43 av. J.-C.), philosophe et poète romain,
ut le premier à appliquer le mot « culture » à l’être humain en regard de la connais-
sance acquise. Par la suite, l’emploi du mot s’est progressivement élargi à l’en-
semble des êtres humains. Puis, il a été récupéré de bien des açons par divers
courants philosophiques, anthropologiques et sociologiques. Aujourd’hui, les
usages de ce terme sont multiormes : culture physique, culture d’entreprise, etc.
En sciences sociales, aucune des nombreuses défnitions du concept de culture
ne ait l’objet d’un consensus. Deux ethnologues états-uniens, Alred Louis
Kroeber (1876-1960) et Clyde Kluckohn (1905-1960), ont dressé un inventaire des
multiples utilisations du concept de culture depuis le xviiie siècle, époque à
laquelle il est apparu dans les sciences humaines (1952). Dans leur ouvrage,
devenu célèbre, les deux chercheurs ont relevé plus d’une centaine de signifca-
tions distinctes.
Dans le présent ouvrage, nous défnissons la culture comme étant la totalité de culture
ce qui est appris, transmis, produit et créé par la société. Ainsi, la culture com- Ensemble des productions
porte des éléments de stabilité (ce qui est appris et transmis) et des éléments de créées et des comportements,
changement (ce qui est produit et créé). Cette défnition très large de la culture normes et valeurs appris et
inclut les coutumes, les croyances, les connaissances, la langue, les idées, les transmis par la société.
valeurs, les lois, les habitus ainsi que les structures et le type d’organisation
d’une société, et sa production matérielle, comme les outils ou les produits indus-
triels. Comme on le voit, la notion de culture, au sens où nous l’entendons ici,
dépasse largement la production artistique d’une société. On peut ainsi afrmer
que les barrages hydroélectriques ont partie de la culture québécoise au même
titre que le hockey ou les œuvres poétiques d’Émile Nelligan.

chapitre 3 La culture 63
Cette dénition nous permet de comprendre égale-
ment l’opposition entre les domaines culturel et naturel.
Il y a dans les comportements humains une part qui est
conditionnée par des acteurs biologiques (l’hérédité, le
code génétique) et une autre qui est déterminée par les
acteurs culturels. Dans le chapitre 4, nous verrons que
les acteurs culturels, par l’intermédiaire de la socialisa-
tion, infuencent considérablement le développement
social de l’individu.
Évidemment, le sens du mot « culture » varie aussi en
onction des approches théoriques dont on s’inspire pour
l’analyse sociologique. Pour l’approche onctionnaliste, la
Parmi d’autres, le hockey est indiscutablement un élément culture contribue au maintien de la stabilité et de l’har-
ort de la culture québécoise.
monie de la société par l’entremise de normes et de valeurs
communes ortes. Elle constitue un élément positi pour le
onctionnement de la société, qui peut aciliter la résolution des confits ou la cor-
rection de dysonctions éventuelles. Selon l’approche du confit social (dite aussi
approche marxiste), la culture existe avant tout pour protéger les intérêts et les pri-
vilèges sociaux, économiques et politiques de certains groupes dans la société. Elle
infue, de manière insidieuse, sur la dénition des valeurs et des comportements
des individus par l’entremise des religions, des systèmes d’éducation et des médias,
propageant ainsi l’idéologie dominante. Quant à l’approche interactionniste, elle
s’intéresse davantage aux aspects pratiques de la culture. Elle examine, par
exemple, les habitudes de consommation des individus d’un point de vue microso-
ciologique an de mieux comprendre le sens que prend l’acte de consommer pour
ces derniers (par exemple, le ait de contribuer au mieux-être économique et social
de la société).

3.1.2 La culture individuelle et la culture collective


culture ndvduelle La distinction entre culture collective et culture individuelle est incontournable
Sous-ensemble des éléments en sociologie. La culture individuelle désigne l’ensemble des connaissances géné-
de la culture ambiante assimilés rales assimilées par un individu : l’instruction, le savoir qui est issu de la culture
par un individu et qui acilitent générale (mais qui peut aussi l’alimenter). Elle résulte en partie de la construction
son intégration sociale.
par chacun d’un bagage intellectuel qui lui est propre et qui le prépare à la vie
culture olletve active. La culture individuelle permet d’acquérir l’estime de soi, d’armer son
Ensemble des éléments potentiel et de se distinguer des autres. Elle ouvre la porte de la créativité et de
auxquels se réère l’individu et l’action. La culture individuelle ait l’objet d’un apprentissage, d’une éducation
qui lui permettent de s’identifer de base que sont la lecture, l’écriture et le calcul. Ce savoir doit être non seulement
à une société donnée ou à une ondé sur les connaissances, mais aussi sur la réfexion. Il s’agit donc pour l’indi-
partie de celle-ci.
vidu de tenter d’atteindre un niveau de ormation comportant le plus de connais-
culture remère sances possible et un niveau de ranement individuel reposant sur des savoirs et
Culture ondamentale acquise des expériences acquis. La culture individuelle ne connaît donc pas de temps
au cours de la petite enance d’arrêt. Elle subit une transormation constante de l’enance à l’âge adulte.
dans le cadre de la socialisation
primaire et de la vie amiliale La culture collective découle d’un héritage en amont et donne lieu à une trans-
(mœurs amiliales, habitudes mission en aval. Elle ait réérence à l’ensemble des structures sociales, écono-
de vie, valeurs, croyances, etc.). miques et idéologiques, ainsi que des maniestations artistiques et intellectuelles
culture seonde communes à plusieurs individus et qui les dénissent. L’ensemble des apprentis-
Ensemble des apprentissages sages acquis par le jeune enant dans son milieu amilial constitue sa culture
acquis à l’école (savoirs, première. L’école lui transmet ensuite les savoirs et connaissances qui com-
connaissances générales, posent sa culture seconde. De celle-ci se détachera éventuellement une variation
lettres, arts, sciences, etc.). particulière regroupant un petit nombre d’individus : la culture élitiste ou savante.

64 parte ii L’organisation de la vie sociale


Ce aisant, la culture savante se distancie de la culture seconde, devenant, en culture élitite
somme, une culture seconde de la culture seconde (Laberge, 1996). De cette Culture classique réservée aux
vision globale de la culture collective se dégagent donc trois subdivisions : la individus qui possèdent un haut
culture élitiste, savante et rafnée (musique classique, beaux-arts, opéra, ballet, niveau d’éducation, de l’argent
théâtre) ; la culture de masse, commerciale, médiatisée et accessible (cinéma, et du temps, et communément
télévision, spectacles d’humour) et la culture populaire, produite et appréciée considérée comme supérieure
à la culture de masse et à
par le plus grand nombre (déflés, estivals, spectacles et êtes de rue).
la culture populaire.
Cette distinction demeure avant tout un moyen de considérer arbitrairement culture de mae
une culture comme supérieure aux autres. Bien que la culture dite « de masse »
Culture propre aux sociétés
soit souvent associée à la culture populaire, elle est aussi liée à la culture savante. contemporaines, produite en
En ait, elle tente de aire le pont entre ces deux dernières. Née dans les années série et diffusée par les médias
1960, cette notion de « culture de masse » apparaît dans le contexte du développe- de masse. Elle s’adresse à tout
ment des médias de masse. Au départ, les conséquences potentielles de ce phé- le monde, sans distinction liée à
nomène nouveau ne ont pas l’unanimité chez les sociologues ou les philosophes. l’appartenance professionnelle
Certains auteurs, dont Herbert Marshall McLuhan (1977), l’envisagent comme un ou sociale.
moyen de rapprocher les individus en un « village planétaire ». D’autres, comme culture populaire
David Riesman (1964), considèrent plutôt que les médias contribuent à accroître Culture partagée par une grande
la solitude des individus. D’autres encore, notamment Jean Baudrillard (1970), partie de la population et
redoutent une marchandisation de la culture (comme bien de consommation considérée comme accessible
éphémère) qui entraînerait à terme une homogénéisation culturelle et sociale. à tous.
Touteois, ces trois niveaux de culture ne sont pas
étanches les uns par rapport aux autres et se com-
plètent à travers la culture collective. Ainsi, les pièces
de Michel Tremblay, d’abord considérées comme vul-
gaires et « populaires », par exemple Les Belles-Sœurs
(1968), ont été récupérées depuis par la culture élitiste
et traduites en une vingtaine de langues. Dans la même
veine, Olivier Guimond, grand comédien du vaudeville,
était lui aussi, à ses débuts, regardé de haut par « l’élite
cultivée » de la société de son époque. Il a néanmoins
marqué l’histoire de l’humour en donnant son nom au
Gala des Oliviers, qui récompense chaque année les
humoristes de talent. Aujourd’hui, ces deux artistes Michel Tremblay, l’un des plus grands dramaturges québécois,
sont reconnus unanimement pour leur apport remar- connaît un rayonnement international, notamment avec sa
quable à la culture québécoise. pièce de théâtre Les Belles-Sœurs.

3.1.3 La sous-culture et la contre-culture


À l’intérieur de la culture générale, certains individus peuvent se sentir ou sou- sou-ulture
haiter être diérents de l’ensemble. Il existe en eet, au sein d’un groupe culturel, Modèle culturel distinctif
des groupes sociaux qui présentent des traits culturels propres qui sont tolérés, (valeurs, normes pratiques
acceptés et parois même valorisés. C’est ce que l’on appelle une sous-culture, qui sociales) véhiculé par une partie
se défnit comme un modèle distincti de valeurs, de normes et de pratiques de la société. Ce modèle peut
sociales véhiculé par une minorité. Généralement, une sous-culture se développe être valorisé, accepté ou toléré
par la société.
sur la base d’une appartenance sociale donnée, plus ou moins intégrée à l’ensemble
de la société. Les sous-cultures peuvent ainsi provenir de diverses appartenances
ou caractéristiques sociales comme l’âge (les adolescents, les retraités, etc.), l’ori-
gine ethnique (les Latino-Américains ou les Haïtiens vivant au Québec), la proes-
sion ou les croyances. Parois, l’expérience qu’un grand groupe de personnes a
vécue constitue une sous-culture : c’est probablement le cas, par exemple, des
vétérans de la guerre du Vietnam.
Les membres d’une sous-culture partagent donc des habitudes et un mode de vie
sensiblement distincts de ceux de la culture collective, sans pour autant s’opposer

chapitre 3 La culture 65
réseau de concepts La défnton de la culture

désigne l’ensemble des Connaissances


générales acquises

Culture
individuelle

fait l’objet d’un Apprentissage

se conçoit selon
Culture
2 dimensions
Transmise par
Culture première est
la famille

Culture populaire

comprennent
Culture comprend
collective Culture de masse

est Transmise par


l’école
Culture seconde
peut évoluer Culture élitiste
en une (savante)

à celle-ci. Ainsi, la plupart du temps, une sous-culture possède son propre jargon et
ses codes. Elle peut également comporter une açon particulière de saluer ou de
communiquer. En outre, les valeurs de ses membres peuvent diverger considérable-
ment des valeurs dominantes de la société dans laquelle elle s’inscrit. Dans une cer-
taine mesure, la sous-culture abrique son propre monde, d’où les expressions « le
monde des adolescents », « le monde des camionneurs » ou « le monde des artistes ».
Ces groupes réquentent des lieux publics, où ils se rassemblent pour construire
une sociabilité ou une vie sociale par laquelle ils afrmeront leur identité.
Les sociologues britanniques ont été les premiers à employer le concept de
sous-culture pour désigner les groupes de jeunes rockers qui se sont ormés au
début des années 1950. C’est sans doute dans la monographie d’Albert K. Cohen
(1955) sur les « blousons noirs » anglais que se trouve la première approche de ce
concept. Dans ses écrits, cet auteur s’est intéressé à un nouvel acteur dans
l’Angleterre de l’après-guerre : le jeune ouvrier vêtu d’un blouson noir et amateur
de rock and roll. Ce jeune rocker avait une double appartenance culturelle : il se
réclamait de la classe ouvrière et de la jeunesse de l’après-guerre. D’une part,
l’ouvrier afrmait son appartenance à sa classe par son mode de vie et sa virilité.
D’autre part, le rocker cultivait de nouvelles valeurs orientées vers la musique
rock, la consommation et le plaisir.

66 parte ii L’organisation de la vie sociale


Par ailleurs, dans une culture donnée, certains groupes s’opposent aux valeurs contre-ulture
et aux normes instaurées par le groupe culturel dominant : ils constituent la Ensemble de valeurs et de
contre-culture, et rejettent la culture dominante par des attitudes, des valeurs et normes véhiculées par des
des normes radicalement opposées à celle-ci. En contrepartie, la société rejette groupes qui s’opposent à celles
elle aussi ces groupes. En outre, la contre-culture se situe non seulement en marge de la culture dominante ou la
de la culture collective, mais elle cherche à s’afrmer, à se hisser au-dessus de rejettent.
celle-ci et à la remplacer.
Dans les années 1960 et 1970, les mouve-
ments contestataires de jeunes qui s’oppo-
saient à la bourgeoisie et au puritanisme
sexuel étaient désignés comme véhiculant la
contre-culture. Touteois, celle-ci peut aussi
se maniester dans des domaines comme la
musique, les arts de la rue et le style vesti-
mentaire. Malgré l’opposition habituelle
entre culture dominante et contre-culture, il
arrive que cette culture dominante tente de
récupérer un mouvement de contre-culture.
Par exemple, le blue-jean usé, jadis embléma-
tique de la population ouvrière, est devenu
un vêtement à la mode porté par le plus grand
nombre. Dans la même veine, le tatouage, au
départ signe distincti de certains criminels
ou marginaux, est devenu une orme d’ex-
pression artistique répandue chez les jeunes.
Il en va de même, pour la culture hip-hop
aujourd’hui largement diusée par les médias
de masse (voir l’encadré 3.1).
Le sociologue québécois Fernand Dumont (1982) apporte un éclairage intéres-
sant sur l’idée même de contre-culture, qu’il préère nommer « culture parallèle ».
Selon cet auteur, bien que la contre-culture s’oppose aux institutions en place,
elle veut en créer parallèlement de nouvelles qui, en fn de compte, ressemble-
ront à celles qu’elles remplacent. Dumont considère, en eet, que malgré une
contradiction entre des cultures, malgré les diérences chez les acteurs et dans
les idéologies, il y aura toujours des élites, des experts, des classes sociales.
Ainsi, la contre-culture peut évoluer, se transormer, se renouveler constamment
et même, ultimement, s’intégrer à la culture dominante. La contre-culture est
donc dynamique et ne se réduit pas à un rejet stérile de la société.

encadré 3.1 en coMPlÉMent

La culture hip-hop

La culture hip-hop est issue du ghetto du Bronx à New York au détérioration des conditions de vie pousse les jeunes vers la
début des années 1970. Elle prend racine dans les années délinquance (Chang, 2005). C’est dans ce contexte tendu
1950 et 1960, au moment où des tensions importantes appa- qu’émerge le phénomène des gangs de rue. Au milieu des
raissent dans la société américaine (George, 2000). À cette années 1970, le taux de mortalité élevé au sein de ces
époque, l’État réprime fermement les luttes pour l’égalité juri- groupes ainsi que l’émergence de la culture hip-hop affai-
dique des Noirs menées notamment par Malcolm X, assassiné blissent l’attraction exercée par ceux-ci auprès des jeunes.
en 1965, Martin Luther King, qui subit le même sort en 1968, Kevin Donovan, un chef de gang, est le premier à concevoir
et les Black Panthers. La population des ghettos s’accroît et la l’idéologie du hip-hop. Son objectif est de canaliser dans des

chapitre 3 La culture 67
activités artistiques la rustration et la rage des jeunes cau- communauté noire, le hip-hop se présente comme l’expression
sées par des conditions de vie pénibles. Donovan conçoit crue de celles-ci. Il « colle à la rue » en s’inscrivant dans un
ainsi le hip-hop comme une nouvelle voie pacifque et créative ensemble culturel plus vaste, avec ses normes, son langage,
pour cette tranche de la population. ses symboles : code vestimentaire (street wear), jargon parti-
culier (slang), etc.
La sous-culture hip-hop comprend trois disciplines princi-
pales : la musique (deejaying, rap et human beat box), la danse Ce mouvement prône le respect d’autrui et l’unité des peuples.
(b-boying ou break dancing) et certaines ormes d’expression Le hip-hop est donc, sur le plan idéologique, ancré dans le
picturale (grafti et tag). Chacune de ces disciplines encou- pacifsme et le multiculturalisme en dépit de la mauvaise
rage le dépassement de soi, valeur centrale de ce mouvement image véhiculée par certains groupes de rap. En eet, l’hyper-
culturel. En eet, que ce soit dans la danse, le grafti ou la violence, le gangstérisme et le sexisme y sont souvent asso-
musique, l’artiste est invité à s’améliorer continuellement, ciés à tort.
repoussant toujours ses propres limites. C’est néanmoins par
Au contraire, le hip-hop est à l’origine d’évolutions sociales. Il
son expression musicale que le hip-hop est le plus connu.
contribue à l’émancipation de groupes sociaux opprimés au
Contrairement aux anciens styles musicaux aro-américains,
moyen de revendications contre le racisme et les inégalités
qui témoignaient indirectement des conditions de vie de la
sociales (Bazin, 1995).
Si le hip-hop relevait, à l’origine, de la contre-culture dans la
mesure où il rejetait la culture dominante et contestait l’ordre
établi, il est généralement considéré, aujourd’hui, comme une
sous-culture. En eet, il constitue un modèle culturel distincti,
mais socialement accepté, au même titre que la plupart des
sous-cultures présentes chez les adolescents : emo, gothique,
heavy metal, hipster, etc.

Question
Le hip-hop ait-il partie de la culture dominante ou est-il
plutôt une sous-culture ou une contre-culture ?

Faites Le point

1. Au-delà du domaine artistique, à quoi peut-on lier la culture ?


2. Quelle est la diérence entre la culture individuelle et la culture
collective ?
3. En quoi les notions de « sous-culture » et de « contre-culture » se
diérencient-elles entre elles et par rapport à la culture dominante ?

3.2 Les caractéristiques de la culture


Les tentatives de défnition de la culture ne s’avèrent pas complètes si l’on ne ait
pas réérence aux caractéristiques qui s’y rattachent. Parmi les principales, men-
tionnons celles-ci :
• La culture ait partie de notre quotidien et détermine grandement le cours de
notre vie. Touteois, étant donné qu’une large part de la culture n’est pas orma-
lisée (elle n’est pas « expliquée »), elle n’apparaît pas acilement à notre
conscience.
• La culture comporte des éléments de stabilité et de changement souvent hété-
rogènes, mais liés entre eux comme les éléments d’un système.

68 parte ii L’organisation de la vie sociale


• La culture est acquise par l’entremise des diérentes institutions et transmise
par les générations, dans un processus de construction d’une identité culturelle.
Examinons de plus près ces caractéristiques de la culture.

3.2.1 Un enracinement dans le quotidien


La culture s’inscrit dans le quotidien des individus de açon plus ou moins
consciente, car ceux-ci l’ont intériorisée. Par exemple, si vous allez à un concert
de musique rock dans un amphithéâtre en Amérique du Nord, vous savez que vous
n’avez pas besoin d’apporter votre chaise. Par ailleurs, la majorité des Montréalais
ont assimilé l’habitude de se placer en le pour attendre l’autobus, mais cette açon
de aire est loin d’être universelle. Toute société comporte ainsi de très nom-
breuses coutumes tenues pour acquises par chacun de ses membres. Tout comme
vous savez que les salles de spectacles ournissent les sièges au public et qu’il
convient d’attendre en le, vous supposez qu’un ensemble de situations se passe-
ront toujours d’une certaine açon : le prix d’une bière dans un bar ne dépassera
pas tel montant, les autos s’arrêteront aux eux rouges, etc. Ces suppositions
refètent touteois certaines valeurs, croyances et habitudes d’une société, géné-
ralement inconscientes.

3.2.2 Une source de stabilité et de changement


Toute culture possède par ailleurs des éléments de stabilité et des éléments de
changement. Les premiers renvoient à tout ce qui oblige les individus à se plier au
onctionnement d’un système culturel. Quant aux éléments de changement, ils ont
réérence à l’espace d’expression que laisse la culture aux individus, pour la créa-
tion artistique notamment.

La stabilité
Soulignons d’abord que certains éléments de la culture ont pour onction de ren-
orcer la stabilité sociale. Le mariage, par exemple, quand il constitue un contrat
entre deux parties avec leurs droits et leurs obligations, est un élément culturel
de stabilité, tout comme peuvent l’être les institutions d’enseignement. De même,
l’apprentissage d’un métier ou d’une proession comporte un certain nombre de
rituels ou de répétitions, de codes, d’expressions, de comportements, de savoir-
aire et de techniques qui doivent être transmis à l’apprenti. Vue sous cet angle,
la culture constitue un système de contrôle de l’individu : elle impose des règles,
des normes, des sanctions, des modèles ou des valeurs. La culture peut ainsi se
comparer à un moule, pour reprendre la métaphore du sociologue Guy Rocher
(voir l’encadré 3.2, page suivante) :

Une culture est en eet comme une sorte de moule dans lequel sont coulées les
personnalités psychiques des individus ; ce moule leur propose ou leur ournit
des modes de pensée, des connaissances, des idées, des canaux privilégiés
d’expression des sentiments, des moyens de satisaire ou d’aiguiser des besoins sytème oial
physiologiques, etc. (Rocher, 1969) Ensemble stable et cohésif
d’institutions et de principes
La culture vise donc l’intégration des individus à la société par la transmission moraux, politiques et écono-
miques, encadré par les lois
de valeurs et de conceptions communes. Pour ce aire, elle doit les amener à se
et les pouvoirs publics, qui
donner des buts collectis et à jouer un rôle dans la collectivité. C’est Émile détermine la dynamique
Durkheim qui, le premier, a déni le concept d’intégration sociale, qu’il concevait interne d’une société sur
comme une propriété du système social. un territoire donné.

chapitre 3 La culture 69
encadré 3.2 Sociologue en Action

Guy Rocher, professeur titulaire, Université de Montréal

Guy Rocher est sans conteste l’un dé à relever : celui de ne pas tomber dans la régulation exces-
des pionniers de la sociologie qué- sive et celui de respecter la créativité des chercheurs.
bécoise. Titulaire d’un doctorat en
Les sociologues en action développent aussi une culture poli-
sociologie de l’Université Harvard
tique en prenant part aux changements sociaux. Guy Rocher
(1958), il entame sa carrière en diri-
revient sur la nécessité d’une culture politique dynamique au
geant l’École de service social de
Québec. Dans un de ses écrits (1997b), il expose l’évolution de
l’Université Laval et sa revue Service
la culture politique québécoise du point de vue de l’histoire
social (1958-1960), tout en ensei-
des classes sociales : l’évolution de la classe rurale jusqu’à la
gnant la sociologie et la psychologie
n des années 1950, celle de la classe ouvrière dans les
sociale. Puis, en 1960, il devient proesseur au département
années 1960 et 1970, puis celle de la classe moyenne
de sociologie de l’Université de Montréal, où il est encore acti
aujourd’hui. Ces étapes ont amené à une redénition de l’État
à ce jour, en plus d’être chercheur au Centre de recherche en
et de la démocratie. Les groupes de pression se ont plus
droit public à la aculté de droit de la même université. La
entendre qu’autreois, lorsque l’Église était plus puissante. La
perspective sociologique a infuencé la ormation de l’esprit
proessionnalisation du Québec a largement contribué à cet
critique de ce grand penseur du social.
essor démocratique. Le nationalisme, d’abord canadien-
Au cours de sa carrière, Guy Rocher a écrit plusieurs livres et rançais, puis québécois, a aussi joué un rôle très important
articles, chapitres de livres et documents d’étude. Plusieurs de dans le développement culturel et politique du Québec. Quelle
ses ouvrages, comme la ameuse Introduction à la sociologie que soit l’allégeance politique des individus, il est clair pour
générale (1969) et la présentation des théories de Talcott Guy Rocher que le Québec a besoin d’un État ort.
Parsons (1972), lui ont valu des prix prestigieux et ont été tra-
Pour cela, il aut aussi que les institutions soient solides.
duits en plusieurs langues. Depuis plus de 50 ans, ce socio-
Concernant l’éducation, Guy Rocher a pris position pour la
logue engagé contribue aux grandes transormations du
déense du réseau collégial, remis en question par le gouverne-
Québec. À plusieurs reprises, il a conseillé le gouvernement
ment Charest. Dans une conérence retranscrite et publiée par
québécois en tant que membre de la Commission royale d’en-
la CSN (Rocher, 2004), ce grand sociologue, qui a largement
quête sur l’enseignement (Commission Parent, 1961-1966),
contribué à l’élaboration du système d’éducation québécois,
puis en tant que président du Comité d’étude pour la ondation
arme que le cégep a un rôle ormateur de premier plan. Selon
de l’Université du Québec à Montréal (1965-1966). Il a égale-
lui, cette institution permet d’orienter les élèves pendant une
ment occupé le poste de sous-ministre au Développement
période de leur vie remplie d’hésitations devant un marché du
culturel (1977-1979) et au Développement social (1981-1983).
travail de plus en plus complexe. Elle avorise aussi une transi-
De nombreux prix nationaux et internationaux ont récompensé
tion souple entre l’école secondaire et l’université, ce qui a pour
ce grand intellectuel, Chevalier de l’Ordre national du Québec
eet de réduire le décrochage et d’encourager le « raccrochage »
et Compagnon de l’Ordre du Canada.
scolaire. En outre, la ormation collégiale aide les individus à
Récipiendaire de plusieurs doctorats honoriques (en droit, atteindre une certaine égalité devant l’acquisition des connais-
Université Laval, 1996 ; en sociologie, Université de Moncton, sances et, enn, elle participe à l’enrichissement de la culture
1997), Guy Rocher continue ses recherches et poursuit son rôle québécoise. L’engagement de Rocher pour l’éducation s’est tra-
de citoyen engagé. Ainsi, dans un article concernant la recherche, duit, plus récemment, par sa prise de position en regard de la
il critique les nombreuses normes qui régulent aujourd’hui la gratuité scolaire à l’université, objecti déjà proposé lors de
recherche scientique (Rocher, 1997a). Il trouve l’idéologie de la rédaction du rapport de la Commission Parent. Pour Guy
l’excellence trop prédominante et élitiste. La survivance des Rocher, la perspective sociologique permet une réfexivité sur
plus aptes à évoluer dans cet univers ait que les chercheurs notre société. Cette réfexivité est chaque jour à entretenir
doivent être en perpétuelle adaptation. Il voit alors un double comme un bien précieux dont on a hérité.

L’intégration sociale repose sur l’idée d’interdépendance plus ou moins étroite


entre les éléments du système social. Selon Durkheim, trois caractéristiques se
rattachent à ce concept :
• Les membres d’une société partagent une culture commune, des sentiments,
des pratiques et des croyances.

70 parte ii L’organisation de la vie sociale


• Les membres d’une société partagent des buts communs et agissent en vue de
les atteindre.
• Les membres d’une société interagissent entre eux. Ils sont en interdépendance
les uns envers les autres, en ce sens où les actions des uns ont de répercussions
sur les actions des autres. L’intégration passe donc par une coordination des
actions individuelles et une délimitation de ce que chacun peut aire ou ne pas
aire. Être intégré, c’est jouer un rôle, modeste ou essentiel, en harmonie avec
celui des autres.
L’intégration sociale amène donc chacun à trouver sa place dans la société. bagage ultuel
Pour se maintenir, elle suppose que les individus intégrés à la société déendent Ensemble des connaissances
le bagage culturel collecti et que les candidats à l’intégration aient le désir d’ac- et caractéristiques culturelles
quérir un tel bagage. Cette acquisition se ait par l’entremise d’institutions, notam- assimilées par un individu,
ment par l’école. En eet, la culture scolaire permet aux jeunes de s’intégrer à la souvent si intimement qu’elles
vie sociale, par la transmission de connaissances liées aux univers politique, lui semblent naturelles.
scientifque, géographique et social. Elle suppose également la participation des
individus au développement de la vie culturelle.
C’est la raison pour laquelle, entre autres, toute société doit intégrer les immi-
grants à sa culture majoritaire pour maintenir sa stabilité et avoriser l’épanouis-
sement individuel de ses membres (voir le chapitre 8). Il n’est pas souhaitable, en
eet, que ces derniers vivent durablement en communauté parallèle. À cette fn,
la plupart des pays reconnaissent d’ailleurs la nécessité de développer des poli-
tiques culturelles visant à aciliter l’intégration des minorités culturelles et des
populations immigrées.
Le sociologue Marcel Rioux (1982) s’est penché, pour sa part, sur l’aspect
contraignant de la culture. Ainsi, selon lui, les individus assimilent et repro-
duisent la culture ambiante au moyen de deux types d’action sociale : l’action
répétitive et l’action mimétique. Par l’action répétitive, l’individu reproduit les
gestes, les comportements, les techniques et les actes qui lui ont été transmis
par la société. En ce sens, elle contribue largement à l’apprentissage des jeunes
enants (voir le chapitre 4). Dans le domaine du travail, les enquêtes sociolo-
giques ont souvent mis en relie le ait qu’un certain nombre de tâches dans les
proessions et les métiers ne comportent que des actions répétitives : c’est le
lot, par exemple, des opérateurs sur les chaînes de montage et des commis de
bureau qui ont de la saisie de données (Billette et Piché, 1986). Dans la vie quo-
tidienne également, nous sommes appelés à produire un grand nombre d’ac-
tions répétitives.
Par l’action mimétique, l’individu copie, tout en les modifant légèrement, les
modèles culturels, les comportements, les techniques et les schèmes déjà appris.
Dans le domaine de la chanson, par exemple, l’action mimétique est pratique cou-
rante : les chanteurs et les groupes qui souhaitent percer doivent se conormer à
un modèle et à un style connus du public, tout en se distinguant légèrement.
Comme on le voit, ces deux types d’action sociale représentent le pôle contrai- repodution soiale
gnant de la culture et contribuent à ce que les sociologues, entre autres Bourdieu Ensemble des mécanismes qui
(1970), appellent la reproduction sociale. Dans sa défnition la plus simple, la favorisent le maintien et l’avenir
reproduction sociale se conçoit comme l’ensemble des mécanismes employés des institutions, des groupes
par des institutions, groupes sociaux ou classes sociales pour assurer leur main- sociaux ou des classes sociales.
tien dans la société. Par extension, on associe la reproduction sociale au maintien
des élites. En ce sens, la reproduction sociale avorise une certaine stabilité
sociale. L’exemple le plus typique de mécanisme de reproduction sociale est le
système d’enseignement privé tel qu’on le connaît en Amérique du Nord ou en
Europe de l’Ouest. En eet, le système privé permet aux classes dominantes d’as-
surer leur pérennité parce qu’il transmet les normes et les valeurs indispensables

chapite 3 La culture 71
à la réussite des élites. Selon les enquêtes du sociologue rançais Pierre Bourdieu,
le système d’enseignement privé permet également de créer des liens ou une soli-
darité entre ses membres prestigieux. Ainsi, en France, pour avoir accès à des
postes de direction dans les grandes entreprises ou dans la onction publique, il
aut avoir étudié dans les « grandes écoles » et dans le système d’enseignement
privé. Les membres issus de ce système élitiste se reconnaissent par l’entremise
de valeurs et de normes partagées ainsi que par le souvenir d’une expérience
commune. Par cette sous-culture distinctive et exclusive acquise à l’école privée,
les diplômés de ces établissements seront plus en mesure d’atteindre la réussite
sociale à laquelle ils sont destinés (Bourdieu et Passeron, 1977).

Le changement
acton crétrce Comme on le voit, la culture agit donc sur l’individu tel un moule, avorisant à la
Action qui annonce une rupture ois la cohésion sociale par l’intégration et le maintien des élites en place par
avec les modèles culturels la reproduction sociale. À l’inverse, Marcel Rioux (1982) s’intéresse à l’individu en
connus ou établis et qui permet tant que moteur de l’évolution de la culture, par l’entremise de ce qu’il nomme
d’inventer de nouvelles valeurs l’« action créatrice ».
et de nouveaux modèles de
comportements. Ainsi, selon cet auteur, l’individu contribue à modeler la culture en renouve-
lant ses valeurs, ses modèles de comportements et ses modes de vie.
innovton culturelle En somme, si la culture contribue à la stabilité sociale, elle n’en demeure pas
Introduction de nouveaux moins dynamique et évolutive. L’étude de la culture doit donc tenir compte des
comportements, modes de vie phénomènes d’innovation culturelle, qui peuvent se maniester sous la orme
ou valeurs au sein d’une culture. d’une idée neuve ou d’avancées technologiques. Par exemple, l’invention de la
presse à imprimer par Gutenberg en 1438 a accéléré considérablement la diu-
sion des idées modernes de l’époque. Dès la publication du premier livre imprimé
en 1455 jusqu’au début du xvie siècle, on a dénombré près de 20 millions d’ou-
vrages répartis en 35 000 éditions, soit une production moyenne d’environ
1 300 livres par jour (Breton et Proulx, 1989). Ce nombre est considérable compte
tenu des contraintes technologiques et géographiques de cette époque. L’espace
de l’imprimerie en Occident se limitait alors au nord de l’Europe occidentale et à
l’Italie. Même si près de la moitié des livres édités étaient de nature religieuse,
leur diusion a modié proondément les mentalités. En eet, la diusion à
grande échelle de ces textes a avorisé leur interprétation critique et entraîné des
discussions nouvelles. Avant l’invention de l’imprimerie, les intellectuels cen-
traient leurs eorts sur la mémorisation dèle des textes religieux. Après son
apparition, « la question n’était plus de mémoriser dèlement […] mais bien de
avoriser le raisonnement critique, bien moins conservateur, donc moins disposé
au souvenir » (Breton et Proulx, 1989, p. 54). La diusion du livre a donc accéléré
le développement de la pensée critique et, de ce ait, ouvert la voie à des change-
ments culturels importants.
Dans la même veine, peu d’Occidentaux peuvent prétendre aujourd’hui que
leur mode de vie n’est pas infuencé par l’innovation technologique que repré-
sente Internet. Bien que l’on ne prenne pas encore la mesure exacte de son
infuence sur nos açons de penser et d’agir, l’accès généralisé aux ordinateurs, et
plus particulièrement au réseau Internet, infuence indéniablement nos compor-
tements, et de ce ait, la culture collective.
Dans le même ordre d’idée, la généralisation du transport à vélo est un autre
exemple d’innovation culturelle qui émerge progressivement dans les cultures
occidentales. En eet, dans plusieurs grandes villes industrialisées, une masse
signicative d’individus a choisi d’adopter ce moyen de transport an de contri-
buer à l’amélioration de la qualité de l’environnement. Une nouvelle conscience
écologique nous amène à établir une relation plus harmonieuse avec la nature.

72 prte ii L’organisation de la vie sociale


Ainsi, les actions et les pratiques sociales écologiques
procèdent davantage par innovation et par émancipation.
Bre, voilà ce que réalise une culture en transormation :
elle entraîne l’inédit et permet l’accomplissement de l’im-
pensable aux yeux de l’individu. C’est là l’aspect révolu-
tionnaire de la culture.
Face à ces transormations, les individus doivent
s’adapter. C’est la raison pour laquelle la culture doit se
donner comme onction sociale de permettre l’adaptation
des individus et des sociétés entières à leur milieu. Leurs
manières de aire sont en eet onction de l’environne-
ment dans lequel ils se trouvent. En ce sens, la culture est
un processus par lequel individus et sociétés construisent Le transport à vélo, vu comme une solution écologique et
de açon continue leur identité collective. S’ils naissent responsable, est un exemple d’innovation culturelle particuliè-
rement marquant dans les grandes villes occidentales.
dans un univers culturel donné, les individus sont appelés
à le redénir en tout ou en partie. La culture est en perpé-
tuelle recomposition, comme nous le mentionnions plus haut, pour répondre aux
diérents besoins des individus en regard de l’univers, du contexte physique
dans lequel ils vivent. C’est le volet « changement » de la culture qui ressort dans
cette onction.
Comme le dit Guy Rocher (1969, p. 98) : « la culture remplit pour l’être humain
la même onction d’adaptation à soi-même et à l’environnement que remplit l’ins-
tinct chez l’animal », au moment où il doit apprendre à survivre dans un milieu
inconnu. Les deux ne doivent cependant pas être conondus, même si la réaction
culturelle est un mélange de réfexes, d’impulsions et d’attitudes dites « intui-
tives » qui peuvent sembler naturelles. Chaque culture constitue une réponse par-
ticulière au problème de l’organisation du groupe humain vis-à-vis de la nature
qui l’entoure. Une culture doit donc s’adapter et moduler les individus, au ur et à
mesure qu’elle évolue dans le temps, en regard de son environnement et des
cultures voisines. Ainsi, la culture amérindienne s’est modiée au contact de
celle des Blancs tout comme celle des rancophones d’Amérique a évolué tout en
conservant des assises européennes. Dans le même ordre d’idée, la culture des
Inuits devra s’adapter au changement de climat qui risque de survenir (culture
alimentaire, culture ancestrale liée au mode de vie). En somme, par sa onction
d’adaptation, la culture ournit aux individus les moyens de développer une
manière de vivre ensemble dans une réalité changeante, et ce, en continuité avec
son histoire particulière.

3.2.3 Un système organisé


La culture onctionne comme un système organisé. En ce sens, elle peut être com-
parée à un moteur, dont toutes les pièces sont interdépendantes. Ainsi, le régime
alimentaire, les innovations technologiques, le travail, les rapports de pouvoir, la
démographie, le niveau de vie, les valeurs et les normes sociales sont en apparence
des éléments culturels autonomes. Cependant, en réalité, ils sont intimement liés
les uns aux autres.
Pour illustrer cette idée, examinons l’exemple de la pilule contraceptive, qui a
bouleversé la culture nord-américaine au début des années 1960. Cette innova-
tion a d’abord eu un eet direct sur la taille des amilles, en permettant aux
couples de choisir le nombre d’enants qu’ils auraient. Historiquement, l’intro-
duction de la pilule contraceptive correspond d’ailleurs à une baisse très mar-
quée du taux de natalité en Amérique du Nord, et particulièrement au Québec. La
pilule a également modié les relations entre les hommes et les emmes. En eet,

chapitre 3 La culture 73
son utilisation a d’abord permis aux emmes de se libérer d’une énorme contrainte
liée à une reproduction qu’elles pouvaient difcilement maîtriser. Ayant moins
d’enants, elles ont pu accéder massivement au marché du travail et s’émanciper
ainsi du oyer amilial. Touteois, c’est sur le plan de la sexualité que les eets de
la pilule ont été les plus importants, car elle rendait possible le passage d’une
sexualité de reproduction à une sexualité récréative. Autrement dit, cette innova-
tion a aaibli le lien qui existait entre la reproduction et la sexualité. En somme,
la pilule contraceptive a eu des eets sur les relations sexuelles prémaritales et
sur un ensemble très varié de comportements culturels (voir la fgure 3.1).
Il est rare qu’une innovation technologique ait des conséquences aussi déter-
minantes que la pilule contraceptive sur une culture. Cet exemple nous permet
cependant d’illustrer l’interaction des divers éléments d’une culture.

Figure 3.1 La lule contracetve et les changements culturels

Pilule
Famille Société
contraceptive

Réduction de la Baisse du taux


taille des familles de natalité

Réduction des Accroissement du


charges familiales nombre de femmes
pour la femme sur le marché du travail

Augmentation du Augmentation de la
nombre de couples demande pour des
à double revenu places en garderie

Passage de la Renforcement
sexualité reproductive du modèle de
à la sexualité récréative l’amour romantique

3.2.4 Un acquis et un construit


Une quatrième caractéristique se rapporte au mode d’acquisition et de transmis-
sion de la culture. Établissons d’abord, comme le ait Guy Rocher (1969, p. 89), que
« rien de culturel n’est hérité biologiquement ou génétiquement, rien de la culture
n’est inscrit à la naissance dans l’organisme biologique. L’acquisition de la
culture résulte de divers modes et mécanismes de l’apprentissage ». Nous verrons
dans le prochain chapitre comment ces mécanismes s’opèrent.
L’apprentissage d’une culture par les individus se traduit dans les aits par la
identté culturelle construction de l’identité culturelle qui, dans sa orme la plus simple, représente le
Ensemble des éléments de la « nous » collecti. En ce sens, elle repose sur le sentiment d’appartenance à un groupe
culture par lesquels un individu
social. Les expressions « Nous, les emmes », « Nous, les Noirs », « Nous, les travailleurs »,
(ou un groupe) se défnit, se
manieste et souhaite être
« Nous, les Québécois » traduisent bien ce genre d’identifcation. À un certain moment
reconnu en regard d’une de leur histoire, les groupes sociaux prennent conscience de leur identité ; particuliè-
appartenance commune, rement les groupes minoritaires, qui subissent des conditions sociales de domination.
liée à son mode de vie Cette prise de conscience amène par la suite les membres de ces groupes à participer
et à sa vision du monde. à la défnition de leur identité collective afn de mieux encadrer son développement.

74 parte ii L’organisation de la vie sociale


Cette construction de l’identité culturelle peut aussi avoir une incidence psy-
chologique sur les individus ainsi que des eets sur la société, comme le men-
tionne Guy Rocher (1969). Sur le plan individuel, cela se refète par le développe-
ment d’un sentiment d’appartenance au groupe. Cet aspect psychologique n’a
pas été étoé par les « pères » de la sociologie, Durkheim et Weber, car ceux-ci
souhaitaient préserver la spécicité de la perspective sociologique. Bon nombre
de sociologues américains, dont George Herbert Mead (1934) ont, quant à eux,
mis l’accent sur le ait que la construction de l’identité culturelle repose sur les
pratiques sociales acquises qui marquent les appartenances aussi bien que
les diérences entre les individus.
Ainsi, la erté que ressent l’individu à s’identier à certains groupes de même
que la satisaction qu’il retire des interactions avec ses semblables contribuent à
consolider son sentiment d’appartenance. C’est à partir de ses diverses apparte-
nances qu’il développe un ensemble de pratiques qui constituent, en n de
compte, son identité culturelle. Comme on le voit, celle-ci est multidimension-
nelle, en ce sens qu’elle s’articule autour d’une dimension individuelle multiacto-
rielle, d’une part, et d’une dimension collective, d’autre part. L’identité culturelle
découle donc d’une dénition de soi, mais en rapport avec les autres ; l’identica-
tion se veut liée à la diérenciation.
La reconnaissance de ce que nous avons acquis au sein de la amille, de l’envi-
ronnement social immédiat et de diérentes institutions par le groupe amène
l’individu à s’engager, lui donne un sentiment de conance envers ce même
groupe et renorce par conséquent son sentiment d’appartenance. D’autre part,
l’identication à une culture permet à un individu de s’inscrire dans une lignée,
un patrimoine et une culture communs. Le groupe d’appartenance possède en
eet une histoire et un avenir ; il ore un ancrage à l’individu pour dénir sa per-
sonnalité et se projeter.

réseau de concepts Les aratéristiques de la ulture

représente un Enracinement dans


la vie quotidienne

Action mimétique
Source de stabilité favorisée par

Action répétitive
est une

comprend 4 Source de
Culture caractéristiques favorisée par Innovation culturelle
changement
principales

est un soit un Ensemble d’éléments


Système organisé
interdépendants

résulte d’un Apprentissage se traduisant par Identité culturelle

chapitre 3 La culture 75
L’identité se développe dans un contexte d’altérité, selon un principe d’opposi-
tion binaire (voir le tableau 3.1). En outre, certaines études portant sur la classe
ouvrière canadienne dans les années 1980 démontrent que l’individu possède
plusieurs appartenances culturelles. À cette époque, l’identité ouvrière était or-
tement associée aux identités des régions, des groupes linguistiques et religieux,
des groupes d’âge ainsi qu’au sexe (Descent et coll., 1989, p. 34 et suivantes). Il
n’était pas rare de voir s’aronter dans un syndicat ou une association des
groupes d’âge (les jeunes contre les travailleurs âgés), des groupes linguistiques
(les rancophones contre les anglophones), les hommes et les emmes, etc.

tblu 3.1 des exemles ’enttés culturelles


Identité Altérité Contexte social
Femmes Hommes Inégalités ou discriminations sexuelles
Autochtones Blancs Difculté d’arrimage entre deux cultures
Jeunes Adultes Division par groupes d’âge
Employés Patrons Exploitation du travail en entreprise
Immigrants Citoyens Droits de citoyenneté
Étudiants Enseignants Transmission de la connaissance
Québécois Canadiens Débat constitutionnel et défnition de la nation

Plus récemment, le contexte de la mondialisation de l’économie a ait évoluer


ces antagonismes et place désormais les travailleurs des pays industrialisés en
opposition avec ceux des pays en voie de développement. Les travailleurs des
pays industrialisés ont l’impression que ceux-ci leur prennent leur emploi. Ces
oppositions nous montrent une ois de plus que les appartenances sont multiples
et complexes et ont que l’identité culturelle peut même se dénir à travers des
enjeux économiques.
Le pouvoir de dénir les identités culturelles est le privilège des groupes les
plus infuents. L’État moderne a, par exemple, cette prérogative, parce qu’il
détient le pouvoir législati. La Loi sur les Indiens, par exemple, stipule les condi-
tions pour revendiquer le statut d’Amérindien. L’État possède par ailleurs le pou-
voir de dénir légalement les identités de mère, de jeune, d’immigrant, de chô-
meur, de retraité, etc. De celles-ci découle un statut social, lié à des droits et à des
obligations. Comme elles précisent l’identité culturelle, ces dénitions ont l’objet
de discussions au sein même de la société et peuvent provoquer des rapports
confictuels entre l’État et certains groupes, et entre les groupes eux-mêmes.

Faites Le point

4. En quoi la culture peut-elle être considérée à la ois comme une source


de stabilité et une de changement ?
5. Sur quoi peut-on s’appuyer pour dire que la culture constitue un sys-
tème organisé ?
6. Quel privilège de l’État ait de l’identité culturelle un objet de confit
potentiel ? Pourquoi ?

76 parte ii L’organisation de la vie sociale


3.3 Les éléments de la culture
La culture, comme l’illustre l’exemple de l’amour romantique, s’acquiert par un
apprentissage social. Ses ondements, souvent perçus comme naturels, ne le sont
pas en réalité. Dans cette section, nous examinerons en détail les principaux élé-
ments constitutis de la culture qui ont l’objet de cet apprentissage : la langue, les
normes, les valeurs, les symboles, les croyances et les idéologies, les productions
matérielles et artistiques, et les habitus.

3.3.1 La langue
Rien ne semble plus naturel que la langue maternelle. Pourtant, celle-ci ait l’objet
d’un apprentissage. Elle est l’élément premier de la culture et l’un des plus déter-
minants : elle délimite les nations, cimente les membres d’une même communauté
linguistique et permet la transmission de la culture d’une génération à l’autre.
L’appartenance à une communauté linguistique contribue à açonner les com-
portements de l’individu, notamment sa açon de voir le monde, de le comprendre
et d’entrer en relation avec les autres. La langue ne se limite donc pas à la des-
cription de la réalité. La langue constitue, en fn de compte, la pièce maîtresse de
notre appartenance culturelle. C’est l’une des raisons pour laquelle de nombreux
groupes linguistiques, et en particulier ceux qui sont minoritaires sur un terri-
toire donné, luttent arouchement pour la déendre (voir l’encadré 3.3).

encadré 3.3 en coMPlÉMent

La question de la langue au Québec et dans le monde

Toutes les nations sont sensibles à l’importance de préserver la société québécoise. Ainsi, la loi 101 ait de la langue ran-
et d’afrmer leur langue. Ce n’est pas un hasard si la plupart çaise la langue ofcielle du Québec, celle de l’administration
des pays du monde se sont donnés une loi visant à imposer la publique, de l’enseignement et de l’afchage. Ces dispositions
langue de la majorité sur un territoire donné. sont évidemment sujettes à des nuances dans leur application
à l’intérieur d’une vaste réglementation.
Chez nos voisins états-uniens, on retrouve par exemple, dans la
constitution de plusieurs États, dont la Floride, la Caliornie et Des études passées et récentes menées par l’Ofce de la
New York (Leclerc, 2012), des dispositions déclarant l’anglais langue rançaise du Québec (Termote, 2011) ont démontré
comme langue ofcielle ou encadrant l’utilisation de l’an- la précarité croissante du rançais non seulement en Amérique
glais dans certains domaines comme l’éducation, la santé, la du Nord, mais aussi au Québec. Les rancophones ne repré-
publicité. Au Mexique, une loi accorde aux Autochtones le droit sentent que 2 % de la population nord-américaine et 19,2 %
de recevoir un certain nombre d’heures d’enseignement dans de la population du Canada, contre près de 25 % il y a à peine
leur langue à la maternelle et à l’école primaire, mais la langue 50 ans. Au Québec, 80,4 % des habitants ont le rançais pour
d’enseignement demeure l’espagnol. C’est dans cette langue langue maternelle ; contre 7,7 % pour l’anglais et 11,9 % pour l’en-
également que doivent être rédigés les textes apparaissant sur semble des autres langues. Sur le plan numérique, les ranco-
l’emballage des produits de consommation, à l’exception des phones apparaissent largement majoritaires pour l’ensemble
produits importés (Leclerc, 2012). En France, on a aussi jugé du Québec. Touteois, dans la région métropolitaine de
bon, en 1994, d’adopter une loi établissant de quelle açon la Montréal, qui compte 47 % de la population, la proportion des
langue rançaise doit être utilisée dans les échanges entre rancophones diminue. Le vieillissement rapide de la popula-
l’État, les entreprises et les individus, dans l’afchage commer- tion rancophone, son aible taux de écondité ainsi que la
cial, dans les médias et dans les établissements d’enseigne- rareté de l’immigration rancophone et la concurrence de l’an-
ment (Leclerc, 2012). Au Québec, la loi 101 (aussi appelée glais comme langue seconde des nouveaux arrivants sont
Charte de la langue française), adoptée en 1977 par le gouver- autant de acteurs qui contribuent plus ou moins à renorcer le
nement du Parti Québécois, comporte plusieurs dispositions sentiment que la langue rançaise est menacée en Amérique
défnissant la place que doit occuper la langue rançaise dans du Nord.

chapitre 3 La culture 77
On observe partout une crainte de voir sa langue disparaître au dans le monde, les uns cherchent à protéger leur langue natio-
proft de l’anglais, langue du commerce international. Partout nale par la voie législative, les autres à aire rayonner leur culture
grâce à une production artistique originale. Parallèlement, cer-
tains États américains cherchent, eux, à protéger la langue
anglaise contre d’autres langues, principalement l’espagnol.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la orce d’une langue ni la domi-
nation qu’elle peut exercer qui ait qu’on y est attaché, mais ce
qu’elle représente en terme d’identité collective et d’afrmation
culturelle.

Question
Quels moyens l’État québécois peut-il utiliser pour assurer
la pérennité du rançais et de la culture rancophone au
Québec ?

3.3.2 Les normes : types et fonctions


norme Toute organisation sociale a besoin, pour onctionner, de se donner un cadre dé-
Règle de conduite ou modèle nissant les comportements souhaités et les moyens de punir les comportements
de comportement qui sert de déviants. Les normes et les sanctions ont partie de cette dynamique de onction-
guide ou de standard aux nement (voir le chapitre 6). La norme se dénit comme une directive, une règle
individus conormément qui prescrit et sanctionne les comportements individuels conormément aux
aux valeurs de la société. valeurs de la société dominante. Toute norme, pour être ecace, doit être com-
prise et perçue comme légitime par la majorité.
Ainsi, tout citoyen nord-américain connaît la norme du silence qui s’impose
durant la présentation d’un lm dans une salle de cinéma. C’est pourquoi, quand
vous entrez dans un tel endroit, vous vous attendez à ce que les spectateurs
gardent le silence. De plus, en raison de l’existence de cette norme, vous vous
sentirez en droit de demander à un spectateur bruyant de se taire. Vous pouvez
protester ou vous plaindre non seulement parce qu’une norme n’a pas été res-
pectée, mais aussi parce que vos attentes ont été déçues. Comme on le voit, toute
norme suscite également des attentes. Ainsi, au cinéma, vous vous attendez à ce
que le public soit silencieux et intéressé ; vous supposez que les spectateurs res-
teront assis et vous tolérerez ceux qui mangent du maïs soufé. Vous tenez pour
acquis que la bande sonore et la bande image seront en bon état, que les sièges
seront conortables et que la salle sera propre. Tout cela constitue des attentes
qui découlent de normes sociales. En ait, la plupart des expériences quoti-
diennes en société sont précédées d’une attente. Lorsque, exceptionnellement,
une situation ne répond pas aux attentes des participants, ceux-ci en éprouvent
un sentiment de rustration, de déséquilibre ou d’incertitude.
La sociologie distingue deux types de normes en ce qui a trait à leur ormulation :
norme formelle les normes formelles et les normes informelles. Les normes ormelles sont
Norme écrite consignée des normes écrites : on a pris soin de les consigner dans des textes de loi ou
dans un texte de loi ou dans
dans des règlements, lesquels prévoient aussi des sanctions pour les contreve-
un règlement et dont la trans-
gression entraîne des sanctions nants. Les normes ormelles sont claires, explicites et peuvent être connues de tous.
elles aussi écrites. Au contraire, les normes inormelles ne sont, en général, ni explicites ni écrites,
norme formelle même si tout le monde les connaît et les comprend. Les membres d’une société ne
Norme en général non écrite, qui jugent pas toujours nécessaire de prévoir des normes ormelles pour tous les com-
ne ait l’objet d’aucune réglemen- portements sociaux. Par exemple, il n’existe aucun règlement qui oblige les indi-
tation ou sanction écrite. vidus à attendre en le aux arrêts d’autobus, mais il existe une norme inormelle

78 parte ii L’organisation de la vie sociale


qui les pousse à le aire dans certaines villes. La vie en société est remplie de
normes inormelles de ce type, et il ne audrait pas croire que celles-ci sont moins
importantes que les normes ormelles.
Une norme écrite peut touteois être inormelle si aucune sanction n’est prévue
en cas de transgression. Ainsi, un écriteau priant les passagers d’un autobus de
céder leur place aux personnes âgées ne constitue pas une norme ormelle si le
ait d’y contrevenir n’entraîne aucune conséquence. La norme écrite inormelle
porte donc sur un comportement social souhaité, mais non obligatoire.
Au-delà de cette typologie, les normes tant ormelles qu’inormelles peuvent
relever de divers domaines de l’activité humaine. C’est ainsi qu’il existe des
normes cognitives, qui constituent les règles de base sur lesquelles reposent le
onctionnement et l’existence même d’un groupe ou d’une société, des normes
morales, qui défnissent le bien et le mal, et des normes esthétiques, qui diéren-
cient le beau et le laid. Les normes rituelles relèvent de la tradition et ormalisent
la célébration des grands événements de la vie. D’autres normes encore encadrent
l’expression des sentiments et des émotions (voir le tableau 3.2).
Sous un autre angle, les normes peuvent aussi être catégorisées selon leur Mœurs
importance respective pour une société. Par exemple, les interdits comme l’ho- Normes et règles que les
micide volontaire, l’inceste ou la violence envers les enants constituent des membres d’une société jugent
délits criminels liés à des mœurs nord-américaines. Les mœurs se défnissent hautement souhaitables.
comme des normes dont l’ensemble d’une société ne tolère pas la transgression.
C’est pourquoi les mœurs sont toujours encadrées par des lois.

tableau 3.2 Les types et les atégories de normes


Normes formelles Normes informelles
Cognitives
• Code criminel et Code civil • Hygiène corporelle
• Codes proessionnels • Attente en fle, ponctualité, politesse
• Règles d’obtention d’un diplôme
• Règles de la circulation
Morales
• Règles du Code criminel liées à la • Honnêteté envers ses proches
moralité (vol, meurtre, indécence, etc.) • Respect d’autrui
• Codes d’éthique
Esthétiques
• Règles concernant l’aménagement • Modes et tendances en matière d’habille-
physique d’un lieu, d’un territoire ment, de coiure et de décoration ; canons
de beauté
Rituelles
• Règles qui encadrent certaines cérémonies • Bienséance et savoir-vivre quotidien
(religieuses, protocolaires)
Expression des sentiments
• Règles de comportement envers certaines • Maniestations des émotions jugées
personnes (réactions obligatoires envers appropriées en regard de la situation :
un juge, un policier, un arbitre ; ne pas se tristesse dans un salon unéraire, joie
mettre en colère ; ne pas être impatient) lors d’un mariage

chapitre 3 La culture 79
coutume Contrairement aux mœurs, les coutumes constituent des normes qui se rap-
Norme et règle de la vie prochent des règles de conduite ; elles sont liées à des sanctions plutôt mineures
quotidienne dont la transgres- en cas de violation et sont respectées par la plupart des membres d’une société.
sion n’est pas sanctionnée L’anthropologue états-unien Edward Twitchell Hall (1914-2001) s’est penché sur
sévèrement. une coutume qui consiste, pour un individu, à maintenir une certaine distance
vis-à-vis des autres. C’est ce que l’auteur appelle les « bulles » (Hall, 1966).
L’étude menée par Hall lui a permis de mettre en lumière, au sein des cultures
d’Amérique du Nord et d’Europe de l’Ouest, une norme qui exige le respect d’une
certaine distance entre les individus lors d’une conversation. Ainsi, la distance
physique maintenue par deux personnes en situation de communication serait
déterminée par leur origine culturelle respective et par le degré d’intimité qui
existe entre elles. Cette distance forme une sorte de bulle invisible ; une frontière
imaginaire presque toujours respectée. Du reste, Hall distingue quatre degrés de
proximité dans les cultures occidentales :
• La distance intime, de 45 centimètres, sépare deux amoureux ou proches
parents.
• La distance personnelle, de 45 centimètres à 1 mètre, est de mise dans
une conversation entre amis ou collègues.
• La distance sociale, de 1 à 2 mètres, est normalement maintenue en
situation d’interaction avec des étrangers. C’est une distance de poli-
tesse, respectée lors d’un entretien par exemple.
• La distance publique, de 3 mètres et plus, s’impose naturellement entre
un conférencier et son auditoire ou entre un comédien et son public.
Comme nous l’avons mentionné, la taille de ces bulles invisibles est
déterminée par la culture. Dans le monde arabe, par exemple, la conver-
sation entre deux individus se fait face à face, à une distance plus courte,
En Amérique du Nord, « la bulle » est
d’environ 20 centimètres. Par ailleurs, dans cette culture, le toucher entre
une norme implicite qui impose une les hommes fait partie intégrante de la conversation, ce qui n’est pas le
distance minimale entre deux individus cas dans les cultures nordiques. Il peut donc arriver que ces différences
en situation de communication. liées aux normes implicites entraînent des malaises en situation de com-
munication interculturelle.
Quelle que soit la nature ou l’importance d’une norme, elle risque toujours
d’être transgressée. En effet, les normes sont transgressées, ou non suivies,
parce qu’elles portent en elles une large part d’arbitraire, et que, de ce fait, elles
font rarement l’unanimité.
De façon générale, les normes sociales très strictes peuvent ne revêtir aucune
importance pour certains individus. Ainsi, un comportement jugé divergent par
les uns peut être considéré comme un modèle d’excellence par les autres. C’est le
cas d’une jeune adolescente qui consomme de l’alcool. Elle transgresse une
norme sociale, celle de l’interdiction qui est faite aux personnes mineures de
consommer de l’alcool dans les endroits publics. Cependant, l’action de cette
adolescente peut correspondre aux normes établies par son groupe d’amis ; elle
peut même être une condition pour appartenir à un groupe. C’est donc dire qu’il peut
exister des écarts parmi les divers groupes sociaux quant à l’acceptation d’une
norme sociale. Ainsi, les normes et les valeurs d’une sous-culture sont suscep-
Modèle ulturel tibles de contredire celles de la culture dominante. Nous reviendrons sur cette
Ensemble des normes sociales question dans le chapitre 6 lorsque nous aborderons les notions de « contrôle
dominantes qui guident les social », de « déviance » et de « marginalité ».
actions des individus, incarnées
par des personnalités charisma- Lorsque certaines normes sont répandues au point de servir de guides d’ac-
tiques qui servent d’exemple. tion au sein d’une société, on peut parler d’un modèle culturel. Les personnages

80 parte ii L’organisation de la vie sociale


publics des milieux politique, artistique et même religieux sont sensibles au ait
qu’ils peuvent servir d’exemples à suivre. Ainsi peut-on parler de modèle mas-
culin ou de modèle éminin, de modèle d’autorité ou de modèle de discipline, et
ces modèles évoluent constamment, au gré des transormations sociales.
Les normes ont deux onctions :
1. La première est d’assurer la cohésion de la société par l’entremise d’un code
commun qui acilite la communication, la vie collective et la coopération entre
ses membres. Une norme avorise l’adhésion à un groupe, le sentiment d’ap-
partenance, l’organisation et le contrôle social. La cohésion sociale est impor-
tante parce qu’elle avorise la qualité de vie des membres d’une organisation et
la qualité des relations sociales.
2. La seconde onction des normes consiste à ournir un sentiment de sécurité à
l’individu à l’intérieur d’un groupe puisque les balises qu’elles proposent struc-
turent et orientent ses pensées et ses comportements. Ce sentiment de sécurité
se onde sur le ait que les normes s’inscrivent dans une tradition, se repro-
duisent et assurent ainsi une continuité dans le temps.

3.3.3 Les valeurs : caractéristiques et fonctions


Même si les normes ne ont pas l’unanimité au sein d’une société et comportent
une part d’arbitraire, elles sont liées à un élément essentiel qui sert de guide à la
culture : les valeurs. À la question « Pourquoi les valeurs existent-elles ? », l’anthro-
pologue Clyde Kluckhohn (1952) répond : « […] parce que la vie sociale serait impos-
sible sans elles. Le onctionnement du système social dans son ensemble serait
mis en échec dans l’atteinte des buts collectis. » Selon cet auteur, les valeurs sont
importantes pour le onctionnement d’une société, car elles poussent les individus
à agir. Elles canalisent leur motivation vers l’atteinte d’objectis collectis.
Les valeurs sont des principes de vie jugés idéaux par une personne ou une Valeur
collectivité et qui, de ce ait, rendent estimables les êtres ou les conduites qui Conception collective défnissant
sont en conormité avec elles. Les manières d’agir et d’être des individus enca- ce qui est idéal, désirable ou
drées par les normes sont soumises aux valeurs. Dans ce sens, les valeurs sont estimable en ce qui a trait aux
matérialisées par les normes et donc les précèdent. Mais si les valeurs déter- manières d’être, d’agir et de
minent les comportements individuels et collectis, elles servent aussi de grille ressentir au sein d’une société.
d’évaluation des actions des autres, donnant lieu à ce que l’on appelle des « juge-
ments de valeur ». Les valeurs, dans les aits, rendent compte de l’importance des
idéaux qu’une société se donne.
La question de savoir d’où viennent les valeurs est importante, et tous les cou-
rants sociologiques ont tenté d’y répondre chacun à sa manière. On trouve ainsi
des réponses diérentes à cette question selon les approches sociologiques étu-
diées au chapitre 2.
Selon l’approche marxiste et du confit social, les valeurs sont essentiellement
produites par les rapports sociaux. Autrement dit, c’est d’abord la position sociale
des membres d’une société qui permet le maintien des valeurs an, pour eux, de
déendre ou d’améliorer cette position. Ainsi, selon Marx, ce sont essentiellement
les conditions matérielles d’existence qui créent la conscience de classe. Par
exemple, au début de l’industrialisation, la bourgeoisie, qui était la classe domi-
nante, déendait les valeurs de la division hiérarchique du travail, de l’ecacité,
de la perormance, parce qu’elle possédait le pouvoir, grâce à la richesse qu’elle
retirait de l’application de ces principes. Selon cette approche, les valeurs domi-
nantes d’une société sont produites et maintenues par les classes qui détiennent
les éléments de la richesse (les armes, l’argent ou les moyens de production).

chapitre 3 La culture 81
Selon l’approche onctionnaliste, les sociétés établissent un consensus sur les
valeurs dominantes. Une société a d’abord besoin de cohésion pour survivre. Cette
cohésion n’est pas organisée par un groupe ou une classe dominante ; elle est le
produit d’un contrat social entre les diérentes composantes de la société. Les
valeurs sociales sont donc issues de la majorité des membres de la société. Dans
cette perspective, les ouvriers et les patrons d’une usine doivent avoir des valeurs
communes, comme le progrès ou la productivité, pour pouvoir s’entendre.
Selon l’approche interactionniste, les valeurs sociales émergent des interac-
tions culturelles des groupes sociaux. La société connaît une évolution constante :
les groupes sociaux s’infuencent les uns les autres. Par l’interaction culturelle,
de nouvelles valeurs apparaissent et deviennent dominantes. Ainsi, selon cette
approche, on pourrait sans doute prétendre que la tolérance, une valeur impor-
tante de notre société, est née de l’interaction ou de la cohabitation des diérents
groupes ethniques.
Un certain nombre de caractéristiques sont rattachées aux valeurs. En pre-
mier lieu, les valeurs sont positives. Tout idéal est essentiellement positi, même
si parois les moyens utilisés pour le réaliser correspondent à des comporte-
ments qui ne sont pas acceptables pour la majorité qui adhère à ce même idéal.
Par exemple, mon idéal est d’avoir beaucoup d’argent, mais j’ai recours à des
moyens illicites comme la raude et le vol pour y arriver : l’idéal demeure positi
malgré que les moyens employés sont condamnés par la société.
Pour les individus qui y adhèrent, les valeurs constituent des vérités
absolues, qui ne peuvent être remises en question. Les valeurs morales
comme l’honnêteté, la ranchise, le respect des autres, la décence,
peuvent être un exemple de cette ténacité. En outre, parce qu’elles sont
une source de motivation, elles incitent les personnes à se dépasser et
à cheminer dans la vie. Les valeurs peuvent aussi être transmises d’une
époque, d’une génération à une autre, mais elles ne peuvent être impo-
sées par la contrainte. Les parents peuvent transmettre des valeurs à
leurs enants, mais étant donné que les sociétés se transorment, ceux-
ci peuvent choisir d’y adhérer ou non. Les valeurs sont sujettes à
diverses interprétations, et leur application peut varier.
Enn, l’adhésion à une valeur ne relève pas du choix rationnel ni de
Les valeurs sont souvent transmises
la logique ; elle s’accompagne au contraire d’une charge émotive. La
au sein même de la famille. açon de concevoir la justice et les normes qui en découlent peut être
teintée d’expériences personnelles ou encore d’une appréhension liée
à une réalité méconnue. Par exemple, selon un sondage (Angus Reid, paru en jan-
vier 2010 dans Le Devoir), une majorité de Canadiens se disent avorables à la
peine de mort dans le cas des délits les plus graves. Cependant, qu’en serait-il si
ces mêmes répondants voyaient un de leurs proches condamné à l’ultime châti-
ment ? Comme on le voit, il est parois malaisé de se détacher des sentiments
humains pour évaluer une réalité au nom de principes abstraits.
Les valeurs ont par ailleurs trois onctions complémentaires dans la société :
1. Elles donnent une certaine cohérence à l’ensemble des règles et modèles cultu-
rels. Les valeurs justient les actions individuelles en regard des normes et
d’un idéal. Par exemple, l’étudiant pour qui la réussite proessionnelle constitue
une valeur importante assiste assidûment à ses cours et ournit les eorts
nécessaires pour obtenir de bons résultats.
2. Elles contribuent au bien-être psychique des individus. L’adhésion aux valeurs
d’une majorité permet de se sentir équilibré, moralement et socialement, de se
sentir « normal » en regard de la culture collective.

82 parte ii L’organisation de la vie sociale


3. Elles sont un dénominateur commun et contribuent à l’intégration sociale des
individus. Plus les valeurs sont ortes et bien dénies, plus elles suscitent
l’adhésion, plus elles semblent incontournables, absolues. C’est la raison pour
laquelle, par exemple, les cultures dont les valeurs sont clairement établies
permettent aux nouveaux arrivants de mieux cibler celles auxquelles ils se
doivent d’adhérer pour mieux s’intégrer. Lorsque les valeurs sont largement
partagées par une communauté, les risques de confit s’en trouvent ainsi
réduits.

3.3.4 Les symboles


La onction symbolique, au sens large, est à la base même de la culture. Les cultures symbole
sont tissées de symboles, qui sont eux-mêmes liés au langage et à la langue. La Représentation fgurée d’une
notion de « symboles » est aussi intimement reliée à celle de « valeurs ». Les sym- chose, au moyen de gestes,
boles, au sens sociologique, sont en eet la représentation concrète de cet élément d’objets ou de paroles, en
culturel abstrait. Ils permettent de concrétiser les idéaux proposés, de rendre plus vertu d’une correspondance
tangible l’imaginaire social qui nous guide au quotidien. Par exemple, la réussite analogique : une chose qui tient
la place d’une autre chose.
scolaire sera symbolisée par les diplômes obtenus ; la réussite économique, par
certains biens de consommation de luxe ; la erté nationale, par un drapeau ; la
santé, en regard d’une cause précise, par un ruban de couleur ; etc.
Cependant, que l’on rattache l’univers des symboles à la question du langage
et de la langue ou plus largement à la culture collective, aux manières d’agir et de
penser, le symbolisme a une onction de communication et peut avoir, en plus,
une onction de participation, selon Guy Rocher (1969).
La fonction de communication relève du ait que tout symbole envoie un mes- fontion de ommuniation
sage à travers un signe. Cette onction s’appuie sur un code que les individus Fonction d’un symbole qui vise
membres d’une culture ou que plusieurs cultures sont à même de déchirer. Les la transmission d’un message lié
symboles illustrant « qui doit entrer où » sur les portes des toilettes publiques à une réalité connue.
constituent un exemple de cette onction.
Certains symboles ont aussi une fonction de participation (Rocher, 1969), qui fontion de partiipation
ait appel au sentiment d’appartenance des individus à un groupe. Ainsi, l’inter- Fonction d’un symbole qui
prétation du symbole dépasse la simple compréhension signiante, c’est-à-dire suscite une réaction émotive
une perception qui est à même d’entraîner un comportement automatique chez chez un individu en regard de
l’individu. La réaction en regard du symbole devient alors aective, émotive. Il valeurs auxquelles il adhère.
existe quatre types de symboles qui ont cette double onction :
• les symboles d’appartenance et de solidarité (drapeaux, hymnes nationaux,
armoiries) ;
• les symboles d’organisation hiérarchique (galons sur les uniormes militaires,
espace occupé selon le niveau hiérarchique où l’on se trouve, qualité du mobi-
lier selon ce même critère) ;
• les symboles historiques qui ravivent la mémoire collective d’événements, de
personnages et de lieux marquants de l’histoire d’une société (dates, monu-
ments illustrant une page d’histoire ou un personnage politique, les plaines
d’Abraham) ;
• les symboles religieux et magiques liés au monde des croyances ou des supers-
titions (statuettes vaudou, porte-bonheur, croix).

3.3.5 Les croyances et les idéologies


Deux autres éléments ont partie intégrante de la culture. Il y a d’abord les
croyances qui orientent le choix de nos valeurs et constituent le cadre auquel
les individus se réèrent pour décider de leurs comportements et valider leurs

chapitre 3 La culture 83
décisions. Croire aux droits et aux obligations de chaque personne dans une
société nous amène à valoriser le respect des diérences, l’ouverture au pluralisme
et l’égalité des chances pour tous.
Il y a aussi les idéologies, qui s’enracinent dans des valeurs et explicitent celles-ci
en onction d’un sentiment d’appartenance à un groupe donné que doivent avoir les
individus. Elles permettent la création de systèmes de pensées, d’idées visant à une
meilleure compréhension de la réalité et l’élaboration de modèles de transormation.

Les croyances et les tabous


croyane Parmi les croyances, certaines relèvent de la philosophie, des mythes et de la
Doctrine ou ait considéré religion. Ces dernières sont à la source des pratiques religieuses qui, à leur tour,
comme vraisemblable ou sont encadrées par des groupes religieux, voire des institutions dans le cas des
possible indépendamment Églises établies. Les croyances religieuses ont alors pour onction d’armer et
des connaissances issues d’encourager la solidarité chez les croyants, c’est-à-dire de générer un mouve-
de la démarche scientifque. ment d’armation identitaire. Ainsi, l’identité religieuse, en écartant le discours
rationnel issu de la science, constitue une stratégie possible d’insertion sociale
comme nous le voyons dans certaines sociétés à travers la montée de l’inté-
grisme. Parallèlement au redéploiement du religieux, on assiste aussi, depuis une
quarantaine d’années, à l’essor des croyances ésotériques, c’est-à-dire des
« croyances parallèles » (astrologie, réincarnation, spiritisme, télépathie, etc.),
qui cohabitent souvent avec les croyances chrétiennes (Boy et Michelat, 1996 ;
Champion 1998).
tabou La notion de tabou, quant à elle, ait réérence au côté négati du religieux. Le
Interdit à caractère religieux, tabou est une croyance liée au caractère impur ou sacré d’une personne ou d’une
moral ou social qui ait l’objet chose et conduit à un interdit. La transgression du tabou entraîne une sanction
d’un respect inconditionnel et allant d’une réaction de rejet comme l’ostracisme à un châtiment par la mort.
collecti. Le tabou peut porter Bien sûr, dans la langue courante, le tabou ne relève pas uniquement du domaine
sur un être, un objet ou un religieux ; il englobe également les réalités qu’il aut taire. Ainsi, le tabou relève de
acte considéré comme sacré
la culture collective. La polygamie, l’inceste, la prostitution, la sexualité en
ou impur.
général, le suicide, sont des interdits dont on parle le moins possible en amille ou
entre collègues, même si certains médias en ont régulièrement leurs choux gras
Ces interdits ont pour onction de renorcer l’adhésion aux valeurs d’une société
donnée ; il aut dénir un « mal » pour valoriser un « bien ».

Les idéologies
idéologe Les idéologies sont une composante centrale de la culture et s’enracinent dans
Système cohérent d’idées et de des valeurs suscitant une orte adhésion. Parce qu’il s’appuie sur des valeurs lar-
jugements servant à interpréter gement partagées par une population ou une partie de celle-ci, le discours idéolo-
les situations sociales et à créer gique constitue un puissant acteur de changement social. Voyons d’abord les
une mobilisation en vue d’une principales caractéristiques de l’idéologie en nous inspirant en partie de l’analyse
action collective. de Rocher (1968). L’idéologie comporte les caractéristiques suivantes :
• L’idéologie se manieste sous la orme d’un discours rationnel reposant sur un
certain nombre de postulats. Elle s’eorce donc de décrire ou d’expliquer une
situation, une réalité. Le discours qui en découle ait appel à des aits et à des
jugements qui doivent être perçus comme logiques et valides.
• L’idéologie véhicule des idées ou des concepts qui doivent aider ses adhérents
à appréhender des situations politiques et sociales complexes. Elle donne
corps à des opinions, à des pensées et à des sentiments plus ou moins incons-
cients, et avorise une prise de conscience en ayant recours à des ormules
famboyantes qui visent avant tout l’ecacité : « Prolétaires de tous les pays,
unissez-vous ! » ; « Ce qui est bon pour GM est bon pour les États-Unis » ; « Le
Québec aux Québécois » ; « Black is beautiful ».

84 pare ii L’organisation de la vie sociale


• L’idéologie n’est pas un discours abstrait ; elle renvoie au contraire à des inté-
rêts concrets, que ceux-ci concernent des personnes ou une collectivité.
Cependant, les véritables intérêts particuliers en jeu sont cachés derrière un
discours qui a une portée universelle.
• L’idéologie comporte une dimension aective puisqu’elle ait appel aux senti-
ments, aux émotions et aux passions. En raison de l’importance des intérêts en
cause, l’idéologie suscite souvent de vives réactions psychologiques qui
relèvent de l’anxiété ou de l’agressivité à l’égard d’un changement social.
• L’idéologie cherche à développer chez l’individu un sentiment d’appartenance
à un « nous ». En d’autres mots, elle crée une identité collective qui encourage
l’adhésion et l’identication de l’individu grâce à l’impression de puissance qui
se dégage du groupe.
• L’idéologie s’appuie sur des valeurs et les explicite en onction de ce « nous ».
Ainsi, elle stimule l’émergence d’ambitions, d’aspirations et de valeurs nou-
velles plus ou moins teintées d’utopie et jusque-là inexprimées.
• L’idéologie s’exprime par un discours partisan. À ce titre, ce discours simplie
les réalités les plus complexes et s’avère donc réducteur. Réclamant une adhé-
sion sans réserve, il sélectionne les aits à sa convenance et écarte ceux qui
contredisent sa vision du monde.
• L’idéologie incite souvent au combat contre un adversaire (réel ou imaginaire)
ou un bouc émissaire. Pour ce aire, elle s’eorce de convaincre, de susciter
l’unanimité au moyen du reus de l’autre ou du confit. La crédibilité de l’adver-
saire est alors mise en doute, et ses actions et motis sont critiqués.
• Enn, l’idéologie crée une mobilisation en vue d’une action collective.
Dépositaire d’un projet, elle xe des buts à atteindre et propose des moyens
précis d’y parvenir. Les craintes ou les ambitions en cause s’expriment ou sont
promues sur la scène publique par l’intermédiaire de divers agents du change-
ment social, à savoir les partis politiques, les mouvements sociaux et les
groupes de pression.
D’autre part, l’idéologie peut revêtir dans la réalité plusieurs ormes, selon le
groupe qui la véhicule et les idées qui la composent. C’est ainsi, que l’on distingue
les idéologies politiques, sociales, économiques, religieuses, culturelles, etc.

3.3.6 Les productions matérielles et artistiques


Comme nous l’avons mentionné au début de ce cha-
pitre, une dénition élargie de la culture englobe
aussi les productions matérielles et artistiques. Fruit
de la culture dite « immatérielle », la production artis-
tique d’un peuple ou d’une civilisation témoigne de
sa présence au monde. Elle appartient donc proon-
dément à l’univers de la culture, dont elle dévoile
en quelque sorte le ranement puisque l’individu, en
tant qu’être social, a la aculté de créer et d’innover,
dans sa recherche du beau et du vrai, ain
d’échapper aux contraintes de ce qu’il a appris. La
création artistique, comme l’innovation technolo-
gique, est un produit, un bien culturel, qui se rat-
tache au patrimoine d’un peuple ou d’une nation.
Bien que rayonnant aux quatre coins du monde, Le Cirque
La chanson, le cinéma et la littérature sont autant du Soleil est une production culturelle québécoise.
de domaines qui ont permis à des artistes de s’ex-
primer par leur création artistique.

chapitre 3 La culture 85
La culture matérielle comprend, d’autre part, tous les objets abriqués par
l’être humain ; des silex taillés de nos ancêtres préhistoriques aux ordinateurs
d’aujourd’hui, du simple outil de la vie quotidienne à l’instrument à la ne pointe
de la technologie. L’archéologie, l’ethnographie et l’histoire s’intéressent depuis
longtemps aux objets créés par les humains. Cependant, l’intérêt de la sociologie
pour l’analyse des eets des technologies complexes sur la vie sociale s’est mani-
esté tardivement, sous l’impulsion des révolutions technologiques entraînées
par l’automatisation et l’inormatisation.
Les technologies sont un ensemble intégré de machines, d’appareils et de logi-
ciels servant à produire des biens et des services, et la sociologie s’intéresse aux
rapports entre celles-ci et le monde du travail. La mise en œuvre de ces techno-
logies a, en eet, des impacts sur diérents aspects du monde du travail. Elles
peuvent ainsi contribuer à diminuer le ardeau physique du travail. Elles peuvent
aussi avoir un eet sur la nature des emplois disponibles : diminution du nombre
de postes permanents et augmentation du travail précaire. Sur le plan de la spé-
cialisation du travail, la technologie peut avoriser la complexité de même qu’une
plus grande polyvalence des tâches d’exécution, la création de nouvelles tâches
ainsi que la division entre exécution et conception du travail. Enn, les exigences
requises pour occuper un poste suivent une double tendance : en raison des nou-
velles technologies, certaines tâches deviennent extrêmement spécialisées,
alors que d’autres, à l’opposé, sont réduites à la plus grande simplicité (Gorgeu et
Mathieu, 2008 ; Paugam, 2001).

3.3.7 Les habitus


habtus Le concept d’habitus apparaît pour la première ois dans les écrits de Durkheim
Schème de perception, de (1897). Par la suite, le sociologue rançais Pierre Bourdieu (1980) le reprend dans
pensée et d’action intériorisé son analyse sur la reproduction sociale. Selon ce dernier, l’habitus est au cœur
par l’individu et partagé par un même de la socialisation, et cette notion met en lumière le caractère inconscient
même groupe social. de la culture. En eet, l’individu intériorise inconsciemment des conduites, des
comportements, des valeurs et des croyances qui infuencent sa açon de perce-
voir la réalité et d’agir sur son environnement. Cet ensemble d’éléments est déni
par la classe sociale à laquelle l’individu appartient.
Pour illustrer la portée de l’habitus, examinons le cas d’un individu qui vit son
enance dans un milieu déavorisé sur les plans économique et social. L’instruction
n’étant pas valorisée par son entourage, il est probable que cette personne ne
sera pas portée à entreprendre des études supérieures. De ce ait, ses chances de
réussir seront plus aibles que celles d’une personne provenant d’un milieu ins-
truit et prospère. Ayant intériorisé les valeurs et modèles véhiculés par son
milieu, cet individu ne sera pas porté à se révolter de sa condition. Il se conor-
mera probablement, au contraire, à ce qui constitue la norme dans son environ-
nement en matière d’ambition scolaire et proessionnelle. Comme on le voit, le
parcours de vie et les chances de réussite sociale d’un individu ne relèvent pas
entièrement d’un choix libre et personnel, puisque celui-ci obéit à la contrainte
inconsciente de l’habitus. C’est ainsi que l’habitus entraîne ce que Bourdieu
appelle la « reproduction sociale » (voir le chapitre 7).

86 parte ii L’organisation de la vie sociale


réseau de concepts Les éléments de la ulture

Langue constitue son Fondement

Formelles
Normes sont de 2 types
Informelles

Valeurs
Mœurs
Culture comprend regroupent les
Symboles
Coutumes

Croyances et tabous

Idéologies

Production matérielle
et artistique

Habitus

Faites Le point

7. Quelles sont les composantes essentielles de la culture ?


8. Pour quelles raisons la langue est-elle une composante importante de
la culture ?
9. Quelle différence y a-t-il entre les normes et les valeurs, et de quelle
façon sont-elles interreliées ?
10. Quelles sont les deux fonctions du symbolisme ?
11. Quelle est la différence entre la norme et l’habitus ?

chapitre 3 La culture 87
Résumé
1. La culture est ormée de tout ce que produit une sont imbriqués les uns aux autres) ; elle ait
société. Elle englobe ainsi la culture dite immaté- l’objet d’un apprentissage et elle est modelée
rielle (la création artistique) et la culture matérielle par les innovations issues de l’activité humaine.
(la production de biens et de structures). 5. La culture est un système dont les éléments les
2. La culture a une dimension individuelle (le plus importants sont la langue, les normes,
bagage intellectuel acquis par l’individu) et une les valeurs, les symboles, les croyances, les
dimension collective (les caractéristiques idéologies et les habitus. La langue est au onde-
ment de la culture. Les normes défnissent les
acquises par un ensemble d’individus et trans-
comportements qu’une société attend de ses
mises d’une génération à l’autre).
membres. Les valeurs sont les principes qui déf-
3. Une culture n’est pas une entité homogène. Un nissent un idéal individuel ou collecti. Les sym-
groupe particulier peut avoir une culture qui di- boles sont le prolongement des valeurs. Les
ère de celle de l’ensemble de la société ou qui croyances, elles, meublent l’imaginaire des indi-
s’y oppose. On parle alors de sous-culture et de vidus. Les idéologies donnent un sens à l’action
contre-culture. sociale et se défnissent comme un système de
pensée en apparence cohérent, mais ondé sur
4. La culture possède plusieurs caractéristiques : des postulats qui ne relèvent pas nécessaire-
elle est enracinée dans le quotidien des indi- ment de la connaissance scientifque. Quant à
vidus (en conditionnant leur comportement quoti- l’habitus, il ait réérence à l’ensemble des
dien) ; elle assure par la contrainte la stabilité de valeurs et des comportements intériorisés par
la société tout en étant évolutive grâce à l’action l’individu au cours de sa socialisation. L’habitus
créatrice individuelle ; elle constitue un système s’ancre dans la classe sociale ; en ce sens, il
organisé (tous les éléments qui la composent limite la liberté individuelle.

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 Exercice 3
Faites un inventaire des multiples sens et défnitions Dressez la liste des valeurs importantes pour vous.
du mot « culture ». Pour cela, vous pouvez vous réérer Comparez-les à celles de vos parents, puis à celles
à des dictionnaires spécialisés en sciences sociales, de personnes provenant d’autres cultures. Relevez
aux encyclopédies, à des ouvrages spécialisés ou aire les diérences, puis tentez de déterminer les ac-
une recherche sur Internet. Relevez les éléments de la teurs qui expliquent celles-ci.
culture qui sont mentionnés dans chacune des défni-
tions. Par la suite, discutez de vos résultats en groupe. Exercice 4
Relevez dix symboles utilisés dans votre établisse-
Exercice 2
ment d’enseignement, puis déterminez, pour chacun
À l’aide du tableau 3.2, à la page 79, qui présente les d’eux, s’il possède une onction de communication ou
types et les catégories de normes, trouvez cinq une double onction (communication et participation).
exemples de normes ormelles et cinq exemples de Justifez votre classifcation.
normes inormelles auxquelles vous êtes assujetti en
tant qu’étudiant(e) et catégorisez-les.

88 parte ii L’organisation de la vie sociale


Pour aller plus loin
volumes et ourges de référence BROUARD, Pascal, et Monique GUILBAULT. Sommes-nous
cultivés ? Société GRICS, 2010, DVD (46 min).
TERMOTE, Marc, Frédéric PAYEUR et Normand THIBAULT
Épisode d’une série télévisée documentaire qui aborde certaines
(2011). Perspectives démolinguistiques du Québec et problématiques liées à la culture, par exemple son acquisition,
de la région de Montréal (2006-2056), Ofce québécois sa transmission et le niveau de culture des Québécois.
de la langue rançaise, [En ligne], www.oql.gouv.qc.ca
ROY, Sylvain. Stie : sacrer, c’est sacré ! Avanti Ciné Vidéo,
Document qui ait état de données récentes sur la situation
de la langue rançaise au Québec. 2007, DVD (45 min).
Documentaire posant un regard historique, sociologique,
périodiques et journux linguistique, anthropologique et culturel sur le sacre.

THOBURN, Mark, et Jean MÉNARD. La classe, Mixed Média


DURAND, Guy (2007). « Qu’est-ce que la culture et l’identité
Productions inc., 2009, [En ligne], www.109-tv.com (22 min).
du Québec ? », L’Action nationale, vol. 97, no 1-2, p. 15-22,
[En ligne], www.action-nationale.qc.ca Web-documentaire traitant de l’engouement pour les cours de
comportement et de bienséance, ou comment apprendre aux
Essai sur les notions de culture et d’identité dans le contexte du enants ou aux employés à aire bonne impression ?
débat québécois sur la présence des pratiques et des symboles
religieux dans l’espace public, ainsi que sur les règles, notam-
ment juridiques, et les repères qui permettent de les protéger.
Rendez-vous
audioisuel en ligne
BEAUDET, Josée. L’avenir en jeux. Ofce national du flm, http: // mabibliotheque.
heneliere.a
1989, couleur, DVD (47 min).
Document vidéo qui met en parallèle la açon dont on construit
l’imaginaire des petits garçons et des petites flles par
l’entremise du monde des jouets.

chapitre 3 La culture 89
4
Chapitre

La sOciaLisatiOn

Objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

d’expliquer le rôle du processus de de décrire la contribution des divers


socialisation dans le développement mécanismes de socialisation à chacune
humain ; des étapes de ce processus ;
de comprendre les inuences d’identifer le rôle des diérents agents
que peuvent avoir les caractéristiques de socialisation qui inuent sur chaque
héréditaires et l’environnement social individu.
sur le développement d’un individu ;
pLan de chapitre
4.1 Qu’est-ce que la socialisation ?
4.1.1 Un processus de construction de l’identité
4.1.2 Un processus d’adaptation et d’intégration
4.1.3 Les approches théoriques de la socialisation
4.2 Le déroulement du processus de socialisation
4.2.1 Un processus continu, mais changeant
4.2.2 Les étapes du processus de socialisation
4.2.3 Les périodes de transition
4.2.4 La resocialisation
4.3 Les mécanismes de socialisation
4.3.1 Le miroir réféchissant
4.3.2 Le jeu de rôle
4.3.3 Le maniement des impressions
4.3.4 La socialisation par anticipation
4.4 Les agents de socialisation
4.4.1 La amille
4.4.2 L’école
4.4.3 Les pairs
4.4.4 Le monde du travail
4.4.5 Les médias
4.4.6 L’État
cOncepts-cLés 4.4.7 Les autres agents de socialisation

• Agent de • Resocialisation .... 107


socialisation ........ 116
• Rôle social .......... 106
• Identité
• Socialisation .......... 93
individuelle.............. 93
• Socialisation
• Identité sociale ...... 93
mutuelle ................ 99
• Mécanisme
• Socialisation
de socialisation.... 110
primaire............... 100
• Période
• Socialisation
de transition ........ 106
secondaire .......... 100
Mise en cOntexte

Au cours des années 1930, deux jumeaux ont été séparés dès la petite enance.
Le premier a été pris en charge par sa grand-mère maternelle, qui vivait dans
le sud de la Tchécoslovaquie et qui lui a donné une éducation catholique très
stricte. Membre d’une organisation paramilitaire du parti nazi, les Jeunesses
hitlériennes, il a appris à haïr les Juis. Le second a été éduqué par son père,
jui, dans la colonie britannique de l’île de Trinité. À 17 ans, il a intégré un
kibboutz (communauté nationaliste juive) et rallié les rangs de l’armée israé-
lienne. Par la suite, durant la Seconde Guerre mondiale, il s’est engagé dans
l’armée britannique, où il a appris à détester les nazis.
Les deux rères se sont revus quelques années plus tard, en 1954. À ce
moment, le second n’a pas mentionné au premier qu’il était jui. En 1979, ils
ont été de nouveau réunis (Begley, 1979). Les chercheurs leur ont alors
trouvé une ressemblance physique et quelques comportements similaires.
Cependant, malgré leurs origines génétiques si semblables, les deux rères
se distinguaient nettement sur bon nombre de points. Le premier avait une
préérence pour les loisirs, était traditionaliste, considérait que l’homme
était supérieur à la emme et ne parlait jamais de ses origines juives. À l’op-
posé, le second était un véritable bourreau de travail, adhérait à des idées
libérales, acceptait le courant éministe et semblait extrêmement er de ses
origines. Leurs valeurs, leurs açons d’agir et de penser, leurs idéologies,
leur personnalité en somme, se distinguaient nettement.

Qu’est-ce qui explique les diérences importantes observées entre ces


deux êtres biologiquement si semblables ?
En regard de ce cas vécu, peut-on dire que les manières d’être, d’agir
et de penser d’un individu sont principalement instinctives (innées) ou
développées sous l’infuence de l’éducation et de l’environnement
social (acquises) ?
Quels liens cela permet-il d’établir entre l’identité individuelle d’une
personne et les éléments constitutis de la culture propre à sa
collectivité ?

92 par ii L’organisation de la vie sociale


L
’individu ne décide pas entièrement de sa propre dénition puisque
celle-ci se onde sur une image qu’il se açonne en onction des
perceptions culturelles de sa société. Les expériences de socialisa-
tion, comme nous le verrons dans ce chapitre, ont ainsi une infuence
directe sur la ormation de la personnalité. L’identité individuelle et
sociale d’une personne est le produit de cette socialisation, c’est-à-dire qu’elle
résulte de l’intériorisation par l’individu des valeurs et des comportements
sociaux rattachés à la culture à laquelle il appartient. Ainsi, ce qu’une per-
sonne est au début de sa vie n’a pas de commune mesure avec ce qu’elle veut
être et ce qu’elle sera en n de compte. An de mieux comprendre comment
se produit ce développement social de l’individu, voyons quels sont les onde-
ments du processus de socialisation, ses étapes, ses mécanismes et ses agents.

4.1 Qu’est-ce que la socialisation ?


La socialisation est essentiellement un processus par lequel l’individu ait l’appren- soalaton
tissage des manières d’être, d’agir et de penser partagées par sa collectivité pour Processus par lequel l’individu
ensuite se les approprier. Elle peut être analysée sous plusieurs angles, notam- intègre à sa personnalité les
ment en tant que processus de construction de l’identité. manières d’être, d’agir et de
penser propres à la culture
dont il ait partie.
4.1.1 Un processus de construction de l’identité
L’identité se construit essentiellement de deux manières : par l’identité indivi- identté ndvduelle
duelle, c’est-à-dire par la représentation que l’on se crée de soi-même, et par Représentation de soi ondée
l’identité sociale, soit par la représentation que l’on se crée de soi-même en sur un ensemble de caractéris-
onction de ses appartenances. Comme l’explique le sociologue Denys Cuche, tiques subjectives (qualités,
l’identité sociale « [...] permet à l’individu de se repérer dans le système social et déauts, traits de personnalité,
etc.) perçues par un individu
d’être lui-même repéré socialement » (Cuche, 1996, p 84). Trois composantes inter-
au sujet de lui-même et sur
viennent dans cette construction identitaire : l’airmation d’une autonomie lesquelles se onde son
distinctive qui assure à l’individu son caractère unique (moi), l’appartenance à un sentiment d’unicité.
groupe où il se sent semblable aux autres (nous) et la non-appartenance au groupe,
identté oale
qui découle des diérences constatées chez les autres (eux).
Représentation de soi ondée
La complémentarité de ces trois composantes est touteois paradoxale (voir sur un ensemble de caractéris-
la fgure 4.1, page suivante). Le « moi » et le « nous » se construisent aussi à partir tiques sociales objectives (âge,
du « eux ». Par exemple, le ait de aire partie d’une équipe de sport ne donne sexe, proession, etc.) propres à
un individu et qui permettent de
pas de acto un sentiment d’appartenance à l’équipe. Ce sentiment d’apparte-
l’identifer à un groupe (jeunes,
nance peut touteois émerger lorsque cette équipe entre en compétition avec
emmes, étudiants, etc.).
une autre dans le cadre d’un championnat.
En ait, le « nous » collecti qu’est l’identité sociale est un héritage social arbi-
traire légué à l’individu dès sa naissance. Notamment, l’individu appartient à
l’un des deux sexes, sexes qui reçoivent des dénitions sociales diérentes
selon les sociétés. Il hérite également d’un rang social déni par la classe
sociale à laquelle appartiennent ses parents. De même, un nom et un prénom
lui sont attribués, marquant plusieurs identités sociales : celle de son groupe
ethnique, celle de son groupe linguistique et celle de son groupe amilial.
L’identité est donc un construit social qui se développe dans un contexte d’alté-
rité, c’est-à-dire dans une dynamique d’interaction.
Alors que la société tend à réclamer des identités préétablies et standardi-
sées sur les plans physique et intellectuel – ce qui ne acilite pas la tâche à l’in-
dividu qui tente de se démarquer –, elle développe par ailleurs une culture de

chaptre 4 La socialisation 93
Figure 4.1 Les comosantes de l’dentté ndvduelle et socale

EUX
De qui suis-je
MOI NOUS
différent?
Comment je me À qui je
dénis? m'identie?

Pressions pour adopter Identité sociale Pressions pour adopter


une identité uniformisée une identité différenciée

Identité
individuelle

l’individualisme négati, qui éloigne ses membres les uns des autres (Montoussé
et Renouard, 2009). De plus, l’émergence d’une appartenance que l’on veut plu-
rielle (pluriethnique, plurilinguistique, plurinationaliste et pluriterritoriale) ne
peut conduire qu’à une identité certes vaguement commune, mais appauvrie et
déterritorialisée (Saez et coll., 1995, p. 22). La quête de l’identité, tant sur le plan
individuel (« Qui suis-je comme individu ? ») que sur le plan social (« Qui suis-je
comme membre d’un groupe, d’une société ? »), est devenue labyrinthique.
Est-il possible de séparer l’identité individuelle de l’identité sociale ? L’une de
ces identités prime-t-elle l’autre ? En ait, l’ancrage de l’identité dans l’histoire
de vie d’un individu va de pair avec son ancrage dans la dimension sociale. Le
ait de se dénir suivant un rôle social ou une position sociale, d’éprouver un
sentiment de conance ou d’estime de soi, de réagir avec spontanéité ou de
penser par soi-même est nécessairement lié à la açon de se situer par rapport à
l’environnement et aux autres. L’identité individuelle est donc ondamentalement
intégrée à l’identité sociale puisque la représentation qu’une personne se ait de
son unicité découle de perceptions subjectives socialement orientées. Ainsi, la
valorisation de certains traits de personnalité ou de certaines caractéristiques
physiques ainsi que les dénitions d’une qualité, d’un déaut et de ce qui est
moralement acceptable infuencent la conception de soi. Par exemple, en
Amérique du Nord, une personne obèse ou de petite taille s’éloigne du modèle
idéal de la culture dans laquelle elle s’inscrit. En eet, le jugement de valeur porté
sur ces caractéristiques ait en sorte que cette personne est socialement consi-
dérée comme moins désirable et son estime d’elle-même risque d’en être aectée.
Elle se percevra, à l’image de la société, de açon négative (voir le chapitre 8).
C’est en ce sens que l’individu ne décide pas entièrement de ce qu’il est puisque
son identité, aussi bien individuelle que sociale, est le produit d’expériences de
socialisation.

4.1.2 Un processus d’adaptation et d’intégration


La socialisation est un processus interacti qui suppose des liens plus ou moins
réciproques et directs avec une multitude d’individus. Ainsi, c’est par l’observa-
tion et les interactions que s’acquièrent les manières d’être, d’agir et de penser
qui sont conormes aux normes et aux valeurs de la société (voir le chapitre 3). Par
exemple, nous apprenons beaucoup des groupes auxquels nous appartenons ou

94 parte ii L’organisation de la vie sociale


que nous côtoyons durant notre vie, comme les membres de notre amille, nos
amis ou nos enseignants. Nous sommes également marqués par certaines per-
sonnes que nous rencontrons dans la rue ou que nous voyons à la télévision, dans
les flms et les magazines. Nous percevons aussi l’approbation ou la désapproba-
tion de notre entourage selon que nos agissements sont conormes ou non à ce
qui est attendu de nous, de même que nous aisons parois sentir à l’autre que son
comportement est désirable ou indésirable.
Le processus de socialisation, en plus de participer à la construction de l’iden-
tité individuelle et sociale, implique donc une interpénétration de l’ensemble des
systèmes ondamentaux : culture, organicité et environnement social usionnent
jusqu’à aire partie intégrante de la personnalité de l’individu, au point d’en
devenir indissociables.
Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les éléments de la culture (langue,
normes, croyances, etc.) sont interdépendants et constituent un ensemble de com-
posantes interreliées ormant un système. La socialisation est essentiellement un
processus d’apprentissage de ce système culturel, grâce auquel nous intégrons
intimement à notre personnalité les éléments constitutis de la culture et appre-
nons graduellement la vie en société. Le processus de socialisation consiste donc
à l’intégration réciproque de l’individu au système culturel et du système culturel
par l’individu.
Deux autres systèmes interviennent principalement dans le processus de
socialisation : le système organique (hérédité, génétique, physiologie, etc.) et le
système social (milieu de vie, relations sociales, environnement, interactions,
etc.). Comme l’illustre la fgure 4.2, c’est la synergie de ces trois systèmes qui
orme la personnalité unique d’un individu. Bien qu’il n’y ait pas de consensus au
sujet de la prédominance de l’hérédité ou de l’environnement social dans le
développement humain, bon nombre de chercheurs s’entendent pour dire qu’il
ne aut pas les opposer. Il aut plutôt chercher à comprendre le rôle respecti
des acteurs génétiques, culturels et sociaux dans ce processus.
À l’instar de l’histoire des jumeaux jui et nazi présentée au début de ce cha-
pitre, une étude menée en 1980 par les chercheurs du Centre de recherches du
Minnesota sur les jumeaux et l’adoption a permis de mettre en lumière une partie

Figure 4.2 La soialisation : interpénétration de trois systèmes

Valeurs, normes,
croyances,
idéologies, etc.
Système culturel

Milieux,
environnement,
relations sociales,
interactions, etc.
Individu

Système Système
social organique Hérédité,
génétique,
physiologie, etc.

chapitre 4 La socialisation 95
des eets de l’hérédité sur le développement de la personnalité
(Horgan, 1993). De ait, les conclusions de Horgan ont révélé une
similitude étonnante entre les jumeaux éduqués séparément.
Cette ressemblance concernait certains traits à caractère biolo-
gique comme le ton de la voix et les tics nerveux, mais également
certaines tendances à adopter des attitudes de leadership et de
domination, ce qui laisse supposer une détermination génétique
partielle de ces comportements. Touteois, les chercheurs ont
remarqué chez ces mêmes jumeaux de grandes diérences quant
aux attitudes, aux valeurs, aux types de relations et aux habitudes
de consommation, de même que dans leurs attentes en ce qui a
trait aux rapports intimes, au conort et à l’aide qu’ils souhaitent
obtenir des autres – aspects qui seraient donc essentiellement
infuencés par les environnements culturel et social.
Par ailleurs, les chercheurs sont étonnés de la concordance
des résultats à des tests d’intelligence qu’obtiennent des jumeaux
Certaines études portant sur de vrais jumeaux éduqués ensemble, résultats qui parois se ressemblent au point
éduqués dans des milieux culturels et sociaux de laisser croire que la même personne a ait deux ois le test.
dissemblables tendent à démontrer la prépondé-
À l’opposé, les résultats obtenus par de vrais jumeaux éduqués
rance de l’infuence sociale sur le déterminisme
génétique dans le développement de la personnalité.
dans des milieux sociaux dissemblables sont très divergents. Ces
observations démontrent, encore une ois, que s’il aut compter
sur le acteur de l’hérédité pour expliquer le comportement, l’apprentissage
social dans un milieu donné joue un rôle déterminant dans le développement de
la personnalité d’un individu.
Dans le même sens, une étude menée par une équipe de psychiatres et de biolo-
gistes pendant près de 10 ans visait à observer l’émergence d’un trouble bipolaire
(ou maniacodépression), un type de psychose qui ait passer les personnes qui en
sont atteintes d’un état d’euphorie à un état dépressi en un très court laps de temps
(Egeland et coll., 1987). Les conclusions de cette étude portent à croire que l’héré-
dité joue un rôle dans cette maladie puisqu’elle est associée aux gènes d’une région
particulière d’un chromosome. Cependant, cette caractéristique ne condamne pas
à la maniacodépression : elle est un simple acteur de prédisposition.
Plusieurs cas d’isolement social apportent également un éclairage révélateur
sur le rôle de l’environnement social dans le développement de l’individu. En
1938, les autorités de l’État de l’Ohio, aux États-Unis, ont découvert une petite lle
nommée Isabelle qui avait passé les six premières années de sa vie enermée dans
une chambre obscure (Kingsley, 1940, 1947). Le seul contact humain qu’elle avait
eu était avec sa mère sourde-muette. Lorsqu’on l’a découverte, elle ne pouvait
pas parler. Elle émettait des sons incompréhensibles et ne communiquait avec sa
mère que par gestes. Bien que n’ayant aucune décience intellectuelle, la llette
avait des comportements qui ressemblaient à ceux d’enants âgés de quelques
mois seulement. Ses premiers contacts avec des étrangers ont été marqués par
une orte crainte et par des réactions animales. Des spécialistes ont alors conçu
un programme d’apprentissage pour lui permettre de s’adapter aux relations
humaines, dont les résultats ne se sont pas ait attendre. De ait, après quelques
jours, Isabelle aisait ses premières tentatives pour parler. Après deux mois, elle
pouvait ormuler des phrases complètes. Neu mois plus tard, elle lisait plusieurs
mots et plusieurs phrases. Avant d’atteindre l’âge de neu ans, elle a pu aller à
l’école avec les autres enants. À 14 ans, elle terminait sa sixième année. Son ren-
dement était très bon et son état psychologique, des plus stables. Elle a même
achevé des études secondaires. Socialement, Isabelle était devenue une personne
à part entière.

96 parte ii L’organisation de la vie sociale


En outre, des études portant sur des animaux main-
tenus isolés indiquent également l’importance de la socia-
lisation. Harry F. Harlow (1971), chercheur à l’université du
Wisconsin, a eectué des tests sur des singes rhésus
séparés de leur mère et n’ayant aucun contact avec leurs
semblables. Les singes isolés semblaient désemparés et
craintis. Ils ne s’accouplaient plus, et les emelles insémi-
nées artifciellement devenaient des mères abusives. De
toute évidence, l’isolement social avait des eets domma-
geables sur ces singes. Une autre étude de Harlow a même
démontré que les besoins sociaux et aectis semblent
concurrencer les besoins physiologiques les plus onda-
mentaux. Ainsi, lorsque les petits singes acceptaient à Les animaux, comme les humains, ont besoin du contact de
contrecœur de se nourrir au sein d’une mère artifcielle leurs semblables – ou d’un substitut – pour combler leurs
aite d’un biberon et de fls d’acier, ce n’était que pour besoins sociaux et se développer pleinement.
mieux retourner auprès de celle aite de chion qui, bien
que n’ayant aucune nourriture à prodiguer, orait chaleur,
réconort et sécurité.
L’ensemble de ces études permet de valider des thèses qui accordent une cer-
taine importance à l’hérédité dans le développement de l’individu, mais nous
conduisent également à voir dans les milieux culturel et social les acteurs
primordiaux. En eet, elles démontrent bien à quel point plusieurs comporte-
ments qui nous semblent parois relever de la nature humaine ne peuvent exister
sans interactions interpersonnelles. La complémentarité de l’hérédité et de l’envi-
ronnement social laisse supposer que ce dernier est l’élément indispensable au
développement des habiletés et des dispositions mentales d’une personne.

4.1.3 Les approches théoriques de la socialisation


Il est malaisé de déterminer la part respective de chacun des systèmes ayant
contribué au développement de notre personnalité. Certes, nous ne sommes pas
que le produit de nos gènes, mais sommes-nous pour autant l’inéluctable produit
de notre culture ou le résultat conditionné de notre milieu social ? L’ensemble des
théories de la socialisation repose sur cette opposition ondamentale entre liberté
et contrainte, entre primauté de l’individu ou de la société, tel qu’exposé au
chapitre 2. Plusieurs sociologues, chacun abordant la chose selon son approche
théorique de prédilection, se sont penchés sur cette question, cherchant à com-
prendre comment un individu se construit à la ois comme être social dépendant
du groupe et comme être autonome et aranchi.

Les visions déterministes de la socialisation


Durkheim voit dans la socialisation, comme dans toutes les autres interactions
sociales, la prépondérance de la société sur l’individu. Il y a déterminisme social,
comme nous l’avons vu au chapitre 2. Pour lui, la socialisation est d’abord et avant
tout un processus de reproduction sociale au cours duquel la génération adulte
transmet à la jeune génération les modèles de comportements et les éléments cultu-
rels qui les conditionnent (normes, valeurs, croyances, etc.). Il voit dans les institu-
tions que sont la amille et l’école les principaux canaux de transmission de ces
modèles de comportements. Pour Durkheim et les tenants de l’approche onction-
naliste, ces institutions participent à la construction sociale de l’individu par la trans-
mission de normes et de savoirs et le préparent ainsi à la vie en société et aux
onctions qu’il devra y occuper. Dans cette perspective onctionnaliste, la visée ultime
de la socialisation est l’intégration de l’individu au système dans une optique de bon

chapitre 4 La socialisation 97
fonctionnement de celui-ci. Ainsi, elle assure la cohésion sociale en favorisant la soli-
darité (mécanique ou organique) entre les membres de la collectivité (Cuche, 1996).
La vision marxiste de la socialisation s’inscrit elle aussi dans un courant déter-
ministe. Cependant, au lieu de considérer ce conditionnement de l’individu
comme nécessaire et souhaitable, les sociologues néomarxistes y voient plutôt
une source d’aliénation par laquelle l’individu est dépossédé de son authenticité.
Selon eux, par l’entremise de la socialisation, les groupes sociaux dominants
imposent leurs valeurs, leurs croyances et leurs idéologies à ceux qui sont
dominés, façonnant ainsi la société à leur image. La socialisation, pour les tenants
de cette approche, mène inexorablement à la reproduction des inégalités sociales
fondées, notamment, sur le sexe, la classe sociale ou l’origine ethnique. Pire, cer-
tains lieux de socialisation, en commençant par l’école, auraient pour effets non
seulement de reproduire, mais également de légitimer et de rendre acceptable
ces inégalités. La valorisation de certains savoirs scolaires, l’évaluation et la
sélection des étudiants et la pédagogie utilisée seraient ainsi mises au service de
diverses formes de domination dans la société (Boudon, Cherkaoui et Valade,
2005, p. 216). La vision de Bourdieu, tout en s’en distinguant à certains égards,
s’inscrit dans ce courant (voir l’encadré 4.1).

Encadré 4.1 Sociologue en Action

Pierre Bourdieu (1930-2002)

Pierre Bourdieu est un sociologue processus de socialisation mène essentiellement à une appro-
rançais engagé dans la lutte contre priation très personnelle de l’habitus particulier à son groupe
les inégalités sociales. Il a en eet social. Ainsi, les apprentissages qu’une personne réalise par
apporté son soutien à diverses l’entremise des instances de socialisation ont pour résultat l’in-
causes en étudiant notamment la tégration de caractéristiques propres à son milieu social. Elle lit
reproduction des hiérarchies so- donc un journal plutôt qu’un autre, écoute de l’opéra plutôt que
ciales et le rôle des médias dans les de la musique populaire ou préère assister à un spectacle d’hu-
rapports sociaux. Militant et média- mour plutôt qu’à une pièce de théâtre. Cela explique la simili-
tisé, Pierre Bourdieu a été un intel- tude des manières d’être, d’agir et de penser de l’ensemble des
lectuel marquant de son époque, dont l’inuence s’étend individus issus d’un même groupe social.
au-delà des sciences sociales. Il a ainsi dénoncé tour à tour de
Par ailleurs, Bourdieu présente l’espace social non pas comme
nombreuses institutions (médias, école, religion, politique, etc.)
un axe vertical structuré en classes superposées (voir le
comme étant des outils de reproduction sociale, perpétuant
chapitre 7), mais plutôt comme un champ où se situe l’individu
des normes et des valeurs souvent établies arbitrairement.
en onction de trois paramètres, qu’il nomme « capitaux » : son
D’où son désir de s’engager lui est-il venu ? Qu’est-ce qui l’a capital économique, son capital culturel et son capital social.
mené à se positionner ainsi ? Constatant la difculté, voire
Le capital économique est l’ensemble du patrimoine d’un indi-
l’impossibilité, de contester la pensée dominante, Bourdieu a
vidu, c’est-à-dire ses biens matériels (habitation, voiture,
consacré une partie de sa carrière à analyser l’espace social,
épargnes, etc.), mais également les revenus qui lui autorisent
cherchant à le comprendre pour identifer les manières d’agir
son niveau de vie. Pour sa part, le capital culturel réère à l’en-
et de provoquer le changement. Ainsi, il en est arrivé à déve-
semble des ressources culturelles d’un individu (connais-
lopper plusieurs théories et concepts, dont celui d’« habitus »
sances générales, maîtrise des langages, savoirs artistiques ou
(voir le chapitre 3).
scientifques, etc.) qui résultent, le plus souvent, de l’éducation
L’habitus, pour Bourdieu, est au centre du processus de sociali- académique et se concrétisent par des diplômes scolaires.
sation. Il désigne les schèmes de compréhension et d’action qui Partant de ces deux paramètres, l’individu se situe diéremment
se traduisent, notamment, par un ensemble de styles de vie, de dans l’espace social en onction de ses richesses et de son
pratiques de consommation et de perceptions du monde. Le éducation. Pour Bourdieu, un aible capital économique peut

98 parte ii L’organisation de la vie sociale


être compensé par un ort capital culturel, et inversement. Par L’epae oial elon bourdieu
exemple, une personne économiquement déavorisée mais
ayant ait des études universitaires possède un capital culturel Capital total élevé
prédominant, qui peut lui permettre de se situer au même (ensemble des capitaux culturel,
économique et social)
niveau de hiérarchie sociale qu’une personne ortunée, mais
relativement peu scolarisée (capital économique prédomi-
nant). Quoiqu’au même « niveau », ces deux personnes se situe-
ront dans des champs diérents.
Capital
Enfn, le troisième paramètre, soit le capital social, constitué par Capital culturel
économique
prépondérant
l’ensemble du réseau de relations d’une personne, inue égale- prépondérant
ment sur la position sociale de l’individu, comme nous le verrons
au chapitre 5. La quantité de personnes incluses dans ce réseau,
de même que la qualité de leurs propres capitaux culturel et éco-
nomique, module la position de l’individu dans l’espace social. Capital total faible
Conséquemment, plus le capital global (c’est-à-dire l’ensemble (ensemble des capitaux culturel,
économique et social)
des capitaux économique, culturel et social) est élevé, plus la
position sociale de l’individu est socialement dominante.
Source : Adapté de Raisons pratiques, coll. « Points », Seuil,
À chacune de ces positions sociales correspond un habitus 1996, p. 21.
particulier. C’est ce que Bourdieu établit, au moyen d’enquêtes
portant sur les goûts, les styles de vie, le vote, etc. C’est cet vie en onction de la trajectoire sociale. De plus, l’individu
habitus qui est transmis par le processus de socialisation, ali- peut s’arracher à ce carcan par sa volonté propre. Prenant
mentant la reproduction sociale, c’est-à-dire la perpétuation et conscience de ce qu’il est par le regard sociologique qu’il peut
le maintien des normes et des valeurs d’une société. Touteois, porter sur sa propre personne, il a le pouvoir et la capacité
l’habitus n’est pas irrévocable. Il se module tout au long de la d’agir sur la société et sur lui-même.

Les visions interactionnistes de la socialisation


À l’opposé de ces visions déterministes, il existe une conception plus interactive
de la socialisation, qui place l’individu au centre du processus de socialisation
(voir le chapitre 2). Ainsi, selon les visions interactionnistes, la socialisation résulte
d’interactions ayant lieu au sein de dynamiques diverses et dans des contextes
changeants, exigeant des apprentissages et des ajustements continuels. Plutôt que
de percevoir la socialisation comme un simple processus de conditionnement subi
par l’individu, les tenants de cette approche analysent donc la socialisation à partir
du rôle acti que les individus y jouent.
Pour cerner ce phénomène de la socialisation réciproque, l’anthropologue soialiation mutuelle
Margaret Mead parle de socialisation mutuelle. Elle illustre ce concept par Processus par lequel les
l’exemple de la amille. Dans ce cas, le comportement d’un enant est açonné individus socialisés sont en
par ses relations avec ses parents et celui-ci, à son tour, modie les modèles de même temps des vecteurs de
comportements de ses parents. Selon Mead (1965), ce type de socialisation simul- socialisation pour les autres.
tanée parents-enant-parents conduit à des changements proonds et rapides
dans les sociétés, puisque les jeunes sensibilisent les personnes plus âgées aux
nouvelles coutumes et valeurs.
L’individu, relativement autonome, s’adapte donc selon les situations, modiant au
besoin ses comportements, ses attitudes, parois même ses manières de penser an
de collaborer avec les personnes avec qui il interagit. Il a tendance, de manière géné-
rale, à éviter la conrontation ou les confits an d’être socialement désirable. Anatol
Rapoport (1965) démontre à cet eet que le maintien des rapports sociaux tient
essentiellement à la volonté de tous les acteurs de coopérer en évitant d’adopter des

chapitre 4 La socialisation 99
comportements provocateurs ou choquants. Cette volonté de collaboration peut
même pousser l’individu à pardonner rapidement – ou même à ignorer – les compor-
tements socialement inacceptables an de maintenir ce climat de coopération.

FaitEs LE point

1. Quels sont les deux types de représentation qui interviennent dans la


construction de l’identité ?
2. Quels sont les trois systèmes qui jouent un rôle dans le processus de
socialisation ?
3. Lequel de ces trois systèmes semble avoir une infuence primordiale ?
Pourquoi ?
4. En quoi les visions déterministes et interactionnistes de la socialisa-
tion s’opposent-elles ?

4.2 Le déroulement du processus de socialisation


socalaton mae Le développement de la personnalité sociale ne se ait pas du jour au lendemain ; c’est
Socialisation intensive qui a lieu l’aaire de toute une vie. Bien qu’à certains moments de notre existence le processus
dans l’enance et l’adolescence de socialisation soit plus intense, les transormations commencent dès le berceau et
et qui marque généralement se poursuivent jusqu’à la mort. On parle d’ailleurs de socialisation primaire pour
l’individu pour le reste de sa vie. désigner la période très active d’apprentissage social qui a lieu dans l’enance et même
socalaton econdae l’adolescence, tandis que l’on parle de socialisation secondaire pour désigner les
Socialisation, parois subtile, apprentissages qui se ont par la suite et qui relèvent davantage d’une adaptation
qui se poursuit de l’adolescence sociale continue. Il s’agit donc d’un processus persistant, mais aussi inconstant.
jusqu’à la fn de la vie et qui
permet à l’individu de s’adapter
aux diérents contextes et 4.2.1 Un processus continu, mais changeant
milieux sociaux.
Le développement social varie selon l’individu et le contexte. Dans certaines
cultures, par exemple, la communauté souligne certaines étapes par des cérémo-
nies particulières. Plusieurs sociétés ont ainsi instauré des rites de passage, qui
soulignent et ocialisent les changements de statut d’une personne. Ces rites
permettent de transposer une réalité menaçante ou angoissante (une étape impor-
rte de aage tante de la vie) en une épreuve assumée dans une solidarité de groupe. Ils sou-
Cérémonie ou ête servant
lignent à la ois le passage d’une étape à l’autre, mais également l’accès au nouveau
à marquer une transition statut qui en découle. Par exemple, les jeunes emmes aborigènes d’Australie, tra-
importante d’une étape de la vie ditionnellement, étaient honorées lors d’une cérémonie au moment de leurs pre-
à une autre ainsi que l’accès au mières menstruations. Ce rite visait à souligner le passage de l’enance à la vie
nouveau statut qui en découle. adulte ainsi que le statut de emme, potentiellement mère, qui l’accompagne.
En Amérique du Nord, les étapes de la socialisation ne sont généralement plus mar-
quées par des règles sociales aussi rigides. Cela ne veut pas dire que ces étapes
n’existent pas, mais simplement que la culture s’est assouplie quant au moment où
elles sont ranchies et aux conséquences qu’elles peuvent avoir. Il ne s’agit donc plus,
comme il y a quelques décennies, de cérémonies ocielles et grandioses touchant la
totalité ou une partie des membres de la société à un moment précis de leur vie, comme
pouvaient l’être la première communion, la communion solennelle ou le mariage.
Aujourd’hui, l’éclatement des valeurs a ait en sorte que les étapes de la socialisation
ont désormais une signication plus personnelle que collective. Certains de ces rites
subsistent encore, même s’ils ont perdu pratiquement toute signication sociale.
Notamment, et bien qu’il soit moins réquent qu’auparavant, le mariage représente

100 pate ii L’organisation de la vie sociale


toujours un rite de passage en Occident. Encore en 2011, c’est 22 898
mariages qui ont eu lieu au Québec, dont plus de de la moitié (53 %)
étaient religieux (Institut de la statistique du Québec, 2012).
Par ailleurs, les rites de passage globaux sont aujourd’hui plus di-
fciles à reconnaître compte tenu « de la complexité des dynamiques
amiliales et sociales ainsi que de la disparition des consensus sur
les valeurs » (Bernier, Gauthier et coll., 1997). On peut cependant consi-
dérer que la recherche d’une identité propre subsiste et se concrétise
chez les jeunes par des rites tels que la première consommation d’al-
cool, la première sortie accompagnée, les bals de fn d’année et les
séances d’initiation dans les collèges et les universités ou, encore,
l’accession au marché du travail.
On constate également des diérences quant à la durée de cha-
cune de ces étapes. Ainsi, des études menées tant au Canada que
dans certains pays d’Europe révèlent qu’il y a eu une révolution dans
le déroulement de la vie des individus au cours des cinquante der-
nières années (Ravanera et coll., 2003 ; Sauvain-Dugerdil et coll., 1998). On
assiste à l’allongement de l’espérance de vie et de certaines étapes du
processus de socialisation, phénomène qui se traduit par des transi-
tions de vie plus tardives : départ du oyer parental, achèvement des
études, ormation d’une union « ofcielle » et naissance d’enants. En
eet, l’espérance de vie a augmenté de 73,2 à 81 ans de 1974 à 2008, ce
qui a des répercussions sur les étapes de la socialisation qui tendent Les rites de passage ne sont plus les mêmes
aujourd’hui, mais certains évènements marquent
à se aire plus tardivement (Ressources humaines et Développement
encore les étapes de la vie. La première consom-
des compétences Canada, 2012). Ainsi, l’âge moyen au premier
mation d’alcool ou sortie dans un bar, pour
mariage, hommes et emmes conondus, augmente de açon continue, plusieurs jeunes, tient ainsi un rôle symbolique
tout comme le pourcentage de mères ayant au moins 30 ans au dans l’accès au statut d’adulte.
moment de donner naissance à un premier enant, alors que le pour-
centage de emmes ayant donné naissance beaucoup plus jeunes
(entre 14 et 19 ans) a considérablement chuté (voir la fgure 4.3).

Figure 4.3 L’évolution du taux de naissane selon le groupe d’âge de la mère (canada, 1974-2008)
Naissances (en %)
60

50

40
Mères ayant 30 ans
ou plus au moment de
30 donner naisssance

20 Mères ayant de 14 à
19 ans au moment de
donner naissance
10

0
1974

1976

1978

1980

1982

1984

1986

1988

1990

1992

1994

1996

1998

2000

2002

2004

2006

2008

Année

Source : Adapté de Gouvernement du Canada. Ressources humaines et développement des compétences, Gouvernement du Canada, [En ligne],
www.rhdcc.gc.ca/fra/accueil.shtml (page consultée en avril 2012).

chapitre 4 La socialisation 101


Pour toutes ces raisons, l’adolescence paraît être l’étape la plus touchée par ce
phénomène. Elle s’allonge et dure à présent, selon certains, bien au-delà du nombre
d’années traditionnellement convenu. Alors qu’au Moyen Âge le passage de l’en-
ance à l’âge adulte se aisait pratiquement sans transition, on utilise aujourd’hui
le mot « jeunesse » pour parler d’une adolescence qui se prolongerait jusqu’à l’âge
de 30 ans, voire un peu plus tard (voir le chapitre 9). Une enquête sur la population
active démontre à cet eet que la transition vers le monde du travail s’étend sur
une plus longue période qu’auparavant (Bowlby, 2000). Elle s’étale désormais
sur sept ans au lieu de cinq, et ce n’est pas avant l’âge de 23 ans que la moitié des
jeunes terminent leurs études pour se retrouver sur le marché du travail.
Il y a donc une grande diversité dans la défnition de la vie amiliale et proes-
sionnelle des individus, qui suppose l’inexistence d’un cheminement type vers la
vie adulte. Cette diversifcation des cheminements, principalement de 15 à 35 ans,
repose en grande partie sur des acteurs socioéconomiques. Économiques, d’une
part, parce que le désir de ormer un couple chez les jeunes se verrait reiné par
la difculté d’obtenir un emploi stable et de consolider leur carrière, de même que
par l’importance grandissante qu’ils accordent à leur vie proessionnelle. Sociaux,
d’autre part, parce qu’un départ plus ou moins tardi du oyer parental relèverait
de la structure amiliale (monoparentale, recomposée ou intacte) et du niveau de
scolarité du milieu amilial, mais aussi parce que l’augmentation de la scolarisa-
tion des emmes diérerait la constitution d’une union et que l’allongement de la
scolarité contribuerait à retarder les transitions du début de la vie (Bowlby, 2000).
catégore soale De plus, les individus peuvent être socialisés diéremment dans une même
Ensemble de personnes qui société, selon le milieu socioéconomique auquel ils appartiennent depuis leur
partagent certaines caractéris- naissance. On constate en eet que cette période de la vie s’est allongée principa-
tiques sociales ou certaines lement dans certaines catégories sociales où les moyens fnanciers permettent
conditions de vie. aux enants de demeurer plus longtemps hors du marché du travail. À l’inverse,
les personnes issues d’un milieu économiquement déavorisé commencent géné-
ralement à travailler plus jeunes et quittent les études plus tôt. Ce peut être parce
qu’elles doivent contribuer au revenu de la amille, parce qu’elles désirent
acquérir rapidement leur autonomie fnancière ou parce qu’elles accordent une
moindre importance à l’éducation en raison de valeurs amiliales.

RésEau dE concEpts La soalsaton : un roessus ontnu, mas hangeant

Socialisation est un Processus continu et aussi Processus changeant


un

Durée des étapes quant à Rites de passage

qui se qui sont plus


prolongent plus ou moins
ou moins selon
Formels Collectifs

selon les
Facteurs économiques Facteurs sociaux

Cultures

102 parte ii L’organisation de la vie sociale


4.2.2 Les étapes du processus de socialisation
Les étapes de la vie semblent donc se défnir, et surtout se redéfnir, de açons di-
érentes selon l’époque et le lieu. Le cheminement des individus pour en arriver à
s’intégrer à la société – et, inversement, les eorts de la société pour intégrer les
individus dans son onctionnement – étaient jusqu’alors relativement
homogènes.
Ce cheminement est, depuis quelques décennies, devenu nettement plus hété-
rogène dans plusieurs sociétés. Conséquemment à cette hétérogénéité croissante
de la manière dont se vit le processus de socialisation, il est de plus en plus dif-
cile d’en parler comme d’une suite d’étapes uniormes vécues de manière sem-
blable par l’ensemble des individus partageant une même culture.
Cependant, il est tout de même possible de diviser le processus de socialisa-
tion en grandes étapes constituant un cadre de réérence utile à la compréhen-
sion de ce processus. Certains, comme les sociologues Peter Berger et Thomas
Luckmann, identifent des moments clés associés à de grands cycles de vie
(entrée à l’école, mariage, etc.) ou encore, comme nous l’avons ait précédemment
dans ce chapitre, subdivisent ce processus selon qu’il s’agit de la socialisation
primaire ou secondaire. D’autres, comme le spécialiste américain de la psycho-
logie sociale, Daniel J. Levinson (1978), découpent ce processus en étapes plus
précises. Ce sont ces étapes, telles que défnies par ce dernier, que nous allons
présenter ici. Il aut touteois garder à l’esprit que ce modèle n’est valable que
pour les sociétés occidentales actuelles et que, de surcroît, de nombreuses varia-
tions sont observables d’un individu à l’autre.

L’enfance
L’enance est la première étape de la socialisation et sans doute la plus intensive
de toutes, quoique cette intensité tende de plus en plus à se prolonger dans l’ado-
lescence. L’enance est non seulement l’âge où l’individu a le plus à apprendre,
mais c’est également l’âge où il est le plus malléable : les apprentissages aits à cet
âge se ont donc plus vite, plus aisément, et ils marquent pour la vie.
Dès le berceau, l’enant acquiert des habitudes de vie. Les horaires du som-
meil, de la tétée ou du biberon sont imposés, de même que le moment du sevrage
et celui de l’introduction de nouveaux aliments. Il s’ensuit toute une série de
açons de aire : l’enant acquiert des règles d’hygiène et de bienséance ainsi que
des règles morales qui auront une incidence sur le reste de sa vie. Il apprend
aussi, par le langage verbal ou non verbal, à exprimer des sentiments appropriés
à des circonstances. Il intériorise les comportements adéquats en onction de
renorcements positis ou négatis que lui donnent ses parents et son entourage.
C’est aussi à cet âge, soit environ de 0 à 12 ans, que l’enant développe princi-
palement sa confance envers les autres, son autonomie et son initiative, de même
que son sens du travail bien ait, pourvu, bien sûr, qu’on l’y encourage. Enfn,
l’enant acquiert aussi l’estime de soi, la capacité de défnir des objectis et la
maîtrise de certaines habiletés, aussi bien intellectuelles que motrices et
socioaectives.

L’adolescence
L’adolescence, deuxième étape de la socialisation, s’étend plus ou moins de l’âge
de 13 ans à l’âge de 17 ans. Touteois, comme nous l’avons vu précédemment, sa
durée est particulièrement variable. Elle est, le plus souvent, marquée par un sen-
timent de conusion ressenti par l’individu qui cherche à défnir sa place au sein de
la société. C’est ce que l’on appelle la crise d’identité. L’adolescent désire être

chapitre 4 La socialisation 103


reconnu pour lui-même, par l’intermédiaire de modèles auxquels il se rattache, pour
se orger une image de ce qu’il est et de ce qu’il sera. Il prend ses distances à l’égard
de ses parents, souhaitant se défnir en tant
qu’individu indépendant (voir l’encadré 4.2).
Les groupes d’amis deviennent alors son
milieu de réérence, en lieu et place de la
amille.
Le développement physique découlant
de la puberté qui s’eectue durant ces
années contribue aussi au désir d’afrma-
tion de l’adolescent, notamment par l’afr-
mation de son identité sexuelle. Après
avoir vécu l’assujettissement de l’enance,
il se sent devenir égal à l’adulte et il sou-
haite exercer les droits et libertés que cela
implique. Cette afrmation passe, entre
autres, par l’apparence et des tenues vesti-
mentaires provocantes qui ont sursauter
bien des parents. Les adolescents sont
placés, à cette étape, dans une situation de
remise en question de ce qu’ils sont et de
ce qui les entoure, et doivent défnir et
construire ce qu’ils seront.

Encadré 4.2 ApplicAtion théorique

Du marquage traditionnel au bodyart

Tatouage et piercing, stretching social pour l’individu au sein de sa communauté (Le Breton,
(agrandissement par étirement pro- 2002), qui se distingue dès lors de ceux n’ayant pas ranchi
gressi d’un piercing), branding cette épreuve rituelle. Par exemple, les mokos (motis tatoués)
(marquage par brûlure) ou scarif- recouvrant la tête des hommes et le menton des emmes
cation (marquage par incision)… Si maoris, étaient réservés aux plus importants membres de la
les modifcations corporelles ont communauté. Les individus sans moko étaient traditionnelle-
aujourd’hui la cote, ces pratiques ment considérés sans statut social. De plus, ces marquages
n’ont pourtant rien de nouveau. ont souvent lieu lors de grands rites qui sont, pour Durkheim,
Marquer le corps de manière dis- des occasions pour une collectivité de communier. Ces rituels
tinctive relève des rites les plus ont pour onction de aire perdurer les représentations collec-
séculaires. On désigne d’ailleurs tives et d’assigner les statuts sociaux selon une procédure
sous le terme modern primitives les consacrée, contribuant ainsi à la stabilité sociale.
adeptes contemporains de modifcations corporelles inspirées
de ces usages ancestraux. D’un point de vue marxiste, on s’intéresse plutôt au caractère
de servitude du marquage. Par exemple, le marquage des
D’un point de vue onctionnaliste, ces diverses ormes de mar- esclaves ou des prisonniers a été adopté dans de nombreuses
quage corporel, dans les sociétés traditionnelles ondées sur cultures et à de nombreuses époques : marquage puniti des
la solidarité organique, découlent d’une démarche collective et criminels par les autorités au Japon jusqu’à l’ère Edo, numéros
remplissent des onctions sociales précises. Elles visent à
de matricule gravés sur les bras des détenus d’Auschwitz à
marquer l’inclusion et l’appartenance de l’individu au groupe,
l’époque du iiie Reich, signes tatoués sur le ront des esclaves
avorisant ainsi la cohésion sociale.
rebelles en Rome antique, etc. En ce sens, le tatouage peut être
Ces pratiques, communément associées à des rites de pas- le symbole d’un rapport de domination d’un groupe social sur
sage, marquent en eet l’acquisition d’un nouveau statut un autre, matérialisant et, en un sens, légitimant celui-ci. Il est

104 parte ii L’organisation de la vie sociale


une orme de stigmate imposé à un individu par la société. Il rarement un stigmate : il est essentiellement un moyen d’afr-
revêt ainsi une orme symbolique collective identifant l’individu mation de son identité sociale ou individuelle.
au regard de sa communauté, que ce soit positivement ou
En ait, c’est à partir de la fn du xvie siècle, que les marins euro-
négativement. Il le situe alors dans la hiérarchie sociale.
péens ont redécouvert le tatouage, empruntant les techniques
Toujours d’un point de vue marxiste, on constate aujourd’hui
aux cultures aborigènes rencontrées lors de leurs voyages et
qu’il s’agit pour plusieurs d’adhérer à un phénomène de mode, les métissant aux symboliques occidentales. Le tatouage est
répondant d’abord et avant tout à des exigences esthétiques. alors devenu un signe de virilité, démontrant la résistance à la
Soumis aux dictats de la mode, le tatouage et le piercing sont douleur et l’appartenance à un groupe. Il en va de même,
devenus de véritables industries, qui reproduisent et exploitent encore aujourd’hui, pour certaines bandes criminalisées ou
diverses symbolisations des rapports de domination : représen- pour les détenus en centre carcéral. Le marquage corporel
tations dégradantes de la emme ou messages haineux prend donc un sens social diérent selon les motivations de
(racistes ou sexistes, notamment) sont communs dans l’esthé- l’individu. Le tatouage caché peut notamment marquer un lien
tique du bodyart. avec un être cher ou exprimer un aspect important de la per-
Enfn, d’un point de vue interactionniste, chaque individu, par la sonnalité d’une personne. Le tatouage visible, exposé, exprime
personnalisation de son corps, construit un sens et devient le souvent un rejet apparent de la conormité (Admirat, 2010).
producteur de sa propre identité. En eet, la pratique du Parois, particulièrement pour les adolescents, il s’agit d’une
tatouage s’est individualisée au cours de l’histoire, perdant peu manière d’afrmer son unicité et son autonomie. Quoi qu’il en
à peu de sa valeur symbolique collective pour gagner en symbo- soit, il relève de la démarche individuelle, souvent très person-
lique personnelle. De stigmate imposé ou de rituel collecti d’in- nelle, et est rarement dénué de sens pour l’individu qui le porte.
tégration, il a pris par la suite la orme d’un stigmate volontaire Question
adopté par des individus marginaux (voir le chapitre 6) ou d’un
En quoi les tatouages participent-ils à la construction de
symbole de leur appartenance à une sous-culture (voir le
l’identité sociale d’un individu ?
chapitre 3). Aujourd’hui, touteois, le tatouage n’est que

L’âge adulte
Une ois les étapes de l’enance et de l’adolescence passées, l’individu poursuit
encore sa socialisation. La troisième étape de la socialisation, située approxima-
tivement de 22 à 40 ans, est celle de l’âge adulte. Durant ces années, l’individu
développe au maximum sa capacité de travail. Il dépense beaucoup d’énergie à
s’afrmer, à construire un monde, aussi bien matériel que sentimental, autour
de lui : il noue des relations proessionnelles, amicales et amoureuses proondes
et solides.
Certains moments seront plus marquants sur le plan de la socialisation : l’inté-
gration à un nouvel emploi, la première expérience de vie à deux et l’arrivée d’un
premier enant sont autant d’événements qui exigent de s’adapter. C’est l’étape
où l’individu est le plus en synchronie avec la société, tant par rapport à ses
objectis de vie que par rapport à la açon dont il les poursuit quotidiennement
(son style de vie, ses comportements, ses valeurs, son type de consommation,
etc.). Évidemment, l’énergie investie varie selon son engagement et selon les
objectis qu’il s’est fxés, mais également selon son statut socioéconomique. Il
semble en eet que plus le statut social de l’individu est élevé, plus cette étape de
socialisation est importante pour lui, et inversement.

La maturité
La quatrième étape de la socialisation dure une quinzaine d’années, et s’étend
environ de 45 à 60 ans. Cette étape de la maturité se caractérise par un sentiment
de savoir et de sagesse ainsi que par un élargissement des perspectives par rap-
port à l’ensemble des choses de la vie. Elle constitue, selon Levinson, l’étape de
la vie la plus satisaisante, la plus créative.

chapitre 4 La socialisation 105


rôle socal Sur le plan du travail, les rôles sociaux apparaissent aux yeux des personnes
Ensemble des comportements comme étant moins exigeants que par le passé. Pour la plupart des gens de cet âge,
attendus d’un individu en la satisaction proessionnelle et nancière ainsi que le sentiment d’infuence au tra-
onction de sa place dans un vail atteignent leur apogée. Or, le travail n’est plus la principale source de réalisa-
groupe ou dans la société. tion ; l’individu cherche à paraire ce qu’il a voulu accomplir, mais il s’ouvre aussi
davantage à des aspects de la vie qu’il avait délaissés : la amille, les relations avec
les autres, le couple, etc. D’autres personnes, touteois, vivent durant cette étape une
situation de stress proessionnel qui les conduit vers des comportements dicile-
ment récupérables : épuisement proessionnel, alcoolisme, dépression. D’autres,
enn, protent de cette maturité pour entreprendre une nouvelle carrière. Sur le
plan personnel, la relation conjugale est en général plus satisaisante, et l’amitié
gagne en importance.

La vieillesse
Le portrait des personnes parvenues à la cinquième et dernière étape de sociali-
sation proposée par Levinson, soit la vieillesse, est relativement dicile à dresser
en raison des diérences importantes que l’on constate entre elles sur le plan de
la condition physique et mentale, de la satisaction, du goût de vivre, de la condi-
tion nancière et du degré de solitude.
Avec l’allongement de l’espérance de vie, certains spécialistes (psychologues,
gérontologues, gériatres) établissent même désormais l’existence de deux
groupes d’âge rattachés à cette étape. Le troisième âge (65 à 74 ans environ)
regroupe les individus qui sont à la retraite, mais toujours actis, et auxquels se
joignent ceux, de plus en plus nombreux, qui sont à la préretraite. Le quatrième
âge (75 ans et plus), quant à lui, englobe les personnes en perte d’autonomie.
Évidemment, cette subdivision demeure relative. Il n’en demeure pas moins que
la vieillesse se caractérise principalement par le retrait du marché du travail,
c’est-à-dire par la cessation d’une activité rémunérée, reconnue, valorisée, néces-
saire à la société. Cette étape se révèle donc dicile à vivre pour certaines
personnes, car elle leur donne l’impression d’être inutiles et dépendantes de la
société (voir le chapitre 9). De toute évidence, elle est abordée avec plus de aci-
lité par les personnes qui ont su la planier, celles pour qui le travail n’était pas
la chose la plus importante ou celles qui adoptent de nouvelles activités (béné-
volat, loisirs, etc.). En eet, certaines études menées aux États-Unis (Mund et
Norris, 1991) et au Québec (Ministère de la Famille, des Aînés et de la Condition
éminine, 2005) démontrent que lorsque les gens sont en bonne santé, que leur
revenu est décent et qu’ils ont accès à un réseau de soutien social, ils sont satis-
aits d’être à la retraite.

4.2.3 Les périodes de transition


péode de tanston Mais que se passe-t-il donc entre 18 et 21 ans, entre 41 et 44 ans et entre 61 et
Intervalle de temps séparant 64 ans ? Ces années constituent, toujours selon Levinson (1978), des périodes de
certaines étapes de la transition, des périodes de bilan et de bouleversement plus ou moins marqués,
socialisation et pendant lequel qui permettent d’entrer dans l’étape de la socialisation qui suit.
se réalise souvent un bilan
de vie caractérisé par une Les deux premières étapes de la socialisation (entre 0 et 17 ans) sont ranchies
proonde remise en question de açon continue et il n’y a par conséquent aucune période de transition entre les
et menant à des changements deux. Par contre, entre l’adolescence et le début de la vie adulte (de 18 à 21 ans), une
signifcatis dans la vie d’une personne est appelée à aire des choix et à vivre des expériences importantes :
personne. choix de carrière, apprentissage de l’autonomie nancière, engagement senti-
mental, amilial, etc. C’est la première période de transition. Ce choix et ces appren-
tissages se ont parois aisément, mais peuvent aussi occasionner des remises en

106 pate ii L’organisation de la vie sociale


question existentielles. Quoi qu’il en soit, ils établissent la base de
l’expérience personnelle pour les années à venir.
La deuxième période de transition, souvent associée à « la crise
de la quarantaine », a lieu de 41 à 44 ans. Elle représente un temps
d’arrêt pour l’individu, qui tente alors de répondre à deux ques-
tions importantes : « Qu’ai-je accompli jusqu’à maintenant et en
suis-je satisait ? » et « Que veux-je aire maintenant et que me reste-
t-il à accomplir ? » Levinson observe que 80 % des hommes de
40 ans interrogés éprouvent une situation confictuelle en eux-
mêmes et avec le monde extérieur. Cette remise en question peut
déboucher, pour certains individus, sur l’abus d’alcool, l’abandon
de toute orme de travail, etc. Pour la plupart, cependant, cette
période se révèle positive. Elle leur permet de redénir plus adé-
quatement leurs aspirations ainsi que les modèles de vie à suivre
pour les réaliser, et de prendre un nouveau départ, avec une vision
plus sereine de la réalité et une assurance accrue. Gail Sheehy Les périodes de transition sont en quelque sorte
(1980, 1982) considère que les emmes nord-américaines vivent des croisées de chemins : des périodes de bilan
également, à 40 ans, cette période troublée de remise en question. et de remises en question qui mènent parfois à
de grandes réorientations.
Elle constate que cette période peut même commencer plus tôt
pour les emmes, soit vers l’âge de 35 ans.
Enn, de 61 à 64 ans se déroule la troisième et dernière période de transition,
celle qui semble la plus dicile. La personne est moins valorisée au regard du
travail qu’elle exerce et quant à ce qu’elle a accompli. C’est là aussi une période
de remise en question, axée non pas sur la recherche de nouveaux dés, mais sur
une soumission aux lois de la nature et de la société qu’il aut tenter de com-
prendre et d’accepter.

4.2.4 La resocialisation
La resocialisation peut découler d’une réorientation de la vie ou de l’apprentissage resoialisation
de nouvelles normes et valeurs. Il s’agit d’un processus qui s’inscrit dans l’évolu- Processus de socialisation
tion sociale de l’individu ou qui apparaît spontanément dans sa vie. Par exemple, intensive et de durée limitée par
les situations nouvelles qui surviennent à la suite des périodes de transition lequel un individu, un groupe ou
peuvent amener une personne à modier proondément et rapidement la démarche une collectivité abandonne un
modèle de comportement pour
qu’elle avait adoptée. D’autre part, il peut arriver que celle-ci soit placée brusque-
en adopter un nouveau, en
ment devant une situation imprévisible qui entraîne une redénition de ses objec- raison de changements
tis de vie, de son avenir, en raison de nouvelles onctions sociales, d’un nouvel importants dans sa vie.
emploi, de la mort d’un proche, d’un emprisonnement, etc. Dans tous ces cas, le
processus de resocialisation se conond avec celui de socialisation, mais il se pro-
duit de açon plus marquée et sur une période plus limitée. La resocialisation
s’insère donc dans les étapes de la vie, tout en étant d’une certaine manière en
marge de celles-ci.
La naissance d’un premier enant, par exemple, entraîne une orme de resocia-
lisation de la part des nouveaux parents, dans la mesure où cela transorme leur
statut social. De partenaire d’un couple, l’homme ou la emme devient père ou
mère et doit alors apprendre à assumer ce nouveau rôle social (voir le
chapitre 9).
Dans un autre ordre d’idées, l’intégration à une culture nouvelle constitue
aussi un phénomène de resocialisation. L’immigrant qui arrive dans un nouveau
pays doit en eet transormer sa manière d’être et son mode de vie pour s’adapter
à son nouveau contexte social, et reaire les apprentissages de sa socialisation

chapite 4 La socialisation 107


initiale. Tout en étant un phénomène dynamique et créati en ce qui a trait aux
transormations identitaires, la question de l’identité pour un immigrant en pleine
resocialisation est plus complexe que certains ne l’imaginent (Méthot, 1995) (voir
le chapitre 8).
insttuton fermée Dans certains cas, les individus sont aussi resocialisés, volontairement ou
Institution qui constitue un non, dans un environnement totalement contrôlé. La resocialisation se situe alors
environnement social totalement dans une institution dite ermée, c’est-à-dire coupée dans une large mesure du
contrôlé et qui régit tous les reste de la société. Les institutions fermées, que ce soit la prison, l’armée, l’hôpital
aspects de la vie des individus psychiatrique ou le couvent, régissent tous les aspects de la vie des personnes
sous son autorité. sous une seule autorité. Elles pourvoient donc à tous les besoins de leurs
membres. Au sens strict du terme, un navire en mer devient donc aussi pour son
équipage une institution ermée. Les exigences de l’institution ermée sont très
poussées, et les activités y sont rigoureusement contrôlées. Une institution
ermée représente donc une microsociété comportant un certain nombre de
caractéristiques :
• Tous les aspects de la vie y sont orientés vers le même objecti et sont placés
sous une autorité unique.
• Les activités de l’institution sont organisées de açon que tous assent la même
chose au même moment. Par exemple, les novices dans un couvent ont la
prière ensemble et à une heure prévue, de même que les recrues dans l’armée
se lèvent à une heure fxe et eectuent en groupe toutes les tâches auxquelles
elles sont astreintes.
• Les autorités établissent les règles et les horaires des activités sans consulter
les participants.
• Tous les aspects de la vie de l’institution doivent satisaire aux desseins de
l’organisation. Ainsi, les diverses activités dans une secte sont centrées sur la
prière et la communion avec le dieu ou le gourou, et sur la subsistance de ce
dernier (voir le chapitre 5).

RésEau dE concEpts Le rocessus de socalsaton

Processus de se divise en Enfance Adolescence Âge adulte Maturité Vieillesse


socialisation 5 étapes, (0-12 ans) (13-17 ans) (22-39 ans) (45-59 ans) (65 ans et plus)
soit

au terme qui se
desquelles ont subdivise en
lieu des

souvent marqué par des Périodes de transition 3e âge 4e âge


changements qui affectent (18-21, 40-44 et 60-64 ans) (65-74 ans) (75 ans et plus)

Environnement Rôle ou statut


social social

et qui nécessitent,
Resocialisation
pour s’y adapter,

108 parte ii L’organisation de la vie sociale


L’individualité est souvent sacriée dans les insti-
tutions ermées. Par exemple, lors de son incarcéra-
tion, une personne vit l’expérience d’être dépouillée
de ses vêtements, de ses bijoux et d’autres objets
personnels. De plus, cette personne est dans une cer-
taine mesure laissée à elle-même. Le détenu perd son
nom et devient un simple numéro de matricule pour
les autorités. Ses gestes quotidiens sont programmés
d’une açon telle qu’il ne lui reste pratiquement plus
de liberté de choix ou d’initiative. L’institution
devient un environnement contraignant où l’individu
est secondaire et très peu visible.
L’infuence de telles institutions sur le açonne-
ment du comportement des gens se révèle de açon Les institutions fermées comme l’armée régissent tous les aspects
troublante dans la célèbre expérience de Philip de la vie des personnes qui en font partie. Une resocialisation
Zimbardo. Lui et son équipe de psychologues ont intense s’effectue donc lorsqu’on y adhère.
examiné avec soin plus de 70 collégiens qui partici-
paient à une simulation dans un établissement pénitentiaire. Par un tirage au
sort, la moitié des étudiants devenaient des prisonniers et l’autre moitié, des gar-
diens. Les gardiens avaient alors carte blanche quant à la détermination des
règles visant à maintenir l’ordre et à imposer le respect. Or, après seulement six
jours, Zimbardo et ses collègues ont dû mettre n à l’expérience parce que les
étudiants devenus gardiens prenaient de plus en plus de plaisir à infiger des trai-
tements cruels à leurs prisonniers. Certains gardiens utilisaient leur pouvoir de
açon tyrannique sans que les autres interviennent. Quant aux prisonniers, ils
acceptaient leur détention et leurs mauvais traitements.
Plus près de nous, une expérience comparable a été eectuée durant une n
de semaine. En 1981, lors de l’ouverture de l’établissement pénitentiaire de
Drummondville, les autorités, de concert avec des spécialistes en psychologie et
en travail social, ont décidé de mener une expérience avec le concours de citoyens
issus de divers milieux. Cette expérience avait pour buts d’étudier les réactions
humaines dans l’environnement carcéral, d’une part, et de mieux aire accepter
aux citoyens la présence de l’établissement, d’autre part. L’exercice visait aussi à
recréer la « loi du milieu », c’est-à-dire les rapports de domination abusive et de sou-
mission à l’autorité (voir le chapitre 6), pour mieux en connaître la dynamique.
Après avoir eectué, selon le processus habituel, l’arrestation des volontaires
à leur domicile, on les a emmenés à la prison, menottes aux poignets, où ils ont
été dépouillés de tout ce qu’ils possédaient. Les gardiens, eux, étaient de vrais
gardiens. En peu de temps, on a vu apparaître chez les « prisonniers » des atti-
tudes inhabituelles chez eux, comme la soumission, la méance, la résistance ou
le dé de l’autorité. On a même assisté à la omentation, non pas ctive, mais bien
réelle, d’une tentative d’évasion, ainsi qu’au passage de drogue à l’insu des gar-
diens et à d’autres comportements déviants. Les spécialistes ont été surpris de la
rapidité avec laquelle s’est développé un esprit de groupe et par l’intensité avec
laquelle plusieurs citoyens ont vécu ces trois journées d’incarcération. Un des
citoyens volontaires a même dû être exclu de l’expérience, son engagement émo-
tionnel étant devenu incontrôlable. À la n de l’expérience, les témoignages
recueillis ont conrmé qu’il avait été éprouvant de se prêter à cette resocialisa-
tion, mais que l’institution ermée ore un environnement particulièrement avo-
rable à l’accomplissement de ce processus.
Enn, il aut savoir que la resocialisation ne touche pas seulement l’individu,
mais concerne également le changement de valeurs ou de normes qui s’opère

chapitre 4 La socialisation 109


pour une partie de la société ou pour une société tout entière. En ce sens, les bou-
leversements politiques survenus à partir de 1989 dans les pays d’Europe de l’Est
ont amené leurs habitants à vivre de manière ort diérente, pour le meilleur
(plus grande liberté, activation de l’économie pour certains pays plus avorisés,
ouverture sur l’Europe) et pour le pire (montée du marché noir, dépérissement de
l’économie pour les pays moins structurés, confits armés entre des groupes
pour la revendication de territoires). Bre, la resocialisation nous permet d’ap-
prendre des normes et des valeurs parce que nous subissons la pression d’un
nouvel environnement qui exerce une contrainte, voulue ou non, et qui exige la
redénition des habitudes de vie.

FaitEs LE point

5. En quoi la socialisation est-elle un processus continu ? En quoi est-elle


un processus changeant ?
6. Quelles sont les étapes de la socialisation selon Levinson ? Quelles sont
les principales caractéristiques de chacune de ces étapes ?
7. Par quoi se caractérisent les diverses périodes de transition ?
8. Qu’est-ce que la resocialisation ? En quoi une institution ermée
constitue-t-elle un milieu avorable à ce processus ?

4.3 Les mécanismes de socialisation


La socialisation s’opère donc de manière plus ou moins intensive tout au long de
la vie. Par quels moyens cela se produit-il ? Par quels dispositis sommes-nous
amenés à intégrer à notre personnalité propre les manières d’être, d’agir et de
penser de notre société ? Comment nous approprions-nous les valeurs, les normes,
les croyances et, plus largement, les modèles de comportement de notre culture ?
Certains sociologues se sont intéressés à la açon dont l’individu développe
et modie sa personnalité par ses rapports avec les autres, s’adaptant ainsi aux
exigences du groupe ou de la société. Les travaux de Charles Horton Cooley
(1902), de George Herbert Mead (1965) et d’Erving Goman (1973, 1974), pion-
Mécansme de socalsaton niers de l’approche interactionniste (voir le chapitre 2), ont été extrêmement
Moyen par lequel l’individu utiles à une meilleure compréhension de ces questions. Dans leur ensemble, ces
intériorise les manières d’être, travaux ont permis d’établir que la socialisation de l’individu se ait par l’inter-
d’agir et de penser propres médiaire de quatre mécanismes de socialisation, que nous allons maintenant
à la société dans laquelle il vit. expliquer.

4.3.1 Le miroir réféchissant


Au début du xxe siècle, Charles Horton Cooley avance déjà l’idée que l’on apprend
qui l’on est dans l’interaction avec les autres. La perception de soi vient non seu-
lement de la conscience que l’on a de ses qualités, mais aussi de l’impression que
l’on a de soi-même, compte tenu de la açon dont les autres se comportent avec
nous et de la açon dont ils nous perçoivent. Cooley parle alors de « miroir réfé-
chissant » pour illustrer le ait que nous sommes le produit de l’image que les autres
nous renvoient de nous-mêmes.
Selon lui, ce mécanisme de socialisation agit en trois phases. La première
phase consiste à prendre conscience que nous apparaissons aux yeux des autres :

110 parte ii L’organisation de la vie sociale


les commentaires de nos parents, les comportements de nos amis à notre endroit
et même le regard d’étrangers. L’enant en bas âge a peu conscience de lui-
même, et conséquemment d’autrui. Or, cette conscience de soi et de l’autre tend
à croître tout au long de la vie. La deuxième phase, elle, consiste à comprendre
comment les autres nous perçoivent, quel jugement ils portent sur nous (sur
notre charme, notre intelligence, notre timidité, notre mystère, etc.). Enn, au
cours de la troisième phase, nous intégrons à notre açon d’être le jugement, réel
ou imaginé, que les autres nous renvoient, ce qui provoque une attitude d’arma-
tion de soi ou de honte.
De l’avis de Cooley, le « moi » de chacun est le résultat de cet « imaginaire » indi-
viduel conçu à l’aide de la vision des autres. Par exemple, un étudiant peut en
venir à s’évaluer négativement (ou positivement) selon l’interprétation qu’il ait
des remarques de ses enseignants ou de leurs attitudes à son endroit. Dans un
premier temps, il constate seulement ces comportements ou ces commentaires.
Par la suite, il en déduit le jugement porté sur lui par ses enseignants : « Ils pensent
que je suis assez peu intelligent » ou, au contraire, « Ils ont conance en moi et en
mon potentiel ». Finalement, il intègre ce jugement à son comportement : « Je ne
suis pas ait pour les études » ou, au contraire « Je peux tout réussir ! »
C’est donc dire que l’individu peut développer son identité autour d’une ausse
perception de la açon dont les autres le voient. Rosenthal et Jacobson (1968) ont
bien documenté cet eet des prédictions dites « autoréalisatirices », aussi nommé
« eet Pygmalion ». An d’étudier l’infuence qu’ont les attentes des enseignants
sur les perormances de leurs élèves, les chercheurs ont choisi une école située
dans un quartier particulièrement déavorisé de San Francisco, aux États-Unis.
Sans dévoiler le but véritable de leur expérience aux enseignants, ils ont ait
passer des tests de quotient intellectuel aux élèves. Sur l’ensemble des élèves
soumis à ces tests, 20 % choisis au hasard se sont vu attribuer un résultat volon-
tairement surévalué. Prétextant une erreur dans l’envoi du courrier, les cher-
cheurs ont alors transmis « accidentellement » aux enseignants les résultats des
tests. Or, un an plus tard, les chercheurs ont constaté que les élèves à qui l’on
avait aussement attribué les quotients intellectuels les plus élevés avaient sensi-
blement amélioré leurs perormances, simplement grâce au regard motivant que
les enseignants avaient porté sur eux et aux attentes positives qu’ils avaient eues
à leur endroit.

4.3.2 Le jeu de rôle


Le sociologue George Herbert Mead a poursuivi les recherches de Cooley, contri-
buant ainsi à développer une meilleure connaissance de la personnalité sociale.
Selon lui, la socialisation passe par l’image de soi que développe l’enant selon la
compréhension qu’il se ait de son rôle social et de ceux avec lesquels il interagit.
Ce mécanisme de socialisation se déploie en trois étapes.
À l’étape de la préparation, les enants reproduisent les gestes des gens qui les
entourent, en particulier les membres de la amille avec lesquels ils sont constam-
ment en relation. C’est ainsi qu’un jeune enant rappe sur un morceau de bois
pendant que son père ait un travail de menuiserie ou tente de lancer une balle
lorsqu’un enant plus vieux le ait près de lui. À cette étape, l’enant se contente
de reproduire et d’imiter ce qu’il perçoit, sans plus.
À l’étape de l’appropriation des rôles, les enants, lorsqu’ils sont en interaction
avec leurs parents ou qu’ils regardent des livres illustrés, par exemple, en arrivent
à diérencier les actions et les gestes des divers acteurs et à cerner les situations
dans lesquelles ils se trouvent. Autrement dit, ils distinguent les gestes rattachés

chapitre 4 La socialisation 111


à diérents rôles : celui de père, d’enseignant, de
policier ou autre. Une part importante du pro-
cessus de socialisation consiste justement à
apprendre aux enants les symboles de leur propre
culture que sont, par exemple, les cérémonies, les
êtes, les événements, les personnages importants
et la langue parlée et écrite. Cela leur permet d’in-
terpréter adéquatement des rôles, et non plus seu-
lement de reproduire de manière automatique. Ils
peuvent adopter les comportements adéquats,
même lorsqu’ils sont conrontés à une situation
nouvelle. L’enant montre ainsi qu’il a réussi à se
mettre dans la peau de quelqu’un d’autre grâce à
son imagination. Cette étape signife pour l’enant
La socialisation par le jeu de rôle permet à l’enant une appropriation
une reproduction conorme du comportement des
graduelle des rôles sociaux qu’il est amené à jouer et la compréhension
progressive de ceux des personnes avec qui il est appelé à interagir. autres, un absolu. Chez l’adolescent et l’adulte,
cependant, cette appropriation du rôle social
repose d’abord sur un choix conscient et sur la capacité et le désir d’adapter le
rôle choisi, voire de le remettre en question.
famlle de rôles Enfn, à l’étape du jeu proprement dit, l’enant prend davantage conscience de
Ensemble des rôles sociaux ses relations sociales. Il devient alors apte à assumer un ensemble de rôles et à
diérents qu’une personne peut considérer plusieurs tâches et relations en même temps. Non seulement il com-
remplir à un moment défni. Par prend le rôle qu’il a à jouer, mais il reconnaît également les responsabilités des
exemple, un individu peut être autres personnes de son entourage (aussi bien que celles des leaders) et les
à la ois étudiant, rère, fls, limites qui lui sont alors imposées. À ce stade de son développement, il saisit à la
homme, etc.
ois la famille de rôles et le champ de rôles à l’intérieur desquels il doit agir. De
cham de rôles même, il devient clair pour l’enant qu’une multitude de personnes peuvent
Ensemble des rôles sociaux exercer le même métier. Il comprend maintenant la diérence entre certains rôles
avec lesquels un individu est sociaux, certaines occupations, et évalue mieux le rôle d’un médecin ou d’un
en relation à travers un rôle directeur d’école par rapport à l’ensemble des métiers et proessions. Il apprend
donné. Par exemple, en tant alors que certains rôles sont, dans la société, évalués diéremment et qu’ils sont
qu’étudiant, un individu interagit
classifés selon leur utilité, leur importance.
avec son aide pédagogique in-
dividuel (API), ses proesseurs, À l’étape du jeu, l’enant atteint donc un nouveau sommet dans la compréhension
ses collègues de classes, des individus et des institutions qui l’entourent. Il devient de plus en plus sensible aux
le bibliothécaire, etc. nombreux individus qui composent son environnement social. Mead utilise l’expres-
sion « réérence aux autres » pour expliquer l’intensifcation de la conscience de l’enant
à l’égard des attitudes, des opinions, des points de vue et des attentes de la société
entière. Autrement dit, lorsqu’un individu joue un rôle, il prend en considération tout
le groupe qui l’entoure. Ainsi, un enant qui a atteint ce niveau de développement se
montre poli envers ses parents non seulement pour leur plaire, mais aussi parce qu’il
apprend que la politesse est une valeur sociale répandue que les parents, les ensei-
gnants et les dirigeants de toutes sortes sanctionnent positivement. Il accepte et inté-
riorise par conséquent les normes de son groupe.

4.3.3 Le maniement des impressions


Comme nous l’avons vu précédemment, Cooley et Mead ont mis l’accent sur
l’analyse microsociologique, c’est-à-dire sur l’analyse des interactions entre les
individus. De son côté, le sociologue Erving Goman (1973) explique la sociali-
sation par un mécanisme d’intégration des comportements sociaux, guidé par
une adhésion sincère et recherchée aux règles de la société. Selon lui, la sociali-
sation s’eectue au cours de plusieurs activités quotidiennes. Au cours de ces

112 parte ii L’organisation de la vie sociale


activités, de multiples eorts sont ournis pour nous permettre d’être mieux
acceptés socialement. Ces eorts nous conduisent à aire l’apprentissage des
normes et des valeurs de la société par l’expérimentation d’attitudes et de com-
portements qui correspondent ou non aux normes et aux valeurs généralement
partagées.
Très tôt dans la vie, l’individu oriente ses actions dans le but de présenter di-
érentes images de lui-même et de satisaire ainsi plusieurs publics. Pour caracté-
riser cette attitude changeante dans la présentation de soi, Goman parle de
« maniement des impressions ».
L’examen quotidien des comportements sociaux amène Goman à aire un rap-
prochement entre ces comportements et le jeu des comédiens de théâtre. Par
exemple, un commis peut tenter de paraître plus occupé qu’il ne l’est en réalité si
son patron le regarde. De même, une serveuse peut « ne pas voir » un client qui
attend pour commander un caé parce qu’elle ait une pause.
En ait, le maintien de sa propre image, essentiel dans une relation sociale
continue, passe par la communication verbale et non verbale. Le contrôle des
expressions doit permettre, entre autres, de dissimuler la sourance, l’embarras
ou la déception ace à l’échec. Une étude menée par le sociologue Bernard Berk
(1977) sur plus de 70 soirées dansantes organisées pour des célibataires à Los
Angeles, à San Francisco, à Boston et à New York révèle que l’on emploie cer-
taines techniques pour vaincre la timidité liée au ait de se trouver dans une
soirée pour personnes seules. On y vient par exemple avec des amis, pour pro-
jeter une image de popularité et aussi pouvoir donner l’excuse d’avoir été entraîné
à cet endroit par ces amis. De la même açon, en réaction à un rejet, une personne
tente souvent de préserver son image en trouvant une excuse ou en prenant un
air hautain, indépendant ou désintéressé.
Les personnes qui nous entourent remarquent-elles ces eorts conscients
destinés à manipuler les impressions ? Ces attitudes ne semblent-elles pas
quelque peu artifcielles, parois, à leurs yeux ? Évidemment. À ce sujet, Goman
observe que nous avons tendance à ne pas tenir compte des erreurs et des gau-
cheries en présence des autres. En ce sens, le bruit de notre estomac qui se dérogation subtile
lamente dans une salle silencieuse durant un examen est presque toujours Violation d’une règle ou d’une
ignoré. Nous tolérons en eet les comportements maladroits et oensants convention qui, bien que réelle,
lorsqu’ils viennent de personnes qui nous semblent bien intentionnées. est considérée, par politesse,
Goman qualife de dérogation subtile le comportement poli qui vise à épar- comme passant inaperçue.
gner la ferté d’autrui.
En défnitive, Goman insiste sur la manière dont nous nous orgeons consciem-
ment une image de nous-mêmes destinée aux autres. Pour lui, nous ne sommes
cependant pas enermés dans ces rôles que nous jouons. Chacun a toujours la
possibilité de modifer, selon la situation, l’image qu’il désire projeter, de aire
preuve de spontanéité. Il n’y a donc rien de statique.

4.3.4 La socialisation par anticipation


La socialisation se ait aussi par anticipation, c’est-à-dire par une expérimentation
précoce de ce que seront les rôles que nous aurons à remplir et par un désir de
répondre aux attentes de notre environnement. Ce mécanisme permet une prépa-
ration mentale précédant la conrontation réelle à un nouveau rôle. Il prépare ainsi
l’individu à appréhender les diverses onctions du rôle à venir : devenir adulte,
devenir parent, devenir proessionnel.

chapitre 4 La socialisation 113


La transition vers un nouveau rôle se ait d’autant plus efcacement que l’indi-
vidu y a été préparé par cette socialisation anticipée. Une culture peut en eet
onctionner plus efcacement lorsque ses membres possèdent une connaissance
des normes, des valeurs et des comportements rattachés à certaines positions
sociales avant même qu’ils n’aient à assumer ces rôles. Ainsi, un jeune adulte qui
a vécu des expériences de travail pendant son adolescence a de plus ortes
chances de s’intégrer aisément à un nouveau milieu de travail et d’être efcace
dans ses nouvelles onctions qu’un autre qui n’a jamais travaillé. Cependant, pour
que ce mécanisme de socialisation par anticipation soit efcace, Lacourse (2005)
mentionne qu’un encadrement adéquat, par un adulte ou un mentor, par exemple,
est essentiel.
Ce mécanisme intervient particulièrement dans le cas de la socialisation pro-
essionnelle : une personne se socialise en imaginant le utur poste qu’elle occu-
pera et en intériorisant à l’avance les normes, les valeurs et les stéréotypes du
milieu ou de la onction qu’elle ambitionne d’occuper. Ses parents, ses ensei-
gnants et les médias lui communiquent les attentes du milieu. Ainsi, un étudiant
qui veut devenir avocat cherche à participer, tout au long de sa ormation,
à des activités et à des projets qui l’amèneront à éprouver certaines émotions et à
assumer certaines responsabilités liées à son utur emploi (discourir en public,
adopter un certain style vestimentaire, réquenter les lieux privilégiés par les
pairs, etc.). Il peut essayer, en outre, d’intégrer le mode de pensée de la proes-
sion et développer des réactions semblables à celles que l’on pourrait éventuelle-
ment exiger de lui, ou encore adopter le code vestimentaire qu’il associe à cet
environnement. Le processus serait le même, mais le résultat diérent, pour un
étudiant des beaux-arts.
Certains auteurs associent d’ailleurs la socialisation par anticipation à la socia-
lisation par le travail, laquelle s’eectue en quatre phases (Moore, 1967). La pre-
mière phase, celle du choix de carrière, suppose la sélection appropriée des
études à aire pour accéder à la proession désirée. La deuxième phase, celle de la
socialisation par anticipation à proprement parler, peut durer de quelques mois à
quelques années. Plusieurs enants héritent d’un travail parce que leurs parents
exploitent une erme ou une entreprise, ou parce que la tradition les y pousse,
comme en Inde, où les jeunes charmeurs de serpents se doivent de recevoir l’en-
seignement de ce métier dans un cadre presque religieux. En un sens, ces jeunes
gens ont l’apprentissage de la socialisation par anticipation au cours de leur
enance et de leur adolescence en idéalisant le travail de leurs parents. Même si
ce n’est pas le lot de la majorité, certains individus déterminent aussi leurs objec-
tis de vie relativement tôt et s’en tiennent à ce choix. Une jeune flle ou un jeune
garçon peut ainsi décider, à l’âge de 11 ou 12 ans, de aire carrière dans le sport
ou dans la danse et consacrer toute son adolescence à l’entraînement en vue d’at-
teindre ce but.
La troisième phase de la socialisation par le travail, celle du conditionnement
et de l’engagement, survient au moment où s’eectue le lien entre le travail et le
rôle. Le conditionnement consiste en l’adaptation, à contrecœur, aux aspects
négatis d’un travail donné. L’engagement, quant à lui, renvoie à l’acceptation
enthousiaste des onctions agréables que maniestent les nouveaux travailleurs
qui découvrent les aspects positis de leur travail.
Si un travail se révèle satisaisant, la personne entre alors dans la quatrième
phase de la socialisation, celle de l’engagement continu. Dès lors, le travail
devient pour elle un cadre de vie stimulant, pour lequel elle développe le plus
grand respect, entre autres à l’égard des règles qui y sont établies.

114 parte ii L’organisation de la vie sociale


RésEau dE concEpts Les méanismes de soialisation

se ait au
Socialisation Mécanismes
moyen de 4

qui sont

Miroir Maniement Socialisation


Jeu de rôle
rééchissant des impressions par anticipation

se divise se divise nécessite une adaptation Peut-être d’ordre


en 3 phases en 3 étapes constante des

Prise de Préparation Attitudes,


Proessionnel Personnel
conscience (reproduction comporte-
de l’autre des rôles) ments, etc.

Prise de
conscience du Appropriation
(adaptation afn qu’ils
jugement que
progressive soient
l’autre porte
des rôles) adéquats selon
sur soi

Intégration Jeu (interpré - Contexte,


du jugement tation complète circonstances,
de l’autre des rôles) public, etc.

En somme En somme En somme En somme

« Je deviens tel que « Je deviens ce « Je deviens tel que « Je deviens tel que je
l’on me perçoit. » que je vois. » je veux être vu. » veux être un jour. »

Dans un autre ordre d’idées, les personnes qui, à 30 ans, la publicité aidant,
préparent déjà leur retraite en participant à des régimes d’épargne-retraite ou en
épargnant nous montrent bien que la vie s’organise souvent en onction de ce qui
est anticipé pour l’avenir, et non seulement de ce qui est dans le présent.

FaitEs LE point

9. Qu’est-ce qu’un mécanisme de socialisation ?


10. Selon Cooley, l’individu développe son identité sociale principale-
ment grâce au mécanisme du miroir réféchissant. De quoi s’agit-il ?
11. Pour sa part, Mead s’intéresse surtout au mécanisme du jeu de rôle.
Quelles sont les étapes de ce mécanisme et en quoi consistent-elles ?
12. Pour Goman, le mécanisme de socialisation primordial est le manie-
ment des impressions. Comment onctionne-t-il ?
13. Enn, il existe un quatrième mécanisme : la socialisation par anticipa-
tion. En quoi peut-on rapprocher ce mécanisme de la socialisation par
le travail ?

chapitre 4 La socialisation 115


4.4 Les agents de socialisation
agent de soclston Nous avons vu que, dans la société nord-américaine actuelle, la socialisation se
Individu, groupe ou institution réalise au l d’un certain nombre d’étapes, séparées entre elles par des périodes
qui, par la transmission des de transition. Tout au long de ce parcours, notre milieu de vie, composé d’indi-
éléments culturels propres vidus, de groupes et d’institutions, infue sur nos choix, nos comportements et
à une collectivité, contribue l’image que nous nous aisons de nous-mêmes. Les principaux éléments sociaux
au processus de socialisation qui exercent cette infuence sont les agents de socialisation.
d’un individu.

4.4.1 La famille
Lorsqu’il naît, l’enant entre dans une société organisée : il ait partie d’une nou-
velle génération et se situe habituellement dans une amille, quelle qu’en soit la
fmlle
orme. C’est à l’intérieur de ce cadre que l’enant construit sa personnalité sociale
Unité de vie comprenant
au moins deux personnes
et entame ce processus d’apprentissage qui commence dès la naissance. La
partageant un lien (de famille est donc le premier agent de socialisation avec lequel nous entrons en
consanguinité, d’alliance contact et elle exerce, pour la majorité d’entre nous, une infuence tout au long
ou d’adoption) et vivant de notre vie. Elle est, par conséquent, l’agent de socialisation primaire le plus
sous le même toit. important.
Les membres de la amille constituent une part importante de l’environnement
social du nouveau-né. Ce sont eux qui pourvoient à ses besoins par la nourriture,
les soins physiques, l’éducation, l’aection et qui, de manière générale, contri-
buent à actualiser son potentiel biologique (Lacourse, 2005). C’est en onction
de l’éducation que lui procure sa amille que l’enant établit des liens sociaux sti-
mulants ainsi qu’un sentiment d’appartenance ou, au contraire, qu’il tend à rejeter
les gens qui l’entourent.
Comme l’ont noté Charles Horton Cooley et George Herbert Mead, le dévelop-
pement de l’image de soi, l’appropriation des rôles sociaux et le besoin de réé-
rence pour se dénir socialement sont essentiels dès les premières années de la
vie humaine. En tant que premier agent de socialisation, la amille – et plus parti-
culièrement les parents – joue donc un rôle déterminant dans l’adoption par les
enants des rôles sociaux que la société juge appropriés. Ces attentes se tra-
duisent notamment par l’encouragement ou la désapprobation de certains com-
portements ou de certaines activités, perçus positivement ou négativement selon
l’âge, par exemple, ou le sexe de l’enant.
Le traitement diérencié que les parents et la société en général réservent aux
enants selon leur sexe constitue un aspect important de leur socialisation (voir
le chapitre 9). C’est ainsi que la orce et l’agressivité, traditionnellement considé-
rées dans notre société comme des caractéristiques masculines, et la douceur et
la soumission, traditionnellement associées aux emmes, sont transmises par les
parents. En tant que modèles, les parents jouent donc un rôle essentiel dans la
transmission d’une conception de la masculinité et de la éminité, des relations
entre les hommes et les emmes, ainsi que dans celle de la paternité et de la
maternité. Les enants observent pour leur part comment leurs parents expri-
ment leur aection, planient leur budget, règlent leurs querelles, s’entendent
avec les beaux-parents, etc. Cette socialisation ait partie intégrante de la vie
amiliale, quelle qu’elle soit, et ait en sorte que les enants adoptent plus tard des
comportements et des attitudes semblables.
Cependant, la montée de l’individualisme constatée dans nos sociétés contem-
poraines remet aujourd’hui en question la place de la amille dans le processus
de socialisation. Comme le montre la gure 4.4, à l’origine, le regroupement

116 prte ii L’organisation de la vie sociale


Figure 4.4 L’évolution du rôle de la famille

Rôle de soutien Rôle de soutien


des besoins des besoins
physiologiques psychoaffectifs

• Nourriture • Transmission • Estime de soi


• Protection des savoirs • Réalisation
• Survie • Éducation personnelle
• Sécurité affective • Reconnaissance
sociale
Rôle de soutien
des besoins
sociaux

amilial visait essentiellement à assurer la survie de ses membres. Au l du temps,


la amille a touteois assumé de plus en plus de responsabilités collectives rela-
tives à l’organisation en société. Aujourd’hui, elle tend à exister en raison des
besoins individuels de ses membres. L’individu, devenu l’unité sociale centrale en
lieu et place de la amille, attend désormais de la amille qu’elle soit au service de
son bonheur individuel.
Aujourd’hui, l’existence même de la amille est ondée sur le bonheur de ses
membres et une partie de ses onctions traditionnelles se trouve déléguée à
d’autres instances de socialisation. L’État lui-même, comme nous le verrons en
détail un peu plus loin, joue un rôle de plus en plus important an d’assurer la
santé et la sécurité des individus, tandis que l’école et la garderie prennent le
relais de la amille quant à l’éducation citoyenne. La amille étant essentiellement
axée sur l’individu, son existence comme sa dislocation reposent désormais sur
l’épanouissement personnel et la réalisation de soi. Ainsi, nous nous marions
aujourd’hui par amour et non plus par obéissance à la amille, de même que le
choix de devenir parent correspond à une vision personnelle du bonheur plutôt
qu’à un besoin de main-d’œuvre pour les travaux des champs. À l’inverse, les
conjoints se séparent ou divorcent parce que le couple ne répond plus à leurs
aspirations et à leur conception du bonheur.
Ce changement de perspective a entraîné une remise en question des rela-
tions sociales au sein même de la amille. Comme l’établit la typologie des styles
éducatis parentaux de Baumrind (1971), qui demeure toujours une réérence en
la matière, nous sommes passés d’une éducation autoritaire à une éducation
plus souple qui, après avoir suivi le modèle de l’« enant-roi », tente de se recen-
trer et d’adopter un style où l’autorité s’exerce sous l’angle de la valorisation de
l’enant pour qu’il atteigne des objectis dénis par les parents. Par ailleurs,
l’émancipation de la emme et sa présence sur le marché du travail ont aussi
contribué à cette remise en question de la vie amiliale, autant de la part de la
emme que de celle de l’homme. La conception même du couple s’en trouve
transormée : le temps consacré au travail est en concurrence avec le temps per-
sonnel et amilial, et la conciliation travail-amille est une réalité qui se vit sou-
vent dicilement (St-Amour, 2005).
Ainsi, la amille n’est plus aujourd’hui qu’un agent de socialisation parmi
d’autres. Ces autres agents peuvent parois avoir une plus grande infuence et

chapitre 4 La socialisation 117


entraîner, chez l’enant, la construction d’une identité diérente, qui entre en
confit avec celle de sa amille. D’ailleurs, la amille n’est pas à l’abri des cri-
tiques quant à sa capacité de remplir justement sa onction de socialisation,
compte tenu de certaines réalités : délinquance, décrochage scolaire, divorce,
monoparentalité. La place qu’occupent désormais certains anciens et nouveaux
joueurs (services de garde, milieux scolaires, État, réseau social, etc.) pour com-
bler le vide parois laissé par la amille en amène plus d’un à se demander si
celle-ci est encore à la hauteur de la tâche.
Néanmoins, la amille semble demeurer le point de réérence, le cadre où les
individus développent des racines et se rattachent à des souvenirs. Pour certains
auteurs, comme François de Singly (1996), la socialisation amiliale continue de se
aire. Cependant, elle s’exerce à présent par des stratégies de socialisation qui
amènent les individus à construire leur autonomie tout en aisant l’apprentissage
de la vie commune. La socialisation amiliale n’est donc plus une source exclu-
sive de transmission de modèles générationnels ; elle subit désormais des
infuences diverses, éclatées, qui élargissent tout simplement le cadre des rela-
tions sociales.

4.4.2 L’école
école En tant qu’agent de socialisation, l’école implique une certaine rupture avec le nid
Institution permettant la amilial, d’où les enants ont parois beaucoup de diculté à sortir, ainsi que l’ar-
transmission du savoir et rivée dans une réalité sociale plus large, dans laquelle ils doivent inexorablement
de la culture d’un groupe ou s’engager, si dure soit-elle. Cette transition se ait parois également par l’entremise
d’une société aux générations de Centres de la petite enance (CPE), qui peuvent être associés à l’école à titre
suivantes.
d’agent de socialisation.
Comme la amille, l’école est chargée de socialiser les enants en onction des
normes et des valeurs d’une société particulière. Elle leur transmet à la ois
des éléments relevant de la culture première, mais, surtout, les initie à la culture
seconde de leur société (voir le chapitre 3). En eet,
elle apporte d’abord à l’enant un bagage de
connaissances dans lesquelles la société reconnaît
la base de son onctionnement, comme le ait de
lire, d’écrire ou de compter. Elle lui enseigne égale-
ment les valeurs jugées importantes par la société,
comme la compétition, le respect des règles et de
l’autorité ou la réussite individuelle. Il s’agit là
d’une préparation à l’univers du travail dans lequel
l’enant aura à évoluer. De plus, l’école permet
à l’enant d’entrer en relation avec ses pairs, qui,
comme nous le verrons plus loin, sont des agents
importants dans le processus de socialisation.
Enn, elle l’amène à assumer des responsabilités
dans un univers distinct de la amille et ace aux-
quelles on lui laisse une certaine autonomie. Par la
même occasion, l’école ait découvrir à l’enant les
limites de son apprentissage.
Cependant, la vocation de l’école ne concerne
pas uniquement l’individu ; sa mission ne se
L’école, notamment le cégep, amène l’individu à assumer des limite pas à transmettre aux jeunes les valeurs et
responsabilités dans un univers distinct de la amille, lui aisant
les normes de la société par l’instruction. En eet,
découvrir les défs liés à cette autonomie.
sa dimension sociale est plus large, en ce sens

118 parte ii L’organisation de la vie sociale


qu’elle refète en grande partie les divisions économiques, intellectuelles, sociales,
raciales et sexuelles qui existent entre les divers groupes de la société, et cela,
sans nécessairement chercher à modier leurs rapports. Ainsi, certains manuels
scolaires (Oueslati et Mc Andrew, 2011) ou certains enseignants, par leurs propos
ou leurs attentes (Sarrazin et Trouilloud, 2003), n’échappent pas toujours à un
certain conditionnement idéologique qui les amène à transmettre des valeurs et
des stéréotypes conortant les manières d’être, d’agir et de penser socialement
valorisées.
Par ailleurs, si la probabilité d’accès des élèves au collégial a sensiblement aug-
menté, divers acteurs contribuent à l’inégalité des chances (Ministère de l’Éduca-
tion, des Loisirs et du Sport, 2007) et à maintenir le processus de sélection des jeunes
par l’école (voir la fgure 4.5). En d’autres mots, les jeunes ne protent pas tous des
mêmes possibilités de réquenter certaines institutions mieux cotées plutôt que
d’autres ou de se retrouver dans certains programmes particulièrement valorisés.
Et ceux qui souhaitent poursuivre leurs études au niveau universitaire doivent être
conscients que les mêmes déterminismes sociaux qui ont contribué à leur sélec-
tion au niveau collégial les suivent à l’université. Que ce soit en raison d’une origine
socioéconomique déavorisée ou d’un dossier scolaire plus aible au collégial, la
poursuite à l’université devient dès lors plus dicile pour ces jeunes. C’est ce qui
peut les amener à joindre majoritairement les quelque 26 % des étudiants qui aban-
donnent les études universitaires dénitivement (Berger, Motte et Parkin, 2009).
L’école encourage donc structurellement la stratication des jeunes. De plus,
les distinctions entre le secteur général et le secteur proessionnel, entre les
sciences humaines et les sciences de la nature, entre le secteur public et le sec-
teur privé instaurent de ait une hiérarchisation du savoir, lequel est à son tour
jugé sur le marché du travail.
Finalement, des recherches portant sur l’écart observé entre les sexes nous
orent d’autres exemples de l’eet de l’école comme agent de socialisation sur la
division entre les groupes. En eet, de nombreuses études documentent la ques-
tion de l’écart constaté, selon le genre, sur le plan de la réussite scolaire dans les
systèmes éducatis actuels. Ces dicultés, vécues principalement par les garçons,
constituent un problème persistant qui n’est pas propre au Québec. Ainsi, compa-
rativement aux lles ayant une aible moyenne au secondaire, les garçons de même

Les taux de partiipation aux études postseondaires


Figure 4.5 selon la atégorie de revenu familial (Québe, 1993-2006)
Taux (%)
60

50 Revenu
Plus de 100 000 $
40 De 75 000 $ à 100 000 $
De 50 000 $ à 75 000 $
30
De 25 000 $ à 50 000 $
20 Moins de 25 000 $

10
1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006
Année

Source : Statistique Canada (2009). Enquête sur la dynamique du travail (totalisation personnalisée).

chapitre 4 La socialisation 119


niveau réussissent en moins grand nombre leurs cours de première session au col-
légial et leur taux de diplomation est plus aible (Gingras et Terrill, 2006). De plus,
les lles accèdent en plus grand nombre aux études collégiales, y réussissent
mieux leur première session et présentent un taux plus élevé de diplomation à l’in-
térieur de la durée prévue des études (Bernard et Charest, 2003). Ces diérences
selon le sexe perdurent, encore aujourd’hui, dans les résultats scolaires et le choix
des lières d’études, et ce, dans l’ensemble des pays européens (EACEA, 2010).
Il semble aussi que les enseignants soient souvent amenés « à mettre en œuvre
un double standard de comportement selon que l’interaction se produit avec un
garçon ou une lle » (Conseil supérieur de l’éducation, 1999, p. 6). En eet, la per-
ception de la supériorité des lles en écriture et en lecture infuencerait les
enseignants dans leurs comportements quotidiens. Les garçons, quant à eux,
subiraient la pression de leur groupe de pairs et en viendraient ainsi à éviter ces
matières dites éminines. Or, les jeunes qui réussiront le mieux dans cer-
taines matières comme les mathématiques, les sciences ou l’inormatique auront
plus de chances de poursuivre des études universitaires et d’avoir accès à des
proessions plus prestigieuses et lucratives.

4.4.3 Les pairs


groue de ars Au ur et à mesure qu’un enant grandit et s’intègre progressivement à l’école, la
Ensemble de personnes issues amille perd de son exclusivité en tant qu’agent infuant sur son développement
de groupes sociaux homogènes social. Sur ce plan, le groupe de pairs assume quant à lui un rôle de plus en plus
(même groupe d’âge, même prépondérant. Il peut même, dans certains cas, remplacer la amille. Dans le groupe
catégorie sociale, etc.) comme de pairs, l’individu côtoie des personnes qui ont à peu près le même âge que lui et
le sont le plus souvent les amis.
qui sont habituellement du même niveau social. Le plus souvent, les groupes de
pairs comme les « gangs » ou les groupes d’amis chez les adolescents aident ces der-
niers à acquérir une certaine indépendance vis-à-vis de leurs parents et d’autres
représentants de l’autorité. Ainsi, un adolescent peut penser que si tous ses amis
ont revendiqué et obtenu le droit de rentrer après minuit
le samedi soir, il est normal et essentiel qu’il revendique
à son tour l’obtention du même privilège. Les adoles-
cents imitent leurs amis, en partie parce que le groupe
maintient un système ort de sanctions positives ou
négatives (voir le chapitre 5).
En outre, le groupe de pairs joue un rôle important en
ce qui concerne les ambitions que nourrit un adolescent
quant aux rôles qu’il assumera plus tard. Il acilite ainsi
la transition le menant vers des responsabilités d’adultes.
À la maison, les parents ont parois tendance à exercer
un pouvoir presque absolu sur les jeunes, en vue de leur
aire accepter certaines normes ou valeurs. À l’école,
même si les jeunes développent une attitude un peu plus
critique ace aux exigences comportementales des ensei-
gnants et des administrateurs, ils nissent par s’y sou-
mettre, bon gré mal gré. Dans leur groupe de pairs, toute-
ois, ils jouissent d’une plus grande liberté, qui leur
permet de s’armer d’une açon qui n’est parois pas
possible ailleurs. Par exemple, ils peuvent choisir eux-
mêmes des règles qui leur conviennent et les changer au
Chez l’adolescent, le groupe de pairs fait naître un désir de
besoin. En ce sens, le groupe de pairs joue un rôle de cata-
solidarité, de relations chaleureuses et d’autonomie.
lyseur du désir de solidarité, de relations chaleureuses et

120 parte ii L’organisation de la vie sociale


d’autonomie de l’adolescent, à l’intérieur d’un système de normes et de valeurs qui
semble venir de lui-même, ou du moins de personnes qui n’ont, à ses yeux, aucune
autorité sur lui. Il apprivoise alors la camaraderie et l’entraide.
L’infuence du groupe de pairs sur l’intégration de l’individu à la société peut
être positive ou négative. En eet, le groupe de pairs peut encourager un de ses
soialiation négative
membres à s’engager dans une activité jugée admirable par la société, comme du
Acquisition de manières d’être,
bénévolat dans un hôpital ou un oyer pour personnes âgées. À l’opposé, le d’agir ou de penser qui, quoique
groupe peut aussi inciter quelqu’un à enreindre les normes et les valeurs de la valorisées par certains groupes ou
société en l’amenant, par exemple, à conduire une voiture de açon imprudente, à instances, enfreignent certaines
commettre un vol à l’étalage ou à aire du vandalisme. La socialisation par les normes ou valeurs plus largement
groupes de pairs prend donc aussi parois une tournure déavorable. On parle légitimées par la société.
alors de socialisation négative.

4.4.4 Le monde du travail


Comme nous l’avons déjà mentionné, à l’âge adulte, soit de 22 à 40 ans, l’individu
développe un engagement ort envers son travail, sur lequel se onde principale-
ment son sentiment de réussite. Par conséquent, à l’étape de la vieillesse, l’individu
peut se sentir dévalorisé lorsqu’on lui enlève cette raison de vivre.
En début de carrière, l’individu cherche à aire sa place dans l’entreprise en répon-
dant aux exigences de celle-ci. La socialisation par le travail est donc particulièrement
marquée durant cette période, mais se poursuit tant et aussi longtemps que celui-ci
demeure acti. Le travail peut représenter à la ois une dure réalité (devoir gagner sa
vie et payer un loyer) et un accomplissement, une réalisation des ambitions person-
nelles. Il est aussi, sans conteste, l’activité première par laquelle la société standar-
dise les comportements et moule les esprits. Il conduit sans cesse l’individu à penser
à la production, à la réalisation de soi, au dépassement et à la consommation. Il s’agit
donc d’un puissant agent de socialisation.
Dès lors, la socialisation par le monde du travail ne peut être dissociée des expé-
riences de socialisation vécues durant l’enance et l’adolescence. Comme le démontre
le mécanisme de socialisation par anticipation que nous avons expliqué précédem-
ment, des images de nombreux rôles proessionnels nous sont ournies par notre
entourage, par les gens que nous rencontrons (médecins, enseignants, etc.) et par
les médias. Ces représentations, accompagnées des pressions que nous subissons
vis-à-vis de certaines ormes de discrimination que la société impose, aident à déter-
miner, et souvent limitent, le type de travail que nous envisageons de aire.
Concrètement, la socialisation par le monde du travail se ait à l’intérieur de ce culture d’entreprie
qu’il est convenu d’appeler la culture d’entreprise, laquelle vise à intégrer les Ensemble des éléments
individus dans la structure économique de la société. Les entreprises déploient culturels (règles, normes,
en eet beaucoup d’eorts pour que les personnes qui y travaillent deviennent valeurs, code, langage,
parties prenantes de leur succès. Les dirigeants mettent sur pied des activités pratiques, etc.) propres à un
dont le but est d’amener les employés à adopter les valeurs et les normes de l’or- milieu de travail (entreprise,
institution, organisme, etc.).
ganisation et de stimuler leur productivité, an qu’ils contribuent, par le ait
même, à la réussite de l’entreprise. Ces activités peuvent prendre la orme
de séances d’échanges supervisées par des proessionnels et destinées à établir
le prol des employés ; d’activités sociales réunissant patrons et employés ; de
remises de prix aux plus méritants, ou encore de sorties en plein air au cours
desquelles un parallèle est établi entre, d’une part, la perormance physique
et l’esprit d’équipe et, d’autre part, le rendement au travail, le sentiment d’appar-
tenance et de dévouement des employés.
Malgré tout, la durée du temps de travail, qui s’étend sur de longues heures
pour une orte proportion de salariés, se ait souvent au détriment de la vie sociale

chapitre 4 La socialisation 121


et amiliale, et ce, malgré les eorts déployés pour avoriser la conciliation travail-
amille. Quoique le nombre d’heures travaillées par semaine ait diminué sensible-
ment depuis 1976, passant de 38 à 36,4 heures en moyenne, l’ensemble de la popu-
lation a tout de même consacré 1,3 % plus d’heures au travail en 2011 qu’en 1976
(Ressources humaines et développement des compétences Canada, 2012). Dans
ce contexte, on peut afrmer que les objectis des entreprises, principalement
économiques, teintent la personnalité de l’individu et le conditionnent à ournir
un certain rendement, parois même dans sa vie personnelle.
Par-delà la onction du travail proprement dite, la réquentation des collègues
et le respect de certaines règles relationnelles sont des acteurs déterminants de
socialisation. L’établissement de relations sociales constitue un aspect essentiel
du monde du travail, dans lequel se côtoient des personnes diérentes qui
apprennent à s’adapter les unes aux autres. Ces relations placent les individus, à
certains moments, dans un contexte d’apprentissage du respect d’une autorité
à laquelle ils doivent se soumettre s’ils veulent connaître la réussite proession-
nelle. Par ailleurs, ces relations leur permettent d’exercer un pouvoir sur d’autres
individus, ce qui amène une modifcation de leur identité sociale.
L’apport du monde du travail pour l’individu ne se limite donc pas à l’appren-
tissage de connaissances et l’exécution de tâches. Les relations interpersonnelles
au travail s’inscrivent inévitablement dans la démarche d’intégration d’un indi-
vidu dans la société.

4.4.5 Les médias


Médas Depuis environ 100 ans, les innovations technologiques qui permettent aux êtres
Ensemble des moyens humains de transmettre et de recevoir des messages de diverses manières se sont
technologiques de com- multipliées. Parmi celles-ci, les médias (presse, radio, télévision, Internet, cinéma, etc.)
munication de masse. occupent une place de plus en plus importante dans le processus de socialisation.
La télévision, en particulier, intervient de açon spectaculaire dans la sociali-
sation des enants. Plusieurs parents admettent d’ailleurs que la télévision et les
DVD sont devenus les camarades de jeu avoris de leurs enants. Les jeunes de
2 à 11 ans regardent la télévision près de 17,2 heures en moyenne par semaine et
les adolescents, environ une heure de moins (Conseil de la radiodiusion et des
télécommunications canadiennes, 2010). Quoique le nombre d’heures passées
devant la télévision tende à diminuer depuis l’arrivée d’Internet dans les ménages,
il y a une quinzaine d’années, regarder la télévision demeure l’activité la plus
importante pour les jeunes Québécois en dehors du sommeil. Dans la même
optique, Internet constitue un élément important de ce qu’on pourrait appeler la
« nouvelle alphabétisation ». Les 15 à 24 ans y consacrent désormais sensiblement
autant de temps qu’à la télévision (voir la fgure 4.6).
Bien que ces médias puissent être un canal de transmission du savoir, il est
bon de s’interroger sur la complexité des ormes d’apprentissage qu’ils encouragent
et sur la socialisation négative à laquelle ils sont susceptibles de participer.
Prenons l’exemple de la violence représentée dans les médias, de açon souvent
déormée et amplifée.
Depuis les années 1960, de nombreuses études ont démontré que des enants
qui voient régulièrement des scènes violentes à la télévision, même lorsqu’il s’agit
de dessins animés, sont plus à risque de développer des comportements agressis
ou antisociaux. Récemment, une enquête longitudinale est venue préciser la nature
des conséquences que le visionnement de scènes de violence dans les médias peut
engendrer, même plusieurs années plus tard. Lors de cette enquête, réalisée par
des chercheurs de l’hôpital Sainte-Justine, 2 120 enants québécois ont été suivis

122 parte ii L’organisation de la vie sociale


Le temps onsaré quotdennement à la télévson et à internet
Figure 4.6 selon le groupe d’âge (Québe, 2009)
Âge
65 ans et plus 83,5 % 10,8 % 5,7 %
55—64 ans 79,2 % 13,2 % 6,5 %
45—54 ans 65,4 % 23,4 % 11,2 %
Télévision
35—44 ans 59,,3 % 25,8 % 14,9 %
25—34 ans 60,8 % 24,1 % 16,2 %
Deux heures et plus
15—24 ans 56,4 % 27,9 % 15,7 %

Entre une et deux heures

15—24 ans 1,6 %


61 23,1 % 15,3 %
Moins d'une heure
25—34 ans 43,0 % 26,9 % 330,2 %

Internet 35—44 ans 35,8 % 2 %


26,8 37,5 %
45—54 ans 25
5,9 % 28,2 % 45,9 %
55—64 ans 31,7 % 28,3 % 40,1 %
65 ans et plus 34,9 % 2 %
29,3 35,8 %

Pourcentage

Source : Ministère de la Culture, des Communications et de la Condition éminine (2009). Chapitre 2 : L’écoute des médias et l’utilisation
d’Internet, Québec, Gouvernement du Québec, [En ligne], www.mccc.gouv.qc.ca/fleadmin/documents/publications/pratiques-culturelles2009/
Pratique_2009_Sociodemographique_2.pd (page consultée le 17 août 2012).

pendant huit ans, soit de l’âge de cinq mois jusqu’à la deuxième année du primaire.
Selon les conclusions de l’étude, l’exposition à des scènes violentes en bas âge,
même à aible dose, a des conséquences négatives à long terme. Elle prédispose les
enants à l’anxiété, à des problèmes d’attention et de sous-perormance scolaire, et
aurait même une incidence sur la dépression et diverses psychopathologies tout
au long de leur vie. Or, si les enants du primaire ont déjà une plus orte propension
à être démotivés, asociaux ou agressis en raison de leur exposition à la violence
médiatique, qu’en sera-t-il alors des adolescents et des adultes ? Sur le plan de la
santé globale, ces conséquences, envisagées sur la période de toute une vie, repré-
sentent un coût important pour la société (Fitzpatrick et coll., 2012).
La violence n’est cependant pas le seul aspect sur lequel il aut s’interroger
lorsqu’on parle de l’infuence des médias sur le processus de développement
social des individus. Un phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur, mais
qui remonte pourtant à plusieurs années, est celui de la téléréalité. Les émissions
de ce type, mettant en vedette des personnes que l’on regarde vivre, exposer leurs
problèmes les plus intimes et parois s’entre-déchirer, ont pour eet, selon de
nombreux sociologues, de rendre foues les rontières entre la ction et la réalité.
Le téléviseur ne devient plus uniquement un canal d’inormation : il devient aussi
le révélateur d’une tendance ondamentale au voyeurisme et à l’exhibitionnisme,
élevés au rang de divertissement de masse. La vérité ne tient désormais plus à
aucun absolu, et l’omniprésence de ces émissions de téléréalité dans une multitude
de médias les rend encore plus crédibles aux yeux des téléspectateurs. Dans un
monde qui n’arrête pas de le simuler, de le abriquer ou de le triturer (Desaulniers,
2004), l’individu sait alors de moins en moins ce que le « vrai » signie.
Par ailleurs, les jeunes semblent utiliser l’ore médiatique comme un bassin de
ressources identitaires, notamment dans la construction de leur identité de genre
(masculin/éminin), laquelle s’alimente de traits distinctis et d’opposition. Ainsi,
leur choix d’émissions en vient à dénir leur système de valeurs (voir le chapitre 9).
À ce sujet, le Conseil du statut de la emme (2008) considère d’ailleurs que la repré-
sentation du sexe dans les médias est un obstacle aux rapports égalitaires. Le

chaptre 4 La socialisation 123


contenu sexuel aurait notamment pour eet d’encourager l’adoption de certains
comportements délétères chez les jeunes : obsession de l’image corporelle, particu-
lièrement chez les jeunes lles, adhésion à des stéréotypes, précocité des relations
sexuelles, comportements sexuels non sécuritaires et violence dans les relations amou-
reuses. Bien entendu, cela ne signie pas que les médias infuencent les jeunes de
manière inconditionnelle. Ils leur orent davantage une gamme de supports symbo-
liques dans laquelle, par une opération de classement et de choix, ils puisent pour
élaborer leurs rôles et développer leur identité (Caron et Caronia, 2000).
Par-delà les reproches que l’on peut aire aux médias, les critiques concèdent tou-
teois qu’ils n’ont pas toujours une infuence négative sur la socialisation. Ainsi, les
émissions télévisées éducatives, même si elles ne constituent pas une proportion
signicative de la programmation destinée aux enants et regardée par eux, peuvent
quand même les aider à acquérir certaines aptitudes essentielles à l’école : l’écoute,
l’échange, la curiosité, la dextérité et la réfexion. Elles mettent aussi les jeunes en
présence de connaissances, de cultures et de modes de vie dont ils n’auraient peut-
être jamais entendu parler autrement. Internet, pour sa part, jouit d’un potentiel
presque inni en ce qui concerne l’accès à de l’inormation. Pour quiconque sait
l’utiliser judicieusement et avec discernement, c’est-à-dire en questionnant la crédi-
bilité et la validité des sources d’inormation qui s’y trouvent, cette énorme biblio-
thèque à domicile ore une multitude d’avantages. De plus, Internet participe
désormais à la vie sociale des individus. En eet, selon certains spécialistes, loin de
rendre les gens passis, Internet exige au contraire la participation active des indi-
vidus. Il constitue une pratique sociale accessible et commune qui leur permet de
communiquer au sein d’un groupe social. Loin d’éloigner les gens, il donne alors un
nouveau sens aux mots « communication » et « socialisation » (voir l’encadré 4.3).

Encadré 4.3 Sociologie Au quotidien

La construction de l’identité… virtuelle !

L’engouement pour les réseaux sociaux numériques s’amplife autre, aux médias sociaux et y consacrent en moyenne
d’année en année. Ceux qui recueillent le plus d’adeptes sont 8,6 heures par semaine (CEFRIO, 2012). Le perectionnement
sans conteste Facebook (750 millions d’utilisateurs actis des technologies de l’inormation et des communications
avec, en moyenne, 130 amis chacun), Twitter (200 millions (TIC), comme celui des téléphones cellulaires et de la messa-
d’envois par jour) et YouTube (700 milliards de vidéos regar- gerie texte, participe à rendre ces médias de plus en plus
dées depuis sa création). Aujourd’hui, 91,8 % des jeunes accessibles et omniprésents.
Québécois de 18 à 24 ans participent, d’une manière ou d’une
Dès lors, comment ignorer l’inuence grandissante des médias
sociaux ainsi que leur incidence sur le processus de socialisa-
tion et la construction de l’identité ? L’élaboration de profls sur
les médias sociaux mène régulièrement à une extériorisation
de l’identifé, où le « moi virtuel » domine parois le « moi réel »,
remettant en question la rontière entre réalité et virtualité. Les
usages identitaires des internautes vont de la simple manipu-
lation de l’image projetée à la création pure et simple d’une
personnalité inventée de toutes pièces (Géoris, 2009). Or, la
construction d’identités virtuelles, associées dans certains cas
extrêmes à de la cyberdépendance, peut mener à une véri-
table théâtralisation de l’identité : une abrication identitaire
pure et simple, plus ou moins inspirée de la personne réelle,
un jeu de rôles, en somme. Plus réquemment, l’anonymat

124 parte ii L’organisation de la vie sociale


relati des réseaux sociaux numériques acilite le dévoilement communautés ondées non plus sur la proximité physique, mais
de l’intimité, permettant l’expression d’une identité délivrée de sur les intérêts communs, possibilité de rencontrer l’âme sœur,
toutes contraintes et normes sociales. Les utilisateurs ont même pour les plus timides… Internet génère une nouvelle
alors le sentiment que c’est leur personnalité proonde, libérée orme de lien social répondant à des besoins et à des intérêts
et bien réelle qu’ils partagent. individuels, produisant ainsi les conditions avorables au main-
tien d’un réseau social à l’image d’une société individualiste.
La plupart des internautes utilisent cependant les réseaux
sociaux comme ils le eraient de tout autre espace public. En
Car Internet, ni plus ni moins, renouvelle les notions de
eet, « pour les enants et les adolescents, la relation sur le
lien social et de relation, obligeant à les penser autre-
réseau n’est pas virtuelle, ils sont dans la vraie vie : 92 % utilisent ment. Qu’est-ce qu’une relation ? Plus seulement un
leur vraie identité et ils livrent beaucoup d’inormations per- ace-à-ace, mais des liens qui peuvent outrepasser la
sonnelles » (TNS Sores, 2011). L’utilisation d’inormations présence et le visage, pour trouver leur origine ailleurs,
personnelles véridiques entraîne touteois d’autres risques : la avant ceux-ci, pour exister sans eux. Les critères clas-
conusion entre sphère publique et sphère privée, le vol d’iden- siques et millénaires de défnition de la relation ont bel
tité, la cyberintimidation, etc. Sur les médias sociaux, de nom- et bien été bouleversés par l’irruption d’Internet.
breux utilisateurs, pourtant conscients des risques, ne s’en (Lardelier, 2005)
préservent pas. Ainsi, 61 % des utilisateurs rendent visible leur
profl à tous, alors qu’ils connaissent l’existence de dispositis Malgré l’intangibilité de cette nouvelle orme de rapports
permettant d’en limiter l’accès, exposant ainsi leur intimité de sociaux, ceux-ci persistent, plus vivants et mobiles que jamais,
açon totalement délibérée et désinhibée (Géoris, 2009). De appelant une vaste réexion sur la question de l’identité et du
plus en plus d’employeurs ou de collègues consultent ainsi les lien amoureux.
profls présents sur les réseaux sociaux, qu’ils utilisent comme
réérence. À l’inverse, on devient « amis » avec des inconnus. Question
Quelles inuences les médias sociaux ont-ils sur le
Par ailleurs, le potentiel de réseautage (voir le chapitre 5)
processus de socialisation de l’individu ?
des médias sociaux est infni : mobilisation sociopolitique,

Compte tenu de l’infuence, positive ou négative, que les médias en général –


télévision et Internet en particulier – semblent avoir sur les individus et malgré la
diculté d’évaluer le niveau de cette infuence, il est évident que l’on doit en tenir
compte pour saisir une partie essentielle de la socialisation des jeunes et les
considérer comme étant un agent de socialisation incontournable.
état
4.4.6 L’État Ensemble d’institutions
politiques, juridiques et
L’État est très présent dans nos vies. Il exerce un contrôle important sur ce que administratives propres
nous aisons et devons aire. Des exemples touchant le développement et la matu- à une collectivité associée
ration de l’individu l’illustrent de manière pertinente : l’État xe les règles concer- à un territoire donné.
nant l’âge auquel une personne peut voter, boire de l’alcool, conduire une voiture Keynsianisme
ou se marier sans la permission de ses parents. Il assume également de plus en Approche économique élaborée
plus de responsabilités qui appartenaient auparavant à la amille, comme celles par John Maynard Keynes
du développement de la jeunesse et du bien-être des personnes âgées. qui établit la nécessité de
l’intervention de l’État dans
C’est à partir de 1945, dans la oulée du keynésianisme, que l’État-providence le domaine économique.
s’implante dans l’ensemble des pays industrialisés. Au-delà de son rôle traditionnel
visant à assurer l’ordre et la sécurité, l’État étend son champ d’action à la régula- état-providene
tion des relations sociales. Il procure une assistance aux plus démunis, assure les Forme d’État qui, dans le
but d’assurer de meilleures
besoins sociaux et la protection sociale, se permettant également d’intervenir
conditions de vie à la popula-
pour maintenir ou stimuler l’ore et la demande économiques. Le transert graduel tion, assume un large éventail
de ces prérogatives aux mains de l’État se ait par l’intermédiaire d’institutions de onctions sociales plutôt
ou d’organismes divers (les services de santé, les services sociaux, l’école, les que de se limiter aux onctions
centres de la petite enance, les commissions de droits, etc.). La prise en charge de base de l’État, soit l’ordre
des personnes âgées par les services directs ou subventionnés, l’intervention et la sécurité.

chapitre 4 La socialisation 125


auprès des hommes violents, la mise sur pied de services encadrant les parents
pendant la grossesse et après la naissance de l’enant ou la création de lieux visant
à assurer le développement cogniti, aecti et social (maternelles et garderies)
constituent autant d’exemples d’interventions de l’État dans des champs qui
étaient traditionnellement réservés, au Québec, à la amille ou à l’Église.
Pour justier son intervention en tant que suppléant de la amille, l’État s’ap-
puie notamment sur des analyses qui montrent que les parents ont des choix
idéologiques qui les empêchent parois d’assumer véritablement leur rôle dans la
société actuelle (Bouchard et coll., 1991 ; Martin, 2003) :

Si discours politiques, émissions de télévision ou de radio, articles de presse,


s’emparent du thème, c’est pour stigmatiser l’eondrement du rôle des parents
dans la socialisation des enants, ces enants que l’on traite de « sauvageons »
et qui n’auraient pas reçu en héritage ces codes culturels qui permettent de
bien se tenir en société. Indéniablement, le discours sur la parentalité est un
discours d’ordre public. (Faget, 2001, p. 70)

D’autre part, à déaut de voir la amille remplir les obligations qu’il a lui-même
dénies, l’État, dans son rôle d’agent de socialisation, veille à la dénition de nou-
velles règles du jeu entre les membres de la amille, entre autres par l’entremise
du processus judiciaire. Ainsi, la dislocation de la amille est régie par des lois
auxquelles doivent se conormer les ex-conjoints. L’État va même jusqu’à préciser
la nature et la durée des contacts qu’un enant doit avoir avec l’un ou l’autre de
ses parents. De telles interventions soulèvent un certain nombre de questions.
L’État peut-il, au nom du mieux-être de l’enant et en raison d’« objectis d’État »,
agir comme une entité ayant un droit de regard direct sur celui-ci dès sa nais-
sance ? La précocité de cette intervention dans la vie des enants, que ce soit du
point de vue de l’aectivité, de la réussite personnelle, de l’identité ou de la
conance en soi, est-elle justiable ? Doit-on aire preuve d’une plus grande vigi-
lance pour que la amille n’en arrive pas à perdre sa raison d’exister ?
Par-delà le rôle que joue l’État à l’égard de la amille, sa présence doit aussi être
envisagée dans une perspective plus large. De ait, même à l’âge adulte, notre socia-
lisation est largement déterminée par lui. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle
l’individu, comme citoyen et acteur d’une économie soumise à des règles étatiques,
use d’instruments (syndicats, partis politiques, etc.) pouvant infuer sur les objec-
tis et les décisions de l’État qui modèlent sa personnalité sociale. Par exemple,
l’État donne-t-il toujours la possibilité et les moyens à l’individu qui le souhaite de
s’instruire ou de travailler ? Il détermine touteois la place qu’un individu occupe
dans la société, par exemple en établissant le revenu minimum. De toute évidence,
l’État ne donne pas toujours le choix à l’individu d’être ce qu’il désire.
Comme on le voit, le rôle et l’action de l’État ont des répercussions sur la vie de
l’individu. Son intervention doit donc de plus en plus être considérée comme
ayant une importance dans la régulation des rapports sociaux entre les individus.
Si certains groupes remettent régulièrement en question ce rôle de l’État en sou-
lignant son engagement dans certains domaines qui relèvent selon eux du secteur
privé, l’État-providence s’est donné un mandat de justice sociale. Or, cette inter-
vention de l’État se ait avec des dicultés de nancement croissantes et, malgré
les dépenses, orce est de constater que la pauvreté et l’exclusion sociale aug-
mentent (voir le chapitre 7). Au cours des dernières décennies, les gouvernements
ont eu à répondre de leur endettement, ce qui les oblige désormais à limiter leur
engagement et à réduire les services. Ce désengagement orcé a pour consé-
quence de avoriser le secteur privé, les gouvernements jonglant alors avec l’idée
de privatiser directement ou indirectement des services qui doivent être assurés.

126 parte ii L’organisation de la vie sociale


Cette perspective de réduction de l’engagement de l’État dans le devenir de l’indi-
vidu, par opposition à la nécessité de dispenser des services pour l’amélioration
des conditions de vie de l’ensemble de la population, demeure donc un enjeu cru-
cial pour l’État à titre d’agent de socialisation.

4.4.7 Les autres agents de socialisation


Plusieurs autres agents de socialisation interviennent également dans le développe-
ment social de l’individu. Parmi ceux-ci, la classe sociale d’origine, le groupe ethnique
d’appartenance de même que le groupe religieux jouent des rôles essentiels dans les
expériences de socialisation de l’individu. Nous avons vu dans l’encadré 4.1, à la
page 98, que la classe sociale, par exemple, participe à l’acquisition d’un habitus
particulier. De même, le groupe ethnique dont est issue une personne a une infuence
déterminante quant aux normes et aux valeurs auxquelles elle adhère. Elle
teinte aussi, de manière plus générale, l’ensemble de son environnement social.
Puisque ces deux premiers agents de socialisation que sont la classe sociale et le
groupe ethnique seront abordés en détail dans les chapitres 7 et 8, nous nous limi-
terons ici à l’infuence qu’exerce le groupe religieux à titre d’agent de socialisation.
On peut avoir l’impression que la religion (ou la religiosité) est en voie de dis-
paraître des sociétés occidentales. Il sut de regarder autour de soi pour se
rendre compte de la désaectation des églises catholiques et du ait que les
Québécois rancophones ne pratiquent plus autant la religion qui les a tant mar-
qués autreois. En ce sens, Statistique Canada indique qu’à peine plus de 42 % de
la population québécoise dans son ensemble se dit aujourd’hui catholique et
que près de 18 % se considère ociellement sans aucune appartenance reli-
gieuse (voir la fgure 4.7 ). Cependant, s’il y a bien un certain délaissement de la

Figure 4.7 La répartition de la population selon la religion (canada, 2006)


Religion
Catholique

Protestante

Aucune religion
Autres religions chrétiennes*

Musulmane
Orthodoxe chrétienne

Sikhe
Hindoue

Juive

Bouddhiste

Autres religions
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45
Pourcentage de la population

Note : Les données de 2006 sur la confession religieuse sont projetées à partir de 2001.
*Comprend les personnes qui ont déclaré être de religion chrétienne, apostolique, chrétienne régénérée ou évangélique.
Source : Statistique Canada (2010). « Population selon la confession religieuse et le scénario de projection, Canada, 2006 et 2031 », [En ligne],
www.statcan.gc.ca/pub/91-551-x/2010001/tbl/tbl005-fra.htm (page consultée le 17 août 2012).

chapitre 4 La socialisation 127


pratique catholique, on observe en revanche un oisonnement de nouveaux
mouvements religieux ou idéologiques. Certains parlent de la présence de
quelques centaines de mouvements au Québec, qui sont venus pallier la désa-
ectation du catholicisme en tentant d’orir une nouvelle défnition de soi et une
nouvelle perception du monde.
Qu’elles soient ou non reconnues ofciellement, les croyances existent et
existeront toujours, car elles jouent un rôle essentiel dans le développement
social d’une personne. L’histoire de vie des individus est marquée par des rup-
tures, des échecs et des réussites qui les obligent à s’approprier le monde d’une
manière diérente (Lemieux et Milot, 1992), et les croyances jouent alors un rôle
structurant pour l’établissement de cette nouvelle vision du monde. Si l’on ne
peut décrire ici dans les moindres détails l’apport de chacune des « religions »
aux individus, leur onctionnement ni les raisons pour lesquelles elles suscitent
un attrait auprès de leurs membres, leur rôle semble quand même indéniable. En
somme, la religiosité constitue donc toujours un élément essentiel de la sociali-
sation des individus.
Sur le plan individuel, les croyances, et par conséquent les divers groupes
qui les véhiculent (Églises, mouvements, sectes, etc.), ont un lien direct avec
l’évolution des individus à chaque étape de leur socialisation, comme nous le
verrons au chapitre 5. Les croyances sont en eet à la base même de la socia-
lisation. Elles permettent l’intégration des valeurs, des modèles de vie à suivre,
de la culture des sociétés et des groupes. Elles sont les réérents qui serviront
aux individus dans leurs expériences de vie utures. Ainsi, lors de certaines
désillusions de la vie ou de situations éprouvantes, comme au moment de la
mort d’un proche, la croyance en un dieu semble reaire surace et constituer
une réponse ou une explication. Chaque croyance trouve donc sa place au
moment opportun, en onction des besoins de l’individu et des expériences
qu’il vit.
Sur le plan collecti, les croyances sont tout aussi essentielles, puisqu’elles
constituent une réérence importante d’un point de vue historique. Pendant des
décennies, sinon des siècles, le catholicisme a été le ondement de la vie commu-
nautaire des Québécois (Lemieux et Montminy, 1992). Et même s’il est vrai que le
catholicisme, en tant qu’institution et religion de la majorité au Québec, n’est plus
aussi présent ni visible, il n’en demeure pas moins que le « catholicisme culturel »,
lui, est encore très acti. Ainsi, bon nombre de Québécois continuent, par exemple,
à observer des rituels de passage issus de la religion catholique pour marquer
certains moments importants de leur vie individuelle et collective. Beaucoup
d’enants sont encore baptisés, et ce, même si le tiers des naissances n’a plus lieu
dans le contexte du mariage prescrit par l’Église. Et que dire des batailles qui se
livrent encore à l’heure actuelle contre la laïcisation des institutions publiques
(écoles, mairies, etc.) ?
En conclusion, le processus de socialisation peut être analysé de diverses
açons. Une chose est cependant évidente : le lien entre un groupe et l’individu qui
en ait partie est déterminant en ce qui concerne le rôle que ce dernier joue dans
la société. Il aut évidemment concevoir que ce lien n’est pas synonyme de
contrôle absolu de l’individu, comme nous le verrons dans le chapitre 6. La sou-
mission sous-jacente au processus de socialisation n’est jamais atteinte totale-
ment. En ce sens, on peut dire que les structures des groupes auxquels les
personnes appartiennent au cours de leur développement ne sont pas nécessai-
rement fgées. Elles sont malléables et peuvent, par l’action, être modifées et
donner lieu à une transormation de l’environnement social dans lequel se
trouvent les individus.

128 parte ii L’organisation de la vie sociale


RésEau dE concEpts Les agents de soialisation

Développement
de l’image de soi
Famille contribue à

Appropriation
des rôles sociaux

Acquisition
de l’autonomie
École contribue à
Transmission
de connaissances
et de valeurs

Autonomie
Socialisation
caractérisé
Groupe de pairs par Solidarité
se fait par
le biais des
Rapports non
hiérarchiques
Agents de
comme
socialisation

Standardisation
des comportements
Monde du travail contribue à

Intégration sociale
de l’individu

comme Internet, télévision,


Médias
radio, journaux, etc.

contribue à Prise en charge


État
de l’individu

Classe sociale,
Autres agents comme groupe ethnique,
de socialisation
groupe religieux

FaitEs LE point

14. Qu’est-ce qu’un agent de socialisation ?


15. Quels sont les six principaux agents de socialisation ?
16. Pour chacun de ces agents, nommez deux caractéristiques essentielles.

chapitre 4 La socialisation 129


Résumé
1. La socialisation est le processus par lequel l’in- ou de changements aectant l’environnement
dividu acquiert les éléments culturels de sa col- social, qu’une resocialisation soit nécessaire
lectivité. Elle permet la construction de l’identité an que l’individu s’adapte à sa nouvelle réalité.
individuelle et de l’identité sociale. La culture, 4. La socialisation s’eectue à l’aide de quatre
l’hérédité et le milieu social dans lequel vit l’indi- mécanismes : par l’image qui est renvoyée à l’in-
vidu orment sa personnalité. dividu (miroir réféchissant) par les autres ; par
2. Certains sociologues voient dans la socialisation l’imitation de divers rôles que l’individu voit se
une orme de déterminisme social. Pour d’autres, jouer autour de lui (jeu de rôle) ; par l’image que
la socialisation résulte d’interactions exigeant l’individu cherche à transmettre pour être mieux
des ajustements continuels avorisés par la socia- accepté dans la société (maniement des impres-
lisation mutuelle. En ait, la socialisation condi- sions) ; par l’apprentissage que ait l’individu en
tionne les individus jusqu’à un certain point, mais imaginant certains rôles qu’il assumera et les
le contrôle exercé par la société n’est jamais total. attentes des gens qui l’entourent (socialisation
par anticipation).
3. Un individu se socialise au cours d’étapes qui
varient d’une culture et d’une époque à l’autre. 5. La socialisation se réalise enn par l’intermé-
Dans la société nord-américaine, on compte l’en- diaire d’agents qui infuent sur nos choix de com-
ance, l’adolescence, l’âge adulte, la maturité et portements et l’image que nous avons de nous-
la vieillesse. Il existe entre certaines de ces mêmes : la amille, l’école, le groupe de pairs, le
étapes des périodes de transition où se vivent monde du travail, les médias, l’État et les autres
des remises en question personnelles. Il arrive milieux de socialisation, dont les groupes
aussi, en raison de modications du rôle social religieux.

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 Exercice 2
Illustrez, à l’aide d’une ligne du temps personnelle, Lisez le texte suivant, qui décrit brièvement le cas de
votre cheminement de vie, c’est-à-dire une repré- Marc-André, puis répondez aux questions posées :
sentation de ce que vous avez été durant votre
enance et votre adolescence, et de ce que vous Marc-André s’est enrôlé dans l’armée il y a six
êtes maintenant. Cet inventaire doit comporter les mois. Les exigences de l’armée sont très
aits et les événements qui vous ont marqué et tout strictes et les activités y sont très contrôlées.
ce qui, dans votre vie, vous a permis de devenir ce On se lève à la même heure, on porte le même
uniorme et on doit se soumettre en tout temps
que vous êtes (décisions importantes de votre part
à l’autorité de ses supérieurs.
ou de la part de vos parents, choix d’une orientation
scolaire, etc.). Marc-André ne trouve pas toujours acile de se
conormer à ces règles, même si à présent, elles
Réunissez-vous en petits groupes et exposez à tour lui semblent nécessaires. Il s’est adapté à ce nou-
de rôle votre propre cheminement. Relevez ensuite en veau mode de vie, qu’il trouve de plus en plus valo-
groupe les points communs à plusieurs chemine- risant. Il a développé un ort sentiment d’identité
ments. Discutez-en alors avec les autres groupes an à l’armée et il est très er de l’uniorme qu’il porte.
de aire ressortir les constantes liées à la socialisa- Quand il n’est pas en mission à l’étranger, il vit sur
tion et à l’identité sociale en onction du milieu la base militaire, dans une maison, avec ses deux
culturel. Attention, touteois : un tel exercice doit être enants et sa conjointe, qui travaille elle aussi pour
réalisé dans le respect et ne pas devenir une tentative l’armée. Leur amille compte maintenant un nouveau
d’intrusion dans la vie privée de chacun ! membre : Mathieu, le dernier né, qui a maintenant

130 parte ii L’organisation de la vie sociale


18 mois. Pour son baptême, l’été passé, Marc et expliquant ce qu’est une resocialisation et en quoi
son épouse ont organisé un barbecue où étaient elle est ou non présente.
conviés tous leurs amis et voisins.
d) Quels mécanismes de socialisation vous semblent
a) Identiez l’étape de socialisation ou de transition ici en action ? Pourquoi ?
que vit Marc-André. Quels indices vous poussent à
croire qu’il en est à cette étape de sa vie ? Exercice 3
b) Identiez les agents de socialisation en jeu. Pour chacune des étapes de socialisation, associez
Justiez votre réponse en vous réérant au texte. les agents de socialisation prépondérants. Au regard
c) Voyez-vous une situation de resocialisation dans de ce portrait, quels agents vous semblent les plus
le cas de Marc-André ? Justiez votre réponse en infuents dans votre vie ? Pourquoi ?

Pour aller plus loin


Volume et ouvrge de référence audioviuel

BEAUVOIR, Simone de (1986). Le deuxième sexe (tomes I BISSONNETTE, Sophie. Sexy inc. : nos enants sous infuence,
et II), Paris, Folio (Gallimard). ONF, 2007, DVD (35 min).
« On ne naît pas emme, on le devient. » Cet essai est un grand Documentaire traitant du phénomène de l’hypersexualisation,
classique de la littérature qui traite de l’aspect culturel de la de l’inuence des médias et de l’apprentissage des modèles
défnition du genre éminin et de la part respective de déter- de comportements par les jeunes.
minisme social et de liberté individuelle dans ce processus
de socialisation et de construction de l’identité. BOUDOU, Jean-Louis. À un poil de la perection, Société
Radio-Canada, 1999, DVD (17 min).
BRETÉCHER, Claire (1974-1980). Les rustrés (tomes 1 à 5), Bre documentaire traitant de la mouvance des standards
Éditions Bretécher. culturels de beauté, plus précisément des normes relatives à
Cette auteure de bandes dessinées jette d’abord et avant tout l’épilation, et de leur apprentissage par les divers mécanismes
un regard humoristique, mais également sociologique, sur les de socialisation.
relations parents-enants (et adolescents) avec, en trame de
ond, les aléas du processus de socialisation. CARLES, Pierre. La sociologie est un sport de combat, France,
C-P Productions, 2001, DVD (2 h 26 min).
SARRAZIN, Philippe, et David TROUILLOUD (2003). « Les Film documentaire engagé portant un regard critique sur les
connaissances actuelles sur l’eet Pygmalion : Processus, médias tout en abordant l’œuvre de Bourdieu et en nous aisant
poids et modulateurs », Revue Française de Pédagogie, connaître le quotidien de ce sociologue.
n° 145 (octobre-novembre-décembre), p. 89-119.
HARLOW, Harry. Harlow’s Studies on Dependency in Monkeys,
Article de revue scientifque dressant un portrait très complet
YouTube, 2010, [En ligne], www.youtube.com (6 min)
des connaissances actuelles sur l’eet Pygmalion : quelles
caractéristiques des étudiants inuencent le jugement des Brève vidéo originale résumant les expériences de Harlow sur
proesseurs ? l’importance de la socialisation dans le développement.

MESSIER, Nicole, et Hélène COURCHESNE. « Moi Tarzan, toi


périodique et journux Jane », Enjeux, Société Radio-Canada, 2006, [En ligne], www.
radio-canada.ca
« Qu’est-ce que transmettre ? » (2002). Sciences humaines,
hors-série n° 36 (mars-avril-mai). Reportage sur les clichés sexuels chez les enants. Enjeux a
rencontré des dizaines d’enants de tous les groupes sociaux
Un numéro complet de la revue Sciences humaines traitant
et de tous les âges, de même que des experts en la matière
de la socialisation, dont un dossier entier sur « Famille
et des éministes de la première heure.
et socialisation ».

site Web
Rendez-vous
VERREAULT, Myriam. Ma tribu, c’est ma vie, ONF, 2010, en ligne
[En ligne], www.on.ca http://mabibliotheque.
Documentaire interacti qui nous plonge dans les univers de huit heneliere.a
ans de musique, pour observer comment Internet transorme
leurs relations interpersonnelles et contribue à orger leur identité.

chapitre 4 La socialisation 131


5
Chapitre

Les grOupes, Les OrganisatiOns


et Les réseaux sOciaux

Objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

d’expliquer ce qu’est un groupe social ; de distinguer le fonctionnement des organi­


sations hiérarchiques et non hiérarchiques ;
de nommer les principaux types de groupes
et d’organisations au sein des sociétés d’expliquer les incidences possibles des
contemporaines ; nouveaux réseaux sociaux.
de différencier les différents types de fonc­
tionnement au sein des groupes sociaux ;
pLan de chapitre
5.1 Le groupe social
5.1.1 L’individu et le groupe : la dynamique de groupe
5.1.2 La classifcation des groupes
5.1.3 Les sous-classifcations des groupes
5.2 Les organisations sociales hiérarchiques
5.2.1 La typologie des organisations hiérarchiques
5.2.2 Les principales organisations hiérarchiques-
bureaucratiques
5.3 Les organisations sociales non hiérarchiques
ou en réseau
5.3.1 La cogestion et l’autogestion
5.3.2 Les mouvements sociaux
5.3.3 Les réseaux sociaux

cOncepts-cLés
• Association • Groupe restreint ....137
volontaire .............150
• Groupe
• Autogestion ..........154 secondaire ...........137
• Bureaucratie .........144 • Groupe social .......135
• Cogestion .............154 • Institution
totalitaire..............148
• Dynamique
de groupe .............136 • Mouvement
social ...................155
• Groupe
d’appartenance.....140 • Organisation
coercitive ..............149
• Groupe
d’intérêts ..............140 • Organisation
hiérarchique..........142
• Groupe de
référence ..............140 • Organisation non
hiérarchique..........153
• Groupe formel .......141
• Organisation
• Groupe informel ....141
utilitaire ................150
• Groupe primaire ....137
• Réseau social .......157
Mise en cOntexte

En 1971, un psychologue social, Philip Zimbardo, dirige une recherche visant


à reconstituer la vie en milieu carcéral (Haney, Banks et Zimbardo, 1973).
L’objecti : observer comment se défnissent les relations entre les individus
qui se retrouvent dans une structure établie. Le chercheur ait donc trans-
ormer le sous-sol de l’université Stanord, en Caliornie, en prison. Par l’en-
tremise d’une annonce publiée dans le journal local, il recrute 24 étudiants
en bonne condition physique et mentale, issus de tous les milieux et origi-
naires de tout le continent nord-américain. Douze d’entre eux seront les pri-
sonniers et les douze autres, des gardiens. Dix-huit participeront véritable-
ment à l’expérience, alors que les six autres seront appelés en cas de besoin.
Par souci de réalisme, Zimbardo ait d’abord subir aux prisonniers une arres-
tation à domicile. Ceux-ci sont ensuite alignés devant une voiture de police,
ouillés et menottés, puis on leur lit leurs droits et on les conduit à la « prison ».
Sur les lieux, ils subissent une séance d’humiliation : mise à nu, ouille, désin-
ection, vêtements de prisonniers et chaîne à la cheville droite, puis ils sont
incarcérés. Les gardiens ne reçoivent aucune ormation. On leur ournit un
uniorme et les instruments qui s’y rattachent : lampe de poche, lunettes de
soleil, siet, matraque ainsi que la pleine autorité sur les prisonniers. Après
une première journée relativement calme, les jours suivants donnent lieu à
des interactions sociales de plus en plus négatives. Les deux groupes s’appro-
prient rapidement leur rôle : les gardiens deviennent plus agressis et les pri-
sonniers opprimés, plus révoltés. Les mauvais traitements s’accentuent de
la part des gardiens, et pour les prisonniers, la soumission devient intolé-
rable. Après quelques jours, deux prisonniers présentant des symptômes de
troubles émotionnels aigus doivent être retirés de l’expérience. Après six
jours, la tension est à son comble, à un point tel que Zimbardo met fn à l’ex-
périence, qui devait durer deux ois plus longtemps.
Ce genre d’expérience a mis en lumière l’inuence déterminante de la struc-
ture sociale des individus sur leurs interactions. Ceux-ci adoptent des com-
portements liés au rôle qu’ils occupent et développent des attitudes non
apprises déterminées par le cadre de onctionnement dans lequel ils se
situent. Ainsi, les prisonniers sont devenus apathiques et soumis, et chez les
gardiens, on a vu émerger trois types de personnes : ceux qui respectaient
les règles, ceux qui aisaient des aveurs aux prisonniers (les « bons gardiens »)
et ceux qui étaient cruels et qui les humiliaient (les « mauvais gardiens »).

Qu’est-ce qui explique que les individus devenus gardiens et prison-


niers aient adopté de tels comportements ?
Quelles autres attitudes les gardiens et les prisonniers auraient-ils pu
adopter dans le cadre de cette expérience ?
Trouvez d’autres exemples de situations où l’inuence du groupe peut
être aussi déterminante sur la açon d’être des individus.

134 par ii L’organisation de la vie sociale


C
’est au cours de la Préhistoire que naissent les premiers groupes
sociaux issus de l’union d’un homme et d’une emme qui, pour
assurer la survie de leur progéniture, décident de se lier. C’est ce
que l’on désigne sous le terme « clan ». Depuis, les êtres humains
n’ont cessé de voir croître le nombre de groupes sociaux auxquels
ils peuvent ou doivent appartenir. Le groupe social ait désormais partie de la
vie de tous. Cependant, bien que nous soyons conscients du lien qui nous unit
aux autres, il nous est parois difcile d’en expliquer la nature et de le défnir.
Voilà pourquoi, dans le présent chapitre, nous présenterons les bases à
partir desquelles s’établissent les « groupes sociaux », puis nous défnirons la
nature des divers types de groupes et les types de onctionnements qu’ils
peuvent adopter. Nous décrirons par ailleurs les groupes sociaux que l’on
peut qualifer de « traditionnels », mais aussi ceux, plus dius, que l’on appelle
« réseaux », et en particulier dans leur orme émergente : les « réseaux sociaux »
liés à Internet.

5.1 Le groupe social


L’appartenance à un groupe social marque l’opposition sociologique entre le « je »
et le « nous », mais aussi le lien qui existe pour que l’individu développe, comme
nous l’expliquions dans le chapitre 4, son identité sociale. Par l’entremise de ce
que pensent, disent ou ont les membres du groupe, celui-ci inuence les choix de
l’individu. En ce sens, le « nous » idéal est un groupe dont l’action surmonte la puis-
sance individuelle, par la mise en commun des énergies, des enthousiasmes et des
capacités et grâce à la solidarité qui se crée entre les membres.

5.1.1 L’individu et le groupe : la dynamique de groupe


Partant de cette prémisse, nous pouvons d’ores et déjà défnir le groupe social groupe soial
comme un ensemble de personnes qui partagent certains champs d’intérêt, Ensemble de personnes qui
qui communiquent entre elles sur une base régulière ou non, qui poursuivent un partagent des champs d’intérêt
but commun ou qui onctionnent à l’intérieur d’une organisation envers laquelle ainsi que des buts communs et
elles éprouvent un sentiment d’appartenance. Comme on le voit, le groupe ne se qui interagissent dans le cadre
résume pas à un agrégat d’individus juxtaposés physiquement, sans lien entre eux, d’une organisation, envers
laquelle elles développent un
comme c’est le cas, par exemple, dans une fle d’attente. En eet, un ensemble de
sentiment d’appartenance.
personnes qui attendent le bus à un arrêt ne constitue pas un groupe social. Il en
deviendrait un si, par exemple, ces personnes commençaient à interagir et en arri-
vaient à s’organiser dans le but de contester la piètre qualité du service oert.
Ainsi, le groupe social se défnit d’abord par les interrelations qui existent
entre ses membres, c’est-à-dire son intériorité. Par ailleurs, les liens d’opposition
ou de complémentarité qu’il entretient avec d’autres groupes lui permettent de
défnir sa raison d’être, son identité, ses rontières idéologiques et physiques,
c’est-à-dire son extériorité. C’est ce que nous montre l’exemple du transport en
commun, où les usagers orment un groupe en réaction à un autre. Ainsi, les usa-
gers qui jugent la qualité du système de transport défciente entrent en conit
avec la société qui le gère et qui augmente les taris de açon continue. C’est ce
qui les pousse à ormer un groupe social.
Touteois, comme nous l’avons déjà mentionné, un groupe social se défnit
d’abord par son intériorité. Dans cette perspective, le groupe exerce une orce
d’intégration sur l’individu. Bien sûr, chacun possède une identité propre, mais la
orce du groupe met en lumière la ragilité de l’individu en son sein. En somme, un

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 135


dynamque e groue groupe est plus que la somme de ses parties, et les expériences de dynamique de
Ensemble de rapports, à groupe viennent confrmer la orce centripète ou intégratrice qu’il exerce sur l’in-
l’intérieur d’un groupe restreint, dividu. Avec le temps, le groupe peut modifer les opinions et les perceptions les
dont les règles de fonctionnement plus solides de l’individu.
déterminent le comportement
des individus les uns par rapport Par exemple, l’observation des échanges au sein d’un groupe met en lumière
aux autres. un curieux phénomène : les individus modifent continuellement leurs opinions
en vue de se conormer le plus possible à l’opinion du groupe ou à celle de la
majorité. Si, dans un groupe de 30 personnes discutant de racisme, il s’en trouve
29 qui déendent des opinions antiracistes contre une seule personne raciste, le
groupe utilisera diérents moyens comme le rire ou des interventions-chocs ou
agressives pour amener l’individu raciste à se conormer aux vues de la majorité.
Peut-être les premières interventions de l’individu raciste vanteront-elles la supé-
riorité de sa race, mais, se voyant seul à déendre cette opinion, celui-ci modifera
progressivement ses positions pour fnalement admettre, par
exemple, qu’aucun groupe ethnique n’est supérieur aux autres, tout
en ajoutant que les groupes sociaux ont des cultures bien diérentes
(Berger, 1986). C’est le compromis que pourrait trouver l’individu
après avoir été inuencé de açon spectaculaire par la dynamique de
groupe. Touteois, les choses se compliqueront sans doute quand
l’individu raciste réintégrera sa vie quotidienne : ses conceptions
racistes bien ancrées remonteront vite à la surace et l’inuence du
groupe de discussion aura été de courte durée.
La délibération d’un jury constitue une autre illustration très pro-
bante de la dynamique de groupe. Lors de simulations, Denis et ses
collaborateurs (2001) ont observé que le verdict établi à la fn des
délibérations est généralement le même que celui proposé par la
majorité au début de celles-ci. Autrement dit, l’opinion initiale de
Lorsqu’elle est obtenue au début du procès, la majorité ne parvenait jamais à être renversée par les arguments
l’opinion de la majorité d’un jury populaire d’une minorité au fl des discussions. Cela nous montre encore une
n’est jamais renversée par celle des membres
ois la orce de la majorité dans le contexte d’une séance de dyna-
minoritaires.
mique de groupe.
Des études menées dans les années 1930 et 1940 par trois précurseurs de
l’étude du onctionnement des groupes ont permis de mettre à jour les méca-
nismes d’inuence de ceux-ci sur la personnalité des individus. Ainsi, Elton Mayo
(1933), Jacob Levy Moreno, grâce à ses travaux sur la sociométrie (1934), et Kurt
Lewin, qui s’est penché sur le leadership (1947), ont démontré l’interdépendance
qui existe entre les membres d’un groupe. Par leurs travaux, ces trois auteurs ont
révélé la solidarité, le sentiment d’appartenance, la reconnaissance et la motiva-
tion que peut entraîner la transormation d’un lieu de travail et de l’atmosphère
qui y règne, et ont décrit l’importance du rôle du leader à cet égard.
Ainsi, la solidarité, conséquence première de la dynamique de groupe, s’ac-
compagne de règles et d’obligations auxquelles le membre d’un groupe doit se
conormer. En eet, la non-conormité à celles-ci risquerait d’entraîner son rejet
par le groupe et, de ce ait, sa marginalisation (voir le chapitre 6). C’est ici à la ois
l’avantage et le désavantage de la dynamique de groupe : d’une part, l’adhésion à
des normes collectives acilite les rapports avec autrui, uniormise les comporte-
ments et peut aciliter la prise de décision collective, et d’autre part, elle peut
conduire, dans le pire des cas, à un rejet systématique de toute opposition ou
divergence d’opinion. Ainsi, la pression exercée sur les dissidents peut se révéler
très orte, de sorte que l’expression des points de vue minoritaires risque d’être
noyée sous l’inuence de la majorité, comme le montrent certaines expériences
du psychosociologue Solomon Asch dans les années 1950.

136 parte ii L’organisation de la vie sociale


Par ailleurs, l’appartenance à un groupe correspond à un besoin de l’humain
en tant qu’être social. La tenue vestimentaire, par exemple, reète souvent l’ap-
partenance à un groupe. Ainsi, les cadres d’une usine souhaitent se distinguer
des ouvriers par le port du veston et de la cravate. Pour d’autres, telle marque de
vêtements ou tel type de voiture révèle l’appartenance à un groupe distinct.
L’appartenance à un groupe peut, par ailleurs, déterminer les comportements
individuels. En ce sens, certaines enquêtes ont démontré que le vote des élec-
teurs était beaucoup plus inuencé par un groupe de parents ou d’amis que par
les médias ou la propagande des partis. Une recherche menée à ce sujet par Elihu
Katz et Paul F. Lazarseld (1955) durant les campagnes électorales américaines
de 1940 et 1948 a démontré que les relations issues d’un groupe primaire comme
la amille, les amis proches ou les collègues avaient plus d’inuence que les
médias sur les intentions de vote. C’est à partir de ces constatations que Katz et
Lazarseld ont élaboré la théorie de la communication à double étage, mieux
connue sous le nom de Two steps fow theory. Selon celle-ci, l’inormation média-
tique est relayée vers les individus par des leaders d’opinion ou des groupes
comme la amille, les amis, le milieu de travail et les syndicats. Les interactions
humaines et sociales sont donc déterminantes en ce qui a trait aux comporte-
ments collectis.
Par ailleurs, certains groupes se distinguent de la société dominante par le ait
qu’ils adoptent une posture critique, voire des valeurs opposées à celle-ci : ce
sont eux qui servent de modèles aux sous-cultures ou à la contre-culture. Par
exemple, l’existence de gangs de rue, constatée à la fn des années 1980 sur l’île
de Montréal, a mis en lumière certains eets de l’appartenance à ces groupes
chez les jeunes. Des entrevues eectuées auprès de jeunes membres de gangs
ont révélé que ceux-ci ne se sentaient pas coupables d’agresser des personnes
parce que cela correspondait à des normes acceptées et valorisées au sein de
leur groupe d’appartenance (La Presse, 25 mai 1989). En somme, les jeunes issus
de ces gangs étaient plus soucieux de se conormer aux normes du groupe qu’à
celles des autres institutions de la société.

5.1.2 La classifcation des groupes


Rappelons que chaque individu appartient à plusieurs groupes, relevant eux-
mêmes de diverses sphères de la vie quotidienne. Il est donc parois difcile de
diérencier ces groupes, ce qui nous permettrait pourtant de mieux comprendre
leur raison d’être. À cette fn, nous proposons ici une typologie des groupes établie groupe primaire
en onction de critères tels que la composition, la taille, la structure et la fnalité. Petit groupe d’individus sans
Notons touteois que cette catégorisation n’est pas exhaustive ni exclusive, puisque objectifs précis dont les
certains groupes peuvent relever de plusieurs catégories. membres entretiennent des
relations interpersonnelles
intimes.
Les groupes primaires et secondaires
La théorie sociologique des groupes distingue les groupes primaires des groupes groupe seondaire
secondaires (Rose, 1976). Les groupes d’amis, de pairs, de voisins ou d’entraide Groupe social organisé,
ainsi que les gangs sont des exemples de groupes primaires. Les grandes organi- généralement de grande taille
et visant des objectifs précis,
sations comme les partis politiques, l’armée, les ministères ou les grandes entre-
réunissant des personnes qui
prises constituent, pour leur part, des groupes secondaires. Le tableau 5.1, à la page n’entretiennent pas de relations
suivante, présente les distinctions qui existent entre ces deux types de groupes. personnelles intimes.
La taille Sur le plan de la taille, les groupes primaires sont de petits groupes ou groupe restreint
des groupes restreints. Le qualifcati « primaire » ait réérence à la nature des Groupe social comptant peu
liens qui existent entre les individus : sentiment d’appartenance, solidarité, qualité d’individus, soit environ 15 à
aective des relations, cadre de onctionnement plus ou moins défni. Quant à 20 personnes.

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 137


Tableau 5.1 Les caractérstques des roues rmares et des roues secondares
Caractéristiques Groupe primaire Groupe secondaire
Taille Petite Moyenne ou grande
Relations interpersonnelles Chaleureuses, intimes, directes (en personne) Réservées, hiérarchiques et indirectes
Intégration Intensive (« nous » ort) Extensive (« nous » aible)
Normes Inormelles Formelles
Buts et objectis Abstraits et non défnis Précis et défnis
Exemples ou cas types Groupe de pairs, gang, voisinage, groupe d’entraide Grande entreprise, parti politique, armée

l’adjecti « restreint », il véhicule la dimension numérique, soit un nombre peu élevé


de membres. Notons que tous les groupes restreints ne correspondent pas néces-
sairement aux caractéristiques d’un groupe primaire.
grand roue Les groupes secondaires sont de grands groupes d’un point de vue numé-
Groupe social rassemblant un rique, mais tous les grands groupes ne sont pas des groupes secondaires. Une
nombre important d’individus, oule, par exemple, est un grand groupe constitué de nombreux individus réunis
quelques milliers ou centaines de açon provisoire. Les contacts y sont réduits, mais les émotions y sont parois
de milliers. exacerbées. Ainsi, lors d’un spectacle d’un groupe rock, les spectateurs commu-
niquent peu ou pas entre eux, mais l’eet de la oule peut être contagieux et
mener à des gestes collectis excessis et irrationnels, que les individus n’auraient
pas assumés seuls. Par ailleurs, le « public » se défnit comme une oule plus struc-
turée ayant des comportements ritualisés en regard de règles à respecter et de
rôles presque appris en onction d’un déroulement prévu. Les débordements
sont toujours possibles, mais peu probables. C’est le cas, par exemple, des
personnes qui assistent régulièrement à un match de hockey ou de soccer. Les
maniestations d’appui, de joie ou de désapprobation sont appelées à se dérouler
de la même açon à chaque partie.
Finalement, un grand groupe peut aussi aire réé-
rence à un « groupement » qui, sans avoir une enver-
gure très grande, surpasse en nombre un groupe
restreint. Les relations des participants d’un tel
groupe visent la réalisation d’objectis précis. Ainsi,
une entreprise de quelques dizaines ou centaines
de personnes peut être considérée comme un
groupement.
Il est possible de préciser les critères de distinc-
tion entre « primaire » et « secondaire » en onction
du rapport entre l’individu et le groupe. Ainsi, Rose
(1976) suggère que l’on examine ces diérences
sur les plans des relations interpersonnelles dans
le groupe, du type d’intégration que le groupe
Le public d’un concert est un groupe secondaire, réunissant de açon
propose à l’individu et des normes utilisées par
temporaire un grand nombre de personnes.
le groupe.
Les relations interpersonnelles Le groupe primaire suscite des relations chaleu-
reuses et aectives entre ses membres, et de ce ait, vit difcilement la perte de
l’un d’eux. Par contre, les arrivées (les intrants) et les départs (les extrants) sont
chose courante pour les groupes secondaires.

138 parte ii L’organisation de la vie sociale


Les relations dans les groupes primaires sont directes et se vivent en per-
sonne, contrairement aux groupes secondaires. En ait, les relations sont telle-
ment étroites dans les groupes primaires que chaque membre du groupe connaît
personnellement tous les autres. Dans les groupes secondaires, la hiérarchie
reroidit les relations entre les personnes. Par exemple, dans une grande entre-
prise, il serait malvenu pour un employé de s’adresser directement au président-
directeur général pour exprimer ses besoins personnels. Cependant, l’employé
pourrait passer par des intermédiaires supérieurs dans la hiérarchie pour par-
venir à ses fns.
L’intégration de l’individu Le groupe primaire ait appel à une intégration intensive
ou rigide, de telle sorte que les individus ressentent une orte identifcation au
groupe. Le « nous » est puissant, et l’on peut dire que l’individu se ond dans
le groupe, dont la cohésion peut être totale. Les équipes sportives, par exemple,
recherchent cette usion, couramment appelée « esprit d’équipe ». Tout entraîneur
tente de provoquer cette orce collective à l’intérieur d’une équipe, car il sait
qu’elle est supérieure à la somme des eorts individuels. En d’autres termes, le
tout dépasse la somme des parties. Cette identifcation totale au groupe est avo-
risée par le ait que les groupes primaires préviennent à leur açon les excès de
l’individualisme ; ainsi, les petits groupes prévoient des sanctions pour punir les
membres qui voudraient trop s’afrmer ou se distinguer des autres. Par exemple,
dans une équipe, l’entraîneur peut punir l’athlète qui ne pense qu’à sa peror-
mance personnelle. La solidarité du groupe primaire est entretenue par des sanc-
tions sévères.
L’intégration dans les groupes secondaires est plus extensive ou plus souple.
Les diérences individuelles y sont mieux acceptées et l’identifcation au groupe
est plutôt aible. D’ailleurs, les entreprises sont souvent conrontées à ce pro-
blème lorsque leurs employés ne se sentent pas intégrés. Généralement, de tels
employés sont moins efcaces que ceux qui ont l’impression de aire partie d’une
équipe cohésive.
Les types de normes Les groupes primaires utilisent surtout des normes inor-
melles dans leur onctionnement quotidien (voir le chapitre 3). L’acceptation d’une
nouvelle personne dans un groupe d’amis se ait souvent sur la base de la soumis-
sion à telle ou telle norme. Dans un ouvrage récent portant sur les gangs de rue,
entre autres ceux du Salvador, la criminologue et sociologue Maria Mourani
(2009) a relevé certaines normes inormelles qui permettent aux membres de ces
gangs de se reconnaître (règles d’engagement, vocabulaire utilisé, couleurs des
vêtements). Au Québec, les normes auxquelles les jeunes membres d’un gang de
rue doivent se soumettre sont relativement semblables, selon un document publié
par le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM, 2008). Ils doivent ainsi se
vêtir selon un code vestimentaire précis, utiliser des signes distinctis et des poi-
gnées de main particulières pour communiquer entre eux, consommer de l’alcool
et de la drogue, s’adonner au clavardage sur des sites de gangs de rue, tenir des
propos haineux ou racistes et posséder une arme.
Les groupes secondaires ont plutôt tendance à utiliser les normes ormelles
sous orme de règlements. En ait, les groupes secondaires multiplient parois les
normes ormelles. « Tout ce qui n’est pas interdit est obligatoire », a dit le socio-
logue états-unien Charles Wright Mills à propos de la rigidité des groupes secon-
daires. Il voulait ainsi indiquer que les groupes secondaires ont tendance à tout
prévoir au moyen de règlements (Mills, 1970, p. 102).
En ait, les normes au sein des groupes secondaires sont ormelles parce que
ces organisations ont des objectis précis à atteindre. Ceux-ci peuvent consister

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 139


à « promouvoir une instruction solide et complète pour tous les citoyens », pour le
ministère de l’Éducation ; à « promouvoir la parole de Dieu », pour l’Église ; à
« déendre la nation », pour les orces armées, etc. Afn d’atteindre leurs objectis,
ces groupes utilisent des règles ormelles et précises (lesquelles ne garantissent
pas, cependant, qu’ils les atteindront). Touteois, il en va autrement pour les
groupes primaires : un groupe d’amis, de voisins ou de collègues de travail a des
objectis plus ou moins bien défnis et il ne recourt pas à des normes ormelles
pour intégrer ses membres.

Les groupes d’appartenance et de réérence


groue d’aartenance Outre les notions de groupe primaire et de groupe secondaire, la sociologie utilise
Groupe qui propose à l’individu celles de groupe d’appartenance et de groupe de réérence. Les groupes d’apparte-
un lien formel et direct. nance proposent à l’individu un lien plus ormel et plus direct envers l’ensemble.
C’est le groupe où l’individu puise des valeurs et des habitudes de vie, trouve une
identité et développe sa personnalité au contact de ses semblables. C’est un groupe
dont il se réclame. L’exemple le plus rappant de groupe d’appartenance est la
amille. En eet, celle-ci marque l’individu par un nom (« nom de amille ») pour
établir dans le temps le lien groupe-individu, et ce, pour toute la vie. Elle choisit
pour lui un prénom selon ses goûts, en s’inspirant des modes en vigueur dans la
société. Dans ce sens, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, elle
constitue l’un des agents de socialisation les plus puissants.
groue de référence En parallèle, ou en complémentarité, le groupe de référence sert de modèle
Collectivité (réelle ou imagi- culturel à l’individu. En ce sens, il agit en tant que guide pour orienter les opi-
naire) qui sert à l’individu de nions, les attitudes et les actions de celui-ci (Berger, 1986 ; Turner, 1994). Notons
guide ou de modèle pour que le groupe de réérence peut être un groupe imaginaire qui renvoie à une
orienter ses opinions, ses expérience du passé (par exemple, les anciens combattants) ou à une apparte-
attitudes et ses actions.
nance anticipée (par exemple, les étudiants en médecine). On peut avoir ait
partie d’un groupe de réérence par le passé, ou encore souhaiter en aire partie.
Que le groupe soit imaginaire ou réel, les valeurs, les croyances et les açons
d’être qui le caractérisent seront intériorisées par l’individu et ressurgiront au
cours de sa vie. Ainsi, le groupe de réérence peut constituer un modèle culturel ;
il permet à l’individu de construire son identité et de classer les messages et les
symboles qu’il reçoit quotidiennement.

5.1.3 Les sous-classifcations des groupes


Au-delà de ces deux grandes classifcations des groupes, il en existe d’autres, éta-
blies sur la base de critères diérents. Ainsi, des groupes peuvent être défnis en
onction d’objectis précis liés à la déense des intérêts de leurs membres. D’autres,
encore, peuvent se défnir en regard d’une onction qu’ils ont à remplir.

Les groupes d’intérêts


groue d’ntérêts Les groupes d’intérêts se orment à partir du principe de la déense des intérêts
Groupe social qui vise à la particuliers de certains individus et d’avantages qu’ils veulent obtenir. Également
défense d’intérêts particuliers. nommés « groupes de pression » ou « lobbys », ces groupes agissent politiquement
Ces intérêts peuvent être d’ordre auprès des gouvernements et des États (Stewart, 1958). Il y a des groupes d’inté-
public ou privé. rêts publics, qui représentent des intérêts non économiques, comme Amnistie
internationale, Greenpeace, etc. Ceux-ci visent à mobiliser le plus grand nombre
de personnes autour d’une cause ou d’enjeux dont le résultat profterait, selon
eux, à toute la société.
Les groupes d’intérêts privés, quant à eux, déendent des intérêts particuliers
liés à un secteur donné, et sont souvent en relation directe avec les organisations

140 parte ii L’organisation de la vie sociale


politiques. Ces groupes représentent des catégories d’individus : des dirigeants
d’entreprises (associations de gens d’aaires), des proessionnels (corporations
proessionnelles), des travailleurs (syndicats) ou des étudiants (associations étu-
diantes), par exemple. Les individus qui y adhèrent le ont au départ parce qu’ils y
sont obligés et pour leur propre bien, et non pour le bien de l’ensemble de la société.

Les groupes formels et informels


La classifcation des groupes en regard de leur onction donne lieu à la distinction
entre les groupes ormels et les groupes inormels.
Les groupes formels, parois surnommés « groupes de travail », sont créés en groupe ormel
onction de tâches précises ou d’un problème à résoudre. Ces groupes ont partie Groupe social, permanent ou
d’une organisation bien structurée (par exemple, une entreprise), ils sont hiérar- temporaire, œuvrant au sein
chisés et se trouvent sous l’autorité d’un groupe dominant (par exemple, les admi- d’une organisation structurée
nistrateurs). Les groupes ormels peuvent être permanents, donc prévus dans en onction de tâches ou
l’organigramme de l’organisation, ou provisoires et liés à un problème ponctuel. de problèmes précis.

Au sein des groupes informels, les relations sont non structurées. Ceux-ci groupe inormel
peuvent donc regrouper des individus d’un même niveau hiérarchique autant que Groupe social non structuré qui
de niveaux diérents, contrairement aux groupes ormels. En outre, ces groupes se orme sur la base d’amitiés
se orment spontanément sur la base de relations personnelles autour d’intérêts ou d’afnités en regard
communs, d’afnités partagées (par exemple, un club de loisir au sein d’une entre- d’activités diverses : activités
prise). Les règles n’y sont pas prédéfnies et peuvent se transormer au fl du temps sportives, de détente, de
passions communes, etc.
ou selon la composition du groupe. Touteois, comme il s’agit de groupes sociaux,
les groupes inormels sont plus qu’une simple juxtaposition de personnes.

Réseau de concepTs La lassifation des roupes

Taille

Groupes primaires Relations


interpersonnelles
se diérencient selon
Intégration de
Groupes secondaires l’individu

Types de normes
Groupes
d’appartenance
La sociologie
distingue
Groupes de réérence

Publics
Groupes d’intérêts peuvent être

Privés

Groupes ormels

Groupes inormels

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 141


FaiTes Le poinT

1. Quels sont les éléments à la base de la création d’un groupe social ?


2. Quels sont les eets du phénomène de dynamique de groupe ?
3. Quels critères permettent de diérencier les groupes d’appartenance
et de réérence dans la société ?
4. Qu’est-ce qui distingue les groupes primaires des groupes secondaires ?

5.2 Les organisations sociales hiérarchiques


L’analyse des groupes sociaux serait incomplète sans une description des diverses
organisations sociales observables dans la société. Celles-ci sont de deux types :
les organisations hiérarchiques, c’est-à-dire dotées d’une structure défnie, de type
pyramidal et bureaucratique, et les organisations non hiérarchiques, dont la struc-
ture est plus souple, changeante et égalitaire.
D’abord, pourquoi s’intéresser à la question de l’organisation des groupes ?
Parce qu’elle constitue un instrument incontournable pour mener à bien des
actions collectives et créer des solidarités. L’organisation répond donc à la néces-
sité pour les groupes de se structurer afn de cerner ce qu’ils doivent accomplir
et les moyens pour y arriver. « Car il n’y a pas de vie en société sans un minimum
d’organisation(s) et d’institutions. » (Laaye, 2009)
Organsaton hérarchqe C’est la raison pour laquelle nous vivons dans une société où l’organisation
Ensemble d’individus regroupés hiérarchique est omniprésente. Que ce soit dans le domaine du travail, de la
au sein d’une structure régulée, politique, de l’éducation ou encore de la recherche, le système hiérarchique
dont le but est de répondre à est pratiquement devenu universel. Cette açon de aire est tellement répandue
des besoins et d’atteindre des que personne ne peut imaginer qu’il puisse en être autrement. L’organisation
objectis grâce à un système
hiérarchique se caractérise par une structure verticale chapeautée par un
de communication et
dirigeant et composée de divers échelons (voir la fgure 5.1). Elle correspond
d’inormation efcace.
à une hiérarchie pyramidale de l’exercice du pouvoir qui se justife par une
recherche d’efcacité autant que par des raisons logiques, organisationnelles
et économiques.

Fgur 5.1 un exemle d’organsaton hérarchqe

Conseil
d’administration

Directeurs

Directeurs adjoints

Contremaîtres

Travailleurs

142 parte ii L’organisation de la vie sociale


Les organisations hiérarchiques peuvent prendre plusieurs ormes, dont la
plus répandue dans les organismes d’État est la bureaucratie.

5.2.1 La typologie des organisations hiérarchiques


Max Weber a été le premier auteur à analyser l’organisation hiérarchique de type
bureaucratique. Témoin de l’émergence de la société industrielle au début du
xxe siècle, Weber (1995) a mis de l’avant une des théories visant à établir un certain
ordre dans les organisations dont le onctionnement était basé jusque-là sur le
avoritisme et la corruption. Selon cet auteur, la bureaucratie répondait au besoin
d’établir un pouvoir incontestable au sein d’une structure hiérarchique unique et
continue qui imposerait un respect réciproque entre les subordonnés et les cadres.
Weber s’intéresse d’abord aux diérents moyens par lesquels les individus
imposent et ont reconnaître leur autorité au sein d’une organisation. De ce point
de vue, la bureaucratie constitue une conception rationnelle de la société et de
l’activité sociale qui doit permettre à une organisation d’atteindre des objectis.
Elle permet, selon lui, l’application de la domination qu’il considère être « la chance
pour des ordres spécifques de trouver obéissance de la part d’un groupe déter-
miné d’individus » (Weber, 1922, p. 285). À ce sujet, Weber distingue trois grandes
ormes de domination susceptibles de s’exercer dans les organisations, soit les
dominations traditionnelle, charismatique et rationnelle-légale (voir le tableau 5.2).

Tableau 5.2 La typologi ds dominations d Max Wbr


Domination traditionnelle Domination charismatique Domination rationnelle-légale
L détntur du • déterminé par héritage ; • déterminé subjectivement ; • déterminé rationnellement ;
pouvoir st… • au-dessus des lois. • au-dessus des lois. • soumis aux lois.
Ls gouvrnés • par habitude ou par désir de • au chef et non aux règles. • à la raison/légalité et
obéissnt… respecter la tradition. aux règles.
Ls règls sont • la tradition. • la subjectivité. • la rationalité.
fondés sur…
exmpls • Système de castes en Inde • Hitler • Démocratie (État de droit)
• Entreprise familiale moderne • Castro • Bureaucratie moderne
• Gandhi

L’organisation sociale traditionnelle


Ce type d’organisation s’appuie sur la tradition, qui légitime l’autorité d’un individu
ou d’un groupe et qui la perpétue dans le temps. Celle-ci se transmet sans égard
aux qualités et à la compétence des ches. Le pouvoir ainsi conéré et transmis de
açon héréditaire apparaît comme sacré, voire divin. Dans une organisation bureau-
cratique, il s’exerce par la domination d’un dirigeant sur ses subordonnés. Par
exemple, il peut être exercé par les aînés dans une tribu ; par un successeur désigné
dans certaines royautés ou en vertu d’un legs dans une entreprise amiliale. La hié-
rarchie repose alors sur une dépendance personnelle des individus et non sur un
critère onctionnel : la compétence, par exemple, pour obtenir un tel pouvoir.

L’organisation sociale charismatique


Ce type d’organisation est centré sur la valeur perçue et sur l’image émanant d’une
personne. La personnalité du che charismatique, ses qualités intrinsèques et ses
valeurs en ont une personne extraordinaire aux yeux de tous. De ce ait, les

chapitr 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 143


personnes qui reconnaissent les capacités hors du commun (surhumaines,
presque surnaturelles) de celui-ci le vénèrent et lui obéissent aveuglément. C’est,
entre autres, le cas de la plupart des dirigeants des sectes que l’on
appelle « maîtres », « gourous », « grands prêtres », etc. Ces personnes exercent un
pouvoir quasi absolu sur leurs fdèles, qui peut conduire à des excès, voire aux
pires atrocités : réclusion, suicides collectis, mutilations, etc. Pour illustrer ce
phénomène, rappelons simplement les cas de Jim Jones et Jonestown, dans les
années 1970, lorsque 914 personnes ont perdu la vie dans un suicide collecti
accompagné d’attentats ; ou celui de Rock Thériault, dit « Moïse », qui a inigé de
graves sévices à ses « disciples ». La même chose s’est produite lorsque Luc Jouret,
ondateur de l’Ordre du Temple solaire, entraîna lui aussi des dizaines de « dis-
Leader charsmatque
ciples » dans la mort. Les organisations de ce type onctionnent par l’émotion,
Dirigeant d’un groupe de
l’amour et l’aection envers celui qui possède la « grâce ». Heureusement, tous les
personnes (ou d’une société)
principalement caractérisé
groupes menés par un leader charismatique ne connaissent pas une destinée
par son pouvoir d’infuencer aussi tragique. Plusieurs sociétés connaissent par ailleurs des personnes modèles
et de convaincre les autres qui exercent un pouvoir légitime et sain pour l’ensemble de la population.
grâce à ses qualités et à Touteois, il n’en demeure pas moins que la domination absolue d’un individu
sa personnalité. s’accompagne d’un risque élevé de dérive.

L’organisation sociale rationnelle-légale


bureaucrate L’organisation sociale rationnelle-légale correspond à la bureaucratie telle que
Type d’organisation visant décrite par Weber et appliquée à des organisations diverses comme la onction
à l’ecacité au moyen d’un publique, les grandes entreprises ou l’Église catholique (voir l’encadré 5.1), et repose
onctionnement impersonnel, sur un ensemble de règles rationnelles reconnues légalement. Au sein de ces orga-
de règles ormelles et écrites, nisations, le détenteur du pouvoir édicte donc des règles ormelles qui se veulent
d’une hiérarchie de onctions justes et équitables autant pour les autres que pour lui-même, règles entraînant la
et de la spécialisation du travail.
subordination absolue des individus, qui, de ce ait, obéissent à des ordres perçus
comme objectis. C’est, selon Weber, la orme d’organisation la plus efcace pour les
structures complexes. Touteois, certains auteurs critiquent l’efcacité de ce modèle.
Les caractéristiques de la bureaucratie Selon Weber, l’efcacité de l’organisation
bureaucratique découle de cinq caractéristiques.
1. La spécialisation du travail. D’abord, la bureaucratie se caractérise par une
division poussée des tâches à accomplir. C’est le royaume des spécialistes :
chaque poste de travail présente une description précise des tâches à accom-
plir. Dans un établissement scolaire, par exemple, on trouve une grande variété
de tâches qui correspondent à des proessions et à des métiers diérents (direc-
teur, enseignants, secrétaires, concierges) auxquels sont assignées des onc-
tions précises, dont la plupart sont spécialisées. Il arrive souvent que la spécia-
lisation du travail soit trop poussée dans une bureaucratie ; les membres
peuvent alors perdre de vue les objectis de l’organisation parce qu’ils accom-
plissent des tâches trop pointues.
2. La hiérarchie des onctions. Les bureaucraties sont des organisations ondées
sur la hiérarchie : chaque sujet est placé sous l’autorité d’un supérieur. Charles
Wright Mills a dit au sujet des bureaucraties que « les ordres descendent et les
inormations montent » (Mills, 1970, p. 102). À ce titre, l’armée constitue l’an-
cêtre des organisations bureaucratiques modernes. L’Église catholique romaine,
avec son système hiérarchique complexe, est un autre modèle très ancien de la
bureaucratie. L’autorité bureaucratique exige des membres un zèle et une
obéissance exemplaires. Il est vrai, comme le remarque Michel Crozier, que les
membres d’une bureaucratie peuvent désobéir et même s’écarter des règles de
l’organisation (Crozier, 1972), mais l’autorité bureaucratique a le pouvoir
de sévir et de sanctionner les écarts de conduite des membres. Dans une bureau-
cratie, chaque personne est soumise au pouvoir d’un supérieur.

144 parte ii L’organisation de la vie sociale


encadré 5.1 ApplicAtion théorique

La fonction publique : un modèle de fonctionnement bureaucratique

Le terme « bureaucratie » est souvent associé à l’administra- des systèmes européen et américain a été infuencé par cette
tion publique et à ses composantes. Malgré la connotation pratique chinoise. La première onction publique européenne a
négative désormais accolée à ce terme, et malgré les imper- d’ailleurs été implantée non pas en Europe, mais en Inde, par
ections avérées de ce type d’organisation, la bureaucratie la Compagnie anglaise des Indes orientales (Morneau, 1994).
constitue, toujours selon Weber, la base des organisations or- Cette açon de aire s’est ensuite répandue à l’Angleterre et aux
melles et l’illustration de l’ecacité du rationalisme occi- États-Unis vers le milieu du xixe siècle. Depuis, la onction
dental. L’histoire même du développement de l’État moderne, publique n’a cessé de se répandre et de croître dans plusieurs
selon Weber (1995), est indissociable de celle de la onction pays comme la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et le
publique, qui a ait émerger des individus de plus en plus spé- Canada. À partir des années 1980 touteois, des tenants du
cialisés, artisans de la création de plusieurs services et orga- néolibéralisme, comme Margaret Thatcher et Ronald Reagan,
nismes utiles au bien commun. ont tenté de ralentir sinon d’inverser cette tendance.
Cependant, la bureaucratie d’État n’est pas uniquement le lot Les critères de sélection des onctionnaires sont de plus en
de l’État moderne ; des traces d’une telle organisation sont plus pointus et les structures, de plus en plus complexes. En
attribuées à la Chine de l’an 200 avant notre ère (Grousset, outre, dans la société industrielle contemporaine à Weber, les
1942). Ainsi, les archives de l’administration chinoise de cette principes structurels au ondement de l’État sont applicables à
époque témoignent de critères de nomination aux emplois d’autres organisations, notamment privées. Au Québec, la
publics comme le mérite. Délaissée pendant quelques siècles, concrétisation et l’expansion de la onction publique découlent
la bureaucratie ressurgit au vie siècle sous la orme d’un service de cette vision positive de la bureaucratie. En 1944, la
public utilisant un système d’examens écrits et de recomman- Province comptait environ 16 198 onctionnaires, contre
dations à des ns de recrutement. Touteois, elle ne s’implante 36 766 en 1960. Touteois, entre 1961 et 1980, le nombre
vraiment qu’au xe siècle, par la puissante bureaucratisation de d’employés réguliers et occasionnels des ministères et des
la dynastie Song. Celle-ci recrutait ses onctionnaires au moyen organismes publics a augmenté en moyenne de 4,2 % par
de concours dont les critères correspondent à ceux établis ulté- année (ENAP, 2012). On est donc passé de 36 900 à 82 400
rieurement par Weber, dans son ouvrage posthume Économie onctionnaires, ce qui démontre la tendance à l’institutionnali-
et société (1921). Au milieu du xviiie siècle, le développement sation de l’État québécois durant ces deux décennies. En
2011, on comptait une vingtaine de ministères et environ
70 organismes d’État (Conseil du Trésor, 2012). Le nombre de
onctionnaires quant à lui, après avoir connu une décroissance
à la n des années 1990, a de nouveau crû depuis les années
2000 pour atteindre 90 823 (Conseil du Trésor, 2012). Depuis
50 ans, la bureaucratie d’État québécoise a donc assuré de
plus en plus de services, dans un cadre de plus en plus hiérar-
chisé de onctions et de regroupements.
Question
Qu’est-ce qui nous permet de dire que la bureaucratie
est un système de onctionnement lié au développement
des sociétés ?

3. Des règles formelles et écrites. Tout le fonctionnement d’une bureaucratie est


consigné par écrit. De nombreuses notes de service et des directives stipulent
ce qui doit être fait et comment cela doit être fait. La réglementation est la règle
d’or. Cette consignation permet aussi aux membres, donc aux employés dans
le cas d’une entreprise, de connaître les standards de performance à atteindre
et donne un sens à la perpétuation de la bureaucratie.
4. Un fonctionnement impersonnel. Max Weber a insisté sur la nécessité du carac-
tère impersonnel des relations dans une organisation bureaucratique. C’est la

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 145


raison pour laquelle les tâches des employés des grandes entreprises sont of-
ciellement fxées par des règlements et des dispositions administratives. Cette
impersonnalité a pour but d’accorder un traitement égal à tous. Le personnel
d’une bureaucratie a le devoir d’appliquer les règlements. Ces règles imperson-
nelles ont en sorte que chacun est traité de la même manière et avorisent des
comportements routiniers et conormistes, comme le notait Robert King
Merton, sociologue américain qui s’est touteois opposé en grande partie à la
vision wébérienne de la bureaucratie : « Tout au long de sa vie ofcielle, le
bureaucrate doit gravir des échelons à travers le mécanisme de la promotion à
l’ancienneté, des pensions, de l’augmentation du salaire, etc., bre tout ce qui
en général sert d’aiguillon à la discipline et au conormisme. » (Merton, 1957,
p. 197) Selon Merton, les relations humaines sont sujettes à une dépersonnali-
sation dans les bureaucraties. Les membres du personnel d’une organisation
bureaucratique ont des comportements plutôt roids et dénués de sentiments,
ce qui, selon Weber, garantit l’équité.
5. La reconnaissance des qualifcations. Le onctionnement de la bureaucratie
doit prendre en compte les compétences reconnues, attestées par un diplôme,
de ceux qui ont à remplir diérentes onctions et la mesure de la perormance
à partir de normes établies. Le avoritisme n’a ainsi aucune place dans la sélec-
tion. D’autre part, l’élévation des individus au sien de la hiérarchie est régie par
des politiques. D’autres procédures protègent aussi les individus contre un
renvoi arbitraire et assurent la sécurité d’emploi dans le cas d’un travail, ce qui
encourage la loyauté à l’organisation. Touteois, l’exigence et l’insistance mises
sur la compétence et la protection des individus ne sont pas une garantie d’ef-
cacité. Comme le mentionne Laurence J. Peter : « Tout employé dans une entre-
prise tend à atteindre son niveau d’incompétence. » (Peter et Hall, 1969) Bien
que cette hypothèse n’ait jamais été vérifée scientifquement, l’octroi d’un
poste axé sur le mérite et l’ancienneté peut entraîner des résultats qui ne
répondent pas au critère d’efcacité recherché.
Un modèle d’efcacité ? Ces cinq caractéristiques défnies par Max Weber il y a
maintenant plus de 80 ans décrivent un type idéal de onctionnement (voir le
chapitre 2). Mais attention, le modèle bureaucratique n’est pas un idéal en tant
que tel sur le plan des valeurs. Il est plutôt l’idéalisation d’une idée, peut-être
imparaite, qui tente de s’incarner à travers une liste de caractéristiques démon-
trant son efcacité. Et cela, même si ces caractéristiques ne convainquent guère
que la bureaucratie est un modèle efcace, comme l’afrme Michel Crozier dans
son ouvrage Le phénomène bureaucratique :

La bureaucratie évoque la lenteur, la lourdeur, la routine, la complication des


procédures, l’inadaptation des organisations « bureaucratiques » aux besoins
qu’elles devraient satisaire et les rustrations qu’éprouvent de ce ait leurs
membres et leurs clients ou leurs assujettis. (Crozier, 1972)

Même si l’usage populaire du terme « bureaucratie » renvoie souvent, lui aussi,


à l’image plutôt terne d’une lourde machine incapable d’être perormante et de
répondre aux objectis qu’elle s’était fxée, il n’en demeure pas moins que l’étude
sociologique de l’organisation bureaucratique nuance cette image. En eet, ce
type d’organisation représente le modèle des organisations sociales modernes
bureaucratsaton en Occident pour ne pas dire dans le reste du monde, et la plupart de ces sociétés
Tendance générale d’une société déendent arouchement l’efcacité d’un tel modèle. La bureaucratisation des
à adopter pour ses institutions sociétés n’est pas une donnée ortuite et marginale, comme le montraient déjà les
le modèle bureaucratique. études de Roberto Michels (1911) au début du xxe siècle sur les partis socialistes

146 parte ii L’organisation de la vie sociale


allemands. Et on l’a vu, Max Weber considérait la bureaucratie comme un modèle
d’efcience :

La précision, note-t-il, la rapidité, la non-ambiguïté, le maniement des docu-


ments, la continuité, la discrétion, l’unité, la subordination stricte, la réduction
des conits, les rais en personnel et en matériel, tout cela est nettement amé-
lioré dans l’administration bureaucratique. (Weber, 1995, p. 50)

À son époque, Weber avait ainsi constaté que les entreprises capitalistes
n’étaient plus des entreprises amiliales et qu’elles recrutaient leur personnel
selon des critères bureaucratiques, c’est-à-dire par des concours de sélection,
par la reconnaissance de diplômes ou de certifcats de compétence, etc.
Touteois, la sociologie contemporaine ne partage plus entièrement cette
conception de Weber sur l’efcacité de la bureaucratie. Plusieurs entreprises
modernes tentent d’ailleurs de réduire les structures bureaucratiques. La pers-
pective wébérienne de l’organisation paraît aujourd’hui quelque peu mécanique,
car elle a tendance à aire de l’individu un rouage de l’organisation. C’est ainsi
que, tout en s’avérant efcace dans une certaine mesure, un tel modèle est jugé
trop rigide par certains auteurs, dont le sociologue rançais Michel Crozier (1963)
ainsi que Blau (1955) et Mintzberg (1982). Selon eux, le onctionnement d’une
organisation doit se transormer en structure horizontale qui se onde sur le par-
tage du pouvoir entre plusieurs dirigeants pour un même niveau de décision. Il
doit aussi tenir compte de l’inuence que peuvent avoir les membres sur l’organi-
sation, de l’interdépendance et de la recherche d’autonomie de ceux-ci. De plus,
il doit permettre de développer l’esprit d’équipe, autoriser des relations moins
hiérarchisées et plus chaleureuses ainsi qu’une simplifcation du processus de
décision. Cela signife passer d’une structure d’organisation centralisée à une
structure décentralisée.
La sociologie contemporaine parle donc de plus en plus, comme Crozier et
Friedberg (1977) l’ont d’abord ait, « d’acteur dans le système » pour désigner le
rôle acti de l’individu dans le jeu des organisations. On mettra l’accent sur les
relations dynamiques des acteurs entre eux. En sociologie des organisations, la
notion de « système d’action concret » prétend rendre plus dynamique l’étude des
organisations (Crozier et Friedberg, 1977). Cette notion de système d’action
concret recouvre deux réalités : les relations interpersonnelles dans l’organisa-
tion et le système d’alliances et leurs contraintes.
Les relations interpersonnelles entre les acteurs renvoient à des règles de rela-
tions que se donnent les acteurs pour résoudre les problèmes quotidiens de l’or-
ganisation. Il s’agit bien sûr des règles et des normes inormelles que nous avons
abordées dans le chapitre 3. Certains directeurs peuvent disposer d’un système
de communication inormel et mener des consultations plus ou moins secrètes
dans l’entreprise.
L’organisation est souvent un terrain où règne la stratégie entre les acteurs et
les strates du personnel. Par exemple, tel directeur peut s’allier avec les employés
proessionnels pour obtenir plus de pouvoir, tel autre se voir empêché d’imposer
une règle, sachant qu’il se heurterait à l’opposition d’une alliance entre diverses
catégories d’employés ; telle employée est la conjointe ou la maîtresse de tel
directeur des fnances, qui est lui-même un ennemi juré du directeur de l’inorma-
tique, etc. Les alliances peuvent se aire entre certains cadres et certains
employés, ou entre certains employés, certains groupes de consommateurs, etc.
Le système d’alliances est également inormel. Ainsi, les alliances entre acteurs
peuvent changer le sens du pouvoir ormel des organisations.

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 147


En somme, la perspective de Weber porte sur le onctionnement ormel des
organisations bureaucratiques. Quant à l’approche de Crozier et Friedberg, elle
met davantage l’accent sur le onctionnement inormel de l’organisation.

5.2.2 Les principales organisations


hiérarchiques-bureaucratiques
Après avoir défni l’organisation hiérarchique-bureaucratique et ait état de ses
caractéristiques, regardons maintenant sous quelles ormes se présente celle-ci
dans le concret. Il existe en eet une certaine diversité dans la açon dont peuvent
se défnir les structures des groupes qui ont appel à ce mode de onctionnement.

inttuton totaltare Les institutions totalitaires et les organisations coercitives


Organisation qui vise la
À première vue, la distinction entre les institutions totalitaires et les organisa-
resocialisation radicale de
tions coercitives n’est pas évidente. Si l’on y regarde de plus près, le onction-
l’individu en regard d’une
idéologie véhiculée la plupart nement des institutions totalitaires se onde sur l’exercice d’une pression idéo-
du temps par un leader logique par l’entremise d’un « gourou ». Elles sont totalement ou presque
charismatique. totalement coupées de toute inuence extérieure. L’exemple qui illustre le mieux
cette réalité est celui des sectes, où la domination d’un che est absolue (voir
secte
l’encadré 5.2). C’est l’expérience la plus radicale et la plus intégrante. La secte
Groupe totalitaire qui se sépare
vise à soumettre totalement l’individu, à le resocialiser en vase clos en program-
de la société et s’y oppose
souvent, et qui est soumis à
mant un nouvel ensemble de normes et de valeurs (Goman, 1968 ; Gosselin et
l’obéissance stricte à un leader Monière, 1978). Bien sûr, cette soumission de l’individu au groupe n’est jamais
charismatique et à des lois automatique ni garantie : toutes les sectes ont leurs déserteurs. Cependant,
diverses pour assurer le salut celles-ci utilisent des techniques très efcaces pour contrôler leurs membres et
individuel de ses membres. les maintenir dans la soumission.

encadré 5.2 en coMpléMent

Les sectes : tendances et caractéristiques sociales

En octobre 1994, 53 membres d’une secte religieuse, l’Ordre Le phénomène des sectes soulève de nombreuses questions.
du Temple solaire, ont été retrouvés morts. En mars 1995, des À quel besoin social ces organisations répondent-elles ?
membres de la secte Aoum (Vérité suprême) ont répandu un Quelles idéologies véhiculent-elles ? De quelle manière sont-
gaz mortel dans le métro de Tokyo, intoxiquant un millier de elles organisées ? Ces questions ont motivé la création
personnes. Récemment, au Québec, on a découvert un groupe d’organismes de recherche sur les sectes un peu partout en
d’épanouissement personnel qui onctionnait comme une Occident.
secte à Prévost, dans les Laurentides. Quelques dizaines de
personnes étaient soumises au gourou Jean-Claude Gallant
pour suivre, à grands rais, une thérapie controversée. Un
autre cas est celui de Marcel Pontbriand, appelé « Jésus » par
ses disciples, qui prétendait pratiquer l’exorcisme et être un
guérisseur en plus d’être un homme d’aaires véreux. Il a fni
par disparaître aux États-Unis avec certains de ses disciples.
Ces événements particuliers et parois spectaculaires sus-
citent l’intérêt du public concernant les sectes. D’après cer-
taines estimations, environ 10 millions d’Américains ont
partie d’une secte, et le Québec comptait plus de 1 500 groupes
sectaires en 2004 (TVA Canoë, 2004). Le nombre de
sectes augmente continuellement dans le monde.

148 parte ii L’organisation de la vie sociale


En France, la Commission d’enquête parlementaire sur les uturs adeptes où il aut se rendre pour recruter. »
sectes de 1995 a établi qu’il était difcile de trouver une déf- (Allard, 1999)
nition simple d’une secte ou d’un groupe sectaire étant donné
7. Troubles de l’ordre public, ruit du sentiment de persécu-
leur complexité. Ces organisations présentent touteois au
tion alimenté par le che devenu paranoïaque. Parois, les
moins l’une des 10 caractéristiques suivantes :
sectes troublent l’ordre social : gaz toxiques explosis
1. Déstabilisation ou assujettissement mental. La liberté de dans les lieux publics (Tokyo et Oklahoma City, en 1995),
pensée et la critique ne sont pas tolérées dans les sectes : suicides collectis (Suisse, 1995 ; Santa Fe, Nouveau-
« La mise en doute et le questionnement, dit Allard (1999), Mexique, 1997), anthrax dans le courrier (Washington
sont considérés comme des attaques contre le groupe et le 2001), attentats meurtriers (Londres, juillet 2005),
gourou. » Par contre les sectes exigent la transparence des menaces auprès de la compagnie Israélienne El Al (2003),
membres, par exemple par la voie des conessions (enre- tentative d’intimidation d’une journaliste ayant écrit un
gistrées). Les individus sont dans une situation de soumis- livre sur les Raéliens (Montréal, 2004).
sion extrême par rapport au leader, qui se traduit par un
assujettissement mental. 8. Démêlés judiciaires. Ces démêlés résultent de la posses-
sion d’armes, du détournement ou de l’enlèvement de
2. Exigences fnancières exorbitantes. Les groupes sectaires personnes mineures et de châtiments corporels exercés
découragent l’accumulation individuelle du capital et sur des personnes.
incitent leurs membres à tout donner à la secte. Elles
deviennent ainsi de véritables empires fnanciers. 9. Détournements de circuits économiques. Certains
groupes sectaires ont construit des empires fnanciers
3. Rupture avec le milieu d’origine. Les sectes enclenchent (par exemple, la secte Moon) au moyen de détournements
une rupture de l’adepte avec ses autres groupes d’apparte- de onds, de raudes fscales et d’abris fscaux.
nance (amille, groupe d’amis, etc.). Un nouveau nom lui
sera imposé pour assurer cette rupture. 10. Infltration des pouvoirs publics. Les sectes sont parois
présentes au sein des organismes publics. En France,
4. Atteinte à l’intégrité physique. Les châtiments corporels selon le journaliste Serge Faubert, l’Église de scientologie
(pouvant aller jusqu’à l’amputation) sont parois utilisés par a infltré la plupart des ministères stratégiques (Intérieur,
les sectes pour assujettir leurs membres. Déense et Culture). Au Québec, elles ont infltré les
5. Embrigadement des enants pour assurer leur survie. groupes industriels les plus puissants (l’Ordre du Temple
solaire à Hydro-Québec) (Allard, 1999).
6. Discours antisocial. Les sectes s’opposent à la société, la
présentent comme l’incarnation du mal et se disent persé- Question
cutées par elle. « L’extérieur y est vécu comme le système
Les sectes constituent-elles une menace ou un phénomène
(la amille), un monde d’ignorants qui vivent dans l’illusion,
religieux banal dans les sociétés actuelles ?
d’inrahumains, Satan, […]. Le monde n’est qu’un vivier de

Bien que les sectes soient le cas type illustrant la nature des institutions tota-
litaires, il existe d’autres exemples. Certains régimes politiques passés et pré-
sents peuvent ainsi être considérés comme des institutions totalitaires. Parmi
les régimes totalitaires qu’a connus le xxe siècle, mentionnons l’Union soviétique
jusqu’en 1990, le régime de Pol Pot dans le Cambodge des années 1970 et le Chili
d’Augusto Pinochet, de 1973 à 1990. C’est encore le cas à Cuba, où le régime de
Fidel Castro continue de fonctionner sous la férule d’un seul homme considéré Organisation oeritive
comme une véritable icône, même par ses opposants. Organisation bureaucratique qui,
Les organisations coercitives excluent l’individu de la société et veillent à la le plus souvent, a le pouvoir
réorganisation de leur vie sociale, mais sans leur imposer une coupure totale d’exclure l’individu de la société
et de veiller à réorganiser sa vie
avec le monde extérieur. Elles y parviennent soit par le conditionnement psycho-
sociale soit par le conditionne-
logique à l’obéissance, soit par la contrainte physique sous forme d’épreuves cor-
ment psychologique (obéis-
porelles, ou les deux à la fois. Elles peuvent même avoir comme objectif, dans sance), soit par le conditionne-
certains cas, de faire en sorte qu’ils réintègrent la société. Les centres de déten- ment physique (soumission par
tion, certains établissements psychiatriques ainsi que l’armée constituent des la mise en orme), le plus
organisations coercitives. souvent les deux à la ois.

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 149


Les organisations de ce type obtiennent souvent
la soumission complète de l’individu. Pour ce aire,
elles misent sur la hiérarchie : les décisions sont
habituellement prises par un che autoritaire qui
exige l’obéissance des membres de l’organisation. En
outre, elles ne lésinent pas sur la discipline : les
règles y sont strictes et ormelles, et les sanctions
contre les contrevenants, sévères et sans appel.
Certains orphelinats et certaines écoles étaient, dans
le Québec des années 1950, des organisations coerci-
tives. L’utilisation de la orce physique et brutale
pour obtenir l’obéissance était donc monnaie cou-
rante dans ces institutions : les « camisoles de orce »
Sans lui imposer une coupure totale avec le monde, l’organisation aisaient partie des recours pour neutraliser les indi-
coercitive isole l’individu et veille à la réorganisation de sa vie sociale. vidus récalcitrants (Duour et Garneau, 2002). À ce
titre, les organisations coercitives sont, nous le
disions, moins idéologiques que les institutions totalitaires. Elles entretiennent
une relation de dépendance chez leurs membres : ceux-ci ne prennent pas part aux
décisions de l’organisation, dans laquelle ils se trouvent d’ailleurs par obligation.

Les organisations utilitaires et les associations volontaires


Orgnston utltre Deux autres types d’organisations se retrouvent aussi dans nos sociétés. D’abord,
Organisation bureaucratique les organisations utilitaires, dont les membres espèrent tirer un certain proft.
rassemblant des membres qui L’organisation utilitaire est donc basée sur une relation rationnelle d’échange entre
y participent en vue d’en tirer les membres et l’organisation. En ce sens, elle implique une orme de contrat. Les
un certain proft. L’organisation individus se lient à une organisation de ce type en comparant les coûts (en argent,
utilitaire est toujours liée à une services ou énergie) requis pour y adhérer avec les bénéfces (en argent, paie
relation rationnelle d’échange
ou services) qu’ils en retirent. La orme la plus répandue d’organisation utilitaire est
entre les membres et
l’organisation.
l’entreprise en relation avec ses employés. Les employés signent un contrat de
travail avec un employeur ; ils ournissent leur disponibilité, leurs compétences et
leurs ressources personnelles en échange d’une rémunération, le plus souvent
sous orme de salaire et d’avantages sociaux.
On peut aussi participer à une organisation utilitaire en tant que consommateur
ou usager. L’individu qui ait un voyage outre-mer doit acheter un billet d’une compa-
gnie aérienne : il doit tenir compte d’un grand nombre de acteurs (la qualité du ser-
vice de la compagnie aérienne, le prix du billet, le nombre d’escales, etc.) avant d’ar-
rêter son choix. Une ois la décision prise, l’achat d’un billet devient un contrat entre
un consommateur et une compagnie aérienne. Contrairement à l’association volon-
taire, qui est davantage liée aux activités sociales ou communautaires, l’organisation
utilitaire se développe surtout dans les activités économiques. Elle ne recherche pas
la soumission du membre comme l’organisation coercitive, ni sa participation
comme l’association volontaire ; elle vise plutôt la satisaction économique de ses
membres. Cette organisation a donc tendance à percevoir ses membres comme des
intervenants passis, comme des employés ou des consommateurs. Les entreprises
publiques et privées peuvent être à ce titre des organisations utilitaires.
Les bureaucraties modernes peuvent, rappelons-le, prendre diverses ormes,
comme l’a démontré le sociologue Amitai Etzioni (Etzioni, 1964). Parmi celles-ci,
assocton volontre il y a l’association volontaire. Comme son nom l’indique, l’association volontaire
Groupe social organisé autour compte sur la libre participation de ses membres. Par exemple, les organismes
d’un objecti commun et qui d’entraide, les clubs sociaux, les associations de loisirs et la plupart des coopéra-
compte sur la libre participation tives peuvent être considérés comme des associations volontaires. Le politico-
de ses membres. logue québécois Léon Dion défnit ainsi l’association volontaire :

150 prte ii L’organisation de la vie sociale


L’union ofcielle, durable et sans but lucrati de plusieurs personnes qui se sont
entendues de plein gré pour mettre en commun certaines ressources et pour
poursuivre ensemble de açon régulière et par leurs propres moyens des fns
particulières qui leur sont tangentielles. (Dion, 1971, p. 203)

Cette défnition nous amène à examiner ses principales caractéristiques :


• Une union ofcielle : L’association volontaire est d’abord une union ofcielle.
Elle a souvent une charte dans laquelle sont défnis des objectis précis et des
moyens pour les atteindre. Les droits et les obligations des membres y sont
aussi déterminés clairement. En ce sens, l’association volontaire se distingue
du groupe primaire.
• Une association à but non lucrati : L’association volontaire est aussi un groupe-
ment qui ne cherche pas à enrichir ses membres. Elle se distingue de l’entre-
prise capitaliste, dont le but principal est la recherche du proft maximal. Cette
caractéristique n’exclut pas pour autant les associations volontaires du
domaine économique.
• Une liberté d’association : L’association volontaire est le produit de la volonté
des individus, « elle n’émane pas directement des structures sociales (comme la
amille) ni d’une autorité extérieure aux individus (comme l’État) » (Dion, 1971,
p. 203). À ce titre, l’association volontaire se distingue des organismes gouver-
nementaux et de l’armée, où les individus travaillent de açon plutôt contrai-
gnante, ne serait-ce que pour obtenir un salaire.
• Une propension à la rationalité : L’association volontaire se fxe des objectis
précis. Une organisation de charité mène des activités d’aide aux personnes
dans le besoin et sollicite la participation de bénévoles.
• Des secteurs d’activité variés : Les associations volontaires sont actives dans
divers domaines, notamment les secteurs économique, éducati, culturel et
social (voir le tableau 5.3, page suivante).
• Des tailles variables : Les associations volontaires sont de taille variable. Elles
peuvent compter des milliers de membres (organismes d’envergure nationale)
ou seulement une dizaine (organismes d’envergure locale).
Par leur nombre et par leur implication dans la société, les associations volon-
taires tiennent une place importante dans l’étude sociologique des organisations
en Amérique du Nord.
Depuis le milieu du xxe siècle, les sociétés indus-
trielles avancées ont vu s’accroître considéra-
blement le nombre d’associations volontaires à
but non lucrati et d’organisations non gouver-
nementales (ONG). On parle alors de tiers sec-
teur (États-Unis) ou d’économie sociale
(France). En ce qui concerne l’emploi, ce tiers
secteur regrouperait près de 10 % de la main-
d’œuvre salariée en France en 2008 (Insee,
2011). Plusieurs économistes et sociologues
ont vu dans cette tendance un nouveau mouve-
ment social. Ainsi, selon plusieurs observa-
teurs, dont l’économiste états-unien Jeremy
Rikin (1997), le tiers secteur doit être distingué C’est depuis la Seconde Guerre mondiale, et principalement dans les
pays industrialisés, que l’on assiste au développement de nombreuses
du secteur marchand (privé) et du secteur éta-
organisations non gouvernementales comme OXFAM.
tique (public).

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 151


Tblu 5.3 Les assocatons volontares et les tyes d’actvtés
Secteur Type d’activité Exemples
Économique Récupération, distribution • Société St-Vincent-de-Paul
et mise en commun d’objets • L’Entraide les Ami(e)s de Montréal
• Coopérative d’habitation
Éducatif Promotion de la connaissance • Société d’histoire
dans des domaines précis • Société d’horticulture
Culturel Développement de projets • Club de radio amateur
culturels • Comité de la Fête nationale
• Théâtre amateur
Social Aide aux personnes • Croix-Rouge
• Alcooliques anonymes
• Centre de femmes
• Gamblers anonymes
Charité • Jeunesse au Soleil
• Armée du Salut
• Maison du Père
• Les Petits Frères des Pauvres
Santé • Ambulance St-Jean
• Fédération québécoise Nourri-Source
• Société Alzheimer
• Société canadienne de la sclérose
en plaques

Ce troisième (ou tiers) secteur est une constellation de dénominations et de


caractéristiques variées (indépendant, bénévole, coopérati, mutualiste, asso-
ciati, distributi, social, etc.) dans lequel les liens reposant sur un intérêt éco-
nomique sont remplacés par les liens communautaires. Dans cet univers, le
don de soi se substitue à des rapports marchands artifciellement imposés
(Rikin, 1997). Rikin note, après tant d’autres, le ait que les individus, au sein
des sociétés industrielles avancées, consacrent moins de temps au travail
salarié (donc aux rapports marchands) et ont plus de temps pour l’action
communautaire.

FaiTes Le poinT

5. Qu’est-ce qui caractérise globalement une organisation hiérarchique ?


6. En quoi se distinguent les trois ormes d’organisation sociale défnies
par Max Weber ?
7. Quels sont les avantages et les inconvénients de la orme d’organisa-
tion bureaucratique ?
8. Qu’est-ce qui caractérise une organisation coercitive ?

152 parte ii L’organisation de la vie sociale


Réseau de concepTs Les organisations soiales hiérarhiques

Organisation sociale
traditionnelle

se distinguent selon Organisation sociale


trois types charismatique

Organisation sociale
rationnelle-légale

Organisations Sectes
sociales Institutions par exemple
hiérarchiques totalitaires
Dictatures

Prisons
Organisations par exemple
coercitives
prennent différentes Hôpitaux
formes psychiatriques

Organisations par exemple Relation


utilitaires employeur-employé

Organismes
d’entraide
Associations par exemple
volontaires
Organismes
de charité

5.3 Les organisations sociales non hiérarchiques


ou en réseau
Malgré la orce de la bureaucratisation, les organisations sociales ne se réduisent
pas à des organisations bureaucratiques. Nous sommes loin, dans une certaine
mesure, de l’idéal type tel que le concevait Max Weber. Parallèlement aux organi-
sations sociales structurées ormelles, on a vu se développer des organisations
non bureaucratiques dénuées de balises et de règles ofcielles ou, à tout le moins,
dont les normes ne correspondent pas à celles des organisations hiérarchiques.
Ces organisations, par exemple les groupes cogérés et autogérés, sont structurées Organisation non
de açon peu hiérarchisée et leur onctionnement se veut plus égalitaire que celui hiérarhique
des organisations bureaucratiques. Ensemble d’individus regroupés
au sein d’une organisation dont
Ces organisations non hiérarchiques incluent les organismes d’entraide, les la structure est souple et
groupes de pression à caractère social, certains groupes politiques, les groupes de favorise la participation des
démocratie participative et les réseaux sociaux. Chacune de ces entités regroupe individus au fonctionnement
des individus provenant de milieux culturels, proessionnels ou disciplinaires de celle-ci et aux décisions
variés, et requiert un engagement participati et volontaire. Le onctionnement de qui y sont prises.

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 153


ces mouvements, groupes ou réseaux sociaux est sous la responsabilité d’un
superviseur ou d’un accompagnateur. Les personnes qui en ont partie sont à la
recherche de connaissances et d’apprentissages pour elles-mêmes et pour le
groupe auquel elles appartiennent. C’est l’échange de tout ce qui les lie à leur
intérêt commun qui les pousse à l’action.

5.3.1 La cogestion et l’autogestion


Bien que la bureaucratie soit de loin le mode d’organisation le plus répandu en
Occident, il en existe d’autres. Parmi ceux-ci, la cogestion et l’autogestion, plus
présentes par le passé qu’elles le sont aujourd’hui au Québec. En Europe, toute-
ois, ces modes d’organisation sont toujours assez répandus. C’est ainsi que la
plupart des pays européens ont mis en place un cadre juridique qui déinit
la cogestion comme un mode d’organisation qui suppose la participation des tra-
vailleurs à la gestion des entreprises.

La cogestion
La cogestion a été introduite en France légalement en 1946, puis en 1951 en
Allemagne, d’abord dans les entreprises minières, puis, en 1952, dans l’ensemble
des entreprises privées. On retrouve, depuis cette même année, dans les entre-
prises de plus de 500 salariés, des conseils de surveillance (d’administration) dont
environ le tiers des membres sont des salariés. Depuis 1976, ce mode de gestion
a été imposé à toutes les entreprises de plus de 2 000 salariés (Duval, 2012). Ceux-ci
possèdent 50 % des sièges dans les conseils d’administration tout en laissant une
voix prépondérante à la direction. Ce type de gestion est considéré en Allemagne
comme un pilier de l’économie sociale et de l’économie tout court. Les syndicats
y sont très présents.
cogeston La cogestion consiste donc en une participation directe des employés, en
Mode de gestion d’une parité avec une direction, à la gestion d’une organisation. Les travailleurs peuvent
entreprise qui demande aire valoir leur point de vue quant au onctionnement et aux orientations que
la participation active des doit prendre l’organisation. Bien que ce mode de onctionnement relève le plus
travailleurs à la gestion. Les souvent d’organisations économiques, la cogestion est complémentaire aux
patrons et travailleurs prennent
structures bureaucratiques pour le onctionnement de la société. Ainsi, il n’y a
ensemble les grandes décisions.
pas d’opposition entre les deux, mais une certaine complémentarité. Le mode de
cogestion est donc le reet éloquent d’un onctionnement à l’intérieur duquel la
hiérarchie est à la ois réduite au minimum et dont l’efcacité n’est nullement
altérée par une participation active des membres.

L’autogestion
autogeston En ce sens, la cogestion dière ondamentalement d’une autre orme de gestion
Gestion d’une entreprise par que l’on appelle l’autogestion (Bourdet, 1974 ; Georgi, 2003). Celle-ci suppose, en
les travailleurs. Une entreprise eet, une transormation radicale de l’organisation qu’est l’entreprise et, ultime-
autogérée est dirigée par les ment, de toutes les structures économiques. L’objecti d’une organisation auto-
personnes qui la font fonction- gérée est en ait de confer toute la gestion à ses membres, aux travailleurs, et donc
ner. L’autogestion est donc
de aire disparaître la propriété privée des moyens de production pour en aire
l’appropriation des décisions
par ceux qui auront à exécuter une propriété collective. L’autogestion est un mode d’organisation qui abolit les
et à mettre en œuvre ces barrières entre les dirigés et les dirigeants, qui ait primer le travail sur le capital
mêmes décisions. dans la répartition des revenus et qui mise sur la capacité des individus à s’orga-
niser collectivement. Le principe de base de l’autogestion est la recherche de
consensus. L’esprit qui doit animer les membres est l’échange des points de vue,
le partage de l’inormation et le désir d’en arriver à des décisions acceptables pour
tous en regard de critères qu’ils ont eux-mêmes établis pour y arriver.

154 prte ii L’organisation de la vie sociale


La seule expérience d’autogestion au Québec est l’aventure de Tricofl dans les
années 1970. L’histoire a commencé en 1974, par la ermeture d’une des plus
grandes usines textiles au Québec, la Regent Knitting Mills de Saint-Jérôme, et la
réouverture de celle-ci sur de nouvelles bases. Les travailleurs, le clergé, le public
ainsi que le mouvement syndical et coopérati ont alors contribué à son achat
par l’acquisition de capital-actions afn d’en aire une organisation cogérée, puis
autogérée. Touteois, l’entreprise a dû ermer ses portes en 1982 en raison d’un
malheureux concours de circonstances. D’abord, les banques et les caisses popu-
laires ont reusé de fnancer le projet pendant près de deux ans, puis, lorsqu’elles
ont enfn accepté, les sommes consenties étaient insufsantes. De plus, les
grandes chaînes de magasins qui contrôlaient la distribution des vêtements ont
boycotté les produits de Tricofl. Enfn, le gouvernement s’est montré plutôt ri-
leux à l’égard du projet, allant même jusqu’à le discréditer aux yeux des politi-
ciens. En somme, dans un contexte aussi déavorable, la ermeture de Tricofl
était devenue inévitable (Boucher et Martelm, 1982).

5.3.2 Les mouvements sociaux


Le thème de l’organisation sociale non hiérarchique évoque naturellement celui Mouvement soial
des mouvements sociaux. Comment défnir les mouvements sociaux qui, bien Ensemble organisé de groupes,
souvent, apparaissent comme une réalité mouvante au fl des transormations des de personnes et d’institutions
enjeux ? Distinguons d’abord les mouvements sociaux déensis (dont la lutte n’ap- qui vise la promotion de
porte pas de changement social, mais la conservation des acquis) des mouvements certaines causes sociales
oensis (dont l’action débouche sur des changements sociaux importants). Et (l’égalité, la démocratie, les
droits civiques, etc.) et propose
bien qu’il aille les diérencier, ces mouvements sont susceptibles d’éveiller des
des stratégies à court et à long
réactions négatives et de la suspicion, parce qu’ils sont associés à des revendica- terme dans le but de provoquer
tions et à des ormes de contestation. un changement social.

L’évolution des mouvements sociaux


Jusque dans les années 1990, les mouvements sociaux se composaient, et parti-
culièrement dans les pays occidentaux, de groupes organisés et structurés. Ils
considéraient, en eet, ne pas avoir le choix de se donner une structure bien
défnie afn de mieux s’opposer à des organisations hiérarchiques-bureaucratiques.
Ainsi, le mouvement syndical (FTQ, CSN, CSQ, par exemple) et le mouvement
éministe (Fédération des emmes du Québec) ont illustré pendant longtemps ce
type de mouvement social, qui canalise les revendications sociales tout en
véhiculant un discours visant à susciter l’adhésion d’une large part de la popu-
lation. Mais les mouvements sociaux ne se limitent plus à ces types d’organi-
sations. Il existe maintenant un oisonnement de mou-
vements sociaux, dont le mode de onctionnement se
transorme dans la oulée de l’évolution des mouve-
ments mondiaux comme le mouvement altermondia-
liste. Ce mouvement, dont la culture est basée sur la
liberté d’expression, prend orme à partir de personnes
d’horizons variés et, de ce ait, d’opinions diverses. Ses
racines se sont déployées dans les pays d’Amérique du
Sud dès les années 1980, puis dans les pays occidentaux
au cours des années 1990, jusqu’en Arique dans les
années 2000.
Un autre mouvement de ce type, à la ois éclaté et soli-
daire, est celui des « Indignés », un mouvement inédit d’indi-
Apparu en Espagne en 2011, le mouvement des Indignés s’est
vidus liés par les réseaux sociaux (Internet) qui s’est étendu
ensuite largement répandu dans le reste des pays industrialisés.
dans plusieurs pays et villes du monde. Ce mouvement

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 155


n’avait rien de hiérarchique et n’était lié à aucun parti politique, syndicat ou orga-
nisation ofcielle. Au Québec, au printemps 2012, le même genre de mouvement
spontané, sans structure ni balises prédéfnies, est né du conit étudiant. Des
maniestations monstres de gens issus de plusieurs milieux sociaux, politiques,
économiques et juridiques se sont déroulées, essentiellement dans le centre-ville
de Montréal, où les gens ont exprimé leur ras-le-bol vis-à-vis de certaines situa-
tions sociales et de politiques gouvernementales. Voilà des exemples éloquents
de ce que sont en train de devenir les mouvements sociaux.
Bien sûr, les mouvements sociaux plus traditionnels demeurent. Dans l’état
actuel des choses, certains doivent se donner ou conserver une certaine orme
hiérarchique pour transiger, entre autres, avec l’État bureaucratique, tout en
conservant un onctionnement basé sur la volonté des membres et sur l’égalité
entre ceux-ci, soit l’essence même d’un mouvement social.

L’analyse sociologique des mouvements sociaux


Face à cette diversité, l’analyse sociologique des mouvements sociaux doit élargir
ses horizons quant à la açon de considérer et d’analyser les structures et les
actions des mouvements sociaux. Pour ce aire, certains auteurs (Buechler, 1999 ;
Dubet, 2004) vont aire appel, au moins en partie, aux défnitions des mouvements
sociaux issues des approches sociologiques traditionnelles.
Ainsi, selon l’approche onctionnaliste, les mouvements sociaux doivent être
structurés et défnis en réérence à un ordre social précis, donc traditionnel,
comme c’est le cas des syndicats et des organismes éministes. Issus d’un dys-
onctionnement de la société, les mouvements sociaux constituent des tentatives
de régler des problèmes par des moyens hors de l’ordre établi, ce qui, pour les
onctionnalistes, est inadmissible. Leurs actions non institutionnelles sont ainsi
perçues par certains comme déviantes, menant à l’anarchie, au chaos et à une
orme de régression sociale (Smelser, 1962). En ce sens, les mouvements sociaux
projettent d’eux-mêmes une image nettement déavorable. En ait, l’approche
onctionnaliste ne conçoit pas que les individus puissent s’organiser en mouve-
ments (Smelser, 1962). En somme, elle essaie de nier l’existence des mouvements
sociaux, même s’ils ont inévitablement partie du onctionnement de la société.
Mais les mouvements sociaux sont aussi en transormation et regroupent à la ois
des gens éduqués, nantis, ou encore simplement avertis et conscients de cer-
taines réalités au sein de groupes hétérogènes qui ne sont composés ni de
déviants, ni de casseurs, ni de marginaux. En adhérant à ces nouveaux mouve-
ments sociaux, les citoyens cherchent à construire une action politique au sein
de la société par laquelle puissent être exprimées toutes les demandes qui ne
sont pas nécessairement canalisées dans le système de l’État-providence. C’est
aussi une manière d’élargir l’action concernant des causes qui se veulent com-
munes dans le cadre de la mondialisation (Oe, 1985).
Selon l’approche du conit social, les mouvements sociaux ont toujours été
réduits aux mouvements de travailleurs dans le cadre de revendications les oppo-
sant à la structure économique et dans une dynamique de luttes de classes. Cette
approche laisse donc peu de place à la possibilité de considérer l’arrivée de nou-
veaux mouvements sociaux qui viennent bouleverser l’ordre établi des remises en
question dans la société. Cette approche n’est donc pas d’un grand secours dans
l’analyse de ces nouveaux mouvements puisqu’elle se limite aux rapports écono-
miques de production et aux rapports idéologiques et politiques de reproduction
(Althusser, 1976). Ce paradigme doit être remis en question puisqu’il aut consi-
dérer que les individus, tout en appartenant à une classe sociale, peuvent être liés
à des personnes d’autres milieux en dehors de la nébuleuse du travail et militer
pour des causes essentielles. C’est ce que soutiennent certains sociologues,

156 parte ii L’organisation de la vie sociale


comme Maheu (1978) et Oe (1985) qui remettent en question l’orthodoxie de
cette approche vis-à-vis des mouvements sociaux. Le discours sociologique est
donc conronté à de nouvelles ormes de mobilisation qui apparaissent principale-
ment par l’entremise des réseaux sociaux.

5.3.3 Les réseaux sociaux


D’entrée de jeu, soulignons qu’il ne aut pas conondre la notion de « groupe social », réseau soial
que nous avons défnie précédemment, et celle de « réseau social ». Un groupe Ensemble informel d’individus
social correspond à un ensemble d’individus ayant des caractéristiques communes ou de groupes qui interagissent
et des intérêts communs. Il est de ce ait restricti par rapport à un ensemble. Le et partagent des ressources
réseau social désigne pour sa part l’ensemble des relations qu’une personne entre- avec d’autres individus ou
tient dans une situation donnée. Un tel réseau peut se créer sur la base d’une groupes dans le cadre d’une
situation donnée.
appartenance sociale commune (un quartier, une région, des liens de parenté ou
proessionnels, etc.). L’analyse des réseaux sociaux s’intéresse donc tout d’abord
à la multitude d’interactions physiques ou virtuelles des individus et non à la simi-
litude des caractéristiques qui peuvent les lier.
Les réseaux sociaux ont toujours existé, même si
l’utilisation du concept a été introduite en sciences
sociales seulement dans les années 1950 (Barnes, 1954).
Les sociologues et les anthropologues ont en eet
constaté que de tout temps, dans toutes les sociétés, les
individus ont appartenu et appartiennent à diérents
réseaux sociaux. Ainsi, le premier réseau social auquel
appartient l’individu est le réseau de parenté. Dans sa
orme la plus simple, celui-ci est ormé d’un père, d’une
mère et d’un enant. On sait cependant qu’un réseau de
parenté est beaucoup plus complexe si on y inclut les
rères et sœurs, les grands-parents et leurs rères et
sœurs, les oncles, les tantes, les cousins et cousines, les La famille est le premier réseau social dans lequel nous évoluons.
beaux-parents, les conjoints des parents, etc. Les pre-
miers anthropologues qui se sont intéressés aux sociétés amérindiennes ont
étudié le réseau de parenté de ces sociétés. Ils ont pu découvrir des structures
parois ort complexes et bien diérentes de celles qu’ils connaissaient.
Il est notable que dans le langage de tous les jours, nous entendons souvent
parler de réseaux sociaux et que, d’autre part, consciemment ou non, nous bai-
gnons tous dans un réseau quelconque. Les réseaux sont, en eet, présents par-
tout : sur le plan individuel, lorsqu’on rencontre des enseignants, un pharmacien,
les membres de notre amille, nos amis, et sur le plan global, lorsqu’on analyse les
activités de diérents groupes qui interagissent entre eux pour assurer notre
bien-être (les producteurs et les commerçants) ou pour remettre en question le
onctionnement de la société (les syndicats, les mouvements écologistes, les
mouvements nationalistes).
Si le terme « réseau social » est ancien, il tend maintenant à prendre un sens
nouveau suite à la révolution des interactions par le développement de l’inorma-
tique et des moyens modernes de télécommunication. Le réseau social associé
au réseau Internet se caractérise ainsi par son étendue, son champ d’action
potentiellement infni et son anonymat.

L’organisation en réseau
Dans le langage courant, le terme « réseau » ait souvent réérence à une vision
technique des choses : un réseau d’aqueduc, un réseau d’électricité, un réseau
téléphonique, un réseau de télévision ; ou encore à une organisation illicite, comme

chapite 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 157


un réseau de prostitution ou un réseau criminel (la mafa). Que l’on parle d’objets
ou de personnes, la notion de réseau est liée à celle d’interconnexion qui permet
de aire circuler des éléments « matériels » ou « immatériels » entre des entités selon
des règles défnies. En sciences sociales, le concept de « réseau » a été employé
pour désigner des structures peu hiérarchisées, non limitées par des rontières
établies. Dans ce cas, la notion de réseau ait réérence à un échange d’inorma-
tions entre des personnes dans un contexte social défni, c’est-à-dire un ensemble
de relations interindividuelles ou interorganisationnelles visant la satisaction de
besoins quotidiens, par exemple des relations de collaboration, d’amitié ou
d’entraide. Le terme peut également désigner l’ensemble des personnes qui tradi-
tionnellement ont partie d’un regroupement d’individus œuvrant dans une orga-
nisation ayant une fnalité unique, par exemple le réseau d’enseignement public
ou privé. Touteois, l’apparition de ormes inédites d’action collective a donné
naissance à une nouvelle interprétation de cette notion. Ainsi, le réseau regroupe
maintenant des individus de diverses origines autour d’enjeux précis, qu’ils soient
économiques, comme la répartition des richesses, politiques, comme l’avenir d’une
nation, ou sociaux, comme l’itinérance ou l’isolement des personnes âgés. La pra-
tique de l’action collective à l’intérieur d’un réseau signife désormais bien plus
qu’une relation accessoire entre des personnes pour la satisaction de besoins de
la vie de tous les jours. Il s’agit d’une convergence de celle-ci en onction d’enjeux
communs et d’une augmentation de l’intensité et de la diversité participative.

Les caractéristiques générales du réseau social


Le réseau est d’abord un système ouvert, ce qui signife que ses rontières ne sont
pas fxes et qu’elles sont difciles à cerner. Par exemple, le réseau d’amis d’une
personne uctue au fl des nouvelles rencontres. De plus, dans un réseau, il y a des
entrées et des sorties continuelles ; une naissance ou une alliance, par exemple,
modife le réseau de parenté existant. Le réseau est donc ouvert, ce qui le distingue
d’un groupe d’intérêts ou d’une secte, dont l’adhésion, et parois même la déec-
tion, est contrôlée.
De plus, le réseau est généralement basé sur des relations inormelles, ce en
quoi il se distingue des organisations. Un réseau d’amis ou de voisins, par
exemple, ne défnit pas de rôles ou de tâches. En ce sens, l’appartenance à un
réseau a souvent un caractère non ofciel et passe parois inaperçue.
Par ailleurs, le réseau a tendance à être égalitaire, c’est-à-dire non hiérarchisé,
malgré certaines exceptions. En ce sens, il se distingue de structures hiérarchi-
sées comme la secte, où règne la domination charismatique, et l’organisation,
chapeautée par une domination rationnelle-légale.
Le réseau est également uide, c’est-à-dire que l’inormation, les personnes ou la
matière y circulent librement, ce qui n’est pas le cas de la bureaucratie ou de la secte.
Enfn, la grande orce du réseau, celle qui le distingue de toutes les autres
ormes d’organisation sociale, c’est le partage des ressources comme l’inorma-
tion, les services ou du matériel. Un réseau de soutien partage les services d’aide
et un réseau de chercheurs partage l’inormation pertinente, par exemple.

Les propriétés du réseau social


Dans un réseau, les relations entre les personnes prennent diverses ormes. Le
plus souvent, les relations sont cordiales, amicales : ce sont des liens positis, mais
certains liens sont négatis lorsqu’ils sont dominés par la méfance, l’indiérence,
voire le mépris. Dans un réseau d’amis, par exemple, l’ami de votre ami peut être
votre ennemi ; il n’en ait pas moins partie de votre réseau.

158 parte ii L’organisation de la vie sociale


L’analyse des réseaux doit aussi tenir compte de la proximité ou de la orce des
liens entre les individus. Les liens orts sont des liens positis qui sont réquents ;
nous les entretenons avec nos proches, nos amis, nos parents ou nos voisins.
Inversement, les liens aibles sont, par exemple, ceux que nous entretenons avec
des connaissances lointaines. Ces liens sont souvent indirects : on connaît
quelqu’un qui connaît quelqu’un...
Cette distinction a mis en lumière le paradoxe des liens aibles. Ainsi, dans un
réseau, les liens aibles sont souvent plus utiles et plus efcaces que les liens
orts, notamment en contexte de recherche d’emploi. L’étude de Granovetter dans
la région de Boston montre à cet eet qu’une seule personne sur six a obtenu un
emploi grâce à un lien ort, alors que les autres avaient trouvé un emploi grâce à
un lien aible (Granovetter, 1982).
En outre, l’étude des liens aibles au sein des réseaux ait souvent réérence
aux « tests montrant que le monde est petit » de Stanley Milgram (1967) et à sa
théorie « des six degrés de séparation ». Par exemple, explique Lemieux (2000), à
des fns de recherche, des personnes cibles et des personnes de départ ont été
choisies au hasard dans une collectivité. Les personnes de départ devaient aire
parvenir un dossier aux personnes cibles par l’intermédiaire de « connaissances »,
c’est-à-dire d’individus qu’elles connaissaient personnellement et dont elles pen-
saient qu’ils avaient de bonnes chances de aciliter l’atteinte de la cible. De açon
étonnante, le chercheur a calculé que, pour l’ensemble des États-Unis, le nombre
d’intermédiaires requis pour atteindre la cible était de six environ. Cela confrme
que le « monde est petit » (Lemieux, 2000).
Le ait qu’un réseau comporte toutes sortes de relations, y compris des rela-
tions négatives, entraîne nécessairement des blocages relationnels ainsi que la
ormation de sous-groupes ou de pôles. La recherche en psychologie sociale,
notamment grâce à l’utilisation de sociogrammes, a permis de relever diérents
types de réseaux à l’intérieur desquels les individus interagissent de plusieurs
açons (Moreno, 1934). Deux exemples choisis permettent d’illustrer une partie
de cette diversité.
D’abord, le réseau intégral ne contient ni pôles ni sous-groupes. Comme le
montre la fgure 5.2, tous les membres d’un réseau de ce type peuvent communi-
quer entre eux. Le réseau segmenté, pour sa part, comprend des sous-groupes ;
c’est-à-dire que tous les individus ne communiquent pas directement entre eux.
Ils ont plutôt recours à un intermédiaire central (voir la fgure 5.3, page suivante).

Figure 5.2 Le réseau intégral

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 159


Figure 5.3 Le réseau segmenté

Ces deux exemples mettent en lumière certaines propriétés particulières aux


réseaux. D’abord, le lien de connexion peut être direct ou indirect. Dans le réseau
intégral, la notion de groupe et de réseau se conondent puisque tous les indi-
vidus interagissent directement. De ce ait, il s’agit plus d’un groupe primaire que
d’un véritable réseau. La structure du réseau segmenté est plus classique, car
toutes les connexions n’y sont pas directes, ce qui est le propre d’un réseau.
La seconde propriété a trait à la densité : dans le premier cas, celle-ci est très
orte, car toutes les personnes se connaissent. Dans le deuxième cas, la densité
est plus aible, puisqu’il n’y a que deux relations sur les trois possibles.
L’interconnexion constitue la troisième propriété des réseaux. Ceux-ci peuvent,
en eet, communiquer entre eux par des intermédiaires appelés des « ponts » (P)
(voir la fgure 5.4), de telle sorte que le nombre de personnes requises pour en
atteindre une autre est infniment petit. L’interconnexion des réseaux peut mener
à la création de coalitions, de regroupements, à des mouvements sociaux ou à la
mobilisation pour une cause donnée. Par exemple, des groupes environnemen-
taux, des groupes d’artistes et des syndicats peuvent se retrouver, en réseau, à
militer pour une même cause.

Figure 5.4 L’nterconnexon des réseaux

160 parte ii L’organisation de la vie sociale


Les fonctions du réseau social
La première onction du réseau social est une onction d’aide et de soutien. Par
exemple, le réseau social des parents est un acteur important de la qualité de la
vie des enants. Plusieurs enquêtes sociologiques ont démontré que la parenté
joue encore un rôle important de soutien matériel dans la société contemporaine.
La sociologue Renée Brien-Dandurand rend compte de cette réalité :

Dans la vie quotidienne, le soutien de la parenté est surtout matériel et s’ex-


prime le plus souvent sous orme de dépannage ou de coup de main occa-
sionnel : garde d’un enant, prêt d’argent, don de vêtements d’enant, aide au
déménagement. […] Quand des événements exceptionnels surviennent dans
la vie d’une amille (naissance, rupture conjugale, accident ou maladie grave),
les contacts se ont plus réquents et les soutiens, plus généreux. (Brien-
Dandurand, 1998, p. 63-73)

La deuxième onction du réseau est de aciliter la circulation de l’inormation.


Les réseaux proessionnels sont ortement orientés vers cette onction, comme le
démontre la multiplicité des orums de discussion, des blogues et des congrès
proessionnels, par exemple. Lemieux nous rappelle que les liens aibles sont
plus efcaces pour aire circuler l’inormation parce qu’ils agissent comme des
ponts entre les sous-groupes (2000). Dans ce cas, la ressource partagée est
essentiellement de l’inormation.
La troisième onction du réseau est celle du « capital social », concept défni par
le sociologue rançais Pierre Bourdieu (voir le chapitre 4). Selon cet auteur, le
capital social est constitué des relations sociales qui mènent à d’autres res-
sources. L’exemple de la recherche d’un emploi permet d’illustrer cette notion de
capital social, constitué du réseau personnel auquel l’individu ait appel afn
de trouver un emploi (Chauvac, 2011). Le capital social est essentiellement
constitué des ressources humaines.
Enfn, une quatrième onction du réseau est de avoriser la mobilisation socio-
politique. Ainsi, les mouvements sociaux contestataires utilisent les réseaux
sociaux pour inuencer les décisions politiques. À ce sujet, Peter Gerlach a été
l’un des premiers sociologues à étudier l’organisation des groupes contesta-
taires (Gerlach, 1971). Il a étudié aux États-Unis les coalitions pacifstes des
années 1960 qui s’opposaient à la guerre du Vietnam. Ce mouvement était
constitué d’organismes indépendants très variés, mais qui pouvaient s’organiser
en réseau autour d’une même cause afn que les gouvernements mettent fn à la
guerre. Plus récemment, certains événements ont démontré de açon éloquente
le poids des réseaux sociaux virtuels pour ce genre de mobilisation : par exemple, le
printemps « arabe » en Tunisie et en Égypte, la mobilisation d’Espagnols sur les
places des villes ainsi que celle des Italiens visant la participation aux rééren-
dums populaires, et le printemps « érable » au Québec. Le temps de l’action poli-
tique est bouleversé par l’instantanéité de ces événements, qui provoque un
eet de masse immédiat.

Les nouveaux réseaux sociaux et Internet


Il est bon de rappeler que les réseaux sociaux ont toujours été présents et sont
une caractéristique ondamentale de la vie des individus en société. Cependant,
Internet leur a permis de prendre aujourd’hui une ampleur sans précédent. Dès
lors, les réseaux ne se limitent plus à quelques personnes ; les individus peuvent
entrer en relation avec des millions de personnes en quelques secondes. Par ail-
leurs, Internet a multiplié la puissance des réseaux sociaux. Parmi les plus connus

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 161


Réseau de concepTs Les organsatons socales non hérarchques

Cogestion
2 modes de gestion

Autogestion

Mouvement
syndical
Organisés et par
structurés exemple
Mouvement
féministe
Mouvement peuvent
Organisations sociaux être
sociales non Mouvement
hiérarchiques des Indignés
par
Non structurés
exemple
Mouvement
altermondialiste

Réels par exemple Famille


2 types
peuvent
être
Virtuels par exemple Facebook, Twitter

Intégral

Réseaux 3 propriétés Segmenté


sociaux

Interconnecté

Apporter de l’aide
et du soutien

Faciliter la circulation
de l’information
ont pour fonction
Servir de capital
social

Favoriser la
mobilisation
sociopolitique

162 parte ii L’organisation de la vie sociale


et populaires des outils de réseautage virtuel, mentionnons Facebook et Twitter.
Selon une enquête menée par le CÉFRIO en 2010, 4,5 millions de Québécois sont
des internautes réguliers, 76 % des hommes et 73 % des emmes le sont. Les jeunes
sont évidemment les plus représentés sur ce type de réseau (voir le tableau 5.4).
Pourquoi les gens, et particulièrement les jeunes, réquentent-ils ces réseaux ?
La réponse nous est en partie donnée dans le tableau 5.5 : principalement pour
socialiser avec des amis anciens et actuels. Notons que les motivations liées à la
rencontre de nouvelles personnes et au partage de sa vie personnelle sont peu
signifcatis.
Ces réseaux soulèvent touteois certaines questions quant à leur utilité et aux
bienaits et dangers qu’ils entraînent.
Une nouvelle manière de concevoir le lien social ? Les quelques données présentées
dans le tableau 5.5 montrent que l’enthousiasme vis-à-vis des possibilités qu’ore
cette technologie est bien ancré (CEFRIO, 2011). Ajoutons à cela qu’Internet

Tableau 5.4 Le profl des utilisateurs de réseaux soiaux en 2010


Âge Fréquentation d’un réseau social Participation à un réseau social
18-24 ans 84 % 84 %
25-34 ans 68 % 68 %
35-44 ans 52 % 49 %
45-54 ans 42 % 39 %
55-64 ans 31 % 27 %
65 ans et plus 20 % 11 %
Source : Adapté de L’explosion des médias sociaux, Enquête NETendances 2010 (Léger Marketing), CEFRIO 2,
p. 9, [En ligne], www.cerio.qc.ca/fleadmin/documents/Publication/NETendances-Vol1-1.pd (page
consultée le 31 janvier 2013).

Tableau 5.5 Les prinipales motivations des utilisateurs des réseaux soiaux
Principales motivations Première mention Mentions totales
Socialiser avec ses amis 37 % 8%
Rétablir ou garder le contact avec d’anciens amis 25 % 50 %
Se divertir 14 % 23 %
Rechercher et partager de l’inormation 8% 17 %
Afcher des photos et diuser des vidéos 3% 13 %
Échanger à des fns proessionnelles 4% 10 %
Partager ses centres d’intérêt et ses passions 3% 10 %
Rencontrer de nouvelles personnes 4% 9%
Source : L’explosion des médias sociaux, Enquête NETendances 2010 (Léger marketing), CEFRIO 2, p.8,
[En ligne], www.cerio.qc.ca/fleadmin/documents/Publication/NETendances-Vol1-1.pd (page consultée
le 31 janvier 2013).

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 163


inuence sensiblement les relations interpersonnelles, par exemple entre les
parents et les adolescents. C’est ce qu’une recherche menée pour le compte de la
Direction de la Santé Publique de Montréal par deux chercheurs de l’Université
Laval de Québec (Berge et Garcia, 2009) a tenté de démontrer concernant juste-
ment le rôle d’Internet dans l’univers de la amille. Sur le plan social, Internet
détermine aussi en partie l’apprentissage de certaines réalités, comme le ait
d’échanger avec des personnes d’autres cultures ou de converser, parois de
manière risquée, avec des inconnus (Réseau Éducation-Médias, 2005). Désormais,
cet outil ait partie des activités de socialisation, de divertissement et d’inorma-
tion des jeunes.
Les réseaux sociaux sur Internet peuvent être considérés comme des outils
permettant d’améliorer sa propre visibilité et d’établir des relations susceptibles
de contribuer à notre réalisation personnelle. Ils constituent en eet une source
quasi infnie d’inormations et de ressources à l’échelle mondiale.
En outre, les réseaux virtuels peuvent constituer un lieu de débats et per-
mettre, par l’entremise de plateormes numériques, d’émettre et d’échanger des
points de vue. Internet contribue également à élargir l’accès citoyen à de l’inor-
mation administrative, aux données publiques et aux programmes politiques des
partis. Le lien entre l’État et les citoyens s’en trouve ainsi consolidé, permettant
aux élus de mieux connaître les attentes et les réactions de leurs électeurs. Enfn,
ces technologies peuvent aciliter des actions collectives en permettant à des
individus isolés, qui partagent les mêmes idées, de communiquer entre eux et de
se mobiliser (Direction de l’inormation légale et administrative [DILA], 2006).
Il est intéressant de noter que dans les années 1990, les enquêtes menées
auprès des utilisateurs d’ordinateurs révélaient une appréhension de l’isole-
ment alors que de nos jours, au contraire, les recherches scientifques portant
sur les eets des nouvelles technologies insistent sur leur potentiel d’amélio-
ration de la cohésion des groupes humains (Casilli, 2010). Il ne audrait pas
croire pour autant qu’Internet permet de créer des liens étroits avec une quan-
tité infnie de personnes dans le monde, car plus le réseau s’agrandit, plus le
lien s’aaiblit (Burt, 1992 ; Granovetter, 1982 ; Leebvre, 2008). En contrepartie,
les liens aibles ont l’avantage de permettre
l’accès à des environnements nouveaux, à une
inormation diérente qui serait inaccessible si
l’on ne devait compter que sur nos proches. Les
liens orts, qui se caractérisent par la confance
et la stabilité, n’ouvrent pas à la nouveauté.
L’anthropologue anglais Robin Dunbar, par sa
Théorie du 150 (1993), afrme que l’être humain
n’a la capacité de maintenir des relations soute-
nues et de qualité qu’avec un maximum de
150 personnes à la ois. Au-delà de ce seuil, le
lien social se dissout et la coopération s’aaiblit,
de même que la pression sociale. Bien qu’une
multitude d’« amis » Facebook et Twitter puisse
donner l’illusion à un individu d’entretenir des
centaines de relations, environ le quart de ces
contacts correspondent à des parents ou des
amis proches (Boase et Wellman, 2005).

164 parte ii L’organisation de la vie sociale


Quelques mises en garde Certains auteurs ont ait état du ait que les réseaux vir-
tuels risquaient de nuire à la vitalité des contacts directs et que l’ouverture exces-
sive de tels réseaux comportait son lot de dangers, en particulier pour les mineurs
(Breton, 2000 ; Ehrenberg, 1995). Touteois, certaines études indiquent que les
jeunes de 8 et 17 ans sont conscients des risques liés à l’utilisation d’Internet et,
de ce ait, sont sensibles à l’enjeu de la cyberintimidation. Ainsi, 87 % des jeunes
répondants afrment avoir été témoins d’actes d’intimidation à l’école, 65 % disent
avoir été victimes d’intimidation en ligne et 44 % admettent avoir intimidé quelqu’un
en ligne au moins une ois (Jeunesse J’écoute, 2011). Ils seraient également
conrontés à la cyberprédation comme le démontre un rapport de la Centrale
canadienne de signalement des cas d’exploitation sexuelle d’enants (Cyberaide.
ca, Rapport 2012) qui a reçu plus de 10 101 signalements d’enants victimes d’inter-
nautes prédateurs sexuels pour l’année 2011-2012. Enfn, les jeunes seraient éga-
lement sensibilisés au risque de la cyberdépendance, bien que seulement 6 à 15 %
des internautes se disent cyberdépendants (Institut universitaire sur les dépen-
dances, 2008).
En somme, il est trop tôt pour savoir avec certitude si les avantages d’Internet
et des réseaux virtuels surpassent leurs inconvénients, si ces nouveaux outils
nous rapprochent ou nous isolent dans un individualisme accru. Touteois, est-il
vraiment possible de mesurer le sentiment d’appartenance à une collectivité par
la présence plus ou moins importante d’un moyen technique ? Le Web, au sens
large, peut-il vraiment remplacer totalement les relations tissées dans la amille, le
voisinage, le lieu de travail et la communauté locale ? Ces outils assouviront-ils
le besoin de proximité, d’estime de soi, d’acceptation par les autres et de réalisa-
tion personnelle au même titre que les liens orts ? Voilà des questions sur les-
quelles les sociologues ont et auront encore l’occasion de se pencher dans les
années à venir.

FaiTes Le poinT

9. Défnissez la structure non hiérarchique.


10. Qu’est-ce qui distingue les nouveaux réseaux sociaux des réseaux
sociaux traditionnels ?
11. Quelles sont les caractéristiques de la structure en réseau ?
12. Quelles sont les quatre grandes onctions du réseau social ?

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 165


Résumé
1. L’être humain est un être social. Il ait partie 4. Les organisations sociales hiérarchiques sont le
d’une multitude de groupes sociaux. Ceux-ci se plus souvent de type rationnel-légal, notamment
ondent sur le principe des échanges entre des les bureaucraties. Les organisations non hiérar-
individus partageant des intérêts et des objec- chiques valorisent et encouragent la participa-
tis communs dans le but de satisaire divers tion des membres à la gestion et à la prise de
besoins. décision.

2. Un groupe social se défnit par deux dimen- 5. La bureaucratie constitue le modèle d’organisa-
sions : l’intériorité, qui désigne sa composition, tion privilégié des sociétés modernes, aussi
sa nature et la structure des interactions de ses peut-on parler d’une bureaucratisation crois-
membres en contexte de dynamique de groupe ; sante de celles-ci. Ce type d’organisation vise
et l’extériorité, c’est-à-dire son identité distinc- avant tout l’efcacité.
tive par rapport aux autres groupes.
6. Les réseaux sociaux constituent une autre orme
3. Les groupes sociaux peuvent être classifés selon d’organisation de la vie sociale, dotés de caracté-
diérents critères, comme leur taille, les relations ristiques propres. Ces structures remplissent
entretenues entre leurs membres, leurs normes, des onctions sociales comme le soutien,
leurs buts et objectis, les intérêts qu’ils déendent, l’échange d’inormation, la consolidation d’un
leur onction et leur mode d’organisation. capital social et le partage de ressources.

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 Exercice 4
Recensez dans votre entourage un certain nombre de Récupérez sur le Web cinq photos de groupes dié-
groupes et classifez-les en utilisant des critères rents et présentez-les à la classe. Demandez aux
énoncés dans les sous-sections 5.1.2 et 5.1.3 aux autres étudiants de déterminer s’il s’agit de groupes
pages 137 à 141. sociaux et pourquoi, puis de les classifer. Dans le
cas où les exemples ne constituent pas des groupes
Exercice 2 sociaux, que audrait-il changer pour qu’ils le
deviennent ?
Tracez l’organigramme de votre établissement sco-
laire pour illustrer le concept de bureaucratie, puis
observez-en les divers niveaux hiérarchiques.

Exercice 3
Recensez les personnes avec lesquelles vous êtes en
relation et qui ont partie de votre réseau social per-
sonnel, puis répartissez-les en trois catégories : les
personnes proches, les connaissances et les per-
sonnes utiles. Établissez ensuite si le lien entre ces
personnes et vous est positi ou négati, et s’il est ort
ou aible. Cela vous permettra de mesurer votre niveau
de proximité et l’importance qu’elles ont pour vous.

166 parte ii L’organisation de la vie sociale


Pour aller plus loin
Volume et ouvrge de référence audioviuel

KIRKPATRICK, David (2011). La révolution Facebook, Paris, LENOIR, Frédéric, et Iolande CADRIN-ROSSIGNOL. L’Ère des
Éditions JC Lattès, 477 p. gourous, coll. « Au nom de tous les Dieux », Verseau interna-
David Kirkpatrick, chroniqueur technologique au magazine tional, 1998, couleur, VHS (60 min).
Fortune, relate la création de Facebook par un étudiant âgé Ce documentaire réalisé en 1998 se divise en cinq épisodes et
d’à peine 19 ans et la croissance phénoménale qu’a connue porte sur la question des sectes, des nouveaux mouvements
ce réseau Internet. religieux et de leurs dérives.
STIEGLER, Bernard (dir.) (2012). Réseaux sociaux, coll.
« Nouveau Monde Industriel », Paris, Éditions FYP.
Cet ouvrage explore les transormations qu’ont entraînées les Rendez-vous
réseaux sociaux. Il s’intéresse à la açon dont ces réseaux en ligne
s’implanteront dans la société et à la portée, positive ou
http: //mabibliotheque.
négative, qu’ils auront sur les plans économique et orga-
heneliere.a
nisationnel des sociétés et de la politique.

site Web

Groupe de recherche sur les institutions et les mouvements


sociaux. www.grims.umontreal.ca
Ce groupe de recherche rassemble des chercheurs de plusieurs
universités engagés dans l’étude des mouvements sociaux
et des enjeux institutionnels qui les caractérisent. Ses
principaux centres d’intérêts sont l’action collective, les
controverses socio-culturelles et la redéfnition des solidarités
nationales et transnationales.

chapitre 5 Les groupes, les organisations et les réseaux sociaux 167


6
Chapitre

Le contrôLe sociaL

objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

de reconnaître les ondements légaux et de vous représenter les résultats du contrôle


légitimes du contrôle social ; social, notamment la conormité, la variance,
l’adaptation novatrice et la surconormité ;
d’expliquer à quelles fns et de quelles
manières le contrôle social s’exerce ; de cerner les causes de la déviance,
de la criminalité et de la marginalité.
pLan de chapitre
6.1 Le contrôle social
6.1.1 La normalité, une question de légalité et de légitimité
6.1.2 La normalité : une notion mouvante
6.1.3 Le contrôle social en action
6.2 L’adaptation sociale
6.2.1 La conformité
6.2.2 La variance
6.2.3 L’adaptation novatrice
6.3 L’adaptation sociale pathologique
6.3.1 La surconformité
6.3.2 La déviance
6.3.3 La criminalité
6.4 L’inadaptation sociale ou la marginalité
6.4.1 La marginalité : vivre en dehors de la société
6.4.2 La marginalisation : un processus d’exclusion

concepts-cLés
• Adaptation • Légalité ....................171
novatrice..................183
• Légitimité ................172
• Adaptation
• Marginalité ..............199
sociale ..................... 180
• Mécanisme de
• Adaptation sociale
contrôle social ........178
pathologique ...........184
• Normalité ................173
• Conformité ..............181
• Sanction ..................178
• Contrôle social .......171
• Stigmatisation ........200
• Criminalité ...............195
• Surconformité .........184
• Déviance..................186
• Variance...................183
• Inadaptation
sociale .....................199
Mise en contexte

Dans les années 1950, Solomon E. Asch, pionnier de la psychologie sociale, a


mené une série d’expériences très particulières. Dans l’une d’elles, un certain
nombre d’étudiants, âgés de 17 à 25 ans, se voyaient présenter deux cartes.
Sur la première carte, une seule ligne était tracée. Sur la seconde carte, trois
lignes, de diverses longueurs, étaient dessinées. Il était alors demandé aux
participants de déterminer laquelle des trois lignes de la seconde carte était
de longueur semblable à celle de la première carte. Tous les participants,
sau un, étaient de connivence avec l’expérimentateur. Ils avaient eu pour
consigne de donner une ausse réponse, même si la vraie réponse était évi-
dente. Le sujet naï, c’est-à-dire le seul « véritable » répondant ignorant la mise
en scène, était placé de manière à ce qu’il soit l’avant-dernier à donner son
avis. Avant de se prononcer, il devait donc entendre les réponses de la plu-
part des autres participants.
L’expérience a démontré que, dans ce contexte, plus du tiers des sujets
naïs se ralliaient à l’opinion de la majorité des sujets, aussi erronée ût-elle.
Asch, curieux de comprendre les mécanismes révélés par ce comporte-
ment, a par la suite tenté d’isoler diérentes variables inuençant les réac-
tions des sujets naïs dans des situations semblables. Il a ainsi déterminé
que le ait de devoir exprimer leur réponse publiquement plutôt que de
manière privée (à voix haute plutôt que par écrit) augmentait, chez les
sujets testés, le taux de réponses conormes à celles du groupe. De même,
la taille du groupe a inuencé le taux de standardisation des réponses :
devant deux personnes pensant autrement que lui, le sujet naï persistait à
maintenir son individualité. À partir de trois personnes soutenant unani-
mement une idée contraire, les répondants tendaient à se conormer.
D’autres chercheurs, poursuivant ces expérimentations, ont observé que
cette tendance à la conormité était légèrement plus élevée chez les sujets
naïs de sexe éminin que chez ceux du sexe masculin (Carli et Eagly, 2007).
D’autres encore ont découvert que ce taux variait selon que la culture était
de type collectiviste (avorisant l’uniormité des réponses) ou de type indi-
vidualiste (encourageant une baisse de ce même taux), en concordance
avec les valeurs propres à ces communautés.

Qu’est-ce qui ait que de nombreux sujets naïs, dans l’expérience


d’Asch, donnent la même réponse que le reste du groupe ?
Pourquoi ces taux varient-ils selon des critères reliés à la taille du
groupe et à la confdentialité de la réponse ?
Pourquoi ces taux varient-ils selon des critères reliés au groupe social
comme le genre ou l’origine culturelle de l’individu ?

170 par ii L’organisation de la vie sociale


es résultats des expérimentations d’Asch et des recherches qui ont

L suivi nous montrent que la pression du groupe contribue à la conor-


mité des individus, même sans la moindre menace de sanction.
Comme on le voit, en eet, plus la pression est élevée, plus les per-
sonnes intériorisent le besoin de solidarité avec le groupe. Ainsi, il
est plus difcile pour une personne de maintenir son individualité devant un
groupe unanime de trois ou quatre personnes que d’afrmer un avis contraire
dans un groupe de 15 personnes parmi lesquelles il y a déjà un avis dissident.
Cela ait en quelque sorte partie, comme nous l’avons vu dans le chapitre pré-
cédent, de l’essence même de la ormation et du onctionnement du groupe.
D’un point de vue sociologique, on constate également que la culture et la
socialisation de l’individu inuencent la tendance à la conormité. Chaque
culture, chaque sous-culture et chaque groupe ont leurs normes propres qui
régissent le comportement de leurs membres. Ce contrôle s’exerce par la
pression du milieu dans lequel se trouve l’individu ou par la place qu’il occupe
dans une structure où des responsabilités sont distribuées. Qu’on les appelle
lois, règles de la mode, règlements des organisations, exigences dans le cadre
d’un cours, règlements d’un sport ou règles d’un jeu, il s’agit toujours de
normes sociales (voir le chapitre 3).
Dans ce chapitre, les ondements mêmes de ce contrôle social seront tout
d’abord exposés. Nous étudierons ensuite les fnalités du contrôle social,
pour voir en dernier lieu les conséquences d’un contrôle social excessi ou
insufsant.

6.1 Le contrôle social


Les phénomènes exprimés par les termes « conormisme », « marginalité », contrôle soial
« déviance » et « criminalité » peuvent être considérés comme des réponses aux ensmbl ds patiqus socials
pressions, réelles ou imaginées, qui sont exercées sur l’individu par les groupes individulls ou collctivs
et par la société. Comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, chaque personne est visant à nomalis ls maniès
socialisée suivant un ensemble plus ou moins abstrait de valeurs et de comporte- d’êt, d’agi t d pns ds
ments jugés valables ou non. Nous sommes tous soumis à un contrôle social qui individus n gad d c qui st
considéé comm « nomal ».
tente de conormer nos gestes et nos comportements au regard de ceux du groupe
ou des groupes auxquels nous appartenons.
Selon certains théoriciens, si un groupe ou une société veut survivre, ses
membres doivent respecter un minimum de normes. Dans cette optique, une
société ne peut onctionner si une part importante d’elle-même rejette un nombre
minimal de règles de base qu’elle a établies. Le contrôle social a donc pour prin-
cipal eet de créer cette cohésion sociale en aisant adhérer l’individu à une cer-
taine « normalité ».

6.1.1 La normalité, une question de légalité et de légitimité


Les manières d’agir, d’être et de penser conormes ou « normales » sont jugées Légalité
comme telles sur la base de deux principaux critères : la légalité et la légitimité. rconnaissanc, pa un
La légalité est la reconnaissance d’un ensemble de comportements adoptés par goup ou un société, d
des individus, des organisations ou des institutions qui agissent en onction du compotmnts d’individus,
cadre de la loi. Les citoyens qui paient leurs impôts, qui respectent les règles de d’oganisations ou d’institutions
la circulation et qui ne commettent pas de crimes sont dans la légalité. En qui agissnt confomémnt
aux lois.
somme, la légalité est la conormité aux normes ormelles d’une société, c’est-
à-dire à la loi et au droit.

chapitre 6 L contôl social 171


Comme il a été exposé dans le chapitre 3, les
normes ormelles sont des normes considérées
à ce point importantes par une société que celle-
ci a jugé nécessaire de les ormuler de manière
explicite, par exemple au moyen d’un règlement
(d’immeuble, d’entreprise, d’établissement sco-
laire, etc.) ou d’un code de lois qui régit les com-
portements de l’ensemble des individus. Ces
normes ormelles constituent l’ensemble des
règles structurant les rapports des membres
d’une société. En termes politiques, la loi est le
cadre établi par le pouvoir législati (le parle-
ment), administré par le pouvoir judiciaire (les
tribunaux) et appliqué par le pouvoir exécuti
Nous sommes soumis au contôle social et nous en sommes également (le gouvernement et les agents de l’État).
l’instument, puisque nous paticipons à nomalise les compotements Certaines lois, comme celles qui condamnent le
de ceux qui nous entouent.
meurtre, s’adressent à tous les membres d’une
collectivité donnée, alors que d’autres lois
régissent le comportement des institutions de la société comme les entreprises :
lois sur les entreprises, lois sur la concurrence, lois de l’impôt sur le revenu des
entreprises, etc. Bien qu’elles soient ort diérentes dans leurs visées, toutes ces
lois constituent des normes sociales ormelles.
Légtmté La légitimité, quant à elle, repose sur les normes inormelles d’une société.
reconnaissance sociale de Elle consiste en la reconnaissance d’un ensemble de comportements en onc-
compotements en fonction des tion de valeurs, de coutumes ou de traditions qu’ils représentent, ou de l’appui
valeus qu’ils epésentent ou de majoritaire qu’ils reçoivent dans la population. Le pouvoir légitime est issu des
l’appui moal qu’ils obtiennent idées sur la orme, la nature et la situation que les individus se ont d’un pou-
de la majoité de la population. voir jugé valable. Ainsi, un individu accomplit parois des gestes qui ne sont
pas légaux en vertu de nos lois, mais qui sont jugés légitimes par la majorité
des personnes constituant la collectivité à laquelle il appartient. Par exemple,
la désobéissance civile est souvent légitime bien qu’illégale puisque, comme
l’explique le sociologue Jürgen Habermas, elle inclut des actes collectis illé-
gaux qui contestent l’ordre établi, actes qui ont touteois appel à des moyens
de protestation légitimes, parce que non violents et ondés sur le sens de la
justice du peuple. Par exemple, les actes pacifques de désobéissance civile
menés par Mohandas Gandhi (1869-1948) ont contribué à rendre à l’Inde son
indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne, de même que ceux dirigés par
Martin Luther King (1929-1968) ont participé à l’avancement de la cause des
droits des Noirs aux États-Unis. La légitimité est donc ondée sur des valeurs.
Un acte qui viole la loi ne peut jamais être légal, mais il peut tout de même être
considéré légitime en raison des circonstances qui l’entourent ou des valeurs
qu’il déend. La transgression de la loi est en eet jugée parois nécessaire pour
que celle-ci évolue. La légitimité exerce ainsi un rôle comme élément moteur
du changement.
Pour mieux saisir la portée de ces deux notions, appliquons-les à la notion de
groupe que nous avons vue dans le chapitre 5 (voir le tableau 6.1). Parlons d’abord
des groupes légitimes et légaux. Ils sont légitimes parce que la majorité de la
population en reconnaît la valeur et le bien-ondé et ils sont légaux parce qu’ils
agissent dans le respect des lois et des règles édictées par la société. Par exemple,
le gouvernement, le Conseil du patronat du Québec et le Collège des médecins
du Québec sont des groupes légitimes, car ils ont une notoriété sociale, et ce sont
aussi des groupes légaux, car ils onctionnent dans le cadre des lois et sont consti-
tués en onction de règles codifées.

172 parte ii L’oganisation de la vie sociale


Tableau 6.1 Légalté et légtmté : le as des groupes soaux
Légitimité Illégitimité
Légalté • Gouvrnmnts • prtis olitiqus rdicux
• associtions rofssionnlls • Scts rligiuss
illégalté • Mouvmnts oulirs • Grous trrorists
révolutionnirs • Orgnistions criminlls
• Orgnistions clndstins d
défns ds droits t librtés

À l’autre extrême, il existe des groupes illégitimes et illégaux. Ceux-ci n’ont pas
la reconnaissance morale de la population et vont à l’encontre de la loi. Le pou-
voir s’eorce de contrecarrer les tentatives de ces groupes pour obtenir toute
orme de légitimité qui pourrait conduire par la suite à leur légalisation. À cette
fn, il ait en sorte de défnir les lois, ou de les modifer, pour maintenir dans l’illé-
gitimité un groupe qui n’a pas la aveur populaire. Comme nous l’avons men-
tionné, les lois sont un produit social qui interagit avec les intérêts, les tensions,
les conits et les négociations ; elles ne sont donc pas un absolu dont la nécessité
irait de soi. Les meilleurs exemples de ce type de groupes sont les groupes terro-
ristes comme l’Armée républicaine irlandaise (IRA) en Irlande du Nord, Al Qaïda
en Aghanistan ou, plus près de nous, le Front de libération du Québec (FLQ)
dans les années 1970. Bien qu’ayant déendu au départ des causes jugées légi-
times par une vaste portion des populations au sein desquelles ces groupes se
sont développés, ils ont par la suite perdu leur légitimité en raison des moyens
violents qu’ils ont choisis pour aire valoir leurs idéaux.
D’autres groupes, tout en conservant leur légitimité, sont illégaux. Ils ont une
certaine reconnaissance sociale, mais leurs comportements ne respectent pas
les lois établies. On peut citer le Congrès national aricain (ANC) en Arique du
Sud, qui, jusqu’en 1990, date du début du démantèlement de l’apartheid, recueil-
lait l’appui de la majorité noire tout en étant jugé illégal en vertu des lois de la
minorité blanche.
Il existe, d’autre part, des groupes illégitimes, mais légaux : par exemple, un
parti politique qui prônerait la révolution, ou certaines sectes religieuses. Ces
organisations, bien que paraitement légales, ont parois des méthodes ou des
objectis tellement radicaux ou éloignés des valeurs dominantes de la société
qu’elles en deviennent illégitimes. De ce ait, elles n’ont pas la reconnaissance
d’une majorité de la population. Selon les intérêts du pouvoir en place, cette non-
reconnaissance est parois même entretenue afn que ces groupes n’obtiennent
pas l’appui populaire. Ces groupes peuvent alors aire l’objet d’une surveillance
étroite de la part des services policiers réguliers et spéciaux.
Qu’il s’agisse de groupes ou plus simplement d’attitudes ou de comportements,
ceux qui sont considérés comme normaux, c’est-à-dire comme aisant partie de la
norme, tendent à la ois vers la légitimité et la légalité, c’est-à-dire qu’ils sont normalté
conormes aux valeurs de la majorité et aux lois. ensmbl ds mnièrs d’êtr,
d’gir t d nsr conforms
ux norms formlls t
6.1.2 La normalité : une notion mouvante informlls qui révlnt dns
un grou ou un société. C
Notons touteois que si la légalité et la légitimité désignent des réalités distinctes, qui st légl t légitim u sin
elles sont connexes et mouvantes selon les situations et les époques. En eet, ces d’un société st d’mblé
deux notions (et par conséquent la défnition même de la normalité) ne cessent rconnu comm norml.

chaptre 6 L contrôl socil 173


d’évoluer et d’être remises en question, par exemple par rapport à des sujets
comme l’avortement ou l’euthanasie sur demande (suicide assisté). L’étanchéité
de cette classifcation n’est donc pas à toute épreuve. Elle sert à illustrer, selon
une certaine perspective, le ait qu’il existe divers degrés d’acceptation de la part
des individus et des groupes dans la société. Après tout, n’utilisons-nous pas quo-
tidiennement les notions de légalité et de légitimité pour porter un jugement sur
ce qui nous entoure, sans en connaître vraiment la signifcation ? C’est à partir de
ces critères que nous jugeons que certaines manières d’être, d’agir ou de penser
sont, ou non, normales.

Une question d’évolution


Les sociologues s’intéressent à l’étude de la création des lois comme processus
social. Les lois, en eet, reètent en partie la société qui les édicte. Avant tout,
une loi est élaborée et votée dans le but de répondre à un besoin social. Elle ne
constitue pas une chose inerte qui se transmet d’une génération à une autre.
Elle traduit plutôt le changement continu de la défnition de ce qui est « bon »
et de ce qui est « mauvais » dans une société, de ce qui est considéré comme
allant à l’encontre ou non des normes et du type de sanctions à appliquer dans
le cas de comportements qui dérogent aux normes de la majorité.
Ainsi, il arrive que les changements appor-
tés aux lois assent du criminel d’hier la vic-
time d’aujourd’hui, et inversement. L’appli-
cation des lois concernant la possession, la
consommation et le trafc des drogues en est
un exemple. En eet, les petits consomma-
teurs ne sont plus considérés comme des cri-
minels de premier plan : ce sont les dirigeants
des réseaux de distribution qui sont désor-
mais tenus comme les véritables criminels. Ce
changement se traduit par une interprétation
plus permissive de la loi canadienne quant à la
possession d’une petite quantité de certaines
substances pour la consommation person-
nelle. Aujourd’hui, le système judiciaire estime
Les notions de légalité et de légitimité, et donc de normalité, évoluent au fl plutôt que les individus qui sont pris dans l’en-
du temps. La consommation de drogue douce, notamment, n’est plus jugée
grenage de la consommation de drogues ont
aussi sévèrement qu’il y a quelques décennies.
besoin d’aide.
Certains autres comportements, en revanche, en viennent à aire l’objet d’une
criminalisation plus marquée. La violence conjugale, compte tenu de la transor-
mation de l’image de la emme, de la place qu’elle occupe dans la société et de ses
droits, a ait l’objet d’une criminalisation accrue depuis quelques années. Des
pratiques se sont instaurées qui ont contribué à criminaliser les ormes de vio-
lence conjugale jadis jugées tolérables. Cependant, la criminalisation de certains
comportements n’est pas sans conséquence.
Par exemple, les inractions aux programmes d’aide sociale sont de plus en
plus criminalisées. Or, « [l]e caractère normati du crime de la raude à l’aide
sociale vient non seulement de la complexité et de l’imprécision des règles et du
règlement qui régissent l’aide sociale, mais aussi des disparités qui existent entre
la réglementation de la raude à l’aide sociale et d’autres ormes d’actions autives
économiques » (Hermer et Mosher, 2005, p.148). En ait, la raude à l’aide sociale
ait l’objet d’une surveillance plus poussée, elle est jugée (moralement et judiciai-
rement) plus sévèrement et est sanctionnée de manière plus stricte que les

174 parte ii L’organisation de la vie sociale


ormes comparables de raude fscale. Cette distinction normative est ondée sur
une représentation sociale négative des personnes pauvres : le simple ait de
recevoir l’aide sociale condamne moralement la personne et la catégorise. Dès
lors, elle devient l’objet de surveillance, de suspicion et, éventuellement, de sanc-
tion (Hermer et Mosher, 2005).
Les lois d’une société sont donc le reet d’un choix de valeurs sociales, de
croyances et d’idéologies. Elles nous apprennent beaucoup sur la société qui les
édicte puisqu’elles s’établissent souvent après de longs débats dans la société en
question et doivent, pour être appliquées, recevoir l’assentiment ou, à tout le
moins, profter de la tolérance d’une majorité. Une chose est sûre : si une loi ne
recueille pas une large adhésion, elle sera difcilement applicable.
Si les valeurs inuencent l’édiction de lois, la relation inverse existe également :
les lois ont pour eet de modifer les valeurs d’une société. Par exemple, l’inter-
diction de umer dans les lieux publics ou les règlements municipaux sur l’arro-
sage ont des eets directs sur les perceptions sociales du tabagisme ou de la
consommation d’eau et sont intimement liés aux conceptions collectives de
la santé et de l’environnement. Il s’agit donc d’une roue qui tend à s’entraîner elle-
même : les changements de valeurs suscitent la mutation des lois qui, elles-mêmes,
inuencent l’évolution des mentalités. Ce qui est considéré comme normal à une
époque ne le sera donc plus nécessairement à une autre.

Une question de contexte


Par ailleurs, l’exercice d’un certain contrôle social à l’endroit des individus est lié
à un contexte donné. Même si le contrôle social semble bien enraciné dans les
pratiques sociales et bien défni dans des textes de loi, il ait l’objet d’ajustements
continuels et de justifcations parois contradictoires d’une situation à une autre.
Ainsi, le même geste peut être considéré comme plus ou moins légal ou légitime
selon le contexte (voir le tableau 6.2).
Certains diront que les représentants de l’autorité semblent parois se placer
eux-mêmes dans l’illégalité en raison des actions qu’ils peuvent mener contre
certains groupes. Touteois, comme l’a établi Weber, dans toute société, le pou-
voir établi défnit pour lui-même une violence légale et légitime. Cette violence,
légitimée au nom de l’intérêt commun ou de la sécurité du pays, est touteois
jugée illégale et le plus souvent illégitime lorsqu’elle est utilisée par d’autres
groupes. Ainsi, le pouvoir en place peut recourir à une oule d’actes généralement
jugés illégaux ou illégitimes (espionnage, propagande, détention, cruauté men-
tale, violence physique, corruption, délation et même assassinat) pour parvenir

Tableau 6.2 Légalté et légtmté : une queston de ontexte


Légitimité Illégitimité
Légalté • Conduire une automobile à • Conduire une automobile à
100 km/h sur l’autoroute 20. 60 km/h sur l’autoroute 20.
• Consommer des suppléments • Consommer quotidiennement
vitaminiques. une bouteille de vin.
illégalté • Conduire une automobile à • Conduire une automobile à
115 km/h sur l’autoroute 20. 70 km/h dans une zone scolaire
• Consommer du cannabis à des limitée à 30 km/h.
fns thérapeutiques. • Consommer des produits dopants
lors d’une compétition sportive.

chaptre 6 Le contrôle social 175


à ses fns. Signalons le cas du Rainbow Warrior, un bateau de Greenpeace, dont la
destruction par bombe, en juillet 1985, avait été soigneusement préparée par les
services secrets du gouvernement rançais. Plus récemment, l’utilisation d’agents
provocateurs, c’est-à-dire des policiers infltrés se aisant passer pour des mani-
estants afn de provoquer les orces de l’ordre et mener à des arrestations, a été
reconnue par les autorités, notamment lors du Sommet de Montebello en 2007 et
lors du G20, en 2010, à Toronto (Castongay, 2010).
En somme, la défnition de la normalité est onction du contexte social dans
lequel elle s’exerce. Voici quelques exemples qui illustrent bien ce ait dans notre
société :
• Une personne qui se déshabille complètement, rue Sainte-Catherine à Montréal,
sera arrêtée immédiatement et accusée de grossière indécence. Si cette même
personne se dévêt dans un camp de nudistes, son geste paraîtra alors tout à ait
normal.
• Au Québec, on accepte que les gens chantent et maniestent leur enthousiasme
lors d’un concert rock. La même attitude, touteois, est inconcevable lors d’un
opéra ou d’un concert de l’Orchestre symphonique de Montréal.
• Prendre une bière l’après-midi ou lors d’une soirée entre amis est, comme le
clame la publicité, un geste ort bien accepté socialement. Mais la personne qui
a besoin de boire de la bière le matin est étiquetée comme ayant un problème
d’alcoolisme et, par conséquent, comme étant déviante.
• Certains Nord-Américains se scandalisent de voir un torero, sous les acclama-
tions d’une oule en délire, tuer un taureau. Pourtant, les mêmes personnes
pourront trouver normal que deux hommes se rappent, lors d’un match de
boxe, jusqu’à ce que l’un des deux s’écroule, parois gravement blessé (voir
l’encadré 6.1).
éltes Les gens ont des perceptions variées des individus qui les entourent, des rôles
personnes qui, en raison du sociaux qu’ils jouent ou du statut social qui est le leur. En ce sens, une population
ouvoir qu’elles détiennent ou peut décider de la légitimité ou de l’illégitimité d’un groupe, mais le pouvoir et
de l’infuence qu’elles exercent, l’inuence des élites sont souvent déterminants dans cette décision. On valorise
infuencent une collectivité sur le médecin pour l’image générale de compétence qu’il projette et parce qu’il agit
divers lans (intellectuel,
sur des processus ondamentaux : la vie et la mort des personnes. Pour sa part,
idéologique, économique,
une vedette du sport est reconnue pour son talent et pas nécessairement pour
olitique, etc.), soit ar les
décisions qu’elles rennent, soit ses capacités intellectuelles. Le policier, quant à lui, est perçu en onction de l’au-
ar les idées, les sentiments ou torité et du pouvoir qu’il représente. Mais la grande majorité des personnes voit
les émotions qu’elles exriment ces individus en onction d’un minimum de normes rattachées à des modèles glo-
ou symbolisent. baux d’actes proscrits et d’actes prescrits par la société : des gens qui travaillent
pour le mieux-être de l’humain par opposition à des gens qui travaillent pour
nuire à celui-ci, des gens qui mettent leur talent au proft de la société par oppo-
sition à des gens qui utilisent leur talent contre elle.

6.1.3 Le contrôle social en action


D’un point de vue onctionnaliste, les individus dans une société sont conduits à
accepter des normes minimales en regard de la légitimité et de la légalité pour que
cette dernière puisse onctionner. La notion de contrôle social permet de cerner
les diérents mécanismes à l’œuvre lorsque s’exerce une pression de régularisa-
tion du comportement humain.
En eet, chacun assume une responsabilité dans le respect des normes mini-
males qu’impose la société et chacun souhaite que les autres en assent autant.
C’est ainsi que nous obéissons sans trop y penser aux ordres du policier ;
que nous exécutons jour après jour les mille et un gestes routiniers d’un travail ; que

176 parte ii L’organisation de la vie sociale


Encadré 6.1 Sociologie Au quotidien

La violence dans le sport

L légitimité t l léglité d’un ct n s dénissnt s d


çon bsolu, mis déndnt du contxt dns lqul il
s’ccomlit. Ls cts violnts commis lors d mtcs sortis
illustrnt très bin ct étt d it. C’st insi qu ds invc-
tivs ou ds bgrrs qui n srint n ucun circonstnc
tolérés, r xml ntr ds conjoints ou sur l lc
ubliqu, l sont dns l contxt d l rtiqu sortiv.
plusiurs nsurs rmnt qu l violnc st inérnt u
sctcl sorti, t c, mêm si ls règls visnt à ncdrr ctt
violnc tndnt à s multilir u l du tms. Élis t Dunning
(1994) vont mêm jusqu’à rmr qu l sort rmt ux
juns d’rndr à mîtrisr lurs ulsions grssivs tout n
ornt un liu où st toléré socilmnt l’xrssion d cs ul-
sions. Cndnt, on constt qu l violnc st d moins n
moins toléré dns l rtiqu mtur bin qu’ll soit ncor
ccté – voir ncourgé – dns l sort rossionnl.
Si ls orgnistions sortivs rossionnlls n’liqunt
s un contrôl socil lus rm d l violnc, c’st qu’lls
stimnt qu ctt violnc it rti d’un « bon sctcl ».
en c sns, l criminologu Jn pourt rm qu ds
contrints économiqus, tlls qu ls olitiqus d nnc-
mnt ou d rcrutmnt ds équis sortivs, infuncnt
l’ttitud ds orgnistions sortivs à l’égrd du contrôl d
l violnc (Mrois, 2012).
rossionnl n s’mêcr d rr un rivl, d l blssr
Ls rtisns smblnt ussi rtgr ctt vision du sc- mêm, si cl lui rmt d’ugmntr ls cncs d victoirs d
tcl sorti, qu’ils rçoivnt comm lus ssionnnt s’il son équi. D tout çon, ss ntrînurs t ss coéquiirs
résnt un crtin combtivité. Notr « sort ntionl », l n’cctrint s l contrir » (Mrois, 2012b). pour ls
ocky, n ros-t-il s dns un crtin msur sur l vio- jouurs, l violnc dns l sort st donc rçu comm un
lnc t l’intimidtion ? Cqu ois qu’éclt un bgrr « nécssité » : un vri ggnnt doit tout ir our vincr, t c,
générl ou un combt singulir ntr « goons », n voit-on s mlgré ls conséquncs nésts occsionnlls, comm l
l oul s’nfmmr, comm si ctt violnc « mis n scèn » rctur crvicl subi n 2011 r Mx pciortty.
rmttit u ublic d s’n libérr ? Ct ttrit d l oul
our ls cts violnts qui s roduisnt durnt ls mtcs L violnc st donc résnt dns l sort our d multils
contribu à c qu cux-ci n soint s toujours dénoncés. risons : our l oul, ll or un sctcl ynt un onc-
tion ctrtiqu ; our ls orgnistions sortivs, ll
Outr ls sctturs qui cclmnt ls blligérnts, il rriv constitu un xignc à lqull clls-ci doivnt réondr
qu crtins rtisns nrignnt l cdr d l léglité t d n d roduir un divrtissmnt oulir ; our l jouur,
l légitimité : on ssist lors à ds débordmnts violnts qui, ll st un occsion d’évcur ss ulsions grssivs dns
n s limitnt lus u cdr d l’rèn, rvinnnt jusqu’ux un sc socil détrminé ; our l sorti, ll réond ux
grdins ou jusqu’à l ru. Cs insi qu’ont liu sordiqumnt rssions socils émnnt d l oul t ds coéquiirs. Ls
ds émuts lors d mnisttions sortivs, comm n mécnisms d contrôl socil s’justnt donc n onction du
2008 t n 2010 lors d victoirs du Cndin d Montrél, ou contxt socil t ds rontièrs souvnt fous d l léglité t
d murtrirs rontmnts ntr hooligans, comm lors d l d l légitimité, s isnt lus ou moins lxists slon l
trgédi d hysl qui t 39 morts t lus d 600 blssés lors momnt, l liu, ls cturs ou l moti.
d’un mtc d soccr ntr ds équis blg t britnniqu.
Question
au sin mêm ds équis sortivs, un ort rssion socil
exliquz ourquoi ds cts considérés comm condm-
ncourg l’utilistion d’un crtin violnc. Jon Krr, séci-
nbls dns un contxt sont cctbls dns un utr.
list d l violnc dns ls sorts, rm qu’« ucun jouur

chapitre 6 L contrôl socil 177


nous nous déplaçons vers l’arrière dans un autobus bondé. La
plupart de nos comportements, en ait, reètent bien ce que
nous apprenons tout au long de notre vie, c’est-à-dire les règles
à respecter pour vivre en société. Nous sommes par ailleurs
conscients que les individus, les groupes et les institutions
s’attendent à ce que nous nous comportions de açon respec-
tueuse à l’égard de ce qui nous entoure.
Les mécanismes de contrôle social utilisés pour encou-
rager le respect des normes de la société et, surtout, pour
dissuader quiconque de les enreindre peuvent prendre un
caractère spontané ou organisé. Nous adoptons le plus sou-
vent des conduites dites acceptables en raison de pressions
indirectes (par exemple, la peur du ridicule ou du rejet) ou,
parois, plus directes (par exemple, la crainte se aire imposer
une amende ou d’être congédié). Ainsi, les mécanismes de
La cohabitation entre iétons, cyclistes et automobilistes
ait artie du contrat tacite que nous imose la vie en contrôle social qui poussent l’individu à agir de manière
société, aisant ael à la courtoisie et à la resonsabilité. légale et légitime aux yeux du groupe peuvent être d’ordre
ormel ou inormel.

Les mécanismes de contrôle social informel


Mécanme Les mécanismes de contrôle social informel renvoient aux açons indirectes, voire
de contrôle ocal inconscientes, de aire pression sur un individu pour obtenir de lui la conormité.
Moyen mis en œuvre our Le sourire, le soupir, le ou rire, le roncement des sourcils ou la moquerie peuvent
uniormiser les manières d’être, servir de contrôle social inormel. En ait, l’individu est non seulement la cible du
d’agir et de enser des individus contrôle social qui s’exerce sur lui, mais il est également son instrument puisqu’il
en regard de ce qui est participe à la mise en œuvre de ses mécanismes. L’apprentissage des mécanismes
considéré comme normal.
se ait tout au long du processus de socialisation. Ces mécanismes sont dits
Mécanme de contrôle « d’ordre inormel » parce qu’ils ne sont pas très précis ni rigoureusement codifés
ocal nformel et ont souvent appel à des indications non verbales.
Moyen indirect, resque
inconscient, de aire ression Ce contrôle s’exerce à tous les niveaux et dans tous les milieux sociaux.
sur un individu afn qu’il Touteois, le contrôle social inormel est observé principalement dans les groupes
conorme ses manières d’être, primaires comme la amille ou les pairs (voir le chapitre 5). Par exemple, dans une
d’agir et de enser en regard de amille, l’enant est socialisé pour obéir à ses parents simplement parce qu’ils
ce qui est considéré comme sont ses parents. Dans un groupe d’amis, un certain contrôle peut s’exercer quant
normal. à la tenue vestimentaire, comme le port du jean ou d’un type de blouson qui
révèle l’appartenance au groupe et la solidarité avec celui-ci.
On peut par ailleurs remarquer certaines variantes dans l’utilisation de ces
mécanismes à l’intérieur d’une même société. Par exemple, à l’égard d’un indi-
vidu qui se permet de passer devant tout le monde dans une fle d’attente, cer-
taines personnes le regarderont d’une açon menaçante, d’autres d’une açon
oensée. D’autres encore le bousculeront pour l’empêcher de passer, et d’autres,
enfn, verbaliseront leur désapprobation à l’égard de son geste. Dans beaucoup
de cas, les mécanismes de contrôle social inormel ne permettent pas le renorce-
ment de la conormité. Ainsi, dans l’exemple mentionné, l’individu en question
peut choisir de ne pas tenir compte des gens qui le regardent ou qui désap-
prouvent plus directement sa açon d’agir. Les seules possibilités pour les per-
sancton sonnes lésées consistent alors à aire appel à un responsable de l’établissement
punition (sanction négative) ou afn qu’il tente de rétablir la norme ou à contraindre l’individu récalcitrant par la
récomense (sanction ositive) orce, même si cela se ait rarement.
relative au resect ou au non-
resect des normes ormelles Ces mécanismes inormels de contrôle social peuvent aire appel non seulement
ou inormelles d’une société. à des sanctions négatives, comme dans l’exemple mentionné, mais également à

178 parte ii L’organisation de la vie sociale


Tableau 6.3 Les tyes de satios
Informelles Formelles
négatives • Soui • amnd
• Moqui • emisonnmnt
• Scsm • Congédimnt
positives • Soui • pim
• encougmnt • Dilôm
• rmcimnt • Médill

des sanctions positives : on remercie la personne qui se montre polie ou on lui


sourit afn de démontrer notre approbation vis-à-vis de son comportement (voir
le tableau 6.3).

Les mécanismes de contrôle social formel


Les mécanismes de contrôle social formel réèrent quant à eux aux normes or- Méaisme de otrôle
melles d’une société : elles peuvent se lire ou être édictées. Ils constituent des soial formel
recours ofciels pour contraindre un individu à agir selon la norme lorsque les Moyn dict t xlicit
mécanismes de contrôle social inormel ne onctionnent pas. (loi, ègl) ou contind
un individu à s confom ux
Bien qu’il s’exerce essentiellement au sein des groupes secondaires, le mniès d’êt, d’gi t d
contrôle social ormel n’est pas appliqué uniquement par les représentants ns considéés comm
mandatés par les gouvernements pour aire respecter les lois, comme les poli- nomls.
ciers, les juges, les onctionnaires ou les militaires. Pourtant, il est commun de
croire que le pouvoir repose entièrement entre les mains de ces individus et
de reuser de voir la pression immédiate exercée autour de soi. En eet, plu-
sieurs autres groupes sociaux ont respecter leurs propres normes. Par exemple,
un individu qui ait partie d’une secte ou même d’une religion et qui transgresse
les normes acceptées par le groupe se verra excommunié, exclu physiquement
ou moralement. En outre, le milieu du travail exerce lui aussi un contrôle ormel
très ort sur l’individu.
En eet, comme dans le cas du contrôle social inormel, le contrôle social
ormel s’exerce à tous les niveaux. Dans une organisation bureaucratique, les
travailleurs doivent se soumettre à un ensemble strict de règles. L’État impose
des lois et des règlements pour renorcer certaines normes et en ajouter de
nouvelles. Il réglemente non seulement les comportements publics des indi-
vidus dans une société, mais aussi les comportements liés aux relations
intimes qu’ils entretiennent. La sexualité, par exemple, ne peut se pratiquer
n’importe où (comme dans un lieu public) et avec n’importe qui (comme avec
un patient, pour un proessionnel de la santé). D’autre part, des règles en
régissent l’exploitation commerciale : par exemple, la prostitution n’est pas
illégale en soi, mais les activités de proxénétisme ou de sollicitation de ser-
vices sexuels le sont.
Comme nous l’avons vu dans le tableau 6.3, ces mécanismes de contrôle social
ormel peuvent eux aussi aire appel non seulement à des sanctions négatives
comme dans l’exemple mentionné, mais également à des sanctions positives :
un diplôme pour l’étudiant qui termine ses études ; une médaille pour l’athlète
perormant ; une prime pour l’employé producti ou un trophée pour l’artiste
reconnu.

chaitre 6 L contôl socil 179


RésEau dE concEPTs Le contrôle socl

Contrôle social

vse à ae
adhée à la Évoluton
Légtmté
socale
qu se défnt selon qu vaent
Nomalté deux aamètes selon

Légalté Contexte
socal
au moyen de

Fomelle règlements règlements


Los
d’mmeuble scolaes
Mécansmes de qu sont
tels que
contôle socal de natue

inomelle règles de Code


Savo-vve
oltesses vestmentae
qu ont ael nomel
à des

postves (omelles
ou nomelles)
Sanctons sot

Négatves (omelles
ou nomelles)

FaiTEs LE PoinT

1. Qu’est-ce que le contrôle social ?


2. Sur la base de quels paramètres peut-on défnir la « normalité » ?
3. Pourquoi la notion de normalité est-elle « mouvante » ?
4. Qu’est-ce qui diérencie le contrôle social ormel du contrôle social
inormel ?
5. Quels sont les quatre types de sanctions rattachés au contrôle social ?

6.2 L’adaptation sociale


adtton socle
C’est par le processus de socialisation que l’individu intègre l’ensemble des méca-
résultats conjugués du
nismes de contrôle social et qu’il s’y soumet. La société les met en œuvre pour
ocessus de socalsaton et
des mécansmes de contôle
assurer une certaine cohésion à la collectivité, ce qui mène, le plus souvent, à
socal endant l’ndvdu ate l’adaptation sociale. Celle-ci se traduit globalement par une acceptation, ne serait-
à aaten à un goue et, ce que très partielle, des normes sociales ormelles et inormelles. Pour reprendre
lus lagement, à onctonne la notion de normalité, l’individu qui tend à agir conormément aux paramètres
en socété. de la légalité et de la légitimité tels que défnis par la société ou le groupe dans

180 prte ii L’ogansaton de la ve socale


lequel il évolue est considéré comme socialement adapté. Touteois, il n’existe pas
une seule et unique orme d’adaptation sociale puisque la société n’ore pas qu’un
seul modèle de comportement. L’adaptation sociale se manieste de plusieurs
manières et à divers degrés ; elle peut prendre la orme, notamment, de la conor-
mité, de la variance et de l’adaptation novatrice.

6.2.1 La conformité
Comme nous l’avons vu, le contrôle social peut s’exercer à diérents niveaux. Ainsi,
il existe un contrôle exercé par la société de manière globale et un contrôle exercé
par les divers groupes auxquels nous appartenons, comme la amille, l’entreprise,
le groupe d’amis ou la classe sociale. Le contrôle social peut varier d’un groupe à
l’autre, de même que peuvent varier les réactions des individus à ce contrôle. Les
gens qui se situent au même niveau que nous, socialement parlant, nous amènent
à agir d’une açon plus amilière ; à l’inverse, nous sommes plus enclins à éprouver
de la crainte à l’égard des personnes en position d’autorité ou de ceux qui occupent
une position sociale supérieure à la nôtre. Quoi qu’il en soit, chacun est soumis à
un contrôle social qui tente de régulariser ses gestes et ses comportements au
regard de ceux des groupes auxquels il appartient.
Le terme conformité suggère l’imitation presque paraite des gens qui nous conformité
entourent. On parle de conormité, par exemple, lorsque d’un commun accord un adhésion spontnée ou réféchie
groupe d’adolescents adopte la même tenue vestimentaire, ou que des gens d’a- à des mnières d’être, d’gir
aires se vêtent d’une même manière dite conservatrice : complet gris ou marine ou de penser provennt d’une
pour les hommes, robe classique sombre ou tailleur pour les emmes. La conor- pression exercée pr un groupe
ou l société.
mité peut aussi signifer la solidarité, c’est-à-dire l’appartenance à un groupe, à
une équipe, où existe une cohésion.
La société, au moyen de mécanismes de contrôle social ormel et inormel,
nous pousse à entrer dans ce jeu. Nous cherchons une identité au moyen du pou-
voir plus ou moins réel qui se rattache à ce jeu ainsi qu’une justifcation à certains
comportements que nous désirons adopter. Nous choisissons ainsi des vête-
ments à la mode, dont la marque devient un critère de sélection (Hilfger, Dolce
Gabbana, Jean-Paul Gaultier), et achetons des voitures non pas pour ce qu’elles
sont, mais pour ce qu’elles représentent (Volvo, Hummer, BMW).
Tout comme l’étude d’Asch présentée au
début de ce chapitre, une étude de Muzaer
Sheri (1936) a démontré l’incontournable besoin
pour les individus d’en arriver à défnir et à sou-
tenir une norme de groupe. En eet, Sheri a mis
à jour le processus de normalisation qui parti-
cipe à aire converger les individus vers une
norme commune. Dans le cadre d’une expé-
rience, il a utilisé un eet d’optique créant l’illu-
sion qu’une lumière de aible intensité se mouvait
de manière erratique alors qu’elle était en réalité
totalement immobile. Invités à estimer indivi-
duellement la distance à laquelle cette lumière se
mouvait, les participants tendaient à réduire
progressivement la variation perçue en regard
d’un barème qui leur était personnel, chacun
établissant sa propre norme. Invités à évaluer en Nos comportements de tous les jours sont infuencés pr le désir de
conormité. Jusqu’à nos hbitudes de consommtion trduisent cette
groupe cette même distance, les participants
volonté de désirbilité socile.
tendaient également à réduire peu à peu la

chapitre 6 Le contrôle socil 181


variation perçue dans les mouvements de la lumière,
mais cette ois, en regard d’un barème collecti. Ils
modifaient ainsi leur norme individuelle initiale
pour l’accorder à une norme construite collective-
ment. Cette norme commune n’a touteois rien d’uni-
versel puisqu’elle varie d’un groupe à l’autre. Sheri a
de plus observé que l’établissement de la norme col-
lective est ortement inuencé par des individus
inuents. Cependant, une ois établie, la norme tend
à s’ancrer de sorte que, même si c’est le leader qui
dévie de la norme, il ne sera généralement pas suivi
par les autres. Au contraire, il sera plutôt jugé par le
reste du groupe comme déviant en regard de la
norme qu’il a lui-même contribué à établir.
Que doit-on retenir de ces recherches menées
sur la conormité ? Elles nous amènent à constater
la mise en veilleuse par une personne de son opi-
nion, de son jugement, de la logique même. Cette
acceptation repose sur le désir de ne pas déroger aux consignes données et sur
celui de se solidariser avec l’ensemble pour être réciproquement accepté par lui.
En d’autres mots, les opinions collectives deviennent souvent des normes
sociales, et les fgures d’autorité, des modèles d’application de ces normes, compte
tenu du pouvoir ou de la domination qu’elles exercent sur la vie des gens, ou
encore des sanctions subtiles ou directes qu’elles présagent et des valeurs
qu’elles expriment.

6.2.2 La variance
Qu’en est-il de la personne qui n’est pas paraitement conorme ? Soit elle est consi-
dérée comme unique, comme une personne à part qui a une personnalité orte et
qu’il aut respecter, soit elle est rejetée, donc exclue parce qu’elle viole les normes
du groupe duquel elle se distingue, soit elle est isolée et confnée à un monde paral-
lèle dans lequel elle devra onctionner. Le lien entre le contrôle social et la conor-
mité est donc évident : le premier a pour fnalité de conduire à la deuxième. Toute
violation des normes provoque une exclusion.
Selon les sociétés, la tolérance au non-respect des normes varie. Par exemple,
de nombreuses sociétés traditionnelles attendent une orte conormité de l’indi-
vidu, de sorte qu’une légère diérence physique ou un comportement enreignant
une coutume sont aussitôt réprimés. C’est ainsi que les personnes aux cheveux
roux ou les emmes vivant seules ont longtemps été considérées comme des
parias dans de nombreuses sociétés. Par ailleurs, encore aujourd’hui, la vie
des personnes albinos en Tanzanie est souvent menacée, car la culture de ce
pays leur prête des pouvoirs magiques. Plus proche de nous, on constate qu’il est
plus difcile de s’éloigner de la norme dans les petits villages que dans les grandes
villes. Dans nos sociétés contemporaines, particulièrement dans les milieux
urbains, la marge de liberté est plus vaste : non seulement un plus grand nombre
de modèles de comportements sont considérés comme normaux, mais on y
accepte également plus aisément une dérogation partielle à ceux-ci.
À ce sujet, Guy Rocher (1969) ait remarquer que toutes les sociétés et les
cultures orent un éventail de valeurs dominantes et de valeurs secondes (voir le
chapitre 3) et qu’elles ont preuve d’une certaine tolérance vis-à-vis des comporte-
ments qui s’en écartent. Bien que cette marge de liberté laissée à l’individu varie
d’une collectivité à l’autre, Rocher afrme qu’une part de décision revient toujours

182 parte ii L’organisation de la vie sociale


à chaque acteur. L’adaptation sociale à un milieu ne tient donc pas uniquement à Vrine
la conormité pure et simple, mais également à l’utilisation de cette marge de adhésion plus ou moins
liberté accordée à l’individu par le milieu où il évolue. Ainsi, la consommation conorm ux modèls d
occasionnelle de cannabis, le ait de payer « sous la table » son beau-rère pour des comportmnts dominnts s
travaux de rénovation ou encore de umer la cigarette pour une emme enceinte concrétisnt pr ds mnièrs
d’êtr, d’gir ou d pnsr
sont des exemples d’actes que l’on pourrait classer dans la variance. Bien qu’ayant
tolérés, mis non vlorisés, pr
commis des actes criminels, un individu n’est pas nécessairement un criminel l société ou l group socil.
aguerri ; bien qu’ayant commis des actes allant à l’encontre de la morale populaire,
il n’en est pas pour autant exclu socialement ou marginalisé.
En ait, rares sont ceux qui, tout au long de leur vie, sont en
tout point et en tout temps conormes. Ainsi, l’individu qui ne se
conorme pas totalement ne verse pas immédiatement dans la
déviance. Il passe tout d’abord par une zone grise s’éloignant de
la conormité, selon qu’il déroge partiellement ou totalement et
de manière occasionnelle ou continue à certaines normes or-
melles ou inormelles de la société.

6.2.3 L’adaptation novatrice


Enfn, l’adaptation sociale peut également s’exprimer par des
modèles de comportements innovateurs. Bien que non conormes,
ces modèles de comportements s’avèrent convenables, et parois
même positis, pour un groupe ou une société. Contrairement à
la variance, qui réère à des comportements tolérés, mais non
valorisés, l’adaptation novatrice est donc acceptable et souvent
même bénéfque. Elle est parois également appelée déviance
positive.
En eet, certains comportements qui dérogent des modèles
préérentiels véhiculés par la société peuvent s’avérer bienai-
sants. L’adaptation novatrice se concrétise par le ait, pour
une personne, de se placer en marge de l’activité sociale nor- Fumr l cigrtt pour un mm ncint st
male ou de s’exclure en adoptant une logique autre que celle tout à it légl, mis considéré comm illégitim
communément admise, logique ondée sur d’autres valeurs, dns notr société. en it, il rriv à tous d
sur une légitimité diérente, redéinissant ainsi les modèles de nvigur dns l fou d l léglité ou d l
légitimité, s positionnnt insi dns l vrinc.
comportements vers lesquels tendre. Le mécène excentrique
ou les dévots en sont des exemples. Par ailleurs, l’adaptation
novatrice ne se vit pas seulement à l’échelle individuelle : elle peut également adpttion novtrie
se vivre par l’entremise de mouvements religieux, paciistes ou militants pour adhésion plus ou moins conorm
la déense des droits de la personne ou de ceux des animaux, ou encore ux modèls d comportmnts
dominnts s concrétisnt pr
consister en une lutte contre l’exclusion de certaines personnes ou de cer-
ds mnièrs d’êtr, d’gir ou
tains groupes de la société. L’adaptation novatrice peut ainsi être à l’origine d pnsr innovtrics qui sont
de changements sociaux proonds. ccptbls, t prois mêm
vlorisés, pr l société ou
l group socil.
FaiTEs LE PoinT

6. Qu’est-ce que l’adaptation sociale ?


7. Qu’est-ce que la conormité ?
8. Comment s’explique la variance ?
9. Qu’est-ce que l’adaptation novatrice ?

chpitre 6 L contrôl socil 183


6.3 L’adaptation sociale pathologique
Si l’adaptation sociale se traduit par une acceptation minimale des normes sociales,
l’adaptation sociale pathologique se traduit, au contraire, par des comportements
hors-norme, illégaux ou illégitimes.
adtton ocle Les comportements hors-norme (crime, suicide, délinquance, toxicomanie,
thologque prostitution, etc.) ne découlent pas à proprement parler d’une inadaptation
résultats conjugués du sociale, comme on serait tenté de le croire. Sur le plan sociologique, ils peuvent
pocessus de socialisation et être le résultat normal d’un processus de socialisation menant à des comporte-
des mécanismes de contôle ments conormes au contrôle social exercé dans le milieu ou le groupe de réé-
social endant l’individu apte à rence ou d’appartenance de l’individu. En ait, ils peuvent même découler d’un
appateni à un goupe social
désir de se conormer trop paraitement au modèle de comportement attendu.
illégal et illégitime, ou encoe
à se confome de manièe
Ces deux cas ne relèvent donc pas de l’inadaptation, mais plutôt de l’adaptation
excessive et néfaste. sociale pathologique, c’est-à-dire morbide ou socialement malsaine.
L’adaptation sociale pathologique peut se traduire soit par la surconormité,
soit par la déviance. Afn de mieux circonscrire ces notions, nous pouvons pos-
tuler que les actes humains se répartissent à l’intérieur d’un champ continu
(voir la fgure 6.1). Ainsi, ils vont de la déviance (actes nuisibles et répréhensibles
considérés comme anormaux parce qu’illégaux et illégitimes) jusqu’à la surcon-
ormité (actes acceptés ou valorisés, mais considérés comme anormaux, car
poussés à la limite de la légalité ou de la légitimité), en passant par la conormité,
la variance ou l’adaptation novatrice (actes jugés acceptables, souhaitables ou
normaux parce que légaux ou légitimes). Comme le montre ce modèle, les ron-
tières entre ces trois situations dépendent du seuil de tolérance de la société au
regard des actes accomplis et de la défnition qu’elle veut bien en donner. Cela
revient à dire que nous pouvons tous être déviants à un moment ou à un autre de
notre vie. En eet, il nous arrive à tous d’aller à l’encontre de ce qui est jugé
normal, de ce qui est largement répandu ou accepté, bien que la plupart d’entre
nous se situent le plus souvent dans la zone de conormité.

Figure 6.1 L’dtton ocle : de l dévnce à l urconformté


ACTES ACCEPTÉS Légalité
ET VALORISÉS

Adaptation Surconformité
novatrice
Conformité Variance

Légitimité Illégitimité

Variance Déviance

ACTES NUISIBLES ET
Illégalité RÉPRÉHENSIBLES
surconformté
Compotement de l’individu
qui, placé devant une autoité 6.3.1 La surconformité
supême ou devant la pession
éelle ou imaginée d’un goupe, La surconformité est une orme d’adaptation pathologique qui peut être atteinte
est conduit à une soumission inconsciemment, sans que l’individu maîtrise réellement ce qui lui arrive. Le psy-
totale. chosociologue états-unien Stanley Milgram (1974) a creusé la question de l’eet

184 prte ii L’oganisation de la vie sociale


de la pression exercée par l’entourage sur le degré de conormité et, à certains
moments, de surconormité des individus qui y sont soumis.
Après avoir sélectionné pour son expérience un certain nombre de sujets
issus de diérents milieux socioéconomiques, Stanley Milgram leur a confé un
rôle de moniteur à l’égard d’une « personne-élève » qui devait répondre à
quelques questions. Cette personne, à l’insu du moniteur, était de connivence
avec Milgram. Les moniteurs avaient le pouvoir d’iniger une décharge élec-
trique de 15 à 450 volts, graduée selon une échelle de 30 niveaux, à l’élève isolé
dans une autre pièce, chaque ois que celui-ci donnait une mauvaise réponse à
la question qui lui était posée. Milgram avait demandé à l’élève complice de
simuler l’eet de la décharge électrique, évidemment fctive, selon son inten-
sité. La réaction de l’élève allait du silence total à la supplication. Avant l’expé-
rience, Milgram avait soumis chaque « sujet-moniteur » à une décharge réelle de
45 volts afn qu’il connaisse l’eet de ce courant électrique sur l’être humain.
Par ailleurs, un second complice représentant l’expérimentateur se tenait à côté
du moniteur pour lui rappeler de donner des décharges s’il omettait de le aire
(voir la fgure 6.2, page suivante).
Les résultats obtenus urent renversants. Nul n’aurait pu prévoir des réactions
aussi excessives de la part des moniteurs. Une proportion importante de ceux-ci
allaient jusqu’à aire subir la décharge maximale de 450 volts, tout en ayant la cer-
titude qu’ils torturaient l’élève. L’un des participants justifa son geste en disant
qu’il avait eectué du bon travail. L’agonie de la victime ne le concernait pas ;
pour ainsi dire, il avait ait son « devoir ».
Comment se ait-il que des individus (deux sur trois) aient pu agir délibéré-
ment de cette açon envers des personnes qui leur étaient inconnues et envers
lesquelles ils n’entretenaient objectivement aucune agressivité ? Peu de moni-
teurs semblaient heureux (possibilité de 2 % de cas pathologiques) d’iniger les
décharges électriques. Selon Milgram, la seule explication à une telle soumission
serait que l’individu ait passer son obéissance à l’autorité (en l’occurrence, à l’ex-
périmentateur qui se tenait à côté du « sujet-moniteur ») au-dessus de sa morale.
Certains moniteurs soulignèrent, d’autre part, que le ait d’être séparés des parti-
cipants les incitait à exercer sur eux un pouvoir plus intense. Ils avouèrent qu’ils
n’auraient pu agir de cette manière envers des élèves placés en ace d’eux. Ainsi,
l’impersonnalité des individus les uns par rapport aux autres intensife le pouvoir
des uns et accroît la crainte et la soumission des autres. Des expériences sem-
blables sont encore eectuées aujourd’hui, malgré les problèmes éthiques inhé-
rents à ce type d’expérimentation, et en arrivent à des résultats semblables allant
jusqu’à 81 % de taux de conormité (Nick, 2009).
De açon générale, cette explication semble tout à ait plausible. La société
actuelle, par exemple, ne nous amène-t-elle pas à subir des ormes d’autorité
impersonnelles qui reposent sur des titres plutôt abstraits, comme ceux de
médecin, d’enseignant, de président-directeur général ou de directeur adjoint, ou
sur des apparences précises, comme l’uniorme du policier, du gardien ou du
militaire, le sarrau du technicien ou du chercheur ? Nous nous soumettons – sou-
vent sans nous poser de questions – au pouvoir de ces fgures d’autorité.
Même en l’absence d’une fgure d’autorité, les pressions sociales peuvent
mener certaines personnes, dans certains contextes, à la surconormité. Poussant
à se conormer en tout point à un modèle proposé, les pressions ressenties,
qu’elles soient réelles ou imaginées, sont parois si ortes qu’elles peuvent même
pousser l’individu à des comportements délétères. Par exemple, certains troubles
alimentaires, dont l’anorexie, peuvent être considérés comme une orme de

chapitre 6 Le contrôle social 185


Figure 6.2 La rerésentaton schématque e l’exérence e Mlgram

L’xpérimnttur (e) mèn l sujt (S) à infigr ds chocs élctriqus à un utr prticipnt,
l’pprnnt (a), qui st n it un ctur. L pluprt ds prticipnts continunt à infigr ls déchrgs
jusqu’à l’intnsité mximl prévu (450 V), n dépit ds plints d l’ctur.

surconormité résultant d’un désir d’adhérer paraitement au modèle esthétique


socialement valorisé, au risque de sa propre santé. Il s’agit donc d’une orme
d’adaptation sociale pathologique, car ces comportements néastes résultent
d’une soumission inconsidérée à des pressions sociales.

6.3.2 La déviance
dévance Le ait de ne pouvoir onctionner dans le cadre de règles, contenues ou non dans
ensmbl ds mnièrs d’êtr, des lois préalablement acceptées par l’ensemble de la société, conduit à la
d’gir t d pnsr jugés déviance. Globalement, la déviance inclut toutes les actions qui enreignent les
nuisibls, répréhnsibls t normes établies en matière de légalité et de légitimité. Elle se défnit, en d’autres
inccptbls pr un group ou mots, comme la transgression des règles normatives d’institutions comme la
un société u rgrd d’un amille, les associations ou les entreprises, ou simplement des règles de vie dites
dénition d l normlité.
« normales ».
Soulignons que la déviance ne vient pas de l’individu. Ce sont en eet les
groupes sociaux qui créent des règles et qui déterminent quelles inractions
relèvent de la déviance. La déviance n’existe pas en soi, de açon naturelle : elle
est la conséquence d’un jugement porté par autrui sur un acte que commet un
individu, d’une perception rattachée à une défnition de la normalité. Prenons
l’exemple d’un individu, membre d’un groupe quelconque, qui dénoncerait une
politique de son groupe visant à exclure les emmes, les Noirs, les homosexuels

186 parte ii L’orgnistion d l vi socil


ou les personnes handicapées. Il erait alors preuve d’une déviance négative par
rapport à ce groupe, bien que son comportement soit perçu positivement au
regard des principes déendus par la société en général. C’est dire qu’un compor-
tement jugé négativement par certains peut être positi pour d’autres. Ce constat
confrme que la rontière entre l’acte déviant et l’acte conorme est circonstan-
cielle ; elle n’est donc pas immuable.
Quels sont les acteurs qui entraînent les individus dans une situation de non-
respect des normes d’un groupe ou de la société ? Comme nous l’avons déjà men-
tionné, le ait pour un individu d’enreindre certaines normes peut entraîner un
coût important pour lui, comme des sanctions ormelles ou inormelles de la part
d’une partie de son entourage. Ainsi, il peut aire ace à la désapprobation géné-
rale, perdre ses amis ou même être emprisonné. Pourquoi, alors, la déviance est-
elle présente dans notre société ? Doit-on considérer qu’elle ait inévitablement
partie de notre quotidien ? Est-elle due à une décadence momentanée de la
société ou à son mauvais onctionnement ?

Des explications de la déviance


Plusieurs sociologues se sont penchés, conjointement avec des psychologues, sur
la question de la déviance et de son origine. Celui que l’on pourrait qualifer de
pionnier dans la sociologie de la déviance, Émile Durkheim, afrme qu’elle est le
résultat d’un désordre social. Durkheim (1930) appelle « anomie » le plus haut degré
de déviance, qui caractérise, dans une société, une situation où les normes ne signi-
fent plus rien, où les règles ne sont plus reconnues. Quand l’anomie s’installe, les
individus onctionnent dans l’indiscipline. Selon Durkheim, l’anomie se trouve aussi
bien dans l’éclatement de petites communautés traditionnelles que dans des struc-
tures plus organisées de centres urbains modernes. L’incohérence et l’ambiguïté
des comportements sont présentes dans ces deux types de situations. Lorsqu’il
n’y a aucune ligne de conduite reconnue par l’ensemble de la société, les passions,
qui sont des orces indépendantes, peuvent amener les individus à un point de
non-retour qui les empêchera d’adopter des comportements jugés normaux. Selon
Durkheim, l’anomie apparaît dans les périodes de bouleversements sociaux néga-
tis, comme durant une récession ou une crise sociale. Les gens deviennent alors
moins sûrs d’eux, plus agressis, plus dépressis, ce qui donne lieu à une recrudes-
cence d’actes violents comme le meurtre et le suicide. Durant une telle période de
perturbations, il est très difcile de rendre signifcative pour ces personnes la
notion de conormité, devenue à leurs yeux moins légitime ou souhaitable.
Robert K. Merton, sociologue états-unien (1965), s’est également penché sur
cette question. Selon lui, les désirs des individus viennent du contexte sociocul-
turel dans lequel ils se trouvent. Chaque culture détermine les buts que doivent
atteindre les individus ainsi que les moyens qu’ils doivent utiliser pour y par-
venir. Pour les Nord-Américains, la possession de biens matériels est un objecti
important. Ainsi, le « rêve américain » repose sur une recette du succès ondée sur
l’école, le travail, l’opportunisme et le désir de vaincre. Dans cette optique, tous
les individus doivent et, surtout, peuvent réussir, être gagnants à ce jeu.
Cependant, au-delà du potentiel individuel et de la volonté de chaque personne,
la structure sociale est loin de permettre à tous d’atteindre les mêmes buts. Les
moyens ournis pour tendre vers l’objecti, la réussite, nous échappent sans cesse
et les attentes sont disproportionnées au regard des possibilités réelles. Il en
résulte inévitablement un dérèglement du onctionnement du système social
étant donné le paradoxe suivant lequel le possible est impossible. La rupture
entre l’illusion et la réalité est donc très douloureuse. Les individus se rendent
compte que tout n’est pas accessible à tous – l’argent, les biens, les services, le
statut social – et qu’au lieu d’attribuer ce ait à l’écart entre l’idéal et la réalité, la

chapitre 6 Le contrôle social 187


société jette le blâme sur les personnes jugées incapables de satisaire aux exi-
gences de la réussite. Autant on admire ceux qui se débrouillent bien dans la vie,
autant on condamne ceux qui n’y arrivent pas.
Devant cette relation inégale entre les buts (les valeurs, les idéologies, etc.) et
les moyens de les atteindre (ce que chacun era, concrètement, pour réaliser un
idéal), Merton a élaboré une théorie de la déviance qui ait réérence à quatre
types d’adaptation individuelle pathologique.
Le tableau 6.4 montre que la rontière entre la conormité et la déviance est à la
ois ragile et rigide. La moindre dérogation en ce qui concerne l’acceptation des
buts que la société nous demande d’atteindre et des moyens qu’elle nous demande
d’utiliser nous ait tendre vers la déviance. Les types de déviance mentionnés
dans le tableau mettent en lumière les contradictions entre les valeurs dominantes
d’une société et les moyens dont disposent certains groupes pour s’y conormer.
Le tableau de Merton tente de reéter les diverses ormes d’adaptation obser-
vables dans une société en ce qui a trait à la « normalité ». La poursuite du but
« succès matériel », par exemple, incite les individus à se conormer dans la mesure
où ils adhèrent à cette valeur et aux moyens socialement acceptés d’y parvenir
(travail, eort, études, etc.).
Ceux qui adhèrent également à ce but, mais qui se désaflient des moyens
considérés comme acceptables en regard de la légitimité et de la légalité, sont
contraints de trouver de nouveaux moyens (illégitimes ou carrément illégaux)
de l’atteindre, comme le trafc de drogue, le trafc d’inuence et les raudes de
toutes sortes. Ce type de déviance correspond, dans le tableau de Merton,
à l’innovation.
D’autre part, l’impossibilité pour certains individus d’adhérer aux valeurs
sociales dominantes, parce qu’ils les considèrent comme inaccessibles, dépas-
sées ou moralement inacceptables, peut les conduire à se joindre à des groupes
ayant des croyances diérentes (des Églises, des sectes, etc.). Par exemple, ces
personnes se désaflient du but « succès matériel » et poursuivent des buts autres
(ascétisme religieux, dévouement total au développement spirituel, etc.), souvent
jugés illégitimes sinon illégaux, tout en acceptant de les poursuivre par des
actions (des moyens) socialement acceptables. Cette non-concordance s’exprime
dans le ritualisme.
L’évasion, quant à elle, se traduit par un reus à la ois des valeurs et des
normes de conduite. Elle exprime une orme de démission qui se manieste par la

Tableau 6.4 Les modes d’adataton selon Merton


Mode d’adaptation But Moyen Exemples
Conomé adhéson adhéson Éudn, vlleu, ec.
innovon adhéson reje (désflon) Voleu, udeu, ec.
rulsme reje (désflon) adhéson Sece, communué
emée, ec.
Évson reje (démsson) reje (démsson) Décocheu, oxcomne,
ec.
rébellon reje (coneson) reje (coneson) teose, cvse
exémse, ec.

188 parte ii L’ognson de l ve socle


uite dans des comportements excessis comme l’alcoolisme, la toxicomanie, le
décrochage ou encore, la passion excessive pour un passe-temps. Dans ce cas,
les buts socialement valorisés tout comme les moyens considérés comme accep-
tables par la société sont rejetés, sans pour autant être contestés directement.
Cette orme de déviance peut être associée à la marginalité dans la mesure où,
au-delà d’une orme pathologique d’adaptation sociale, elle semble plutôt relever
de l’inadaptation.
Finalement, la rébellion signife une orte
contestation, pouvant aller jusqu’au remplace-
ment des valeurs et des normes sociales reje-
tées. Les individus s’intègrent alors à de nou-
veaux groupes, distincts de l’ensemble de la
société sur le plan idéologique. Les mouve-
ments terroristes du monde entier illustrent ce
type de comportements déviants. Dans ce der-
nier cas, non seulement les buts et les moyens
socialement acceptables sont-ils rejetés, mais
ils sont aussi contestés.
Les attitudes d’innovation, d’évasion et de
rébellion sont les plus menaçantes pour une
société, puisqu’elles reusent son onctionne-
ment et qu’elles s’attaquent aux gestes et aux
actions qui servent à construire la société.
L’attitude ritualiste, quant à elle, ne s’arrête
La forme de déviance associée au ritualisme a peu d’effets néfastes sur
qu’aux idées, ce qui est moins menaçant : un la société comparativement aux autres formes de déviance décrites par
combat d’idées se maîtrise mieux et a moins Merton, bien qu’elle provoque parfois un choc des valeurs et des idéologies.
de conséquences qu’un combat de rue.
La théorie de Robert K. Merton se onde sur l’afrmation selon laquelle la
déviance est un produit de la société et non un comportement anormal de l’indi-
vidu. Au-delà du ait que le comportement d’un individu n’est pas anormal dans
l’absolu, mais uniquement en regard d’une normalité toute relative, Merton
considère que les gens qui adoptent un comportement déviant le ont parce que
la société les y a, dans une certaine mesure, contraints. En eet, les besoins
créés de toutes pièces par leur contexte social ne peuvent être satisaits au
moyen de comportements jugés normaux. La publicité nous dit que si nous
sommes beaux, riches, et en bonne santé, si nous avons un corps parait
et sommes bien éduqués, la réussite sera à nous, tant dans le domaine de l’amour
que dans celui des aaires, et nous vivrons des aventures inoubliables… Mais
comment est-il possible pour un très grand nombre d’individus de réunir toutes
ces caractéristiques ?
L’explication de l’existence, du développement et de la persistance de la
déviance ne décrit pas vraiment le processus par lequel un individu devient
déviant ; elle permet cependant de constater l’eet du groupe, qui provoque l’ap-
parition d’un comportement hors des normes. Elle nous ait donc découvrir que
la déviance peut être liée à la notion de sous-groupe : celui-ci bâtit sa propre his-
toire, exerce sa propre inuence sur les individus au-delà des générations, des
normes et des valeurs reconnues par la société (la normalité). La Mafa est un
groupe considéré comme déviant selon la catégorisation de Merton. Il peut toute-
ois susciter l’admiration et le respect de certaines personnes en raison de son
histoire, de son importance ou de son mystère, et attirer ainsi dans ses rangs des
individus qui se conormeront aux normes de ce groupe.

chapitre 6 Le contrôle social 189


La déviance : une étiquette
Même si un individu choisit la déviance, d’un point de vue sociologique, celle-ci est
considérée comme un produit de la société. Ainsi, le comportement déviant
est jugé comme tel parce qu’on lui appose cette étiquette.
Par exemple, lorsqu’un individu a commis un crime, la plupart des gens ont
tendance à interpréter ses comportements passés en onction de sa situation
actuelle et à extrapoler ce qu’il deviendra. L’individu subit alors le rejet ou la dis-
crimination, qu’il lui sera très difcile de surmonter. Ce aisant, la société lui ren-
voie une image de déviant, image qu’il en vient le plus souvent à intégrer. Il déve-
loppe ainsi une identité de déviant, de criminel. Les toxicomanes sont d’ailleurs
victimes de ce phénomène. Les rapports qu’ils entretiennent avec des milieux où
l’on ne consomme pas de drogue et qui pourraient objectivement les aider à s’en
sortir ont souvent l’eet inverse. En leur renvoyant l’image d’irrécupérables, ces
milieux alimentent au contraire le cercle vicieux, ancrant chez la personne toxi-
comane son identité de déviant. De la même manière, l’alcoolique à qui l’on rap-
pelle sans cesse son problème, en ne lui accordant ni crédibilité personnelle ni
soutien dans la prise de conscience de son état, peut chercher reuge auprès de
gens qui lui ressemblent et sombrer ainsi de plus en plus dans l’alcool. Il adopte
alors un mode de vie basé sur une déviance périodique ou permanente.
Dans notre société, des individus ont donc le pouvoir ultime d’étiqueter, de
classifer et de rejeter d’autres individus. Ce phénomène doit être pris en
compte quand on tente de saisir l’origine et le développement de la déviance.
La condamnation répétée des gestes accom-
plis par un individu et l’humiliation qu’il subit
continuellement amènent celui-ci à recher-
cher la protection d’un groupe qui corres-
pond à ce à quoi il est identifé. Comme n’im-
porte qui, il cherchera à réquenter un groupe
qui lui procurera assentiment et valorisation.
Il arrive parois que des personnes n’ac-
ceptent pas l’étiquette qu’on leur donne et
qu’elles luttent pour qu’un acte isolé de
déviance ne soit pas reconnu comme le début
d’une vie déviante. Ainsi, l’individu violent
qui trouve des excuses à son comportement
en disant qu’il ne pourrait jamais rapper
quelqu’un ou le père incestueux qui qualife
son acte d’impulsion passagère souhaitent,
en ait, ne pas être étiquetés comme déviants.
Ces exemples montrent que l’étiquette qui
nous est apposée par notre entourage a une
La déviance est défnie arbitrairement et, de ce ait, varie selon l’époque grande inuence et crée une orte pression
et le lieu. L’homosexualité, par exemple, a longtemps été considérée
(issue du contrôle social) sur ce que nous
au Canada comme une déviance, et même comme criminelle.
sommes ou désirons être.

La déviance : une notion mouvante


Comme la normalité, la déviance est une notion dont les rontières sont mouvantes.
Par exemple, certains comportements sont jugés déviants parce que les personnes
qui détiennent le pouvoir défnissent la déviance en onction de leurs propres inté-
rêts. Si les intérêts viennent à changer, ces individus adoptent alors une tout autre
argumentation, parois même contraire à la précédente. L’exemple de la légalité
de certaines drogues par rapport à d’autres, déinie en onction de critères

190 parte ii L’organisation de la vie sociale


arbitraires, illustre bien cet état de ait. C’est ainsi qu’actuellement, la marijuana
est jugée illégale sous prétexte qu’elle perturberait davantage le cerveau et serait
plus nocive que la cigarette ou l’alcool. Pourtant, ces deux derniers produits, dont
les eets ortement délétères sur la santé ont été démontrés, sont vendus au coin
de la rue. De même, la loi sur le viol a été interprétée pendant des décennies en
aveur de l’homme. En eet, le viol était considéré comme criminel seulement
lorsque la victime et l’agresseur n’étaient pas mariés. Un mari pouvait donc léga-
lement violer sa emme. D’autre part, on avait tendance à présenter la emme violée
comme ayant provoqué l’homme, comme ayant excité ses sens. De ce ait, elle
n’était plus la victime, mais l’accusée. Encore aujourd’hui, de solides tabous per-
sistent et découragent plusieurs victimes de porter plainte. Selon certaines esti-
mations, 54 % des agressions sexuelles aux États-Unis ne sont jamais rapportées,
et moins de 3% des violeurs avérés seront incarcérés (Rape, Abuse and Incest
National Network, 2012).
Les mécanismes qui conduisent à la production des lois sont donc inuencés
par les intérêts personnels, les conits et les négociations qui sont à la base du
processus de défnition des règles juridiques. Le contrôle social se onde ainsi sur
les valeurs des groupes dominants dans une société. Pour Bourdieu, notamment, les
lois servent la reproduction des idéologies et des intérêts de ces groupes domi-
nants et assurent le maintien de la stabilité et de l’ordre établis. La déviance n’est
conséquemment pas un absolu qui va de soi, ni une notion immuable, mais un ac-
teur social changeant.
En ce sens, la société ou certains groupes peuvent renorcer les sanctions
négatives à l’endroit de certains gestes. On a ainsi vu la violence aite aux emmes
et aux enants aire l’objet de lois plus sévères par suite des pressions exercées
par le mouvement éministe. On a également vu le législateur, compte tenu de
l’émotion suscitée dans la population par certains crimes commis par des jeunes,
rééchir à la possibilité de changer la loi afn de les poursuivre devant les tribu-
naux pour adultes. À l’inverse, certains comportements peuvent tendre, à l’occa-
sion de transormations des valeurs d’une société, à être décriminalisés. Ce ut le
cas au Canada à partir de la fn des années 1960 pour les rapports homosexuels,
la tentative de suicide, la vente de produits anticonceptionnels et l’avortement. Il
convient donc de aire preuve de discernement quand il s’agit de déterminer ce
qui est déviant et ce qui ne l’est pas, puisque la déviance est une conséquence de
l’application, par d’autres personnes, de normes et de sanctions à un transgres-
seur. Elle est donc le produit des institutions qui exercent un contrôle social et
n’est pas rattachée à un acte individuel.

La déviance et les inégalités sociales


Les gens sont-ils tous égaux devant la loi et ses sanctions ? Certaines études
menées aux États-Unis par diérents organismes, dont Human Rights Watch et le
Justice Policy Institute, et basées sur des données ournies par le gouvernement
états-unien, révèlent que les minorités visibles sont proportionnellement surre-
présentées dans la population carcérale, qu’elles sont sanctionnées plus sévère-
ment que les Blancs et qu’elles ont moins de moyens de se déendre que les Blancs
devant les tribunaux.
Selon l’organisme Human Rights Watch (2012), les personnes de couleur
constituaient, en 2011, 77 % de tous les jeunes qui purgent une peine à perpé-
tuité sans possibilité de libération conditionnelle alors qu’ils représentent
moins de 30 % de la population états-unienne. Les Aro-Américains, qui ne
représentent qu’environ 13 % de cette population, constituaient environ 45 %
des individus incarcérés dans les prisons d’État pour inractions liées aux

chapitre 6 Le contrôle social 191


stupéfants ; 27 % seulement étaient blancs.
Évidemment, ces données n’expliquent pas
les acteurs ou les antécédents judiciaires
(par exemple, la pauvreté et tous les pro-
blèmes qui s’y rattachent) qui contribuent à
une telle disproportion. Elles contribuent tou-
teois à établir, avec les données qui suivent
et les résultats de nombreuses recherches,
l’existence d’une tendance au racisme chez
les autorités judiciaires.
En ce qui a trait à la nature et à la sévérité
des peines, certaines données montrent en
eet que le contrôle social s’exerce diérem-
ment sur l’individu selon qu’il s’agisse d’un
On constte dns le système crcérl une surreprésenttion des groupes Blanc ou d’un membre d’une minorité visible.
sociux les plus touchés pr les inéglités sociles, notmment en rison Par exemple, toujours d’après Human Rights
de leur origine ethnique ou de leur clsse socile. Watch (2012), les peines édérales sont bien
plus sévères pour des délits liés au crack,
une drogue « de la rue », que pour des inractions impliquant la poudre de
cocaïne, une drogue « de luxe », alors qu’objectivement, ces deux substances
sont tout à ait comparables. De même, les Noirs représentent 12 % de la popu-
lation états-unienne, mais 42 % des condamnés à mort. Au contraire, les Blancs
constituent 44 % des condamnés à mort alors qu’ils représentent 72 % de la
population (Seelow, 2011). En ait, un Noir qui a tué un Blanc risque beaucoup
plus d’être exécuté qu’un Blanc qui a tué un Noir. En eet, bien que les Blancs
représentent une minorité des victimes de meurtres, 80 % des sentences de
mort prononcées le sont à l’égard de meurtriers ayant assassiné des Blancs
(Seelow, 2011). Ces quelques constatations, parmi de nombreuses autres,
portent à croire que la peine de mort aux États-Unis est un acte porteur d’injus-
tice raciale.
proflage racal Par ailleurs, une étude de l’Open Society Justice Initiative (2009) a établi
appliction de l prt de qu’en France, comparativement aux Blancs, les probabilités de contrôle poli-
représentnts de l’utorité d’une cier étaient six ois plus élevées pour les Noirs et huit ois plus élevées pour les
mesure, sns motif risonnble, Arabes. De plus, le proflage racial ait en sorte qu’une orte proportion de ces
sur une personne en rison contrôles aurait lieu en l’absence de signes extérieurs d’inraction. Or, des taux
de l couleur de s peu ou
d’arrestation plus élevés entraînent éventuellement des taux d’incarcération
de son pprtennce ethnique,
ntionle ou religieuse, réelle
plus élevés : « Si les Noirs avaient 2,5 ois plus de chances qu’un Blanc d’être
ou présumée. arrêté en 2006-2007 sur l’île de Montréal, ils avaient 4,2 ois plus de risques
d’être interpellés. Ces taux atteignent les niveaux les plus élevés (de 7 à 11 ois
plus de chances d’être interpellés) dans des quartiers ou la population noire
est peu présente » (Bernard et McAll, 2010, p. 8). Cette surreprésentation des
minorités pourrait s’expliquer par la précarisation économique de certaines
populations. Cependant, cette réalité ne justife pas le ait que les minorités ne
semblent pas jouir des mêmes droits que la majorité devant la justice (voir le
chapitre 8).
Une réalité quelque peu similaire semble exister quant au traitement réservé aux
criminels issus des communautés autochtones. En eet, selon la Commission des
libérations conditionnelles au Canada (2010), bien que les Autochtones orment
moins de 4 % de la population canadienne, ils représentaient plus de 17 % de la
population de délinquants sous responsabilité édérale en 2009 ; 69 % des délin-
quants autochtones étaient des Amérindiens, 26 % des Métis et 4 % des Inuits. En ce
qui concerne les jeunes Autochtones, il appert que ceux-ci sont plus susceptibles

192 parte ii L’orgnistion de l vie socile


d’être gardés en détention provisoire. La situation socioéconomique précaire de
nombreux Autochtones au Canada, conjuguée avec la perte de leur culture et
de leur appartenance à une communauté ainsi que la jeunesse de leur population
en comparaison avec la population canadienne en général, explique en partie leurs
comportements délinquants.
Il existe aussi certaines inégalités ace à la justice reliées à l’origine sociale :
« L’accès à la justice, qui constitue un problème bien plus complexe que l’accès à
l’inormation ou à l’avocat, a pour eet que les personnes les plus pauvres, celles
qui ont peut-être le plus besoin du droit, éprouvent des difcultés parois insur-
montables pour accéder au prétoire, surtout à celui des hautes cours » (Firens,
2008, p. 52). De plus, les gestes illégaux commis par des jeunes et des adultes
mieux nantis risquent moins d’attirer l’attention des autorités judiciaires, parce
qu’une partie de la population ainsi que les politiques et pratiques en matière
d’application des lois exercent une discrimination directe ou indirecte envers les
plus démunis. C’est sans compter le ait que les amilles des jeunes délinquants à
revenu élevé ont plus de ressources, ce qui réduit le risque pour ces derniers
d’être arrêtés et reconnus coupables d’actes criminels. En ait, la diérence entre
classes sociales tient au ait que les gestes posés par les personnes les plus nan-
ties sont perçus et considérés davantage comme un déf envers l’autorité (illé-
gaux, mais légitimes), alors que ceux qui sont posés par les personnes les plus
déavorisées sont perçus à la ois comme étant illégaux et illégitimes.
En défnitive, la déviance – qu’elle soit associée à la criminalité que pratiquent
les personnes qui ne respectent pas les lois, à la révolte que maniestent les per-
sonnes qui rejettent la société ou à la violation des règles quotidiennes – est une
transgression des normes. Cette transgression peut touteois être perçue et sanc-
tionnée de diverses manières.

RésEau dE concEPTs L’adaptation soiale pathologique

Suconfomté

innovaton mène à Cmnalté


Adaptation sociale peut mene à
pathologique

rtualsme
peut ête de
Dévance
l’ode de
rébellon

inadaptaton
Évason mène à socale
(magnalté)

6.3.3 La criminalité
Il n’y a pas une manière innée ou héréditaire de se comporter avec ses semblables.
Les êtres humains apprennent, au cours de diérentes situations sociales, ce qui
est acceptable et ce qui ne l’est pas. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’univers

chapitre 6 Le contôle socal 193


des valeurs auxquelles adhère l’individu est défni par les milieux de socialisation
au sein desquels il peut aire l’apprentissage aussi bien de la conormité que de la
déviance (voir le chapitre 3).
La déviance peut donc s’enseigner dans une sous-culture ondée sur le
crime. Celui-ci peut devenir tout aussi rationnel que l’est la conormité pour la
majorité. Un adolescent ne boira pas d’alcool s’il est seul : c’est le contact avec
des amis ou des parents qui l’amène à consommer de l’alcool et ait de lui un
« buveur social » ou un alcoolique. Les techniques du crime, et surtout la moti-
vation à le commettre, les règles de conduite et toutes les attitudes qui s’y rat-
tachent conduisent à l’apprentissage de la criminalité ; cela ne se ait pas du
jour au lendemain. Cependant, il arrive un moment où l’individu se trouve
dans une situation où le comportement criminel devient une açon de se valo-
riser. L’enracinement dans la déviance dépend de la régularité du contact avec
le milieu qui valorise la violation des règles de la société. Autrement dit, l’indi-
vidu ne devient pas déviant par lui-même : il doit aire partie d’une sous-
culture qui se donne comme style de vie le non-respect des normes sociales.
En ce sens, certains chercheurs voient la prison comme une école du crime
(voir l’encadré 6.2).

Encadré 6.2 Sociologue en Action

Shirley Roy, professeure titulaire à l’UQAM

L son : volà un lu où s’xc en , slon roy, Lbg  Cousnu (1992), l « ol c-
un conôl socl mon, qu l mnl » s clmn dén slon l sx. touos, ls
socologu Shly roy, ujoud’hu donnés nlysés n démonn s l’xsnc d’un -
ossu u Démn d mn éénl ds mms usqu clls qu s ouvn
socolog d l’UQaM,  éudé. au n son su un bs sysémqu n’on s comms ds
sn du Cn d chch su l’- déls lus gvs qu ls homms dns l mêm suon.
nénc, l uvé  l’xcluson ans, ou ds msus énls équvlns, ls mms n
ésnn s un ol d délnqunc lus séux, c qu
socl (Cri), don ll s l cos-
lss co qu’lls son snconnés d mnè smblbl
onsbl, ll ousu ds vux
ux homms. en , l mn énl qu subssn ls
dcmn lés u conôl socl. pou dvn un ll sé-
mms vvn ds nccéons mulls smbl mêm,
cls, Shly roy  oond son qusonnmn su ls dns cns cs, lus sévè qu clu ds homms.
noms socls  c qu  n so qu ds ndvdus lu
obéssn, ls subssn, ls consn ou nco n dévn. p llus, ls comomns oléés  l mnè d ls
snconn n sn s ls mêms ou ls homms 
p xml, dns s hès d doco, c socologu  ou ls mms. L mn déncé slon l sx (voir
éudé l conc d conôl socl n obsvn commn le chapitre 9) s donc cbl mêm dns l conôl
clu-c s mns slon qu ls dénus son ds homms socl, c qu xlqu n  l ésnon o-
ou ds mms. ell  moné qu l son ouv ê un lu mn dsooonné n ls homms  ls mms dns
d déncon du conôl socl  d oducon d ls sons. ans, l mgnlé ds homms s lus sou-
modèls socux, nommn ds oms cls d ou- vn jugé délnqun  oné vs l sysèm énl los
vo (roy, 1990). pllèlmn à cl, l chchus s’s qu l mgnlé ds mms s é comm lvn
nogé su l ocssus d cmnlson ns qu su l d l ol  oné vs l sysèm médcosychqu.
o à l dévnc  à l mgnlé chz ls homms  en somm, ls chchs d Shly roy monn un élé
ls mms. ell  consé qu l gn xc un nfunc oubln : cll d l lus gnd onson d nos socéés
su ls mécnsms d conôl socl qu mènn à un c- à l’xcluson socl à cus d mécnsms d conôl lus
è ccél. ou mons ccs.

194 parte ii L’ognson d l v socl


La criminalité peut être considérée comme la orme extrême de la déviance, criminalité
se situant au-delà de la simple illégalité et illégitimité. En eet, ce n’est pas l’in- Form xtrêm d la
raction de n’importe quelle règle ormelle qui est considérée comme un acte dévianc, caractérisé par
criminel, mais plus précisément l’inraction des lois constituant le Code cri- la transgrssion ds lois
minel, par opposition, par exemple, au Code civil ou aux règlements munici- constituant l Cod criminl.
paux. Ainsi, il est illégal de se baigner dans une ontaine publique dans la plu-
part des municipalités au Québec et une peine est prévue, sous orme d’amende,
pour l’individu qui commet une inraction à ce règlement. Celui-ci, touteois, ne
sera pas jugé criminel, puisqu’il n’a pas enreint le Code criminel, qui porte sur
les atteintes jugées les plus graves, comme le vol, les agressions sexuelles ou
le meurtre.

Une défnition de la criminalité


La criminalité peut être défnie de trois manières. Selon Bessette (cité dans Durand criminalité réelle
et Weil, 1997), il y a d’abord la criminalité réelle, c’est-à-dire l’ensemble des inrac- ensmbl ds infractions
tions commises au sein d’une population donnée dans une période précise. commiss au sin d’un
Touteois, l’impossibilité de cerner véritablement ces données non quantitatives population dans un périod
et de vérifer l’authenticité des aits et gestes rapportés ne constitue pas un terrain donné.
des plus solides pour une défnition de la réalité criminelle.
Une solution consisterait à se rabattre sur la criminalité apparente, laquelle criminalité apparente
rend compte de toutes les inractions signalées aux autorités policières, mais non ensmbl ds infractions
sanctionnées par les tribunaux. Touteois, là encore, tous les aits occasionnant signalés aux autorités poli-
des plaintes ne sont pas nécessairement déérés à d’autres instances judiciaires, cièrs, mais non sanctionnés
si bien que cette défnition de la criminalité s’avère encore une ois plus ou moins par ls tribunaux.
exacte.
Il est alors possible de considérer l’ensemble des actes et des inractions criminalité légale
défnis par le Code criminel et les autres lois, et légalement sanctionnés : il s’agit ensmbl ds infractions
de la criminalité légale. Évidemment, cette défnition de la criminalité doit, elle commiss n vrtu du Code
aussi, être examinée avec prudence, puisqu’elle relève de l’aptitude relative des criminel t ds autrs lois t
institutions judiciaires à rendre compte efcacement de la structure de la crimi- légalmnt sanctionnés.
nalité et de son évolution. Les statistiques demeurent à cet eet un bon indica-
teur de l’état du crime dans les sociétés et représentent un paramètre important
de l’analyse sociologique de la criminalité.
Si l’analyse quantitative de la criminalité reète bien ce phénomène, l’aspect
qualitati ne doit pas pour autant être négligé. Ce dernier permet de mieux perce-
voir certains aspects de ce phénomène, notamment les relations entre les vic-
times et les condamnés, le processus d’étiquetage des individus comme crimi-
nels et les actions des agents en cause dans le système pénal. L’aspect qualitati
permet également de comprendre comment l’évolution de la notion d’inraction
est liée à l’évolution des sociétés sur les plans technoéconomique (raude inor-
matique) et sociojuridique (l’approche communautaire comparativement à l’ap-
proche répressive) (voir l’encadré 6.3, page suivante).

Un portrait de la criminalité
Comme nous l’avons vu, la déviance est le plus souvent, dans la perception popu-
laire, associée à la criminalité (au regard des lois). Il est vrai, en eet, que le visage
le plus présent de la déviance dans l’actualité est celui de la criminalité. Elle semble
répandue dans la société sous diérentes ormes :
• Crime contre la personne : violation d’une loi relative au respect de l’intégrité
de la personne (meurtre, voie de ait, enlèvement, inraction d’ordre sexuel, vol
qualifé, etc.) ;

chapitre 6 L contrôl social 195


Encadré 6.3 ApplicAtion théorique

Des regards théoriques sur la criminalité

aurmn d, l crmnlé u rès bn rlvr d’un chox


ronnl  rsonnl d qulqu’un qu rc son « ln d cr-
rèr » crmnl n nn com ds vngs  ds ncon-
vénns ds gss comms. Consdéré ns, l crmnlé
s un cvé rqu  logqu qu réond à crns x-
gncs comm n’mor qul ur comormn socl, 
non un dérmnsm du mlu. Bn qu c héor r-
m à oséror d comrndr l chmnmn d l’ndvdu
crmnl, ll n  s réérnc à l sourc mêm d c
chmnmn. ell n  qu l’xlqur our clr l com-
réhnson ds gss ccomls.
prllèlmn à cs héors, l n xs un ur qu rv-
lég l rscv du conf socl. ell s bsé sur l’xs-
au-dlà d crns héors sychologqus ou bosycholo- nc d l srucur socl  d’un hérrchson ds nd-
gqus qu consdèrn l’ndvdu comm généqumn vdus  ds grous. C héor consdèr l crmnlé
norml ou comm hologqumn crmnl, l xs, n comm l conséqunc ds néglés socls  ds rors
socolog, un crn nombr d héors du hénomèn cr- d ouvor  d domnon. ans, crns ndvdus, qu son
mnl. Cs héors, ous uss vlbls ls uns qu ls connés dns ds qurrs uvrs  xclus d l réuss
urs, son rchés ux dérns rochs qu nous scolr (, ulmmn, d l réuss socl), n rrvrn
vons déns dns l chr 2. Un rmèr héor, onc- à commr ds gss llégux. Cndn, l  d’xlqur
onnls cll-là, consdèr qu l crmnlé u r l crmnlé n oncon d l noon d’néglé socl lé
l’obj d’un rnssg dns un grou donné s ls nd- à l oson socl lus ou mons élvé d’un ndvdu smbl
vdus consdèrn qu l lo n réond s déqumn à réducur. il dvn dcl, dns c sul rscv,
lurs bsons. Un ll ud u êr rnorcé r l d’xlqur l crmnlé dns ls rs, l rud ou ls
lxsm d l socéé n mèr d sncon, lxsm qu grssons sxulls chz ls nns. L’nlys ssqu n
dvn lors un cus subséqun d l crmnlé. rnd s susmmn com d’un ln sgnc nr ls
touos, rn n rm d’rmr à l’hur cull qu l’u- condons socoéconomqus  l crmnlé. il sr donc
lson ccru d l rérsson s n msur d rnr l’ug- rémuré, mlgré l dscron d crns dmnsons d
mnon d l crmnlé ou, nvrsmn, qu’un jusc l’néglé  d crns scs d l crmnlé, d conclur
lus clémn l smul. toujours d’un on d vu oncon- hors d ou dou qu cll-c s un hénomèn ror à un
nls, l crmnlé u uss êr xlqué à rr du choc grou socoéconomqu.
ds culurs sur un rror donné u momn où l résnc Chcun d cs héors xlqu un sc d l crmnlé.
d’un crn nombr d grous culurls occsonn l rn- en c sns, lls n son s oosés, ms comlémn-
conr d norms  d vlurs ros ncombls. rs. On u résumr l’or d chcun d’lls n dsn
Un ur concon, lus nrconns, osul qu l cr- qu ls néglés rovoqun ds rusrons qu mènn ls
mnlé s ssu d’un conf nr un sous-culur  ndvdus à s jondr à ds grous (sous-culurs ou conr-
l culur d l socéé n générl. il n v s d so qu l culurs) qu on l romoon d norms  d vlurs, crm-
connssnc ds norms condu à l soumsson d l’nd- nlls n l’occurrnc, dérns d clls d l socéé. pr
vdu à ds condus ds normls,  qu l crmnlé l’nrms du rocssus d soclson, ls ndvdus
résul d’un ll d l’négron socl. Un dolscn nssn lors r donnr un sns à lurs s  gss, uss
lcé dvn ls norms d son sous-grou d rs  clls crmnls son-ls.
d s mll ou d l socéé n générl u rès bn or Question
our ls comormns vlorsés r l rmr grou,
Qull roch héorqu socologqu xlqu l mux
mêm s’ls son consdérés comm dévns ou crmnls r l
l’xsnc d comormns crmnls mlgré l résnc
grou dul. L ods d’un sous-culur u donc r n
d conrôl socl ? Jusz vor réons.
sor dns c cs qu l culur mjorr s désgrèg.

196 parte ii L’orgnson d l v socl


• Crime contre la propriété : violation d’une loi
relative au respect des biens possédés par
les personnes (vol, vol avec eraction, vol
d’une voiture, incendie criminel, etc.) ;
• Crime économique : activité illégale visant à
avoriser économiquement une ou plusieurs
personnes (détournement de onds, éva-
sion fscale, corruption, raude, crime dit
technologique) ;
• Crime organisé : regroupement illégal qui
régit le onctionnement d’un ensemble d’ac-
tivités criminelles sur un territoire donné
(prostitution, trafc de stupéfants, jeux et
paris, prêt usuraire).
Selon les dernières statistiques dispo- La criminalité a bin ds visags. ell n s limit pas au crim organisé,
nibles publiées par le ministère de la Sécurité mais inclut égalmnt ds crims économiqus comm la raud ou l vol
publique du Québec, le taux global de crimi- d’idntité.
nalité au Québec va en diminuant depuis plu-
sieurs années, comme l’illustre la fgure 6.3. Les corps policiers ont ainsi enre-
gistré en 2011 près de 17 801 inractions de moins qu’en 2010 (Ministère de la
Sécurité publique, 2012). Le taux de criminalité se situait à 4 376 inractions
pour 100 000 habitants, un recul de 6 % par rapport à 2010. Cette baisse est
principalement attribuable aux inractions contre la propriété, qui composent
les deux tiers des inractions criminelles. En eet, leur taux par 100 000 habi-
tants a chuté de 8,1 % au cours de l’année.
Sur les plans méthodologique et statistique, l’analyse de la criminalité se ait
ainsi en onction des inractions qui relèvent du Code criminel (voir le tableau 6.5,
page suivante). En 2011, 81 150 crimes contre la personne ont été déclarés au
Québec. Plus de la moitié (54 %) de ces inractions sont des voies de ait. Les

Figure 6.3 L’évolution du taux de riminalité au Québe, 2002 à 2011


Taux par 5 700
100 000
habitants 5 500
5 513
5 300 5 444
5 338 5 349
5 100 5 262
5 085
4 900 5 016
4 918
4 700

4 500 4 642

4 300 4 376
4 100
2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010a 2011p
Année
a : données actualisées
p : données provisoires

Sourc : Ministèr d la Sécurité publiqu. Donnés du programm DUC 2, [en lign], www.scuritpubliqu.
gouv.qc.ca/fladmin/Documnts/statistiqus/criminalit/2011/tndancs_criminalit_2011.pd
(pag consulté l 15 octobr 2012).

chapitre 6 L contrôl social 197


Tableau 6.5 L’évoluton des nfractons crmnelles au Québec, 2010 et 2011
Catégorie Nombre Différence Taux par 100 000 habitants Variation
d’infractions 2011-2010 du taux 2011-
2010a 2011p 2010a 2011p 2010 (en %)
inrcons 81 977 81 150 −827 1 036,9 1 017,0 −1,9
conr l
rsonn
inrcons 242 689 225 050 −17 639 3 069,8 2 820,3 −8,1
conr l
roréé
aurs 42 301 42 966 665 535,1 538,4 0,6
nrcons u
Code criminel
tol 366 967 349 166 −17 801 4 641,8 4 375,7 −5,7
 : donnés culsés
 : donnés rovsors
Sourc : Mnsèr d l Sécuré ublqu. Donnés du progrmm DUC 2, [en lgn], www.scurublqu.gouv.qc.c/fldmn/Documns/
ssqus/crmnl/2011/ndncs_crmnl_2011.d (g consulé l 15 ocobr 2012).

menaces (20 %), les vols qualifés et les extorsions (9 %), le harcèlement criminel
(5 %) et les agressions sexuelles (5 %) suivent. Les homicides et les autres inrac-
tions entraînant la mort ainsi que les tentatives de meurtre représentaient au
total 0,4 % des inractions.
Par ailleurs, 225 050 inractions contre la propriété ont été déclarées au Québec
en 2011. Les principales inractions de cette catégorie étaient les vols de 5 000 $
ou moins (39 %), les introductions par eraction (22 %), les méaits (18 %) et les
vols de véhicule (10 %). Les crimes d’incendie, les vols de plus de 5 000 $ et
les possessions de biens volés composent le reste (4%) des inractions contre la
propriété avec la raude (7%).
Enfn, 42 966 autres inractions au Code criminel ont été enregistrées en 2011.
La plupart (86 %) étaient des inractions contre l’administration de la loi et de la
justice. Les actes contraires aux bonnes mœurs ou l’inconduite (7 %), les inrac-
tions relatives aux armes (4 %), la prostitution (1 %) et les autres inractions (2 %)
constituent le reste des crimes de cette catégorie.
Selon les dernières statistiques du ministère de la Sécurité publique (2012), il
existe des disparités en onction de l’âge et du sexe des auteurs de certains
types d’inractions. Ainsi, en 2010, les adultes fgurent plus souvent que les
jeunes parmi les auteurs présumés d’inractions à raison de 181 972 contre
42 929. Cependant, le taux de perpétration des inractions (basé sur la popula-
tion de chacun des groupes d’âge prise séparément) est plus élevé chez les
jeunes.
Pour ce qui est de la représentativité selon le sexe, les hommes sont nettement
surreprésentés parmi les auteurs présumés d’inractions comparativement aux
emmes. Ainsi, en 2010, les emmes ne représentaient que 21 % de tous les auteurs
présumés d’inractions. La seule inraction précise pour laquelle la représentati-
vité des emmes est supérieure à celle des hommes en 2010 est la prostitution
(157 inractions pour les emmes contre 119 pour les hommes).

198 parte ii L’orgnson d l v socl


FaiTEs LE PoinT

10. Qu’est-ce que l’adaptation sociale pathologique ?


11. Comment s’explique la surconormité ?
12. Qu’est-ce que la déviance ?
13. Comment Durkheim et Merton expliquent-ils la déviance ?
14. Il existe trois défnitions de la criminalité. Quelles sont-elles ?

6.4 L’inadaptation sociale ou la marginalité


Nous avons vu que l’adaptation sociale avait de multiples visages, certains accep- inadaptaton soal
tables ou tolérés (variance, adaptation novatrice et conormité), d’autres « patho- Lacune ou absence d’intégration
logiques » (surconormité et déviance) comme la criminalité. Touteois, la sociali- au milieu de vie rendant l’individu
sation, conjuguée au contrôle social, ne mène pas systématiquement à l’adaptation inate à aartenir à un groue
sociale. On le constate chaque jour : si la plupart des individus s’adaptent socia- social ou à se conformer aux
lement, une part considérable de la population demeure mal intégrée socialement, normes sociales ermettant de
fonctionner en société.
que ce soit ou non par choix. Il arrive donc que ce processus mène plutôt à une
inadaptation sociale qui se concrétise par la marginalité.

6.4.1 La marginalité : vivre en dehors de la société


La déviance résulte de la transgression des normes sociales, d’une attitude volontaire Margnalté
de la part d’un individu, dans une certaine mesure d’une décision individuelle. Lorsque État dans lequel se trouvent
la personne déviante se ait apposer une étiquette par la société, c’est à la suite d’actes des individus, groués ou non,
qu’elle a individuellement posés en allant à l’encontre de la légalité et de la légitimité qui fonctionnent en dehors des
d’une société de manière consciente. La marginalité est, quant à elle, déterminée par normes ou des valeurs reconnues
la société, voulue par elle. L’individu ne décide pas d’entrer ou non dans la margina- ar un groue ou une société.
lité : c’est la société qui l’exclut en lui apposant cette éti-
quette, aisant de lui un marginal contre son gré. Alors
que le criminel peut éventuellement se aire apposer une
étiquette de déviant, c’est l’étiquette d’exclu qui ait d’un
individu un marginal.
Est-ce à dire que la marginalité n’a aucun lien avec
la déviance ? Pas tout à ait. La distinction entre les
deux est réelle, mais la rontière est incertaine. La cri-
minalisation de la marginalité est d’ailleurs une réalité
dans beaucoup de cas. Il arrive en eet que certains
phénomènes, par exemple l’itinérance, soient tempo-
rairement ou durant une longue période judiciarisés.
Les conditions de vie de la marginalité conduisent ré-
quemment, pour ne pas dire inévitablement, à com- La criminalisation de la marginalité est une réalité courante.
mettre des délits. Ces deux concepts rejoignent donc Nettoyer un are-brise sur le coin d’une rue est assible d’une
des réalités parois semblables. La déviance, toute- amende de 120 $.
ois, a la plupart du temps une connotation plus crimi-
nelle, au regard des lois, alors que la marginalité
relève davantage de l’exclusion sociale. exluson soal
processus ar lequel un individu
Par ailleurs, les motis de la marginalisation des individus ou des groupes varient se voit rivé de certains droits
énormément, ce qui rend complexe la tâche de concevoir un modèle global qui ou rivilèges dans la société.

chaptr 6 Le contrôle social 199


stgmataton permettrait de traiter de tous les acteurs expliquant la marginalité. Malgré cela, un
processus d’étiquetage certain nombre de caractéristiques comme la précarité, la vulnérabilité, la ghettoï-
entraînant le discrédit sur sation, la stigmatisation et l’isolement permettent de mieux la comprendre. La mar-
une ersonne ou un groue, ginalité implique l’impossibilité pour des personnes, au nom de certaines normes,
l’emêchant d’être leinement de correspondre à la conormité. De ce point de vue, ce concept peut inclure des
acceté ar la société. catégories d’individus de toute nature, de toute origine, comme les personnes han-
dicapées, les personnes déavorisées, celles issues de certains groupes ethniques
ou celles vivant dans l’itinérance.

6.4.2 La marginalisation : un processus d’exclusion


La marginalité, comme la déviance, est défnie par le contrôle social. C’est lui qui
détermine quelles situations eront l’objet d’une exclusion sociale, comme le chô-
mage, le manque de qualifcation proessionnelle, l’orientation sexuelle, la condi-
tion physique, etc. Les marginaux sont issus du regard social, c’est-à-dire de la
perception populaire que la société a d’eux à une époque donnée. Ils sont alors
désignés comme tels dans des discours explicites ou par des pratiques sociales
discriminatoires. Cependant, l’appartenance à un ensemble de marginaux peut
s’avérer, dans certains cas, le choix de l’individu. La marginalité devient alors un
acte volontaire comme dans le cas de l’adhésion à une secte.
stgmate Que la marginalité soit imposée ou choisie, la stigmatisation que subissent les
Caractéristique d’un individu, individus marginaux n’est pas acile à vivre. Le stigmate, qui était jadis une
comme son aarence, son marque inigée sur la peau d’un individu pour signifer son inamie, est aujourd’hui
sexe, son groue ethnique une marque sociale. Des stigmates sont parois accolés à la couleur de peau, à la
ou sa classe sociale, qui jette religion, à l’ethnie et à la condition physique (c’est le cas pour certaines maladies
le discrédit sur lui. incurables et inectieuses). Certaines ormes de stigmatisation eront l’objet
d’une étude plus détaillée dans les chapitres 8 et 9.
La marginalisation prend donc orme dans l’humiliation (par exemple, les défcients
intellectuels ridiculisés), la discrimination (les Noirs à qui l’on reuse de louer un appar-
tement) et l’autoréclusion (les personnes obèses qui se cachent de peur d’être remar-
quées). Elle est beaucoup plus qu’un miroir en onction duquel chacun vit individuelle-
ment : elle est l’expression d’un rejet collecti que vivent tous les individus visés. Les
marginaux sont placés dans une situation où ils sont incapables de créer une image
d’eux-mêmes qui ne laisse pas transparaître leur véritable identité. Plusieurs d’entre
eux se reusent donc à aronter et à combattre la pression sociale à laquelle on les
soumet, ce qu’Erving Goman appelle le « syndrome de Cendrillon ». Ainsi, les margi-
naux, ne voulant pas vivre ce qu’ils sont devant l’en-
semble des gens, préèrent se trouver dans une situation
où ils n’ont pas l’obligation de porter un déguisement.
S’excluent-ils eux-mêmes de la société pour autant ?
La marginalisation provient en réalité de la majorité
envers la minorité. La société tolère mal les diérences,
qu’elles soient ethniques, sexuelles, physiques ou intel-
lectuelles. C’est donc l’intolérance qui, sournoisement,
induit une marginalisation non ofcielle et négative.
La stigmatisation peut se aire sur la base de trois
critères, qui conduisent tous à l’établissement d’une
sanction sociale très orte, sinon au rejet. Ces trois
critères nous permettent de désigner de açon plus
juste la marginalité ofcielle, c’est-à-dire celle qui est
Certaines défciences hysiques ou mentales stigmatisent les individus
reconnue, institutionnalisée et punie au nom des
et euvent mener à leur marginalisation et à leur exclusion sociale.
valeurs établies par la société, sinon par la loi.

200 parte ii L’organisation de la vie sociale


Le mode de vie est le premier critère qui permet d’identifer le marginal. Pour
la société québécoise, l’hassidisme et le naturisme en tant que modes de vie
comptent parmi les critères de marginalisation, puisqu’ils vont à l’encontre des
préceptes acceptés par la majorité. Cette marginalisation s’eectue parois dans
une société de açon tellement orte que l’individu en arrive à un certain condi-
tionnement qui l’amène à vivre de manière cloisonnée. D’autres constatent rapi-
dement l’incompatibilité des univers dans lesquels ils évoluent, parois en même
temps. Ils supportent alors difcilement cette situation, dont la dénonciation
risque d’entraîner leur marginalisation. Par exemple, même si un individu estime
qu’il est victime de la pollution comme l’ensemble de la population, il ne peut
dénoncer l’entreprise pour laquelle il travaille, si polluante soit-elle, sans quoi il
sera marginalisé. Dans ce cas, la marginalité serait issue de l’unifcation des deux
modes de vie et de la négation du cloisonnement établi entre ceux-ci.
L’exclusion du monde du travail est un deuxième critère de marginalisation,
qui vise le rapport qu’une personne entretient avec la production, la consomma-
tion et sa participation au jeu économique. La non-participation à la sphère éco-
nomique, voulue ou imposée, est au centre de la perception de la marginalité. Là
encore, il aut s’interroger sur la pertinence d’évaluer les individus en onction de
l’orientation de toute la société quant au travail, d’autant plus qu’une partie
importante de la population n’y a pas accès. Au Québec, une large part de la
population en âge de travailler (15 ans ou plus) est maintenue en dehors de ce
mécanisme de contrôle social que l’on présente comme universel, parce qu’elle
est inactive (35%) ou au chômage (5%) (Institut de la statistique du Québec,
2011). Ce rapport entre la marginalité et la participation active au monde du tra-
vail sert de protection contre le danger que peuvent représenter les individus
inactis dans une société axée sur l’action productive. Le « non-sens » de l’inacti-
vité dans nos sociétés doit être stigmatisé, de peur que la majorité qui travaille
n’en vienne à considérer le travail comme étant lui-même un non-sens.
Le reus du pouvoir est le troisième critère de la marginalisation. L’individu qui
reuse d’agir ou de participer à la prise de décisions au sein de la société à laquelle
il appartient est marginal. Ce type de marginalité correspond à la troisième orme
de déviance décrite par Merton, soit l’évasion (voir le tableau 6.4, page 188).
Ainsi, l’individu reuse à la ois les buts de la société (ses valeurs, ses idéaux), ce
qui se traduit notamment par un mode de vie diérent, et les moyens socialement
convenables pour les atteindre, dont la participation à la prise de décision.
L’itinérant est l’exemple extrême de marginal. En eet, il regroupe à lui seul les
trois critères de marginalisation puisqu’il adopte un mode de vie diérent, qu’il
est exclu du travail salarié et également des mécanismes du pouvoir (voir
l’encadré 6.4, page suivante).
En défnitive, le processus d’exclusion sociale varie selon que la société considère
la marginalité de manière restrictive (les individus diérents doivent être exclus et le
sont pour le « bien » de la société) ou au contraire de manière constructive et positive :
il est normal que certains emplois, par défnition, ne soient pas accessibles à tous ; la
survie du marché de l’emploi et de l’ordre économique en dépend. Toutes les sociétés
éprouvent les contradictions qui justifent l’acceptation de certaines ormes de mar-
ginalité et le rejet d’autres ormes. Mais les critères de positivité et de négativité de la
marginalité demeurent ous et arbitraires. Qu’est-ce qui ait, ondamentalement,
qu’une marginalité puisse être considérée comme étant positive ou négative ? La
question n’est pas encore élucidée en théorie même si, en pratique, les clivages sont
de plus en plus marqués. Dans les chapitres qui suivent, nous approondirons notre
compréhension des bases de la marginalisation de certains individus en raison du
niveau socioéconomique, du groupe ethnique, du sexe ou de l’âge.

chapitre 6 Le contrôle social 201


Ecdré 6.4 en coMpléMent

L’itinérance et l’exclusion sociale

tous ls gnds vlls,  os mêm ls lus s, on mnux  moux y conbun églmn. plus écsémn,
lus néns. L comoson d c oulon s ès l’nénc s mqué  l désflon d l’ndvdu qu 
dvsfé. L’mg du « vux obnux » s déssé, l ou- omu ss lns vc l’nsmbl d ss ésux d’-
lon nén én d lus n lus jun. D lus, l’nénc nnc. ell lèv uss d’un uvé méll sévè. pou
 ndnc à s émns  l smbl qu’ll jogn désoms l sonn qu l v, ll sgnf un bsnc ol d mî-
ds mmbs ds clsss moynns. Globlmn, ls gous s d s v  un uu vc l onconnmn socl.
ls lus ouchés  c élé son ls sonns soun
L hès d l’c délbéé u m à lusus d n s
d oubls sychqus, ls sonns ns d oubls du
vo à ns ls ègls qu égssn nos chox collcs.
sc d l’lcoolson œl  ls oxcomns, ls mlls
touos, ll n n s com d l dééoon ds cond-
mononls dgés  un mm, ls juns, ls -
ons socls  économqus  ds cuss suculls d
sonns qu un l volnc mll, ls éugés  ls mm-
l’nénc. en  l’nénc n cosond s unqumn à
gns écns, ls x-dénus, ls s slés  ls
un mond économqumn dévosé. ell s l ésul d
auochons. L ofl du sns-b évèl uss un oblém-
os socux  lsquls ls néns son bucou lus
qu o comlx : ès d l moé ds sonns néns
vcms d’un ocssus d’xcluson socl qu d’un s d
ésnn un oubl lé à l consommon d’lcool ou
dsnc ou d’un  volon d l v socl (roy, 1988).
d dogu (Gouvnmn du Québc, 2006) qu condu à d
gvs oblèms d déndnc. D nombux sns-b en , l’nénc s l’boussmn d’un démch nx-
soun églmn d oblèms d sné mnl, so 12,4% cbl qu, jou ès jou, ouss ls ndvdus dns un
d oubls schzohénqus (con 1,7% d l oulon suon où ls s’noncn dvng. Cl n lèv s d’un
génél)  32,8% d désson mju (con 4,9% dns l chox  nco mons du hsd. il s’nsll vc l ms un
oulon n génél) (Cock  coll., 2007). ud d ésgnon qu condu l sonn jé 
dévlosé  l socéé à onls  à vlos l mod
pouquo cs gns vvn-ls sns domcl fx ? L’nénc s
d v d l’nénc qu s désoms l sn. emsonnés
un hénomèn socl don l oblémqu s ès comlx.
d’bod  l socéé  nsu  ux-mêms dns un
L’lcoolsm, donnllmn désgné comm l cus nc-
mond dééoé, vdé d ou ln c, ls néns s
l d l’nénc, n’s s l sul élémn déclnchu d c
donnn un dscous qu soun lu condon d’xclus ux
hénomèn. Un nsmbl d cus économqus, hysqus,
yux ds us un qu’à lus os yux.
L Québc ssu à cs vcms d l socéé ds condons
mllus qu dns bn d’us ys  l’nméd d
égms d’d su ls lns socl  médcl. D nombux
oblèms ssn ouos (chômg, écson d
l’mlo, volnc mll, c.), c qu  ou  d’lmn
l’nénc dns no socéé. Volà sûmn un déf d ll
n c qu   ux chox olqus  économqus qu nous
uons à . Ls soluons n son n smls n comlès.

Question
L’nénc s-ll un oblèm ndvdul ou un oblèm
socl ?

FaiTEs LE PoinT

15. Qu’est-ce que l’inadaptation sociale ?


16. Qu’est-ce que la stigmatisation ?
17. Expliquez en quoi l’itinérance est une forme de marginalité.

202 parte ii L’ognson d l v socl


Résumé
1. Les açons d’agir et d’être sont liées à des per- 4. Il arrive que l’individu s’adapte, mais de manière
ceptions concernant la normalité. Pour déter- pathologique. Certains individus dépassent le
miner ce qui est normal et ce qui ne l’est pas, les niveau de soumission que l’on attend d’eux tant
paramètres de légalité et de légitimité servent leur besoin de solidarité avec le groupe est inté-
de barèmes. Ces notions sont mouvantes, mais riorisé (surconormité). D’autres transgressent les
l’évaluation des individus (menant à l’accepta- normes d’un groupe ou d’une société (déviance).
tion ou au rejet) se ait toujours selon ces deux
paramètres. 5. La déviance ne peut être comprise que dans un
contexte social donné. Elle relève de la non-
2. Toute société exerce un contrôle social, c’est- intégration ou du rejet de certaines normes.
à-dire une pression visant à régulariser le com-
portement humain et à aire adhérer l’individu à 6. Une des ormes de déviance la plus poussée, la
cette « normalité ». Cette pression est exercée criminalité, se dénit d’abord de manière statis-
non seulement sur le plan des comportements tique, quantitative et juridique. L’explication cau-
globaux, mais aussi sur celui des comporte- sale de la criminalité peut, quant à elle, se onder
ments les plus intimes. Le contrôle social peut sur diverses théories sociologiques (onctionna-
s’exercer d’une açon ormelle (limites directes liste, interactionniste et du confit social).
et explicites) ou inormelle (limites indirectes et
parois inconscientes). 7. La marginalité recoupe une réalité liée à l’exclu-
sion sociale et à la stigmatisation pour les per-
3. L’individu qui s’adapte normalement se conorme sonnes qui sont dans l’impossibilité de corres-
aux normes (conormité) ou adopte des modèles pondre à la conormité. La société détermine
de comportements divergents, mais tout de quels individus seront exclus et stigmatisés en
même acceptables socialement (variance ou onction de critères comme le mode de vie, l’ex-
adaptation novatrice). clusion du travail salarié ou le reus du pouvoir.

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 Exercice 3
Il vous est sans doute déjà arrivé d’enreindre, volon- Chaque individu est à la ois la cible du contrôle social
tairement ou non, une norme inormelle comme une et son instrument. Expliquez cette armation et
bonne manière ou une règle de bienséance ou de illustrez-la à l’aide d’exemples de la vie quotidienne.
savoir-vivre. Quelles ont alors été les réactions de ceux
qui en ont été témoins ? Qu’est-ce que cela vous a ait Exercice 4
ressentir ? Avez-vous recommencé par la suite ?
Dans le tableau ci-dessous, où situeriez-vous les élé-
À la suite de cette réfexion, élaborez un réseau de
ments suivants : conormité, variance, déviance, sur-
concepts explicitant les liens que vous aites en
conormité, adaptation novatrice, criminalité et mar-
regard de cette expérience et des notions vues dans
ginalité ? Justiez votre choix et illustrez-le à l’aide
ce chapitre.
d’exemples.

Exercice 2 Légitimité Illégitimité

Du point de vu sociologique, la déviance est un produit Légalité


de la société et non pas un comportement anormal de
Illégalité
l’individu. Expliquez et justiez cette armation.

chapitre 6 Le contrôle social 203


Pour aller plus loin
Volume et ouvrge de référence audioviuel

BeaULieU, aln (2005). Michel Foucault et le contrôle social, BLaiS, Cludn. « Css ux gngs », enquê, Socéé
Mcu Nod, ps, 322 . rdo-Cnd, 2011, [en lgn], www.ou.v
C ouvg ésn ls dés d Mcl Foucul qu éom L égon d Québc déns lus d’un mllon d dolls
ls éos démnss du conôl socl. il  é ds nnullmn ou ém l énomèn ds gngs d u.
oms vés du ouvo qu s’xcn  ds qus poun, l’xsnc mêm d cs gngs n  s l’unnmé.
d’uo-gouvnnc, éondn à un logqu d décn- Un css ux gngs qu donn lu à ds méods olcès
lson ds ouvos ccésqu d nos socéés conovsés, soucs d nsons socls.
conmons.
GaNSeL, Dnns. La vague, BaC Flm, allmgn, 2008
(101 mn).
Périodique et journux
C lm d con, lbmn nsé d s vécus, con
DeSJarDiNS, Dvd. « L conôl socl », Le Devoir, l’so d’un ossu qu décd d m n lc vc
20 smb 2012, [en lgn], www.ldvo.com ss éudns un xénc su ls égms uocqus
n d mux comnd ls mécnsms d soumsson
L conôl socl, d l scnc-con à l élé : un éloqun
à l’uoé d’un ld csmqu.
édol su l èm d l’omnésnc nsdus du conôl
socl dns no socéé. NiCK, Cso. Le jeu de la mort, Fnc télévson 
LaChaNCe, andé (1985). « L conôl socl dns l socéé rdo télévson Suss, Fnc, 2009 (91 mn).
cndnn du régm nçs u xviii sècl », Criminologie, C documn s vu un cqu d l éléélé  d
vol. 18, n° 1, . 7-18, [en lgn], www.ud.og l’nfunc ds méds. L’xénc d Mlgm, élsé dns
ls nnés 1960, y s odu u goû du jou, mn n
L conôl socl xs d ou ms  n ous lux, l n 
scèn un ux ju élévsé dun lqul un cndd do nfg
qu cng d om. Un gd soqu su ls mécnsms
ds décgs élcqus d lus n lus os à un u
d conôl socl  su l cmnlé.
cndd, jusqu’à ds nsons ouvn nîn l mo.

site Web

assocon cndnn d jusc énl. www.ccj-cj.c


Rendez-vous
pou n svo lus su l cmnlé  découv l Revue en ligne
canadienne de criminologie et de justice pénale, vsz c s
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d l’aCJp, un ognsm volon voué à l’méloon du
chenelere.ca
sysèm d jusc énl.

204 parte ii L’ognson d l v socl


PARTIE III
LES INÉGALITÉS ET
LES DIFFÉRENCES
SOCIALES
7
Chapitre

Les inégaLités et La stratificatiOn sOciaLe

Objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

de décrire et d’analyser les inégalités de reconnaître et de décrire les mécanismes


socioéconomiques observables à l’échelle avorisant la mobilité et la reproduction
mondiale, ainsi qu’à l’intérieur d’une société, sociales ;
notamment à l’aide de données chirées ;
de reconnaître et de décrire l’infuence des
d’analyser la division d’une société en classes classes sociales sur diérentes dimensions
sociales, à l’aide des théories marxiste et de la vie d’un individu.
onctionnaliste ;
pLan de chapitre
7.1 Les inégalités socioéconomiques
7.1.1 La richesse et la pauvreté dans le monde
7.1.2 Les inégalités au Canada et au Québec
7.1.3 La mesure des inégalités socioéconomiques
7.2 Des regards théoriques sur les classes sociales
7.2.1 Les classes sociales selon la théorie marxiste
7.2.2 Les classes sociales selon la théorie fonctionnaliste
7.2.3 Une comparaison des deux théories
7.3 La mobilité et la reproduction sociales
7.3.1 La mobilité ascendante
7.3.2 La mobilité descendante
7.3.3 La reproduction sociale
7.4 L’infuence des classes sociales sur l’individu
7.4.1 Sur le parcours scolaire et professionnel
7.4.2 Sur le plan de la santé physique et psychologique
7.4.3 Sur le plan politique

cOncepts-cLés
• Capitaliste • Prolétariat.............221
(bourgeoisie).........221
• Rapports de
• Classe sociale ......209 production.............221
• Mobilité sociale.....228 • Statut
socioéconomique...225
• Mode de
production ............221 • Strate sociale........224
• Pauvreté • Stratifcation
absolue ................217 sociale..................224
• Pauvreté relative....217 • Système
de castes .............231
• Production.............221
Mise en contexte

À l’automne 2011, un important mouvement d’occupation des quartiers des


aaires a vu le jour dans plusieurs villes du monde. Ce mouvement s’est ins-
piré des « indignés » européens, et en particulier espagnols, qui protestaient
contre les mesures d’austérité adoptées par leurs gouvernements en réac-
tion à la crise fnancière de 2008, laquelle avait entraîné une orte augmen-
tation du chômage dans plusieurs pays d’Europe.
Le mouvement d’occupation est d’abord né à New York sous le nom de
« Occupy Wall Street » (Occupons Wall Street), du nom de la rue où se
trouvent les sièges sociaux des grandes institutions fnancières états-
uniennes. Ce mouvement s’est vite étendu à d’autres villes états-uniennes,
comme Chicago, Philadelphie et San Francisco, puis à plusieurs villes du
monde. Au Canada, le mouvement s’est notamment installé à Bay Street, le
quartier fnancier de Toronto, et au square Victoria, où se trouvent notam-
ment la Tour de la Bourse de Montréal ainsi que les bureaux de plusieurs
grandes banques.
Le mouvement a pris une grande ampleur au cours de l’automne. Les
occupants ont installé des campements de plus en plus sophistiqués et
organisé des repas collectis, en plus de se doter de processus de prise de
décision. Les journalistes qui ont interrogé les participants sur leurs moti-
vations et leurs revendications ont constaté que celles-ci étaient nom-
breuses et très éclatées : certains protestaient contre les banques, d’autres
contre les gouvernements ; certains déendaient une cause bien précise,
comme l’accessibilité aux études, la protection de l’environnement ou l’aide
aux chômeurs, alors que d’autres protestaient plus généralement contre le
système politique ou économique. Touteois, au-delà de cet éclatement, un
slogan rassemblait les maniestants : « Nous sommes les 99 % ». Ce slogan
visait à dénoncer le ait que le pouvoir et la richesse sont concentrés entre
les mains d’un petit groupe de personnes, qui représenterait environ 1 % de
la population. Les occupants afrmaient ainsi parler au nom des 99 % de la
population qui reusent d’être dirigés par cette minorité toute-puissante.
En somme, ils soulevaient la question des inégalités et des classes sociales.

Les occupants avaient-ils raison d’afrmer que nos sociétés sont divi-
sées en deux groupes de personnes, représentant respectivement 1 %
et 99 % de la population ?
À combien estimez-vous le nombre de classes sociales dans nos
sociétés ?
Qu’est-ce qui explique l’existence des inégalités socioéconomiques,
comme celles dénoncées par les occupants ?
Quelles conséquences ces inégalités peuvent-elles avoir sur les par-
cours de vie des individus les plus pauvres et les plus riches ?

208 parte iii Les inégalités et les différences sociales


L
es classes sociales sont des groupes que les sociologues considèrent classe soiale
comme très importants, à la ois pour l’individu et pour la société. 1. Au sens large, ensemble de
Cette expression désigne avant tout des groupes sociaux qui par- personnes qui partagent une
tagent une même situation économique. C’est ce qui les distingue même situation économique,
d’autres groupes sociaux, comme les groupes ethniques ou les géné- et qui, de ce ait, se distinguent
rations, que nous verrons dans les chapitres suivants. des autres classes sociales
par des caractéristiques et
L’étude des classes sociales nous amène à reconnaître des inégalités, des des comportements particuliers.
diérences ou même des confits entre les individus et les groupes, du simple 2. Selon l’approche marxiste,
ait que ceux-ci ne partagent pas la même place dans la société. Pour décrire groupe d’individus qui se
et analyser ces inégalités, les sociologues ont conçu divers modèles, dont les caractérisent par la place qu’ils
occupent dans un mode de
plus importants sont les théories marxiste et onctionnaliste. Ils ont égale-
production donné. 3. Dans
ment mis en lumière le ait que l’appartenance à une classe sociale donnée
la théorie onctionnaliste,
n’est pas toujours une atalité : il existe, en eet, des processus sociaux qui synonyme de strate sociale.
ont en sorte que certains individus, au cours de leur vie, arrivent à se hisser
toujours un peu plus haut dans l’échelle sociale, alors que d’autres ne par-
viennent pas à le aire, même s’ils souhaitent améliorer leur sort. En outre,
cette appartenance a des conséquences sur le parcours scolaire et proes-
sionnel, sur la santé et sur les comportements politiques d’un individu.

7.1 Les inégalités socioéconomiques


Le concept d’« inégalités socioéconomiques » ait surtout réérence aux inégalités
de revenus, de possessions, de pouvoir et de conditions de vie entre les individus
ou les groupes. Les statistiques publiées par divers organismes permettent de
constater l’existence de ces inégalités, entre pays riches et pays pauvres, mais
également entre les membres d’une même société.

7.1.1 La richesse et la pauvreté dans le monde


Les inégalités socioéconomiques sont particulièrement évidentes à l’échelle mon-
diale. Le mode de vie dominant des pays riches, axé sur la consommation de
masse, tranche avec celui des pays pauvres, où la majorité de la population lutte
pour sa survie. Tous les jours, les bulletins de nouvelles nous orent des illustra-
tions de ces inégalités : en l’espace de quelques minutes, on peut voir un président
d’entreprise prospère s’adresser à l’assemblée
des actionnaires de sa compagnie ; une amille
occidentale de la classe moyenne qui peine à
accéder à certains biens et services, tout en
parvenant à se loger et à se nourrir ; une vedette
hollywoodienne qui déle sur un tapis rouge en
vêtements griés ; et un camp de réugiés où
s’entassent, dans des conditions misérables,
des populations ravagées par la guerre. Les iné-
galités socioéconomiques ont à ce point partie
de nos vies que, bien souvent, elles ne nous
étonnent même plus.

La richesse dans le monde


Depuis toujours, les gens riches ascinent. Ils
Au cours des dernières années, le nombre de riches a considérablement
suscitent à la ois curiosité et envie, admiration
augmenté dans le monde.
et dédain. Avec leur train de vie souvent hors

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 209


du commun, ils peuvent sembler appartenir à un monde à part, déconnecté du
reste de la population. Ils donnent souvent l’impression qu’ils mènent le monde,
qu’ils se servent de leur ortune pour infuencer les décideurs politiques. Il y a
quelques années, la revue Sciences humaines s’est intéressée à ces personnes par-
ticulièrement ortunées, et en a tiré trois constats (Molénat, 2008) :
1. Les riches sont de plus en plus nombreux : il n’existe pas de mesure ocielle
de la richesse, c’est-à-dire de seuil à partir duquel une personne peut être
considérée comme riche. Il est touteois communément admis que les million-
naires sont des gens ortunés. Or, un rapport international a permis de
constater que leur nombre avait considérablement augmenté depuis 1996 à
l’échelle de la planète.
2. Les riches sont de plus en plus riches : non seulement le nombre de riches aug-
mente, mais la part de la richesse collective concentrée entre les mains de
ceux-ci est aussi en hausse. Cette tendance a été remarquée dans les pays
anglo-saxons, et en particulier aux États-Unis, où les écarts de revenus entre
riches et pauvres ont considérablement augmenté depuis les années 1970.
3. Les revenus des riches proviennent de plus en plus de leur salaire : les riches
d’aujourd’hui sont diérents de ceux d’autreois. Leur source de revenus n’est
pas la même. Pendant longtemps, les enants issus de amilles riches héritaient de
la ortune de leurs parents (par exemple, l’entreprise amiliale) et la aisaient ruc-
tier. Leur richesse était donc ondée avant tout sur leur patrimoine. Aujourd’hui,
de plus en plus de nantis sont des salariés, ce qui signie qu’ils travaillent pour
un patron. Plusieurs d’entre eux travaillent dans le monde de la nance, à titre de
vendeurs ou de négociateurs d’actions (traders), et réussissent à obtenir un
salaire très élevé en échange de leur contribution à la prospérité de l’entreprise.
Les patrons acceptent ainsi de verser un salaire élevé à leurs employés les plus
ecaces, car les bénéces qu’ils en retirent sont supérieurs au salaire versé.
Les personnes les plus riches de la planète, qui sont généralement des milliar-
daires, orment ensemble une « élite internationale ». Les membres de cette élite
partagent certaines caractéristiques particulières, notamment leur cosmopoli-
tisme. En eet, plusieurs d’entre eux travaillent dans des domaines tels que les
aaires et la nance, qui exigent de nombreux déplacements. Ils ont souvent été
habitués dès leur jeune âge à changer de pays, de sorte que ces déplacements ne
sont pas vécus comme des « déracinements », mais comme des changements nor-
maux qui surviennent au cours d’une vie, et qui sont nécessaires à leur réussite
proessionnelle. Plusieurs ont réquenté des écoles privées internationales durant
leur enance, et poursuivi des études dans les grandes capitales du monde,
notamment dans les écoles de commerce. Ils ont ainsi développé un réseau (voir
le chapitre 5) qui s’étend partout autour du globe, ainsi qu’une culture d’élite
(voir le chapitre 3), qu’ils partagent avec les autres personnes dans leur situation.
Ils ont en commun certaines sources d’inormation, souvent de langue anglaise ; ils
réquentent les mêmes restaurants et les mêmes clubs privés, en plus de prati-
quer des loisirs coûteux qui leur permettent à la ois de se divertir et de aire du
réseautage (Wagner, 2008). En somme, on peut dire que l’élite internationale se
démarque par ses capitaux économique, culturel et social, tels qu’ils ont été
dénis par Bourdieu (voir le chapitre 4).

La pauvreté dans le monde


Cette extrême richesse est touteois le ait d’une petite minorité. À l’échelle mon-
diale, la pauvreté est beaucoup plus répandue que la richesse. Ainsi, lorsque des
organismes internationaux se penchent sur les inégalités socioéconomiques, c’est
généralement pour étudier la pauvreté dans le monde.

210 parte iii Les inégalités et les différences sociales


L’Organisation des Nations Unies (ONU) s’est notamment engagée à lutter
contre la pauvreté dans le cadre des Objectis du millénaire pour le développe-
ment. Un récent rapport publié dans le cadre de ce programme présente des
résultats mitigés : au cours des dernières décennies, la pauvreté aurait grande-
ment diminué en Asie de l’Est, notamment dans les pays dits « émergents » comme
la Chine et l’Inde, mais elle demeurerait très répandue dans plusieurs pays de
l’Arique subsaharienne, de l’Asie du Sud et des Caraïbes, où une portion impor-
tante de la population vit toujours sous le seuil de pauvreté international, fxé à
1,25 dollar par jour (ONU, 2011).
En plus de la lutte contre la pauvreté, la lutte contre la aim fgure au pro-
gramme des Objectis du millénaire pour le développement. Touteois, les résul-
tats ne sont pas très encourageants : la diminution de la proportion de personnes
sous-alimentées observée au cours des années 1990 semble s’être arrêtée. Entre
les années 2000-2002 et 2005-2007, le pourcentage de personnes sous-alimentées
dans les régions en développement aurait stagné à 16 % (voir la fgure 7.1).

La proportion de personnes sous-alimentées dans les régions


Figure 7.1 en développement, 1990-2007
Pourcentage 25
de personnes
sous-alimentées 20
20
16 16
18
15

10

0
1990-1992 1995-1997 2000-2002 2005-2007
Années

Source : Organisation des Nations Unies (2011). Objectifs du millénaire pour le développement – Rapport de
2011, New York, Organisation des Nations Unies, p. 11.

La pauvreté existe également dans les pays riches, même si elle y est moins
répandue. L’Organisation de coopération et de développement économique
(OCDE), qui regroupe surtout des pays occidentaux, évalue qu’un peu plus de
10 % des habitants de ses pays membres vivent dans la pauvreté. D’importantes
variations existent touteois entre les pays, ainsi qu’entre les régions du monde :
alors que la pauvreté est peu répandue dans les pays scandinaves, comme le
Danemark et la Norvège, elle se situe au-dessus de la moyenne de l’OCDE dans les
trois pays nord-américains, soit le Mexique, les États-Unis et le Canada (voir le
tableau 7.1, page suivante).

7.1.2 Les inégalités au Canada et au Québec


Les statistiques présentées jusqu’à maintenant nous ont permis de constater que
les inégalités socioéconomiques existent dans toutes les sociétés, à des degrés
divers. Des études récentes portant sur le Québec et le Canada permettent de
constater l’ampleur de ces inégalités chez nous.

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 211


Tableau 7.1 L aux  auvré rlav ans ls ays mmbrs  l’Ocde, fn s annés 2000
Pays Taux de pauvreté Pays Taux de pauvreté
République tchèque 5,5 Nouvelle-Zélande 11,0
Danemark 6,1 Royaume-Uni 11,0
Hongrie 6,4 Pologne 11,2
Islande 6,4 Italie 11,4
France 7,2 canaa 12,0
Pays-Bas 7,2 Portugal 12,0
République slovaque 7,2 Estonie 12,5
Norvège 7,8 Espagne 14,0
Autriche 7,9 Australie 14,6
Finlande 8,0 Corée 15,2
Slovénie 8,0 Japon 15,7
Suède 8,4 Turquie 17,0
Luxembourg 8,5 États-Unis 17,3
Allemagne 8,9 Chili 18,4
Irlande 9,1 Israël 19,9
Suisse 9,3 Mexique 21,0
Belgique 9,4
Grèce 10,8 Ocde toal 11,1
Note : Le seuil de pauvreté utilisé pour calculer ces taux correspond à 50 % du revenu médian.
Source : Organisation de coopération et de développement économiques. Distribution des revenus – pauvreté, [En ligne], http://stats.oecd.org/
index.aspx?lang=fr (page consultée 8 janvier 2013).

Les plus fortunés


Alors qu’aux États-Unis, bien des millionnaires afchent leur ortune avec ferté comme
un symbole de réussite, au Canada, les personnes les plus riches sont généralement
discrètes, ce qui ait en sorte qu’elles ne sont pas toujours connues de la population
en général. Une étude publiée en 2012 portant sur les 100 dirigeants de compagnies
les mieux payés au Canada a permis d’en apprendre un peu plus sur cette élite éco-
nomique, dont le revenu moyen est 189 ois plus élevé que la moyenne canadienne
(Mackenzie, 2012). Leur revenu annuel total, qui combine souvent salaire, bonus et
revenus de placements, varie entre 3,9 et 61,8 millions de dollars, pour une moyenne
de 8,38 millions de dollars. On évalue qu’à midi, le 3 janvier 2012, ces dirigeants avaient
déjà accumulé l’équivalent du revenu annuel moyen d’un Canadien travaillant à temps
plein (Mackenzie, 2012). Cet écart entre le revenu des 100 dirigeants d’entreprise les
mieux payés et le revenu moyen des Canadiens serait en hausse constante, ce qui
semble confrmer la tendance indiquant que les riches soient de plus en plus riches.

La classe moyenne
Entre les gens pauvres et les gens riches se trouve la classe moyenne, à laquelle
s’identife la majorité de la population. Certains auteurs, comme Serge Bosc
(2008), préèrent parler des « classes moyennes » au pluriel, pour insister sur

212 par iii Les inégalités et les différences sociales


l’hétérogénéité des conditions de vie de ce vaste groupe de personnes. On peut,
par exemple, distinguer les cols bleus des cols blancs ou les salariés des travail-
leurs autonomes.
Au Québec, le sociologue Simon Langlois s’est livré à une analyse détaillée de
l’évolution du revenu et du niveau de vie des membres de la classe moyenne, qu’il
défnit comme étant composée des « ménages dont les ressources monétaires se
situent dans l’intervalle compris entre 75 % et 150 % de la médiane » (Langlois,
2010). Langlois constate d’abord que, tout au long de la période étudiée, soit de
1982 à 2008, la proportion de la population québécoise appartenant à la classe
moyenne est demeurée stable : environ 50 % de la population en ait partie. De
plus, la proportion de personnes pauvres qui parviennent à accéder à la classe
moyenne est aussi demeurée stable.
Certains changements peuvent touteois être observés dans la composition
des classes moyennes : en 2008, leurs membres étaient plus âgés et plus diplômés
que ceux des années 1980. De plus, ils sont maintenant plus nombreux à vivre
seuls ou en couple sans enant, alors qu’auparavant, la majorité des ménages de
classe moyenne étaient ormés de couples avec enants. Ces changements qui
s’observent au sein des classes moyennes touchent également la population
en général.
Langlois constate fnalement que, dans les deux tiers des ménages de classe
moyenne, le revenu amilial est composé de deux revenus d’emploi, ce qui n’était
le cas que de la moitié des ménages de classe moyenne en 1982 (voir le tableau 7.2).
On peut donc supposer que des amilles qui pouvaient autreois se limiter à un
seul revenu doivent aujourd’hui compter sur deux revenus pour demeurer dans
la classe moyenne et éviter de basculer dans la pauvreté.

Le nombre de revenus d’emploi par ménage au sein


Tableau 7.2
des lasses moyennes, Québe, 1982-2008
Revenus Année
d’emploi 1982 1992 2002 2008
2 35,2 % 40,0 % 63,1 % 66,1 %
1 49,2 % 38,6 % 22,9 % 18,7 %
0 15,6 % 21,4 % 21,4 % 15,2 %
Source : Langlois, Simon (2010). « Mutations des classes moyennes au Québec entre 1982 et 2008 »,
Les Cahiers des dix, n° 64, p. 136.

La pauvreté
Bien qu’une orte proportion de la population québécoise appartienne aux classes
moyennes, certaines personnes se retrouvent quant à elles au bas de l’échelle,
dans une situation de pauvreté. Le tableau 7.3, à la page suivante, qui présente la
répartition des Québécois selon leur revenu disponible, c’est-à-dire après impôt,
permet de constater qu’une portion considérable de la population se retrouve
parmi les tranches de revenu les plus bas. En eet, environ 40 % de la population
vit avec moins de 20 000 $ par année.
Ces statistiques sur les revenus masquent touteois la diversité des situations
vécues par les personnes pauvres. En eet, la pauvreté peut revêtir de nombreux
visages. Certains individus sont nés dans la pauvreté et y demeureront toute leur
vie, alors que d’autres connaissent une situation de pauvreté temporaire. C’est le

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 213


La réartton des ersonnes de 16 ans et lus selon
Tableau 7.3
la tranche de revenu dsonble, Québec, 2010
Revenu ($) Proportion ( %)
Moins de 10 000 18,3
10 000 à 19 000 22,4
20 000 à 39 000 36,1
40 000 à 59 000 15,5
60 000 à 79 000 5,1
80 000 et plus 2,6
Source : Institut de la statistique du Québec. Distribution selon la tranche de revenu, revenu disponible,
particuliers (16 ans et plus), Québec, 2010, [En ligne], www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/famls_mengs_
niv_vie/revenus_depense/revenus/mod2_p_1_1_1_0.htm (page consultée le 8 janvier 2013).

cas, par exemple, de personnes qui perdent leur emploi et qui doivent composer
avec de faibles revenus pendant quelques mois ou quelques années avant de
trouver un nouvel emploi. C’est également le cas de nombreux immigrants,
qui appartenaient aux classes moyennes ou aisées de leur pays d’origine, et qui
connaissent la pauvreté à leur arrivée au Québec, le temps de suivre une forma-
tion d’appoint, d’apprendre le français, ou tout simplement de trouver un emploi
à la hauteur de leurs compétences.
Qu’elle soit permanente ou temporaire, la pauvreté est donc fortement associée
au chômage. En effet, celui-ci est une réalité inhérente à notre système économique :
la compétition entre les individus pour obtenir les emplois ne permet pas à chacun
de trouver sa place, puisqu’il ne peut y avoir d’adéquation parfaite entre l’offre et la
demande en matière d’emploi. La proportion de la population qui ne parvient pas à
trouver un emploi varie selon la conjoncture économique. Par exemple, la ferme-
ture d’une entreprise, qui agissait comme moteur économique d’une région ou
d’une localité a souvent pour effet de faire basculer toute une communauté dans la
pauvreté, comme l’ont décrit avec précision Paul Lazarsfeld et son équipe de cher-
cheurs dans un ouvrage classique de la sociologie, Les chômeurs de Marienthal
(Lazarsfeld et coll., 1981).
Toutefois, depuis les années 1980, on parle de plus en plus des « travailleurs
pauvres ». Cette expression, apparue d’abord aux États-Unis, désigne « un salarié
avec un statut d’emploi sur le marché du travail qui ne lui permet pas d’échapper
à la pauvreté et de satisfaire ses besoins fondamentaux » (Ulysse, 2006, p. 5).
Alors qu’autrefois, le fait d’avoir un emploi assurait un niveau de vie minimal,
aujourd’hui, de plus en plus de travailleurs à bas salaire vivent dans la pau-
vreté. Ces travailleurs se concentrent dans certains secteurs d’emploi, soit
ceux « des services, de la vente en gros et au détail, du traiteur et de la restau-
ration » (Ulysse, 2006, p. 7). Plusieurs d’entre eux sont payés au salaire minimum
prévu par la loi. Certains travaillent à temps partiel, soit parce qu’ils ne par-
viennent pas à trouver un emploi à temps plein, soit parce que leurs obligations
familiales ne leur permettent pas de rester trop longtemps à l’extérieur de la
maison. Au Québec, ces travailleurs pauvres sont « surtout des femmes, des
jeunes immigrants et des Montréalais appartenant aux minorités visibles »
(Ulysse, 2006, p. 22).
La pauvreté est également étroitement associée au phénomène de l’itinérance.
En effet, la pauvreté peut mener à l’itinérance, par exemple lorsqu’une personne

214 parte iii Les inégalités et les différences sociales


ou une amille ne parvient plus à payer son loge-
ment. À l’inverse, l’itinérance peut aussi mener à
la pauvreté. Plusieurs situations telles qu’un
confit amilial ou encore un problème de santé
mentale ou de toxicomanie peuvent être à l’ori-
gine de l’itinérance, qui maintient ensuite la per-
sonne dans la pauvreté. Par exemple, depuis la
désinstitutionalisation des personnes sourant
de maladie mentale dans les années 1980, plu-
sieurs d’entre elles se sont retrouvées dans la
rue, aute de soins, et ont alors connu une situa-
tion de pauvreté.
Même s’il est dicile d’obtenir des statistiques
ables sur le nombre d’itinérants, certaines
études ont estimé qu’ils étaient près de 30 000
dans la région de Montréal-Centre, et environ
3 600 dans la région de Québec (Québec, Ministère
de la Santé et des Services sociaux, 2008). Bien
qu’elle y soit moins visible qu’à Montréal, l’itinérance serait également en expan-
sion dans certaines banlieues, comme Laval, qui disposent de peu de ressources
pour venir en aide aux personnes sans abri (Carle et Bélanger-Dion, 2007). Le ait
de ne pas avoir de domicile xe maintient souvent les personnes dans la spirale de
la pauvreté, puisqu’il devient alors dicile pour elles d’obtenir des prestations
d’aide sociale, ou encore d’aller chercher les ressources qui leur permettraient
de trouver un emploi (voir le chapitre 5).

7.1.3 La mesure des inégalités socioéconomiques


Depuis le début de ce chapitre, nous aisons réérence à la richesse, à la pau-
vreté et aux inégalités socioéconomiques en nous ondant essentiellement sur
des indicateurs comme le revenu et les conditions de vie. C’est eectivement à
partir de ces critères que la plupart d’entre nous envisagent ces questions.
Touteois, an de classier adéquatement les personnes et d’eectuer des com-
paraisons dans le temps et dans l’espace, il importe d’utiliser des indicateurs
plus précis, comme les seuils de aible revenu, les quintiles de revenu ou encore
le coecient de Gini. Ces mesures peuvent touteois donner lieu à certaines
manipulations, en plus de laisser place à interprétation, c’est pourquoi elles ont
l’objet de critiques.

Qui mesure les inégalités ?


Les personnes et les groupes qui mesurent les inégalités socioéconomiques,
dans les pays où des études sont eectuées, peuvent être répartis en trois catégories :
les chercheurs en sciences sociales, les statisticiens ociels et les chargés d’études
(Lemel, 2004, p. 68).
• Les chercheurs en sciences sociales : Ils eectuent leurs recherches dans les
départements universitaires, ainsi que dans des centres de recherche spécia-
lisés. Plusieurs sociologues gurent parmi ces chercheurs.
• Les statisticiens ociels : Ces chercheurs, qui ont acquis une ormation en
sociologie, en démographie, en économie ou dans une discipline connexe, tra-
vaillent pour l’État. Ils peuvent aire partie d’un organisme statistique ociel,
comme Statistique Canada ou l’Institut de la statistique du Québec, ou encore
travailler pour un ministère, comme le ministère de la Santé et des Services

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 215


sociaux du Québec. Les données produites par ces chercheurs servent notam-
ment à l’élaboration de politiques publiques destinées à lutter contre les inéga-
lités (voir l’encadré 7.1).
• Les chargés d’études : Ces personnes travaillent dans des milieux divers. Leur
objecti premier n’est pas d’inormer la population en général, mais plutôt de
ournir des données qui seront utiles à leur client, qui peut être un organisme
ou une entreprise. Par exemple, certains sociologues travaillent dans des mai-
sons de sondage, des chambres de commerce, des groupes de réfexion (think
tank) ou des centrales syndicales.
La variété des acteurs qui participent à la mesure de la pauvreté et des inéga-
lités ait en sorte que des dénitions, des mesures et des intérêts divergents s’a-
rontent. C’est ce qui explique que plusieurs rapports de recherche portant sur un
même phénomène peuvent présenter des conclusions contradictoires. Un ouvrage
collecti et anonyme (publié sous le pseudonyme Lorraine Data), paru en France

Encadré 7.1 en coMPlÉMent

La lutte contre les inégalités et le rôle de l’État

Le degré d’inégalités dans une société s’explique par plusieurs


acteurs, dont l’un des plus importants est le rôle de l’État. En
eet, lorsque l’État prélève une part importante des revenus
des individus au moyen de taxes, d’impôts et de taris pour les
redistribuer sous la orme de prestations aux individus et de
services publics, les inégalités sont moindres que lorsque
l’État laisse aller les orces du marché. Au cours de l’histoire,
certains pays ont expérimenté des modèles communistes,
visant l’égalité paraite entre les citoyens. Cet idéal n’a toute-
ois jamais été atteint. Aujourd’hui, les pays adoptent dié-
rents modèles, qui se distinguent par la nature et le degré
d’implication de l’État dans la redistribution de la richesse.
La participation de l’État peut prendre deux ormes : l’investis-
sement social (par exemple, le développement d’un réseau
comme la Grande-Bretagne, l’Australie et le Canada
public d’écoles, d’hôpitaux et de garderies) et les transerts
(Bernard et Boucher, 2007).
aux personnes (prestations d’assurance-emploi, de retraite,
etc.). En tenant compte de ces deux dimensions, Paul Bernard 3. Les pays d’Europe continentale comptent sur l’État pour
et Guillaume Boucher ont distingué trois cas de fgure : assurer la répartition des richesses, mais, contrairement
1. Les pays sociaux-démocrates misent surtout sur l’investis- aux pays nordiques, ils misent davantage sur les transerts
sement social. L’éducation y est abordable, et parois que sur les investissements sociaux pour y parvenir. Ainsi,
même gratuite jusqu’à l’université. L’État ore plusieurs ces États orent de généreuses compensations fnancières
services sociaux, notamment pour aciliter l’accès à l’em- aux personnes qui perdent leur emploi, ainsi que des pen-
ploi. Ce modèle se retrouve surtout dans les pays scandi- sions de vieillesse avantageuses, mais leurs services
naves, soit la Suède, le Danemark, la Norvège et la Finlande publics sont moins développés que dans les pays sociaux-
(Bernard et Boucher, 2007). démocrates (Bernard et Boucher, 2007).
2. Les pays libéraux sont, au contraire, ceux qui présentent un Question
moindre degré d’investissement social. Les impôts y sont
En plus des exemples mentionnés dans cet encadré,
moins élevés, mais en contrepartie, les individus doivent
connaissez-vous d’autres ormes d’investissements sociaux
souvent payer pour s’instruire, se aire soigner et aire
ou de transerts aux personnes destinés à répartir la
garder leurs enants. Ce modèle est surtout associé aux
richesse dans une société ?
États-Unis, mais également aux autres pays anglo-saxons

216 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


en 2009, recense d’ailleurs les principales techniques utilisées par les ournisseurs
de statistiques pour aire en sorte que les chires servent leurs intérêts :
• Ne retenir que ce qui arrange (parmi un ensemble d’indicateurs, choisir celui
qui sert le mieux le propos, ou encore, retarder la publication des plus
embarrassants) ;
• Utiliser un indicateur « écran » (mettre l’accent sur une moyenne, par exemple,
permet de masquer l’ampleur des inégalités) ;
• Changer la açon de compter en gardant apparemment le même indicateur (un
classique est l’aectation de demandeurs d’emploi à une nouvelle catégorie,
permettant de aire baisser le taux de chômage) ;
• Faire dire à un chire ce qu’il ne dit pas (par exemple, « en conondant les sta-
tistiques relatives à l’activité de la police et de la gendarmerie avec une mesure
du niveau eecti de la délinquance ») (Leèvre et coll., 2011, p. 166).
Il importe donc d’être prudent et de aire preuve d’esprit critique lorsque l’on
consulte des statistiques portant sur les inégalités socioéconomiques. Avant
d’accepter comme des aits incontestables les chires qui nous sont présentés, il
est souvent utile de se demander d’où ils viennent, comment ils ont été calculés
et quels sont les intérêts de ceux qui les ont produits et interprétés.

Comment mesure-t-on les inégalités ?


Les organismes qui mesurent les inégalités ont recours à diérents indicateurs
statistiques. Les plus connus sont les seuils de aible revenu, les quintiles de revenu
et le coefcient de Gini.
Les seuils de faible revenu Il existe deux types de seuils de aible revenu : ceux qui
mesurent la pauvreté absolue et ceux qui mesurent la pauvreté relative.
Les seuils de aible revenu qui mesurent la pauvreté absolue déterminent le pauvreté absolue
revenu minimal dont une personne ou une amille doit disposer pour subvenir à Situation vécue par un individu
ses besoins de base. Ce seuil varie selon la taille des amilles et est ajusté chaque qui ne dispose pas du revenu
année pour tenir compte de la variation des prix des produits de consommation nécessaire pour subvenir à ses
essentiels. Ces seuils ont l’avantage de cibler les personnes qui sont complète- besoins de base.
ment démunies, qui doivent lutter pour leur survie. En contrepartie, ils ne
tiennent pas compte du niveau de vie de la société dans laquelle vivent ces per-
sonnes et des inégalités socioéconomiques.
D’autres seuils de aible revenu mesurent plutôt la pauvreté relative. Certains pauvreté relative
fxent ce seuil à 50 % du revenu médian d’une société, comme c’est le cas dans la Situation vécue par un individu
fgure 7.2, à la page suivante, alors que d’autres, comme l’institut européen Eurostat, dont le revenu est nettement
l’établissent à 60 % du revenu médian d’une société (Lambert, 2008). Il est donc essen- inérieur au revenu moyen ou
tiel de connaître le seuil utilisé avant d’interpréter des données sur le aible revenu. médian de la société dans
laquelle il vit.
Ces seuils ont l’avantage de mesurer la pauvreté sous l’angle des inégalités socioéco-
nomiques : une personne pauvre est une personne dont le revenu est nettement iné-
rieur à celui de la majorité de la société dans laquelle elle vit. Cette personne ne peut
donc pas s’orir les biens et services auxquels ses concitoyens ont généralement
accès, et se trouve donc exclue du mode de vie dominant de sa société. Ces seuils
comportent touteois l’inconvénient de ne pas permettre d’évaluer les conditions de
vie réelles des gens. En eet, ils ne permettent pas de déterminer dans quelle mesure
les personnes considérées comme pauvres sont réellement dans le besoin.
Une ois qu’un seuil de aible revenu a été choisi, on peut calculer le taux de
aible revenu, c’est-à-dire la proportion des personnes qui, dans une société,
vivent sous le seuil de aible revenu. La fgure 7.2 permet de constater qu’entre
2000 et 2010, ce taux est demeuré relativement stable au Québec.

chaitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 217


Figure 7.2 Le taux de fable revenu arès môt, Québec, 2000-2010
Taux de faible 14
revenu (%)
12

10

0
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Année

Note : Basé sur la Mesure de faible revenu (MFR), correspondant à la moitié du revenu médian québécois.
Source : Institut de la statistique du Québec. Taux de faible revenu, MFR-seuils après impôt, particuliers, Québec, 1996-2010, [En ligne], www.
stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/famls_mengs_niv_vie/revenus_depense/revenus/mod1_allp_1_5_6_0.htm (page consultée le 8 janvier 2013).

Les quintiles de revenu Pour obtenir des quintiles de revenu, il aut ordonner la popu-
lation selon le revenu, du plus aible au plus élevé. On identife ensuite cinq bornes
correspondant aux valeurs de revenu sous lesquelles se situent 20, 40, 60, 80 et 100 %
de la population : le premier quintile est constitué des personnes qui se situent sous
la borne du 20 % ; le deuxième quintile, de celles qui se situent entre les bornes du
20 et du 40 % ; le troisième quintile, entre les bornes du 40 et du 60 %, et ainsi de suite.
Une ois que l’ensemble de la population a été divisé en quintiles, on peut cal-
culer la répartition du revenu par quintile, c’est-à-dire la proportion de la richesse
collective accaparée par chacun des quintiles. Cela permet de mesurer les inéga-
lités socioéconomiques. En eet, si une très grande proportion de la richesse
d’une société est concentrée entre les mains des 20 % les plus riches (cinquième
quintile), alors, on peut conclure que cette société est inégalitaire. Au Québec, en
2006, le quintile le plus riche détenait 38 % de la richesse, ce qui signife que la
répartition de la richesse y était légèrement plus égalitaire que la moyenne cana-
dienne (voir la fgure 7.3).
De plus, les quintiles de revenu sont utiles pour mesurer la variation des inéga-
lités socioéconomiques dans le temps. L’inégalité dans la répartition des revenus
entre les diérents quintiles au Canada est très stable depuis cinquante ans. En
eet, depuis 1960, quelle que soit la décennie étudiée, les individus qui ont partie
du cinquième de la population détenant les revenus les plus élevés (quintile supé-
rieur) reçoivent plus de 40 % de l’ensemble des revenus, alors que les membres
du quintile inérieur reçoivent moins de 5 % des revenus totaux. Malgré cette
grande stabilité, un changement se dessine depuis les années 1980 : la proportion
des revenus totaux détenus par les membres du quintile supérieur a tendance à
augmenter, au détriment de celle des revenus totaux détenus par les deuxième et
troisième quintiles (Frechette et Vézina, 1990 ; Statistique Canada, 1997, 2010).
La croissance des inégalités de revenus depuis les années 1980 est encore plus
orte aux États-Unis, où une part croissante des revenus totaux est concentrée au

218 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Figure 7.3 La répartition du revenu disponible ajusté par quintile, Québe, Ontario et canada, 2006
Pourcentage
50

40 39
40 38
1er quintile
30 2e quintile
23 23 23 3e quintile
20 18 18 17 4e quintile
13 13 13 5e quintile
8
10 7 7

0
Québec Ontario Canada

Note : Le revenu disponible ajusté est le revenu après impôt, ajusté en onction de la taille des amilles.
Source : Institut de la statistique du Québec (2009). Données sociales du Québec. Édition 2009, Institut de la statistique du Québec, p. 173.

sein du quintile supérieur, et ce, aux dépens des deuxième, troisième et qua-
trième quintiles (Kerbo, 2006). Si elle se poursuit, cette tendance aura pour eet
de créer deux groupes de revenus dans la société : une minorité qui reçoit plus de
la moitié des revenus et la majorité qui se partage la part restante.
Le coefcient de Gini Le coefcient de Gini, dont la valeur se situe toujours entre
0 et 1, sert à mesurer le niveau d’inégalité dans une population. Un coefcient
de 0 correspond à une égalité paraite : tous les membres de la population dis-
posent exactement du même revenu. Un coefcient de 1 correspond, quant à lui,
à une inégalité totale : un seul individu accapare l’ensemble des revenus, alors que
tous les autres n’ont rien. Bien entendu, aucun de ces cas extrêmes n’existe dans
la réalité. Comme le montre la fgure 7.4, au Québec et au Canada, le coefcient se
situe généralement autour de 0,30.

Le oefient de gini du revenu disponible ajusté, Québe,


Figure 7.4 Ontario et canada, 1996-2006
Coefcient
0,36

0,34

0,32

0,30 Canada
Québec
0,28 Ontario

0,26

0,24
1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
Année

Source : Institut de la statistique du Québec (2009). Données sociales du Québec. Édition 2009,
Institut de la statistique du Québec, p. 174.

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 219


RÉSEAu DE CONCEpTS Les négaltés économques

Inégalités économiques

s’observent par la présence de sont analysées par

Classes Chercheurs en Statisticiens


Élite économique Pauvreté Chargés d’études
moyennes sciences sociales ofciels

observables à l’échelle en utilisant diérents


indicateurs comme

Nationale Seuils de aible Quintiles de Coefcient


Mondiale
(Québec/Canada) revenu revenu de Gini

peuvent mesurer

Pauvreté relative Pauvreté absolue

FAITES LE pOINT

1. Quelles sont les principales caractéristiques de l’élite internationale


d’aujourd’hui ?
2. Qu’est-ce qui distingue la classe moyenne québécoise de 1982 de celle
de 2008 ?
3. Qu’est-ce qui distingue la pauvreté absolue de la pauvreté relative ?
4. Quelles sont les deux formes que peut prendre l’intervention de l’État
dans la redistribution de la richesse ?

7.2 Des regards théoriques sur les classes sociales


Les sociologues ont généralement recours au concept de classe sociale pour
décrire la distribution inégale de la richesse et du pouvoir dans une population.
Le système de classes d’une société repose sur la hiérarchie et sur un modèle de
division des classes sociales.

220 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


Les classes sociales n’ont touteois pas la même dénition pour les sociolo-
gues onctionnalistes et marxistes. On a vu, en eet, dans le chapitre 2, que les
diverses théories en sociologie reposent sur des visions distinctes de la société.

7.2.1 Les classes sociales selon la théorie marxiste


Les sociologues marxistes conçoivent les classes sociales comme des groupes
sociaux qui se distinguent d’abord par le rôle qu’ils jouent dans la production des
biens et des services d’une société. Ils s’inspirent ainsi des travaux de Karl Marx,
qui occupent une place particulière dans l’ensemble des études sur le phénomène
des classes sociales.

Les caractéristiques des classes sociales selon la théorie marxiste


Marx a vécu au moment où la révolution industrielle a transormé radicalement
les sociétés agricoles de l’Europe. Il a passé une grande partie de sa vie à Londres,
en Angleterre, qui ut le berceau de la révolution industrielle. Londres était à cette
époque une métropole où se côtoyaient une minorité d’aristocrates et d’industriels
extrêmement riches, et la majorité de la population, qui travaillait de longues
heures, vivait dans des taudis et était afigée par la maladie et la malnutrition.
Marx était attristé et irrité devant tant d’inégalités sociales. Le « miracle » de
l’industrialisation dans un pays parmi les plus riches du monde n’avait en n
de compte pas permis d’améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la
population. Selon Karl Marx, cela représentait une contradiction ondamentale :
comment une société si riche pouvait-elle compter une majorité de personnes
si pauvres ?
Pour Marx, la réponse se trouve dans le mode de production capitaliste qui,
comme chacun des modes de production, engendrerait des classes sociales
opposées. Selon lui, les principales caractéristiques des classes sociales sont
les suivantes :
• Les classes sociales sont basées sur la production : L’activité de production est podution
la plus déterminante pour expliquer le comportement des individus dans une Création de biens et de services.
société. C’est cette activité qui assure la survie des sociétés ; par conséquent,
raots de odution
les rapports de production qui s’y établissent sont au ondement des relations
Relations que les êtres humains
humaines. Selon Marx, à chaque mode de production correspondent des rap-
entretiennent entre eux par le
ports de production entre les classes sociales : le mode de production esclava- travail.
giste oppose les esclaves à leurs maîtres ; le mode de production éodal oppose
une classe noble (les chevaliers) à une masse de producteurs (les sers) ; le Mode de odution
mode de production capitaliste oppose quant à lui les capitalistes (ou la bour- Ensemble des activités visant
geoisie) au prolétariat. à produire ou à échanger des
biens et des services dans un
• Les rapports de classes dans le mode de production capitaliste sont basés système économique donné.
sur l’exploitation : dans les sociétés européennes du xix e siècle, le mode de
production qui apparaît est le capitalisme industriel, dans lequel s’opposent caitaliste (bougeoisie)
deux classes sociales : les capitalistes (ou bourgeoisie) et le prolétariat. Le Propriétaire d’entreprises et
d’autres moyens de production
rapport entre ces deux classes est inégal. Pour augmenter leur capital, les
(machinerie, etc.) dans la
capitalistes doivent payer leur main-d’œuvre le moins cher possible ain théorie marxiste.
d’en tirer un meilleur proit. Selon Karl Marx, la bourgeoisie exploite la
classe ouvrière, par exemple en augmentant abusivement la durée des jour- polétaiat
nées de travail, les cadences ou la productivité, ain de maintenir ou d’ac- Classe ouvrière, travailleurs dans
croître ses proits. la société industrielle capitaliste.

• La lutte des classes est le principal acteur d’évolution dans une société capi-
taliste : comme nous l’expliquions dans le chapitre 2, la clé de la pensée de Karl
Marx est l’idée du confit social, c’est-à-dire la lutte entre les diérentes classes

chaite 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 221


de la société pour l’obtention ou le contrôle
du pouvoir et de la richesse. Selon Marx, le
confit social entre les capitalistes et le prolé-
tariat est engendré par le système de produc-
tion lui-même, qui repose sur des bas salaires
an de maximiser les prots. Pour Marx, ce
confit (la lutte des classes) est une caractéris-
tique essentielle des sociétés capitalistes. Le
confit social ne pourra cesser, à moins d’un
changement ondamental du mode de produc-
tion lui-même. Marx croit que ce changement
se produirait éventuellement par le renverse-
ment de la classe capitaliste et de son mode
de production ainsi que par la mise en place
d’un nouveau mode de production, à savoir le
socialisme.
En résumé, Karl Marx reconnaît deux grandes
L’esclavagisme est l’un des modes de production identifés par Marx.
L’industrie du coton aux États-Unis a longtemps reposé sur l’exploitation classes sociales dans les sociétés capitalistes
d’esclaves noirs par de riches propriétaires terriens blancs. industrielles : les capitalistes (ou bourgeois), qui
sont propriétaires des moyens de production,
et les travailleurs (ou prolétaires). La lutte des classes entre les bourgeois et les pro-
létaires constitue le principal acteur d’évolution des sociétés.

Une typologie d’inspiration marxiste


La théorie marxiste des classes sociales a inspiré plusieurs sociologues québécois,
particulièrement au cours des années 1960 et 1970. Certains d’entre eux se sont
appuyés sur ce cadre théorique pour construire des typologies, c’est-à-dire des
classications, permettant de répartir les individus entre diérentes classes
sociales. C’est notamment le cas d’Anne Légaré, dont le livre intitulé Les classes
sociales au Québec s’inscrit dans le courant marxiste. Après une longue étude, à
l’aide des données du recensement, de la division du travail entre les diérents
secteurs d’activité économique, Anne Légaré distingue quatre classes sociales au
Québec : les capitalistes, les ouvriers, la petite bourgeoisie salariée et la petite
bourgeoisie traditionnelle (voir le tableau 7.4).
La classe des capitalistes (la bourgeoisie) est composée des propriétaires et
des dirigeants salariés des grandes entreprises. La classe ouvrière comprend sur-
tout des travailleurs de la production dans le secteur de la abrication. Cette classe
englobe aussi des travailleurs du secteur de la circulation des produits, comme les
commis d’épicerie, les conducteurs de camion ou les manutentionnaires. Anne

Tableau 7.4 La dstrbuton des classes socales, Québec, 1961


Proportion de la population appartenant
Classe sociale
à cette classe sociale ( %)
Capitalistes 8,9
Ouvriers 40,8
Petite bourgeoisie salariée 40,6
Petite bourgeoisie traditionnelle 9,6
Source : Adapté de Légaré, Anne (1977). Les classes sociales au Québec, Montréal, Les Presses de
l’Université du Québec, p. 116-117.

222 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


Légaré distingue ensuite deux catégories de petite bourgeoisie. La petite bour-
geoisie traditionnelle est liée à la petite propriété marchande. Elle est composée
des proessionnels qui travaillent à leur compte, comme les avocats ou les archi-
tectes, et des producteurs et des travailleurs indépendants, comme les agricul-
teurs et les artisans. Quant à la petite bourgeoisie salariée, c’est la nouvelle petite
bourgeoisie qui s’est particulièrement développée avec l’avènement des proes-
sionnels salariés. Elle comprend également les techniciens salariés.

L’actualisation de la théorie marxiste


Certains sociologues considèrent que la théorie marxiste des classes sociales est
dépassée, car les sociétés contemporaines sont très diérentes des sociétés capi-
talistes industrielles décrites par Marx au xixe siècle. Selon eux, quatre changements
importants rendent désuète la théorie marxiste :
• La propriété des entreprises : Les entreprises qui autreois appartenaient aux
grandes amilles bourgeoises sont aujourd’hui entre les mains de nombreux
actionnaires. La gestion quotidienne de ces organisations est eectuée par des
administrateurs qui, habituellement, ne détiennent pas une part importante de
la propriété des entreprises qu’ils dirigent. En ait, il devient de plus en plus di-
cile de maintenir la dénition de la classe bourgeoise comme celle qui détient
la propriété des moyens de production, puisque de nombreux travailleurs se
partagent une part de cette propriété par l’entremise de leurs onds de pension
et de leurs REER.
• La structure des emplois : La structure des emplois s’est transormée depuis le col blan
début de la révolution industrielle en raison de l’accroissement considérable Personne dont l’emploi
des occupations de cols blancs. Au xixe siècle, la grande majorité des travail- suppose surtout une activité
leurs occupaient des emplois de cols bleus, alors qu’aujourd’hui, la plus grande intellectuelle.
partie de la main-d’œuvre occupe des emplois de cols blancs. col bleu
• Les conditions des travailleurs : La condition des travailleurs ne semble pas Personne dont l’emploi
actuellement aussi désespérante qu’il y a un siècle. Les relations de travail sont suppose surtout une activité
aujourd’hui caractérisées par des négociations régulières, où le confit, lorsqu’il manuelle.
se produit, constitue un instrument de négociation.
• La protection légale : La protection légale et nancière est de nos jours très
répandue. Les travailleurs ont des droits garantis par les lois. Les programmes
gouvernementaux, comme l’assurance-emploi et l’aide sociale, donnent aux tra-
vailleurs une plus grande sécurité nancière que celle que pouvaient leur orir
les bourgeois du xixe siècle.
Touteois, d’autres sociologues considèrent que malgré ces changements, la
théorie marxiste demeure pertinente, pour les raisons suivantes :
• La persistance des inégalités : Bien que les inégalités soient moins fagrantes
qu’au xixe siècle, elles n’ont pas disparu. Elles ne s’incarnent peut-être plus dans
les gures emblématiques du propriétaire d’usine et de son ouvrier, mais elles
sont certainement visibles lorsqu’on compare la nouvelle élite internationale
aux populations pauvres de certaines régions du monde, comme nous l’avons
vu dans la section précédente.
• La persistance de l’exploitation de travailleurs : Si les conditions de travail se
sont globalement améliorées, ce n’est pas le cas dans tous les pays du monde
et dans tous les secteurs d’activité. De nos jours, la mondialisation permet aux
entreprises transnationales de sous-traiter leur production dans des pays où
les droits des travailleurs ne sont pas reconnus comme en Occident. Ces nom-
breuses délocalisations entraînent des pertes d’emplois dans les pays du Nord,
en plus d’encourager l’exploitation des travailleurs du Sud. Par exemple, de
nombreux emplois dans le secteur manuacturier ont été délocalisés du Canada

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 223


vers la Chine et l’Inde, où les salaires horaires sont 19 ois inérieurs à ceux des
employés canadiens du même secteur (Hurteau, 2009).
• La persistance des confits : Les grands arontements qui surviennent périodi-
quement entre syndicats et patrons montrent que les rapports de production
sont toujours marqués par des confits. Certains grands confits ont d’ailleurs
marqué l’histoire du Québec, comme la grève de l’amiante à Asbestos en 1949,
qui a été ortement réprimée par le gouvernement de Maurice Duplessis, et la
grève du Front commun des employés de la onction publique du Québec en
1972, qui a même entraîné l’emprisonnement des ches des trois principales
centrales syndicales (CSN, CEQ et FTQ). Plus récemment, la ermeture par
Walmart de son magasin de Jonquière, au moment où ses employés tentaient de
se syndiquer, ainsi que les lock-out prolongés au Journal de Québec, puis au
Journal de Montréal, ont relancé des débats sur les rapports entre employés et
patrons. Pour plusieurs sociologues, l’action syndicale est toujours essentielle
(voir l’encadré 7.2, page 237).

7.2.2 Les classes sociales selon la théorie onctionnaliste


stratfcaton ocale Les sociologues qui s’inspirent de l’approche onctionnaliste étudient les classes
Selon l’approche fonctionnaliste, sociales sous l’angle de la stratifcation sociale. D’ailleurs, plusieurs d’entre eux
processus par lequel des préèrent le terme « strate sociale » à celui de « classe sociale », trop associé, selon
catégories d’individus dans eux, à la théorie marxiste. Le sociologue états-unien Talcott Parsons (1902-1979)
une société sont placées à un est le principal théoricien de l’approche onctionnaliste.
moment donné dans un ordre
hiérarchique.
Les caractéristiques de la stratifcation sociale selon
la théorie onctionnaliste
strate ocale La distribution inégale du pouvoir et des richesses entre les membres d’une société
Selon l’approche fonctionnaliste, ne se ait pas au hasard. Elle est le résultat d’un ensemble de pratiques que l’on
ensemble de personnes qui désigne par le terme « stratication sociale », et qui a pour eet de grouper dans
partagent une même position une même classe ou strate sociale des personnes qui possèdent des caractéris-
dans un ordre hiérarchique établi tiques communes. Les sociologues onctionnalistes s’intéressent à ce processus
en fonction de critères tels que de stratication sociale, auquel ils attribuent les caractéristiques suivantes :
le statut socioéconomique ou la
catégorie socioprofessionnelle. • La stratication sociale échappe en partie à la maîtrise des individus : la place
que chaque individu occupe dans la stratication sociale ne dépend pas uni-
quement de sa bonne volonté et de ses eorts. Elle s’explique également par
des acteurs sociaux qui lui échappent. Par exemple, les enants nés dans les
amilles aisées ont plus de chances de se retrouver à leur tour au sommet de la
hiérarchie sociale lorsqu’ils atteindront l’âge adulte.
• La stratication sociale varie selon les sociétés : on trouve des strates sociales
dans presque toutes les sociétés. Cependant, les systèmes de strates sociales sont
très variables. Dans les sociétés très peu avancées sur le plan technologique,
comme les sociétés nomades qui vivent de la chasse et de la cueillette, la stra-
tication est plutôt simple, alors que dans les sociétés plus avancées sur le plan
technologique, la stratication sociale est plus complexe, étant donné le plus
grand nombre de rôles sociaux que les individus peuvent occuper.
• La stratication sociale est une structure nécessaire : les sociologues onctionna-
listes insistent sur le caractère inévitable et nécessaire de la stratication sociale.
Ils considèrent que celle-ci est un système de récompenses et de punitions indis-
pensable au bon onctionnement de la société. La stratication permet à la
société de motiver l’individu à remplir son rôle social en le récompensant de di-
érentes açons, comme avec de l’argent ou de la considération sociale.

224 parte iii Les inégalités et les différences sociales


• La stratifcation sociale permet la mobilité des individus : selon l’approche onc-
tionnaliste, les individus peuvent changer de position sociale. Autrement dit, ils
ne sont pas condamnés à demeurer toute leur vie au sein de la même strate.
Certains choix individuels et collectis, de même que certains événements pré-
visibles ou imprévisibles, peuvent avoir pour eet de modifer la position d’un
individu dans l’échelle sociale. Nous verrons plus loin comment les sociologues
défnissent et mesurent ce phénomène de mobilité sociale.

Une typologie d’inspiration fonctionnaliste


Tous les sociologues onctionnalistes constatent l’existence de la stratifcation
sociale, qu’ils présentent sous la orme d’au moins trois grands groupes de strates :
les strates supérieure, moyenne et inérieure. Cependant, ces sociologues ne s’en-
tendent pas sur le nombre exact de strates sociales, ni sur les critères à employer
pour les désigner.
Certains ont appel au revenu, à l’occupation, au niveau de scolarité, ou encore statut oioonomique
à la considération sociale pour constituer leurs typologies. Plusieurs auteurs uti- Échelle sociale basée sur
lisent un indice de stratifcation qui combine plusieurs critères. L’indice le plus le revenu, l’occupation
connu est le statut socioéconomique, qui tient compte du revenu, de l’occupation et l’instruction.
et de l’instruction.
Les sociologues états-uniens J.A. Khal et D.W. Rossides ont choisi le critère de
l’occupation pour déterminer les strates du système de stratifcation sociale
aux États-Unis. Ils en ont dégagé cinq : la classe supérieure, la classe moyenne-
supérieure, la classe moyenne-inérieure, la classe ouvrière et la classe inérieure,
comme l’indique le tableau 7.5.

Tableau 7.5 La ditibution de tate oiale aux état-Uni, elon Khal et roide
Pourcentage de
Classe sociale Occupations
la main-d’œuvre ( %)
Supérieure 1à3 • Propriétaires de grandes entreprises
• Dirigeants politiques à l’échelon supérieur
• Positions honorifques dans le gouvernement et dans le domaine
des arts
Moyenne-supérieure 10 à 15 • Proessionnels et techniciens spécialisés
• Administrateurs, propriétaires d’entreprises de taille moyenne
Moyenne-inérieure 25 à 30 • Employés de bureau et vendeurs
• Propriétaires de petites entreprises
• Semi-proessionnels
• Fermiers
Ouvrière 25 à 30 • Travailleurs spécialisés et semi-spécialisés
• Artisans
• Contremaîtres
Inérieure 15 à 20 • Travailleurs non spécialisés et travailleurs des services d’entretien
• Travailleurs domestiques et employés de erme
Source : Adapté de Tischler, Henry L. (2004). Introduction to Sociology, Thomson Wadworth, p. 182-184.

chapite 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 225


• La classe supérieure se compose d’une aible minorité de personnes qui ont
un mode de vie très diérent de l’ensemble de la population. Les membres
de cette classe possèdent de grandes richesses, qui proviennent souvent
des générations précédentes. Ces individus se reconnaissent acilement
entre eux et sont reconnus par l’ensemble de la population en raison de leur
réputation et de leur mode de vie. Ils s’isolent habituellement du reste de la
société par le lieu de résidence, les clubs qu’ils réquentent et les écoles où
leurs enants étudient.
• La classe moyenne-supérieure comprend les personnes qui ont un mode de vie
supérieur à celui de l’ensemble de la population. Cette classe est constituée de
gens d’aaires qui ont réussi, de proessionnels et de leurs amilles. Ces per-
sonnes ne détiennent pas directement les postes de direction dans les grandes
organisations, mais elles sont sufsamment près du pouvoir pour bénéfcier
d’un revenu élevé.
• La classe moyenne-inérieure se trouve dans les mêmes secteurs d’emploi que
la classe moyenne-supérieure (surtout dans les services), mais ses membres
n’ont pas été capables d’obtenir le même niveau de vie. Ils occupent des emplois
semi-proessionnels, comme travailleurs de bureau ou vendeurs, ou ont un tra-
vail manuel spécialisé.
• La classe ouvrière est constituée des ouvriers d’usine. Ce sont les travailleurs
des chaînes de montage, les mécaniciens automobiles, les préposés à l’entre-
tien et à la réparation. Ils subviennent sans difculté à leurs besoins de base,
mais ne peuvent s’orir beaucoup de luxe.
• La classe inérieure regroupe les personnes les plus démunies sur le plan éco-
nomique. Elles sont très peu scolarisées et ne possèdent presque pas d’habi-
letés proessionnelles. Leur vie est axée sur la survie quotidienne.

L’actualisation de la théorie fonctionnaliste


À première vue, la théorie onctionnaliste apparaît plus adaptée que la théorie
marxiste pour décrire nos sociétés actuelles. En eet, elle permet de rendre compte
de la complexité de nos sociétés, dans lesquelles les catégories socioproession-
nelles se sont multipliées depuis le xixe siècle. Elle permet de tenir compte de la
grande diversité des conditions de vie des individus, qui ne s’explique pas toujours
par la position de ceux-ci dans les rapports de production. C’est notamment pour
cette raison qu’elle inspire encore aujourd’hui de nombreux organismes statis-
tiques, qui construisent des classifcations socioproessionnelles souvent très
élaborées. Par exemple, Statistique Canada met régulièrement à jour sa Classifcation
nationale des proessions, qui répartit les proessions à partir de acteurs tels que
« les matériaux transormés ou utilisés, l’équipement et les processus industriels
utilisés, le degré de responsabilité et de complexité du travail, ainsi que les biens
abriqués et les services ournis » (Statistique Canada, 2011, p. 7). Les proessions
se classent ainsi en de nombreux groupes et sous-groupes, auxquels correspondent
des codes numériques.
Malgré tout, l’approche onctionnaliste des classes sociales demeure orte-
ment critiquée. En insistant sur la diversité et la complexité de la hiérarchie
sociale, elle tend à masquer les inégalités persistantes entre les plus riches et les
plus pauvres, ainsi que le rapport de domination qu’ils entretiennent. L’approche
onctionnaliste est donc surtout utile pour étudier l’évolution de la structure de
la main-d’œuvre dans une société, c’est-à-dire les variations dans le temps de la
répartition de la population entre diérents secteurs d’emploi. Elle est touteois
moins adaptée pour étudier les inégalités socioéconomiques, et surtout, pour
mesurer l’ampleur du ossé qui sépare les riches des pauvres.

226 parte iii Les inégalités et les différences sociales


7.2.3 Une comparaison des deux théories
Les sociologues onctionnalistes perçoivent la société comme un organisme ou un
système social dans lequel les diérentes parties occupent des onctions néces-
saires au maintien et à la survie de la société (voir le chapitre 2). Dans cette pers-
pective, ils pensent que la stratifcation sociale prend la orme que la société dans
son ensemble lui donne. Les sociologues onctionnalistes estiment que la stratif-
cation est nécessaire parce qu’elle acilite l’intégration et la cohésion sociales.
Selon eux, la stratifcation sociale sert à sélectionner et à motiver les individus de
açon à ce qu’ils acceptent de remplir les diérentes occupations nécessaires à la
bonne marche de la société.
Les sociologues marxistes ne partagent pas cette vision. Ils ne pensent pas
que le système de classes soit nécessaire ou inévitable même s’il est universel.
Pour ces sociologues, l’activité de production est le ondement des relations
entre les individus. Dans la société capitaliste, l’activité de production est orga-
nisée de telle açon qu’il se crée des classes sociales antagonistes. Ainsi, le sys-
tème de classes, qui rend compte de l’activité de production, détermine la orme
que prend l’organisation sociale. Les sociologues marxistes croient que la com-
pétition, dans un contexte où les ressources sont rares, engendre les inégalités
entre les individus et entre les divers rôles sociaux, ce qui rend l’intégration
sociale illusoire. De plus, les tâches et les récompenses que la société ore aux
individus qui occupent les rôles sociaux sont souvent distribuées de açon iné-
quitable. Selon ces sociologues, le système actuel de classes de nos sociétés est
immoral et doit être changé. Le tableau 7.6 compare les conceptions onctionna-
liste et marxiste des classes sociales.

Tableau 7.6 Une omparaison des approhes fontionnaliste et marxiste des lasses soiales
Approche fonctionnaliste Approche marxiste
La stratication sociale est universelle, nécessaire Le système de classes peut être universel sans être
et inévitable. nécessaire ou inévitable.
L’organisation sociale (le système social) donne sa orme Le système de classes donne sa orme à l’organisation
au système de stratication sociale. sociale (le système social).
La stratication sociale est le résultat des besoins d’intégra- Le système de classes est le résultat de la conquête, de
tion, de coordination et de cohésion de la société. la compétition et du confit entre les groupes sociaux.
La stratication sociale acilite le onctionnement optimal de Le système de classes entrave le onctionnement optimal
la société et de l’individu. de la société et de l’individu.
La stratication sociale est l’expression des valeurs sociales Le système de classes est l’expression des valeurs des
partagées par l’ensemble de la société. groupes dominants de la société.
Le pouvoir est habituellement distribué d’une manière légitime Le pouvoir est habituellement distribué d’une manière
dans la société. illégitime dans la société.
Les tâches et les récompenses sont attribuées de açon Les tâches et les récompenses sont attribuées de açon
équitable. inéquitable.
La dimension économique est subordonnée aux autres La dimension économique est la dimension la plus importante
dimensions de la société, comme la dimension politique ou de la société.
la dimension idéologique.
Les systèmes de stratication sociale changent généralement Les systèmes de classes changent généralement au moyen
au moyen d’un processus d’évolution. d’un processus révolutionnaire.
Source : Adapté de Tischler, Henry L. (2004). Introduction to Sociology, Thomson Wadworth, p. 201.

chapitre 7 Les inégalités et la stratication sociale 227


FAITES LE pOINT

5. Quelles sont les deux principales classes en lutte dans les sociétés
capitalistes industrielles, selon la théorie marxiste ?
6. Pourquoi peut-on dire que la typologie de Khal et Rossides s’inscrit
dans la théorie onctionnaliste ?
7. Quelles critiques les sociologues marxistes adressent-ils à la théorie
onctionnaliste des classes sociales ?

7.3 La mobilité et la reproduction sociales


Comme nous l’avons vu, l’étude des classes sociales permet de positionner les
individus dans la structure sociale, que celle-ci soit envisagée à partir des rapports
de production, dans une perspective marxiste, ou encore à partir de catégories
socioproessionnelles ou du statut socioéconomique, dans une perspective onc-
tionnaliste. L’étude des classes sociales permet également de déterminer dans
quelle mesure les individus peuvent se déplacer d’une classe sociale à une autre.
Moblté socale C’est ce que l’on appelle la mobilité sociale. Rappelons que les sociologues onc-
Changement de position des tionnalistes croient que la stratifcation permet la mobilité sociale, alors que les
individus dans un système de sociologues marxistes insistent plutôt sur les obstacles qui entravent cette mobi-
stratifcation sociale. lité, et sur les mécanismes qui assurent au contraire la reproduction sociale.
Moblté ntergénératonnelle La mobilité sociale étant surtout étudiée par les onctionnalistes, on a généra-
Changement de position d’un lement recours aux catégories socioproessionnelles pour la mesurer. Deux
individu dans un système de méthodes peuvent être utilisées ; la plus réquente consiste à comparer la caté-
stratifcation sociale, mesuré
gorie socioproessionnelle d’une personne à celle de ses parents, afn de mesurer
par l’écart entre sa catégorie
socioproessionnelle et celle
sa mobilité intergénérationnelle. On peut également comparer la catégorie
de ses parents. socioproessionnelle d’une même personne en début et en fn de carrière, afn
d’évaluer sa mobilité intragénérationnelle (Molénat, 2009a). Les données ainsi
Moblté ntragénératonnelle obtenues peuvent être présentées sous la orme d’une table de mobilité sociale.
Changement de position d’un Cette présentation des données est particulièrement répandue en France, où
individu dans un système de
l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) publie
stratifcation sociale, mesuré
par l’écart entre sa catégorie
régulièrement des tables de mobilité sociale, comme celle du tableau 7.7. Dans ce
socioproessionnelle en début tableau, on constate notamment que 88 % des agriculteurs sont des fls d’agri-
et en fn de carrière. culteurs. Ces fls n’ont donc pas connu de mobilité sociale. Par contre, on remarque
aussi que 36 % des artisans, commerçants et ches d’entreprises sont des fls
d’ouvriers. Ils ont donc connu une mobilité sociale.

7.3.1 La mobilité ascendante


Moblté ascendante Lorsque les sociologues onctionnalistes afrment que la stratifcation permet la
Changement de position des mobilité sociale, ils insistent généralement sur le ait que les individus ont la possi-
individus dans un système bilité d’améliorer leur sort, et donc de connaître une mobilité ascendante. Cette
de stratifcation sociale, allant conviction est également à la base de ce qu’on appelle le « rêve américain » : aux États-
d’une position inérieure à une Unis, plusieurs croient qu’il est possible pour un individu sans ressources de se
position supérieure.
hisser au sommet de l’échelle sociale, s’il y croit vraiment et s’il y consacre les eorts
nécessaires. Cette croyance relèverait touteois davantage du mythe que de la réa-
lité : aux États-Unis « un enant né dans une amille parmi les 20 % les plus pauvres
n’a qu’une chance sur 100 de aire partie des 5 % des individus les plus riches à l’âge
adulte. Les enants de la classe moyenne ont autant de chances de descendre dans
l’échelle sociale (39,5 %) que de monter (36,5 %) » (Molénat, 2009b).

228 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


Tableau 7.7 La atégorie soioproessionnelle du fls en ontion de elle du père, rane, 2003
Catégorie socioproessionnelle du père
Catégorie
socioproessionnelle Artisan, Cadre et proession
Proession
du fls Agriculteur commerçant, intellectuelle Employé Ouvrier
intermédiaire
che d’entreprise supérieure
Agriculteur 88 % 2% 1% 1% 7% 7%
Artisan, commerçant, 12 % 29 % 6% 10 % 7% 36 %
che d’entreprise
Cadre et proession 8% 14 % 24 % 30 % 11 % 23 %
intellectuelle
supérieure
Proession 11 % 12 % 9% 16 % 11 % 41 %
intermédiaire
Employé 13 % 10 % 5% 9% 14 % 49 %
Ouvrier 18 % 9% 2% 6% 7% 58 %
Source : Adapté de Molénat, Xavier (2009). « La mobilité sociale : Comment a-t-elle évolué ? », Sciences humaines, no 209, p. 19.

Il arrive parois qu’une proportion importante d’une société connaisse, au


même moment, une situation de mobilité ascendante. C’est ce qui s’est produit
au cours des trente années qui ont suivi la fn de la Seconde Guerre mondiale,
connues sous le nom de « Trente Glorieuses ». Cette période a été marquée par
une croissance économique inédite, par une augmentation de l’accès à l’éduca-
tion (et notamment aux études supérieures), par une amélioration des conditions
de travail et par le développement d’emplois qualifés, en particulier dans le
secteur des services. C’est ce qui a permis aux jeunes adultes de cette époque
d’accéder à une catégorie socioproessionnelle supérieure à celle de leurs
parents. Ils ont donc vécu une mobilité intergénérationnelle ascendante.
En plus de ces acteurs sociaux et économiques, des acteurs individuels ou
amiliaux peuvent également être à l’origine d’une mobilité ascendante. Ainsi,
certains parents issus des classes populaires :
• choisissent d’investir dans l’éducation de leurs
enants dès qu’une amélioration de leurs revenus
leur permet de le aire ;
• disposent de ressources amiliales modestes, mais
stables, ce qui leur permet de aire des projets pour
leurs enants ;
• valorisent l’éducation auprès de leurs enants, car
ils sont conscients de leurs propres limites et
espèrent que leurs enants auront davantage de
possibilités ;
• maintiennent volontairement leurs enants à l’écart
de leur milieu culturel d’origine pour éviter que de
« mauvaises réquentations » les éloignent de l’école
(Mauger, 2002).
Tous ces acteurs peuvent avoriser la mobilité Guy Laliberté, amuseur public devenu PDG du Cirque du Soleil,
est un bon exemple de mobilité sociale ascendante. Sa richesse
ascendante, mais aucun d’entre eux ne permet de la
personnelle le classe parmi les personnes les plus riches du Québec.
garantir.

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 229


7.3.2 La mobilité descendante
Moblté descendante Si la stratication sociale permet la mobilité ascendante, elle peut également
Changement de position des donner lieu à une mobilité descendante, aussi connue sous le nom de « déclasse-
individus dans un système de ment ». Ce phénomène aecterait aujourd’hui plusieurs jeunes adultes, qui
stratifcation sociale, allant occupent des onctions de technicien ou d’ouvrier, alors que leurs parents étaient
d’une position supérieure à cadres (Peugny, 2009). S’il est bien entendu possible d’occuper ces onctions par
une position inérieure. choix, il n’en demeure pas moins que plusieurs d’entre eux se sont résignés à de
tels emplois, aute de mieux. Ces jeunes entretiennent souvent une rustration vis-
à-vis de la société, qui leur avait promis de bons emplois, qui leur apparaissent
aujourd’hui inaccessibles. Nous verrons dans le chapitre 9 que cet écart entre les
attentes créées durant les Trente Glorieuses et la réalité du marché du travail
depuis les années 1980 donne parois lieu à des confits intergénérationnels entre
les parents qui ont obtenu de bons emplois et leurs enants qui n’ont pas eu les
mêmes possibilités.
Tout comme la mobilité ascendante, la mobilité descendante, lorsqu’elle aecte
une large proportion de la population, s’explique donc souvent par des causes
sociales et économiques, comme la aiblesse de la croissance économique et la
progression du chômage. À plus petite échelle, elle peut aussi s’expliquer par des
causes individuelles ou amiliales. Ainsi, il arrive que des enants issus de amilles
aisées connaissent des dicultés à l’école, qui risquent ensuite de se traduire par
une mobilité descendante lorsqu’ils arriveront sur le marché de l’emploi : « Certains
parents diplômés ont eu un parcours scolaire chaotique et douloureux, et trans-
mettent le souvenir de leur sourance et une certaine angoisse à leurs enants.
D’autres achent un rapport distant et péjorati à l’univers scolaire. Parois enn,
on incriminera une organisation amiliale déconnectée des exigences de l’école,
des emplois du temps amiliaux peu soucieux des contraintes d’une vie scolaire
réussie, et peu propices à un travail suivi de l’enant » (Fournier, 2011). C’est donc
dès les premières années de la scolarité que commence le parcours de l’enant
vers la mobilité descendante.

RÉSEAu DE CONCEpTS La moblté socale

Individuels et
amiliaux
peut s’expliquer
par des acteurs
Socioéconomiques

Descendante

Mobilité sociale peut être

Ascendante

Mobilité
intragénérationnelle
étudiée à l’aide Méthodes
Fonctionnalistes
surtout par de deux d’analyse
Mobilité
intergénérationnelle

230 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


7.3.3 La reproduction sociale
Le contraire de la mobilité sociale, c’est la reproduction sociale. Les sociologues
marxistes, et plus largement les théoriciens du confit social, rappellent que la
mobilité sociale n’est pas la norme, et que, si elle nourrit chez les individus l’espoir
d’une vie meilleure, dans la réalité, bien des obstacles se dressent devant ceux qui
souhaitent améliorer leur sort. Dans certaines sociétés, où la place de chacun dans
la structure sociale est encadrée par des règles très strictes, la mobilité sociale est
tout simplement impensable. Et même dans les sociétés libérales comme la nôtre,
où il est possible de gravir les marches de la hiérarchie sociale, notamment au
moyen de l’éducation, les enants ont tendance à demeurer dans la même classe
sociale que leurs parents.

La reproduction sociale selon Bourdieu


Comme nous l’avons vu dans le chapitre 4, le sociologue rançais Pierre Bourdieu
considère que chaque individu se positionne dans la structure sociale en onction
des capitaux dont il dispose. Ces capitaux sont de trois ordres : le capital écono-
mique, qui inclut les revenus ainsi que les biens matériels que possède cet individu ;
le capital social, ormé du réseau de contacts de cet individu ; ainsi que le capital
culturel, composé des savoirs, des savoir-aire, des habitudes et des attitudes qui
ont partie de l’héritage amilial. Alors que plusieurs sociologues ont insisté sur le
pouvoir de l’argent, et donc du capital économique, pour assurer à chacun sa posi-
tion dans l’échelle sociale, Bourdieu a insisté davantage sur l’importance du capital
culturel, qui assure la reproduction sociale de açon plus subtile.
La thèse de Bourdieu est la suivante : alors que l’école obligatoire et accessible à
tous se présente comme un moyen d’assurer l’égalité des chances et la mobilité
sociale, elle avorise au contraire la reproduction sociale, en aisant appel au capital
culturel des enants. En eet, le contenu enseigné en classe n’est pas neutre : il a été
déterminé par la classe dominante, qui décide de ce qui mérite d’être transmis aux
jeunes générations. Ainsi, en contrôlant l’école, la classe dominante impose un
« arbitraire culturel » et s’assure que seule la culture qu’elle-même juge légitime sera
enseignée. Dans ces circonstances, les enants issus des milieux aisés sont avan-
tagés par rapport aux autres dès leur entrée à l’école, car ils ont déjà acquis, dans
leur amille, le capital culturel qui leur permettra de réussir à l’école. Ils savent com-
ment s’exprimer, comment se tenir, comment s’adresser à l’enseignant. Ils
connaissent le niveau de langage considéré comme approprié par l’institution sco-
laire. Ils disposent déjà de certaines connaissances qui leur permettront de mieux
suivre les leçons de l’enseignant, avec lequel ils partagent certains codes culturels.
Selon Bourdieu, l’école assure ainsi la reproduction sociale en avorisant les
enants des classes dominantes, tout en leur aisant croire que leur réussite s’ex-
plique uniquement par leurs eorts et leur intelligence, mesurés par les examens.
Or, pour Bourdieu, les examens scolaires ne mesurent pas objectivement le
« mérite » de chaque enant, ils évaluent plutôt l’ampleur de leur capital culturel.
En prétendant être ondée uniquement sur le mérite et orir à tous la chance de
réussir, l’école permettrait aux inégalités de se reproduire, sans que personne ne
les remette en question (Bourdieu, 1966).

Les systèmes de castes sytème de ate


Système de catégories sociales
Si la reproduction sociale s’eectue subtilement dans la société rançaise décrite hiérarchiques dont les critères
par Bourdieu, il en va autrement dans certaines sociétés, où elle est imposée de d’appartenance s’appuient
açon explicite. C’est le cas dans les sociétés ondées sur un système de castes. surtout sur la naissance et la
Dans ces sociétés, les individus deviennent automatiquement, dès leur naissance, pureté religieuse, et qui ne
membres de la même caste sociale que leurs parents. De cette açon, les castes se permet aucune mobilité sociale.

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 231


maintiennent et se prolongent de génération en génération. Les pouvoirs et les
droits de chaque caste sont bien défnis. Les individus savent exactement ce qui
leur est permis et ce qui leur est interdit, tant sur le plan individuel que sur le plan
collecti. Par exemple, la caste à laquelle appartient un individu détermine en
grande partie son emploi ou sa onction sociale ; elle l’oblige également à se marier
avec un membre de sa propre caste, souvent choisi par ses parents.
Le mot « caste » vient du portugais casta, qui signife « pur, sans mélange », et
qui ut employé par les Portugais en Inde pour désigner les groupes sociaux héré-
ditaires de ce pays. En Inde, chaque caste avait ses onctions spéciales et ses pré-
rogatives. Chaque individu devait rester dans la caste où il était né, sans jamais
chercher à se soustraire aux obligations qu’elle lui imposait.
Le système traditionnel des castes en Inde comprend quatre castes. Les brah-
manes constituaient la caste sacerdotale, la plus noble. Ils portaient des vête-
ments particuliers et jouissaient de plusieurs privilèges, dont celui d’être les
seuls conseillers des princes. Les kshatriyas, ou guerriers, ormaient la deuxième
caste. Ils se considéraient comme les descendants des anciens rois indiens et
étaient destinés à la vie militaire. La troisième caste, celle des vaisyas, se compo-
sait de toutes les personnes qui s’occupaient de commerce et d’industrie. Les
sûdras, c’est-à-dire les laboureurs ou les ouvriers, constituaient la quatrième
caste. Au-dessous des sûdras se trouvaient une multitude d’individus qui étaient
les descendants de tous ceux qui avaient été dégradés par rapport à leur caste
d’origine pour avoir dérogé aux règles de celle-ci. Enfn, au-dessous de toutes les
castes se trouvaient les dalits (ou intouchables) dont le contact était regardé
comme une souillure. Bien que cette caste ait été ofciellement abolie en 1947,
plusieurs de ses membres n’ont pas vraiment cherché à changer leur sort, étant
persuadés qu’ils seraient récompensés dans une autre vie. En ait, même si l’Inde
a déclaré illégal le système de castes, celui-ci demeure encore ortement ancré
dans la mentalité indienne, ce qui nuit grandement aux chances de mobilité
sociale des membres des castes inérieures, et en particulier des intouchables.

RÉSEAu DE CONCEpTS La reroducton socale

Reproduction sociale

étudiée surtout par prend des formes différentes dans

Marxistes Sociétés libérales Systèmes de castes

où elle s’effectue où elle s’effectue

À l’école notamment Par l’imposition de règles


Subtilement Explicitement
(selon Bourdieu) et d’interdits très stricts

232 parte iii Les inégalités et les différences sociales


FAITES LE pOINT

8. Quels acteurs sociaux ou économiques peuvent avoriser la mobilité


ascendante dans une société ?
9. Quels acteurs individuels ou amiliaux peuvent avoriser la mobilité
descendante d’un individu ?
10. Comment l’école contribue-t-elle à la reproduction sociale selon
Bourdieu ?
11. Quelles sont les principales caractéristiques d’un système de castes ?

7.4 L’infuence des classes sociales sur l’individu


Chaque société se divise en un certain nombre de classes ou de strates sociales,
et parois même de castes. Les individus qui composent cette société se distribuent
donc de açon inégale entre les divers paliers de la hiérarchie sociale.
Pour certains sociologues, qui adoptent la posture du déterminisme social, le
ait d’être membre d’une classe sociale plutôt que d’une autre exerce une infuence
déterminante sur le destin des individus (voir le chapitre 1). Selon ces chercheurs,
chaque individu est prisonnier de sa classe sociale, et tous les gestes qu’il posera
dans sa vie seront conditionnés par cette appartenance de classe. D’autres socio-
logues, qui adhèrent à l’individualisme méthodologique, ont valoir que l’individu
est doté d’un libre arbitre, qui lui permet de prendre ses propres décisions, d’agir
selon sa propre volonté, sans nécessairement reproduire les comportements
généralement associés à sa classe sociale.
Dans les sections suivantes, nous verrons comment une classe sociale peut
servir de groupe d’appartenance ou de réérence pour l’individu. Sans y voir un
déterminisme absolu, nous constaterons que l’appartenance à une classe sociale
peut suggérer à un individu un modèle de comportement, comme l’inciter à pour-
suivre ses études jusqu’à l’université, ou au contraire à abandonner l’école. De la
même açon, nous verrons que cette appartenance peut être avorable ou déavo-
rable au maintien d’une bonne santé physique ou psychologique. Elle peut égale-
ment inciter un individu à voter pour un parti politique plutôt que pour un autre.

7.4.1 Sur le parcours scolaire et proessionnel


Tant les sociologues onctionnalistes que les sociologues marxistes ont souvent
démontré que l’appartenance à une classe sociale infuence le choix d’un individu
de poursuivre ou non des études universitaires.
Les études en sociologie de l’éducation, qu’elles soient rançaises (Beaudelot
et Establet, 1975 ; Bourdieu et Passeron, 1964) ou québécoises (Dandurand, 1986 ;
Escande, 1973 ; Massot, 1978, 1979 ; Veillette et coll., 1993), établissent toutes une
relation étroite entre le choix de aire des études universitaires et l’appartenance
des élèves à une classe sociale ou à une autre.
Plusieurs acteurs infuencent la décision d’entreprendre des études universi-
taires ; parmi ceux-ci, les ressources nancières, les résultats scolaires, la moti-
vation personnelle et l’encouragement des parents. Derrière l’encouragement
des parents se trouve l’infuence du capital culturel transmis par la amille,
comme l’a démontré Pierre Bourdieu avec sa théorie sur la reproduction sociale.

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 233


Une étude de Statistique Canada sur le taux de participation aux études uni-
versitaires des jeunes de 19 ans au Canada selon le revenu parental indique que
les jeunes dont les parents ont le revenu le plus aible sont beaucoup moins nom-
breux à réquenter l’université que les jeunes dont les parents disposent du
revenu le plus élevé, comme le montre la gure 7.5. En eet, la moitié (50,2 %) des
jeunes de 19 ans dont le revenu parental se situe dans le quartile supérieur ré-
quentent l’université. Chez les jeunes du même âge dont le revenu parental se
situe dans le quartile inérieur, moins du tiers (31,0 %) réquentent l’université. Si
le coût des études universitaires peut expliquer une partie de cet écart, d’autres
acteurs, comme le ait d’avoir eu accès à des écoles réputées, à des livres et à des
sorties éducatives, sont également à prendre en considération (Frenette, 2007).

Le taux de artcaton aux études unverstares de jeunes


Figure 7.5 de 19 ans selon le quartle de revenu* des arents
Taux (%)
60

50

40

30

20

10

0
1er 2e 3e 4e
Quartile de revenu des parents

*
Corrigé en fonction de la taille de la famille des jeunes à 15 ans.
Source : Frenette, Marc. Pourquoi les jeunes provenant de amilles à plus aible revenu sont-ils moins
susceptibles de réquenter l’université ? Analyse ondée sur les aptitudes aux études, l’inuence des
parents et les contraintes fnancières, Statistique Canada, Direction des études analytiques, [En ligne],
www.statcan.gc.ca/pub/11f0019m/11f0019m2007295-fra.pdf (page consultée le 18 décembre 2012).

Les recherches qui démontrent que la classe sociale d’origine infuence l’ac-
cessibilité aux études postsecondaires indiquent par contre que la poursuite
d’études collégiales n’est pas liée au revenu parental. Le taux de participation
collégiale des jeunes de 18 à 24 ans est même moins élevé chez ceux dont le
revenu parental est supérieur à 100 000 $ par année que chez ceux dont le revenu
parental se situe entre 25 001 $ et 100 000 $ (Conseil canadien sur l’apprentissage,
2009). Ces données tendent à conrmer les conclusions de l’étude de Terrill et
Ducharme (1994), selon lesquelles la réussite des études collégiales dépendrait
avant tout du travail des élèves.

7.4.2 Sur le plan de la santé physique et psychologique


L’infuence des classes sociales se refète également sur le plan de la santé phy-
sique et psychologique. Un récent ouvrage québécois sur les inégalités sociales
de santé au Québec a notamment démontré que le ait de vivre dans un milieu
déavorisé diminuait l’espérance de vie à la naissance et l’espérance de vie en
bonne santé, alors qu’il augmentait le risque de mortalité prématurée, le taux
d’incapacité et d’hospitalisation chez les moins de 65 ans et le risque d’avoir à

234 parte iii Les inégalités et les différences sociales


recourir aux services de protection de la jeunesse (Frohlich et coll., 2008). De plus,
les employés dont les conditions de travail sont les plus déavorables, qui se
trouvent généralement au bas de l’échelle de stratication sociale, seraient davan-
tage à risque de subir un accident de travail et de sourir d’une maladie proes-
sionnelle (Frohlich et coll., 2008).
Une étude de l’Institut de la statistique du Québec a également démontré que la
perception subjective que les individus ont de leur état de santé physique et psy-
chologique variait selon leur revenu. Les répondants étaient invités à décrire leur
état de santé générale sur une échelle allant d’« excellente » à « mauvaise » et à
décrire le degré de stress dans leur vie en général ainsi que dans leur milieu de
travail sur une échelle allant de « pas du tout stressant » à « extrêmement stres-
sant ». Leurs réponses ont été comparées selon le décile de revenu, un indicateur
semblable aux quintiles de revenu présentés en début de chapitre, mais qui divise
la population en dix groupes de même taille plutôt que cinq. Les résultats, pré-
sentés dans le tableau 7.8, conrment que les personnes les plus ortunées, c’est-
à-dire celles qui se trouvent dans les déciles les plus élevés, sont plus nombreuses
à juger que leur santé générale et leur santé mentale sont excellentes. Touteois,
ils sont légèrement plus nombreux à armer vivre un stress élevé dans leur vie
quotidienne, de même qu’au travail. Pour expliquer ce résultat, on peut soulever
l’hypothèse selon laquelle les personnes plus nanties occupent des emplois qui
sont généralement peu exigeants sur le plan physique, mais dont les exigences
élevées de perormance peuvent donner lieu à un stress important.

Le pourentage de la population de 12 ans et plus évaluant sa santé omme exellente


Tableau 7.8
ainsi que son niveau de stress omme élevé selon le revenu, Québe, 2005
Excellente santé Excellente santé Stress quotidien Stress au travail
Niveau de revenu
générale ( %) mentale ( %) élevé ( %) élevé ( %)
Décile 1 18,7 35,9 25,8 30,6
Déciles 2-3 18,0 35,6 23,5 32,6
Déciles 4-7 23,9 42,1 25,4 35,5
Déciles 8-10 29,5 47,6 31,8 41,6
Source : Bordeleau, Monique, et Issou Traoré (2007). Santé générale, santé mentale et stress au Québec : Regard sur les liens avec l’âge, le sexe,
la scolarité et le revenu, Institut de la statistique du Québec, p. 2.

Outre les conditions de travail, d’autres acteurs peuvent expliquer les dié-
rences observables entre les classes sociales sur le plan de la santé physique et
psychologique. Les conditions de vie des gens riches ont généralement une
infuence positive sur leur santé : ils habitent dans des quartiers moins pollués et
plus sécuritaires que les gens pauvres. De plus, ils ont davantage accès à des ali-
ments sains et à des installations sportives de qualité, qui leur permettent de
maintenir de saines habitudes de vie. Finalement, ils sont plus nombreux à pou-
voir s’orir des vacances, des loisirs et divers soins de santé préventis et curatis
(massothérapeute, nutritionniste, psychologue, etc.), qui ne sont pas toujours
remboursés par le système de santé public.

7.4.3 Sur le plan politique


Le choix d’un parti au moyen d’un bulletin de vote que l’on remplit dans l’isoloir
apparaît comme une action condentielle et individuelle. Cependant, des études
sociologiques indiquent que l’on trouve aussi un eet du groupe social sur cette
décision de l’individu.

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 235


Dans certains pays où l’opposition entre les partis politiques est très orte, les
résultats électoraux varient de açon importante selon la classe sociale. Les indi-
vidus ont tendance à choisir un parti dont le programme électoral correspond le
mieux aux aspirations ou aux intérêts de leur classe sociale. Par exemple, en
Grande-Bretagne, les ouvriers auraient tendance à voter pour le Parti travailliste,
tandis que les classes moyenne et supérieure voteraient davantage pour le Parti
conservateur. Cette tendance au vote de classe serait touteois beaucoup moins
orte aujourd’hui qu’elle ne l’était dans la première moitié du xxe siècle. En étu-
diant les cas de la Suède, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne de l’Ouest
(aujourd’hui réuniée à l’Allemagne de l’Est), de la France et des États-Unis, les
sociologues Clark et Lipset ont constaté que le vote de classe avait ortement
diminué dans tous ces pays entre les années 1950 et les années 1980 (Clark et
Lipset, 1991).
L’élection présidentielle de 2012 aux États-Unis a touteois permis de constater
que certains clivages sociaux sont persistants dans cette société. En eet, la
majorité des électeurs dont les revenus sont inérieurs à 30 000 $ par an ont voté
pour le démocrate Barack Obama, alors que ceux dont les revenus sont supé-
rieurs à 100 000 $ par an ont voté en majorité pour le républicain Mitt Romney. En
plus de l’appui des classes populaires, Obama a également obtenu celui de la
majorité des Noirs, des Latinos, des emmes et des jeunes (Oster, 2012).
Au Québec, en raison de la division historique des partis politiques autour de
la question nationale, c’est-à-dire du débat sur le statut politique du Québec, la
langue est un acteur beaucoup plus déterminant que la classe sociale dans le
choix électoral. En eet, seulement 6 % des anglophones et 14 % des allophones
ont appuyé le projet de souveraineté du Québec au réérendum de 1995 (Gagné et
Langlois, 2002, p. 95). Ce clivage se refète dans les choix électoraux : les circons-
criptions où réside une proportion importante d’anglophones ou d’allophones
sont généralement acquises au Parti libéral du Québec (Serré, 2009).
Cependant, certaines études indiquent que le choix électoral et réérendaire
est également associé à la stratication sociale. Par exemple, le ait d’être membre
d’un syndicat et d’être un employé de la onction publique a longtemps été associé
au vote péquiste (Crête, 1984) (voir l’encadré 7.2). De plus, « les personnes les plus
scolarisées, ainsi que les cadres, les proessionnels et les techniciens spécialisés
[…], de même que les personnes à revenu élevé, sont davantage opposés au
projet souverainiste que les personnes à aible revenu, les moins scolarisées et
les ouvriers » (Gagné et Langlois, 2002, p. 97).
En dénitive, l’importance du concept de classe sociale n’a plus à être démon-
trée. Nous avons vu que ces diérents groupes suggèrent à l’individu des modèles
de comportement, qui auront un eet sur leur réquentation scolaire, leur santé
physique et psychologique, ainsi que sur leur choix électoral. Il existe des modèles
semblables dans d’autres activités sociales. Par exemple, dans les années 1960,
Pierre Bourdieu et Alain Darbel avaient relevé des diérences importantes entre
les classes sociales quant à la réquentation des musées (Bourdieu et Darbel,
1969). Encore aujourd’hui, au Québec, la réquentation des musées, ainsi que de
plusieurs types de spectacles (théâtre, danse, musique classique), varie de açon
importante selon le revenu et le niveau de scolarité (Ministère de la Culture, des
Communications et de la Condition éminine, 2011).
Cependant, les classes sociales ne sont pas le seul groupe qui suggère des
modèles de comportements aux individus. Nous verrons dans les deux prochains
chapitres que le groupe ethnique, le sexe et le groupe d’âge d’une personne
peuvent aussi suggérer à celle-ci des modèles de comportements.

236 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Encadré 7.2 Sociologue en Action

Michel Doré (1941-2011)

Les syndicats gurent parmi les prin- apolitique, inspiré par la doctrine sociale de l’Église. Durant
cipaux acteurs sociaux interpellés l’après-guerre, elle s’est politisée en combattant le gouverne-
par la question des classes sociales, ment antisyndical de Maurice Duplessis. Elle s’est ensuite asso-
puisqu’ils cherchent à lutter contre les ciée à la Révolution tranquille, puis, dans les années 1970 et
situations d’inégalités vécues par 1980, elle s’est radicalisée, notamment dans le contexte des
les travailleurs. Le sociologue Michel séries de négociations des salariés de l’État et des luttes
Doré a pu mesurer la portée de l’ac- contre les entreprises multinationales. Depuis les années 1990,
tion syndicale, lui qui a travaillé pen- avec les dicultés économiques, la révolution technologique et
dant de nombreuses années au Service de la recherche de la la mondialisation, la CSN et les autres organisations syndicales
Conédération des syndicats nationaux (CSN). Avant d’entre- sont amenées à redénir le sens de leur action politique.
prendre des études doctorales en sociologie sous la direction
Les grands changements de la dernière décennie invitent à
d’Alain Touraine à Paris, Michel Doré militait déjà pour la jus-
une réfexion plus large sur la démocratie. Dans un autre docu-
tice sociale en s’engageant dans le syndicalisme étudiant et en
ment (Doré, 2002), Michel Doré ait état de la question. Après
aisant de l’animation sociale dans certains quartiers popu-
avoir montré la nécessité pour la CSN, en tant que « laboratoire
laires. Son expérience de terrain en a ait un témoin précieux
de la démocratie », d’appuyer des actions signicatives pour
des changements sociaux liés aux confits de travail, qu’il a
les droits des individus, le sociologue revient sur la genèse de
ensuite mise à prot en donnant des cours à l’École de rela-
la démocratie et de ses principes. Il expose ensuite la açon
tions industrielles de l’Université de Montréal.
dont ont émergé et se sont développés l’État, puis l’État provi-
Pendant son activité au sein de la CSN, Michel Doré a rédigé dence. L’acquisition de droits par la population, notamment
plusieurs documents de réfexion concernant le rapport de cette par les emmes, montre aussi que la citoyenneté a pu s’exercer
conédération de syndicats avec le politique et ses eets sur la avec plus de orce et de respect. Touteois, dans l’exercice de
démocratie. Dans un de ces documents (Doré, 2001), le socio- la démocratie se révèlent une diversité de causes liées à la
logue présente diérents modèles d’action politique qui ont été multiplication des communautés d’appartenance qui caracté-
associés à l’action syndicale. Depuis ses origines et selon les risent les sociétés d’aujourd’hui. Michel Doré ormule plusieurs
caractéristiques nationales des divers pays, le syndicalisme a niveaux d’exercice de la démocratie avant d’orir quelques pistes
connu plusieurs types de rapports avec les partis politiques. de réfexion pour la aire progresser. L’une d’entre elles consiste
Dans certains pays, les centrales syndicales ont participé à la à exiger la responsabilisation sociale des entreprises. Celle-ci
ormation de partis politiques ; dans d’autres, les partis poli- est mise à rude épreuve devant les nombreuses ermetures
tiques ont créé les organisations syndicales. On retrouve aussi d’usines qui bouleversent l’économie régionale des provinces
des situations où les syndicats ont conservé leur pleine indé- et la vie de nombreuses communautés. Elle l’est aussi devant
pendance ace aux partis, soit par apolitisme, soit par désir de les dommages causés à l’environnement par certaines entre-
mettre en œuvre des modes particuliers d’intervention sur la prises. Le capitalisme actuel ne avorise pas les rapports éga-
scène politique sans aliéner leur autonomie à un parti, quel litaires entre les diérents acteurs de ce mode de production.
qu’il soit. Au Québec, la CSN, depuis sa création en 1921 Même si des eorts sont déployés pour remédier à la situation,
jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, a pratiqué un syndicalisme l’étude des classes sociales demeurera donc pertinente.

FAITES LE pOINT

12. Quels acteurs peuvent infuencer la décision d’entreprendre des


études universitaires ?
13. Quelle infuence le ait d’être issu d’un milieu déavorisé peut-il avoir
sur la santé des individus ?
14. En plus de la classe sociale, quel autre acteur infuence de açon
déterminante le choix électoral des individus au Québec ?
15. Quels sont les diérents types de rapports que les syndicats peuvent
entretenir avec les partis politiques ?

chapitre 7 Les inégalités et la stratication sociale 237


Résumé
1. Les inégalités socioéconomiques sont obser- sociale est un système de récompenses qui tient
vables à l’échelle mondiale, mais également à compte des habiletés requises pour occuper
l’intérieur d’une même société. Divers indica- diverses positions sociales.
teurs statistiques, tels que les seuils de aible
4. Lorsqu’une personne change de position dans la
revenu, les quintiles de revenu et le coefcient
hiérarchie sociale, elle vit une situation de mobi-
de Gini, sont utilisés pour les mesurer. L’ampleur
lité sociale, qui peut être ascendante ou descen-
des inégalités dans une société varie notam-
dante. Divers acteurs sociaux, économiques,
ment en onction de l’intervention de l’État dans
individuels et amiliaux peuvent être à l’origine
la redistribution des richesses.
de cette mobilité. Touteois, certains méca-
2. L’approche marxiste défnit les classes sociales nismes entravent la mobilité et avorisent, au
en onction de l’activité de production. Les rela- contraire, la reproduction sociale. Selon Pierre
tions que les êtres humains établissent entre Bourdieu, le système scolaire serait un instru-
eux au travail créent deux grandes classes ment important de reproduction des privilèges
sociales dans la société industrielle : la bour- de la classe dominante. Dans les sociétés on-
geoisie, qui possède les moyens de production, dées sur un système de castes, la mobilité
et le prolétariat, dont les membres sont obligés sociale est tout simplement impossible.
de travailler pour survivre. Ces deux classes riva-
lisent pour obtenir le contrôle du pouvoir et des 5. La classe sociale est pour l’individu un groupe de
richesses. réérence qui lui suggère d’adopter un comporte-
ment particulier. Par exemple, le ait d’être membre
3. L’approche onctionnaliste étudie les classes d’une classe sociale plutôt que d’une autre peut
sociales sous l’angle de la stratifcation sociale. inciter ou décourager un individu à poursuivre ses
Selon cette approche, les strates sociales sont études jusqu’à l’université ; elle peut nuire ou contri-
universelles et variables ; elles sont en outre buer au maintien d’une bonne santé physique ou
nécessaires parce qu’elles permettent un bon psychologique ; elle peut également l’inciter à voter
onctionnement de la société. La stratifcation pour un parti politique plutôt que pour un autre.

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 Utilisez quatre classes sociales : classe supérieure,
classe moyenne-supérieure, classe moyenne-
À l’aide d’un moteur de recherche approprié, trouvez inérieure et classe inérieure, et attribuez à chacune
cinq articles de presse dans lesquels sont présen- de ces classes les catégories de salaire correspon-
tées des données chirées sur la pauvreté, la dantes. Comparez ensuite vos réponses à celles de
richesse ou les inégalités socioéconomiques. Relevez vos collègues.
le nom des auteurs de ces données et associez-les à
la catégorie appropriée (chercheurs en sciences
Exercice 3
sociales, statisticiens ofciels, chargés d’études).
Déterminez également les indicateurs utilisés (seuils Interrogez cinq personnes dans votre entourage pour
de aible revenu, quintiles de revenu, coefcient de connaître l’emploi qu’elles occupent, ainsi que celui
Gini, autre). occupé par leurs parents. Transposez les résultats
dans une table de mobilité sociale, en suivant le
modèle du tableau 7.7, à la page 229. Commentez les
Exercice 2
résultats obtenus en ayant recours aux concepts de
Individuellement, conectionnez une typologie des mobilité ascendante, de mobilité descendante et de
classes sociales au Québec ondée sur le revenu. reproduction sociale.

238 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Pour aller plus loin
Volumes et ouvrages de référence Centre de recherche sur les inégalités sociales de santé
de Montréal. www.centrelearoback.org
BOURDIEU, Pierre, et Jean-Claude PASSERON (1964). Les
Ce centre de recherche interdisciplinaire étudie les liens entre
héritiers : les étudiants et la culture, Paris, Éditions de Minuit. les inégalités sociales et l’état de santé physique et mentale de
Ouvrage classique sur les liens entre les classes sociales et la population montréalaise. Il a été nommé en l’honneur de Léa
l’éducation. Analyse du système scolaire rançais et de sa Roback, militante éministe et marxiste qui a marqué le Québec
contribution à la reproduction des inégalités socioéconomiques. au milieu du xxe siècle.
FROHLICH Katherine, Maria DE KONINCK, Andrée DEMERS, et Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales
Paul BERNARD (dir.) (2008). Les inégalités sociales de santé et les discriminations. www.cremis.ca
au Québec, Montréal, Presses de l’Université de Montréal. Le CREMIS est un centre de recherche aflié au Centre de santé
Ouvrage collecti présentant diérentes perspectives théoriques et de services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance. Des chercheurs
ainsi que des résultats de recherches empiriques sur les universitaires et des intervenants du milieu de la santé y
inégalités sociales de santé au Québec. travaillent ensemble pour mieux comprendre certains enjeux
entourant la population qu’ils desservent et intervenir de açon
Institut de la statistique du Québec. Données sociales du plus efcace dans le domaine de la santé et des services
Québec. Édition 2009, Institut de la statistique du Québec, sociaux.
janvier 2009.
Présentation et analyse de données chirées sur les conditions Audiovisuel
de vie des Québécois, abordées à partir de diérents thèmes
(santé, éducation, travail, revenu, etc.). ROY, Madeleine, et Nicole TREMBLAY. La pauvreté en
héritage, Zone libre, Radio-Canada, 2000, [En ligne],
Organisation de coopération et de développement écono-
www.radio-canada.ca
miques (2008). Croissance et inégalités : L’évolution de la
pauvreté et des revenus ces 20 dernières années : nouvelles Documentaire sur la pauvreté chez les enants, qui présente
des statistiques troublantes, ainsi que des témoignages
données, OCDE.
bouleversants.
Présentation et analyse de données chirées sur le revenu,
la pauvreté et les inégalités socioéconomiques dans les pays ST-ONGE, Marc. Naufragés des villes, Radio-Canada, 2010,
membres de l’OCDE. [En ligne], http://naurages.radio-canada.ca
Organisation des Nations Unies (2011). Objectifs du millénaire Documentaire en dix épisodes dans lequel le spectateur suit
le parcours de Pierre et Emmanuelle, qui ont volontairement
pour le développement – Rapport de 2011, New York,
accepté d’essayer de vivre en plein centre-ville avec pour seule
Organisation des Nations Unies.
ressource l’équivalent d’une prestation d’aide sociale.
Rapport du programme onusien des Objectis du millénaire pour
le développement. Présentation des cibles et des résultats
obtenus pour chacun des objectis (éliminer l’extrême pauvreté
et la aim, assurer l’éducation primaire pour tous, réduire la Rendez-vous
mortalité des enants de moins de 5 ans, etc.). en ligne
http://mabibliotheque.
Sites Web heneliere.a
Centre d’étude sur la pauvreté et l’exclusion.
www.cepe.gouv.qc.ca
Le CEPE est un centre de recherche créé en 2005 par le
gouvernement du Québec et rattaché au ministère de l’Emploi
et de la Solidarité sociale. Il produit notamment des statistiques
sur la pauvreté, qui servent à la ois à guider les décideurs
politiques et à inormer le grand public.

chapitre 7 Les inégalités et la stratifcation sociale 239


8
Chapitre

La différenciation sociaLe
et Les reLations ethniques

objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

de reconnaître et de décrire les processus de reconnaître et de décrire les différentes


de différenciation sociale à l’œuvre dans formes que peuvent prendre les relations
une société ; ethniques dans une société ;
de distinguer et d’utiliser de façon appropriée de discerner différents enjeux propres aux
les différents concepts-clés relatifs aux relations ethniques et de mieux comprendre
relations ethniques ; les débats qu’ils soulèvent dans nos sociétés.
pLan de chapitre
8.1 Le processus de différenciation sociale
8.1.1 Les différences et les inégalités sociales
8.1.2 Les critères de différenciation sociale
8.2 La différenciation ethnique : une forme
de différenciation sociale
8.2.1 Les minorités
8.2.2 Les groupes ethniques
8.2.3 Les groupes racisés
8.3 Les relations ethniques
8.3.1 L’identité et l’appartenance ethnique
8.3.2 L’ethnocentrisme et le relativisme culturel
8.3.3 La discrimination et le racisme
8.4 Quelques enjeux relatifs aux relations ethniques
8.4.1 L’immigration
8.4.2 Les modèles gouvernementaux de gestion
de la diversité

concepts-cLés
• Accommodement • Groupe racisé .......253
raisonnable ..........267
• Intégration ............266
• Assimilation ..........267
• Interculturalisme ...269
• Différenciation
• Multiculturalisme ..269
sociale .................243
• Pluralisme ............269
• Discrimination .......260
• Préjugé .................259
• Ethnicisme ...........260
• Racisme ...............260
• Ethnocentrisme .....257
• Relativisme
• Groupe ethnique ...251
culturel .................258
Mise en contexte

En décembre 2011, les médias québécois ont rapporté que, dans une classe
de maternelle, une fllette de religion musulmane avait été autorisée à porter
un casque antibruit chaque ois que l’on aisait jouer de la musique en classe,
parce que ses parents jugeaient que l’écoute de cette musique proane
contrevenait aux préceptes de l’islam, selon l’interprétation qu’ils en avaient.
Cette décision a soulevé un tollé dans la population.
Dans les journaux et les tribunes téléphoniques, de nombreux citoyens
ont ait valoir que l’établissement scolaire n’avait pas à orir un accommo-
dement à cette fllette, que c’était à elle et surtout à ses parents d’accepter
le ait qu’au Québec, les enants écoutent et chantent des comptines dans
les classes de maternelle. Selon ces citoyens, le ait d’autoriser cette enant
à porter un casque antibruit était susceptible de nuire à son intégration
sociale de même qu’à celle de sa amille. La direction de l’école soutenait
pour sa part la position inverse : selon elle, cet accommodement, loin
d’isoler la fllette, pouvait avoriser son intégration au groupe d’enants et,
par extension, à sa société d’accueil. En eet, le reus de lui accorder un
accommodement aurait incité ses parents à l’inscrire dans une école privée
destinée à un groupe ethnique ou religieux particulier, où elle n’aurait pas
été en contact avec des enants de toutes origines et de toutes religions. En
acceptant de la laisser porter un casque antibruit, l’école lui permettait de
réquenter un établissement ouvert à tous, inclusi.
Les détracteurs de cet accommodement ont également exprimé la
crainte que cette enant se retrouve isolée de ses camarades, qu’elle soit
victime de comportements xénophobes, voire de racisme. Ils aisaient
valoir que, pour éviter qu’elle ne soit exclue du groupe, cette fllette avait
intérêt à participer à toutes les activités, y compris celles impliquant de la
musique. Or, pour les déenseurs de cet accommodement, c’est plutôt le
reus d’accommoder qui constitue une orme de discrimination. Pour eux,
les accommodements accordés en milieu scolaire doivent être vus comme
une occasion de sensibiliser les élèves aux diérences culturelles et de leur
apprendre, en bas âge, les vertus de la tolérance.

La fllette risque-t-elle d’être victime de racisme, de xénophobie et de


discrimination ?
Sur quelles valeurs ou idéologies sont ondés les accommodements
comme celui accordé à cette fllette ?
Ces accommodements avorisent-ils l’intégration des immigrants à la
société québécoise ou lui nuisent-ils ?

242 par iii Les inégalités et les différences sociales


Q
u’est-ce qu’un groupe ethnique ? Les races existent-elles ? Comment
se développe l’identité ethnique ? Qu’est-ce qui caractérise les rela-
tions ethniques dans une société d’immigration ? Comment les gou-
vernements composent-ils avec la diversité culturelle ? Dans une
société comme la nôtre, où la diversité culturelle est présente à plu-
sieurs niveaux et où les débats qu’elle soulève sont nombreux, la sociologie
peut nous aider à mieux comprendre les relations ethniques, que celles-ci
soient harmonieuses ou confictuelles.
Dans ce chapitre, nous verrons comment onctionne le processus de dié-
renciation sociale et comment ce processus s’applique plus particulièrement
aux relations ethniques. Nous présenterons les principaux concepts utilisés
par les sociologues pour étudier les relations ethniques, les diérentes
ormes que peuvent prendre ces relations, ainsi que deux grands enjeux
actuels relatis aux relations ethniques : la question de l’immigration et celle
de la gestion de la diversité par les gouvernements.

8.1 Le processus de différenciation sociale


Dans toute société, on trouve invariablement des diérences qui amènent une
classication des personnes à l’aide de critères variés. La hiérarchie des valeurs
propre à une société justie la position que celle-ci accorde à des individus et à
des groupes dans l’échelle sociale. C’est ce processus de classication puis de
hiérarchisation qui ait en sorte que, selon les sociétés, certains groupes de per-
sonnes sont plus ou moins respectés et occupent une place plus ou moins enviable
par rapport aux autres. Ainsi, les personnes âgées et les emmes suscitent plus ou
moins de respect selon les sociétés ou les époques. L’âge et le sexe ne sont pas les
seuls critères à partir desquels des distinctions peuvent être établies. Ainsi, un
homme peut, grâce à son statut de valeureux guerrier, occuper une position impor-
tante dans la hiérarchie de sa société. De même, il est possible qu’une société
accorde un statut privilégié à son meilleur chasseur.
Une personne aisant partie d’un groupe social dévalorisé voit sa vie infuencée
par cette appartenance. Par exemple, aux États-Unis, lorsqu’un individu naît noir
ou hispanique, son avenir risque d’être plus dicile que s’il était né blanc. Ainsi,
alors que 90,4 % des « Blancs non hispaniques » complètent leurs études secon-
daires, ce n’est le cas que de 81,4 % des Noirs et de 60,9 % des Hispaniques (Ryan
et Siebens, 2012). Aux États-Unis comme dans la plupart des pays du monde, les
conditions de vie et les chances de réussite sociale d’un individu se trouvent lar-
gement conditionnées par la place qu’occupe son groupe d’appartenance dans la
société. Malgré quelques exceptions, la réalité est que les individus ne com-
mencent pas tous leur vie avec les mêmes chances.

8.1.1 Les différences et les inégalités sociales


Depuis ses débuts, la sociologie s’intéresse au processus de différenciation différeniation soiale
sociale. Elle cherche à comprendre comment les groupes se diérencient les uns Processus qui établit, pour une
des autres, comment les individus sont catégorisés dans des groupes et, surtout, personne ou un groupe donné,
comment cette diérenciation sociale peut mener à des inégalités. Les sociologues sa position dans l’échelle
s’intéressent davantage à la diérenciation, comme processus, qu’aux diérences sociale, selon une hiérarchie
de valeurs propre à cette société
elles-mêmes. Autrement dit, le sociologue ne cherche pas tant à savoir quels sont
ou à ce groupe social.
les traits objectis qui caractérisent un groupe, mais plutôt comment ces traits
sont utilisés pour diérencier ce groupe des autres. Deux mécanismes sont à

chapitre 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 243


l’œuvre dans ce processus de diérenciation sociale : l’auto-identiication et
l’assignation.
auto-dentfcton On parle d’auto-identifcation lorsqu’un individu ou un groupe revendique lui-
Composante du processus même une appartenance à une catégorie sociale. L’auto-identifcation désigne le
de différenciation sociale ait, pour un groupe, de pouvoir dire « nous » et de relever des caractéristiques
qui consiste à revendiquer qui sont communes aux membres du groupe et qui lui permettent de se diéren-
soi-même son appartenance cier des autres groupes. Ce processus permet à chacun des membres de déve-
à une catégorie sociale. lopper une conscience collective, un sentiment d’appartenance à ce groupe et, de
là, une solidarité avec les autres membres. Le
mouvement ouvrier, par exemple, a longtemps
ait appel à la conscience ouvrière, c’est-à-dire
au sentiment partagé par les ouvriers de vivre
une réalité semblable, d’avoir développé une
culture ouvrière unique et de mener un combat
commun pour l’amélioration de leur sort. Le
mouvement éministe s’appuie, quant à lui, sur
les réalités communes vécues par de nom-
breuses emmes pour ormuler des revendica-
tions au nom d’un « nous, les emmes » par
lequel elles se désignent. De même, les natio-
nalistes québécois mettent l’accent, depuis
des années, sur des traits culturels qui dis-
tinguent les Québécois des autres Canadiens
et cherchent à cultiver cette diérence et à la
traduire politiquement, à l’aide de lois et de
La fête nationale du Québec représente pour les Québécois une occasion
règlements destinés à protéger ces spécifcités
de mettre en valeur ce qui les distingue, notamment sur le plan culturel.
culturelles.
Si l’auto-identifcation permet à des individus de revendiquer leur appartenance
à un « nous », tous les groupes n’ont pas, en contrepartie, la même possibilité de se
défnir eux-mêmes, car ils sont catégorisés par les autres, parois contre leur gré.
C’est l’autre composante du processus de diérenciation sociale, qu’on appelle
l’assignation. Celle-ci peut entrer en contradiction avec l’auto-identifcation. Par
exemple, les immigrants d’origine iranienne, descendants des Perses, sont ré-
assgnton quemment qualifés d’Arabes, alors qu’ils n’en sont pas. Aussi, les immigrants ori-
ginaires de diérents pays d’Amérique latine sont souvent regroupés sous le
Composante du processus
de différenciation sociale qui vocable « latino », alors que certains s’identifent davantage à leur pays d’origine
consiste à imposer une étiquette qu’au vaste ensemble latino-américain. Minoritaires, ces groupes ne parviennent
à un individu ou à un groupe, pas toujours à revendiquer leur appartenance et doivent composer avec l’identité
généralement contre son gré. qui leur est assignée.
L’assignation peut aussi avoir comme eet de réduire un individu à certaines
de ses caractéristiques physiques ou culturelles, alors que lui-même y accorde
peu d’importance. Par exemple, de nombreux immigrés de deuxième ou de troi-
sième génération conservent peu de liens avec leur culture d’origine. Aussi, les
personnes adoptées par des parents québécois connaissent parois très peu leur
pays de naissance. Tous ces gens peuvent être agacés de se aire constamment
demander d’où ils viennent, pour ensuite se aire dire : « Vous, les Latinos… »,
« Vous, les Chinois… », etc., alors qu’ils ne se sentent pas nécessairement ratta-
chés à ces groupes.
L’assignation s’eectue donc indépendamment de la volonté de l’individu et
peut avoir des conséquences positives ou négatives sur celui-ci. En eet, si le
groupe auquel on l’assigne est valorisé dans sa société, l’individu peut tirer des
avantages de l’assignation. Par exemple, dans une société qui valorise la jeunesse,

244 prte iii Les inégalités et les différences sociales


le ait d’être jeune peut aider une personne à se trouver un emploi, à développer
un réseau social, etc. Touteois, lorsque le groupe auquel est assigné l’individu est
dévalorisé dans la société, l’assignation représente plutôt un obstacle pour lui.
En eet, notre place dans la société, l’estime et le prestige que nous réussis-
sons à obtenir de la part de nos semblables dépendent largement de l’évaluation
que les autres ont de nos caractéristiques, qu’elles soient innées ou acquises. La
manière, bonne ou mauvaise, dont un individu est évalué et traité peut le toucher
sur divers plans, comme le pouvoir qui lui est accordé, l’accessibilité de certains
services ou l’accès à certains emplois. Des préjudices, c’est-à-dire des situations
qui portent atteinte aux droits ou aux intérêts d’un individu, accompagnent par-
ois l’évaluation que les autres ont de lui. Par exemple, il peut arriver qu’au res-
taurant, le service ralentisse soudainement à la table d’un individu jugé malvenu ;
à l’école, un élève peut se trouver seul sans raison dans la cour ou au moment de
aire des travaux en équipe ; au travail, il est possible qu’un employé n’obtienne
jamais de promotion malgré son bon rendement, etc. Dans les cas les plus
extrêmes, l’assignation peut mener à des actes de violence.

8.1.2 Les critères de différenciation sociale


Les critères selon lesquels sont classées les personnes au sein d’une société se
divisent en trois types :
• Les critères physiques ou biologiques, comme le sexe, l’âge ou la couleur de
la peau ;
• Les critères culturels, comme les croyances religieuses, la langue ou les habi-
tudes de vie propres à un groupe ;
• Les critères normatis, c’est-à-dire ceux qui sont liés aux normes établies par le
groupe, par exemple l’orientation sexuelle ou la consommation d’alcool.
Ces critères sont nombreux et ils varient d’une société à l’autre. Touteois, cer-
tains de ces critères sont communs à un grand nombre de sociétés : la classe
sociale, le sexe ou le genre, l’orientation sexuelle, l’âge ou la génération, ainsi que
l’appartenance à un groupe ethnique ou racisé.

La classe sociale
Nous avons vu au chapitre 7 qu’une classe sociale est un ensemble de personnes
qui partagent une même situation économique. Nous avons alors insisté sur les
diérences objectives qui permettent de déterminer les diérentes classes sociales,
soit les diérences de revenu et le niveau de vie qui en découle.
Il est touteois possible d’étudier les classes sociales sous un autre angle, celui
de la diérenciation sociale, en examinant la manière dont les diérentes classes
sociales se diérencient les unes des autres à l’aide des mécanismes d’auto-
identifcation et d’assignation. Ainsi, les personnes à plus aible revenu peuvent
revendiquer leur appartenance à un « nous » ondée sur une expérience commune
de privation, sur la réalité quotidienne qui caractérise les quartiers populaires,
sur certaines valeurs communes acquises ou renorcées à travers cette expé-
rience qu’ils revendiquent en disant « Nous, les pauvres… » Cette auto-identifcation
peut aussi les amener à ridiculiser la culture d’élite, à soupçonner toute personne
bien nantie d’avoir accumulé sa ortune de açon douteuse et à porter un jugement
négati sur tous ceux qui occupent une position élevée dans l’échelle sociale, en
les désignant par l’expression « Vous, les riches… »
La sociologie des classes sociales, qui s’est longtemps intéressée avant tout aux
inégalités objectives entre riches et pauvres, se tourne donc aujourd’hui vers une

chapitre 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 245


clame nouvelle approche, soit l’analyse de la diérenciation sociale entre les classes et
Attitude ou comportement
des discriminations qui peuvent en découler. De plus en plus, on parle de classisme
discriminatoire envers une pour désigner le ait de discriminer quelqu’un en raison de sa classe sociale. On ait
personne ou un groupe preuve de classisme, par exemple, lorsque l’on présume qu’une personne n’est pas
de personnes en raison instruite simplement parce qu’elle est issue d’une amille pauvre, ou lorsqu’on sup-
de leur classe sociale. pose d’emblée qu’une personne est snob simplement parce qu’elle est ortunée.
Des auteurs marxistes mettent touteois en garde les intellectuels et les mili-
tants contre cette tendance à se détourner de l’étude des inégalités économiques
objectives pour s’intéresser uniquement aux préjugés envers les classes sociales.
Selon l’auteur états-unien Walter Benn Michaels (2009), ceux qui dénoncent
les préjugés dont sont victimes les pauvres ont ausse route. Ce seraient les iné-
galités économiques elles-mêmes qu’il audrait dénoncer, et non les préjugés
dont sont victimes les groupes économiquement déavorisés. Selon lui, il ne aut
pas se battre pour que les pauvres soient respectés, mais plutôt pour que la pau-
vreté soit éliminée.

Le sexe ou le genre
Le sexe est certainement l’un des critères de diérenciation les plus persistants
dans l’histoire de l’humanité. Dans toutes les sociétés, des distinctions ont été
établies entre les hommes et les emmes, le plus souvent à l’avantage des premiers.
Chacun des sexes a été associé à certains traits de caractère, à des orces et à des
aiblesses, et a ainsi été assigné à des tâches précises. Ces diérences sont toute-
ois remises en question depuis longtemps par le mouvement éministe, qui ait
valoir que le statut inérieur des emmes par rapport aux hommes ne découle
d’aucune nécessité biologique et qu’il est plutôt le produit de rapports de pouvoir
qui peuvent et doivent être combattus.
sexme Le terme sexisme est utilisé tant en sociologie que dans le vocabulaire usuel
Attitude ou comportement lorsqu’il est question de discrimination ondée sur le sexe. Un débat oppose tou-
discriminatoire envers une teois diérentes ranges du mouvement éministe à propos de l’utilisation de ce
personne ou un groupe terme qui devrait être réservé au sexisme dont sont victimes les emmes, ou qui
de personnes en raison pourrait également être utilisé pour désigner la discrimination pratiquée à l’égard
de leur sexe. d’un homme en raison de son sexe. Aux yeux de nombreuses éministes, seules
les emmes peuvent être victimes de sexisme, car nos sociétés sont encore mar-
quées par la domination masculine. Pour les autres, le sexisme peut aecter tant
Mgyne les hommes que les emmes, bien que celles-ci en soient plus souvent victimes. Il
Haine ou mépris à l’égard est également possible d’utiliser le terme misogynie pour désigner la haine ou le
des emmes. mépris à l’égard des emmes.
Cette question des rapports entre les hommes et les emmes est abordée plus
en proondeur au chapitre 9, où il est expliqué que le processus de diérenciation
sociale peut reposer sur le sexe biologique ou encore sur le sexe social (ou genre).

L’orientation sexuelle
orentatn exuelle L’orientation sexuelle est généralement défnie à partir du désir : c’est le ait d’être
Caractéristique d’un individu attiré par des personnes de même sexe que soi, de l’autre sexe ou des deux sexes,
défnie en onction du sexe qui détermine l’orientation sexuelle d’une personne. Pour certains, touteois,
des personnes pour lesquelles l’orientation se défnit non seulement en onction du désir, mais aussi en onction
il ressent du désir (personnes des pratiques sexuelles. Pour d’autres, fnalement, l’orientation sexuelle doit avant
du même sexe, de l’autre sexe tout se défnir par l’auto-identifcation à une attirance sexuelle particulière : par
ou des deux sexes).
exemple, une personne pourrait se défnir comme hétérosexuelle parce qu’elle
établit toutes ses relations amoureuses durables avec des personnes du sexe
opposé, même si cette personne peut par ailleurs être attirée par des individus du
même sexe qu’elle.

246 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


Il importe de distinguer l’orientation sexuelle de l’identité sexuelle, c’est-
à-dire l’auto-identifcation à un genre. L’identité sexuelle est le ait de se consi-
dérer soi-même comme un homme ou comme une emme. Ainsi, les personnes
transsexuelles ou transgenres peuvent s’identifer à un sexe autre que le sexe bio-
logique qu’ils avaient à leur naissance. Cela n’indique touteois rien sur leur
orientation sexuelle. Par exemple, un individu transsexuel qui est né avec le sexe
biologique d’un homme et s’identife au genre éminin (identité sexuelle) peut être
attiré soit par les hommes, soit par les emmes, soit par les deux sexes (orienta-
tion sexuelle).
L’homophobie désigne généralement la peur des homosexuels ou le dédain à homopobie
leur égard. De plus en plus, touteois, on emploie ce terme dans un sens plus Au sens strict, peur des
large. Dans sa politique de lutte contre l’homophobie, le gouvernement du Québec homosexuels ou dédain à
défnit l’homophobie comme « l’attitude de rejet et de discrimination envers les leur égard. Au sens plus large,
gais, les lesbiennes, les personnes bisexuelles, transsexuelles et transgenres » hostilité envers les minorités
(Ministère de la Justice, 2009). Autrement dit, toute attitude négative envers une sexuelles.
minorité sexuelle (identifée comme telle à partir de son orientation ou de son
identité sexuelle) est susceptible d’être qualifée d’homophobe. Si cette défnition
vise à inclure plusieurs minorités, elle comporte touteois l’inconvénient d’en-
traîner une conusion entre orientation et identité sexuelle.
Connexe au concept d’homophobie, le concept d’hétérosexisme est de plus en hétérosexisme
plus utilisé pour désigner une attitude ou un comportement discriminatoire envers Afrmation de la primauté de
les minorités sexuelles. Dans la même politique du gouvernement du Québec, l’hé- l’hétérosexualité par rapport aux
térosexisme est défni comme l’« afrmation de l’hétérosexualité comme norme autres orientations sexuelles.
sociale ou comme étant supérieure aux autres orientations sexuelles » (Ministère
de la Justice, 2009).
Dans plusieurs sociétés, les pratiques homosexuelles sont considérées
comme criminelles, parois même passibles de la peine de mort, alors que dans
d’autres elles sont considérées comme toutes naturelles par la majorité de la
population. Au Canada, les rapports sexuels entre adultes de même sexe ont été
décriminalisés en 1969 par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau, qui avait
alors afrmé que l’État n’avait pas sa place dans la « chambre à coucher » des
citoyens. Plus récemment, en 2005, le gouvernement de Paul Martin a autorisé le
mariage entre conjoints de même sexe en redéfnissant le mariage comme étant
« l’union légitime de deux personnes, à l’exclusion de toute autre personne »,
plutôt que l’union entre un homme et une emme.
Dans les sociétés qui criminalisent l’homosexualité,
les discriminations envers les homosexuels sont nom-
breuses et parois même atales. Dans la plupart des
sociétés occidentales, touteois, elles sont moins nom-
breuses et plus subtiles : on pense en particulier aux
railleries et aux insultes dont sont victimes les homo-
sexuels, particulièrement en milieu scolaire. Certaines
questions ont davantage l’objet de débats : par
exemple, l’interdiction de donner du sang imposée à
tout homme ayant eu, depuis 1977, des relations
sexuelles avec un autre homme. Nombreux sont ceux
qui mettent en question cette mesure : serait-elle dis-
criminatoire ou relèverait-elle plutôt d’une saine poli-
tique de santé publique ? D’autres se demandent si le
ait de critiquer le déflé de la ferté gaie ou d’exprimer
Le mariage entre conjoints de même sexe est autorisé au
des réserves vis-à-vis l’homoparentalité serait homo-
Canada depuis 2005.
phobe ou non.

capitre 8 La diérenciation sociale et les relations ethniques 247


L’âge
Âgsme La diérenciation sociale peut également s’eectuer en onction de l’âge des indi-
Attitude ou comportement vidus, ce qui se traduit parois par de l’âgisme. Touteois, ce terme n’est pas utilisé
discriminatoire envers une pour désigner toute orme de discrimination ondée sur l’âge : il est plutôt réservé
personne ou un groupe à la discrimination envers les personnes âgées. Par exemple, les comportements
de personnes en raison suivants peuvent être considérés comme des ormes d’âgisme : le ait de bousculer
de leur grand âge.
ou d’insulter une personne âgée parce qu’on la juge trop lente, de ne pas la laisser
jeunsme décider elle-même de la manière de gérer ses fnances ou d’adopter à son endroit
Survalorisation de la jeunesse une attitude inantilisante. Il n’existe pas de terme équivalent pour désigner la dis-
dans une société. crimination envers les jeunes. Le terme « jeunisme » existe, mais il désigne plutôt
le ait, pour une société, de survaloriser la jeunesse, de lui vouer un culte (ce qui
revient alors à une orme d’âgisme). Lorsqu’un jeune subit de la discrimination en
raison de son âge, on a plutôt tendance à parler de « discrimination ondée sur
l’âge » ou encore de « discrimination envers les jeunes ». La question des rapports
entre groupes d’âges et générations est abordée plus en détail au chapitre 9.

L’ethnicité ou l’appartenance à un groupe racisé


L’un des principaux critères de diérenciation sociale qui s’appliquent dans les
sociétés est l’appartenance à un groupe ethnique ou à un groupe racisé. C’est ce
critère de diérenciation sociale que nous approondirons dans le présent chapitre.
Nous verrons ce qui diérencie les groupes ethniques des groupes racisés, ainsi
que les ormes de discrimination correspondantes, soit l’ethnicisme et le racisme.
Nous présenterons également des concepts connexes, comme celui de
xénophobie.

Les autres critères de différenciation sociale


Nous venons de survoler les principaux critères de diérenciation sociale pouvant
mener à des inégalités. Le tableau 8.1 propose une synthèse des ormes de discri-
mination correspondant à chacun de ces critères de diérenciation sociale.
Il existe, touteois, d’autres caractéristiques physiques ou culturelles qui
peuvent donner lieu à des ormes de diérenciation sociale et entraîner des iné-
galités importantes. Dans les écoles secondaires, par exemple, des adolescents
sont évalués et rejetés en onction de critères parois surprenants comme, par
exemple, le ait qu’une flle serait « trop coincée » ou qu’un gars serait un « nerd ».
La açon de s’habiller, les résultats scolaires, les personnes et les endroits
réquentés ainsi que les loisirs pratiqués sont tous des critères utilisés par cer-
tains pour catégoriser, pour diérencier les autres.

Les crtères de dfférencaton socale


Tableau 8.1
et les dscrmnatons corresondantes
Critère de différenciation sociale Discrimination correspondante
Âge Âgisme
Classe sociale Classisme
Groupe ethnique Ethnicisme
Groupe racisé Racisme
Orientation sexuelle Hétérosexisme
Sexe / genre Sexisme

248 parte iii Les inégalités et les différences sociales


L’apparence physique est touteois une açon particulièrement blessante de
catégoriser et de hiérarchiser les individus. Le sociologue Anthony Synnott,
de l’Université Concordia, a d’ailleurs proposé le terme « laidisme » (uglyism en
anglais) pour désigner la discrimination ondée sur l’apparence physique
(Hachey, 2011). Selon lui, il s’agit de l’un des principaux motis de discrimina-
tion. Pourtant, la Charte canadienne des
droits et libertés ne mentionne nulle part
qu’il est interdit d’exercer de la discrimina-
tion envers quelqu’un en raison de son
apparence physique, alors qu’elle interdit,
par exemple, la discrimination ondée sur
le sexe, l’origine ethnique ou l’âge. Cela
peut sans doute s’expliquer par le ait que,
pour afrmer qu’elle est victime de discri-
mination en raison de sa laideur, une per-
sonne doit d’abord s’identifer comme une
personne laide, ce que peu de gens sont
prêts à aire.
Le cas de l’obésité permet de constater le
caractère arbitraire des critères à partir
desquels sont catégorisés et hiérarchisés
les individus et les groupes. De nombreuses
emmes corpulentes ont servi de modèles
aux peintres des siècles passés alors
qu’elles seraient jugées obèses selon les
normes esthétiques actuelles. Les rondeurs
étaient alors un critère positi de diéren- L’artiste italienne Anna Utopia Giordano a retouché des tableaux classiques
ciation ; de nos jours, l’embonpoint est rare- de açon à ce que les emmes d’époques passées correspondent aux critères
de beauté actuels.
ment valorisé en Occident.

Réseau de concepTs Le proessus de différeniation soiale

Auto-identifcation (nous)
Mécanismes
Assignation (eux)
est l’œuvre de deux

Différenciation Classe sociale


sociale

est ondée sur des Sexe ou genre

Critères de diérenciation comme Orientation sexuelle

Âge

Ethnicité ou appartenance
à un groupe racisé

chapitre 8 La diérenciation sociale et les relations ethniques 249


FaiTes Le poinT

1. Quels sont les deux mécanismes à l’œuvre dans le processus de dié-


renciation sociale ?
2. Qu’est-ce qui diérencie l’orientation sexuelle de l’identité sexuelle ?
3. Quels sont les trois types de critères qui peuvent servir de base au pro-
cessus de diérenciation sociale ?

8.2 La différenciation ethnique :


une forme de différenciation sociale
Nous venons de voir que le processus de diérenciation sociale peut s’opérer à partir
de plusieurs critères, notamment la classe sociale, le sexe ou l’âge. Nous allons main-
tenant nous attarder plus particulièrement sur la diérenciation ethnique et les prin-
cipaux concepts qui ont été proposés par la sociologie des relations ethniques.

8.2.1 Les minorités


Le concept de minorité peut s’appliquer à chacun des critères de diérenciation
sociale. Touteois, c’est lorsqu’il est question de relations ethniques que l’on
oppose le plus souvent les minorités à la majorité.
Mnorté numérque Dans l’usage courant, ainsi que dans l’étude statistique des populations, le
Groupe qui constitue moins terme est généralement utilisé pour désigner une minorité numérique, c’est-
de 50 % d’une population. à-dire un groupe qui constitue moins de 50 % d’une population. Par exemple, si
12 % de la population d’une ville ou d’une région a la peau noire, on peut alors
armer que les Noirs orment une minorité numérique dans cette ville ou dans
cette région.
Mnorté socologque En sociologie, il arrive parois que l’on asse allusion aux minorités numé-
Groupe qui, en raison des traits riques, notamment dans les études basées sur des méthodes quantitatives.
physiques ou culturels de ses Touteois, la plupart du temps, lorsque les sociologues utilisent le terme minorité,
membres, se distingue du c’est plutôt pour souligner le ait que le pouvoir est inégalement réparti dans une
groupe dominant de sa société société. Une minorité sociologique est, en eet, un groupe qui a moins de pou-
et se retrouve dans une position voir que les autres : il lui est plus dicile d’exercer son autorité sur les autres
d’infériorité sur divers plans,
groupes et d’avoir une certaine maîtrise ou une infuence sur le cours des événe-
dont celui du pouvoir.
ments. Généralement, cette minorité a donc aussi moins de prestige et subit
davantage de préjudices.
Les individus qui ont partie des minorités ressentent parois clairement,
d’autres ois conusément, les eets du statut qu’on leur assigne. Ils comprennent
que leurs chances sont moins bonnes d’obtenir tel ou tel emploi parce qu’ils ont
partie d’un groupe minoritaire. Ils vont même jusqu’à s’interdire eux-mêmes de
aire certains gestes, comme poser leur candidature à un poste ou porter un cer-
tain type de vêtement, parce que cela leur semble inconcevable. Cette situation
d’inégalité était autreois réquente dans les rapports entre les hommes et les
emmes. Il ut un temps où une emme ne pouvait même pas imaginer devenir
juge ou première ministre, cela était tout simplement impensable. Cela s’explique
par le ait que les minorités intègrent souvent les normes dictées par le groupe
majoritaire et nissent par croire qu’il est normal pour leurs membres, par
exemple, d’être pauvres ou de se voir interdire l’accès à certains rôles sociaux,
puisque cela ébranlerait l’ordre dit « naturel » des choses.

250 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Il peut arriver que les membres d’une minorité sociologique soient plus nom- aprtheid
breux que le groupe majoritaire, autrement dit que des populations numérique- En Afrique du Sud, régime
ment majoritaires n’aient ni le pouvoir ni les privilèges qui devraient accompa- de séparation systématique
gner la orce de leur nombre. C’était le cas des Noirs en Arique du Sud jusqu’en des « races » reléguant les Noirs
1991, lors de l’abolition de l’apartheid. C’est également le cas des emmes dont le à un statut nettement inférieur
pouvoir est, dans plusieurs sociétés, moins grand que celui des hommes même si à celui des Blancs sur les plans
politique, juridique, économique
elles y sont numériquement majoritaires en raison de leur espérance de vie plus
et social.
longue que celle des hommes.
S’appuyant sur cette défnition du concept de minorité, les sociologues
décrivent, de manière indiérenciée, les liens entre des groupes comme étant des
rapports majoritaire-minoritaire, des rapports dominant-dominé, ou encore
des rapports oppresseur-opprimé. Le choix des termes utilisés peut varier en
onction de l’approche théorique à laquelle on s’associe ou du combat poli-
tique que l’on souhaite mener. En eet, défnir un groupe comme dominé plutôt
que comme simplement minoritaire peut sembler plus revendicateur, voire plus
radical, bien que ces termes renvoient tous deux à des rapports de pouvoir.

8.2.2 Les groupes ethniques


L’ethnicité est l’un des principaux critères de diérenciation sociale pouvant
causer des inégalités. C’est pour cette raison que de plus en plus de sociologues
s’intéressent au champ des relations ethniques.
Or, parler de relations ethniques, c’est parler de groupes ethniques, un terme groupe ethnique
souvent utilisé à tort et à travers. Ainsi, on entend souvent des gens se plaindre Selon Max Weber, ensemble
des « ethnies », comme si l’ethnicité était un attribut propre aux minorités. Afn de personnes qui partagent
d’éviter de tels usages impropres, il importe donc de bien défnir ce que sont les une croyance subjective en
groupes ethniques et l’ethnicité. des ancêtres communs,
réels ou supposés.
Max Weber est l’un des premiers sociologues à s’être intéressé aux relations
ethniques. Bien qu’il ait constaté qu’il existait, sur Terre, un grand nombre de
groupes ethniques, il ne parvenait pas à identifer de caractéristiques précises
permettant de les reconnaître. Il a donc entrepris de constituer la liste de tous les
traits, aussi bien physiques que culturels, permettant aux groupes ethniques de
se distinguer les uns des autres : la langue, la religion, les traits du visage, les pra-
tiques vestimentaires ou alimentaires, la mémoire collective d’une expérience
glorieuse ou douloureuse vécue en commun, etc. Bien qu’il ait trouvé de nom-
breux « marqueurs ethniques », Weber constatait qu’aucun d’entre eux ne s’appli-
quait à tout coup : certains groupes ethniques se distinguaient des autres par
leur langue, mais deux groupes ethniques pouvaient parois partager une même
langue ; certains se distinguaient par leur religion, alors que d’autres partageaient
une même religion, et ainsi de suite. Weber en arriva à la conclusion qu’il n’y avait
aucun marqueur ethnique universel et que le seul élément qui défnissait réelle-
ment un groupe ethnique était sa croyance subjective en des ancêtres communs.
Autrement dit, pour ormer un groupe ethnique, il suft de croire que l’on a les
mêmes ancêtres, que cela soit vrai ou non.
La démarche de Weber inspire encore aujourd’hui les sociologues des rela-
tions ethniques, qui insistent sur la dimension subjective de l’ethnicité. Les théo-
ries de l’ethnicité sont nombreuses : certaines insistent sur la dimension politique
de l’ethnicité, c’est-à-dire sur la manière dont l’ethnicité peut être utilisée pour
ormuler des revendications communes ; d’autres, d’inspiration néo-marxiste,
mettent en lumière le lien entre les diérences ethniques et les inégalités écono-
miques ; d’autres encore se penchent sur les diérences culturelles entre les
groupes ethniques. Malgré tout, au-delà de cette diversité théorique, deux

chpitre 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 251


éléments communs caractérisent l’ensemble des théories de l’ethnicité, selon
Poutignat et Strei-Fenart (2008) :
• Le caractère relationnel de l’ethnicité, soit le ait que l’ethnicité se construise
dans le cadre du processus de diérenciation sociale entre le « nous » et le
« eux ». En eet, pour qu’un groupe devienne conscient de sa propre ethnicité, il
aut qu’il soit placé ace à un ou à plusieurs autres groupes ethniques, dont il se
distingue.
• Le caractère dynamique de l’ethnicité, soit le ait que les groupes ethniques se
transorment, tout comme les caractéristiques qu’ils mettent de l’avant pour
se diérencier les uns des autres. Le cas des Québécois est particulièrement
révélateur à cet égard : alors que les Canadiens rançais se distinguaient des
Canadiens anglais à partir du critère de leur religion, leurs descendants se dis-
tinguent plutôt de leurs voisins à partir de leur langue. La rontière entre le
« nous » et le « eux » est demeurée, mais les marqueurs qui permettent de tracer
cette rontière ont changé.
communauté ulturelle Si les sociologues les utilisent réquemment, les termes « groupe ethnique » et
1. Expression utilisée par le « ethnicité » sont quasi absents des documents gouvernementaux. En eet, parce
gouvernement du Québec pour que certains considèrent ces termes comme péjoratis, le gouvernement du
désigner les diérents groupes Québec préère utiliser le concept de communauté culturelle pour désigner les
ethniques du Québec. diérents groupes ethniques du Québec. D’ailleurs, le ministère responsable des
2. Concept sociologique questions liées à la diversité ethnique s’appelle le Ministère de l’Immigration et
désignant un groupe ethnique
des Communautés culturelles (MICC).
constitué sous la orme d’une
communauté organisée afn de Malgré tout, il importe de mentionner que les concepts de « groupe ethnique » et
préserver sa culture et d’orir de « communauté culturelle » ne sont pas tout à ait équivalents, puisque le terme
un soutien à ses membres. « communauté » réère à une vie communautaire. Par exemple, un immigrant d’ori-
gine péruvienne peut s’impliquer dans sa communauté en réquentant l’église péru-
vienne de son quartier ou en participant à des êtes ou à des soirées traditionnelles
en compagnie des membres de sa communauté. Or, il est possible de aire partie
d’un groupe ethnique sans être un membre acti de sa communauté : un immigrant
d’origine libanaise qui n’entretient pas ou peu de liens avec d’autres personnes ori-
ginaires du Liban peut difcilement être considéré comme un membre de la com-
munauté libanaise, même s’il revendique son ethnicité libanaise.

8.2.3 Les groupes racisés


En plus du terme « ethnique », régulièrement malmené dans le discours populaire,
un autre terme, encore plus problématique, est souvent improprement utilisé :
celui de « race ». On a souvent tendance à catégoriser les êtres humains en dié-
rentes « races », généralement associées à la couleur de la peau. Or, les recherches
scientifques ont depuis longtemps démontré que le concept de race est invalide
sur le plan biologique et qu’il n’existe chez les humains qu’une seule race : la race
humaine, que l’on appelle aussi l’espèce humaine.
Comme l’explique le chercheur Alberto Piazza (1997), les premières tentatives
d’établir une nomenclature des races humaines ont été aites avant les décou-
vertes de la génétique moderne. Des critères peu fables comme la taille des
crânes étaient utilisés par les chercheurs afn d’essayer d’établir l’existence de
diérentes races. Cette technique était notamment utilisée par les chercheurs
nazis, qui cherchaient à démontrer la supériorité de ce qu’ils nommaient la « race
aryenne » sur les autres races.
Le développement des analyses génétiques statistiques, après la Seconde
Guerre mondiale, a permis de rafner les analyses et d’invalider le concept

252 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


de race. Des scientifques réunis sous les auspices de l’UNESCO (Organisation
des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture) ont établi que tous les
êtres humains proviennent de la même souche génétique. Les diérents phéno-
types (les diérences de teinte ou de orme des yeux, des cheveux, de la peau,
etc.) sont plutôt dus à des acteurs évolutis comme la sélection naturelle, l’isole-
ment et les mutations (Vander Zander, 1983).
Les analyses génétiques ont également permis de constater que la variation géné-
tique à l’intérieur d’un même groupe humain est supérieure à la variation moyenne
entre deux groupes diérents. Les comparaisons intergroupes ont permis d’es-
timer qu’au sein d’un même groupe national ou tribal, on retrouvait jusqu’à
85 % de toute la diversité génétique humaine. De plus, presque tous les allèles
(c’est-à-dire les composantes d’un gène) sont présents dans toutes les popula-
tions humaines. Il n’y a donc pas de gène spécifque à une « race » particulière groupe raisé
(Piazza, 1997). Groupe socialement perçu
comme formant une « race »
Invoquant le ait que le concept de race est invalide sur le plan biologique, de
et stigmatisé en raison de
plus en plus de spécialistes proposent d’utiliser le terme « groupe racisé » pour
caractéristiques physiques
décrire des groupes socialement perçus comme des « races ». Ce concept est tou- communes, le plus souvent
teois peu utilisé à l’extérieur des sciences sociales. S’il ait timidement sa place la couleur de la peau.
dans les documents gouvernementaux, il n’y est pas encore dominant. Le gouver-
nement du Canada a d’ailleurs proposé son propre concept pour désigner les Minorité visible
groupes qui sont victimes de discrimination en raison de traits physiques tels Expression utilisée par le
gouvernement du Canada dans
que la couleur de leur peau : le concept de « minorité visible ». Dans la Loi sur
le cadre de la Loi sur l’équité en
l’équité en matière d’emploi, qui vise à lutter contre les discriminations envers les matière d’emploi pour désigner
minorités dans la sphère de l’emploi, le gouvernement défnit les minorités un groupe victime de discrimi-
visibles comme étant « les personnes, autres que les Autochtones, qui ne sont nation en raison de traits
pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche » (Ministère de la Justice du physiques tels que la couleur
Canada, 2005). Les Autochtones ne sont pas inclus dans cette défnition des de leur peau.

Réseau de concepTs La différeniation ethnique

Minorité numérique
Minorité désigne à la fois

Minorité sociologique

selon Weber Croyance subjective


en des ancêtres communs

Caractère relationnel
Différenciation s’étudie à partir éléments
Groupe ethnique communs
ethnique des concepts de
des théories
Caractère dynamique

aussi appelé Communauté culturelle

Groupe racisé aussi appelé Minorité visible

chapitre 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 253


minorités visibles, car ils forment une catégorie à part dans le cadre de cette loi.
De plus, les relations entre le gouvernement et les Autochtones sont encadrées
par des ententes particulières qui ne s’appliquent pas aux minorités visibles
(voir l’encadré 8.1).
En plus de distinguer les minorités visibles du « reste de la population », le gou-
vernement divise l’ensemble des minorités visibles en différentes sous-catégories
qui se distinguent les unes des autres sur la base de critères comme l’origine eth-
nique, la couleur de la peau ou la région géographique d’origine (voir le tableau 8.2).
La sociologue Sirma Bilge (2004) porte un regard critique sur ces catégories qui,
selon elle, risquent d’avoir pour effet de renforcer la perception populaire de
l’existence de races humaines bien qu’elles aient été proposées, au contraire,
dans but de lutter contre les discriminations.

encadré 8.1 en coMPlÉMent

Les Autochtones

Lorsque l’on parle de diversité ethnique, on pense générale- Autochtones comme des minorités parmi d’autres, au même
ment à la diversité causée par l’immigration. Or, au Canada, la titre que les immigrants. Cette approche vise à aire des
diversité découle également de la présence des Autochtones, Autochtones des Canadiens à part entière et à avoriser les
dont les ancêtres ont occupé le territoire bien avant l’arrivée échanges entre les Autochtones et les non-Autochtones. Elle
des Français et des Britanniques. Le Ministère des Aaires comporte touteois le risque de mener à l’assimilation des
autochtones et Développement du Nord Canada dénit les Autochtones et à la disparition complète de leurs cultures. En
Autochtones comme étant « les premiers peuples d’Amérique eet, contrairement aux immigrants, les Autochtones ne peuvent
du Nord et leurs descendants » (MAADNC, 2010), qui se compter sur le lien avec leur pays d’origine pour préserver leur
divisent en trois groupes : les Indiens (ou Premières Nations), culture. Ils craignent donc qu’une intégration trop grande aux
les Métis et les Inuits. sociétés québécoise et canadienne ne se asse au détriment de
leur propre identité. Ce sentiment s’appuie d’ailleurs sur les
Depuis l’arrivée des Européens, les relations entre Autochtones
souvenirs douloureux des tentatives d’assimilation orcée,
et non-Autochtones ont été marquées par les politiques qui
notamment dans les pensionnats, que de jeunes Autochtones
ont été mises en place par les gouvernements successis.
ont été contraints de réquenter jusque dans les années 1960.
Certaines de ces politiques visaient l’intégration des
Autochtones au reste de la population alors que d’autres rele- Pour d’autres, il importe de considérer les Autochtones
vaient nettement de la ségrégation. De nos jours, la position à comme des nations à part entière et de leur accorder toute
adopter sur cette question soulève encore des débats. l’autonomie gouvernementale à laquelle une nation a droit.
Plusieurs associations autochtones revendiquent davan-
Pour certains, il aut viser l’intégration des Autochtones à la
tage de pouvoirs politiques pour prendre en main leur
population majoritaire. Dans cette perspective, on considère les
propre destinée sur les territoires où ils sont présents. Ils
souhaitent se doter de services sociaux, d’écoles et d’éta-
blissements culturels qui leur ressemblent. Ils ont le pari
qu’ils pourront mieux se développer et résoudre les pro-
blèmes sociaux qui les afigent s’ils prennent leurs déci-
sions eux-mêmes. Cette approche comporte touteois le
risque d’isoler encore plus les Autochtones du reste de la
société et de les priver d’une participation active à la vie
publique de l’ensemble du pays.
Question
Quels sont les avantages et les inconvénients associés à chacun
des modèles de relation entre les Autochtones et le gouverne-
ment canadien ?

254 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


Les goupes de minoiés visibles dans la populaion
Tblu 8.2
anadienne en 2006
Minorité visible Nombre (en milliers) Pourcentage (%)
Sud-Asiatiques 1 320 4,1
Chinois 1 269 3,9
Noirs 815 2,5
Philippins 427 1,3
Latino-Américains 317 1,0
Arabes 276 0,8
Asiatiques du Sud-Est 250 0,8
Asiatiques occidentaux 164 0,5
Coréens 148 0,5
Japonais 85 0,3
Autres minorités visibles 213 0,7
toal des minoiés visibles 5 285 16,3
rese de la populaion 27 237 83,7
toal 32 522 100,0
Source : Statistique Canada. Projections de la diversité de la population canadienne : 2006 à 2031, Canada,
Ministère de l’Industrie, mars 2010, p. 25.

FaiTes Le poinT

4. Quelle est la diérence entre une minorité numérique et une minorité


sociologique ?
5. Comment Weber dénit-il le groupe ethnique ?
6. Quelles sont, selon les théories actuelles de l’ethnicité, les deux princi-
pales caractéristiques des groupes ethniques ?
7. Pourquoi les sociologues préèrent-ils l’expression « groupe racisé » au
terme de « race » ?

8.3 Les relations ethniques


Nous avons déjà mentionné que les sociologues s’intéressent au caractère relationnel
de l’ethnicité, c’est-à-dire au ait que l’ethnicité se construit dans le cadre de rapports
sociaux, par le processus de diérenciation sociale. Comme d’autres rapports so-
ciaux, les relations ethniques sont parois harmonieuses, parois confictuelles.

8.3.1 L’identité et l’appartenance ethnique


Si la majorité des sociologues s’intéressent aux rapports confictuels et inégali-
taires entre les groupes ethniques, d’autres s’intéressent plutôt aux apports de
l’ethnicité pour l’individu. En eet, l’appartenance ethnique est une composante

chapie 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 255


de l’identité de l’individu et elle peut avoriser des rapports sociaux enrichissants,
notamment dans le cadre de la vie communautaire.

Le développement de l’identité ethnique


Pour certaines personnes, la dimension ethnique joue un rôle de premier plan dans
la construction de leur identité individuelle. Pour d’autres, elle n’est qu’un élément
secondaire par rapport à d’autres composantes de leur identité, comme le sexe,
la religion, le groupe linguistique, le groupe amilial, les convictions politiques, le
métier ou la proession.
L’importance accordée à l’identité ethnique peut également varier au cours de
la vie d’un individu. Une personne d’origine immigrante peut accorder très peu
d’importance à ses origines au cours de son enance, si elle n’a pas été élevée
dans les traditions de son pays d’origine. Touteois, il peut arriver qu’à l’adoles-
cence ou à l’âge adulte, cette personne ressente le besoin d’entreprendre une
quête identitaire et qu’elle décide alors de renouer avec son pays d’origine et
avec les autres membres de sa communauté.
Cette démarche peut parois surprendre les parents et entraîner des confits
intergénérationnels au sein de la amille. En eet, il arrive que des parents immi-
grants aient volontairement cherché à couper les ponts avec leur culture d’ori-
gine et que leurs enants, nés au Québec, leur reprochent de ne pas leur avoir
transmis cette culture. Ces jeunes immigrés de deuxième ou de troisième généra-
tion décident parois d’adopter des pratiques culturelles, notamment religieuses,
que leurs parents avaient abandonnées.
L’identité ethnique peut être complexe, particulièrement lorsqu’une personne
a des origines multiples : elle peut s’identier tantôt au groupe ethnique de sa
mère, tantôt à celui de son père, tantôt à sa société d’accueil. Elle peut également
chercher à réaliser une synthèse identitaire en puisant les éléments qui lui
conviennent le mieux dans chacune des cultures qui l’ont açonnée. Cette ten-
dance à la construction ou au bricolage identitaire est d’ailleurs l’une des carac-
téristiques de notre époque, qui tend à rejeter les identités xes au prot de la
liberté identitaire de chaque individu.

L’appartenance ethnique et la vie communautaire


communalsaton Nous avons déjà souligné que le ait d’appartenir à un groupe ethnique peut amener
Concept développé par un individu à participer à la vie communautaire de ce groupe. Une communauté
Max Weber pour désigner le culturelle peut ainsi se créer à partir d’un groupe ethnique. Max Weber appelle
processus par lequel se crée communalisation le processus par lequel se crée une communauté, que cette com-
une communauté lorsque munauté soit ethnique ou autre. Au contraire de la sociation, qui est une relation
les rapports reposent sur sociale ondée sur le partage d’intérêts communs, la communalisation repose sur
des fondements affectifs,
des ondements aectis, émotionnels ou traditionnels (Winter, 2004).
émotionnels ou traditionnels.
En eet, la participation à la vie communautaire peut permettre aux groupes mino-
ritaires de répondre à des besoins aectis. Elle peut combler un besoin d’apparte-
nance, avoriser l’expression d’un attachement à sa culture d’origine et encourager
le partage de cet attachement avec les autres membres du groupe. De nombreuses
activités peuvent revêtir une grande importance pour les membres de la commu-
nauté, comme célébrer ensemble les êtes importantes, commémorer des tragédies,
partager des repas traditionnels, transmettre aux plus jeunes les rites, les danses, les
chants et les prières.
La vie communautaire peut également avoriser l’entraide et la solidarité.
Plusieurs associations ethniques consacrent d’ailleurs une part importante de
leurs activités au soutien matériel et moral des membres de leur communauté.

256 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Le travail de ces associations est d’autant plus utile que les
familles nouvellement arrivées au Québec ont parfois tendance
à se tourner vers les membres de leur communauté pour obtenir
certaines ressources ou certaines informations qui pourraient
les aider à se trouver un logement, à obtenir des soins de santé,
à décrocher un emploi, etc.
Certains s’inquiètent toutefois qu’une vie communautaire
trop intense ne conduise au repli identitaire. En effet, une per-
sonne qui ne fréquente que les membres de sa communauté et
qui ne quitte jamais son quartier monoethnique risque de se
retrouver isolée du reste de la société, ce qui peut nuire à
son intégration culturelle et à sa participation civique. La re-
cherche du juste équilibre entre l’appartenance à la commu-
nauté ethnique et l’appartenance à la communauté politique
Les célébrations communautaires permettent de combler certains
est au cœur des grands débats contemporains sur la diversité
besoins affectifs, notamment pour les nouveaux arrivants.
culturelle.

8.3.2 L’ethnocentrisme et le relativisme culturel


Les humains ont différentes façons de réagir en présence de l’altérité ethnique.
Lorsqu’il se retrouve face à un groupe ethnique qui est autre que le sien et dont les
comportements sont différents de ceux auxquels il est habitué, un individu peut se
sentir partagé entre deux sentiments opposés : d’un côté, il peut avoir tendance à
porter un jugement négatif sur des comportements qui heurtent ses certitudes ; de
l’autre, il peut au contraire chercher à se détacher de sa propre vision des choses pour
chercher à comprendre, sans les juger, les comportements nouveaux auxquels il fait
face. Ces deux postures opposées entre lesquelles l’être humain peut être tiraillé sont
désignées respectivement par les termes « ethnocentrisme » et « relativisme culturel ».

L’ethnocentrisme
L’ethnocentrisme est une attitude fortement répandue, bien qu’elle soit de plus ethnontrism
en plus critiquée dans nos sociétés. L’individu ethnocentrique place sa culture au Attitude qui consiste à juger
centre de toutes les cultures et envisage celles-ci comme des déviations par rap- les autres cultures au moyen
port à la sienne ou comme de simples satellites gravitant autour du point central des normes et des valeurs qui
que sa culture constitue. imprègnent sa propre culture.
L’ethnocentrisme s’oppose au
Pour illustrer ce qu’est l’ethnocentrisme, prenons l’exemple de l’expression relativisme culturel.
des émotions. Dans certaines cultures, il est considéré comme normal d’extério-
riser ses émotions en public. Par exemple, lors de funérailles, on trouvera tout à
fait approprié que les proches du défunt crient et pleurent très fort, car cela
témoigne de leur attachement à la personne décédée et s’inscrit dans le pro-
cessus du deuil. Par contre, dans d’autres cultures, c’est plutôt la retenue et la
discrétion qui sont encouragées, car elles sont considérées comme une forme de
respect envers le défunt et une invitation au recueillement. Une attitude ethno-
centriste consisterait donc, pour les individus de la culture où l’épanchement est
valorisé, à traiter les individus de l’autre culture d’insensibles et de sans cœur, et
pour ceux-ci, à considérer les premiers comme irrespectueux.
Dans sa forme élémentaire, l’ethnocentrisme n’est pas une menace pour les
autres cultures. Au contraire, il constitue une attitude positive qui favorise l’inté-
gration de l’individu dans son groupe social. Il est en effet plus facile pour un indi-
vidu de développer une appartenance à son groupe s’il croit en la force de ce
groupe et s’il croit que ce groupe agit convenablement. Selon le célèbre anthropo-
logue Claude Lévi-Strauss, l’ethnocentrisme est même nécessaire à la préservation

chapitr 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 257


des cultures : il aut, jusqu’à un certain point, croire en la valeur de sa propre
culture pour considérer qu’il est nécessaire de la préserver.
L’ethnocentrisme devient dangereux lorsqu’il est poussé à l’extrême et qu’il amène
des personnes à armer la supériorité absolue d’une culture sur une autre. Il peut
alors conduire à l’intolérance et au rejet de toute orme de diérence culturelle.

Le relativisme culturel
relatvsme cultuel Le contraire de l’ethnocentrisme est le relativisme culturel. Lorsqu’elle observe
Attitude qui consiste à chercher qu’un groupe ethnique se comporte diéremment du sien, la personne relativiste
à comprendre la culture de évite de porter un jugement hâti sur ce comportement et essaie plutôt de s’inormer
l’autre de l’intérieur plutôt sur la culture de ce groupe, pour comprendre les ondements de ses agissements.
qu’à partir des normes et des
règles de sa propre culture. Si l’on reprend l’exemple de l’expression des émotions en cas de deuil, on peut
Le relativisme culturel s’oppose imaginer qu’une personne relativiste qui assiste à des unérailles dans une amille
à l’ethnocentrisme. d’un groupe ethnique autre que le sien pourrait être surprise par les comporte-
ments qu’elle observe, mais se garderait de les juger négativement. Conormément
au relativisme culturel, cette personne chercherait simplement à comprendre pour-
quoi, par exemple, on encourage dans cette culture les proches du déunt à crier et
à pleurer alors que dans la sienne on prône plutôt la retenue. Une telle attitude
pourrait même l’inviter à remettre en question ses propres normes et à constater
qu’aucune de ces açons de aire n’est ondamentalement supérieure à l’autre.
Tout comme l’ethnocentrisme, le relativisme culturel peut être bénéque. En
eet, il permet de mieux comprendre les limites de nos propres normes et valeurs
sociales et de aire preuve d’une plus grande ouverture envers les autres cultures.
Il avorise la tolérance parce qu’il met en relie les diérences proondes qui
existent entre les modèles culturels, ce qui permet de mieux comprendre les
comportements des individus d’autres cultures.
Touteois, tout comme l’ethnocentrisme, le relativisme culturel comporte cer-
tains risques. En eet, selon le relativisme culturel, toutes les cultures se valent,
et cette proposition, poussée à l’extrême, pourrait en conduire certains à armer
que tous les comportements sont acceptables dans la mesure où ils s’expliquent
culturellement. Selon cette logique, au nom du respect de la diversité, il pourrait
devenir impossible de critiquer des comportements qui nous paraissent pour-
tant inacceptables (voir l’encadré 8.2).
Les intervenants du domaine de la santé et des services sociaux sont particu-
lièrement au ait de la diculté de trouver le juste équilibre entre ethnocentrisme
et relativisme culturel. Par exemple, lorsque des parents issus d’une culture
étrangère utilisent des châtiments corporels pour punir leurs enants, ils
se demandent s’il aut immédiatement dénoncer les parents, au risque de détruire
une amille pour une simple question d’incompréhension interculturelle, ou s’il
aut au contraire aire preuve de souplesse, tout en sachant que cela les conduit
à accepter une violence qu’ils ne toléreraient jamais dans une autre amille.

8.3.3 La discrimination et le racisme


Les rapports entre diérents groupes ethniques peuvent être enrichissants et har-
monieux. Ils peuvent aussi être confictuels, voire violents. Dans la vie de tous les
jours, on a tendance à qualier de « raciste » toute attitude ou tout comportement
qui témoigne d’une certaine hostilité envers une personne ou un groupe diérent.
Cette dénition du racisme est tellement large et atténuée qu’une majorité de
Québécois a armé être au moins « un peu raciste » dans un sondage mené en 2007
par la rme Léger Marketing (Gagné et Roy, 2007).

258 pate iii Les inégalités et les différences sociales


encadré 8.2 en coMPlÉMent

La défense culturelle

En principe, la loi s’applique à tous de la même açon. Dans les acteur aggravant, contrairement à ce qui se ait habituelle-
aits, il arrive que des juges tiennent compte de divers ac- ment. Cette absence de remords lui semblait « relever plus
teurs, notamment de la culture d’une personne, lorsque vient d’un contexte culturel particulier à l’égard des relations avec
le temps d’interpréter la loi et de l’appliquer. Une sociologue de les emmes que d’une véritable problématique d’ordre sexuel »
l’Université de Montréal, Sirma Bilge, a justement étudié des comme l’a expliqué elle-même la juge.
jugements rendus par des tribunaux canadiens entre 1995 et
Selon Sirma Bilge, ce jugement, qui vise à respecter la diversité
2002 et ayant en commun de aire intervenir le concept de
culturelle, s’appuie pourtant sur des stéréotypes racistes et
« déense culturelle ». La déense culturelle est le ait de « [aire]
sexistes, notamment « sur la sexualité débridée des hommes
intervenir la culture spécique de l’accusé pour nier sa respon-
noirs et la promiscuité sexuelle des emmes noires » (Bilge, 2005).
sabilité criminelle ou l’atténuer » (Bilge, 2005).
Dans un autre cas, une juge a minimisé la violence des agres-
Par exemple, dans un cas de viol collecti d’une jeune emme
sions commises par un homme de religion musulmane envers
commis par deux hommes d’origine haïtienne, la juge n’a pas
sa belle-lle de neu ans. En ayant des relations anales plutôt
tenu compte de l’absence de remords des accusés comme
que vaginales avec sa victime, l’homme aurait pu ainsi per-
mettre à la jeune lle, selon la juge, de « préserver sa virginité,
ce qui semble être une valeur très importante dans leur reli-
gion […]. » Toujours selon la juge, « on peut donc dire que d’une
certaine açon et à cet égard l’accusé a ménagé sa victime ».
La sociologue considère que ce jugement, loin de avoriser la
tolérance, véhiculerait au contraire une image négative de
l’islam en laissant croire que cette religion banalise certaines
ormes d’agressions sexuelles (Bilge, 2005).
Question
Pourquoi les deux exemples cités par Bilge peuvent-ils être
considérés comme des cas de déense culturelle?

Ces personnes sont-elles toutes réellement racistes, au sens propre du terme,


ou existe-t-il des termes plus exacts pour désigner les personnes qui, sans croire
à l’existence de races supérieures à d’autres, entretiennent des préjugés envers
des groupes ethniques ? À ce sujet, la sociologie propose plusieurs concepts qui
permettent d’opérer certaines distinctions et de ormuler certaines nuances à
propos de ces attitudes et de ces comportements. Grâce à ces concepts, il est
possible de classer les attitudes et comportements de rejet de l’autre selon leur
nature et selon la gravité de leurs conséquences.

Les préjugés, les stéréotypes et la discrimination


Le mot « préjugé » signife littéralement « opinion ondée sur un jugement ait à préjugé
l’avance », c’est-à-dire un jugement qu’un individu ait à propos d’une réalité avant Idée préconçue qui concerne
même de la connaître. Ainsi, nos préjugés se ondent sur une inormation partielle des groupes sociaux et qui
que nous détenons sur des personnes ou des situations. Les opinions que certaines infue sur les attitudes et les
personnes ont des Noirs, des homosexuels ou des Autochtones s’appuient souvent comportements des personnes
sur des rumeurs ou des ouï-dire qu’il ne leur est pas toujours possible de vérifer. qui la partagent.
Ces opinions peuvent également s’appuyer sur leur expérience personnelle auprès
de quelques individus, opinions qu’elles généralisent sans preuve et appliquent à
l’ensemble des membres d’un groupe ethnique. Très souvent, ces opinions sont

chaitre 8 La diérenciation sociale et les relations ethniques 259


alimentées par des stéréotypes, qui sont partagés et
entretenus collectivement.
En théorie, les préjugés et les stéréotypes peuvent
être positis ou négatis : qui n’a jamais entendu dire
que les Noirs courent vite et dansent bien ou que les
Chinois sont excellents en mathématiques ? Touteois,
le plus souvent, les préjugés et les stéréotypes sont
négatis et peuvent représenter une menace réelle pour
la qualité des relations entre la majorité et les mino-
rités ou entre les individus qui en sont issus. En eet,
les attitudes et les comportements d’un individu sont
concrètement modifés par la perception (négative ou
positive) qu’il entretient à propos de certains groupes.
Par exemple, il y a de ortes chances qu’un proesseur
Un préjugé est une idée ou un jugement, le plus souvent qui a des préjugés envers les musulmans porte des
défavorable, que l’on porte sur une personne, ou sur une
jugements négatis envers ses étudiants pratiquant
chose, avant même de savoir qui elle est vraiment.
ouvertement cette religion.
stééoty Les préjugés et les stéréotypes peuvent ainsi fnir par engendrer de la discri-
Représentation caricaturale, mination. Les idées entretenues à l’égard de certains groupes à grand renort de
partagée collectivement, d’un blagues et de préjugés courants contribuent à dénier des droits aux groupes
groupe social donné. visés et à renorcer les préjudices. La discrimination entraîne pour les personnes
dcmnaton en cause une perte de leurs droits et libertés, comme le droit d’accéder au marché
Acte individuel ou collectif du travail dans les mêmes conditions que les autres membres de la société, le
commis contre une personne droit de se loger adéquatement et même le droit de circuler librement.
ou un groupe, qui constitue
un traitement différencié et Le racisme
préjudiciable, et qui entraîne
Même si le concept de race est scientifquement invalide, les comportements racistes
une perte de droits.
existent. En eet, bien que les races n’existent pas, certains croient à leur existence,
racm ce qui ait que des groupes sont victimes de racisme. C’est la croyance en l’exis-
Idéologie selon laquelle les tence d’une hiérarchie des groupes humains qui ait en sorte que des groupes sont
êtres humains se divisent en victimes de racisme, généralement en raison de la couleur de leur peau ou d’autres
races, dont certaines seraient caractéristiques physiques. Ce ne sont donc pas les races qui créent le racisme,
fondamentalement supérieures
c’est au contraire le racisme qui ait croire à certains que les races existent.
à d’autres.
Une défnition plus large du racisme tend plutôt à étendre la signifcation de ce
terme à tout processus de catégorisation sociale des groupes humains discer-
nables par des traits physiques ou culturels. Certains sociologues parlent ainsi
de « racisme culturel » ou de « néo-racisme » pour désigner des processus de caté-
gorisation et d’inériorisation des groupes sur la base de leur culture plutôt que
de traits physiques. Selon ces sociologues, cette nouvelle défnition du racisme
est nécessaire, car de nos jours, ceux qui soutiennent les théories biologiques
sur les inégalités raciales sont rarissimes, alors que ceux qui croient en l’exis-
xénohob tence de groupes culturellement inérieurs à d’autres sont plus nombreux. La
Au sens strict, peur des étrangers. culture aurait donc remplacé la biologie comme ondement de l’idéologie raciste.
Au sens large, attitude de rejet
ou de répulsion à l’égard des Pour d’autres, touteois, il vaut mieux éviter d’attribuer un sens trop large au
personnes issues de concept de racisme pour éviter qu’il ne veuille plus rien dire et qu’il devienne
l’immigration. impossible de détecter et de dénoncer les cas de racisme véritable. Pour ces socio-
ethncm logues, le concept de racisme doit être limité à son sens strict et les autres ormes
Attitude ou comportement
de diérenciation sociale doivent être nommées à l’aide d’autres termes. Ainsi, il
discriminatoire envers une serait préérable, selon eux, de parler de xénophobie pour désigner l’hostilité
personne ou un groupe envers les étrangers, d’ethnicisme pour désigner une discrimination ondée sur
de personnes en raison l’ethnicité et d’ethnocentrisme pour désigner la valorisation de sa propre culture,
de leur ethnicité. au détriment des autres cultures.

260 pat iii Les inégalités et les différences sociales


Le génocide
Le génocide (ou ethnocide) est probablement l’action la plus violente à laquelle génoide (ou ethnoide)
peut mener le racisme. Il en existe de nombreux exemples au cours de l’histoire : Anéantissement ou tentative
les pogroms, c’est-à-dire les agressions violentes perpétrées sporadiquement d’anéantissement d’un groupe
contre les Juifs en Russie ; les camps de concentration et l’extermination de ethnique ou d’un groupe humain.
6 000 000 de Juifs par le régime nazi ; la mise en esclavage de Noirs provenant
d’Afrique, achetés et vendus comme des bêtes de somme, puis forcés de travailler

Réseau de concepTs Les relations ethniques

Individu
dont
Identité ethnique
l’importance
de l’individu
varie selon
Cours de la vie

comble Besoins affectifs

Appartenance
ethnique et vie favorise Solidarité
communautaire

peut mener à Repli identitaire

favorise Intégration de l’individu

Ethnocentrisme
Intolérance
Relations
ethniques peut mener à

Rejet

Tolérance
favorise

Ouverture
Relativisme culturel

peut mener à Acceptation de comportements


inacceptables

alimentés pouvant
Préjugés Stéréotypes Discrimination
par engendrer

Racisme peut mener à Génocide (ethnocide)

chapitre 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 261


dans les plantations de coton au sud des États-Unis ; les massacres d’Amérindiens ;
l’extermination de la population autochtone de Tasmanie, une île située près des
côtes australiennes (Tischler, Whitten et Hunter, 1986). Plus récemment, l’élimina-
tion systématique de plus de 800 000 Tutsis a été menée par des Hutus au Rwanda
(1994). Dans ce cas, même les bébés et les blessés dans les hôpitaux aisaient partie
des ennemis à abattre. Le massacre d’environ 8 000 musulmans à Srebrenica par
les orces serbes de Bosnie lors du confit en ex-Yougoslavie (1991-1995) a égale-
ment été qualié de génocide par la justice internationale. Les victimes étaient
essentiellement des civils, souvent déjà aits prisonniers et désarmés, qui nis-
saient dans des tombes collectives. La liste des actions entreprises par un peuple
dans le but d’en anéantir un autre est considérable. Ces massacres organisés de
populations ciblées illustrent bien jusqu’où peut mener le racisme.
Le racisme peut être utilisé par certains pour justier les guerres entre des
nations, tout comme il peut servir de prétexte à des gestes ou des actions discri-
minatoires à l’égard de minorités au sein d’une même société. Il ne aut cependant
pas oublier les enjeux réels de ces confits. La plupart du temps, des enjeux éco-
nomiques et politiques constituent les motis véritables de ces arontements
organisés. La domination qu’un groupe exerce sur un autre comporte des avan-
tages pour le groupe dominant : la conservation ou la conquête d’un territoire
riche en ressources et le sentiment d’avoir des droits légitimes sur des régions ou
des richesses représentent de puissants mobiles susceptibles d’entraîner des
groupes humains dans de violents arontements.

FaiTes Le poinT

8. Quels sont les éléments positis que la vie communautaire apporte


aux groupes ethniques ?
9. Quelle est la diérence entre l’ethnocentrisme et le relativisme
culturel ?
10. Pourquoi peut-on armer que c’est le racisme qui crée la race et non
l’inverse ?

8.4 Quelques enjeux relatifs aux


relations ethniques
Si les sociologues s’intéressent de plus en plus aux relations ethniques, c’est
qu’elles soulèvent des questions particulièrement sensibles dans nos sociétés
contemporaines. À l’échelle microsociologique, on peut s’intéresser à l’impact de
la diversité ethnique sur nos relations interpersonnelles dans un cadre amilial ou
scolaire, ou lors d’activités de loisir. On peut également chercher à comprendre,
d’un point de vue plus macrosociologique, la manière dont la diversité ethnique
transorme les sociétés, particulièrement celles qui accueillent un grand nombre
d’immigrants, et s’interroger sur la pertinence des choix politiques aits par les
gouvernements pour composer avec cette diversité et en tirer prot.

8.4.1 L’immigration
Le Canada et le Québec sont des sociétés d’immigration, c’est-à-dire des sociétés
qui accueillent un grand nombre d’immigrants. C’est d’ailleurs le cas de la plupart
des pays occidentaux, qui attirent de nombreux immigrants en quête d’une vie

262 parte iii Les inégalités et les différences sociales


meilleure. Chaque année, le Canada reçoit environ
240 000 immigrants (Citoyenneté et Immigration
Canada, 2011), parmi lesquels environ 50 000 s’éta-
blissent au Québec (Ministère de l’Immigration et
des Communautés culturelles, 2012).
L’immigration n’est certes pas un phénomène
nouveau au Québec et au Canada. En plus des pre-
miers colons français et anglais, de nombreux
Écossais et Irlandais ont contribué à bâtir le pays.
D’autres immigrants sont arrivés par la suite pour
participer au peuplement de l’Ouest. Un grand
nombre de Chinois ont d’ailleurs travaillé à la
construction des chemins de fer reliant le Canada
d’un océan à l’autre. De nombreuses vagues d’immi-
gration se sont succédé tout au long du xxe siècle.
Parmi les immigrants qui se sont installés au
Québec, on peut mentionner les Italiens et les Grecs,
qui ont depuis longtemps formé des communautés
dans certains quartiers de Montréal et de ses environs. Cependant, depuis quelques
décennies, la majorité des immigrants ne provient plus de l’Europe, ce qui augmente
la diversité ethnique et culturelle (voir le tableau 8.3).

La répariion des immigrans admis au québe en 2011


Tableau 8.3
selon leur pays de naissane
Pays de naissance Nombre d’immigrants Pourcentage d’immigrants (%)
Haïti 5 091 9,8
Chine 4 916 9,5
Algérie 4 067 7,9
Maroc 3 943 7,6
France 3 235 6,3
Colombie 2 080 4,0
Iran 1 741 3,4
Liban 1 654 3,2
Égypte 1 505 2,9
Tunisie 1 260 2,4
Cameroun 1 246 2,4
Mexique 1 035 2,0
Moldavie 1 034 2,0
Philippines 892 1,7
Roumanie 812 1,6
Autres pays 17 226 33,3
toal 51 737 100,0
Source : Institut de la Statistique du Québec. Immigrants selon le pays de naissance, 2007-2011.

chapire 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 263


La diversité ethnique entraînée par l’immigration n’est touteois pas répartie
de manière uniorme dans toutes les régions du pays. Comme l’illustre la fgure 8.1,
les immigrants ont tendance à s’établir dans les grandes villes comme Toronto,
Vancouver et Montréal. On prévoit même qu’en 2031, plus de la moitié de la popu-
lation torontoise sera née à l’étranger.
Il importe de ne pas conondre les termes « immigrant » et « minorité ethnique »,
bien qu’il s’agisse de termes connexes. En eet, les minorités ethniques sont le
plus souvent issues de l’immigration, mais elles ne le sont pas toujours. Les
termes « personne issue de l’immigration » ou « immigré de deuxième génération »
sont également utilisés pour désigner les descendants directs des immigrants,
qui sont nés dans le pays d’adoption de leurs parents. L’expression « nouveaux
arrivants » est quant à elle utilisée à propos des immigrants dont l’arrivée au pays
est récente.
Afn de souligner le ait que les immigrants sont des membres à part entière de
leur société d’accueil, les gouvernements utilisent parois des expressions telles
que « néo-Québécois » ou « néo-Canadien ». Si ces appellations sont généralement
utilisées correctement, il importe de rappeler que le préfxe « néo » signife « nou-
veau ». Il aut donc éviter d’utiliser ce terme pour désigner des immigrants ins-
tallés au pays depuis plusieurs décennies et dont l’appartenance à leur société
d’accueil n’est pas particulièrement nouvelle !

La roorton de la oulaton canadenne née à l’étranger


Figure 8.1
selon la régon métrooltane de recensement, entre 2006 et 2031*
Pourcentage
60
2006
2031
50

40

30
Canada 2031 (26,5 %)

20
Canada 2006 (19,8 %)

10

0
Ottawa-Gatineau (Québec)

Grand Sudbury
Montréal

Peterborough

Moncton
Trois-Rivières
Ottawa-Gatineau (Ontario)

Oshawa

Brantford

Saint John
Toronto

London

St-John's
Abbotsford

Hamilton

Edmonton

Regina
Thunder Bay
Victoria

St. Catharines-Niagara

Kingston

Barrie
Sherbrooke

Saskatoon

Québec

Saguenay
Calgary

Kelowna
Winnipeg
Guelph
Kitchener

Halifax
Vancouver

Windsor

Villes canadiennes

* Le scénario de référence est établi en tenant compte de la fécondité, de l’espérance de vie, des niveaux d’immigration et de la composition
de l’immigration prévus pour les prochaines années.
Source : Statistique Canada. Projections de la diversité de la population canadienne : 2006 à 2031, Canada, Ministre de l’Industrie,
mars 2010, p. 31.

264 parte iii Les inégalités et les différences sociales


La sélection des immigrants
Les immigrants qui s’installent au Québec et au Canada
font l’objet d’une sélection de la part de leur société
d’accueil. Autrefois, cette sélection s’effectuait notam-
ment en fonction de critères ethniques et « raciaux », le
Canada souhaitant limiter la présence de certains
groupes au pays. Ces critères ont été abandonnés dans
les années 1960. Chaque immigrant est désormais
choisi en fonction de ses caractéristiques individuelles,
sans égard à son appartenance à un groupe ethnique
ou racisé. Les immigrants sont répartis en trois princi-
pales catégories : l’immigration économique, le regrou-
pement familial et les réfugiés.
Comme le montre le tableau 8.4, les immigrants
économiques représentent près de 70 % des immi- Des immigrants portant allégeance au moment de l’obtention
de leur citoyenneté canadienne.
grants reçus au Québec. Ils sont choisis principale-
ment en fonction de leur contribution potentielle à
l’économie du Québec. Lors de l’entente Couture-Cullen conclue en 1978 entre les
gouvernements du Québec et du Canada, il a été convenu que le Québec pourrait
dorénavant sélectionner lui-même les immigrants appartenant à cette catégorie.
Leur sélection s’effectue à partir d’une grille de points qui inclut une série de cri-
tères tels que la formation, l’expérience de travail, l’âge et les connaissances lin- immgant éonomue
guistiques. Aucun de ces critères n’est toutefois éliminatoire. Par exemple, il n’est Immigrant sélectionné en raison
pas obligatoire de parler français pour être admis au Québec, mais la connais- de sa contribution potentielle à
sance préalable du français permet aux demandeurs d’obtenir des points qui aug- l’économie du Québec.
mentent leurs chances d’être choisis.
Le regroupement familial fournit environ 20 % des immigrants. Il s’agit d’un regoupement famlal
processus grâce auquel des immigrants sont parrainés par un membre de leur Catégorie qui correspond aux
famille qui se trouve déjà au pays. Le parrain doit s’assurer que son parent n’a pas immigrants qui sont parrainés
à faire appel au gouvernement pour subvenir à ses besoins pendant les premières par un membre de leur famille
années qui suivent son arrivée. La sélection de ces immigrants est effectuée par déjà établi au pays.
le gouvernement fédéral.
Finalement, les réfugiés représentent environ 10 % des immigrants accueillis réfugé
chaque année. Ils sont également sélectionnés par le gouvernement fédéral. Immigrant qui risque d’être
Conformément à la Convention de Genève, le Canada doit s’engager à recevoir persécuté s’il retourne dans son
des immigrants qui risquent d’être persécutés s’ils retournent dans leur pays pays d’origine.
d’origine. Pour obtenir le statut de réfugié, ces immigrants doivent faire une
demande d’asile au Canada et prouver que leur sécurité est menacée dans leur
pays d’origine.

La épatton des mmgants adms au québe en 2011


Tableau 8.4
selon la atégoe d’mmgants
Immigration économique Regroupement familial Réfugiés Autres
n % n % n % n %
36 101 69,8 10 045 19,4 5 020 9,7 571 1,1
n : Nombre d’immigrants
% : Pourcentage
Source : Institut de la Statistique du Québec. Immigrants selon la catégorie d’immigrants, 1980-2011.

chapte 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 265


L’intégration des immigrants
Au Québec, comme dans la plupart des sociétés, l’intégration des immigrants est
un sujet sensible qui soulève bien des passions. Le processus d’immigration peut
être particulièrement éprouvant pour l’immigrant qui, comme on l’a vu au chapitre 4,
doit s’adapter à une nouvelle société dont les règles et les normes sont diérentes
de celles de son pays d’origine. Quant à la société d’accueil, elle se voit transormée
sous l’eet de la diversication culturelle. Il peut en résulter une tension entre
l’immigrant et la société d’accueil, qui craignent parois tous les deux de perdre
leur culture au contact de l’autre.
intégraton L’intégration des immigrants désigne le processus au cours duquel les immi-
Processus au cours duquel grants s’adaptent et prennent progressivement leur place dans leur société d’ac-
les immigrants s’approprient cueil. Cette intégration peut s’opérer rapidement ou lentement selon le cas. Il
progressivement la culture ainsi peut même arriver qu’elle ne soit jamais complétée ou, au contraire, qu’elle mène
que les manières d’être, d’agir à l’assimilation, comme nous le verrons plus loin. Il arrive parois qu’un immi-
et de penser de leur société
grant ne parvienne jamais à se sentir pleinement membre de sa société d’accueil.
d’accueil.
Cela peut s’expliquer par le ait qu’il décide lui-même de ne pas participer à la vie
de cette société ou par le ait que la discrimination dont il est victime l’empêche
d’en devenir un citoyen à part entière.
L’intégration comporte plusieurs dimensions. L’intégration linguistique, par
exemple, peut être avorisée par la participation à des programmes de rancisa-
tion oerts par le gouvernement. L’intégration culturelle, qui est plus vaste que la
seule intégration linguistique et qui l’englobe, est un long processus qui implique
pour l’immigrant qu’il s’imprègne progressivement de la culture de sa société
d’accueil. Nous avons vu au chapitre 3, que la culture est un vaste ensemble qui
regroupe notamment des normes, des valeurs, des symboles, des habitus, des
idéologies et des croyances. Ces éléments constitutis de la
culture sont acquis et intériorisés par un nati dès son jeune
âge, grâce à la socialisation. Pour un immigrant, ces éléments
nécessitent un nouvel apprentissage, une resocialisation qui ne
se ait pas sans heurts, surtout lorsqu’ils entrent en confit avec
des valeurs et des croyances acquises dans le pays d’origine.
L’intégration économique est l’une des dimensions les plus
importantes de l’intégration, une de celles qui acilitent le plus l’in-
tégration culturelle et le développement d’un sentiment d’apparte -
nance à la société d’accueil. Le ait de participer au marché du
travail permet à l’immigrant non seulement de subvenir à ses
besoins et à ceux de sa amille, mais également de contribuer à
la prospérité de sa société d’accueil et de s’intégrer à un groupe
de collègues. Or, plusieurs obstacles nuisent à l’intégration éco-
nomique des immigrants.
D’abord, la double exigence linguistique de plusieurs
employeurs constitue un obstacle pour certains immigrants.
C’est le cas, par exemple, pour de nombreux Maghrébins (origi-
naires du Maroc, de l’Algérie ou de la Tunisie) qui parlent le plus
souvent arabe et rançais, mais qui ne maîtrisent pas toujours
l’anglais (Chicha et Charest, 2008). Ces immigrants, dont cer-
tains ont justement été attirés par le caractère rancophone du
Le flm québécois Monsieur Lazhar, qui a obtenu
une nomination aux Oscars en 2012, raconte Québec, sont parois surpris de devoir apprendre ou perec-
l’histoire d’un réugié algérien qui cherche à obtenir tionner leur anglais pour obtenir un emploi.
l’asile au Canada et qui devient enseignant dans
De plus, la reconnaissance de leur ormation et de leur expé-
une école primaire.
rience de travail acquises à l’étranger pose des problèmes aux

266 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


immigrants. Parce que leur ormation n’est pas toujours jugée équivalente à celle
qui est donnée au Québec, de nombreux immigrants doivent reprendre leurs études
depuis le début pour pouvoir exercer le métier ou la proession qu’ils exerçaient
dans leur pays d’origine (Chicha et Charest, 2008). Cette situation est particulière-
ment réquente dans le cas des proessions régies par un ordre proessionnel,
comme la médecine ou la pharmacie.
Ensuite, les immigrants d’aujourd’hui doivent se tailler une place dans une éco-
nomie qui accorde une grande importance à la communication et aux réseaux. Or,
il peut être difcile de prendre sa place dans un tel environnement pour un immi-
grant qui ne maîtrise pas encore les codes culturels de sa société d’accueil et dont
le réseau de contacts n’est pas encore très développé (Dubreuil et Marois, 2011).
Finalement, la discrimination représente un obstacle supplémentaire à l’inté-
gration économique, particulièrement pour les minorités racisées. La Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a eu récemment
recours à la méthode du « testing », qui consiste à envoyer des curriculum vitae
fctis à diérentes entreprises, pour mesurer la présence de discrimination à
l’embauche. L’enquête, menée dans la région de Montréal, a permis de confrmer
l’hypothèse que les employeurs ont davantage tendance à rappeler les candidats
qui portent un nom à consonance québécoise que ceux dont le nom est à conso-
nance arabe, aricaine ou latino-américaine (Eid, 2012).

8.4.2 Les modèles gouvernementaux de gestion


de la diversité
Conscients des défs que pose la cohabitation de citoyens d’origines diverses, les
gouvernements des pays d’immigration adoptent des politiques et des lois afn
d’encadrer les rapports interculturels sur leur territoire. Diérents modèles de
gestion de la diversité ethnique sont donc conçus et mis en place par les gouver-
nements. Pendant quelques décennies, la tendance, dans les pays occidentaux,
était à l’ouverture toujours croissante des sociétés d’accueil aux pratiques cultu-
relles, notamment religieuses, des minorités. Touteois, depuis une décennie, cer-
tains gouvernements et partis politiques d’opposition ont adopté un discours plus
erme envers les immigrants. Ces revirements ont parois été conçu comme une aommodement
réaction à des événements violents, comme les attentats de Londres (2005), qui risonnble
ont été interprétés par certains comme des preuves du manque d’intégration des (pour moti religieux) Adaptation
immigrants à leur société d’accueil. Au Québec, les revendications en aveur d’une aite à une règle commune pour
plus grande intégration des immigrants ont surtout été ormulées depuis la crise permettre à un individu de
des « accommodements raisonnables » (voir l’encadré 8.3, page suivante). pratiquer sa religion.

Les modèles assimilationnistes


L’assimilation d’un immigrant se produit lorsqu’il a adopté intégralement la culture de assimiltion
sa société d’accueil et qu’il ne reste plus chez lui la moindre trace de sa culture Abandon, de la part des
d’origine. L’assimilation peut se produire de açon intentionnelle ou non : un immi- immigrants, des traits culturels
grant peut volontairement choisir de s’assimiler, dès son arrivée ou après quelques issus de leur pays d’origine, au
années passées en sol québécois. Il peut également être orcé par la société d’ac- proft de ceux de leur société
cueil à s’assimiler, notamment lorsqu’un gouvernement interdit l’expression de d’accueil.
tout particularisme culturel. Il peut même s’assimiler inconsciemment, à orce
de côtoyer les membres de sa société d’accueil.
Jusqu’aux années 1960, l’assimilation des immigrants était la norme dans la plu-
part des sociétés d’accueil. Les gouvernements s’attendaient à ce que les immi-
grants délaissent progressivement leur culture d’origine, du moins dans l’espace
public. En France, le modèle assimilationniste se conjuguait à l’idée de République

chpitre 8 La diérenciation sociale et les relations ethniques 267


encadré 8.3 Sociologie Au quotidien

Les accommodements raisonnables

L’accommodement raisonnable est un concept juridique éla- aboutit la "gestion" des confits de valeurs ou de droits, parti-
boré par les tribunaux canadiens. Le Comité consultati sur culièrement dans les rapports interculturels » (Bosset, 2007).
l’intégration et l’accommodement raisonnable en milieu sco- De nombreux événements ont alors dérayé les manchettes,
laire le dénit comme étant « l’adaptation ou l’exemption, sans dont les suivants : l’installation, par le YMCA du Parc, de
contrainte excessive, de l’application d’une norme ou d’une enêtres givrées dans ses salles d’exercice à la demande de la
pratique de portée générale, en accordant un traitement dié- congrégation hassidique voisine ; la recommandation aite aux
rentiel et équitable à une personne qui, autrement, serait policières du Service de police de la ville de Montréal de céder
pénalisée par l’application d’une telle norme ou d’une telle la place à leurs collègues masculins dans leurs contacts avec
pratique » (Comité consultati sur l’intégration et l’accommode- les Hassidim ; le remplacement, au CLSC Parc-Extension, de
ment raisonnable en milieu scolaire, 2007). Cet accommo- cours prénataux traditionnels par des groupes de discussions
dement peut être accordé, par exemple, à une emme enceinte exclusivement éminins (Quérin, 2008). Aucun de ces cas ne
ou à une personne handicapée, ce qui ne soulève générale- constitue touteois un véritable accommodement, au sens
ment pas de débat. Par contre, lorsqu’un accommodement est juridique.
accordé pour moti religieux, c’est-à-dire pour permettre à un
En réponse à ces événements, le gouvernement du Québec a
individu de pratiquer sa religion dans l’espace public ou sur
mis sur pied, en 2007, la Commission de consultation sur les
son lieu de travail, de nombreux Québécois se montrent cho-
pratiques d’accommodement reliées aux diérences cultu-
qués, car ils y voient une menace pour la culture québécoise
relles, coprésidée par le sociologue et historien Gérard
ou pour certaines valeurs, en particulier l’égalité entre les
Bouchard et par le philosophe Charles Taylor. Cette commis-
hommes et les emmes.
sion a parcouru le Québec pour entendre et recenser les dié-
De 2006 à 2008, le Québec a connu d’intenses débats publics rents points de vue des citoyens.
au sujet des accommodements accordés à des minorités reli-
En 2008, la commission a rendu un rapport qui proposait au
gieuses. Dans le cadre de cette controverse, l’expression
gouvernement de poursuivre la pratique des accommode-
« accommodement raisonnable » a été réquemment utilisée
ments, mais d’orir certaines balises pour les encadrer,
pour désigner non seulement les véritables accommodements,
notamment en adoptant un livre blanc sur la laïcité. Les réac-
mais plus largement « l’ensemble des arrangements auxquels
tions à ce rapport ont été partagées. Pour de nombreux intel-
lectuels, les commissaires ont eu raison de réarmer l’impor-
tance du pluralisme et des accommodements raisonnables.
C’est le cas notamment du philosophe Daniel Weinstock, selon
lequel le rapport propose « une vision ort attrayante d’une laï-
cité "ouverte" » (Weinstock, 2008) qui permet l’expression de
la diversité religieuse dans l’espace public. D’autres intellec-
tuels ont au contraire reproché au rapport de ne pas avoir su-
samment pris au sérieux les inquiétudes de la majorité des
citoyens à propos des revendications de certains membres
des minorités religieuses. Le sociologue Jacques Beauchemin
a notamment déploré le ait que, dans le rapport, l’identité de
la majorité soit réduite à « une identité parmi tant d’autres »
(Leduc, 2008).
Gérard Bouchard et Charles Taylor ont présidé la Commission
Question
de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées
aux diérences culturelles. Illustrez, à l’aide d’exemples, ce que signie la laïcité ouverte.

qui distingue nettement la vie privée, dans laquelle chacun est libre de vivre
comme il l’entend, de la vie publique, dans laquelle le gouvernement se doit d’agir
de açon aveugle aux diérences. Dans ce contexte, la diversité culturelle n’était
pas encouragée par les pouvoirs publics et fnissait par s’estomper.

268 parte iii Les inégalités et les diérences sociales


Aux États-Unis, l’assimilationnisme a pris une orme diérente : le modèle du
melting-pot. Selon ce modèle, toutes les cultures issues des pays d’origine des
immigrants fnissent par se mélanger et se usionner, pour ormer une nouvelle
culture originale : la culture américaine. L’objecti n’était donc pas d’intégrer les
immigrants à une culture préexistante, mais d’en créer une nouvelle.
Ces modèles ont touteois été ortement critiqués depuis les années 1960, car
des groupes minoritaires estimaient qu’il était injuste de leur demander de se
départir d’une culture à laquelle ils étaient attachés. À partir de ce moment, les
pays d’immigration ont commencé à délaisser les modèles assimilationnistes et à
opter, à diérents degrés, pour des modèles pluralistes.

Les modèles pluralistes


Le pluralisme est une posture beaucoup plus avorable à la diversité culturelle pluralsme
que l’assimilationnisme. Pour un gouvernement, cela signife qu’il doit mettre en Conception de la vie en société
place des mécanismes qui permettent aux groupes ethniques de préserver leur qui valorise la diversité culturelle
culture et aux individus d’exprimer leurs particularismes culturels dans l’espace et encourage son expression
public, notamment en accordant des accommodements. publique.

Le pluralisme est aujourd’hui valorisé, car il est considéré comme plus respec-
tueux de la liberté des individus. Touteois, certains dirigeants européens, comme
Angela Merkel (Allemagne) et David Cameron (Grande-Bretagne), se sont montrés
inquiets des risques qu’un pluralisme excessi pouvait poser pour la cohésion
sociale. Plusieurs gouvernements cherchent donc à ajuster leur modèle, pour
trouver le juste équilibre entre la reconnaissance de la diversité et la cohésion
sociale. Les modèles gouvernementaux sont donc continuellement repensés,
révisés, à partir des questionnements engendrés par la réalité culturelle et poli-
tique de chaque société.
Le multiculturalisme Le Canada est connu internationalement pour son modèle, Multulturalsme
appelé multiculturalisme. Ce modèle repose sur certains textes juridiques, notam- Modèle de gestion de la
ment les suivants : la Politique canadienne du multiculturalisme, adoptée en 1971 ; diversité conçu par le gouverne-
l’article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés, adoptée en 1982 ; et la Loi ment du Canada, qui repose sur
sur le multiculturalisme canadien, adoptée en 1988. l’égalité culturelle et politique de
tous les groupes ethniques.
Le modèle canadien est mis de l’avant comme une tentative de aire du pays
un ensemble multiculturel et de résoudre les difcultés posées par les relations
interethniques au pays. Selon ses déenseurs, il représente une source de ferté
pour le Canada, aisant du pays un pionnier dans la déense de la diversité cultu-
relle et de la lutte contre les discriminations. Le multiculturalisme témoignerait
aussi de la générosité et de l’ouverture d’esprit des Canadiens envers toutes les
cultures qu’ils accueillent.
Il existe touteois des détracteurs du multiculturalisme canadien, particulière-
ment au Québec, qui reprochent au multiculturalisme d’avoir été élaboré avant
tout en réaction au nationalisme québécois. En ait, l’adoption du multicultura-
lisme remplacerait la vision biculturelle du Canada, incarnée par les deux
peuples ondateurs d’origines rançaise et britannique, par une vision multicul- interulturalsme
turelle du Canada, conçue comme une somme de communautés culturelles Modèle de gestion de la
(Rocher, 1973). Au Québec, on a donc reproché au projet multiculturaliste canadien diversité culturelle adopté par
de ramener les Québécois au rang de simple groupe ethnique parmi d’autres. le gouvernement du Québec
en réaction au multiculturalisme
L’interculturalisme En réaction au multiculturalisme canadien, le gouvernement canadien et qui permet, selon
du Québec a choisi d’adopter son propre modèle de gestion de la diversité cultu- ses défenseurs, d’atteindre
relle, l’interculturalisme. Touteois, contrairement au multiculturalisme canadien, un meilleur équilibre entre
dont les paramètres sont consignés dans des documents gouvernementaux, l’in- le respect de la diversité
terculturalisme québécois n’a jamais été ofciellement défni. Plusieurs auteurs et la cohésion sociale.

chatre 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 269


Réseau de concepTs Les relatons ethnques

Immigration économique

sélection selon
3 catégories Réfugiés

Regroupement familial

Immigration

Linguistique

dimension de
l’intégration Culturelle

Économique
Enjeux relatifs
aux relations
ethniques

Modèle républicain
Modèles
assimilationnistes
Modèle du melting pot
Gestion selon les
de la diversité
Multiculturalisme
(Canada)
Modèles
pluralistes
Interculturalisme
(Québec)

se réèrent à l’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration


(Ministère des communautés culturelles et de l’immigration, 1991), adopté par le
gouvernement du Québec au début des années 1990, pour identifer les compo-
santes de l’interculturalisme québécois. Cet énoncé propose l’idée d’un « contrat
moral » entre l’immigrant et sa société d’accueil, contrat incitant chacune des par-
ties à aire sa part pour se rapprocher de l’autre. Plus récemment, le gouverne-
ment du Québec a adopté un document intitulé La diversité : une valeur ajoutée
(Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles, 2008), qui porte sur
des sujets divers tels que l’intégration des immigrants, la lutte contre le racisme
et les accommodements raisonnables. Bien que ce document afrme toujours la
volonté du gouvernement de avoriser le rapprochement interculturel, l’idée de
contrat moral n’y apparaît plus.

270 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Étant donné cette absence de dénition claire de l’interculturalisme, les opi-
nions divergent à propos de la nature et de l’originalité de ce modèle. Pour les
uns, l’interculturalisme est un modèle original, distinct du multiculturalisme
alors que pour d’autres ces deux modèles sont pratiquement identiques.
Selon le politologue Alain-G. Gagnon, l’interculturalisme est distinct du multi-
culturalisme, et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, le modèle québécois met de
l’avant l’idée d’une « entreprise réciproque » dans laquelle tant l’immigrant que la
société d’accueil doivent s’adapter l’un à l’autre (Gagnon, 2000), contrairement au
multiculturalisme, qui postule que le devoir d’adaptation revient uniquement à la
société d’accueil. De plus, l’interculturalisme « ait de la langue rançaise un pôle
de convergence de l’identité collective » (Gagnon, 2000), contrairement au multi-
culturalisme, qui ore à l’immigrant le choix entre l’anglais et le rançais.
Finalement, en cas de confit interculturel, l’interculturalisme miserait avant tout
sur la délibération et le compromis, alors que le multiculturalisme privilégierait
la voie juridique (Gagnon, 2000).
Touteois, d’autres auteurs contestent cette distinction entre interculturalisme et
multiculturalisme. Pour le politologue Danic Parenteau, ces deux modèles ont en
commun de survaloriser la diversité au détriment de la cohésion sociale et de se
préoccuper davantage de la libre expression des identités individuelles que de la
préservation de la culture commune. Le multiculturalisme et l’interculturalisme
reposeraient tous deux sur l’idée selon laquelle « la "culture" d’une société n’est rien
d’autre que l’ensemble des "cultures" particulières des membres qui la composent »
(Parenteau, 2008). Trop accommodants, ces deux modèles seraient donc tous deux
à rejeter, selon Parenteau, parce qu’ils menaceraient la culture québécoise.

FaiTes Le poinT

11. Quelles sont les trois principales catégories d’immigrants admis au


Québec ? Énumérez-les et dénissez-les.
12. Quels sont les obstacles qui peuvent entraver l’intégration écono-
mique des immigrants ?
13. Quelles sont, selon Alain-G. Gagnon, les principales diérences entre
le multiculturalisme canadien et l’interculturalisme québécois ?

chapitre 8 La différenciation sociale et les relations ethniques 271


Résumé
1. La diérenciation sociale est un processus qui 4. Les relations ethniques peuvent être harmo-
établit, pour une personne ou un groupe donné, nieuses ou confictuelles. L’histoire nous a appris
sa position dans l’échelle sociale, selon une hié- que les ormes de racisme les plus extrêmes
rarchie de valeurs propre à cette société ou à ce peuvent mener au génocide ou à l’ethnocide.
groupe social. Ce processus comporte deux com-
posantes : l’auto-identication et l’assignation. 5. Dans les sociétés occidentales, diérents
modèles gouvernementaux ont été adoptés pour
2. La diérenciation sociale peut s’eectuer à partir aire ace à la diversité ethnique. Les modèles
de diérents critères biologiques, culturels ou assimilationnistes avorisent l’abandon, de la
normatis. La classe sociale, le sexe ou le genre, part des immigrants, des traits culturels issus
l’orientation sexuelle, l’âge ainsi que l’apparte- de leur pays d’origine, au prot de ceux de leur
nance à un groupe ethnique ou racisé sont des société d’accueil. Les modèles pluralistes per-
critères de diérenciation sociale très répandus. mettent aux groupes ethniques de préserver leur
culture et aux individus d’exprimer leurs particu-
3. On utilise le terme « groupe ethnique » pour dési- larismes culturels dans l’espace public, notam-
gner un groupe d’individus qui partagent une ment en leur accordant des accommodements.
croyance en des ancêtres communs et le terme Le multiculturalisme canadien et l’intercultura-
« groupe racisé » pour désigner un ensemble d’in- lisme québécois appartiennent tous deux à cette
dividus qui, en raison de caractéristiques phy- seconde catégorie.
siques telles que la couleur de leur peau, sont
perçus comme appartenant à une même « race ».
Le concept de race est cependant biologiquement
non ondé. Il est plutôt le résultat de conceptions
socialement construites.

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 Exercice 3
Dans votre cégep, identiez les critères utilisés pour Un condisciple vous apprend qu’il prévoit habiter chez
catégoriser les étudiants, les diérencier les uns des ses parents jusqu’à ce qu’il se marie parce que c’est
autres. Répartissez ensuite ces critères en onction la tradition dans son pays d’origine et dans sa amille.
de la composante du processus de diérenciation De quelle açon réagiriez-vous à cette nouvelle si
sociale dont ils relèvent : l’auto-identication (« Nous, vous adoptiez une attitude ethnocentriste ? De quelle
nous sommes comme cela ») ou l’assignation (« Vous, açon réagiriez-vous si vous adoptiez une attitude
vous êtes comme cela »). relativiste ?

Exercice 2
Choisissez cinq groupes ethniques présents au
Québec. Dressez la liste des marqueurs ethniques qui
sont utilisés pour les caractériser. S’agit-il de caracté-
ristiques physiques ou de pratiques culturelles ?

272 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Pour aller plus loin
Volume et ouvrge de référence Ministère de l’immigration et des communautés culturelles.
www.micc.gouv.qc.ca
BOUCHARD, Gérard, et Charles TAYLOR (2008). Fonder
Le site du MICC est un site ofciel du gouvernement du
l’avenir : le temps de la conciliation, Québec, Commission Québec et regroupe les sites Immigration Québec et Québec
de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées Interculturel. Il propose des renseignements et des conseils
aux diérences culturelles, 307 p. sur le processus d’immigration et la vie au Québec.
Rapport déposé par la Commission au terme de ses travaux.
Il inclut l’analyse des commissaires et les recommandations audioviuel
adressées au gouvernement. Diverses études produites dans
le cadre des travaux de la Commission sont également DESJARDINS, Richard, et Robert MONDERIE. Le
disponibles. peuple invisible, Québec, Ofce national du flm, 2007,
couleur, DVD (94 min).
POUTIGNAT, Philippe, et Jocelyne STREIFF-FENART (2008).
Théories de l’ethnicité, Paris, Presses Universitaires de France, Documentaire présentant les conditions misérables dans
270 p. lesquelles vivent les Algonquins du Québec et les discrimina-
tions dont ils sont victimes.
Un des rares ouvrages de réérence sur les théories de
l’ethnicité disponible en langue rançaise. La première partie FALARDEAU, Philippe. Monsieur Lazhar, Montréal,
présente les diérentes théories de l’ethnicité qui ont été Micro_scope, 2011, couleur, DVD (94 min).
élaborées en sciences sociales. La deuxième partie est la Œuvre de fction présentant le destin de Bachir Lazhar, réugié
traduction d’un texte important de Frederick Barth, intitulé algérien qui cherche à obtenir l’asile au Canada et qui devient
Les groupes ethniques et leurs frontières. enseignant dans une école primaire.
WINTER, Elke (2004). Max Weber et les relations ethniques : PARENTEAU, François. Qui est nous ? Montréal, Films en vue,
Du refus du biologisme à l’État multinational, Québec, Presses 2002, couleur, DVD (53 min).
de l’Université Laval, 214 p.
Documentaire sur l’identité québécoise présentant les points
Présentation détaillée de l’analyse wébérienne des relations de vue de Québécois d’origines diverses.
ethniques, eectuée à partir d’un vaste corpus de textes
de Weber. La deuxième partie reproduit un texte ondateur
de la sociologie, soit le débat sur « race et société » qui a eu
lieu au premier Congrès de la Société allemande de sociologie, Rendez-vous
en 1910, et lors duquel la contribution de Weber a été ort en ligne
remarquée.
http://mabibliotheque.
heneliere.a
site web

Commission des droits de la personne et des droits


de la jeunesse. www.cdpdj.qc.ca
Cette commission est un organisme indépendant qui œuvre à
la promotion et au respect des droits énoncés dans la Charte
des droits et libertés de la personne du Québec. Elle veille
notamment à l’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en
emploi dans des organismes publics.

chapitre 8 La diérenciation sociale et les relations ethniques 273


9
Chapitre

La différenciation sociaLe fondée sur Le sexe


et Les reLations intergénérationneLLes

objectifs d’apprentissage
Après l’étude de ce chapitre, vous devriez être en mesure :

de distinguer le sexe biologique du sexe social ; de décrire les principales caractéristiques


des diérentes générations, ainsi que celles
de décrire le processus de ormation du sexe
des périodes de la vie que sont la jeunesse
social ;
et la vieillesse ;
d’identifer l’origine des diérences et des
d’analyser les enjeux liés aux rapports entre les
inégalités entre les hommes et les emmes
hommes et les emmes ainsi qu’aux rapports
à partir des théories biologiques, éministes
intergénérationnels, et de mieux comprendre
classiques et émergentes ;
les débats qu’ils soulèvent dans nos sociétés.
pLan de chapitre
9.1 Le sexe biologique et le sexe social
9.1.1 Le sexe biologique
9.1.2 Le sexe social
9.1.3 La ormation de l’identité sexuelle
9.1.4 Les modèles masculins et éminins
et leur transormation
9.2 Les théories sur les rapports hommes/femmes
9.2.1 Les théories biologiques
9.2.2 Les théories éministes classiques
9.2.3 Les théories émergentes
9.3 Quelques enjeux relatifs aux rapports
hommes/femmes
9.3.1 Le partage des tâches amiliales
9.3.2 La violence conjugale
9.3.3 L’hypersexualisation
9.4 Les différences générationnelles
9.4.1 Un portrait des générations
9.4.2 La jeunesse
9.4.3 La vieillesse
9.5 Les rapports intergénérationnels
9.5.1 Les confits intergénérationnels

concepts-cLés 9.5.2 La solidarité intergénérationnelle

• Féminisme  277 • Patriarcat285


• Génération 294 • Sexe biologique277
• Hétéronormativité  288 • Sexe social
(ou genre)  278
• Hypersexualisation
 292 • Théorie queer 289
Mise en contexte

Au cours d’une étude menée dans les années 1980 et portant sur la sociali-
sation des enants, on a présenté à de jeunes Suédois de sept et huit ans
deux versions d’une même histoire mettant en vedette des enants du même
âge. Dans la première version, Lisa, une petite flle, agit selon les modèles
traditionnels de comportements éminins, alors que Per, un petit garçon, agit
selon les modèles habituellement associés à la masculinité. Dans la seconde
version de l’histoire présentée aux enants, les rôles éminin et masculin ont
été inversés : Lisa adopte le rôle dit masculin et Per, le rôle dit éminin.
Dans la première version de l’histoire, les deux enants décident d’ex-
plorer les recoins inconnus de la maison qu’ils habitent. Lorsque son rère
lui propose de s’aventurer au sous-sol, Lisa s’exclame : « Mais je ne veux pas
aller au sous-sol, il y a là plein de antômes ! » Dans la version aux rôles
inversés, c’est Per qui exprime sa peur des antômes. Les enants choi-
sissent ensuite d’aller explorer le grenier. La porte est très lourde. Lisa dit
alors, dans la version originale : « Laisse-moi l’ouvrir. » Per lui répond : « Je
ne crois pas que tu sois assez orte. » Et vice versa dans la version
modifée.
Une ois l’histoire terminée, on a posé des questions aux enants sur le
contenu du récit. Les chercheurs suédois ont découvert que les enants
soumis à la version traditionnelle de l’histoire ont répondu correctement à
presque toutes les questions se rapportant à cette histoire. Par contre, les
enants auxquels on a raconté la version aux rôles inversés n’ont pu
répondre adéquatement qu’à une aible proportion des questions portant
sur l’histoire. L’expérience a permis aux chercheurs de conclure que, dès
l’âge de sept ou huit ans, la conception des rôles masculins et éminins assi-
milés par les enants suédois est ancrée si solidement qu’elle interère avec
le souvenir qu’ils gardent des événements (Schaeer, 1986).

D’où viennent les rôles masculins et éminins traditionnels tels que


ceux présentés dans cette histoire ?
Comment se ait-il que les enants aient déjà intériorisé ces rôles
sexués, au point où cela aecte leur mémoire des événements ?
De nos jours, ces rôles sont-ils aussi enracinés qu’à l’époque où l’étude
a été menée (années 1980) ?
Quelles conséquences ces rôles peuvent-ils avoir sur les rapports
entre les hommes et les emmes ?

276 par iii Les inégalités et les différences sociales


es statuts diérents accordés aux hommes et aux emmes ont long- féminime

L temps été considérés comme des conséquences naturelles des di-


érences biologiques entre les sexes. Touteois, depuis l’émergence
des premières revendications éministes, on a constaté que plu-
sieurs de ces diérences ne vont pas de soi, puisqu’elles n’ont pas
1. ensmbl d théoris visant
à xpliqur t à dénoncr ls
inégalités ntr homms t
mms, n mttant l’accnt
toujours existé et qu’elles peuvent être transormées. Les tenants du féminisme sur ls rapports d pouvoir.
2. Mouvmnt social visant
ont ainsi attiré l’attention sur le caractère socialement construit des dié-
à transormr cs rapports d
rences et des inégalités entre hommes et emmes, ce qui a permis d’en aire pouvoir afn d’attindr l’égalité
un objet d’étude sociologique. ntr homms t mms.
Dans ce chapitre, nous examinerons dans un premier temps le processus
de diérenciation sociale ondé sur le sexe. Nous distinguerons le sexe biolo-
gique du sexe social, et nous verrons les principales théories qui ont cherché
à identier les origines des diérences et des inégalités entre hommes et
emmes. Nous conclurons par l’étude de trois enjeux d’actualité : le partage
des tâches amiliales, la violence conjugale et l’hypersexualisation.
Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à un autre processus
de diérenciation sociale, soit celui ondé sur l’âge ou la génération. Nous
présenterons un portrait des générations, de la jeunesse et de la vieillesse,
avant de nous intéresser aux rapports intergénérationnels, qu’ils soient
confictuels ou solidaires.

9.1 Le sexe biologique et le sexe social


Il est parois dicile de distinguer clairement, chez les humains, ce qui relève de
leur nature de ce qui relève de leur culture. Certains comportements ancrés depuis
des décennies, voire même des siècles, peuvent apparaître tout à ait naturels,
alors qu’il s’agit plutôt d’éléments culturels, créés et renorcés par des pratiques
sociales. Les termes « sexe biologique » et « sexe social » (ou « genre ») traduisent
conceptuellement cette distinction entre nature et culture, lorsqu’elle est appli-
quée à la question des diérences entre les hommes et les emmes.

9.1.1 Le sexe biologique


Le sexe biologique divise les êtres humains en deux grandes catégories biolo- sexe biologique
giques, les mâles et les emelles, complémentaires et nécessaires à la reproduction Distinction ntr l éminin t
de l’espèce. Les diérences biologiques entre les hommes et les emmes s’éta- l masculin, établi sur la bas
blissent, d’une part, sur la base de caractéristiques génétiques. En eet, le code d caractéristiqus physiqus,
génétique d’une personne détermine le sexe de celle-ci, masculin ou éminin. génétiqus ou hormonals.
Chaque être humain possède ainsi 23 paires de chromosomes portant l’ensemble
de son bagage génétique (couleur des yeux, des cheveux, présence d’une maladie
génétique, etc.). L’une de ces paires de chromosomes détermine le sexe : la emme
possède deux chromosomes X, alors que l’homme possède un chromosome X et
un chromosome Y. Cette distinction s’opère dès la ormation de l’embryon et ne
peut pas être modiée par une intervention médicale.
Les hommes et les emmes se distinguent également par leur appareil repro-
ducteur et par les hormones qu’ils sécrètent. Les hormones sexuelles éminines
sont les œstrogènes et la progestérone, alors que la testostérone est la principale
hormone sexuelle masculine. Ces hormones sont notamment responsables des
transormations qui aectent les corps éminins et masculins à diérentes étapes
de la vie, comme la puberté, la ménopause et l’andropause.

chapitre 9 La diérnciation social ondé sur l sx t ls rlations intrgénérationnlls 277
Plusieurs autres diérences biologiques entre hommes et emmes sont
connues. Par exemple, les hommes sont, en général, de plus grande taille et ont
une masse musculaire plus élevée que les emmes. Il importe touteois de rap-
peler qu’il s’agit de moyennes, et qu’il existe, bien entendu, des hommes qui sont
moins grands ou moins orts que la moyenne des emmes, et inversement.

9.1.2 Le sexe social


La sociologie reconnaît l’existence de diérences biologiques entre les hommes
et les emmes, mais elle s’intéresse surtout à la manière dont ces diérences contri-
buent à l’élaboration de notre identité en tant qu’être sexué et dont elles infuent
sur les rapports entre hommes et emmes. En somme, la sociologie s’intéresse
sexe ocal (ou gene) moins au sexe biologique qu’au sexe social.
Distinction ntr l féminin t
l masculin, établi sur la bas Le sexe social inclut un grand nombre de caractéristiques qu’une société juge
ds manièrs d’êtr, d’agir ou éminines ou masculines, mais qui ne découlent d’aucune nécessité biologique. À
d pnsr. la n des années 1960, des éministes anglo-saxonnes ont développé le concept
de « genre » (gender) pour désigner le sexe social. Ce terme
leur permet de distinguer plus clairement le genre du sexe
biologique, et d’insister sur le ait que plusieurs diérences
entre les hommes et les emmes sont socialement construites
(Fournier, 2004). De plus en plus, les éministes de langue
rançaise, notamment au Québec, adoptent à leur tour le
concept de genre.
Le genre se remarque acilement lorsque l’on étudie la divi-
sion sociale du travail entre les sexes. Dans tout groupe, il est
normal que les individus jouent un rôle et se répartissent les
tâches an de contribuer par leur travail à la survie du
groupe. Dans les sociétés traditionnelles qui vivaient de la
chasse et de la cueillette ou encore de l’agriculture, ces
tâches étaient divisées la plupart du temps selon l’âge et le
sexe. Dans les sociétés aux structures sociales plus com-
plexes, de nombreux critères déterminent la açon de diviser
le travail à accomplir. Cependant, la distinction entre les
Ls dux sxs sont capabls d cuisinr. Or, ctt tâch rôles attribués aux hommes et ceux attribués aux emmes
st partagé d façon inégal ntr homms t fmms : demeure importante. Les deux sexes sont capables de cui-
ls prmirs sont plus nombrux à occupr ds posts
siner, de pelleter la neige ou de sortir les poubelles. Or, ce
d prstig dans la rstauration, alors qu ls sconds
sont plus nombruss à préparr ls rpas pour lur
sont plus souvent les habitudes culturelles d’une société qui
famill dans la vi d tous ls jours. déterminent la répartition des tâches que les aptitudes
réelles des individus concernés.

9.1.3 La formation de l’identité sexuelle


rôle exuel Dans le chapitre 4, nous avons identiié les principaux agents de socialisation
ensmbl d comportmnts, qui inluencent le développement des garçons et des illes. La amille est l’un
d’attituds t d’activités de ces agents, qui intervient dans la socialisation la plus précoce et contribue
attribués rspctivmnt à l’apprentissage des rôles sexuels. Dans la plupart des amilles, en ce qui
aux fmms t aux homms concerne les jouets et les vêtements, par exemple, le garçon reçoit typique-
dans un cultur donné. ment des camions et des habits bleus, tandis que la petite ille reçoit des pou-
pées et des robes roses. Lorsqu’une emme est enceinte, il n’est pas rare que
les uturs parents et leur entourage attendent que le sexe de l’enant soit
connu par échographie avant d’entamer les achats de vêtements, de literie et
de jouets.

278 pate iii Ls inégalités t ls différncs socials


Les parents constituent habituellement les agents de socialisation les plus
importants dans le processus de développement de la personnalité individuelle
et sociale. Cependant, les autres adultes, les rères et les sœurs, les médias, les
Églises et les groupes religieux ainsi que l’environnement scolaire jouent aussi un
rôle ondamental dans ce processus.
Les rôles sexuels sont intégrés dans la personnalité selon deux mécanismes
principaux : d’une part le traitement diérencié auquel nous sommes exposés
dès les premiers instants de notre vie et, d’autre part, l’identifcation que nous
aisons aux membres de notre sexe, en les observant et en les imitant. C’est par
le biais de ces mécanismes que l’on apprend, chacun selon son sexe, à jouer des
rôles particuliers en onction de modèles présents dans notre environnement. De
plus, les habitus (voir le chapitre 3) générés par les pratiques en vigueur dans une
société donnée contribuent à fxer dans l’inconscient des individus les modèles
de comportements appropriés à leur sexe.
Plusieurs études ont permis de montrer que, dès leur plus jeune âge, les petits
garçons et les petites flles n’étaient pas perçus et traités de manière identique. Ce
traitement diérencié, ou « socialisation diérenciée », selon le sexe, serait à l’ori-
gine de l’intériorisation des rôles sexuels par les enants et de la reproduction de
ces rôles à l’âge adulte. Dans une étude menée à New York dans les années 1970,
204 participants devaient commenter les réactions d’un bébé à divers stimuli. La
moitié des participants avaient reçu des indications selon lesquelles le bébé était
un garçon qui s’appelait David, et l’autre moitié avait reçu des indications selon
lesquelles le bébé était une flle qui s’appelait Dana. Lorsque le bébé réagissait
négativement au stimulus, les participants qui croyaient avoir aaire à un garçon
avaient davantage tendance à afrmer que le bébé était en colère, alors que ceux
qui croyaient avoir aaire à une flle pensaient plutôt qu’elle avait peur (Condry
et Condry, 1976).
Dans une autre étude, des participants ont été invités à interagir avec un bébé.
Encore une ois, leurs réactions ont été diérentes en onction du sexe présumé
de l’enant. Lorsqu’un adulte croyait qu’il était en présence d’un garçon, il com-
mentait la orce physique de l’enant, son dynamisme, etc. Il lui donnait aussi des
camions ou un ballon de ootball. Lorsqu’un adulte pensait être devant une flle, il
lui adressait la parole plus doucement, commentait sa gentillesse et lui orait des
poupées plutôt que des jouets jugés plus masculins (Doyle, 1983).
Par ailleurs, les médias jouent également un rôle de plus en plus signifcati
dans le processus de socialisation et d’acquisition des habitus propres à chacun
des sexes. Les enants passent, en moyenne, davantage de temps devant un écran
que sur les bancs d’école. Chaque semaine, les jeunes passent environ 18 heures
devant la télévision (Centre d’études sur les médias, 2012) et environ 16 heures sur
Internet (Roy, 2009). Les jeux vidéo et la publicité ont tendance à présenter des
images très stéréotypées des hommes et des emmes. Il devient difcile en pareil
contexte d’échapper aux modèles sexués renorcés par les médias de masse.
En somme, l’identité sexuelle s’acquiert au cours du processus de socialisa- identté sexuelle (de genre)
tion, en partie par l’observation des hommes et des emmes présents dans notre percetion de soi construite
amille, dans notre voisinage, à la télévision ou ailleurs dans notre entourage. à artir des concetions de
L’immersion et l’interaction quotidienne avec les divers agents de socialisation la masculinité et de la féminité
contribuent à développer le sens de la masculinité ou de la éminité chez chacun associées aux rôles d’homme
de nous. L’assimilation des habitus propres à chacun des deux sexes est un pro- et de femme dans une culture
donnée.
cessus de longue haleine qui orge la personnalité sociale des individus de açon
durable. Chacun fnit ainsi par intégrer le rôle associé à une position dans la
structure sociale.

chaptre 9 La différenciation sociale fondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 279
9.1.4 Les modèles masculins et féminins
et leur transformation
Comme nous l’avons vu dans le chapitre 3, un modèle culturel est un ensemble de
normes que l’on peut associer à un rôle social dans une culture donnée. Ces
modèles sont habituellement justifés par les valeurs ou l’idéologie qui prévalent
dans la société en question. L’observation des diérences entre les modèles sexuels
d’une société à l’autre, ou d’une époque à l’autre au sein d’une même société,
permet de mieux comprendre les valeurs ou l’idéologie qui dominent dans
cette société.

Les modèles traditionnels


Le modèle masculin traditionnel exige des hommes qu’ils soient actis, orts, agres-
sis, courageux, durs et dominateurs ; les emmes, elles, doivent se montrer déli-
cates, douces, émotives, gentilles et obéissantes. Ces représentations sociales, qui
ont longtemps été considérées comme des évidences, ont eu pour eet d’accorder
aux emmes un statut inérieur à celui des hommes, comme en témoignent les cita-
tions suivantes, recensées par l’écrivaine éministe Benoîte Groult :

Les emelles sont biologiquement plus aibles et plus roides, et il aut consi-
dérer leur existence comme une déectuosité de la Nature. (Aristote, dans
Groult, 1993, p. 48)
La plus utile et honorable science et occupation à une emme, c’est la science
du ménage. (Montaigne, dans Groult, 1993, p. 83)
La dignité d’une emme est de rester inconnue. Sa seule gloire réside dans l’es-
time de son mari et le service de sa amille. Dieu l’a créée pour supporter les
injustices de l’homme et pour le servir. (Jean-Jacques Rousseau, dans Groult,
1993, p. 87)
Quand une emme devient un savant, c’est qu’il y a quelque chose de déréglé
dans ses organes sexuels. (Nietzsche, dans Groult, 1993, p. 98)

Si cette vision des choses a longtemps prévalu en Occident, il n’en allait pas de
même dans toutes les sociétés. Dans son livre Mœurs et sexualité en Océanie, l’an-
thropologue Margaret Mead décrit les comportements typiques des hommes et
des emmes dans trois cultures ou sociétés :

L’idéal Arapesh est celui d’un homme doux et sensible, marié à une emme éga-
lement douce et sensible. Pour les Mundugumor, c’est celui d’un homme violent
et agressi, marié à une emme tout aussi violente et agressive. Les Chambuli,
en revanche, nous ont donné une image renversée de ce qui se passe dans notre
société. La emme y est le partenaire dominant ; elle a la tête roide, et c’est elle
qui mène la barque ; l’homme est, des deux, le moins capable et le plus émoti.
(Mead, 1963, p. 311-312)

Mead a donc repéré deux sociétés (les Arapesh et les Mundugumor) où le com-
portement des hommes et celui des emmes ne présentent pas de diérences
sensibles. Du point de vue occidental, on peut dire que la culture des Arapesh
présente, tant chez les hommes que chez les emmes, des comportements dits
éminins, alors que les Mundugumor se sont dotés d’une culture où les deux
sexes se comportent plutôt comme les hommes traditionnels de chez nous. Dans
le même ordre d’idées, les comportements observés chez les Chambuli se
trouvent pratiquement inversés par rapport à ce qui se passe dans notre culture,
c’est-à-dire que les emmes adoptent des comportements dits masculins et
les hommes, des comportements dits éminins. Mead nous rappelle ainsi que les

280 parte iii Les inégalités et les différences sociales


diérences entre les hommes et les emmes,
telles qu’on les a longtemps conçues en
Occident, n’étaient pas universelles.

La transformation des modèles


Dans nos sociétés actuelles, les modèles de
masculinité et de éminité n’apparaissent
plus aussi clairement qu’il y a quelques
décennies. Si, pour les générations précé-
dentes, il était possible de prévoir très pré-
cisément le rôle utur des garçons et des
lles au sein de la amille, la réalité se pré-
sente diéremment de nos jours. En ait, les
deux sexes ont dû réajuster partiellement
leurs rôles respectis.
Ce sont les emmes qui ont été les plus tou-
chées par la remise en question des rôles
associés à chacun des sexes. Elles peuvent
désormais, théoriquement du moins, occuper
Le ouvoir olitique est encore aujourd’hui largement dominé ar les hommes.
presque tous les rôles présents dans la divi-
pauline Marois est devenue, aux élections rovinciales de 2012, la remière
sion du travail social : ouvrière de la construc- femme remière ministre au Québec.
tion, juge, politicienne, médecin, emme au
oyer, agricultrice, etc. Malgré tout, elles de-
meurent minoritaires dans bon nombre de domaines traditionnellement masculins,
et en particulier dans les postes de pouvoir. Les emmes semblent uir les lieux où
s’exerce le pouvoir, que ce soit le pouvoir politique, le pouvoir économique ou le
pouvoir de décision dans les diverses institutions et organisations qui composent
la société. Qu’on le méprise ou qu’on le valorise, le pouvoir demeure indispensable
et la mise en place de nos sociétés démocratiques nous a permis historiquement
d’apprendre à le maîtriser et à le partager.
Or, de nos jours, en Occident, orce est de constater que, d’une manière géné-
rale, les emmes semblent vouloir éviter d’occuper les onctions où elles se
trouvent en situation de pouvoir sur les événements ou les personnes. On peut
penser que les habitus des emmes les rendent mal à l’aise dans de tels postes. De
ait, les attitudes et comportements associés aux rôles qu’elles apprennent à
jouer sont parois dicilement conciliables avec ceux qui sont associés aux
postes de commande. Par exemple, dans la amille, elles apprennent à maintenir
la paix, à réconcilier les membres et à veiller à l’harmonie du groupe, alors que le
pouvoir exige parois de prendre des décisions qui ne conviennent pas à tous et
qui sont donc susceptibles de causer un confit. En outre, pour atteindre les
sphères où s’exerce le pouvoir, la carrière des individus doit nettement l’emporter
sur les autres dimensions de la vie sociale, comme la amille. Or, beaucoup de
emmes, encore aujourd’hui, arrivent mal à concilier le travail rémunéré et la
amille, et surtout à aire passer l’un devant l’autre. De plus, les carrières qui
mènent à des onctions de direction commandent des eorts et du temps, lequel
manque souvent à une emme qui doit s’occuper d’enants en bas âge. L’encadré 9.1,
à la page suivante, nous rappelle par ailleurs à quel point est malmenée la condi-
tion éminine dans le monde.
Pour leur part, les hommes ont surtout dû revoir leurs rôles au sein de la vie
amiliale. Les rôles de père et d’unique soutien nancier de la amille se sont trans-
ormés par suite de l’arrivée massive des emmes sur le marché du travail. Comme
nous le verrons plus loin, la paternité s’est transormée au cours des dernières
années, de sorte que les pères sont de plus en plus impliqués dans la vie amiliale.

chapitre 9 La différenciation sociale fondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 281
er 9.1 en coMPlÉMent

La condition féminine dans le monde

mons dévloés, l s d 1/75. en arqu subsrnn,


l s d 1/22.
• en arqu subsrnn, 59 % ds orurs du Vih son
ds mms.
• Dns crns ys, l mjoré ds mms son vcms
d mulons génls. C’s l cs d l Guné, d
l’Égy, d l’Éryré, du Ml, d l’Éo  du Burkn
Fso.
• plus d 43 % ds vcms du rfc umn son dsnés
à l’xloon sxull. prm cs drnèrs, 98 % srn
ds mms  ds flls.
Ls condons d v ds mms vrn d çon morn
• Sulmn 14 % ds cs d gouvrnmn dns l mond
d’un régon du mond à l’ur. Un ror d l’ONU ublé n
son ds mms.
2010 révèl qu, s ls condons d v ds mms s’mé-
lorn globlmn sur l lnè, crns suons dmurn • Suls 23 rlmns dns l mond son comosés d’u
lrmns. Voc qulqus s sllns : mons 30 % d mms.
• prm ls 774 mllons d’duls llrés dns l mond, ls Question
dux rs son ds mms.
idnfz ds cuss ossbls d cs condons vécus r
• Dns ls ys dévloés, l rsqu d mor obsérqu
ls mms dns l mond.
(maternal death) s d 1/7 300, lors qu dns ls ys

Sourc : Und Nons (2010). The World’s Women 2010 : Trends and Statistics, Nw York, Und Nons, Drmn o economc
nd Socl ars.

Réseau de concepts Le sexe bologque et le sexe socal

Sexe biologique et sexe social

Sx bologqu Sx socl (ou gnr)

dsngu l émnn ssur


du msculn dsngu l émnn
à rr d du msculn
crcérsqus Formon d inérorson
à rr d mnèrs
l’dné sxull ds rôls sxuls

pysqus D’êr
sous l’nunc ds

agns d
Généqus D’gr
soclson

à l’d d dux mécnsms


hormonls D nsr

trmn dérncé auo-dnfcon ux


slon l sx mmbrs d son sx

282 parte iii Ls néglés  ls dérncs socls


Faites Le point

1. Quelles sont les composantes du sexe biologique ?


2. Pourquoi les éministes anglo-saxonnes ont-elles développé le concept
de « genre » au cours des années 1960 ?
3. Quels agents de socialisation exercent une infuence déterminante sur
la ormation de l’identité sexuelle ? Nommez-en deux.
4. Nommez les principaux mécanismes de socialisation associés à l’acqui-
sition et au développement des rôles sexuels.

9.2 Les théories sur les rapports hommes/femmes


Plusieurs théories ont été proposées pour expliquer les origines des modèles de
masculinité et de éminité que l’on retrouve dans nos sociétés. Alors que certains
théoriciens considèrent que les diérences d’ordre biologique exercent une
infuence déterminante, d’autres, qui s’identient généralement au mouvement
éministe, insistent davantage sur les causes culturelles qui sont à l’origine des
diérences et surtout des inégalités entre les sexes.

9.2.1 Les théories biologiques


Historiquement, on expliquait les diérences entre les hommes et les emmes en
invoquant leur nature, c’est-à-dire la biologie propre à chacun des sexes. Si cette
explication a été ortement remise en question depuis la montée du mouvement
éministe, elle est encore déendue par un certain nombre de théoriciens
contemporains.
L’une de ces explications biologiques met l’accent sur les diérences hormo-
nales. Elle est déendue notamment par la psychologue Eleanor Maccoby, qui a
constaté que les hommes étaient plus agressis que les emmes dans un grand
nombre de sociétés, et que cette diérence se trouvait également chez les
grands primates, qui appartiennent à la même amille de mammières que l’humain.
Des études ont également permis de constater l’existence d’un lien entre le
degré d’agressivité et le taux d’hormones sexuelles, puisque les comportements
agressis varient lorsque ce taux d’hormones est modié expérimentalement
(Dortier, 2004).
D’autres explications biologiques, inspirées de la théorie de l’évolution de
Charles Darwin, soutiennent que les hommes et les emmes se sont développés
diéremment pour répondre à des impératis de survie et de reproduction. Selon
la psychologue canadienne Doreen Kimura, les cerveaux des hommes et des
emmes se seraient développés diéremment, parce qu’ils ont dû développer
des habiletés diérentes pour assurer leur survie. C’est ce qui expliquerait qu’en
moyenne, les hommes soient meilleurs aux épreuves logico-mathématiques, alors
que les emmes perorment mieux dans les épreuves verbales (Dortier, 2004).
Les théories évolutionnistes les plus controversées sont touteois celles qui
cherchent à expliquer les comportements sexuels diérenciés des hommes et
des emmes. Selon ces théories, les mâles et les emelles auraient des intérêts
diérents en matière de reproduction. Le mâle, qui cherche à s’assurer d’une
large descendance, aurait tendance à vouloir avoir le plus grand nombre de

chapitre 9 La différenciation sociale fondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 283
partenaires possible, alors que la emelle aurait davantage intérêt à rechercher
un partenaire stable, qui demeurera auprès d’elle et de sa progéniture. C’est ce
qui expliquerait que la tendance à multiplier les conquêtes soit davantage
répandue chez les hommes que chez les emmes (Dortier, 2004).

9.2.2 Les théories féministes classiques


Si, comme nous l’avons mentionné précédemment, les sociologues ne nient pas
l’existence de diérences biologiques entre les sexes, ils ont touteois tendance à se
méfer des explications biologiques qui emprisonnent les hommes et les emmes
dans des rôles prédéterminés. Ils se sont donc tournés davantage vers les théo-
ries éministes, qui mettent l’accent sur les rapports de pouvoir entre les sexes.
Ces théories ont en commun l’attention qu’elles prêtent aux acteurs sociaux, qui
produisent les diérences entre les hommes et les emmes et légitiment les inéga-
lités dans leurs rapports. Elles proposent à la ois un cadre d’analyse de ces rap-
ports sociaux et un ensemble de propositions visant à les transormer.

Le féminisme libéral
fémnsme lbéral Le féminisme libéral est inspiré de la philosophie du libéralisme, qui déend avant
Count féministe inspié de tout les droits et libertés individuels. Selon cette théorie, les inégalités entre les
l théoie du libélisme, qui hommes et les emmes s’expliquent de deux açons. D’une part, les emmes ont
considèe que les inéglités historiquement eu moins de droits que les hommes, ce qui les a empêchées de
ente hommes et femmes développer pleinement leur potentiel et de montrer ce dont elles étaient capables.
s’expliquent p l’inéglité D’autre part, la socialisation diérenciée des hommes et des emmes explique que
des doits et l socilistion
ces dernières aient longtemps accepté d’occuper une position subordonnée par
difféenciée.
rapport aux hommes, car elles avaient intériorisé les comportements propres à
leur sexe (Toupin, 1998).
Pour remédier à cette situation et atteindre l’égalité, les éministes libérales
ont revendiqué depuis longtemps l’égalité de droits entre les hommes et les
emmes. Elles ont d’abord obtenu le droit de vote, puis la pleine capacité juridique
(les emmes mariées avaient besoin de l’autorisation de leur mari pour signer
tout document ofciel jusqu’en 1964) (voir le tableau 9.1), ainsi que le droit
d’exercer le métier de leur choix, incluant ceux qui étaient traditionnellement
réservés aux hommes. Les éministes libérales souhaitent que les emmes
prennent leur place dans les instances de pouvoir, sans touteois revendiquer
une représentation paritaire des deux sexes dans ces instances, car cela contre-
viendrait au libéralisme. Autrement dit, les emmes doivent avoir les mêmes
droits individuels que les hommes, et non revendiquer collectivement leur place
dans certains milieux.

tableau 9.1 La chronologe de la reconnassance des drots des emmes


Année Droit
1918 Doit de vote des femmes (Cnd)
1929 reconnissnce du sttut de « pesonnes » ux femmes (Cnd)
1940 Doit de vote des femmes (Québec)
1964 adoption de l Loi sur la capacité juridique de la femme mariée (Québec)
1977 remplcement de l notion de « puissnce ptenelle » p celle
d’« utoité pentle » (Québec)

284 parte iii Les inéglités et les difféences sociles


Les éministes libérales plaident également pour une éducation non sexiste
(Toupin, 1998). Elles croient que si les jeunes garçons et les jeunes flles étaient
socialisés de açon plus juste, les inégalités entre hommes et emmes disparaî-
traient progressivement, sans qu’il ne soit nécessaire de mettre en place des
mesures plus contraignantes.
En somme, le éminisme libéral est un éminisme modéré, qui revendique plus
de droits individuels pour les emmes, sans touteois exiger de transormation
radicale des structures sociales.

Le féminisme marxiste
Comme son nom l’indique, le féminisme marxiste s’inspire de la théorie marxiste. féminisme marxiste
Selon ce courant théorique, le système économique est le principal responsable Courant féministe inspiré du
de toutes les ormes d’inégalités, que ce soient celles entre les classes sociales ou marxisme, qui considère que
celles entre les hommes les emmes. Ainsi, comme le veut l’expression consacrée, les inégalités entre hommes
l’« ennemi principal » des éministes marxistes, c’est le capitalisme. C’est avec lui et femmes s’expliquent par
qu’est apparue la division du travail, et notamment la division sexuée du travail, le système capitaliste.
qui réserve aux hommes le travail « producti » (produire des biens de consomma-
tion en vendant sa orce de travail) et aux emmes le travail « reproducti » (s’oc-
cuper des enants, gratuitement, à la maison) (Toupin, 1998).
Selon les éministes marxistes les plus orthodoxes, c’est-à-dire les plus fdèles
à la pensée de Marx, seul le renversement du capitalisme permettra d’atteindre la
véritable égalité entre les hommes et les emmes. Toute autre lutte éministe qui
ne vise pas l’abolition du capitalisme serait donc inutile, voire même contrepro-
ductive. Les emmes doivent donc s’allier aux hommes pour aire la révolution
prolétarienne, au lieu de mener leurs propres combats.
Pour les marxistes moins orthodoxes, souvent qualifées de éministes socia-
listes, les deux luttes sont complémentaires : on peut revendiquer à la ois l’égalité
entre les classes sociales et l’égalité entre les hommes et les emmes. Le mouve-
ment éministe ne doit donc pas se dissoudre à l’intérieur du mouvement socia-
liste, mais plutôt collaborer avec lui (Toupin, 1998).

Le féminisme radical
Les féministes radicales considèrent que le capitalisme n’est pas le seul respon- féminisme radial
sable des inégalités entre les hommes et les emmes, car ces inégalités ne se Courant féministe qui considère
limitent pas à la seule sphère économique. Pour elles, l’« ennemi principal » n’est que les inégalités entre hommes
donc pas le capitalisme, mais le patriarcat. À l’origine, ce terme désignait un sys- et femmes s’expliquent par le
tème social ondé sur la suprématie des hommes en tant que pères. Les éministes système patriarcal.
radicales ont touteois accordé à ce terme une signifcation plus large, qui renvoie patriarat
à la domination masculine, non seulement au sein de la amille, mais dans toutes Système généralisé de domina-
les sphères de la vie sociale. tion masculine, qui se manifeste
dans toutes les sphères de la vie
Les éministes radicales se présentent comme telles, car elles considèrent qu’il
publique et privée.
aut remonter à la source des inégalités entre les sexes et débusquer toutes les com-
posantes de ce vaste système de domination masculine qui s’est incrusté à la ois
dans la amille, en politique, dans l’économie et dans les lois. L’action qu’elles pro-
posent est donc globale, car les mesures ponctuelles et ciblées ne permettraient
pas de transormer en proondeur le système patriarcal. Les simples réormes, pré-
conisées par les éministes libérales, leur apparaissent donc inutiles, car les inéga-
lités ne seraient éliminées qu’en surace, sans que les sources proondes de ces
inégalités ne soient véritablement remises en question (Toupin, 1998).
En somme, toutes ces théories soulignent que les diérences entre hommes
et emmes ne sont pas inscrites dans la nature, mais découlent plutôt de causes

chaitre 9 La différenciation sociale fondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 285
sociales. Leurs analyses divergent touteois lorsqu’il s’agit d’identifer ces
causes et de ormuler des revendications précises en aveur de l’égalité des
sexes. C’est ce qui explique l’existence de nombreux débats à l’intérieur même
du mouvement éministe, notamment sur la question controversée de la prosti-
tution (voir l’encadré 9.2).

9.2.3 Les théories émergentes


Les trois théories présentées précédemment sont les trois théories classiques
développées par les éministes pour expliquer l’existence des diérences et des
inégalités entre les hommes et les emmes. Si elles sont encore aujourd’hui déen-
dues par plusieurs chercheuses et militantes éministes, elles sont de plus en plus

encadré 9.2 APPlicAtion thÉorique

Des regards féministes sur la prostitution

fémnsme marxste
Ls éminists marxists insistnt sur l caractèr commrcial
d la prostitution. ells ont valoir qu l’industri du sx st
un composant important du systèm capitalist, qui rpos
sur l’xploitation ds mms t d lur corps. Conormémnt
au marxism, qui dénonc l ait qu ls prolétairs doivnt
vndr lur orc d travail aux bourgois, cs éminists
dénoncnt l ait qu ls mms doivnt vndr lur corps.
ells insistnt sur ls inégalités économiqus inhérnts à la
prostitution : inégalité ntr l clint t la prostitué, puisqu
cll-ci doit s soumttr aux volontés d clui qui la pai, d
mêm qu’ntr l proxénèt t la prostitué, puisqu ctt dr-
nièr n’st pas l’ntièr propriétair ds ruits d son travail.
La qustion d la prostitution intrpll dpuis longtmps l
fémnsme radcal
mouvmnt éminist, puisqu l’immns majorité ds prosti-
tués sont ds mms t qu l’immns majorité ds clints Ls éminists radicals considèrnt qu tout prostitution, qu’ll
sont ds homms. Or, ls éminists sont divisés sur ctt soit consnti ou non, st un orm d’xploitation ds mms.
qustion. Bin qu’lls s réclamnt touts d’un mêm prin- Slon lls, on n put abolir l patriarcat sans abolir la prostitu-
cip – l’égalité ntr ls homms t ls mms –, ls éminists tion, qui rpos sur l’appropriation du corps ds mms ls plus
ds diérnts courants proposnt ds analyss complètmnt vulnérabls par ds homms n quêt d pouvoir. Slon lls, ls
diérnts d la prostitution, t préconisnt ds solutions homms qui ont rcours aux srvics ds prostitués sont cux
opposés. qui rchrchnt ds mms soumiss, prêts à répondr à lurs
moindrs désirs, sans s soucir d la réciproqu. Cs homms
fémnsme lbéral rusnt d vivr lur sxualité dans l cadr rspctuux t égali-
Ls éminists libérals considèrnt qu la prostitution put tair pour lqul ls éminists s sont battus. Ls éminists
êtr un métir librmnt choisi, t qu’il import d rspctr radicals s’opposnt à tout décriminalisation d la prostitution,
ls mms qui décidnt d dvnir « travailluss du sx », qui aurait pour t d banalisr ctt pratiqu t d rnorcr la
au liu d ls dénigrr t d ls discriminr. Dénonçant l prcption slon laqull ls homms puvnt obtnir c qu’ils
moralism t l consrvatism d cux qui condamnnt tout vulnt d’un mm, du momnt qu’ils paint.
orm d prostitution, lls invitnt la population à écoutr ls Question
rvndications ds prostitués, qui réclamnt l droit d dis-
en vous réérant à la défnition du éminism ourni dans c
posr librmnt d lur corps, ainsi qu ds conditions d
chapitr, xpliquz pourquoi chacun d cs positions sur la
travail plus sécuritairs. ells invitnt ls éminists à êtr soli-
prostitution put êtr considéré comm éminist.
dairs d touts ls mms, incluant ls prostitués.

286 parte iii Ls inégalités t ls diérncs socials


concurrencées par d’autres théories, qui visent à actualiser le discours éministe
et à combler certaines lacunes des théories classiques.

La troisième vague féministe


Le éminisme peut donc être classifé en plusieurs courants, qui se distinguent par
leurs analyses et leurs revendications, mais également en plusieurs vagues, qui
renvoient à diérentes périodes de son histoire (voir le tableau 9.2).
La première vague éministe correspond aux premières revendications émi-
nistes ormulées à la fn du xixe siècle et au début du xxe siècle. Ses militantes,
connues sous le nom de « suragettes », revendiquaient avant tout le droit de vote
pour les emmes. Les éministes de cette époque adhéraient massivement au
éminisme libéral.
La deuxième vague éministe correspond à la période la plus militante du émi-
nisme, qui s’est déroulée dans les années 1960 et 1970. Cette période est marquée
par de nombreuses revendications, dont l’avortement libre et gratuit. Plusieurs
slogans éministes ont marqué cette période, tels que « Mon corps m’appartient »,
« Nous aurons les enants que nous voulons » et « Le privé est politique ». Ce der-
nier slogan signifait que les questions longtemps considérées comme privées,
comme celles liées à la sexualité, étaient indissociables des inégalités entre les
sexes vécues dans la sphère publique, et devaient donc aire l’objet de combats
politiques. Cette époque marque l’émergence du éminisme radical et de ses
débats houleux avec le éminisme marxiste.
Selon certains auteurs, nous assistons, depuis les années 1980, à l’émergence
d’une troisième vague éministe, qui remet en question certaines idées déendues
par les éministes de la deuxième vague. Ce éminisme se veut plus inclusi, plus
ouvert aux réalités particulières vécues par les emmes minoritaires, notamment
les immigrantes, les lesbiennes, les transgenres et les prostituées. Les éministes
de la troisième vague reprochent à celles qui les ont précédées d’avoir présenté
les problèmes vécus par les emmes blanches occidentales et hétérosexuelles
comme étant des problèmes éminins universels, au lieu de tenir compte de la
diversité des réalités vécues par les emmes de tous horizons. Les éministes de
la troisième vague cherchent également à intégrer à l’analyse éministe les grands
débats de notre époque sur l’environnement et la mondialisation. De plus, elles
revendiquent la transgression des normes sexuelles comme orme d’émancipa-
tion (Nengeh Mensah, 2005).

tableau 9.2 une hronologie d movement féministe


Première vague Deuxième vague Troisième vague
période e
Fn xix sècle – • années 1960-1970 • Depus les nnées 1980
début xxe sècle
priniales Drot de vote • avortement lbre • Lberté seuelle
revendiations des femmes et grtut • Lutte contre l’homophobe
• antrcsme
• etc.
corants Fémnsme • Fémnsme mrste • Queer
théoriqes lbérl • Fémnsme rdcl • Fémnsme lesben
dominants
• Fémnsme nor
• etc.

chaitre 9 L dfférencton socle fondée sur le see et les reltons ntergénértonnelles 287
Réseau de concepts Les téores sur les raorts ommes/femmes

téors bologqus nclun

exlcaons exlcaons
ormonals évoluonnss

Théories sur les rapports téors fémnss nclun


hommes/femmes classqus

Fémnsm Fémnsm Fémnsm


lbéral marxs radcal

arbu ls arbu ls arbu ls


négalés à négalés au négalés au

inégalé Socalsaon
Caalsm pararca
ds dros sxs

téors émrgns nclun

trosèm vagu
téor qur
fémns
rfus

caracérsé ar hééronormavé

rm n
Dvrsé ds quson
arocs
éorqus

Dvrsé ds Bcaégorsaon


fmms qu’ll n dux sxs
soua rrésnr
Bcaégorsaon n
Dvrsé ds dux ornaons
rvndcaons sxulls

La théorie queer
À l’origine, le terme anglais « queer » était utilisé pour qualifer quelque chose de
bizarre ou hors-norme. Il est ensuite devenu une désignation péjorative des homo-
sexuels aux États-Unis. Progressivement, touteois, les homosexuels se sont appro-
priés le terme : à orce de se aire traiter de queer, ils ont décidé de le revendiquer
(Lamoureux, dans Nengeh Mensah, 2005).
hétéronormatvté
Sysèm socal qu os Peu à peu, le terme queer est devenu un courant théorique caractérisé par le
l’éérosxualé comm norm. reus de l’hétéronormativité et de toutes les catégories sociales qui en

288 parte iii Ls négalés  ls dfférncs socals


découlent (Lamoureux, dans Nengeh Mensah, 2005). La théorie queer remet en théorie queer
question l’idée selon laquelle il n’y aurait que deux sexes (hommes et emmes) théorie caracérisée par le refus
et deux orientations sexuelles (hétérosexualité et homosexualité). Elle invite de l’hééronormaivié, ainsi que
plutôt à imaginer les nombreuses possibilités d’exploration sexuelle et identi- par la remise en quesion de la
taire qui s’orent à nous, et à reuser toute orme de catégorisation des indi- bicaégorisaion de l’humanié en
deux sexes (hommes e femmes)
vidus. Il n’existe pas, pour l’instant, de terme équivalent à queer en rançais.
e en deux orienaions sexuelles
Bien que certains aient proposé d’utiliser l’expression « théorie ondée sur la
(héérosexualié e homosexualié).
diversité sexuelle », l’emploi du terme queer demeure généralisé dans la littéra-
ture rancophone.
Plusieurs éministes de la troisième vague s’identient ou s’inspirent du
mouvement queer en aisant valoir qu’il aut se libérer des catégories de pensée
qui nous enerment dans une certaine vision du masculin et du éminin. Elles
soutiennent que la meilleure açon de parvenir à une pleine égalité entre les
hommes et les emmes consiste à rejeter l’idée même de éminité et de
masculinité.
D’autres éministes reprochent à la théorie queer d’aller trop loin. Selon elles,
la déconstruction radicale préconisée par le mouvement queer empêche d’ana-
lyser les réalités et les oppressions propres aux emmes, ce qui rend impossible
tout véritable combat éministe.

Faites Le point

5. Quelles sont les principales causes des inégalités entre les hommes et
les emmes, selon les éministes libérales ?
6. Qui est l’« ennemi principal » au ondement des inégalités entre hommes
et emmes, selon les éministes marxistes, d’une part, et les éministes
radicales, d’autre part ?
7. Quels sont les reproches adressés aux éministes de la deuxième vague
par les éministes de la troisième vague ?
8. Quelles sont les principales idées déendues par la théorie queer ?

9.3 Quelques enjeux relatifs aux rapports


hommes/femmes
Les rapports hommes/emmes se sont grandement transormés au cours des
dernières décennies. Certaines revendications éministes sont demeurées d’ac-
tualité, d’autres ont été résolues ou se sont essoufées, et de nouvelles sont
apparues, au gré des changements sociaux. Le partage des tâches dans la amille,
la violence conjugale et l’hypersexualisation igurent parmi les questions
actuelles.

9.3.1 Le partage des tâches familiales


Historiquement, la amille était l’un des lieux où le partage des tâches entre
hommes et emmes était le plus clairement déni. Être mère ou père renvoyait à
une série de rôles distincts, que personne n’osait remettre en question, puisque
l’on croyait que ces rôles découlaient naturellement du processus de reproduc-
tion humaine. Depuis, le mouvement éministe a remis en question cette vision

chapire 9 La différenciaion sociale fondée sur le sexe e les relaions inergénéraionnelles 289
naturalisante selon laquelle la emme serait aite pour s’occuper des enants,
contrairement à l’homme. Il a revendiqué un partage plus équitable des tâches
domestiques et des soins aux enants, qui a eu pour eet de transormer la amille.

La maternité aujourd’hui
Les éministes ont longtemps revendiqué le droit, pour les mères, d’occuper un
emploi rémunéré. L’arrivée des emmes sur le marché du travail a entraîné de nom-
breux changements, tels qu’une répartition plus équitable des tâches domestiques
dans le couple, et en particulier des soins aux enants, le développement de ser-
vices de garde plus adaptés aux horaires de travail des pères et des mères, ainsi
que des mesures de conciliation travail-amille.
Malgré tout, la hausse du temps consacré au travail rémunéré par les emmes
n’a pas eu pour eet de réduire substantiellement le temps qu’elles consacrent au
travail domestique. Entre 1986 et 2005, le temps consacré au travail domestique
est demeuré relativement stable, tant chez les emmes dans leur ensemble que
chez celles qui occupent un emploi rémunéré (Laroche, 2008). Ces dernières
doivent donc eectuer une « double journée de travail », la première étant consa-
crée au travail rémunéré, eectué à l’extérieur du oyer, et la deuxième étant
consacrée au travail domestique et maternel, exécuté gratuitement à la maison.
Pour de nombreuses éministes, cela signife
qu’il aut poursuivre le combat pour assurer un
meilleur partage des tâches entre les pères et les
mères, et aciliter la conciliation entre la vie ami-
liale et le travail, afn de permettre aux mères de
trouver un plus juste équilibre entre ces deux
composantes de leur vie. Touteois, certaines
emmes se réclamant d’un courant plus conserva-
teur commencent à véhiculer un autre point de
vue. Selon elles, les revendications éministes se
sont retournées contre les emmes, qui étaient
moins épuisées et plus épanouies lorsqu’elles
passaient la journée à la maison avec les enants,
sans avoir à travailler à l’extérieur. Ces emmes
réclament un retour au modèle amilial tradi-
tionnel, au nom du bien-être des emmes et du
respect des diérences naturelles entre hommes
et emmes (Marcotte, 2012).

La paternité aujourd’hui
Lorsqu’ils décrivent les transormations de la paternité, les analystes de la amille
contemporaine parlent maintenant de « paternité consentie » ou « active » pour
décrire les modifcations qui se sont opérées chez les hommes. Ainsi, par cette
nouvelle paternité, « le père choisit d’avoir une présence aective active auprès
de ses enants et de participer aux tâches amiliales » (Lacourse, 2010, p. 145). Selon
ce modèle, qui tend à s’imposer actuellement, le père commence à jouer son rôle
dès la conception de l’enant, par exemple en assistant aux cours prénatals.
D’ailleurs, les pères qui n’assistent pas à l’accouchement de leur conjointe sont
devenus l’exception. Ces nouveaux pères s’occupent de leur enant dès la nais-
sance et partagent, dans une certaine mesure, les tâches domestiques.
La paternité s’est donc transormée, et de ce ait, le rôle du père a perdu la pré-
pondérance qu’on lui accordait autreois dans la société. En eet, par le passé,
c’est un peu de l’autorité du roi, qui lui-même la détenait de Dieu, qui était

290 parte iii Les inégalités et les différences sociales


déléguée aux pères. Pareillement, avec l’avènement de la démocratie, le citoyen
de la République s’incarnait dans le père. Ainsi, sur le plan juridique, on usait du
concept de « bon père de amille » pour signier la conduite associée à tout citoyen
honnête et responsable. Le père avait également pour responsabilité de veiller au
bien-être matériel de sa emme et de ses enants, tout en ayant une autorité com-
plète sur eux. Selon ces principes, en cas de divorce, le père conservait la respon-
sabilité de pourvoir nancièrement aux besoins de son ex-épouse et de ses
enants. Les emmes, pour leur part, étaient vues comme les éducatrices natu-
relles des enants et se voyaient le plus souvent accorder la garde de ceux-ci.
Cependant, elles n’avaient pas les moyens de maintenir le même niveau de vie
que durant la vie commune, à moins de recevoir une pension alimentaire.
Aujourd’hui, le couple détient la responsabilité partagée des enants et, en cas de
divorce, c’est le meilleur intérêt de l’enant qui doit guider les décisions concer-
nant la garde. Cela demeure le principal dé des couples dont la rupture engage
des enants.
La question du divorce est d’ailleurs à l’origine de nouvelles réfexions et
revendications sur la condition masculine. Depuis plusieurs années, des pères,
insatisaits des jugements rendus au moment de leur divorce ou de leur sépara-
tion, se sont regroupés en associations. Fathers-4-Justice est sans doute la plus
connue internationalement, en raison des coups d’éclat de pères séparés qui se
sont déguisés en superhéros dans des lieux publics pour s’adresser à leurs
enants. Si ces pères réclament généralement la garde partagée de leur enant
avec leur ancienne conjointe et dénoncent les tribunaux qui auraient trop ten-
dance à accorder la garde exclusive à la mère, leurs associations se réclament
également de la amille traditionnelle et dénoncent ce qu’ils perçoivent comme
des dérives du éminisme. Pour cette raison, certains auteurs ont qualié ces
groupes d’antiéministes (Blais et Dupuis-Déri, 2008).

9.3.2 La violence conjugale


Le nombre d’agressions que subissent les emmes pose la question de leur sécurité.
Bien que plusieurs enquêtes révèlent que les taux de violence vécue par les conjoints
ont tendance à être semblables chez les hommes et les emmes (Laroche, 2007), cette
symétrie de la violence conjugale entre les sexes concerne surtout la violence mineure
et occasionnelle (Lacourse, 2010). Les agressions graves compilées dans les données
sur la criminalité révèlent plutôt que ce sont les emmes qui sont largement les vic-
times de ces agressions violentes (Ministère de la Sécurité publique, 2012).
Certains types de violence sont décrits comme étant sexospéciques, c’est-
à-dire qu’ils touchent d’une manière plus marquée un sexe en particulier. C’est le
cas des inractions contre la personne commises dans un contexte conjugal, dont
81% des victimes seraient des emmes (Ministère de la Sécurité publique, 2012).
Comme l’illustre la gure 9.1, à la page suivante, quelle que soit la catégorie d’inrac-
tion, la majorité des victimes sont des emmes. Cela est particulièrement vrai pour
l’enlèvement, la séquestration et l’agression sexuelle, qui touchent presque unique-
ment des emmes.
La violence au éminin existe aussi, et n’est pas seulement psychologique, comme
le veut la croyance populaire. Cependant, elle dégénère moins réquemment en
actes désespérés menant à des agressions graves ou au meurtre. La criminologue
Marie-Andrée Bertrand (2003) a touteois démontré que le pourcentage de emmes
parmi les personnes accusées de crime avait beaucoup augmenté au cours des der-
nières décennies, particulièrement dans la catégorie des crimes violents, où il est
passé de 7,8 % en 1976 à 17,2 % en 2001 (Bertrand, 2003, p. 110). Il est touteois

chapitre 9 La différenciation sociale fondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 291
La roorton de femmes arm les vctmes d’nfractons dans un contexte conjugal,
Figure 9.1
ar catégore d’nfractons, Québec, 2010
Infractions

Voies de fait de niveau 2 70

Appels téléphoniques indécents ou harassants 74

Menaces 80

Toutes les infractions 81

Voies de fait de niveau 1 82


Intimidation 84

Homicide 85

Harcèlement criminel 87
Tentative de meurtre 87
Voies de fait de niveau 3 95

Agression sexuelle 98

Séquestration 98
Enlèvement 100

0 20 40 60 80 100
Pourcentage

Source : Ministère de la Sécurité publique (2012). Criminalité dans un contexte conjugal au Québec. Faits saillants 2010, Québec, Ministère
de la Sécurité publique, 2011, p. 3.

impossible de savoir si ces pourcentages se maintiennent parmi les condamnées,


car les comptes ofciels ne ournissent pas de données diérenciées à la ois selon
le sexe et le moti de condamnation (Bertrand, 2003, p. 114). On sait touteois que la
proportion de emmes admises en détention à la suite d’une condamnation a consi-
dérablement augmenté au cours de la même période. En 1972, le ratio emme/homme
était de 1 pour 50 dans les pénitenciers édéraux et de 1 pour 20 dans les prisons
provinciales. En 2000-2001, il était passé à 1 pour 20 dans les pénitenciers édéraux,
et à 1 pour 11 dans les prisons provinciales (Bertrand, 2003, p. 121).
Cette augmentation de la criminalité éminine s’explique probablement en
partie par les eets de l’uniormisation de l’éducation des flles et des garçons au
cours de cette période. Cette tendance statistique, bien que plutôt négative en
soi, vient accréditer la thèse selon laquelle la violence serait un comportement
acquis plutôt qu’inné.

9.3.3 L’hypersexualisation
hyersexualsaton Le thème de l’hypersexualisation a émergé dans l’espace public au cours des
Concept utilisé pour décrire la années 2000, autour de deux grandes préoccupations : d’une part, les conduites
place croissante occupée par la sexuelles des jeunes, et d’autre part, la place de la sexualité dans les médias, et en
sexualité dans l’espace public, particulier dans la publicité et chez les personnalités publiques (Blais et coll.,
et en particulier dans l’espace 2009). Le thème de l’hypersexualisation renvoie donc à un ensemble de phéno-
médiatique, ainsi que dans la mènes plus ou moins nouveaux relatis à l’habillement, à la séduction, aux relations
vie des jeunes.
sexuelles, etc. (Duquet et Quéniart, 2009).
Si plusieurs considèrent que l’on assiste à une hypersexualisation des jeunes en
général, certains s’inquiètent particulièrement de celle des jeunes flles, qui risque de
renorcer les inégalités entre les sexes en réduisant les emmes au statut d’objet

292 parte iii Les inégalités et les différences sociales


sexuel au service des hommes. Dans une étude menée auprès d’élèves de secondaire I,
II et V, Francine Duquet et Anne Quéniart ont constaté que les jeunes sont réquem-
ment exposés à des activités à connotation sexuelle qui, autreois, relevaient de la vie
privée et se déroulaient dans l’intimité. C’est notamment lors de partys que les jeunes,
et en particulier les lles, sont invitées à se dévêtir, à s’embrasser et à danser de
açon lascive. Plusieurs répondants ont également armé qu’il n’est pas rare que des
lles diusent des images sexy d’elles-mêmes sur Internet, bien qu’ils arment géné-
ralement désapprouver ce geste (Duquet et Quéniart, 2009).
Pour Christelle Lebreton, ces comportements peuvent en partie s’expliquer par
les modèles oerts aux jeunes lles dans les médias, et notamment dans les revues
qui leur sont destinées. Ces magazines encouragent la provocation sexuelle et
invitent les jeunes lles à miser avant tout sur leur corps et leur pouvoir de séduction
pour obtenir l’estime de leurs pairs, et en particulier du sexe opposé. Ce modèle,
connu sous le nom de «girl power», serait ainsi aussement éministe (Lebreton, 2009).
S’appuyant sur des études états-uniennes, canadiennes et québécoises, le
Conseil du statut de la emme déplore quant à lui l’infuence néaste des médias
sur diérentes dimensions de la sexualité des adolescents, telles que la précocité
de leurs relations sexuelles, leur adhésion aux stéréotypes sexuels et sexistes,
les attentes qu’ils entretiennent envers leurs partenaires sexuels, leur tendance à
consentir à des pratiques sexuelles qu’ils ne désirent pas vraiment (en particulier
chez les lles), ainsi que leurs pratiques sexuelles non sécuritaires, avorisant la
propagation d’inections (Conseil du statut de la emme, 2008).
Un collecti d’auteurs a touteois remis en cause cette idée selon laquelle les
jeunes d’aujourd’hui seraient hypersexualisés. Pour ce aire, ils ont soumis à
l’épreuve des statistiques quatre armations soutenues par les critiques de
l’hypersexualisation :
1. « Les jeunes sont sexuellement actis de plus en plus tôt. » Bien qu’il soit dicile
d’obtenir des statistiques paraitement ables sur cette question (il aut attendre
que tous les jeunes aient eu au moins une relation sexuelle pour pouvoir calculer
l’âge moyen de la première relation sexuelle), les données disponibles suggèrent
que cette armation est ausse. L’âge médian auquel les jeunes ont leur première
relation sexuelle se situerait autour de 17 ans, et ce, depuis 1980.
2. « L’exacerbation de la sexualité chez les jeunes. » La multiplication du nombre
de partenaires, la banalisation des relations buccogénitales et anales, ainsi que
la participation à des activités sociales sexualisées ne concerneraient qu’une
minorité de jeunes aux caractéristiques sociales bien précises. Elles ne seraient
donc pas aussi généralisées qu’on le prétend.
3. « La perte de repères et le déclin des valeurs sociomo-
rales sur la sexualité et le couple. » Cette armation ne
serait que partiellement vraie. Les jeunes accordent
encore une grande importance à la amille et à la stabilité
conjugale, bien que dans une moindre proportion que
les jeunes d’autreois. Par ailleurs, les jeunes d’au-
jourd’hui sont plus tolérants que leurs prédécesseurs
envers les pratiques sexuelles marginales.
4. « La sexualisation de l’espace médiatique. » Selon les
auteurs, l’omniprésence de la sexualité dans les médias
traditionnels (journaux, télévision) n’est pas nouvelle,
puisqu’elle s’observe depuis les années 1990. La nou- Les adolescents ne seraient peut-être pas aussi hypersexua-
lisés que l’on serait porté à le croire et accorderaient encore
veauté réside touteois dans la acilité d’accès à la por-
une grande importance à la stabilité conjugale.
nographie sur Internet (Blais et coll., 2009).

chapitre 9 La différenciation sociale fondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 293
En somme, pour ces auteurs, s’il est possible de parler, dans une certaine
mesure, d’hypersexualisation des jeunes, il convient de ne pas exagérer l’am-
pleur et la nouveauté du phénomène.

Faites Le point

9. Que signie l’expression « double journée de travail » ?


10. Quel enjeu, porté par des regroupements associatis masculins, a
soulevé, au cours des dernières années, des réfexions sur la condi-
tion masculine ?
11. Quelles sont les deux grandes préoccupations autour desquelles le
thème de l’hypersexualisation a émergé dans l’espace public au cours
des dernières années ?

9.4 Les différences générationnelles


Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, les critères de diérenciation sociale
se ondent soit sur des traits physiques ou biologiques, soit sur des traits culturels.
Toutes les sociétés eectuent des distinctions plus ou moins marquées entre les
sexes et les groupes d’âge. C’est au processus de diérenciation sociale selon l’âge
et la génération que nous nous attarderons dans les prochaines sections.

9.4.1 Un portrait des générations


génératon Nous appartenons tous à une génération, déterminée par la période au cours de
ensmbl ds prsonns nés laquelle nous sommes nés. Les particularités culturelles d’une époque donnée
au cours d’un mêm périod t contribuent à nous açonner comme individu, au même titre que notre sexe ou
qui, d c fait, ont travrsé ls notre origine ethnique.
mêms époqus au mêm âg.
C’est le phénomène du baby-boom qui a incité les sociologues à s’intéresser
aux générations. En eet, la vague de naissances qui a suivi la Seconde Guerre
mondiale a créé, pour la première ois, un groupe de personnes qui s’est déni et
qui a cherché à transormer la société en tant que génération : les baby-boomers.
L’un des ouvrages les plus connus sur les baby-boomers est l’essai de François
Ricard, qui appelle « génération lyrique » la cohorte ormée par les premiers-nés
du baby-boom, en raison de l’optimisme, du sentiment de conance et de la
volonté de changement qui ont marqué cette génération durant sa jeunesse
(Ricard, 1992). Nés entre 1945 et 1962, les baby-boomers se distinguent avant tout
par leur nombre : à chacune des périodes de leur vie, ils ont été assez nombreux
pour imposer des changements à la société dans son ensemble. La gure 9.2
permet de constater qu’ils orment, encore aujourd’hui, les segments les plus
longs de la pyramide des âges.
On appelle génération X la génération née immédiatement après le baby-boom,
soit au cours des années 1960 et 1970. Beaucoup moins nombreuse que la précé-
dente, la génération X est souvent qualiée de « génération sacriée », parce que,
bien qu’ils soient tout aussi diplômés, les X n’ont pas réussi à trouver des emplois
aussi stables, rémunérateurs et en lien avec leur ormation que les baby-boomers
(Fleury, 2008). L’encadré 9.3 traite de la génération X comme sujet de recherche
en sociologie.

294 parte iii Ls inégalités t ls différncs socials


Figur 9.2 La pyramide des âges, Québe, 1er juillet 2011
Année de naissance Âge Année de naissance
1910−1911 100 + 1910−1911
Sexe masculin Sexe féminin
1920−1921 90 1920−1921
1930−1931 80 1930−1931
1940−1941 70 1940−1941
1950−1951 60 1950−1951
1960−1961 50 1960−1961
1970−1971 40 1970−1971
1980−1981 30 1980−1981
1990−1991 20 1990−1991
2000−2001 10 2000−2001
2010−2011 0 2010−2011
70 60 50 40 30 20 10 0 0 10 20 30 40 50 60 70
Effectif par année d’âge (en milliers)

Sourc : insu d l ssqu du Québc (2011). Le bilan démographique du Québec, Gouvrnmn du Québc, . 23.

encadré 9.3 Sociologue en Action

Stéphane Kelly, enseignant au cégep de Saint-Jérôme

tulr d’un docor n socolog son mnnus dns l uvré  l récré mlgré un hu
 nsgnn u cég d Sn- nvu d’nsrucon, lors qu d’urs s’n son rès bn rés n
Jérôm, Séhn Klly s mmbr chosssn ds « flèrs yns » comm l dro ou l gson.
d l généron x. Dns son ouvrg
touos, l’orgnlé du lvr d Séhn Klly résd dns l
À l’ombre du mur : trajectoires et
 qu’l so llé u-dlà d l quson, déjà bn documné,
destin de la génération X, ublé n ds dfculés d’nsron rossonnll ds mmbrs d l
2011, Séhn Klly  chrché à généron x, our bordr églmn lur v nm. en , l
« révélr l rm cnrl du dsn dsn d l généron x s rculr, cr l s’g d l r-
d c généron ns qu ls rjcors rmordls mèr généron à grndr dns l nouvu con socl ns-
mrunés r ss mmbrs » (Klly, 2011, . 14). uré r l généron récédn : ls x on ns éé ls
pour c r, l  u rcours à ros méhods : l  d’bord « cobys » ds révoluons émns  sull mnés r
consulé ls ssqus dsonbls sur l généron x, sur ls baby-boomers (. 79). ils on uss éé ls rmrs à vor
ss comormns  sur l con socl dns lqul ll  lurs rns dvorcr n grnd nombr. tou cl  cé lur
évolué. il  nsu consulé l documnon déjà dsonbl çon d vor  d vvr ls rors homms-mms. C’s
sur l généron x, urmn d, ls urs ouvrgs qu on d’llurs u sn d l généron x qu srn rus du
roosé un nlys d c généron. Fnlmn, l  nouvlls fgurs : Monsur Bovry, l’homm romnqu n
obsrvé  nrrogé lu-mêm ds mmbrs d l généron quê du grnd mour,  Mdm Don Jun, l mm séduc-
x rovnn d dvrs mlu (. 280-281). rc oujours à l rchrch d’un nouvll ro.

Ls nlyss d Séhn Klly l’on condu à rcourr u sym- Ls x on donc dû s’dr u chngmns socu qu on
bol du « mur » our désgnr ls obscls uquls ls mrqué lur nnc, n lus d dvor ronr ds dfculés
sur l mrché du rvl. Conronés u « mur », ls on dvng
mmbrs d c généron s son hurés, nommn sur
ssyé d rndr lur lc dns l socéé qu d rnsormr
l mrché du rvl.
cll-c. ans, conrrmn u baby-boomers, ls x n’on s
Séhn Klly soulgn cndn qu ls rjcors ros- voulu chngr l mond : ls on rééré rchrchr l sblé.
sonnlls ds x n son s ous dnqus. ells vrn Slon Séhn Klly, l rncl conrbuon olqu ds x
nommn slon l clss socl. L’uur drss ns lusurs résd u-êr dns l  qu’ls on « chrch[é] à réhblr
orrs ys d mmbrs d l généron x, don crns s un crn sns ds lms » (. 278).

chapitre 9 L dérncon socl ondé sur l s  ls rlons nrgénéronnlls 295
Finalement, on s’intéresse de plus en plus à la génération Y, dont les membres ont
maintenant tous atteint l’âge adulte. Nés au cours des années 1980 et au début des
années 1990, ils sont reconnus pour leur grande confance en eux, leur capacité
d’adaptation, leur aisance avec les technologies et leur ouverture à la diversité cultu-
relle (Allain, 2008). Longtemps perçus comme des individualistes réractaires à tout
combat politique, ils en ont surpris plusieurs par l’intensité de leur mobilisation lors
de la grève étudiante de 2012.

9.4.2 La jeunesse
Si la génération d’un individu le suit toute sa vie, la jeunesse constitue une période
déterminée de la vie, comme nous avons pu le voir au chapitre 4, et traversée par
chacune des générations à des époques diérentes.
L’acquisition progressive de l’indépendance vis-à-vis des parents est l’une des
caractéristiques généralement associées à la jeunesse. La loi stipule qu’à partir
de 18 ans, les enants ne sont plus soumis à l’autorité parentale. Pourtant, au
Moyen Âge, les jeunes s’intégraient beaucoup plus rapidement au monde des
adultes. Le choix de l’âge de 18 ans comme seuil de la majorité, relativement arbi-
traire, s’explique par le contexte social dans lequel il a été choisi, caractérisé
notamment par un allongement de l’espérance de vie et une prolongation
des études.
Bien que la loi permette aux jeunes d’être complètement indépendants dès
l’âge de 18 ans, plusieurs parents soutiennent leurs enants plus longtemps en
leur orant une aide fnancière durant leurs études ou en leur permettant de
demeurer à la maison amiliale. Cette dernière tendance est particulièrement
orte au sein de la génération Y. En eet, chez les Canadiens de cette génération,
73 % des 20-24 ans et 30 % des 25-29 ans vivent chez l’un de leurs parents ou chez
leurs deux parents. Au sein de la génération X, c’étaient plutôt 46 % des 20-24 ans
et 17 % des 25-29 ans (Marshall, 2011).
L’arrivée sur le marché du travail fgure également parmi les événements géné-
ralement associés à la jeunesse. Touteois, depuis la crise économique des années
1980, les conditions d’insertion des jeunes sur le marché du travail sont demeurées
difciles. L’accès à un travail stable et bien rémunéré se révèle ardu, et cette ten-
dance est bien ancrée. Un nombre croissant de jeunes vien-
dront grossir les rangs des travailleurs dits « autonomes » et
oriront leurs services à des micro- entreprises ou occuperont
d’autres ormes d’emplois précaires, sans sécurité aucune.
Comme on le sait, l’intégration sociale passe dans une
large mesure par l’intégration au marché du travail. Cela
explique certainement la détresse plus grande que ressentent
les jeunes qui sont au chômage ou qui occupent des emplois
précaires. Nous savons tous que, dans notre société, le statut
et l’identité d’un individu sont largement tributaires de leur
statut socioproessionnel. Lorsqu’un individu n’a pas les
moyens de consommer les innombrables biens qui se pré-
sentent à lui constamment dans nos sociétés d’abondance, il
devient un « mauvais citoyen » ! Outre le ait de ne pouvoir
consommer, le ait de ne pas avoir d’emploi entraîne une
Les manifestations étudiantes au cours du « printems orme de « non-être » sur le plan social. Comme on le voit,
érable » ont contribué à raviver l’intérêt des jeunes our sans biens matériels et sans emploi, il est difcile d’être
la olitique.
reconnu comme personne.

296 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Par ailleurs, les jeunes subissent parois certaines ormes de discrimination
de la part de leurs aînés, qu’il s’agisse de leurs employeurs, de leurs collègues, de
membres de leur amille ou de décideurs politiques. Ceux-ci hésitent à leur aire
confance, remettent en question leurs compétences ou reusent de prendre leurs
opinions et leurs revendications au sérieux.
À ce sujet, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
a été appelée, il y a quelques années, à se prononcer sur un règlement municipal
que certains avaient perçu comme une orme de discrimination envers les jeunes.
Il s’agissait d’un couvre-eu, adopté par la municipalité de Huntingdon en 2004,
qui interdisait aux jeunes de moins de 16 ans de circuler sur la voie publique
après 22 h 30, à moins d’être accompagnés d’un adulte responsable ou de pouvoir
prouver qu’ils avaient une raison valable de s’y trouver seuls. L’objecti visé par
le règlement, inspiré d’expériences similaires menées en Alberta et aux États-
Unis, était de lutter contre la délinquance juvénile et, en particulier, contre le
vandalisme. Le conseiller juridique de la Commission a touteois jugé que ces objec-
tis ne justifaient pas une telle discrimination ondée sur l’âge (Carpentier, 2004).
Plus récemment, l’adoption d’une loi québécoise imposant la « tolérance 0 » en
matière d’alcool au volant à tous les conducteurs de moins de 21 ans a relancé le
débat sur la discrimination à l’égard des jeunes. Cette mesure a été justifée par
le ait que les jeunes sont surreprésentés parmi les conducteurs impliqués dans
des accidents de la route, notamment lorsque la vitesse et l’alcool sont en cause.
Certains regroupements, comme la Fédération étudiante collégiale du Québec,
ont dénoncé le ait que tous les jeunes soient pénalisés à cause des comporte-
ments dangereux de certains d’entre eux. Ils ont également ait valoir que cette
mesure pourrait cibler l’ensemble des conducteurs inexpérimentés, et non uni-
quement les plus jeunes d’entre eux (Simard, 2012).

9.4.3 La vieillesse
Si la jeunesse est généralement associée à l’intégration au marché du travail, la vieil-
lesse est au contraire associée à l’étape de la retraite. Les premiers baby-boomers
ayant atteint l’âge de 65 ans, cette génération a déjà commencé, depuis quelques
années, à quitter le marché du travail. Bien que la retraite semble comporter
quelques avantages, comme la possibilité d’avoir plus de temps pour soi, il n’en
demeure pas moins que cette période de la vie comporte son lot de difcultés.
Quand cesse l’activité du travail, cela ne signife pas automatiquement, pour
beaucoup de personnes parvenues à cette étape de leur vie, qu’elles peuvent
enfn respirer et se consacrer à divers loisirs qui n’étaient pas accessibles aupara-
vant, aute de temps. En eet, le travail n’est pas seulement une corvée : il permet
également à une personne de gagner le respect des collègues ou des membres de
la communauté. Il défnit aussi le statut social et permet une certaine autonomie
fnancière. L’emploi a aussi pour eet de structurer le temps de l’individu. Dès
lors, ayant atteint l’âge de la retraite, certaines personnes ne savent pas comment
occuper leur temps. Étant donné l’importance accordée à la valeur économique
d’une personne de nos jours, certains retraités peuvent se sentir inutiles, voire
développer des problèmes de santé alors qu’ils n’avaient donné aucun signe de
maladie sérieuse peu de temps auparavant. Comme on le voit, la retraite libère
de certaines contraintes, mais prive également des avantages de la vie active.
Alors que la jeunesse est connue comme une étape au cours de laquelle s’ac-
quièrent l’autonomie et l’indépendance, particulièrement vis-à-vis des parents,
la vieillesse, au contraire, peut s’accompagner d’une perte d’autonomie.
Certaines personnes âgées doivent alors s’installer dans une maison de retraite,

chapitre 9 La différenciation sociale fondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 297
alors que, dans bien des cas, elles prééreraient
demeurer à la maison. La perte d’autonomie de
la personne âgée peut également provoquer un
processus d’inantilisation de certains membres
de ce groupe d’âge. Il est d’ailleurs souvent
dit de la personne âgée qu’elle « retombe en
enance ». Les personnes placées dans des mai-
sons de retraite se trouvent parois dans une
situation d’inantilisation plus ou moins com-
plète. Elles n’ont plus de responsabilités et
presque plus d’autonomie dans l’organisation
de leur vie.
La population a, en général, une perception
La qualité de vie des personnes âgées dépend en partie de leur santé, négative du vieillissement. Contrairement à
de leur autonomie, de leur vie sociale et de leur intégration à la société certaines sociétés traditionnelles, où le vieillis-
de façon générale. sement est perçu comme un gage d’expérience
et de sagesse, en Occident, la vieillesse est
aujourd’hui associée au dépérissement de la personne et à la mort. L’extrême
valorisation de la jeunesse dans les médias et ailleurs ne manque pas d’in-
fuencer les attitudes et les comportements que la population adopte envers les
personnes âgées. Ces dernières sont souvent jugées incapables, et l’accent est
mis sur leur aiblesse, leur vulnérabilité et leur passivité.
Le phénomène de l’âgisme est de plus en plus connu du grand public, particu-
lièrement depuis la tenue d’une consultation publique sur les conditions de vie
des aînés, en 2007. On a ainsi appris que des personnes âgées pouvaient être pri-
vées de leurs droits : « Privation du droit de consentement aux soins ou du droit
de reus de traitement, non-respect de la condentialité des renseignements per-
sonnels, privation du droit d’une personne de gérer ses propres onds ou ses
propres biens alors qu’elle est en mesure d’exercer ses droits de açon autonome
ou avec un minimum d’assistance ou souhaite le aire. » (Ministère de la Famille et
des Aînés, 2010, p. 22) Depuis, des campagnes de sensibilisation ont attiré l’atten-
tion de la population sur ces phénomènes.
L’actualité ournit plusieurs exemples de cas où des personnes âgées sou-
tiennent avoir été victimes de discrimination. Par exemple, lors de la campagne
de vaccination contre la grippe A-H1N1, en 2009, la Santé publique du Québec
avait décidé que tous les adultes atteints de maladies chroniques devaient être
vaccinés en priorité, sau ceux de 65 ans et plus. L’Association québécoise des
retraités des secteurs public et parapublic (AQRP) avait alors dénoncé publique-
ment cette mesure, qu’elle qualiait d’âgiste (Bérubé, 2009). La séquence de vac-
cination a nalement été modiée, notamment en raison d’un arrivage important
de vaccins (Rioux Soucy, 2009).
Un autre événement a semé la controverse au cours des dernières années,
lorsqu’un radiologiste a été visé par une enquête du Collège des médecins
parce qu’il avait commis des erreurs en aisant la lecture de mammogra-
phies. Lorsque les médias ont révélé que ce radiologiste avait 77 ans, cer-
tains ont proposé d’imposer un âge limite pour pratiquer la médecine, dans
le but de protéger les patients. D’autres y ont vu une orme d’âgisme, aisant
valoir que les jeunes médecins n’étaient pas non plus à l’abri des erreurs
(Lacoursière, 2010).

298 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Réseau de concepts Les différenes générationnelles

pete
d’utonome

Vellesse cctésée 

rett du mché
du tvl

péodes telles ouvnt donne Dscmntons


de l ve que leu à des ondées su l’âge

intégton
u mché
du tvl
Jeunesse cctésée 
acquston de
l’ndéendnce
vs-à-vs des ents

euvent ête
Différences
nlysées sous
générationnelles
l’ngle des
Confnce en so

Généton Y cctésée asnce vec


(1980-1995)  les technologes

Ouvetue à l
dvesté cultuelle

Fble nombe
telles Généton x cctésée
Génétons
que (1962-1979)  Stuton
dévoble su le
mché du tvl

Gnd nombe

Stuton voble
Baby-boomers cctésés
su le mché du
(1945-1961) 
tvl

Otmsme et dés
de chngement

chapitre 9 L déencton socle ondée su le see et les eltons ntegénétonnelles 299
Faites Le point

12. Quel phénomène démographique a incité les sociologues à s’inté-


resser aux générations ?
13. Dans nos sociétés occidentales contemporaines, quelles caractéris-
tiques sont habituellement associées à la jeunesse ? À la vieillesse ?
14. Quelles dicultés peuvent être associées à l’étape de la retraite ?

9.5 Les rapports intergénérationnels


Les rapports intergénérationnels semblent problématiques aux yeux de plusieurs.
S’ils sont parois marqués par des tensions en raison de la concurrence des géné-
rations pour accaparer les emplois ou à cause de confits de valeurs, il n’en
demeure pas moins que bien des rapports intergénérationnels sont au contraire
marqués par la solidarité, tant au sein de la amille qu’à l’échelle de la société dans
son ensemble. Dans les pages qui suivent, nous verrons les diérentes ormes que
peuvent prendre les rapports intergénérationnels.

9.5.1 Les confits intergénérationnels


L’existence de confits intergénérationnels n’est pas nouvelle. Il y a longtemps que
les jeunes ormulent des critiques envers leurs aînés, et inversement. Chaque géné-
ration a tendance à valoriser davantage ses propres açons d’être, son propre mode
de vie, au détriment de ceux choisis par les plus vieux ou par les plus jeunes. On
pourrait ainsi parler de « génératio-centrisme », de la même manière que l’on parle
d’ethnocentrisme (voir le chapitre 8).
Certaines conjonctures avorisent touteois une exacerbation des confits
entre des générations en particulier. Le marché du travail est souvent le théâtre
de ces arontements intergénérationnels.

Les baby-boomers et la génération X


Comme nous l’avons mentionné, la génération X a eu du mal à prendre sa place sur
le marché du travail, ce qui a donné lieu à certaines rustrations au sein de cette
génération. Plusieurs d’entre eux ont blâmé les baby-boomers d’avoir accaparé les
meilleurs emplois et d’avoir instauré des programmes sociaux (sécurité d’emploi,
régimes de retraite, etc.) dont ils seront les seuls à bénécier pleinement. Or,
comme le rappelle le sociologue Jacques Hamel, s’il est vrai que les baby-boomers
ont été avantagés par rapport aux X, cette situation ne s’explique pas par « des
stratégies de domination des baby-boomers» (Hamel, 1994, p. 174), mais découle
plutôt du contexte dans lequel les X et les boomers ont accédé à l’âge adulte.
Charles Fleury distingue trois phénomènes qui se conjuguent pour expliquer
les dicultés rencontrées par les X dans le domaine de l’emploi.
1. Le nombre : Les X orment une génération beaucoup moins nombreuse que les
baby-boomers. Ces derniers ont donc accaparé les bons emplois disponibles,
non pas parce qu’ils étaient mal intentionnés, mais tout simplement parce
qu’ils sont arrivés les premiers, et en grand nombre.
2. Les emmes : Non seulement les baby-boomers étaient nombreux, mais en plus,
ils constituaient la première génération dans laquelle les emmes accédaient

300 parte iii Les inégalités et les différences sociales


massivement au marché du travail. Une ois tous les emplois occupés par
les hommes et les emmes baby-boomers, il n’en restait presque plus pour les
jeunes de la génération X.
3. L’instruction : La période au cours de laquelle les baby-boomers ont accédé à
l’âge adulte a été marquée par une hausse importante des niveaux d’instruc-
tion au Québec. Lorsque les baby-boomers ont obtenu leurs diplômes universi-
taires, ceux-ci étaient très recherchés par les employeurs. Lorsque les X ont
obtenu des diplômes équivalents, leur valeur apparaissait moindre, car ils
étaient devenus moins rares. Avoir un diplôme n’était donc plus un gage de
succès, puisqu’il y avait davantage de diplômés universitaires que d’emplois
de qualité pour les accueillir (Fleury, 2008).
En somme, le confit entre les baby-boomers et la génération X s’explique en
bonne partie par des acteurs sur lesquels ces deux générations ne pouvaient
exercer aucun contrôle. Cela nous rappelle que le contexte social conditionne en
bonne partie le destin des générations.

La génération Y sur le marché du travail


Depuis les années 2000, l’arrivée des Y à l’âge adulte attire l’attention de leurs
aînés, et en particulier de leurs employeurs. Dans son ouvrage portant sur la géné-
ration Y, Carol Allain présente les principales caractéristiques de ces jeunes tra-
vailleurs, qui arrivent sur le marché du travail dans des conditions plus avorables
que les X, en raison des départs à la retraite des baby-boomers, mais aussi avec de
nouvelles valeurs et de nouvelles attentes, qui bousculent tant les X que les
baby-boomers.
Les Y ont grandi dans un environnement scolaire et amilial dans lequel on a
cherché à avoriser leur estime d’eux-mêmes. En conséquence, les membres de
cette génération ont une grande conance en eux et s’attendent à recevoir, dans
leur milieu de travail, la même reconnaissance qu’ils ont reçue à l’école et à la
maison durant leur enance. Ils souhaitent qu’on leur cone des responsabilités
importantes, et auraient même tendance à se surestimer (Allain, 2008, p. 163).
Cela surprend de nombreux patrons, qui étaient habitués à composer avec des
employés plus dociles, qui pouvaient parois se révolter collectivement, mais qui
n’avaient pas tendance à être aussi revendicateurs sur une base individuelle.
Alors que les employeurs voudraient voir leurs jeunes employés aire leurs
preuves pendant quelques années avant de leur coner des responsabilités, les
Y voient les choses autrement : ils sont convaincus de pouvoir réaliser de grandes
choses, et ne voient pas pourquoi ils devraient attendre inutilement avant de se
lancer dans des projets d’envergure.
Alors que les X ont longtemps envié les baby-boomers d’avoir obtenu les
emplois les plus stables, la plupart des Y ne partagent pas cette jalousie, car ce
type d’emploi les intéresse peu ; ils aiment passer d’un emploi à l’autre, d’un
projet à l’autre. Ils n’ont donc aucun problème à quitter un emploi qui les insatis-
ait. Cette attitude ne se limite pas au marché du travail ; elle se refète également
dans les relations interpersonnelles des Y. Ils valorisent davantage l’authenticité
de la relation dans l’immédiat que la loyauté (Allain, 2008, p. 151).
Dans leur travail, comme dans leur vie en général, les Y valorisent la convivia-
lité, le partage et le travail en équipe (Allain, 2008, p. 159). Cette attitude peut par-
ois ébranler la culture d’une entreprise, où chacun est habitué à travailler en soli-
taire et où l’obligation de collaborer avec des collègues peut être perçue comme
une intrusion, une volonté de contrôle ou un manque de conance.

chapitre 9 La différenciation sociale fondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 301
En somme, les jeunes travailleurs de la génération Y arrivent en grand nombre
sur le marché du travail et ne passent pas inaperçus, ce qui vient parois heurter
leurs collègues et leurs employeurs appartenant à d’autres générations.

9.5.2 La solidarité intergénérationnelle


Plusieurs disciplines s’intéressent au phénomène des générations. La question de
la solidarité intergénérationnelle, en particulier, interpelle la sociologie, la démo-
graphie, mais aussi l’économie et la science politique, qui s’interrogent toutes sur
les répercussions éventuelles des choix eectués par les décideurs sur les dié-
rentes générations.
D’un point de vue sociologique, la question intergénérationnelle peut aussi être
abordée à partir de plusieurs niveaux d’analyse : à l’échelle macrosociologique, on
peut s’intéresser à la solidarité intergénérationnelle entre les membres d’une
même communauté politique, voire même entre tous les humains. À l’échelle
microsociologique, on peut étudier les pratiques de solidarité intergénération-
nelle en cours dans une amille.

Les fnances publiques et l’équité intergénérationnelle


Depuis quelques décennies, le processus de vieillissement de la population s’est
amorcé dans les sociétés occidentales. Ce processus s’explique par la conjugaison
de deux acteurs : d’une part, les individus vivent de plus en plus longtemps, ce
qui entraîne une augmentation du nombre de personnes âgées dans la société ;
d’autre part, le nombre de naissances demeure aible, ce qui entraîne une dimi-
nution du nombre de jeunes dans la société. L’équilibre entre les générations est
donc rompu.
Ce vieillissement de la population a complètement transormé la açon de
voir la gestion des fnances publiques. Autreois, la question des classes
sociales était centrale : la redistribution de la richesse impliquait que l’État
doive prendre davantage aux plus riches pour donner aux plus pauvres. De
plus en plus, la question de l’équité entre les classes sociales est éclipsée au
proft de la question intergénérationnelle : on cherche à aire en sorte que les
jeunes puissent profter du même niveau de vie et des mêmes services que
leurs prédécesseurs.
Chaque ois que l’on se demande quel impact les choix que nous aisons
aujourd’hui auront sur les générations utures, on pose la question de l’équité
intergénérationnelle.
Certains services sont particulièrement visés par cette question de l’équité
intergénérationnelle. Par exemple, la question de la retraite ait l’objet de nom-
breux débats, puisque le ratio travailleurs/retraités diminue rapidement avec le
vieillissement de la population. Certains proposent de hausser dès maintenant
l’âge de la retraite pour s’assurer que la caisse ne sera pas vide lorsque les jeunes
travailleurs arriveront à l’âge de la retraite, ou encore d’investir dans les techno-
logies qui permettront d’accroître la productivité des jeunes travailleurs, afn de
compenser leur aible nombre (Godbout et coll., 2007). En ce qui concerne les soins
de santé, plusieurs se demandent comment maintenir un système de santé public de
qualité, sachant que la population vieillissante nécessite davantage de soins
de santé que les jeunes, dans un contexte où le coût des médicaments et des tech-
nologies médicales explose (Godbout et coll., 2007).
Finalement, l’enjeu du développement durable, qui préoccupe de plus en
plus les jeunes et interpelle les gouvernements, pose également la question de

302 parte iii Les inégalités et les différences sociales


l’équité intergénérationnelle. En eet, le principe même de
développement durable implique que l’on se préoccupe des
eets économiques, sociaux et environnementaux qu’auront
sur les générations utures les choix eectués aujourd’hui en
matière de développement (Leebvre, 2001).

La solidarité intergénérationnelle au sein de la famille


Puisque les générations, au sens sociologique du terme, sont déf-
nies à partir de l’année de naissance des individus, il n’est pas
impossible qu’un parent et son enant appartiennent à la même
génération. Par exemple, si le parent est né en 1962, et que son
enant est venu au monde en 1979, tous deux pourraient être
considérés comme des membres de la génération X.
La génération peut aussi être défnie en termes généalo-
giques, plutôt que sociologiques : elle est ainsi déterminée à
partir du lien flial. Une amille peut ainsi comporter quatre gé -
nérations, composées respectivement par les arrière-grands-
parents, les grands-parents, les parents et les enants, quelle
que soit par ailleurs leur année de naissance.
Diérentes ormes de solidarité peuvent se nouer entre ces
générations. Nous avons déjà mentionné que de nombreux
On arle de solidarité intergénérationnelle lorsque
parents soutenaient leurs enants au début de l’âge adulte, en
des liens étroits d’entraide se nouent au sein
leur permettant de demeurer au domicile amilial ou en fnan- d’une amille.
çant leurs études. Ce soutien peut aussi se prolonger dans les
années suivantes, notamment lorsque ces jeunes adultes
deviennent parents à leur tour. De nombreux grands-parents rendent service à
leurs enants en prenant soin de leurs petits-enants sur une base régulière, ou
encore de açon ponctuelle.
Certains adultes peuvent également prendre soin de leurs parents vieillis-
sants. Encore une ois, ce soutien peut se aire de manière ponctuelle, par
exemple, en accompagnant son parent à un rendez-vous médical ou en l’aidant
prohe aidant
à remplir des ormulaires. Certaines personnes vont encore plus loin, en
personne qui accueille chez
accueillant un membre de leur amille chez eux et en lui prodiguant des soins, elle un membre de sa amille
pour lui éviter d’aller vivre dans une maison de retraite ou dans un établisse- vieillissant, malade ou handi-
ment de soins de santé. Ces personnes sont connues sous le nom de « proches caé, afn d’en rendre soin.
aidants ».

Faites Le point

15. Quels acteurs expliquent les difcultés rencontrées par les membres
de la génération X dans le domaine de l’emploi ?
16. Quelles sont les caractéristiques de la génération Y qui bousculent
les açons de aire dans les milieux de travail ?
17. Quels sont les trois enjeux gouvernementaux qui soulèvent la ques-
tion de l’équité intergénérationnelle ?
18. Identifez trois ormes diérentes que peut prendre la solidarité inter-
générationnelle dans une amille.

chaitre 9 La diérenciation sociale ondée sur le sexe et les relations intergénérationnelles 303
Résumé
1. Les êtres humains se divisent biologiquement 3. Plusieurs enjeux actuels interpellent les hommes et
en deux sexes, mais le processus de diérencia- les emmes dans leurs rôles respectis De nou-
tion sociale ait en sorte qu’ils sont aussi caté- velles réalités vécues par les pères et les mères
gorisés à partir de leur sexe social, ou genre La d’aujourd’hui posent la question du partage des
ormation de l’identité sexuelle commence très tâches au sein de la amille Si la violence conjugale
tôt dans l’enance, et conduit l’individu à intério- mineure aecte les hommes et les emmes dans
riser les rôles associés à la éminité et à la des proportions semblables, les actes criminels
masculinité commis en contexte conjugal continuent de aire
des victimes en grande majorité parmi les emmes
2. Plusieurs théories ont cherché à expliquer l’exis- Quant à la question de l’hypersexualisation, et de
tence de diérences et d’inégalités entre les ses eets sur les jeunes garçons et les jeunes
hommes et les emmes Alors que certaines lles, elle ait l’objet d’une vive controverse
théories insistent sur les origines biologiques de
ces diérences, les théories éministes croient 4. Le processus de diérenciation sociale peut égale-
plutôt que ce sont les rapports de domination ment s’opérer entre les générations Les sociolo-
entre hommes et emmes qui créent articielle- gues se sont particulièrement intéressés à trois
ment ces diérences Les théories éministes générations, qui cohabitent actuellement au Québec :
libérale, marxiste et radicale orent diérentes les baby-boomers, la génération X et la génération Y
interprétations quant aux origines de ces inéga-
lités et proposent des solutions variées pour y 5. Les rapports intergénérationnels sont parois
mettre n Quant au éminisme de la troisième marqués par des confits, notamment sur le
vague et à la théorie Queer, ils remettent en marché du travail Ils peuvent également donner
question certaines certitudes du éminisme et lieu à de la solidarité, tant au sein de la amille
invitent celui-ci à être plus inclusi qu’à l’échelle de la société dans son ensemble

Exercez votre regard sociologique


Exercice 1 Exercice 3
Individuellement, nommez dix caractéristiques que vous Dans votre entourage, interrogez un membre de cha-
associez au sexe social masculin et dix caractéristiques cune des générations étudiées (baby-boomers, géné-
que vous associez au sexe social éminin Comparez ration X, génération Y) sur leur parcours proessionnel
ensuite vos réponses à celles de vos collègues et sur leur vision du monde du travail Vériez s’ils
correspondent au portrait type de leur génération pré-
Exercice 2 senté dans ce chapitre

Au Canada, la polygamie, soit le ait pour un homme


d’avoir plusieurs épouses, est interdite Certains pro-
posent touteois de reconnaître ce type d’union, pra-
tiqué dans certains groupes religieux (tels que les
Mormons de Bountiul, en Colombie-Britannique)
Identiez les positions et les arguments qui pour-
raient être déendus par les éministes libérales,
marxistes et radicales dans ce débat

304 parte iii Les inégalités et les différences sociales


Pour aller plus loin
Volume et ouvrge de référence site Web

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Ouvg collcf goun un nsmbl d xs su ls
à l nsfomon ds os socux d sx  u
éos, ls vndcons  ls cons mlns ssocés
dévlomn d l ln uonom ds fmms.
à l osèm vgu fémns. On y ésn nommn l
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Documn gouvnmnl ésnn ds donnés su umn à vs ls âgs  l mond,  slon ls dfféns
ls néglés n ls omms  ls fmms, ns qu scvs ds scncs umns.
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Vson vu du x Qu’est-ce que le féminisme ? Trousse nommn ds lgs émnn ds gds gés.
d’information sur le féminisme québécois des 25 dernières
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années, 1997. Dsonbl n lgn : ://bv.cdcf.c
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pésnon synéqu ds éos fémnss clssqus
Documn bodn ls nouvlls  mulls fcs
 d qulqus éos émgns.
du fémnsm u Québc à vs ls émogngs d qu
juns fmms  d’un jun omm.

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chapitre 9 L dfféncon socl fondé su l sx  ls lons ngénéonnlls 305
Glossaire

A Apartheid C
En Arique du Sud, régime de séparation
Accommodement raisonnable Capitaliste (bourgeoisie)
systématique des « races » reléguant les
(pour moti religieux) Propriétaire d’entreprises et d’autres
Noirs à un statut nettement inérieur à
Adaptation aite à une règle commune celui des Blancs sur les plans politique, moyens de production (machinerie, etc.)
pour permettre à un individu de pratiquer juridique, économique et social. dans la théorie marxiste.
sa religion. Catégorie sociale
Assignation
Action créatrice Ensemble de personnes qui partagent
Composante du processus de diérencia-
Action qui annonce une rupture avec les tion sociale qui consiste à imposer une certaines caractéristiques sociales ou
modèles culturels connus ou établis et qui étiquette à un individu ou à un groupe, certaines conditions de vie.
permet d’inventer de nouvelles valeurs et généralement contre son gré. Champ de rôles
de nouveaux modèles de comportements.
Assimilation Ensemble des rôles sociaux avec lesquels
Adaptation novatrice un individu est en relation à travers un rôle
Abandon, de la part des immigrants,
Adhésion plus ou moins conorme aux donné. Par exemple, en tant qu’étudiant, un
des traits culturels issus de leur pays
modèles de comportements dominants se individu interagit avec son aide pédago-
d’origine, au proft de ceux de leur société
concrétisant par des manières d’être, gique individuel (API), ses proesseurs, ses
d’accueil.
d’agir ou de penser innovatrices qui sont collègues de classes, le bibliothécaire, etc.
acceptables, et parois même valorisées, Association volontaire
Changement social
par la société ou le groupe social. Groupe social organisé autour d’un
Transormation durable et collective des
objecti commun et qui compte sur la
Adaptation sociale modèles sociaux.
libre participation de ses membres.
Résultats conjugués du processus de Classe sociale
socialisation et des mécanismes de Autogestion
1. Au sens large, ensemble de personnes qui
contrôle social rendant l’individu apte à Gestion d’une entreprise par les travailleurs.
partagent une même situation économique,
appartenir à un groupe et, plus largement, Une entreprise autogérée est dirigée par les
et qui, de ce ait, se distinguent des autres
à onctionner en société. personnes qui la ont onctionner.
classes sociales par des caractéristiques et
L’autogestion est donc l’appropriation des des comportements particuliers. 2. Selon
Adaptation sociale pathologique
décisions par ceux qui auront à exécuter et l’approche marxiste, groupe d’individus qui
Résultats conjugués du processus de à mettre en œuvre ces mêmes décisions.
socialisation et des mécanismes de se caractérisent par la place qu’ils occupent
contrôle social rendant l’individu apte à Auto-identifcation dans un mode de production donné. 3. Dans
appartenir à un groupe social illégal et Composante du processus de diérencia- la théorie onctionnaliste, synonyme de
illégitime, ou encore à se conormer de tion sociale qui consiste à revendiquer strate sociale.
manière excessive et néaste. soi-même son appartenance à une Classisme
catégorie sociale. Attitude ou comportement discriminatoire
Agent de changement
B envers une personne ou un groupe de
Individu, groupe ou association qui
personnes en raison de leur classe sociale.
propose ou appuie des actions visant à Bagage culturel
inuencer le cours des événements de Cogestion
açon signifcative. Ensemble des connaissances et caractéris-
Mode de gestion d’une entreprise qui
tiques culturelles assimilées par un individu,
Agent de socialisation demande la participation active des travail-
souvent si intimement qu’elles lui semblent
leurs à la gestion. Les patrons et travailleurs
Individu, groupe ou institution qui, par la naturelles.
prennent ensemble les grandes décisions.
transmission des éléments culturels
Bureaucratie
propres à une collectivité, contribue au Col blanc
processus de socialisation d’un individu. Type d’organisation visant à l’efcacité au
Personne dont l’emploi suppose surtout
moyen d’un onctionnement impersonnel,
Âgisme une activité intellectuelle.
de règles ormelles et écrites, d’une
Attitude ou comportement discriminatoire hiérarchie de onctions et de la spécialisa- Col bleu
envers une personne ou un groupe de tion du travail. Personne dont l’emploi suppose surtout
personnes en raison de leur grand âge. une activité manuelle.
Bureaucratisation
Anomie Tendance générale d’une société à Communalisation
État d’une société caractérisée par une adopter pour ses institutions le modèle Concept développé par Max Weber pour
désintégration de ses règles. bureaucratique. désigner le processus par lequel se crée
une communauté lorsque les rapports Croyance Déterminisme social
reposent sur des ondements aectis, Doctrine ou ait considéré comme vraisem- Perspective selon laquelle les structures
émotionnels ou traditionnels. blable ou possible indépendamment des sociales exercent une inuence cruciale
Communauté culturelle connaissances issues de la démarche sur la vie des individus.
scientifque.
1. Expression utilisée par le gouvernement Déviance
du Québec pour désigner les diérents Culture Ensemble des manières d’être, d’agir et
groupes ethniques du Québec. 2. Concept Ensemble des productions créées et des de penser jugées nuisibles, répréhensibles
sociologique désignant un groupe ethnique comportements, normes et valeurs appris et inacceptables par un groupe ou une
constitué sous la orme d’une communauté et transmis par la société. société au regard d’une défnition de
organisée afn de préserver sa culture et la normalité.
Culture collective
d’orir un soutien à ses membres.
Ensemble des éléments auxquels se réère Diérenciation sociale
Confit social l’individu et qui lui permettent de s’identifer à Processus qui établit, pour une personne
Approche macrosociologique selon laquelle une société donnée ou à une partie de celle-ci. ou un groupe donné, sa position dans
la société est un système caractérisé par l’échelle sociale, selon une hiérarchie de
Culture de masse
les tensions sociales, notamment pour valeurs propre à cette société ou à ce
l’appropriation du pouvoir ou de la richesse. Culture propre aux sociétés contempo-
raines, produite en série et diusée par les groupe social.
Conormité médias de masse. Elle s’adresse à tout le Discrimination
Adhésion spontanée ou rééchie à monde, sans distinction liée à l’apparte- Acte individuel ou collecti commis contre
des manières d’être, d’agir ou de penser nance proessionnelle ou sociale. une personne ou un groupe, qui constitue
provenant d’une pression exercée par un un traitement diérencié et préjudiciable,
Culture d’entreprise
groupe ou la société. et qui entraîne une perte de droits.
Ensemble des éléments culturels (règles,
Connaissance empirique normes, valeurs, code, langage, pratiques, Dynamique de groupe
Connaissance qui s’appuie sur l’expérience etc.) propres à un milieu de travail Ensemble de rapports, à l’intérieur d’un
et l’observation. (entreprise, institution, organisme, etc.). groupe restreint, dont les règles de onc-
Contre-culture Culture élitiste tionnement déterminent le comportement
Ensemble de valeurs et de normes véhicu- Culture classique réservée aux individus des individus les uns par rapport aux autres.
lées par des groupes qui s’opposent à celles qui possèdent un haut niveau d’éducation, Dysonction sociale
de la culture dominante ou la rejettent. de l’argent et du temps, et communément Conséquence indésirable de l’organisation
considérée comme supérieure à la culture sociale qui peut dérégler un système social
Contrôle social
de masse et à la culture populaire. et en ébranler la stabilité.
Ensemble des pratiques sociales individuelles
ou collectives visant à normaliser les Culture individuelle E
manières d’être, d’agir et de penser des Sous-ensemble des éléments de la culture
individus en regard de ce qui est considéré ambiante assimilés par un individu et qui École
comme « normal ». acilitent son intégration sociale. Institution permettant la transmission du
Coutume Culture populaire savoir et de la culture d’un groupe ou
d’une société aux générations suivantes.
Norme et règle de la vie quotidienne dont Culture partagée par une grande partie
la transgression n’est pas sanctionnée de la population et considérée comme Élites
sévèrement. accessible à tous. Personnes qui, en raison du pouvoir
Criminalité Culture première qu’elles détiennent ou de l’inuence
qu’elles exercent, inuencent une collecti-
Forme extrême de la déviance, caracté- Culture ondamentale acquise au cours de
vité sur divers plans (intellectuel, idéolo-
risée par la transgression des lois la petite enance dans le cadre de la
gique, économique, politique, etc.), soit par
constituant le Code criminel. socialisation primaire et de la vie amiliale
les décisions qu’elles prennent, soit par les
Criminalité apparente (mœurs amiliales, habitudes de vie,
idées, les sentiments ou les émotions
valeurs, croyances, etc.).
Ensemble des inractions signalées aux qu’elles expriment ou symbolisent.
autorités policières, mais non sanction- Culture seconde
État
nées par les tribunaux. Ensemble des apprentissages acquis à
l’école (savoirs, connaissances générales, Ensemble d’institutions politiques,
Criminalité légale juridiques et administratives propres à une
lettres, arts, sciences, etc.).
Ensemble des inractions commises en collectivité associée à un territoire donné.
vertu du Code criminel et des autres lois et D
État-providence
légalement sanctionnées.
Dérogation subtile Forme d’État qui, dans le but d’assurer de
Criminalité réelle Violation d’une règle ou d’une convention meilleures conditions de vie à la popula-
Ensemble des inractions commises au sein qui, bien que réelle, est considérée, par tion, assume un large éventail de onctions
d’une population dans une période donnée. politesse, comme passant inaperçue. sociales plutôt que de se limiter aux

Glossaire 307
onctions de base de l’État, soit l’ordre et Féminisme radical même catégorie sociale, etc.) comme le
la sécurité. Courant éministe qui considère que sont le plus souvent les amis.
Ethnicisme les inégalités entre hommes et emmes Groupe de référence
s’expliquent par le système patriarcal.
Attitude ou comportement discriminatoire Collectivité (réelle ou imaginaire) qui sert à
envers une personne ou un groupe de Fonction de communication l’individu de guide ou de modèle pour orienter
personnes en raison de leur ethnicité. Fonction d’un symbole qui vise la ses opinions, ses attitudes et ses actions.
Ethnocentrisme transmission d’un message lié à une Groupe ethnique
réalité connue. Selon Max Weber, ensemble de personnes
Attitude qui consiste à juger les autres
cultures au moyen des normes et des Fonction de participation qui partagent une croyance subjective en
valeurs qui imprègnent sa propre culture. Fonction d’un symbole qui suscite une des ancêtres communs, réels ou supposés.
L’ethnocentrisme s’oppose au réaction émotive chez un individu en Groupe formel
relativisme culturel. regard de valeurs auxquelles il adhère. Groupe social, permanent ou temporaire,
Exclusion sociale Fonction latente œuvrant au sein d’une organisation
Processus par lequel un individu se voit Eet qui est en grande partie non structurée en onction de tâches ou de
privé de certains droits ou privilèges dans recherché par les membres de la société. problèmes précis.
la société. Groupe informel
Fonction manifeste
F Eet recherché par les membres de la société. Groupe social non structuré qui se orme
sur la base d’amitiés ou d’afnités en
Fait social Fonction sociale regard d’activités diverses : activités
Tout ce qui a trait à la vie des humains, Eet que provoquent les diérentes sportives, de détente, de passions
du plus organisé au plus éphémère. Selon institutions sociales sur le onctionnement communes, etc.
Durkheim, les aits sociaux peuvent être de la société.
analysés en utilisant la même démarche Groupe primaire
que celle des sciences de la nature. Fonctionnalisme Petit groupe d’individus sans objectis
Approche macrosociologique qui voit la précis dont les membres entretiennent des
Famille société comme un système composé de relations interpersonnelles intimes.
Unité de vie comprenant au moins deux parties ortement liées entre elles et
personnes partageant un lien (de consan- Groupe racisé
relativement stables, qui ont chacune
guinité, d’alliance ou d’adoption) et vivant un rôle à jouer pour assurer le onctionne- Groupe socialement perçu comme ormant
sous le même toit. ment de l’ensemble de la société. une « race » et stigmatisé en raison de
caractéristiques physiques communes, le
Famille de rôles G plus souvent la couleur de la peau.
Ensemble des rôles sociaux diérents
qu’une personne peut remplir à un Génération Groupe restreint
moment défni. Par exemple, un individu Ensemble des personnes nées au cours Groupe social comptant peu d’individus,
peut être à la ois étudiant, rère, fls, d’une même période et qui, de ce ait, ont soit environ 15 à 20 personnes.
homme, etc. traversé les mêmes époques au même âge.
Groupe secondaire
Féminisme Génocide (ou ethnocide) Groupe social organisé, généralement de
1. Ensemble de théories visant à expliquer Anéantissement ou tentative d’anéantisse- grande taille et visant des objectis précis,
et à dénoncer les inégalités entre hommes ment d’un groupe ethnique ou d’un groupe réunissant des personnes qui n’entretiennent
et emmes, en mettant l’accent sur les humain. pas de relations personnelles intimes.
rapports de pouvoir. 2. Mouvement social Grand groupe Groupe social
visant à transormer ces rapports de Groupe social rassemblant un nombre Ensemble de personnes qui partagent des
pouvoir afn d’atteindre l’égalité entre important d’individus, quelques milliers champs d’intérêt ainsi que des buts
hommes et emmes. ou centaines de milliers. communs et qui interagissent dans le cadre
Féminisme libéral d’une organisation, envers laquelle elles
Groupe d’appartenance
Courant éministe inspiré de la théorie du développent un sentiment d’appartenance.
Groupe qui propose à l’individu un lien
libéralisme, qui considère que les inégalités ormel et direct. H
entre hommes et emmes s’expliquent par
l’inégalité des droits et la socialisation Groupe d’intérêts Habitus
diérenciée. Groupe social qui vise à la déense Schème de perception, de pensée et
d’intérêts particuliers. Ces intérêts peuvent d’action intériorisé par l’individu et partagé
Féminisme marxiste
être d’ordre public ou privé. par un même groupe social.
Courant éministe inspiré du marxisme, qui
considère que les inégalités entre hommes Groupe de pairs Hétéronormativité
et emmes s’expliquent par le système Ensemble de personnes issues de groupes Système social qui pose l’hétérosexualité
capitaliste. sociaux homogènes (même groupe d’âge, comme norme.

308 Glossaire
Hétérosexisme Inadaptation sociale respect de la diversité et la cohésion
Afrmation de la primauté de l’hétérosexua- Lacune ou absence d’intégration au milieu sociale.
lité par rapport aux autres orientations de vie rendant l’individu inapte à appartenir Interdépendance
sexuelles. à un groupe social ou à se conormer aux
Conception de la société qui met l’accent
normes sociales permettant de onctionner sur le lien social et sur l’interdépendance
Homogamie sociale
en société. entre les individus et la société.
Règle qui détermine l’union de deux personnes
à partir de ressemblances sociales. Individualisme méthodologique J
Courant théorique qui conçoit la société
Homophobie Jeunisme
comme le produit de l’interaction d’indi-
Au sens strict, peur des homosexuels ou vidus autonomes. Survalorisation de la jeunesse dans une
dédain à leur égard. Au sens plus large, société.
hostilité envers les minorités sexuelles. Individualisme négatif
Aranchissement des membres d’un K
Hypersexualisation
groupe sur le plan de normes et de valeurs
Concept utilisé pour décrire la place Keynésianisme
collectives, aisant primer les besoins et
croissante occupée par la sexualité dans désirs individuels sur ceux de la Approche économique élaborée par John
l’espace public, et en particulier dans collectivité. Maynard Keynes qui établit la nécessité de
l’espace médiatique, ainsi que dans la vie l’intervention de l’État dans le domaine
des jeunes. Innovation culturelle économique.
I
Introduction de nouveaux comportements,
L
modes de vie ou valeurs au sein d’une
Identité culturelle culture. Leader charismatique
Ensemble des éléments de la culture par Institution Dirigeant d’un groupe de personnes (ou
lesquels un individu (ou un groupe) se d’une société) principalement caractérisé
Système de conduites sociales et manières
défnit, se manieste et souhaite être par son pouvoir d’inuencer et de
de aire très stables, articulées autour des
reconnu en regard d’une appartenance convaincre les autres grâce à ses qualités
besoins ondamentaux de la société.
commune, liée à son mode de vie et à sa et à sa personnalité.
vision du monde. Institution fermée
Légalité
Institution qui constitue un environnement
Identité individuelle Reconnaissance, par un groupe ou une
social totalement contrôlé et qui régit tous
Représentation de soi ondée sur un société, de comportements d’individus,
les aspects de la vie des individus sous son
ensemble de caractéristiques subjectives d’organisations ou d’institutions qui
autorité.
(qualités, déauts, traits de personnalité, agissent conormément aux lois.
etc.) perçues par un individu au sujet de Institution totalitaire
Légitimité
lui-même et sur lesquelles se onde son Organisation qui vise la resocialisation
Reconnaissance sociale de comporte-
sentiment d’unicité. radicale de l’individu en regard d’une
ments en onction des valeurs qu’ils
idéologie véhiculée la plupart du temps par
Identité sexuelle (de genre) représentent ou de l’appui moral qu’ils
un leader charismatique.
Perception de soi construite à partir des obtiennent de la majorité de la population.
conceptions de la masculinité et de la Intégration
Lien social
éminité associées aux rôles d’homme et Processus au cours duquel les immigrants
Type de relations qui s’établit entre des
de emme dans une culture donnée. s’approprient progressivement la culture
individus, des groupes ou diérents
ainsi que les manières d’être, d’agir et de
Identité sociale éléments d’une société.
penser de leur société d’accueil.
Représentation de soi ondée sur un M
ensemble de caractéristiques sociales Intégration sociale
objectives (âge, sexe, proession, etc.) Interdépendance des membres d’une Macrosociologie
propres à un individu et qui permettent de société et des groupes sociaux qui Étude des phénomènes qui se produisent
l’identifer à un groupe (jeunes, emmes, entraînent la cohésion de cette dernière. à grande échelle dans une ou plusieurs
étudiants, etc.). sociétés ou civilisations.
Interactionnisme
Idéologie Approche microsociologique permettant Marginalité
Système cohérent d’idées et de jugements de comprendre les multiples ormes de État dans lequel se trouvent des individus,
servant à interpréter les situations sociales rapports entre les individus. groupés ou non, qui onctionnent en
et à créer une mobilisation en vue d’une dehors des normes ou des valeurs
Interculturalisme
action collective. reconnues par un groupe ou une société.
Modèle de gestion de la diversité culturelle
Immigrant économique adopté par le gouvernement du Québec en Matérialisme historique
Immigrant sélectionné en raison de sa réaction au multiculturalisme canadien et Conception selon laquelle les phénomènes
contribution potentielle à l’économie du qui permet, selon ses déenseurs, d’at- sociaux proviennent du lien matériel entre
Québec. teindre un meilleur équilibre entre le l’homme et la nature.

Glossaire 309
Mécanisme de contrôle social d’une position supérieure à une position individus conormément aux valeurs de la
Moyen mis en œuvre pour uniormiser les inérieure. société.
manières d’être, d’agir et de penser des Mobilité intergénérationnelle Norme formelle
individus en regard de ce qui est considéré
Changement de position d’un individu dans Norme écrite consignée dans un texte de loi
comme normal.
un système de stratifcation sociale, mesuré ou dans un règlement et dont la transgression
Mécanisme de contrôle social formel par l’écart entre sa catégorie socioproes- entraîne des sanctions elles aussi écrites.
Moyen direct et explicite (loi, règle) pour sionnelle et celle de ses parents. Norme informelle
contraindre un individu à se conormer aux Mobilité intragénérationnelle Norme en général non écrite, qui ne ait
manières d’être, d’agir et de penser
Changement de position d’un individu l’objet d’aucune réglementation ou sanction
considérées comme normales.
dans un système de stratifcation sociale, écrite.
Mécanisme de contrôle social informel mesuré par l’écart entre sa catégorie O
Moyen indirect, presque inconscient, de socioproessionnelle en début et en fn de
aire pression sur un individu afn qu’il carrière. Organisation coercitive
conorme ses manières d’être, d’agir et de Organisation bureaucratique qui, le plus
Mobilité sociale
penser en regard de ce qui est considéré souvent, a le pouvoir d’exclure l’individu de
comme normal. Changement de position des individus la société et de veiller à réorganiser sa vie
dans un système de stratifcation sociale. sociale soit par le conditionnement
Mécanisme de socialisation
Mode de production psychologique (obéissance), soit par le
Moyen par lequel l’individu intériorise les
Ensemble des activités visant à produire conditionnement physique (soumission par
manières d’être, d’agir et de penser
ou à échanger des biens et des services la mise en orme), le plus souvent les deux
propres à la société dans laquelle il vit.
dans un système économique donné. à la ois.
Médias
Modèle culturel Organisation hiérarchique
Ensemble des moyens technologiques de
Ensemble des normes sociales dominantes Ensemble d’individus regroupés au sein
communication de masse.
qui guident les actions des individus, d’une structure régulée dont le but est de
Microsociologie
incarnées par des personnalités charisma- répondre à des besoins et d’atteindre des
Étude des petits groupes qui peut se aire tiques qui servent d’exemple. objectis grâce à un système de communi-
par l’intermédiaire d’études expérimentales cation et d’inormation efcace.
en laboratoire. Mœurs
Organisation non hiérarchique
Minorité numérique Normes et règles que les membres d’une
Ensemble d’individus regroupés au sein
société jugent hautement souhaitables.
Groupe qui constitue moins de 50 % d’une d’une organisation dont la structure est
population. Mouvement social souple et avorise la participation des
Minorité sociologique Ensemble organisé de groupes, de individus au onctionnement de celle-ci et
personnes et d’institutions qui vise la aux décisions qui y sont prises.
Groupe qui, en raison des traits physiques
ou culturels de ses membres, se distingue promotion de cer taines causes sociales Organisation utilitaire
du groupe dominant de sa société et se (l’égalité, la démocratie, les droits civiques, Organisation bureaucratique rassemblant
retrouve dans une position d’inériorité sur etc.) et propose des stratégies à court des membres qui y participent en vue d’en
divers plans, dont celui du pouvoir. terme et à long terme dans le but de tirer un certain proft. L’organisation utilitaire
provoquer un changement social. est toujours liée à une relation rationnelle
Minorité visible
Multiculturalisme d’échange entre les membres et
Expression utilisée par le gouvernement
l’organisation.
du Canada dans le cadre de la Loi sur Modèle de gestion de la diversité conçu par
l’équité en matière d’emploi pour désigner le gouvernement du Canada, qui repose sur Orientation sexuelle
un groupe victime de discrimination en l’égalité culturelle et politique de tous les Caractéristique d’un individu défnie en onction
raison de traits physiques tels que la groupes ethniques. du sexe des personnes pour lesquelles il
couleur de leur peau. N ressent du désir (personnes du même sexe,
Misogynie de l’autre sexe ou des deux sexes).
Normalité
Haine ou mépris à l’égard des emmes. P
Ensemble des manières d’être, d’agir et de
Mobilité ascendante penser conormes aux normes ormelles et Patriarcat
Changement de position des individus dans inormelles qui prévalent dans un groupe ou Système généralisé de domination
un système de stratifcation sociale, allant une société. Ce qui est légal et légitime au masculine, qui se manieste dans toutes
d’une position inérieure à une position sein d’une société est d’emblée reconnu les sphères de la vie publique et privée.
supérieure. comme normal.
Pauvreté absolue
Mobilité descendante Norme Situation vécue par un individu qui ne
Changement de position des individus dans Règle de conduite ou modèle de comporte- dispose pas du revenu nécessaire pour
un système de stratifcation sociale, allant ment qui sert de guide ou de standard aux subvenir à ses besoins de base.

310 Glossaire
Pauvreté relative raisonnable, sur une personne en raison à une autre ainsi que l’accès au nouveau
Situation vécue par un individu dont le de la couleur de sa peau ou de son statut qui en découle.
revenu est nettement inérieur au revenu appartenance ethnique, nationale ou
Rôle sexuel
moyen ou médian de la société dans religieuse, réelle ou présumée.
Ensemble de comportements, d’attitudes et
laquelle il vit. Prolétariat d’activités attribués respectivement aux
Période de transition Classe ouvrière, travailleurs dans la emmes et aux hommes dans une culture
Intervalle de temps séparant certaines société industrielle capitaliste. donnée.
étapes de la socialisation et pendant lequel R Rôle social
se réalise souvent un bilan de vie caracté-
risé par une proonde remise en question et Racisme Ensemble des comportements attendus
menant à des changements signifcatis Idéologie selon laquelle les êtres humains d’un individu en onction de sa place dans
dans la vie d’une personne. se divisent en races, dont certaines seraient un groupe ou dans la société.

Perspective ondamentalement supérieures à d’autres. S


Point de vue permettant d’envisager un Rapports de production Sanction
phénomène sous un certain angle. Relations que les êtres humains entre- Punition (sanction négative) ou récompense
Perspective sociologique tiennent entre eux par le travail. (sanction positive) relative au respect ou au
Point de vue permettant d’envisager la Réugié non-respect des normes ormelles ou
réalité humaine sous l’angle social. Immigrant qui risque d’être persécuté s’il inormelles d’une société.
Phénomène social retourne dans son pays d’origine. Science
Fait, situation ou événement observable Regroupement amilial Ensemble cohérent de connaissances
résultant d’une action collective. Catégorie qui correspond aux immigrants ondées sur l’observation de la réalité et
qui sont parrainés par un membre de leur sur le respect de la méthode scientifque.
Pluralisme
amille déjà établi au pays. Science compréhensive
Conception de la vie en société qui
valorise la diversité culturelle et encourage Relativisme culturel Science qui cherche à comprendre la
son expression publique. Attitude qui consiste à chercher à rationalité et le sens des actions
comprendre la culture de l’autre de humaines.
Positivisme
l’intérieur plutôt qu’à partir des normes et Sciences humaines
Application en sciences sociales de des règles de sa propre culture. Le
méthodes jusque-là adoptées par les Étude scientifque des diérents aspects
relativisme culturel s’oppose à
sciences positives, qui ont de l’ethnocentrisme. de la réalité humaine et sociale.
l’expérimentation.
Représentation sociale Sciences sociales
Préjugé Disciplines scientifques centrées sur l’étude
Perception socialement acquise, partagée
Idée préconçue qui concerne des groupes des sociétés ou de certaines de leurs
par un grand nombre de personnes.
sociaux et qui inue sur les attitudes et les composantes.
comportements des personnes qui la Reproduction sociale
partagent. Secte
Ensemble des mécanismes qui avorisent
le maintien et l’avenir des institutions, des Groupe totalitaire qui se sépare de la
Pression sociale société et s’y oppose souvent, et qui est
groupes sociaux ou des classes sociales.
Inuence exercée par la société sur l’individu. soumis à l’obéissance stricte à un leader
Problème social Réseau social charismatique et à des lois diverses pour
Ensemble inormel d’individus ou de assurer le salut individuel de ses
Situation reconnue comme ne répondant
groupes qui interagissent et partagent des membres.
pas aux valeurs ou attentes sociales, sur
ressources avec d’autres individus ou
laquelle on souhaite agir et dont les Sexe biologique
groupes dans le cadre d’une situation
causes sont largement attribuées à la Distinction entre le éminin et le masculin,
donnée.
société. établie sur la base de caractéristiques
Resocialisation physiques, génétiques ou hormonales.
Proche aidant
Processus de socialisation intensive et de
Personne qui accueille chez elle un Sexe social (ou genre)
durée limitée par lequel un individu, un
membre de sa amille vieillissant, malade
groupe ou une collectivité abandonne un Distinction entre le éminin et le masculin,
ou handicapé, afn d’en prendre soin.
modèle de comportement pour en adopter établie sur la base des manières d’être,
Production un nouveau, en raison de changements d’agir ou de penser.
Création de biens et de services. importants dans sa vie. Sexisme
Proflage racial Rite de passage Attitude ou comportement discriminatoire
Application de la part de représentants de Cérémonie ou ête servant à marquer une envers une personne ou un groupe de
l’autorité d’une mesure, sans moti transition importante d’une étape de la vie personnes en raison de leur sexe.

Glossaire 311
Socialisation Statut socioéconomique économiques, encadré par les lois et
Processus par lequel l’individu intègre à sa Échelle sociale basée sur le revenu, les pouvoirs publics, qui détermine la
personnalité les manières d’être, d’agir et l’occupation et l’instruction. dynamique interne d’une société sur
de penser propres à la culture dont il ait un territoire donné.
Stéréotype
partie. T
Représentation caricaturale, partagée
Socialisation mutuelle collectivement, d’un groupe social donné. Tabou
Processus par lequel les individus
Stigmate Interdit à caractère religieux, moral ou
socialisés sont en même temps des
Caractéristique d’un individu, comme son social qui ait l’objet d’un respect incondi-
vecteurs de socialisation pour les autres.
apparence, son sexe, son groupe ethnique tionnel et collecti. Le tabou peut porter sur
Socialisation négative ou sa classe sociale, qui jette le discrédit un être, un objet ou un acte considéré
Acquisition de manières d’être, d’agir ou de sur lui. comme sacré ou impur.
penser qui, quoique valorisées par certains Théorie
Stigmatisation
groupes ou instances, enreignent certaines
normes ou valeurs plus largement légitimées Processus d’étiquetage entraînant le Ensemble cohérent d’énoncés qui tentent
par la société. discrédit sur une personne ou un groupe, d’expliquer des aits, des comportements
l’empêchant d’être pleinement accepté par et des problèmes humains.
Socialisation primaire la société.
Théorie queer
Socialisation intensive qui a lieu dans
Strate sociale Théorie caractérisée par le reus de
l’enance et l’adolescence et qui marque
généralement l’individu pour le reste de Selon l’approche onctionnaliste, ensemble l’hétéronormativité, ainsi que par la
sa vie. de personnes qui partagent une même remise en question de la bicatégorisa-
position dans un ordre hiérarchique établi tion de l’humanité en deux sexes
Socialisation secondaire en onction de critères tels que le statut (hommes et emmes) et en deux
Socialisation, parois subtile, qui se socioéconomique ou la catégorie orientations sexuelles (hétérosexualité
poursuit de l’adolescence jusqu’à la fn de socioproessionnelle. et homosexualité).
la vie et qui permet à l’individu de
Stratifcation sociale Type idéal
s’adapter aux diérents contextes et
milieux sociaux. Selon l’approche onctionnaliste, pro- Représentation de la réalité construite à
cessus par lequel des catégories d’indi- partir de ses traits typiques qui, en créant
Société vidus dans une société sont placées à un un modèle abstrait, permet de mieux com -
Ensemble d’individus, de groupes et moment donné dans un ordre prendre le phénomène étudié.
d’institutions interdépendants, générale- hiérarchique.
V
ment situé sur un territoire donné.
Surconormité
Sociologie Comportement de l’individu qui, placé Valeur
Étude systématique des comportements devant une autorité suprême ou devant la Conception collective défnissant ce
sociaux et des groupes humains. pression réelle ou imaginée d’un groupe, qui est idéal, désirable ou estimable
est conduit à une soumission totale. en ce qui a trait aux manières d’être,
Solidarité mécanique d’agir et de ressentir au sein d’une
Solidarité caractéristique des sociétés les Symbole société.
plus simples qui naît de la ressemblance Représentation fgurée d’une chose, au
entre les individus. moyen de gestes, d’objets ou de paroles, Variance
en vertu d’une correspondance analo- Adhésion plus ou moins conorme aux
Solidarité organique modèles de comportements dominants
gique : une chose qui tient la place d’une
Solidarité qui naît de la collaboration autre chose. se concrétisant par des manières d’être,
des individus, qui occupent chacun une d’agir ou de penser tolérées, mais non
onction spécialisée dans un plus grand Système de castes
valorisées, par la société ou le groupe
ensemble, comme dans les sociétés Système de catégories sociales hiérar- social.
industrielles, où règne la division chiques dont les critères d’appartenance
du travail. s’appuient surtout sur la naissance et la X
pureté religieuse, et qui ne permet aucune Xénophobie
Sous-culture
mobilité sociale.
Modèle culturel distincti (valeurs, normes Au sens strict, peur des étrangers. Au sens
pratiques sociales) véhiculé par une partie Système social large, attitude de rejet ou de répulsion à
de la société. Ce modèle peut être Ensemble stable et cohési d’institutions l’égard des personnes issues de
valorisé, accepté ou toléré par la société. et de principes moraux, politiques et l’immigration.

312 Glossaire
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324 Bibliographie
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J.P. Laont / Sygma / Corbis • p. 150 : © Getty Images • p. 152 : Thinkstock.
Index

A Association volontaire, 150-152 au Québec, 222-223


Attentes sociales, 19-20 dominante, 53, 231, voir aussi Élite(s)
Accommodement, 242
Autochtones, 192-193, 253-254, voir aussi et la poursuite d’études supérieures, 233-234
raisonnable, 267-268
Minorité visible et la santé, 234-235
Action
Autogestion, 154-155 inuence sur l’individu des, 233-236
créatrice, 72
Auto-identication, 244 moyenne, 212-213
mimétique, 71
Autonomie, 93-94, 99 ouvrière, voir Prolétariat
répétitive, 71
Autorité, soumission à l’, 109, 185 théorie onctionnaliste des, 224-226, 227,
sociale, 71
228, 233
Adaptation Avortement, 17, 174, 191, 287
théorie marxiste des, 38, 46-47, 55,
au changement, 73 B 221-224, 226, 227, 228, 231, 233
novatrice, 183, 184, voir aussi vote de, 236
Adaptation sociale Bagage culturel, 71
Berger, Peter, 103, 135 Classisme, 246
sociale, 180-183, 199, voir aussi
Adaptation novatrice ; Conormité ; Variance Berk, Bernard, 113 Cogestion, 154
sociale pathologique, 184-193, voir Besoin social, 174 Cohésion sociale, 98, 104, 105, 171, 180, 227
aussi Déviance ; Surconormité Bible Belt, 15 Col
Adolescence, 102, 103-104, 106 blanc, 53, 213, 223
Bilge, Sirma, 259
Âge, 248 bleu, 213, 223
Blau, Peter, 147
adulte, 105, 106, 121 Communalisation, 256
Bodyart, 105
de la maturité, 105-106 Communauté culturelle, 93, 251-252
Bourdieu, Pierre, 71-72, 86, 98-99, 161,
quatrième, 106 191, 210, 231, 233, 236 Communication à double étage, théorie
troisième, 106 de la, 137
Bourgeoisie, voir Capitalistes
Agent Compétence, 146
Brien-Dandurand, Renée, 161
de changement, 25-26, 43, 44 Comte, Auguste, 5, 36-37, 39, 40, 45
Brownmiller, Susan, 55
de socialisation, 116-129 Conditionnement social, 98, 99, 119, 201
Bureaucratie, 144-148, 179
Âgisme, 248, 298 Confit
efcacité de la, 146-147
Agression d’enants, voir Maltraitance d’enants de travail, 223, 224, 237
Bureaucratisation, 146-147
Alcoolisme, 106, 189, 190, 202 intergénérationnel, 230, 301-303
Analyse sociologique, 24, 35 C social, 47, voir aussi Théorie du conit
des mouvements sociaux, 156-157 Capital social
Anomie, 9, 10, 187, voir aussi Norme culturel, 98-99, 210, 231, 233 Conormisme, 136
Anorexie, 185-186 économique, 98-99, 210, 231 Conormité, 181-182, 183, 184, 187, 188,
Anthropologie culturelle, 11, 12, 48 social, 98-99, 161, 210, 231 194, 200, voir aussi Adaptation sociale ;
Capitalisme, 34, 37, 38, 41, 46, 221-222, 237 Déviance ; Norme
Apartheid, 173, 251
Capitaliste(s), 33, 38, 221-222, 223 Conjugalité, voir Modèle conjugal
Appartenance
culturelle, 74-76, voir aussi Identité Caste(s), voir Système de castes Connaissance empirique, 42
culturelle Catégorie(s) sociale(s), 102 Considération sociale, 224, 225
ethnique, 248, 255-257, voir aussi Champ de rôles, 112 Contexte social, 175-176, 177
Identité ethnique Changement Contraception, 17, 191
sociale, 9 agent de, 25-26, 43, 44 Contradiction, principe de, 38
Approche culturel, 72-73, 74 Contre-culture, 67, 137
de l’interdépendance, voir Interdépendance social, 17-18, 47, 174-175, 222 Contrôle social, 171
du conit social, voir Théorie du conit social Chargé d’études, 216 ondements du, 171-180
éministe, voir Féminisme ormel, 178-179, voir aussi Mécanismes
Chercheur en sciences sociales, 215
onctionnaliste, voir Fonctionnalisme de contrôle social ormel
Choix, 106-107
interactionniste, voir Interactionnisme inormel, 179, voir aussi Mécanismes de
d’un conjoint, 7, 51
marxiste, voir Marxisme contrôle social inormel
de poursuivre des études supérieures,
Armée, 108, 137, 138, 140, 144, 149 233-234 mécanismes de, 177, 178-179, 180, 181, 194
Aron, Raymond, 8 électoral, 235-236 modalités du, 176-179
Asch, Solomon E., 136, 170, 171, 181 Chômage, 208, 214, 230 Cooley, Charles Horton, 49, 110-111, 112, 116
Assignation, 244 Clan, 135 Coutume(s), 80
Assimilation, 267-269 Classe(s) sociale(s), 208, 209, 245-246, Crime, voir Criminalité
Assimilationnisme, 268-269 voir aussi Rang social Criminalisation, 174
Criminalité, 184, 195, 193-198, ethnique, 250-254 Falconnet, Georges, 55
voir aussi Déviance mécanisme de, 249 Famille, 18, 97, 99, 104, 116-118, 120, 125,
apparente, 195 processus de, 243-249 126, 178
au Québec, 197-198 Dion, Léon, 150-151 de rôles, 112
légale, 195 Discrimination, 242, 258-260 Féminisme, 53, 55, 191, 277
réelle, 195 ondée sur le genre, voir Sexisme libéral, 284-285
théories de la, 196 Diversité, modèles gouvernementaux de marxiste, 285
types de, 195, 197 gestion de la, 267-271 radical, 285-286
Criminologie, 12-13 Divorce, 17-18 Fonction
Crise Dominations, typologie des, 143 de communication, 83
de la quarantaine, 107 Doré, Michel, 237 de participation, 83
sociale, 187 latente, 49, 52
Drogue, 174, 190-191, 197
Croyance(s), 83-84, 128 manifeste, 48, 52
Dumont, Fernand, 43, 44
Crozier, Michel, 144, 146, 147-148 publique, 145
Dunbar, Robin, 164
Cuche, Denys, 93 sociale, 48, 104
Durkheim, Émile, 9, 10, 13, 18, 19, 24, 36, 39-42,
Culture, 63, 138 45, 46, 48, 69-71, 75, 86, 97, 104, 187 Fonctionnalisme, 39, 48-49, 52, 53, 82,
apprentissage de la, 74 97-98, 104, 156, 176, 196, 224-228, 233
Dynamique
aspect contraignant de la, 71 Fortin, Gérald, 43, 44
de groupe, 136
caractéristiques de la, 68-76 sociale, 17-18 Freitag, Michel, 24, 44
collective, 64 Friedberg, Erhard, 141-148
Dysfonction sociale, 49, 52
contre-culture, 67, 138-139
E G
d’entreprise, 121
de masse, 65 Échelle sociale, 225, 228, 231, voir aussi Gagnon, Alain-G., 271
dominante, 67 Mobilité sociale ; Rêve américain Gandhi, Mohandas, 172
élitiste, 65, 210 École, 8, 47, 97, 98, 117, 118-120, 150, 231 Gang de rue, 14, 139
individuelle, 64 de Montréal, 44 Génération(s), 294
matérielle, 86 de pensée, voir Théorie(s) diérences entre les, 294-299
parallèle, voir Contre-culture rançaise de sociologie, 39 Génétique, voir Hérédité
populaire, 65 Église, voir Religion catholique, 144 Génocide, 261-262
première, 64 Élias, Norbert, 19, 54 Genre, voir Sexe social
savante, voir Culture élitiste Élite(s), 53, 54, 176, voir aussi Classe Gérin, Léon, 44
seconde, 64, 118 dominante
sous-culture, 65-68, 105, 137-138, Gerlach, Peter, 161
économique, 212, 220
194, 196 Gianini Bellotti, Élena, 55
internationale, 210, 223
Gini, coefcient de, 215, 217, 219
D Enance, 103
Goman, Erving, 49, 50, 110, 112-113, 200
Dagenais, Daniel, 9 Engels, Friedrich, 37, 38
Grand’Maison, Jacques, 43
Darbel, Alain, 236 Enquête sociologique, 21-24, 34, 42
Granovetter, Mark, 159
Déclassement, voir Mobilité sociale basée sur des données secondaires, 24
Groult, Benoîte, 280
descendante Entreprise, délocalisation d’, 223-224
Groupe, 14
Déense culturelle, 259 Environnement social, 95, 96, 97, 127, 128
appartenance à un, 93-94, 104, 105,
Défcience, voir Handicap Espace social, 98-99
137, 178, 181
Démocratie, 34, 237 État, 76, 117, 125-127, 145, 216, 237 d’amis, 104, 120
Dépersonnalisation, voir Impersonnalisation -providence, 125, 126, 156, 237 d’appartenance, 140
Dérogation subtile, 113 Ethnicisme, 260 d’intérêts, 140
Descarries, Francine, 55 Ethnicité, voir Identité ethnique de pairs, 118, 120-121
Désobéissance civile, 172 Ethnocentrisme, 257-258 de référence, 104, 140, 233
Déterminisme social, 19, 18-20, 45, 50, Ethnocide, voir Génocide dominant, 98, 191
52, 53, 54, 97-98, 119, 196, 233 Ethnologie, voir Anthropologie culturelle dynamique de, 136
Déviance, 183, 186-193, 194, 195, 199, Étude sociologique, voir Enquête sociologique ethnique, 93, 251-252
voir aussi Adaptation sociale patholo- Etzioni, Amitai, 150 formel, 141
gique ; Conormité ; Criminalité ; Norme Évolution sociale, voir Changement social grand, 138
sociale ; Sanction(s) ; Surconormité illégal, 173
Exclusion sociale, 126, 194, 199,
causes de la, 187-189 200-202, voir aussi Inadaptation illégitime, 173
et inégalités sociales, 191-193 sociale ; Marginalité ; Stigmatisation inuence du, 134
étiquette de, 190, 195 informel, 141
positive, voir Adaptation novatrice F légal, 172-173
Différenciation sociale, 243 Fait social, 39 légitime, 172-173
critères de, 245-249 Falardeau, Jean-Charles, 43, 44 linguistique, 93, 236

Index 327
non-appartenance à un, 93-94 Industrialisation, voir Révolution industrielle Liberté, marge de, 182, 183
petit, 46 Inégalités sociales, 47, 49, 52, 98, 191-193, Libre arbitre, 18, 50, 51, 53, 54, 233
primaire, 137-138, 178 196, 208, 221, 231, 243, 246 Lien social, 16-17, 125, 163-164
racisé, 252-254, 253, voir aussi Minorité Inégalités socioéconomiques, 209-220, 226 Loi, 172-175, 191
visible ; Race ; Racisme au Québec et au Canada, 211-215 Luckmann, Thomas, 103
religieux, 15, 127-128, voir aussi Religion lutte contre les, 98, 216 Lumières, mouvement des, 34
restreint, 137-138 mesure des, 215-220
secondaire, 137-138, 179 Inraction criminelle, voir Criminalité M
social, 135-142 Macrosociologie, 46-49
Innovation culturelle, 72
H Institution, 14-15 Mafa, 189
Habermas, Jürgen, 172 fermée, 108 Maltraitance d’enants, 12
Habitudes de vie, 103, 110, 235 sociale, 48-49, 97 Marginalisation, voir Marginalité
totalitaire, 148 Marginalité, 105, 189, 199-202, voir aussi
Habitus, 86, 98-99, 127
Hall, Edward Twitchell, 80 Intégration, 266 Exclusion sociale ; Inadaptation sociale ;
des immigrants, 71, 242, 266-267 Stigmatisation
Handicap, 200
économique, 266-267 critères de, 201
Harlow, Harry F., 97
sociale, 9-10, 69-71, 227 Mariage, 17-18, 100-101
Hérédité, 95, 96, 97
Interaction sociale, 16-17 Marquage corporel, 104-105
Hétéronormativité, 288-289
Interactionnisme, 40, 49-53, 64, 82, Martin, Yves, 43, 44
Hétérosexisme, 247 99-100, 105, 110, 196 Marx, Karl, 19, 24, 36-39, 41, 42, 45-47, 53,
Hiérarchie Interculturalisme, 269-271 81, 221-223
des onctions, 144
Interdépendance, 19, 53, 54-55 Marxisme, 37-38, 64, 98, 104-105, 221-224,
sociale, 98, 99, 105, 220, 224, 226, 231, 233 227, 228, 231, 233, voir aussi Théorie du
Intériorité, 135-136
Homogamie sociale, 7, 18 conit social
Internet, 122, 124, 125, 164, voir aussi
Homophobie, 247 Réseaux sociaux numériques Matérialisme historique, 38
Homosexualité, 191, 247 Investissement social, 216 Maternité, 116, 290
Humanisme, 35-36 Isolement social, 96-97 Mead, George H., 49, 50, 75, 110-112, 116
Hypersexualisation, 292-294 Itinérance, 200-202, 214-215 Mead, Margaret, 99, 280-281
I Mécanisme(s)
J
Identité de contrôle social, 177, 178, 180, 181, 194
Jeunesse, 296-297 de contrôle social formel, 179, voir aussi
construction de l’, 93-94
Jeunisme, 248 Contrôle social ormel ; Norme ormelle
crise d’, 103-104
Jumeaux, 92, 95-96 de contrôle social informel, 178, 179,
culturelle, 74-76, voir aussi
Appartenance culturelle voir aussi Contrôle social inormel ;
K Norme inormelle
de genre, voir Identité sexuelle
Katz, Elihu, 137 de socialisation, 110-115
ethnique, 251-252, 255-256, voir aussi
Appartenance ethnique Kerr, John, 177 du jeu de rôle, 111-112
individuelle, 93-94, 95 Keynésianisme, 125 du maniement des impressions, 112-113
sexuelle, 104, 123-124, 247, 279, voir King, Martin Luther Jr., 172 du miroir rééchissant, 110-111
aussi Orientation sexuelle King, Robert, 146 Médias, 98, 122-125
sociale, 93-94, 95 Kluckhohn, Clyde, 81 sociaux, voir Réseaux sociaux numériques
virtuelle, 124-125 Merton, Robert K., 10, 48-49, 146, 187-189, 201
L
Idéologie, 84-85, 175, 242 Michaels, Walter Benn, 246
Illégalité, voir Légalité Laidisme, 249 Michels, Roberto, 146-147
Illégitimité, voir Légitimité Langlois, Simon, 213 Microsociologie, 46, 49, 55, 112
Immigrant(s), 107-108, 214, 262-267 Lazarseld, Paul F., 137, 214 Milgram, Stanley, 159, 184-186
catégories admises au Québec, 265 Leader charismatique, 144 Mills, Charles W., 53, 54, 144
économique, 265 Leaucheur, Nadine, 55 Minorité, 250-251
intégration des, 71, 242, 266-267 Légalité, 171-178, 180, 184, 186, 188, 193, ethnique, 264
sélection des, 299 199, voir aussi Légitimité ; Normalité ; numérique, 250
Immigration, voir Immigrant(s) Norme ormelle sociologique, 250-251
Impersonnalisation, 145-146 Légaré, Anne, 222 visible, 191-192, 253-255, voir aussi
Inadaptation sociale, 189, 199-202, voir Légitimité, 172, 171-178, 180, 184, 186, Autochtones ; Groupe racisé
aussi Exclusion sociale ; Marginalité ; 188, 193, 199, voir aussi Légalité ; Mintzberg, Henry, 147
Stigmatisation Normalité ; Norme inormelle
Misogynie, 246
Indignés, mouvement des (2011), 155-156, 208 Lemieux, Vincent, 159, 161
Mobilité sociale, 54, 225, 228-230, 231,
Individualisme, 116-117 Lévesque, Georges-Henri, 43, 44 232, voir aussi Échelle sociale ;
méthodologique, 19, 45, 50, 51, 54, 233 Levinson, Daniel J., 103, 105-107 Reproduction sociale ; Rêve américain
négatif, 19, 93-94 Lévi-Strauss, Claude, 257-258 ascendante, 228-229, 230

328 Index
descendante, 230 Patriarcat, 194, 285 sociaux, 16-18, 125
intergénérationnelle, 228, 229 Pauvre, voir Pauvreté société-individu, voir Relation
intragénérationnelle, 228 Pauvreté, 15-16, 202, 209-211, 246 individu-société
Mode absolue, 217 Rapports hommes-emmes, 116
de production, 221-222 au Québec et au Canada, 213-215 enjeux des, 289-294
de vie, 201 conception de la, 32, 35, 45 théorie biologique sur les, 283-284
Modèle(s) relative, 212, 217 théorie émergente sur les, 286-289
conjugal, 17-18 Pays théorie éministe classique sur les, 284-286
culturel, 80-81 communistes, 216 théorie queer sur les, 288-289
masculin et éminin, 280-281 de l’OCDE, 211-212 Récompense, voir Sanction positive
Modernité, 33, 35 libéraux, 216 Réugié, 265
Moeurs, 79 pauvres, 209 Regroupement amilial, 265
Monde du travail, 121-122, 179 riches, 209, 211 Relation(s)
entrée dans le, 101, 102 socio-démocrates, 216 ethniques, 255-271
exclusion du, 201 Peine de mort, 192 individu-société, 18-20, 45, 50-55
retrait du, 106 Période de transition, 106-107 sociales, voir Rapports sociaux
Mondialisation, 223-224, 237 Perspective, 6 société-individu, voir Relation
Montesquieu, baron de, 34 sociologique, 8, 5-10, 12, 55-56 individu-société
Morin, Edgar, 19 Peter, Laurence J., 146 Relativisme culturel, 258
Mouvement Phénomène social, 15-16, 35, 36 Religion, 15, 84, 127-128, 179, voir aussi
éministe, voir Féminisme Piazza, Alberto, 252 Groupe religieux
social, 155-157 Pluralisme, 269-272 Représentation sociale, 6-7
Multiculturalisme, 269 Position sociale, 94, 99, 114, 181, 196, 225 Reproduction sociale, 71, 86, 97, 98,
Positivisme, 37, 39, 45 228, 231-232, 233, voir aussi Mobilité
N sociale
Poupart, Jean, 177
Normalité, 173, 171-176, 188, voir aussi Réseaux sociaux, 157-161
Légalité ; Légitimité Pouvoir
distribution du, 220, 224 caractéristiques des, 158
Norme, 78-81, 171, 174, 176, 178, 180, 183, onctions des, 161
184, 186, 193, 199, voir aussi Anomie ; reus du, 201
liés à Internet, voir Réseaux sociaux
Conormité ; Déviance ; Valeur(s) Préjugé, 259-260
numériques
collective, 136 Pression(s) sociale(s), 7, 177, 178,
numériques, 124-125, 161-166, voir
ormelle, 78, 171, 172, voir aussi Légalité ; 185-186, 200
aussi Internet
Mécanismes de contrôle social ormel Prison, 108, 109, 194
propriétés des, 158-160
inormelle, 78-79, 172, voir aussi Légitimité ; Problème social, 15-16, 35
Resocialisation, 107-110
Mécanismes de contrôle inormel Processus social, 16-18
Ressource(s)
O Proche aidant, 303 rareté des, 227
Occupons/Occupy, mouvement, voir Indignés, Production, 221, 227 répartition des, 47
mouvement des (2011) matérielle et artistique, 85-86
Retraite, 106, 115
Ordre social, 34, 35 mode de, 221-222
Rêve américain, 187, 228, voir aussi Échelle
Organisation, 14 rapports de, 221, 224, 226, 228
sociale ; Mobilité sociale
charismatique, 142-143 Proflage racial, 192
Revenu(s), 231
coercitive, 149-150 Prolétariat, 38, 46, 221-222 écart de, 210, 212
en réseau, voir Organisation non Prostitution, 179, 184, 197, 198 quintile de, 215-218-219, 235
hiérarchique Psychologie sociale, 12, 103, 170 seuil de aible, 215, 217
hiérarchique, 142-153 Punition, voir Sanction négative Révolution, 33-35, 37, 38, 42
non hiérarchique, 153-165 Pygmalion, eet, 111 rançaise (1789), 33-34, 36
rationelle-légale, 144
Q industrielle, 34, 36-38, 41, 221, 223
sociale, 13-16, 48-49, 227
politique, 33-34
traditionnelle, 143 Question nationale québécoise, 236
russe (1917), 38
utiltaire, 150
R scientifque, 34-35
Orientation sexuelle, 246, voir aussi tranquille, 44, 237
Identité sexuelle Race, 253, voir aussi Groupe racisé
Racisme, 242, 260-262, voir aussi Riche, voir Richesse
P Xénophobie Richesse(s), 209-210
Parenteau, Danic, 271 Rang social, 93, voir aussi Classe sociale au Québec et au Canada, 212
Parsons, Talcott, 10, 48, 224 Rapoport, Anatol, 99-100 collective, 218
Parti politique, 236, 237 Rapport(s) distribution de la, 220, 224
Passage, rite de, 100-101, 104, voir aussi de production, 221, 224, 226, 228 redistribution de la, 216
Statut social individu-société, voir Relation individu-société Rikin, Jeremy, 151-152
Paternité, 116, 290-291 intergénérationnel, 300-303 Rioux, Marcel, 43, 44, 71, 72

Index 329
Rite de passage, 100-101, 104, voir aussi ormation et débouchés en, 26-27 de l’individualisme méthodologique, voir
Statut social neutralité scientifque de la, 25-26 Individualisme méthodologique
Rocher, Guy, 43, 44, 55, 69-70, 73-75, 84, 182 objets d’étude de la, 13-20 de l’interdépendance, voir Interdépendance
Rôle(s) perspective en, voir Perspective sociologique de la communication à double étage, 137
champ de, 112 précurseurs et ondateurs de la, 36-41 déterministe, voir Déterminisme social
amille de, 112 québécoise, 43-44 du conit social, 46-47, 49, 52, 53, 64, 81,
sexuels, 276, 278-279 théories en, voir Théories sociologiques 156, 196, 221-222, 231, voir aussi
Conit social ; Marxisme
social, 106, 107, 111-112, 116, 224, 227 Sociologue, 25-27, 40, 45, voir aussi Sociologie
onctionnaliste, voir Fonctionnalisme
Rousseau, J.-J., 34, 35 Soi, 50, 94, 110, 113, 116
interactionniste, voir Interactionnisme
Roy, Shirley, 194 Solidarité, 136 marxiste, voir Marxisme
intergénérationnelle, 302-303
S queer, 289
mécanique, 39-40, 98 sociologiques, 45-53
Sanction(s), 120, 174, 178, 182, 187, 200, organique, 39-40, 98, 104
224, 227, voir aussi Déviance Tolérance sociale, 175, 182, 184
sociale, 9, 19
négative, 178, 179, 191 Touraine, Alain, 10, 237
Sous-culture, 65-68, 105, 137-138,
positive, 179 Toxicomanie, 184, 189, 190, 215
194, 196
Sans-abri, voir Itinérance Transerts aux personnes, 216
Sport, 52-53, voir aussi Violence sportive
Science(s), 21, 34-35, 43 Transition, période de, 106-107
Stabilité sociale, 69, 104
classifcation des, 36-37 Travail, voir aussi Travailleur(s)
Statisticien, 215-216
compréhensive, 40, 49, 53, 54 conditions de, 223-224, 229, 235
humaines, 10-11, 21, 34, 36, 40 Statut social, 12-13, 26
sociales, 11, 34, 37, 40 social, 76, 100, 104, 105, 107, 176, voir spécialisation du, 86, 144
aussi Rite de passage
Secte, 108, 128, 144, 148-149, 173, 179, 200 Travailleur(s), voir aussi Travail
socioéconomique, 225, 228
Services sociaux, 126-127, 216 droits des, 223
Stéréotype, 114, 119, 260 exploitation des, 34, 35, 221, 223-224
Sexe
Stigmate, 105, 200, voir aussi Stigmatisation pauvre(s), 214
biologique, 277-278, 282
Stigmatisation, 200, 201, voir aussi Trente Glorieuses, période des, 229, 230
social, 278, 282
Exclusion sociale ; Inadaptation sociale ;
Sexisme, 52, 246 Tricofl (entreprise), 155
Marginalité ; Stigmate
Sheehy, Gail, 107 Two steps fow theory, voir Théorie de la
Strate sociale, 224, 225, 233, voir aussi
communication à double étage
Sheri, Muzaer, 181-182 Stratifcation sociale
Type idéal, 41
Smith, Dorothy E., 55 Stratifcation sociale, 119, 224-225, 227,
Socialisation, 93, 178, 180, 184, 194, 196 228, 230, 235, 236, voir aussi Strate sociale V
agent de, 116-129 Structure sociale, 228, 231 Valeur(s), 81-83, 172, 173, 175, 182, 242,
étapes de la, 100-110 Suicide, 4, 5-6, 9, 174, 184, 187, 191 voir aussi Normes
mécanisme de, 110-115 Sujet naï, 170 changement de, 109-110
mutuelle, 99 Surconormité, 184-186, voir aussi dominantes, 182
négative, 121, 122 Adaptation sociale pathologique ; Déviance éclatement des, 100
par anticipation, 113-115, 121 Symbole, 83 secondes, 182
par le travail, 114, 121-122 Valorisation sociale, 176, 186
Syndicalisme, voir Syndicat
primaire, 100, 103, 116 Variance, 182-183, 184, voir aussi
Syndicat, 224, 236, 237
proessionnelle, 114 Adaptation sociale
secondaire, 100, 103 Synnott, Anthony, 249
Vie communautaire, 256-257
théorie onctionnaliste de la, 97-98 Système
Vieillesse, 106, 121, 297-298
théorie interactionniste de la, 99-100 culturel, 95
Viol, 55, 191
théorie marxiste de la, 98 d’éducation, voir École
de castes, 46, 231-232, 233 Violence, 16, 175-176
Société, 13 conjugale et amiliale, 55, 174, 191,
industrielle, 33, 39, 223 de santé, 8, 235
291-292
nomade, 224 organique, 95
dans les médias, 122-123
organisation de la, voir Organisation sociale organisé, 73-74
sportive, 177, voir aussi Sport
traditionnelle, 39, 40 social, 69, 95
Voltaire, 34
Sociologie, 10-13, voir aussi Sociologue T
W
caractéristiques de la, 5-13 Tabou, 84
compréhensive, voir Science Weber, Max, 19, 24, 36, 40-41, 49, 53, 54, 75,
Tatouage, 104-105 143-148, 175, 251, 256
compréhensive
contemporaine, 42-44 Téléréalité, 123
X
contexte sociohistorique de la, 33-41 Télévision, 122-123, 125
Xénophobie, 242, 260, voir aussi Racisme
critique, 54 Tensions sociales, 47
démarche scientifque de la, 21-24 Terrorisme, 173, 189 Z
du conit, 45-46, 54 Théorie(s), 45 Zimbardo, Philip, 109, 134

330 Index
INDIVIDU ET SOCIÉTÉ
Écrit dans un langage clair, vivant et accessible par des enseignants d’ici
pour des étudiants d’ici, Individu et société demeure, depuis plus de
vingt ans, la réérence incontournable pour celles et ceux qui désirent
s’initier à la perspective sociologique. Cette dernière permet de jeter un
regard nouveau sur nous-mêmes an de voir le social en nous. Elle avo-
rise aussi une meilleure compréhension du monde qui nous entoure en
nous permettant d’aller au-delà des apparences dans l’analyse de la rela-
tion entre l’individu et la société. Ainsi outillée, la personne est en mesure
d’infuencer la société en devenant elle-même un acteur social.
Dans cette cinquième édition, l’équipe d’auteurs, enrichie de deux nouvelles
collaboratrices, propose un contenu entièrement revu et actualisé, large-
ment documenté, appuyé par des exemples concrets, et près de la réalité
des étudiants. De nouvelles rubriques pédagogiques à la ois stimulantes
et variées contribuent également à aire de ce volume un outil précieux
pour quiconque désire comprendre les mécanismes à l’œuvre dans nos
sociétés. Enn, une nouvelle mise en page vivante et colorée, assortie de
nombreuses illustrations, rend cet ouvrage plus attrayant que jamais.
Les lecteurs retrouveront dans cette nouvelle édition tout ce qui a ait la
notoriété de cet ouvrage, ainsi que de nouvelles caractéristiques qui avo-
riseront encore davantage l’apprentissage des étudiants :
une mise en contexte au début de chaque chapitre ;
de nouvelles questions de révision pour aire le point sur ses connais-
sances au l de l’étude des chapitres ;
des questions de réfexion et de nouveaux exercices pratiques en n
de chapitre pour mieux aiguiser son regard sociologique ;
une nouvelle liste de réérences suggérées (ouvrages, périodiques,
sites Web et vidéos) pour qui désire aller plus loin ;
un matériel complémentaire sur le Web entièrement mis à jour
et bonié.

ISBN 978-2-7650-2981-6

www.cheneliere.ca/individu

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