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Cahiers du Centre Gustave Glotz

Territorium legionis : camps militaires et agglomérations civiles aux


premiers siècles de l'empire
Monsieur François Bérard

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Bérard François. Territorium legionis : camps militaires et agglomérations civiles aux premiers siècles de l'empire. In: Cahiers
du Centre Gustave Glotz, 3, 1992. pp. 75-105;

doi : https://doi.org/10.3406/ccgg.1992.1349

https://www.persee.fr/doc/ccgg_1016-9008_1992_num_3_1_1349

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Territorìum legionis : camps militaires et
agglomérations civiles aux premiers siècles de
l'empire

François Bérard
E.N.S. Ulm

Le thème des Rencontres du centre Glotz nous invite à réfléchir sur la


notion de territoire militaire. C'est d'autant mieux venu que la publication
d'une nouvelle dédicace découverte près du camp auxiliaire de Walheim, sur le
limes du Neckar1, a replacé cette difficile question sous le projecteur de
l'actualité et que la mystérieuse inscription de Ratisbonne, où se trouvait la
garnison légionnaire de la province de Rétie, continue de susciter des
controverses2. Je ne sais si finalement ces deux textes pourront nous apporter
des informations nouvelles, mais peut-être permettront-ils d'engager une
discussion utile. Car le débat reste ouvert depuis les controverses d'A. Mocsy3
et de F. Vittinghoff4 et mérite un effort de clarification, dans lequel nous

1 R. Wiegcls, "Solum Caesaris. Zu einer Weihung im rômischen Walheim", dans Chiron, 19,
1989, p. 61-102. Cf. A. Mehl, "Eine private Weihung auf kaiserlichem Boden in Walheim am
Neckar", dans Fundberichte aus Baden-WOrttemberg, 11, 1986, p. 259-267 (d'oùA.E., 1987,
783) ; G. Alfôldy, "Consideraciones sobre el concepto de epigrafia juridica y novedades en las
provincias del Nordeste 1978-1986", dans Epigrafia juridica romana. Actas del col. int.
A.I.E.GJL. Pamplona, 1987, Pampelune, 1989, p. 16-18.
2 Cf. ci-dessous, appendice, n° 19 ; J.E. Bogaers, "Regensburger Râtsel", dans Studien zu
den Militârgrenzen Roms III (Actes du 13ème congrès du limes, Aalen, 1983), Stuttgart, 1986,
p. 127-134.

3 A. Mocsy, "Zu den 'prata legionis1", dans Studien zu den Militârgrenzen Roms (Actes du
6ème congrès du limes, 1964), Cologne-Graz, 1967, p. 21 1-214 ; "Das Lustrum Primipili und
die Annona Militaris", dans Germania, 44, 1966, p. 312-326 ; "Das Problem der militârischen
Territorien im Donauraum", dans Acta Antiqua Academiae Scientiarum Hungaricae, 20, 1972,
p. 134-138 ; "H problema delle condizioni del suolo attribuito alle unità militari nelle province
danubiane", dans / diritti locali nelle province romane, con particolare riguardo alle condizioni
giuridiche del suolo (Convegno intern. Acc. Lincei, 1971), Rome, 1974, p. 435-355 ; "Zu den
Auxiliarvici in Pannonien", dans Studien zur antiken Sozialgeschichte. Festschrift Vittinghoff,
Vienne, 1980, p. 365-376. Dans la même perspective qu'A. Mocsy, voir aussi H. von
Petrikovits, Dos rômische Rheinland. Archàologische Forschungen seit 1945, Cologne-
Opladen, 1960, p. 63-67 ; "Militârisches Nutzland in den Grenzprovinzen des rômischen
Reiches", dans Actes du VHème Congrès International d'Epigraphie grecque et latine (1977),
Bucarest, 1979, p. 229-242 ; et C.B. Ruger, Germania Inferior, Cologne-Graz, 1968, p. 50-

4 F. Vittinghoff, "Die Entstehung von stâdtischen Gemeinwesen in der Nachbarschaft


rômischer Legionslager. Ein Vergleich Leons mit den Entwicklungslinien im Imperium
Romanum", dans Legio VII Gemina, Leon, 1970, p. 339-352 ; "Die rechtliche Stellung der
canabae legionis und die Herkunftsangabe castris", dans Chiron, 1, 1971, p. 299-318 ; "Das
Problem des "MilitSrterritoriums" in der vorseverischen Kaiserzeit", dans / diritti locali (cf. ci-
dessus, note 3), p. 109-124.
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serons aidés par les récents travaux d'A.G. Poulter sur la province de Mésie
inférieure5.

♦ ♦♦

I. Territoire militaire

Avant d'en venir à la question la plus disputée, celle du territoire


légionnaire, il faut partir d'un peu plus haut et se demander ce que peut être
un territoire militaire. La notion est moderne, et nous devons nous demander à
quoi elle peut correspondre dans le monde romain. La première réalité à
laquelle on pense est le territoire d'une province, puisque certaines provinces
sont parfois dites militaires. Mais l'expression n'a pas de valeur juridique, et le
gouverneur de ces provinces reçoit avec Vimperium délégué par l'empereur
des pouvoirs civils aussi bien que militaires. Il serait donc vain d'essayer de
définir les provinces garnies de troupes comme des "territoires militaires".
Il y a, cependant, quelques cas particuliers. Le plus évident est celui des
territoires sur lesquels étaient stationnées les deux armées de Germanie
inférieure et de Germanie supérieure avant la création des deux provinces
homonymes sous le règne de Domitien6. Juridiquement, ils faisaient toujours
partie de la province de Belgique, mais il a dû exister un district réservé,
qu'on peut supposer grossièrement équivalent au territoire des futures
provinces, où les deux légats consulaires n'avaient pas de comptes à rendre au
gouverneur de Belgique, qui leur était hiérarchiquement inférieur7. A.
Schulten considérait ces régions, dépourvues de toute organisation municipale
avant la fondation de Cologne, au milieu du 1er siècle ap. J.-C, comme un
gigantesque territoire militaire, subdivisé en autant de territoires légionnaires
que l'armée comptait de légions ; ce territoire se serait ensuite
progressivement réduit comme une peau de chagrin, au fur et à mesure des
créations de colonies ou de municipes, mais sans jamais disparaître
complètement8. En fait, rien ne prouve que le sol conquis ait été considéré

5 A.G. Poulter, "Town and country in Moesia Inferior", dans Ancient Bulgaria (International
Symposium, 1981), Nottingham, 1983, p. 74-111 ; "Gli insediamenti presso i campi militari :
canabae e itici", dans J. Wacher, II mondo di Roma imperiale, t. 2, Bari, 1989, p. 69-97.

6 La création des deux provinces de Germanie eut lieu entre 82 et 90 : CIL, XVI, 28 et 36 ; cf.
G. Alfoldy, Die Legionslegaten der rômischen Rheinarmeen, Cologne, 1967, p. 102, n. 376,
qui préfère une date haute (dès 83), et D. Baatz, Die Rômer in Hessen, Stuttgart, 1982, p. 76,
qui s'en tient prudemment à une date plus large (85-90).

7 Cf. E. Stein, Die kaiserlichen Beamten und Truppenkôrper im rômischen Deutschland unter
dem Prinzipat, Vienne, 1932, p. 3 et 11.

8 A. Schulten, art. cité, ci-dessous, note 20.


Territorium legionis 77

comme territoire militaire. Comme l'a bien montré F. Vittinghoff9, il


appartenait probablement à Yager publiais, ou plutôt au domaine impérial ;
on peut penser qu'une bonne partie avait été attribué aux cités germaines ou
gauloises, et que le légat y exerçait le même pouvoir civil que par exemple
dans les provinces de Gaule.
Une situation un peu analogue est celle du territoire correspondant à la
future province de Numidie et administré depuis le règne de Caligula par le
légat de la même légion Auguste. On peut l'appeler, à la suite d'A. Schulten10,
territoire militaire, mais il faut se demander si ce n'est pas seulement une
commodité de langage et si le legatus legionis III Augustae, qui était aussi
legatus pro praetore exercitus Africae, n'y exerçait pas aussi le pouvoir civil,
comme les légats des armées de Germanie et comme surtout les gouverneurs
des provinces à une seule légion (Arabie ou Pannonie inférieure, par
exemple), qui étaient en même temps légats de la légion.

Cet exemple nous amène à un second type possible de territoire militaire,


à un niveau inférieur à celui du commandement provincial, et qui serait une
sorte de secteur militaire. On imagine souvent, sans doute par analogie avec
l'organisation des armées modernes, que les grandes provinces militaires
étaient subdivisées en commandements régionaux, dont seraient chargés les
différents légats de légion. Ces légats auraient eu, en plus de leur légion, un
certain nombre d'unités auxiliaires sous leurs ordres et souvent aussi un
secteur géographique du limes à défendre. Cette idée, qui était celle de
Schulten, est toujours largement partagée, et diverses études régionales
continuent à répartir les troupes auxiliaires (et donc leurs camps, et avec eux
des secteurs de limes) entre différents commandements légionnaires11.
Pourtant, l'existence de ces commandements est loin d'être une certitude, ainsi
que vient de le rappeler une mise au point récente12. Comme l'avait déjà
souligné G. Cheesman13, sans rencontrer beaucoup d'échos, les documents qui
puissent prouver une véritable subordination des auxiliaires à une légion sont
extrêmement rares. On ne peut guère citer qu'un texte de Tacite (Hist., I, 59)

9 Militàrterritoriwn, notamment p. 124-125.

10 Art. cité, notamment p. 482, 501.

11 Cf. par exemple A. Radnoti, "Legionen und Auxilien am Oberrhein im I. Jhr. n. Chr.", dans
Roman Frontier Studies 1969 (8ème Congrès du limes), Cardiff, 1974, p. 138-151 ; plus
récemment, et avec des arguments surtout archéologiques, B. Oldenstein-Pferdehirt, art. cité
(note 18). G. Alfôldy, Die Hilfstruppen der rômischen Provini Germania Inferior, Dusseldorf,
1968, p. 147 et 158, est beaucoup plus circonspect, même s'il admet le principe du
rattachement des auxilia aux légions, surtout pour les campagnes : cf. "Die Generalitât des
rômischen Heeres", dans BJ., 169, 1969, p. 235-236.

12 D. Baatz, "Kommandobereiche der Legionslegaten", dans Germania, 67, 1989, p. 169-178.

13 G.E. Cheesman, The auxilia of the roman army, Oxford, 1914, p. 49-52.
78 F.Bérard

et guère plus de quatre inscriptions, dont deux parlent de légions cum auxiliis
{C.I.L., ΠΙ, 3228, à Sirmium, et ΧΠΙ, 8017, à Bonn), tandis que les deux
autres utilisent un possessif (legio et auxilia eius : C.I.L., Vin, 2637, à
Lambèse, et XIII, 4623, à Norroy, qui précise de façon tout-à-fait
exceptionnelle le nombre des unités : cohortes V). Encore deux de ces textes
sont-ils relatifs à des vexillations : qu'il s'agisse de détachements au travail
dans des carrières (C.I.L., ΧΠΙ, 4623) ou de troupes de choc engagées dans
une guerre (C.I.L., ΙΠ, 3228), on peut penser que ces contingents ont été
formés spécialement pour leur mission. Une situation analogue peut être
envisagée pour la / Mineruia, qui remporta cum auxiliis la victoire célébrée
par l'inscription de Bonn (C.I.L., ΧΙΠ, 8017), et aussi pour la XIIII Gemina,
qui en 69 traversait la Gaule en compagnie de huit cohortes de Bataves (Hist.,
I, 59). Quant aux fonctions de Q. Herennius Siluius Maximus, leg(atus)
leg(ionis) II Italicae et alae Antoniniae (C.I.L., IX, 2213 = I.L.S., 1164), elles
sont trop anormales pour pouvoir fournir la moindre certitude14. De sorte
que, si l'on excepte ces contingents spéciaux, tactiques ou logistiques, il ne
reste guère que l'inscription de Lambèse qui puisse étayer l'hypothèse d'un
rattachement organique et permanent des troupes auxiliaires aux légions. C'est
peu pour toute l'armée romaine, d'autant que, par ailleurs, d'assez nombreux
exemples montrent que, même dans le domaine tactique, il arrivait
fréquemment qu'on engage ensemble les auxiliaires, indépendamment des
légions15.
Un des principaux arguments invoqués en faveur de l'existence de
commandements légionnaires vient des paires de diplômes militaires qu'on
connaît pour certaines provinces, comme la Mésie inférieure en 99 ap. J.-C.
(CIL., XVI, 44-45) ou la Bretagne entre 98 et 105 ap. J.-C. (CIL., XVI, 43,
48, 51). Comme dans chaque cas ces diplômes jumeaux (ou presque
contemporains) présentent, pour la même province, deux listes d'unités
complètement différentes, on en conclut volontiers qu'il s'agit à chaque fois
des auxiliaires dépendant de deux légions différentes16. Mais une étude récente
de M. Roxan a pu établir que ces hypothèses n'avaient toujours pas reçu de
vérification concrète ; en outre, même si l'on parvenait à constater une
répartition géographique des unités auxiliaires sur un diplôme militaire, cela

14 La chronologie oscille entre le règne de Marc Aurèle et celui de Caracalla : cf. PJJt?, IV,
H 31, et G. Alfôldy, Noricum, Londres, 1974, p. 157-158. L'ala Antoniniana n'est pas
autrement connue, et pourrait être une unité formée dans le Norique sous Antonin ou Marc
Aurèle : cf. G. Winkler, Die Reichsbeamten von Noricum und ihr Personal, Vienne-Cologne-
Graz, 1969, p. 69, et J. Fitz, Honorific Titles of Roman Military Units in the 3rd Century,
Budapest-Bonn, 1983, p. 213 et n. 3.

15 Cf. Tacite, Agr., 35 (l'ordre de bataille du Mont Graupius), Ann., ΧΠ, 27-28, et le poste de
praefectus auxiliorum omnium aduersus Germanos qui orne la carrière de chacun des deux
frères Domitii Curvii (CIL, XI, 5210-5211 =/£.£., 990-991).

16 Ainsi H. Nesselhauf, ad CIL, XVI, 44 ; A. Radnoti, "Zur Dislokation der Auxiliartruppen


in den Donauprovinzen", dans Limesstudien (3ème Congrès du limes), 1959, p. 135.
Territorium legionis 79

ne suffirait pas à prouver qu'il s'agit d'un commandement légionnaire distinct,


puisqu'on pourrait aussi bien attribuer cet ordre relativement inhabituel, mais
très rationnel, à la gestion des bureaux du gouverneur provincial, sans qu'il
soit nécessaire de passer par l'intermédiaire d'un légat de légion17. Du reste, il
arrive que les unités soient rangées dans un ordre qui n'est pas numérique
(sans être pour autant nécessairement géographique) sur des diplômes de
provinces sans légion, comme la Maurétanie Tingitane, ou à une seule légion,
comme la Pannonie inférieure. Enfin, le maintien de listes uniques et suivant
l'ordre numérique des unités dans la majorité des provinces serait difficile à
expliquer si les armées provinciales romaines étaient systématiquement
divisées en commandements légionnaires.
L'autre grand argument est d'ordre archéologique et repose sur la
fréquence relative des inscriptions et surtout des briques et tuiles estampillées
au nom des légions, qui déterminerait le domaine d'activité de chacune d'elles.
Il n'est évidemment pas facile à utiliser, d'autant que certaines unités, plus
proches des gisements d'argile ou dotées de meilleures tuileries, ont pu se voir
confier une production plus importante que d'autres. Retenons seulement que
même sur le secteur probablement le mieux exploré de la frontière romaine, le
limes de Germanie supérieure, il est difficile de définir les domaines respectifs
des deux légions de la province, la XXII Primigenia de Mayence et la VIII
Augusta de Strasbourg18.
Au demeurant, s'il existait des secteurs militaires sur le limes, ils devaient
être plutôt confiés aux commandants des unités auxiliaires, qui étaient
installées sur place, et qui du reste étaient seules en ligne dans de nombreuses
provinces frontalières. Mais l'existence de tels commandements reste
actuellement impossible à prouver, et l'un des meilleurs spécialistes
britanniques tend même à rejeter aujourd'hui l'hypothèse d'un commandement
central du mur d'Hadrien (ou au moins de sa moitié occidentale) concentré
dans les mains du préfet de l'aile milliaire stationnée dans la grande garnison
de Stanwix, Vaia Petriana19.
Cet exemple nous invite à ne pas pousser trop loin la critique et à tenir
compte de l'état très fragmentaire de nos sources. Si les tuiles estampillées et

17 M. Roxan, "Roman Military Diplomata and Topography", dans Limesstudien III (13ème
Congrès du times), p. 768-778.
18 Cf. la carte proposée par B. Oldenstein-Pferdehirt, "Forschungen zum obergermanischen
Heer, Π. Die Geschichte der legio Vm Augusta", dans Jahrbuch des Rômisch-Germanischen
Zentralmuseums zu Mainz, 30, 1984, notamment p. 408-422, et les critiques de D. Baatz, art.
cité (note 12). Selon B. Oldenstein-Pferdehirt, les secteurs légionnaires seraient plus difficiles à
repérer à partir du début du Ilème siècle (les tuiles estampillées perdant toute valeur à cet
égard), mais continueraient d'exister comme auparavant

19 DJ. Breeze, The Northern Frontiers of Roman Britain, Londres, 1982, p. 91, pour qui
toutefois le commandement du mur est à York, dans les mains du légat de la légion. Sur
l'hypothèse traditionnelle d'un commandement à Stanwix, cf. par exemple S. Frère, Britannia,
2e éd., Londres, 1978, p. 160.
80 F.Bérard

même les diplômes militaires ne peuvent pas nous fournir un ordre de bataille
de l'armée romaine, cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas existé de structures de
commandement organiques, comme dans les armées modernes. Simplement,
elles nous échappent, faute de documents. Et, de toutes façons, il est peu
probable qu'elles aient eu une incidence sur l'organisation territoriale des
provinces.

II. Territoire légionnaire

En dessous encore du secteur militaire, nous trouvons le fameux


territorium legionis. La notion ne va pas de soi, contrairement à ce que
pourrait laisser croire la fortune de l'expression depuis un siècle. L'alliance
des deux mots n'apparaît en fait qu'une seule fois dans les sources antiques,
dans une inscription d'Aquincum, en Pannonie inférieure, qui date du règne de
Sévère Alexandre (cf. Appendice, n° 10). C'est peu pour toutes les légions
romaines pendant près de trois siècles. Mais elle a été presque définitivement
imposée par un article d'A. Schulten, paru en 1894, qui définissait le
territorium legionis comme un très vaste territoire, taillé dans l'immense
domaine militaire qu'était à l'époque de la conquête le territoire provincial, et
doté d'un centre urbain, les kanabae20. Contrairement à ses prédécesseurs, qui
insistaient sur le caractère militaire des kanabae et l'incompatibilité absolue
entre l'armée et toute organisation municipale21, Schulten montrait que les
kanabae, peuplées surtout de commerçants et d'artisans, disposaient d'une
administration civile, avec édiles et magistri, sur le modèle des conuentus
ciuium Romanorum établis dans les provinces, et qu'elles avaient vocation,
moyennant quelques aménagements, à recevoir un jour le droit municipal
complet. En attendant, elles restaient sous l'autorité du légat de la légion et
leur territoire n'était autre que le territorium legionis, dont les seules limites
étaient celles des cités voisines.
Cette notion définie sur des critères juridiques, qui faisaient du
territorium legionis l'équivalent d'un territoire de cité, a ensuite été adaptée
pour rendre compte de l'organisation économique de la légion, perspective qui

20 A. Schulten, "Das territorium legionis", dans Hermes, 29, 1894, p. 481-516. Cf. ci-dessus,
p. 2-3.

21 Cf. surtout Th. Mommsen, "Die rômischen Lagerstâdte", dans Hermes, 7, 1873, p. 299-
326 (= Gesammelte Schriften, VI, Berlin, 1910, p. 176-203), notamment p. 318-321. La
controverse, à dire vrai, porte surtout sur le 1er siècle, Mommsen reconnaissant qu'à partir du
Ilème siècle se développe une nouvelle organisation sur le modèle des uici et des pagi, tandis
que tombe la règle d'incompatibilité entre camp militaire et statut municipal
Territorium legionis 81

était très secondaire aux yeux de Schulten22. Le territorium legionis est ainsi
devenu le domaine nécessaire à l'approvisionnement de la légion, y compris
sur le plan agricole : c'est la théorie du "militarisches Nutzland", telle qu'elle
apparaît notamment dans les travaux d'A. Mocsy et d'H. von Petrikovits23 et
qu'elle fait toujours largement autorité aujourd'hui24. Selon ces auteurs, le
territoire de la légion est exploité pour le compte de la légion, soit par des
fermiers, soit directement par des soldats (ou des vétérans), avec des modalités
variables (et très mal connues)25, mais le plus souvent dans le cadre d'un
système autarcique qui préfigure l'organisation qui sera adoptée au Bas-
Empire.

Si l'on excepte l'inscription d'Aquincum, il n'y a pas, nous l'avons vu, de


témoignage antique de l'existence d'un territorium legionis. Mais on a
généralement, à la suite d'A. Schulten et d'A. Mocsy, identifié ce "Militarland"
avec les prata legionis que nous font connaître un certain nombre de bornes de
délimitation, dont la majorité ont été trouvées en Espagne et en Dalmatie, où
une découverte toute récente vient enrichir notre dossier26. Les bornes les plus
nombreuses (19) sont celles de la légion //// Macedonica en pays cantabre, qui,
sans doute à l'époque augustéenne (ou tibérienne), séparent les prata legionis
du territoire de la cité de Iuliobriga (n° 1) et , pour l'une d'entre elles (n° 2),
située 45 km plus au sud, de celui de Segisamo. Même si les chiffres avancés
paraissent parfois exagérés, il semble que ces termini Augustales délimitaient
un territoire assez vaste, dans lequel devait être compris le camp de la
légion27. Les bornes qui, plus à l'ouest, en Asturie, séparent la cohorte ////

22 Cf. art. cité, p. 514. Outre l'aspect juridique, le facteur stratégique avait pour Schulten la
plus grande importance, et le territorium legionis était d'abord la zone de sécurité dont la légion
a besoin pour contrôler les incursions de l'ennemi.

23 Cf. ci-dessus, note 3. L'expression de "militarisches Nutzland" est celle de V. von


Gonzenbach, art. cité (note 45) ; sur la notion de "Militarland", cf. aussi C.B. Riiger,
Germania inferior, p. 51-55.

24 Cf. par exemple A.G. Poulter, Insediamenti, p. 75-77 ; Ph. Filtzinger, dans Die Rômer in
Baden-Wùrttemberg, 3e éd. , Stuttgart, 1986, p. 74-75 ; DJ. Mason, "Prata legionis in
Britain", dans Britannia, 19, 1988, p. 163-190, notamment p. 167.
25 Sur la question des modes d'exploitation, cf. R. Mac Mullen, Soldier and Civilian in the
Later Roman Empire, Cambridge (Mass.), 1963, p. 7-12, avec de nombreuses nuances à la
théorie du "Nutzland".
26 Cf. ci-dessous, appendice, n° 1-7. La liste des bornes espagnoles a été dressée par P. Le
Roux, L'armée romaine et l'organisation des provinces ibériques d'Auguste à l'invasion de
409, Paris, 1982, p. 109-1 14, auquel on se reportera pour plus de détails.

27 Sur ce débat, cf. P. Le Roux, op. cit., p. 106-107 et 117-118 ; "L'armée de la péninsule
ibérique et la vie économique sous le Haut-empire romain", dans Armées et fiscalité dans le
monde antique (Colloque int. du C.N.R.S., 1976), Paris, 1977, p. 350-353. Pour la
localisation des bornes, parfois difficile, cf. la carte dressée par A. Garcia y Bellido, "L.
82 F.Bérard

Gallorum et les deux cités des Baedunienses (n° 3) et des Luggones (n° 4)
laissent une impression analogue, puisque celle de Castrocalbon est distante
d'au moins une douzaine de kilomètres des huit autres, qui ont toutes été
trouvées à Soto de la Vega, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de La
Baneza28. On retrouve ainsi des dimensions comparables, compte-tenu de la
taille respective des unités, bien que, dans un cas comme dans l'autre, la
position exacte du camp soit inconnue.
Cette impression est confortée par la nouvelle borne découverte en 1982 à
Castrocalbon (n° 5), au même endroit que le plus méridional des textes de la
//// Gallorum. Car cette borne, qui montre exactement le même formulaire
que celles de la //// Gallorum29, et date comme elles du règne de Claude, au
moment sans doute de la réorganisation militaire qui suivit le départ de la ////
Macedonica30, porte le nom d'une autre unité, la légion X Gemina. Or cette
légion avait son camp à Rosinos de Vidriales, à environ une vingtaine de
kilomètres plus au sud31. Une fois encore, ces chiffres sont tout à fait
comparables à ceux dont nous disposons pour la //// Macedonica32, et laissent
supposer des prata légionnaires fort étendus.
En dehors d'Espagne, les seules autres mentions de prata legionis viennent
de Dalmatie, au voisinage du camp légionnaire de Burnum, où furent
cantonnées successivement les légions XI Claudia, dès les premières années du

Terentius, figlinarius en Hispania de la Legio ΙΠΙ Macedonica", dans Hommages à Léon


Herrmann, Bruxelles (coll. Latomus, 44), 1960, p. 380. Tandis qu'A. Garcia y Bellido et A.
Mocsy (Militârische Territorien, p. 142) proposaient une superficie d'au moins 550 à 600 km2»
F. Vittinghoff, (Militârterritorium, p. 1 17-120) et J.-M. Roldan Hervas (Hispania y el ejercito
romano, Salamanque, 1974, p. 196-197) s'en tiennent à des dimensions plus modestes, 35
km2.pour l'espace délimité par les bornes portant le nom de Iuliobriga, mais sensiblement plus
(le double ou le triple au moins) s'il faut englober, comme finit par l'admettre F. Vittinghoff, le
camp de la légion, qui serait situé 10 à 15 km plus au sud, au nord d'Aguilar. P. Le Rous,
rejetant finalement les positions minimalistes de F. Vittinghoff et J.M. Roldan Hervas,
conserve un territoire fort étendu, pouvant même englober la borne avec la cité de Segisamo
qui, n'ayant pas été trouvée en place, peut être remontée vers le nord. Si, pour les mêmes
raisons, on renonce à l'indication donnée par cette borne, le territoire peut être notablement
réduit et assez proche de celui qu'envisage F. Vittinghoff.

28 Cf. P. Le Roux, op. cit., p. 107-108 et 118 ; A. Tranoy, La Galice romaine, Bordeaux,
1981, p. 170. Soto de la Vega est à 2 km au nord-est de La Baneza.

29 Cette similitude, ajoutée au fait que les deux pierres ont été trouvées au même endroit, a
amené l'éditeur à restituer à la fin du texte [ciju/[i]tatem [Bed(uniensium)] . Mais cela reste
évidemment une hypothèse.
30 ΠP. Le Roux, op. cit., p. 109 et 118.

31 Cf. P. Le Roux, op. cit., p. 105 ; A. Tranoy, op. cit., p. 169.

32 Cf. ci-dessus, note 27.


Territoriwn legionis 83

1er siècle33, puis //// Flauia, depuis le début du règne de Vespasien jusqu'à son
départ pour la Mésie, qu'on peut fixer au début de celui de Domitien34. Une
première borne (n° 6), découverte en 1890, doit dater de la période
postlégionnaire, d'après ce que nous savons de la carrière du procurateur
Augustianus Belli eu s35. On en conclut généralement que les prata avaient
survécu, comme propriété impériale, au départ de la légion et que c'est pour
cette raison que, contrairement aux bornes d'Espagne, celle de Dalmatie ne
porte pas le nom de l'unité36. Mais on connaît trop mal le sort dévolu aux
camps légionnaires après leur évacuation pour être totalement affirmatif,
notamment sur ce dernier point : rien n'empêche après tout que la //// Flauia
ait conservé, après son transfert en Mésie, un dépôt, ou du moins la
responsabilité du camp de Burnum. En fait, l'information la plus intéressante
pour nous n'est pas d'ordre chronologique, mais topographique : la borne a
été trouvée au voisinage d'Uzdolje, soit à une quinzaine de kilomètres au sud-
est du camp légionnaire de Burnum, distance qui correspond tout-à-fait à
celles que nous avions observées en Espagne pour les garnisons de la ////
Macedonica et de la X Gemina.
Cette coïncidence un peu fragile, puisqu'elle ne reposait que sur une seule
inscription, vient d'être spectaculairement confirmée par la découverte toute
récente d'une seconde borne, dans la localité même d'Uzdolje, à 2 km au sud
de la précédente et à 12 km à l'est de Burnum (n° 7). A la différence de la
précédente, la nouvelle borne a l'avantage de nous donner le nom de la légion,
la XI Claudia pia fidelis, dont la titulature nous reporte aux années 42-6937,
soit plusieurs dizaines d'années avant le bornage déjà connu, η se confirme
ainsi que les prata legionis avaient des limites relativement stables, qui ne
variaient guère en un demi-siècle, et une étendue assez considérable, que

33 Cf. E. Ritterling, "Legio", dans R.E., 12, 1925, 1691. Sur le camp de Bumum, cf. G.
Alfôldy, Bevôlkerung und Gesellschaft der rômischen Provini Dalmatien, Budapest, 1965, p.
87-88, et S. Zabehlicky-Scheffenegger, M. Kandler, Burnum I. Erster Bericht ûber die
Kleinfunde der Grabungen 1971 und 1974 aufdem Forum, Vienne, 1979, notamment p. 9-15.
34 Le transfert est ordinairement placé en 86 ap. J.-C, aux début des guerres daciques de
Domitien : cf. E. Ritterling, Legio, 1542. Il n'y a pas de raison décisive pour modifier cette
date, mais elle ne peut évidemment être qu'approximative, et on pourrait aussi l'avancer up
peu, vers le début des années 80 : je renvoie sur ce point à ma thèse de doctorat de Illème
cycle, Histoire des légions romaines du Rhin et du Danube sous le règne de Domitien, Paris,
1985.

35 La procuratèle d'Augustianus Bellicus en Dalmatie peut être datée entre 89 et 105 ap. J.-C :
cf. H.-G. Pflaum, Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-Empire romain, t . 1,
Paris, 1960, n° 68 ; H. Devijver, Prosopographia militiarum equestrium quae fuerunt ab
Augusto ad Gallienum, 1. 1, Louvain, 1976, C 122.
36 Ainsi A. Mocsy, Condizioni del suolo, p. 345 ; F. Vittinghoff, Militàrterritorium, p. 1 14.

37 Cf. ci-dessus, note 33. La légion reçut les épithètes pia fidelis après la répression de la
révolte de 42 : E. Ritterling, Legio, 1691.
84 F.Bérard

l'éditeur de la nouvelle borne évalue, pour Burnum, à 455 km238.


Malheureusement, la nouvelle borne ne précise pas avec qui confinaient les
prata legionis. C'est d'autant plus regrettable que la première posait, de ce
point de vue, quelques difficultés d'interprétation : alors que les prata des
légions d'Espagne confinaient aux territoires des cités voisines, ceux de la
légion de Dalmatie avaient pour voisin un propriétaire privé. Cela veut-il dire
qu'ils se trouvaient, comme ce domaine, sur le territoire d'une cité voisine39 ?
Dans ce cas, y étaient-ils depuis longtemps40, ou est-ce une conséquence du
départ de la //// Flauia, qui aurait entraîné une dissolution ou une réduction du
territoire militaire ?
Ce sont là des questions difficiles, auxquelles il faut espérer que de
nouvelles découvertes apporteront un jour des éléments de réponse.
Remarquons seulement que l'existence d'une borne entre un particulier et des
prata légionnaires conforterait plutôt le point de vue de ceux qui, comme F.
Vittinghoff, considèrent ces prata comme de simples domaines d'exploitation,
discontinus entre eux et pouvant éventuellement être situés sur le territoire de
cités extérieures41.

Ce n'est pas, cependant, l'hypothèse la plus communément admise. A.


Schulten, déjà, puis A. Mocsy, remarquant que les bornes espagnoles et
dalmate dataient toutes du 1er siècle, avaient admis que les prata legionis
désignaient à cette époque, par une sorte de métonymie, ce qu'on appellerait
plus tard le territorium legionis, bien qu'il n'existe en fait qu'une seule
attestation épigraphique de cette expression42. Cette opinion, qui se fonde sur
la nécessité pour la légion de disposer de son propre domaine économique,
s'est vite imposée, et, sans plus se poser de questions, on a entrepris de définir
sur des critères géographiques ou archéologiques le territoire jugé nécessaire
au fonctionnement et à l'entretien d'une légion43. Dans ce type d'études, les

38 M. Zaninovic, dans Opuscula Archaeologica (Zagreb), 10, 1985, p. 63-79, d'après A.E.,
1988, 923 : je n'ai malheureusement pas pu consulter l'article de M. Zaninovic.
39 L'hypothèse inverse, selon laquelle un domaine privé serait enclavé dans le territoire
légionnaire paraît moins probable. Si la frontière du domaine était aussi celle d'une cité,
pourquoi l'indication ne figurait-elle pas sur la borne ?

40 Sur l'hypothèse de prata enclavés dans le territoire de cités voisines, cf. F. Vittinghoff,
Militârterritorium, p. 1 1 3.

41 Cf. note précédente.

42 A. Schulten, art. cité, p. 514 ; H. von Petrikovits, Rheinland, p. 63 ; D.J. Mason, art. cité,
notamment p. 164-166. A. Mocsy, Prata, p. 211-213, cf. Militarise he Territorien, p. 155-156
et 167, admet que le changement de terminologie s'accompagne d'une réduction des surfaces et
peut-être aussi d'une modification des structures.

43 Cf.H. von Petrikovits, Rheinland, p. 63, et C.B. Riiger, Germania inferior, p. 51-75 ; pour
la Bretagne, D.J. Mason, art. cité, en dépit de forts maigres indices.
Territorium legionis 85

principaux critères sont, outre la topographie locale et la consommation


présumée d'une légion44, les cartes de répartition des données archéologiques
spécifiquement romaines, et tout particulièrement des uillae d'une part
(attribuées à des fermiers ou à des vétérans) et des tuiles militaires estampillées
de l'autre. La combinaison de ces deux critères caractérise par exemple l'étude
pionnière de V. von Gonzenbach sur la région de Vindonissa45. Mais, comme
le souligne l'auteur elle-même, l'interprétation de ces cartes est délicate.
Certes, on ne croit plus guère que des tuiles à estampille militaire aient pu être
massivement vendues pour des usages purement civils46. Mais il faut tenir
compte des cas de remploi et surtout des livraisons effectuées au profit
d'autres unités militaires, des postes dispersés dans l'intérieur des provinces et
des constructions d'intérêt public dans les capitales ou dans les grandes villes.
Toutes ces interpénétrations font que les tuiles estampillées, très utiles pour
étudier l'influence économique de l'armée dans une province, ne peuvent
guère, même avec des tableaux très fins, nous renseigner sur les limites
juridiques d'un éventuel territoire47. C'est encore plus vrai, naturellement,
pour les exploitations agricoles, dont nous ignorons presque toujours par qui
elles étaient cultivées48.
Mais ce défaut d'instruments de mesure ne suffit évidemment pas à ruiner
la notion de territoire légionnaire. Des critiques plus graves ont été formulées
contre elle, principalement dans les articles de F. Vittinghoff49. La première
de ces critiques met en cause l'existence même d'un domaine agricole géré par
la légion50. La théorie de l'auto-suffisance alimentaire est en effet aujourd'hui
de plus en plus fréquemment battue en brèche, au fur et à mesure qu'on
connaît mieux les mouvements commerciaux. Il apparaît de plus en plus

44 Cf. H. von Petrikovits, Rheinland, p. 65-66, qui évalue à 35 km2 la surface d'emblavurcs
nécessaire pour nourrir 6000 hommes.

45 V. von Gonzenbach, "Die Verbreitung der gestempelten Ziegel der im 1. Jahrhundert n.


Chr. in Vindonissa liegenden rômischen Truppen", dans Β J., 163, 1963, p. 76-150.

46 Cf. sur ce point H. von Petrikovits, Rheinland, p. 65, G. Alfôldy, "Die Verbreitung von
Militârziegeln im rômischen Dalmatien", dans Ep. Stud., 4, 1967, p. 44-51, et C.B. Riiger,
Germania inferior, p. 56-59, qui ont réaffirmé, avec quelques nuances, la vieille règle de G.
Wolff et d'E. Ritterling selon laquelle les tuiles militaires étaient réservées à l'usage militaire.

47 Cf. les conclusions analogues de F. Vittinghoff, Militârterritorium, p. 121-122, et A.


Mocsy, Militârische Territories p. 145-152.

48 Comme le reconnaît V. von Gonzenbach, art.cité, en supposant qu'il s'agissait de vétérans.


Sur d'autres uillae au voisinage des camps militaires, cf. H. von Petrikovits, Rheinland, p. 64
et 66, qui pense à des vétérans ; Militârisches Nutzland, p. 232-233.

49 Cf. ci-dessus, note 4. La plupart de ces critiques ont été reprises par A. Mocsy lui-même, en
particulier dans Militàrische Teiritorien et dans Condizioni del suolo.

50 F. Vittinghoff, Militârterritorium, notamment p. 120 ; A. Mocsy, Condizioni del suolo, p.


352.
86 F.Bérard

qu'une légion importait une quantité considérable de produits agricoles : c'est


vrai naturellement pour des productions méditerranéennes comme le vin51 et
l'huile52, mais aussi probablement pour le blé, surtout dans des régions aussi
boisées et peu densément peuplées qu'étaient au début de la conquête la
Germanie, la Bretagne ou certaines régions danubiennes53. Du reste, nous ne
connaissons pas de soldats-agriculteurs et bien peu des fermiers civils ou des
vétérans qui seraient censés les remplacer54. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait
pas eu de terrains réservés à la légion, notamment pour le pacage des bêtes (il
existe en revanche des soldats qui furent pecuarii), et pour des fournitures
aussi indispensables que le bois, l'eau, les sables et argiles divers et même les
mottes de gazon55. Ce serait même plutôt un argument pour penser que le mot
prata pouvait éventuellement s'appliquer à l'ensemble d'un territoire
légionnaire, puisqu'il désigne ce qui semble bien avoir été sa fonction
principale. Mais cela invite à penser que, débarrassés de l'hypothèque agricole,
ces terrains pouvaient être moins vastes qu'on ne le pense généralement,
d'autant que certains des domaines utilisés par la légion devaient se trouver à
l'extérieur, comme par exemple les carrières, qui sont souvent fort éloignées
des garnisons. La théorie de F. Vittinghoff, niant l'existence d'un véritable
territorium legionis, suppose même l'existence d'une pluralité de domaines
clos et discontinus, dont les plus importants seraient des prata et dont certains
pouvaient être, le cas échéant, des sortes d'enclaves dans le territoire d'une cité
voisine56. Peut-être est-ce là pousser un peu loin la critique ; mais l'hypothèse
est intéressante, et pourrait rendre compte, en particulier, des distances
considérables qui séparent certaines bornes espagnoles.
La seconde critique formulée par F. Vittinghoff est d'ordre juridique.
Rien n'indique, en effet, qu'il ait existé un droit du sol particulier pour
l'armée. Un territoire militaire est, comme du reste tout le sol provincial,
dominium populi Romani uel Caesaris. L'armée ne peut donc avoir que la
jouissance du domaine impérial, comme tout le monde s'accorde à le

51 Cf. A. Tchernia, Le vin de l'Italie romaine, Rome, 1986, p. 13-19.


52 Cf. J. Remesal Rodriguez, 'Oie Organisation des Nahrungsmittelimportes am Limes", dans
Studien zu den Militârgrenzen Roms IH (13ème Congrès du limes, Aalen, 1983), Stuttgart,
1986, p. 760-767.

53 Cf. L. Wierschowski, Heer und Wirtschaft. Dos ramisene Heer der Prinzipatszeit als
Wirtschaftfaktor, Bonn, 1984, p. 151 ; D. Whittaker, Les frontières de l'Empire romain, trad,
fr. de Chr. Goudineau, Paris, 1989, p. 56-57.
54 Cf. A. Mocsy, Condizioni del suolo, p. 352.

55 Cf. A. Mocsy, Militârische Territorien, p. 152-154, qui évalue à plus de 10 km2 la surface
nécessaire tout en restant très prudent sur d'éventuelles activités agricoles (p. 154-155) ; H.
von Petrikovits, Militârisches Nutzland, p. 230-232, qui admet des exploitations moyennes
pour la culture vivrière, sinon la grande production céréalière.
56 Cf. ci-dessus, note 40.
Territorium legionis 87

reconnaître aujourd'hui57. C'est aussi ce que tendrait à confirmer la récente


inscription de Walheim, qui mentionne la construction d'un temple in solo
Caesar is, à environ 400 mètres de ce camp auxiliaire du limes du Neckar,
c'est-à-dire vraisemblablement dans le uicus qui s'étendait au voisinage du
camp. Cette conclusion reste malheureusement invérifiable, d'une part parce
qu'on ne peut être sûr des limites du uicus5*, et surtout parce que le camp
auxiliaire avait été évacué bien avant la date de l'inscription (188 ap. J.-C.),
lors de l'avancement du limes de Germanie supérieure59 : impossible de savoir
dès lors s'il subsistait encore, comme à Burnum, une sorte de terrain militaire
ou s'il avait été attribué, par exemple, à un domaine impérial60.
Si la critique de F. Vitinghoff a, sur ce point, emporté l'accord général,
elle ne règle pourtant pas tout. Car s'il n'y a pas de condition juridique
particulière pour les terres occupées par l'armée, cela ne veut pas dire qu'il
n'ait pas existé, dans la réalité, un domaine réservé où l'armée ait marqué
clairement et au besoin délimité par des bornes son droit d'occupation61. Π
suffit de penser à nos terrains militaires pour se représenter l'aspect matériel
que pouvait prendre cette occupation. Mais il y a, au voisinage des camps
légionnaires, une autre réalité repérable, il s'agit bien sûr des kanabae, ces
agglomérations élevées aux portes des camps légionnaires. C'est précisément
sur les kanabae que porte la troisième grande critique de F. Vittinghoff contre
la théorie du "Militârland"62. Cette théorie voyait en effet dans les kanabae, à
la suite de Th. Mommsen, une sorte d'administration militaire, contrôlée par
des vétérans et par l'intermédiaire de laquelle la légion, et en particulier le
praefectus castrorum et ses subordonnés immédiats, les primi ordines et en
premier lieu le primipile, auraient administré le territorium legionis63. Je ne
reviens pas ici sur cette administration du primipile, sinon pour rappeler que,
si elle est liée à l'institution de l'annone militaire et au ravitaillement extérieur

57 F. Vittinghoff, Militârterritoriwn, p. 123-124 ; A. Mocsy, Militârische Territorien, p. 165-


167 ; R. Wiegels, Solum Caesaris, p. 73-78, reprenant la formule de Gaius (II, 7).

58 Cf. R. Wiegels, Solum Caesaris, p. 85-90, qui conclue à l'incertitude. Par comparaison,
l'inscription de Matrica a été trouvée à 90-100 m au nord du camp auxiliaire : cf. A Mocsy,
Auxiliarvici, p. 365, et ci-dessous.

59 Cf. G. Alfôldy, "Caius Popilius Carus Pedo und die Vorverlegung des obergermanischen
Limes", dans Fundberichte aus Baden-Wùrttemberg, 8, 1983, p. 55-67, qui propose de dater
cette rectification du limes autour de 155 ap. J.-C.

60 Cf. R. Wiegels, Solum Caesaris, p. 90-97, qui rejette plutôt cette éventualité. L'hypothèse a
été envisagée aussi pour les prata de Burnum après le départ de la légion : A. Mocsy,
Militârische Territorien, p. 154.

61 Comme l'a bien remarqué A. Mocsy, Condizioni del suolo, p. 355.

62 F. Vittinghoff, Militàrterritorium, p. 222.

63 Ainsi H. von Petrikovits, Rheinland, p. 72 ; C.B. Ruger, Germania inferior, p. 72.


88 F.Bérard

de l'armée, rien ne prouve jusqu'à présent qu'elle ait exercé un quelconque


contrôle sur le territoire même de la légion64. Rappelons aussi qu'elle
n'apparaît pas dans nos sources avant l'époque sévérienne, que nous avons
fixée comme limite de notre enquête65. De toute façon, F. Vittinghoff a bien
montré que, loin d'être une institution de type militaire, les kanabae avaient au
contraire, même si elles restaient sous l'autorité ultime du légat de légion, une
organisation tout-à-fait civile, calquée sur celle des conuentus ciuiwn
Romanorum, et, au terme de l'évolution, quasi-municipale66. Il ne faisait du
reste que revenir sur ce point aux conceptions développées jadis par A.
Schulten67. Je crois qu'on peut poursuivre un peu plus loin dans cette voie et
montrer que c'est cette organisation quasi-municipale des kanabae qui nous
permet de comprendre ce que devait être le territoire d'une légion.

III. Territoire des uici

On sait que les garnisons romaines étaient entourées d'agglomérations


civiles, dont nous avons trouvé de nombreuses traces archéologiques aux
portes mêmes des camps68. On appelle traditionnellement ces agglomérations
uici quand il s'agit de camps auxiliaires et kanabae quand il s'agit de castra
légionnaires69. L'opposition doit certainement être nuancée, puisqu'on trouve
aussi uicus auprès de camps légionnaires, comme à Mayence, Strasbourg et
Vindonissa en Germanie supérieure, ou encore à Lambèse, en Afrique, et
qu'on peut donc penser que c'était là le terme le plus exact, même auprès de
légions ; kanabae, en revanche,- paraît d'emploi plus limité et, peut-être, moins
officiel. Mais, sans approfondir ici ces questions de terminologie70, on

64 Cf. A. Mocsy, Lustrum primipili, notamment p. 319-32 ; J.-M. Carrié, "Primipilaire et taxe
du "primipilon" à la lumière de la documentation papyrologique", dans Actes du XVème
Congrès Int. de Papyrologie. IV. Papyrologie documentaire, Bruxelles, 1979, p. 156-176.

65 CIL, m, 14356/3a = ILS., 9103. Π a paru préférable d'exclure ces prat(a) Fur(iana ?) de la
liste donnée en appendice, dans la mesure où ne rien ne prouve qu'il s'agisse d'un territoire
militaire, comme le reconnaît A. Mocsy, Lustrum primipili, p. 324 ; Militàrische Territorien, p.
135.

66 F. Vitinghoff, Canabae legionis, p. 301-303.

67 A. Schulten, art. cité, notamment p. 503-509 ; cf. ci-dessus, p. 6.

68 Cf. la description d'H. von Petrikovits, "Die canabae legionis", dans 150 Jahre des D.A.I. :
1829-1979... Kolloquium 17-22 April 1979 in Berlin, Mayence, 1981, p. 163-175.

69 Cf. H. von Petrikovits, Rheinland, p. 55 ; A.G. Poulter, Insediamenti, p. 77.

70 On m'excusera de renvoyer sur ce point, comme pour le détail de la bibliographie, à F.


Bérard, "Vikani, kanabenses, consistentes, remarques sur l'organisation des agglomérations
militaires romaines", communication au colloque L'epigrafìa del villaggio, Forli, 1990 (à
paraître).
Territorium legionis 89

remarquera que, par delà les différences de vocabulaire, il y a un point


commun à toutes ces agglomérations établies aux portes des camps militaires
romains : c'est que, loin d'être administrées directement par l'armée, comme
on l'a cru71, elles disposent, comme du reste beaucoup d'autres uici, d'une
organisation quasi-municipale, avec un ordo et des décurions, des magistrats,
des finances publiques etc72. On en voit même, telles les kanabae Aeliae de
Durostorum (C.I.L., ΙΠ, 7474), prendre une épithète impériale, exactement
comme le ferait une cité. N'avaient-elles pas aussi cet autre élément
indissociable de la cité que constitue son territoire73 ? C'est la question qu'il
nous faut examiner désormais.
Le mot territorium apparaît en particulier dans une des inscriptions de
Troesmis (cf. appendice, n° 11), en Mésie inférieure, la garnison légionnaire
dont les kanabae sont le mieux connues par une abondante épigraphie. On voit
souvent dans cette inscription une des rares attestations épigraphiques de ce
"territoire légionnaire" que nous recherchons sur toutes les frontières de
l'empire74. Le contexte immédiat est malheureusement inconnu, mais il est
question des [dues Romani con]sistentes, dont nous savons qu'ils étaient, avec
les vétérans, chargés de l'administration des kanabae (I.ScM, V, 141, 154). Π
est donc probable que le territoire mentionné n'était pas un "territoire
militaire", mais bien celui, quasi-municipal, des kanabae. L'état fragmentaire
de l'inscription ne permet pas de savoir comment un tel territoire était
officiellement désigné, mais on peut considérer comme assez vraisemblable la
restitution territor[ium Troesmense] proposée par les I.ScM., à moins qu'on
ne préfère, légère variante, [Troesmensium] , qui trouve d'assez nombreux
parallèles dans l'épigraphie de Troesmis75. Nous aurions alors de bonnes

71 Cf. par exemple H. von Petrikovits, Rheinland, p. 63, et C.B. Ruger, Germania inferior, p.
72-74, reprenant une théorie qu'on a peut-être excessivement attribuée à Th. Mommsen, dont la
position n'était pas sans nuances (cf. Lagerstàdie, p. 317-323) ; également M. Rostovtzeff,
The Social and Economie History of the Roman Empire, 2e éd. rev. par P.M. Fraser, Oxford,
1957, p. 244-245.

72 Cf. F. Vittinghoff, Canabae legionis, p. 301-303, suivi par A. Mocsy, Militarise he


Territorien, p. 141-142.

73 "Territorium est uniuersitas agrorum intra fines cuiusque ciuitatis" (Pomponius, Dig., L, 16,
239, dans un contexte relatif aux institutions municipales).

74 Ainsi E. Dorutiu-Boila, "Teritoriul militar al legiunii V Macedonica la Dunarea de Jos", dans


Studii si Cercetari de Istorie Veche si Arheologie, 23, 1972, p. 45-61 ; "Castra legionis V
Macedonicae und municipium Troesmense", dans Dacia, n.s., 16, 1972, p. 144, où l'auteur
exclut que ce territorìwn puisse être celui des kanabae ou d'une agglomération civile située dans
le voisinage.

75 Cf. dec(urio) Troes(mensium) (I.Sc.M., V, 158) et ordo Troesmensium (I.Sc.M., V, 143-


145). Les expressions analogues utilisées pour les uici de camps auxiliaires (cf. ci-dessous)
vont évidemment dans le même sens. Mais le parallèle le plus convaincant est probablement une
autre inscription de Troesmis (J.Sc.M., V, 157), si on a raison de restituer à la ligne 4 c(iues)
R(omani) Tr[oesmi consist(entes)]
90 F.Bérard

raisons de supposer que les dues Romani consistentes ad canabas legionis V


Macedonicae, qu'on pouvait désigner plus brièvement sous le nom de
canabenses (cf. I.ScM., V, 154, 155, 158), pouvaient aussi être appelés, tout
aussi simplement et de manière sans doute moins officielle, Troesmenses. Cette
identification est évidemment discutable76, et on peut, en particulier, envisager
une évolution chronologique. Mais quelle que soit la manière dont on veuille
résoudre ces difficultés de terminologie, un point me paraît essentiel : la
communauté des habitants des kanabae disposait, à Troesmis, d'un territoire
propre, comme elle disposait des autres institutions caractéristiques de
l'organisation municipale. En conséquence, l'inscription de Troesmis ne peut
pas être citée à l'appui de l'existence d'un territoire légionnaire, dont la seule
mention connue reste l'inscription d'Aquincum, pour ne rien dire de celle de
Ratisbonne, sur laquelle nous reviendrons.
Il n'y a pas d'autre exemple du mot territorium en relation avec un camp
légionnaire ou avec l'agglomération qui l'entourait. Mais les uici des camps
auxiliaires nous fournissent heureusement une documentation plus riche. Deux
exemples particulièrement intéressants viennent du limes de Pannonie
inférieure. A Matrica, une dédicace récemment découverte à une centaine de
mètres du camp auxiliaire nous révèle l'existence de ciue[roman]i (sic)
terri [t(orii)] Matricensium dont une des notabilités importantes est un vétéran
de la légion Ilème Adiutrix, stationnée dans la province, à Aquincum77.
Comme l'a bien montré A. Mocsy, cette nouvelle découverte invite à
réinterpréter une inscription provenant du camp voisin de Vêtus Salina, où il
faut peut-être lire désormais ciuib(us) R(omanis) / [terri] t(orii)
Vetuss(alinensium) au lieu de [qui consistunjt Vetuss(alinis)n. Mais qu'on
admette ou non cette nouvelle lecture, le mot territorium revient dans la suite
de l'inscription, sans spécification cette fois, et c'est un argument
supplémentaire pour penser qu'il avait déjà été mentionné au début du texte79.
Nous retrouvons donc à Vêtus Salina la même association entre des dues
Romani et un territorium que nous avons déjà observée à Matrica.
Si on élargit l'enquête aux provinces voisines, on trouve, pour la seule
province de Mésie inférieure, des territoria Capidauense (appendice, n° 14),
Abri(tanorum) (n° 16), M(ontanensium) (n° 17) et Dianensium (n° 18), auquel
on ajoutera un territ(orium) Suc(idauense) dans la Dacie voisine (n° 15). Les
inscriptions de Capidaua et de Sucidaua sont particulièrement intéressantes

76 Sur les rapports entre kanabenses et Troesmenses, voir ci-dessous, p. 19, et F. Béraid, art.
cité (note 70).
77 Voir appendice, n° 12 ; A. Mocsy, Auxiliarvici.

78 Voir appendice, n° 13 ; A. Mocsy, Auxiliarvici, p. 367, propose de lire ciuibus R(omanis) /


[et consist(entibus) territorii) Vetuss(alinensium), mais, comme il le remarque lui-même, la
longueur de la lacune est incertaine et le mot consistentibus par voie de conséquence
hypothétique.

79 Comme le note justement A. Mocsy, Auxiliarvici, p. 370.


Tetritorium legionis 91

pour nous, car dans ces deux cas le territoire est désigné par le nom du camp
auxiliaire, encore plus nettement qu'à Matrica et à Vêtus Salina, puisque
l'adjectif géographique, employé au singulier, détermine directement le mot
territorium*0. Π ne faut pas en conclure que c'était un territoire militaire
administré par l'armée. Comme à Vêtus Salina et à Matrica, le territoire était
confié à une administration civile, représentée par un quinquennalis ou par des
curiale s. Nous savons que le quinquennalis de Capidaua, au moins, était citoyen
romain. On peut donc supposer qu'il existait, même si nous n'en avons plus de
trace épigraphique explicite, une organisation de dues Romani consistentes.
Nous en avons une preuve éclatante dans le cas d'Abritus. Le milliaire qui
a conservé le nom du ter(ritorium) Abri(tanorum) (Appendice, n° 16) ne nous
dit évidemment rien du statut de cette collectivité, mais nous avons la chance
de posséder aussi une dédicace à l'empereur Antonin qui nous donne son nom
officiel : ueterani et c(iues) R(omani) et consistentes Abrito ad ca[stellum]
(A.E., 1957, 97). C'est, il faut le remarquer une nouvelle fois, une formule
tout à fait analogue à celle utilisée pour les habitants des kanabae
légionnaires81, et on n'hésitera donc guère à penser, malgré l'écart d'un siècle
qui sépare la dédicace et le milliaire, que ce territorium était, comme celui de
Troesmis et sans doute celui de nombreuses autres kanabae légionnaires,
administré par une association de citoyens romains, puisque nous n'avons pas
de trace d'un statut municipal pour Abritus. Remarquons aussi que, comme
ceux de Matrica, Vêtus Salina, Capidaua et Sucidaua, il était désigné par le
nom de la garnison auxiliaire, car tel est le sens qu'il faut donner à castellum
dans la dédicace faite à Antonin.
La situation est moins claire dans le cas des Montanenses et des Dianenses.
Nous savons, certes, qu'il y a eu pendant longtemps une garnison auxiliaire à
Montana, sans doute au moins dans la seconde moitié du 1er siècle et dans la
première moitié du second82, mais il n'est pas certain qu'elle ait donné son
nom à cette agglomération importante de l'intérieur de la province, qui était

80 Cf. l'inscription n° 14, où l'adjectif Capidauense est écrit en entier. La restitution est
seulement probable pour l'inscription n° 15, où l'on pourrait lire aussi Suc(idauensium), en se
fondant sur les parallèles de Matricensium et Troesmensium.

81 On ne peut toutefois se fonder sur cette similitude pour lire ad ca[nabas], comme on le fait
parfois, à la suite de T. Ivanov (cf. A.E., ad loc). La mention de canabae est en effet
pratiquement inconnue auprès de camps auxiliaires (les cas de Dimum et de Ratisbonne étant
pour le moins douteux), alors que l'épitaphe d'un soldat mort à Aquilée donne comme origo
écrite presque en toutes lettres castell(o) Abritanor(um) (CIL, V, 942 = ILS., 2670). Cf. en ce
sens F. Vittinghoff, Leon, p. 343, n. 26 ; plus incertain, A. Mocsy, Militârische Tettitorien, p.
141, n. 28.

82 Cf. N.B. Rankov, "A Contribution to the military and administrative history of Montana",
dans Ancient Bulgaria (International Symposium, 1981), Nottingham, 1983, p. 40-42, avec la
célèbre inscription de Fhrygie qui mentionne un Montanfense) praesidium dans un sens sans
doute assez voisin de castellum (A.E., 1927, 95).
92 F.Bérard

notamment le centre d'un grand district minier83 et le siège de services de


l'administration impériale dans lesquels étaient détachés de nombreux
légionnaires ou soldats de Vofficium du gouverneur. Le b(ene)f(iciarius)
co(n)s(ularis) ag(ens) t(erritorio) M(ontanensium) que nous fait connaître une
nouvelle dédicace à Diane et à Apollon (n° 17) pourrait avoir appartenu à un
de ces services, et nous sommes donc tentés de penser, au premier abord, que
ce territorium, à supposer que le développement soit exact, n'était, comme la
regio Montanensium dont font état plusieurs inscriptions84, qu'une sorte de
subdivision territoriale de l'administration impériale. Mais, à la réflexion,
cette première impression ne paraît pas la meilleure, et on peut éviter
l'hypothèse, toujours dangereuse, d'une erreur ou seulement d'une imprécision
dans le vocabulaire. Nous connaissons en effet à Montana des decuriones, qui
ont fait supposer l'existence d'un municipe à partir du milieu du Ilème siècle.
En fait, si le statut municipal reste incertain, il pourrait fort bien s'agir d'une
communauté de type pseudo-municipal, avec des décurions, sans doute aussi
des magistrats, et, par voie de conséquence, un territoire83. Il est alors logique
de supposer, à l'origine de cette communauté, le uicus du camp auxiliaire
établi depuis une époque très ancienne à Montana. Mais nous manquons
d'éléments pour le prouver, et on pourrait aussi songer à un uicus purement
civil. L'incertitude est plus grande pour Diana (cf. n° 18), située, comme
Montana, au sud du limes danubien, mais dont la situation stratégique, dans
une des vallées menant vers l'intérieur de la province, ne permet pas d'exclure
qu'elle ait eu, elle-aussi, surtout à une période ancienne, une garnison.
Même si nous laissons de côté les cas discutables de Montana et de Diana,
nous disposons en Mésie inférieure, encore plus qu'en Pannonie inférieure,
d'indications suffisantes pour montrer que les uici établis auprès des camps
auxiliaires, ou du moins de certains camps auxiliaires, avaient une organisation
quasi-municipale, très proche de celle qu'on observe à la même époque dans
les kanabae légionnaires, et qu'en particulier ils avaient un territoire propre,
qui est relativement bien attesté dans l'épigraphie par près d'une demi-
douzaine d'exemples.

Cette présence de dues Romani consistentes établis aux portes des camps
auxiliaires est parfois comprise comme une particularité des provinces
danubiennes, alors que le reste de l'Empire se contenterait de uici plus
modestes86. C'est peut-être déplacer un peu le problème. Outre qu'il existe des

83 Sur l'hypothèse selon laquelle le nom de Montana serait dérivé de celui des mines, cf. N.B.
Rankov, art. cité, p. 45-47.

84 Cf. A.E., 1969/1970, 577 et N.B. Rankov, art. cité, p. 55-58.

85 Ainsi R. Vulpe, "Colonies et municipes de la Mésie Inférieure", dans Studia thracologica,


Bucarest, 1976, p. 295-296 ; N.B. Rankov, art. cité, p. 57-58.
86 Ainsi A. Mocsy, Auxiliarvici, p. 368.
Territorium legiorùs 93

exemples analogues dans d'autres provinces, même s'ils sont moins


nombreux87, il faut remarquer que c'est aussi dans les provinces danubiennes
que l'organisation municipale des kanabae est le mieux connue et a pris le plus
d'ampleur. Il y a donc bien une spécificité des provinces danubiennes, mais
elle s'applique de la même façon aux uici des garnisons auxiliaires comme aux
kanabae des légions. Plus que par une différence de structures, elle pourrait
s'expliquer par un stade plus avancé de romanisation, ou du moins
d'urbanisation dans la zone même des armées.
H faut noter, de ce point de vue, que les uici des camps auxiliaires de
Mésie inférieure présentent de très fortes analogies avec les nombreux uici qui
constituent la structure administrative prédominante dans cette province et qui
ont, eux aussi, une organisation de type corporatif88. La forme de ces
communautés, qui tiennent apparemment la place prise dans d'autres provinces
par des cités peregrines, mais semblent être des créations romaines, fait que la
distinction entre uici militaires et civils est parfois difficile, comme le
montrent les exemples de Diana ou de Montana, et peut-être même au fond
dépourvue de signification.
Une des caractéristiques de ces communautés, très nombreuses et dotées
d'une abondante épigraphie, est qu'elles disposent souvent d'une organisation
mixte, un des magistri étant citoyen romain et l'autre peregrin89. Il faut se
demander si ce modèle n'a pu influer sur les structures des kanabae et des uici
installés aux portes des camps militaires. Certes, la grande majorité d'entre
eux sont administrés par des associations qui comportent exclusivement des
vétérans et des citoyens romains : c'est le cas de la quasi-totalité des kanabae
légionnaires et de très nombreux uici auxiliaires, comme ceux de Jagsthausen
et de Sexaginta Prista90, ou encore le uicus classicorum apparu tout récemment
dans la Dobroudja91. Pourtant, il existe des cas où la formule officielle peut
comporter des peregrins, comme dans les inscriptions déjà citées d'Abritus
(Λ.Ε., 1957, 97) et de Rapidum (C./.L., VIII, 20834-20835) et même dans

87 Cf. en Germanie Supérieure H. Nesselhauf - H. Lieb, dans BJt.GX., 40, 1959, n° 141
(Jagstlausenn, sur le limes extérieur =: ucterani consistentes ad hiberna cohoz(tis) I
Ger(manorwn) ; CIL., ΧΙΠ, 6740a = ILS., 7085 (Mayence = uikani ueteres consistentes
castel(lo) Mattiac(orum) ; en Bretagne, A.E., 1958, 105 : uikani consistentes castello
Veluniate ; en Afrique, C.I.L., VIII, 20834-20835 = I.L.S., 6685 ; neterani et pagoni
consistentes apud Rapidum.

88 Cf. en ce sens A. Mocsy, Militârische Territorien, p. 141-142 (qui considère comme "civils"
les uici de Capidaua, Sucidaua, Diana). Sur les uici de Mésie inférieure, cf. A.G. Poulter,
Insediamenti, p. 82-83.

89 Cf. par exemple LScM ., I, 324, 344 etc ; A.G. Poulter, loc. cit.
90 A. £., 1966, 356 : dues Romanfi consistentes J Sexaginta Pri[st(is)J. Pour Jagsthausen cf.
ci-dessus, note 87.

91 A. Suceveanu, M. Zahariade, "Un nouveau 'vicus' sur le territoire de la Dobroudja


romaine", dans Dacia, 30, 1986, p. 109-120 ; A.E., 1988, 986-991.
94 F.Bérard

celle des kanabae Aeliae de la Xlème légion à Durostorum, où il est diffìcile


d'interpréter autrement l'expression c(iues) R(omani) et consistente^1. Cela ne
veut pas dire, bien entendu, qu'ils étaient traités à l'égal des citoyens romains,
et on peut penser qu'au contraire ceux-ci conservaient le contrôle de
l'organisation et exerçaient seuls les magistratures93. Mais au moins, une place
était reconnue aux peregrins dans le corps social, dont ils faisaient finalement
partie. C'est peut-être dans ce sens qu'il faut comprendre la fameuse dualité
entre canabenses et Troesmenses qui a fait couler tant d'encre : ne serait-ce
pas qu'à la différence des magistrats, pris toujours parmi les canabenses, les
simples décurions pouvaient à l'occasion être recrutés parmi les indigènes du
territoire, sans qu'il soit nécessaire de supposer l'existence de deux
communautés différentes ? Ce n'est là qu'une hypothèse, qu'il faudrait
pouvoir discuter plus longuement94, mais elle a l'avantage d'être parfaitement
cohérente avec notre problématique. L'inscription de Matrica, et en particulier
l'expression ciueromani territorii Matricensium nous conduisent en effet à une
conclusion analogue, si l'on comprend que dans le territoire des Afatricenses,
qui peuvent être majoritairement des peregrins, le groupe le plus actif et sans
doute dirigeant, celui en tous cas pour qui un vétéran de la légion // Adiutrix
choisit d'élever une dédicace, était celui des citoyens romains.
Tout cela ne constitue que des indices, dont l'interprétation est presque
toujours discutable. Mais il en est encore un que je voudrais verser au dossier,
il s'agit de la signification des adjectifs géographiques, comme Troesmenses ou
Matricenses. On a depuis longtemps remarqué que les kanabae étaient
régulièrement désignées par le nom de la légion auprès de laquelle elles se
trouvaient, et exceptionnellement par un adjectif géographique95. Cela
confortait évidemment la thèse qui voyait dans les kanabae une institution
essentiellement militaire96, η faut peut-être nuancer un peu ce jugement, dans
l'espace et dans le temps. Dans l'espace, il faut remarquer que le mot kanabae

92 CIL, m, 7474. On admet en général que et a été ajouté par erreur et qu'il faut comprendre
c(iues) R(omani) consistentes ; mais cette explication, peu satisfaisante en elle-même, est mise
en cause par les parallèles qu'on peut trouver à Abritus et auprès d'autres garnisons
auxiliaires : cf. F. Bérard, art. cité (note 70).

93 Cf. A.G. Poulter, Insediamenti, p. 78.

94 Le débat tourne autour de l'inscription I.ScM., V, 158, où un vétéran de la légion V


Macedonica, est dit quinquennalis canabensium et decurto Troesmensium. L'hypothèse que
Y ordo Troesmensium pourrait être tout simplement le "sénat des kanabae" est due à A.G.
Poulter, Town and country, p. 82 et n. 42, alors qu'on interprète habituellement l'inscription
comme une preuve de l'existence de deux communautés distinctes, les kanabae et un uicus
disposant d'une plus grande autonomie. Pour le détail de la discussion et la bibliographie, cf.
F. Bérard, art. cité (n. 70).

95 O. Bohn, "Rheinische "Lagerstâdte", dans Germania, 10, 1926, p. 29-30 ; F. Vittinghoff,


Canabae legionis, p. 299.
96 Cf. ci-dessus, note 71.
Territorium legionis 95

est très rare dans les provinces de Bretagne et de Germanie, où le mot uicus
prédomine97 ; or, avec uicus, l'usage d'un adjectif géographique est bien
attesté dès le 1er siècle, aussi bien pour une garnison légionnaire98 que pour un
camp auxiliaire99. Du point de vue chronologique, les inscriptions danubiennes
qui désignent les kanabae par le nom de leur légion sont parmi les plus
anciennes, vers le milieu du Ilème siècle : c'est l'époque où prédominent aussi
dans l'épigraphie les associations de vétérans et de citoyens romains. On peut
donc se demander si l'apparition des adjectifs géographiques, et aussi le
développement du mot kanabenses ne vont pas de pair avec l'intégration
progressive, même à une place modeste, de peregrins dans les communautés
dominées par les vieilles structures des citoyens romains100, η ne s'agit certes
que d'une hypothèse que je formule d'autant plus prudemment qu'on pourrait
aussi songer pour expliquer cette évolution de vocabulaire à un bien
compréhensible souci de simplification de la très longue formule officielle
{ueterani et dues Romani consistentes ad canabas legionis) ; c'est très
probablement le cas de toute façon pour le substantif kanabenses, mais cela
n'exclut pas d'autres facteurs d'évolution. La seconde conclusion qu'on peut
tirer de l'apparition de ces adjectifs géographiques est heureusement un peu
plus assurée : c'est bien sûr que ces uici et ces kanabae avaient une réalité
territoriale, puisqu'aussi bien les Matricenses ne sont pas le personnel
dépendant de la cohorte stationnée à Matrica, mais les habitants du territoire
de Matrica. Les divers emplois du mot territorium que nous avons pu relever
le confirment pleinement : il s'agit bien d'un territoire de type municipal qui
a, sans aucun doute avec certaines limites qui préservent les intérêts de
l'armée, la même fonction qu'un territoire de cité, de même que l'organisation
des kanabae copie celle des véritables cités101.

Pour terminer, je voudrais revenir sur deux inscriptions qui ont, pour
une bonne part, donné naissance à ce débat, celle de Ratisbonne et celle
d'Aquincum. H me semble en effet que c'est dans ce cadre de l'organisation
municipale qu'on peut rendre compte le plus facilement, ou plutôt le moins
difficilement, de la célèbre inscription de Ratisbonne, qui a suscité tant de
débats (cf. appendice, n° 19). Cette dédicace faite à Vulcain par Aurelius
Artissius, aed(ilis) territorii) contributi ?) et kfanabarum ?) R(eginensium ?),
pose deux graves difficultés, aussi bien de lecture que d'interprétation : elles

97 Cf. pour plus de détails F. Bérard, ait cité.

98 CIL, ΧΙΠ, 5194-5195 : uicani Vindonissenses.

*>RJJB., 1700: uicani Vindolande(n)sses.


100 Cf. F. Bérard, art cité (note 70), auquel je renvoie pour le détail de la démonstration et la
liste des inscriptions concernées.

101 Cf. A. Mocsy, Militàrische Territorien, p. 158-159 ; Condizioni del suolo, p. 353.
96 F.Bérard

concernent bien sûr la nature exacte de ce territorium contributum, mais aussi


l'identification de ces hypothétiques kanabae avec celles de la légion III Italica,
stationnée à Ratisbonne {Regina castra)™, qui, si elle est très généralement
admise, n'en pose pas moins d'épineux problèmes.
Le sens de contributum est clair, puisque dans plusieurs textes il désigne
sans ambiguïté un territoire attribué à un peuple ou à une ville103. La seule
difficulté serait la relative rareté des attestations épigraphiques104, les
inscriptions utilisant plus volontiers en ce sens le participe voisin adtributus.
Mais elle n'est pas décisive, et le sens, de toute façon, ne fait pas difficulté. Il
ne peut s'agir que d'un territoire attribué à une collectivité, et c'est la raison
pour laquelle on a vu depuis longtemps dans ce texte un des rares documents
qui, avec l'inscription d'Aquincum, prouvaient que les kanabae legionis étaient
chargées de l'administration du territoire légionnaire, en l'occurrence celui de
la légion /// Italica. Dans cette logique, contributum devient même un terme
technique pour qualifier tout territoire légionnaire, en se référant
principalement à sa situation juridique105, et le territorium contributum n'est
autre que le territoire de la légion de Ratisbonne106. Les objections, pourtant,
ne manquent pas, parmi lesquelles on relèvera seulement, outre le danger qu'il
y a à fonder une norme générale sur un exemple 1res particulier et de surcroît
mal connu, l'inutilité d'une telle mention, si l'inscription de Ratisbonne ne fait
que refléter la situation générale, et surtout l'ordre tout à fait illogique des
mots, puisque la mention des kanabae vient après celle du territoire qui leur
est attribué. On a donc cherché à atténuer la difficulté, en renonçant à faire du
cas de Ratisbonne un modèle général, et en expliquant au contraire que le
territorium contributum nommé avant les kanabae pouvait être l'héritage
d'une situation antérieure à l'installation du camp légionnaire et, peut-être, le
teiritoire du camp auxiliaire qui l'avait précédé107.

102 Cf. E. Ritterling, Legio, 1533, qui situe l'installation de la III Italica à Ratisbonne à la fin
du règne de Marc Aurèle, entre 171 et 179 ap. J.-C.

103 Cf. T.L.L., IV, 1909, col. 777 ; par exemple Columelle, R.R., III, 3, 2 : in Gallico
(agro) qui nunc Piceno contribuitw.

104 Cf. cependant CIL, II, 5439, 103, 3 (lex Vrsonensis) : colonos incolasque contributes
coloniae ; et dans un sens assez voisin pour désigner le transfert de militaires d'une unité dans
une autre contributus ex leg(ione) III Gall(ica) in leg(ionem) III (CIL, Vin, 3157 = ILS.,
2317); cf. aussi ILS., 9116.

105 Cf. A. Mocsy, Prata legionis, p. 212 ; C.B. Ruger, op. cit., p. 55.

106 Ainsi G. Ulbert, "Das rômische Regensburg", dans Germania Romana 1, Heidelberg,
1960, p. 73.
107 Cf. A. Mocsy, Militârische Territorien, p. 137-138, qui rappelle que la date consulaire la
plus plausible se situe en 178 (ou en 172), soit à peu près au moment où la Illème légion Italica
s'installe à Ratisbonne, où son premier monument daté est de l'année 179 (CIL, III, 11965 ;
Territorìum legionis 97

Peu satisfait de ces accommodements, J.E. Bogaers a récemment tenté de


renouveler la question, en proposant de lire, à la ligne 4, ektr(anei) ou
ektr(arii), au lieu de et k(anabarum) R(eginensium), et de comprendre qu'il
s'agissait d'un territoire attribué et extérieur, c'est à dire situé hors de
l'Empire, vraisemblablement sur la rive gauche du Danube ; ceci sans
modifier le fond de la question, puisque ce territoire ne peut guère, selon lui,
avoir été attribué qu'aux kanabae de Ratisbonne, qui, simplement, ne sont plus
nommées dans l'inscription108. Cette nouvelle lecture a été, peu après, admise
par R. Wiegels, surtout à vrai dire parce qu'elle offre l'avantage de supprimer
un des rares textes qui puissent appuyer la théorie du rattachement du
territoire légionnaire aux kanabae que, comme F. Vittinghoff, il rejette109.
Mais, indépendamment même de ces problèmes d'interprétation, que de toute
façon elle ne règle pas tous, la nouvelle lecture paraît en elle-même peu
vraisemblable : d'abord à cause de la juxtaposition des deux qualificatifs
contributum et ektraneum (ou ektrarium), alors que le latin exigerait une
coordination, ensuite et surtout parce que ces deux mots sont des hapax, à
moins de supposer une orthographe particulière de extraneum ou extrarium
que le détour par le grec ne suffit guère à autoriser. Il est donc sage d'y
renoncer et de revenir à la lecture et k(anabarum) R(eginensium)t à moins que
l'on préfère remonter à celle, plus ancienne, de Th. Mommsen et A. von
Domaszewski : et k(astrorum) R(eginorum), que rien ne permet d'exclure110.
En fait, s'il y avait une nouvelle lecture à trouver, je crois que c'est plutôt
du côté de contr( ) qu'il faudrait la chercher. Mommsen avait proposé
contr(arii), en pensant déjà à un territoire situé au delà du Danube, mais le
mot n'est pas mieux attesté que contr(ibuti). Je me demande s'il ne faudrait pas
songer aussi à un nom propre qui désignerait une localité située au delà du
Danube, comme il existait, notable coïncidence, un Contra Reginam en Mésie
Supérieure ou un Contra Tautantum en Pannonie111. Mais je n'ai trouvé aucun
toponyme de ce genre sur le limes de Rétie, et la prudence commande donc de
s'en tenir à contributi), qui a l'avantage de présenter un sens satisfaisant.
Contributus en effet appartient au vocabulaire de l'administration
municipale, comme territorium auquel il s'accorde et comme aedilis, qui
désigne la fonction exercée par Aurelius Artissius. Ce territorium contributum

cf. E. Ritterling, Legio, 1533). Il pourrait donc fort bien s'agir d'une mesure transitoire ; cf.
aussi dans ce sens, F. Vittinghoff, Milîtârterritorium, p. 1 17.

108 J.E. Bogaers, loc. cit. (note 2) ; d'où A.E., 1986, 534.
109 R. Wiegels, Solwn Caesaris, p. 83 et n. 73, qui note lui-même que le problème n'est pas
pour autant réglé au fond.

110 CIL, ad loc. Cf. O. Bohn, art. cité (note 95), p. 32-33, n. 27, qui rejette k(anabarum) au
profit de k(astrorum), ou même de k(astelli), dans le cas où l'inscription serait antérieure à
l'arrivée de la légion.

111 Not. Dign., Or., 41, 21 ; Occ, 33, 55.


98 F.Bérard

ne serait pas le territoire des kanabae elles-mêmes (ou, si l'on veut, le


territoire militaire qui leur a été confiées), mais un territoire supplémentaire
qui leur aurait été attribué en plus du leur, η était inutile que le territoire
propre des kanabae soit indiqué dans le titre du magistrat, dans la mesure où il
allait de soi que ses compétences, comme celles d'un magistrat de cité,
s'étendaient sur l'agglomération et sur son territoire, η fallait indiquer, en
revanche, ce territoire attribué qui étendait les responsabilités d'Artissius au
delà de leurs limites normales. La difficulté reste d'expliquer pourquoi il est
nommé avant les kanabae elles-mêmes, qui nous paraissent être le principal
centre de son activité. Peut-être, comme on l'a suggéré, parce que dans les
premières années de l'installation de la légion à Ratisbonne, ses kanabae et leur
territoire étaient effectivement peu de chose par rapport aux collectivités plus
anciennes112. Peut-être faut-il même considérer alors que la fonction
principale était celle d' aedilis territor(ii) contr(ibuti), ou Contr( ), si l'on
retient l'hypothèse d'un nom propre, et que la charge des kanabae n'est venue
s'y ajouter que par surcroît, par exemple lors de la création du camp
légionnaire de Ratisbonne. η subsiste là une difficulté qu'il serait périlleux de
vouloir trancher. Mais une hypothèse me paraît au moins pouvoir être
hasardée : c'est qu'il s'agit de toute façon d'une fonction de type municipal,
comme celles que nous avons observées dans les uici des provinces
danubiennes et dans leur territorial. L'usage du mot aedilis plaide
évidemment dans ce sens, puisque nous en connaissons également deux dans les
kanabae de Troesmis (/.ScAf., V, 154, 158), alors qu'il n'y a pas de parallèle
dans la hiérarchie militaire.
C'est aussi la raison pour laquelle la lecture k(anabarum) R(eginensium)
me semble préférable à k(astrorum) R(eginorum)1H. Les conséquences n'en
sont pas minces, puisque c'est finalement le seul magistrat de kanabae que nous
connaissions dans les provinces germaniques. On pourrait en conclure que le
mot kanabae avait commencé à s'y développer, à la fin du Ilème siècle, comme
dans les provinces de Mésie et de Pannonie, si nous n'étions pas à l'extrémité
orientale de la province de Rétie et si la /// Italica n'arrivait pas, justement,
des régions danubiennes. Une autre conséquence, moins incertaine, est qu'on
continuait à mettre en place des organisations de kanabae auprès des nouveaux
camps légionnaires, alors même que plusieurs municipes existaient déjà aux
portes des camps danubiens : mais ce souci de n'accorder le droit municipal
qu'après une évolution régulière et contrôlée correspond trop bien aux usages
de l'administration romaine pour nous surprendre. Le principal intérêt est

112 Cf. ci-dessus, note 107. Il parait peu probable dans ce cas que le territorium contribution ait
été celui de l'unité auxiliaire précédente, à moins que celle-ci n'ait vu se développer à ses portes
un très grand uicus.

113 L'aedilis territorii contri ) rappellerait ainsi le quinquennalis territorii Capidauensis


(Appendice, n° 14) ou les curiales territorii Sucidauensis (n° 15).

114 Cf. F. Vittinghoff, Militârterritorium, p. 116.


Territorium legionis 99

donc de nous apporter un nouvel exemple d'organisation municipale de


kanabae légionnaires, avec non seulement un territoire attribué, mais aussi,
implicitement, un territoire propre, dans une région relativement éloignée des
garnisons danubiennes où nous les connaissions jusqu'ici, η ne faut pas oublier,
cependant, que toutes ces conclusions dépendent d'une lecture qui reste
hypothétique.

La situation est un peu différente en ce qui concerne l'inscription


d'Aquincum (note N° 10), qui a servi de fondement à presque tous les
défenseurs du territoire légionnaire. La lecture territorio leg(ionis) II
Ad(iutricis) p(iae) f(idelis) S(euerianae) paraît certaine. Mais c'est
l'interprétation qui fait alors difficulté. On admet en général aujourd'hui qu'il
s'agit d'un véritable territoire militaire, hérité des premiers temps de
l'occupation militaire de la région d'Aquincum et laissé à la disposition de la
légion, une sorte de pratum donc, distinct non seulement des territoires du
municipe d'Aquincum et de la cité des Eravisques, mais aussi, plus
curieusement, de celui des kanabae. La question, à dire vrai, ne se pose pas
pour A. Mocsy, qui considère que, depuis Septime Sévère, les kanabae ont
complètement disparu, absorbées par les municipes voisins115. F. Vittinghoff,
qui rejette avec de bons arguments cette hypothèse d'une disparition générale
des kanabae sous le règne de Septime Sévère, exclut cependant que le balneum
construit a solo territorio leg(ionis) puisse se trouver sur le territoire des
kanabae, pour l'unique raison que celles-ci ne sont pas nommées dans la
dédicace116. L'argument ne me paraît pas décisif. Car il était assez logique que
l'autorité militaire, en l'occurrence le légat de la légion et de la province,
construise et dédie des bâtiments sur le territoire des kanabae sans que les
autorités de celles-ci puissent revendiquer une quelconque préséance : sans
doute cela faisait-il partie des restrictions inhérentes au statut des kanabae, et
c'est en tout cas la situation que nous observons couramment à Lambèse, même
après que la ville eut reçu le statut municipal117. En fait, ce qui est indiqué
dans l'inscription d'Aquincum, c'est plutôt la qualité juridique du sol, et
territorio leg(ionis) semble être ici une expression de même type que loco
publico ou solo Caesaris119. Rien n'empêche que ce territoire qui appartient à
une légion (et donc, en définitive, à l'empereur) soit celui dont les kanabae
avaient la disposition et qu'il était du reste difficile de désigner autrement que
par le nom de la légion ; quant à l'absence de leurs magistrats, elle
s'expliquerait par le fait que l'initiative des travaux revenait à l'empereur et à

115 A. Mocsy, Militàrische Territorien, p. 138-139 ; Condizioni del suolo, p. 347-348.

116 F. Vittinghoff, Militârterritorium, p. 115-116.

117 Cf. F. Jacques, Le privilège de liberté. Politique impériale et autonomie municipale dans les
cités de l'Occident romain (161-244), Rome, 1984, p. 681-682.
118 Comme le remarque F. Vittinghoff, Militàrische Territorien, p. 1 16.
100 F.Bérard

son légat. En définitive, loin d'être le modèle qu'on y a longtemps cherché, ni


non plus l'exception qu'on se plaisait récemment à souligner, le territorium
legionis d'Aquincum rentrerait ainsi dans la norme de l'organisation des
kanabae, dont on sait qu'elle existait toujours au milieu du même siècle.

*♦♦

Conclusion

Au delà des divergences, que l'état lacunaire des sources rend inévitables,
l'accord semble acquis sur au moins deux points. Il n'y a pas, d'abord, de
régime de propriété particulière pour l'armée, qui n'a jamais que la jouissance
du domaine public, ou, si l'on veut, du solum Caesaris. En second lieu, les uici
et les kanabae établis aux portes des camps militaires n'ont pas une
administration militaire, mais une organisation civile, calquée sur celle des
corporations et des cités. Us disposent en conséquence d'un territoire, même
s'ils n'ont pas sur celui-ci les mêmes droits qu'une cité. L'extension des
prérogatives que conserve l'autorité militaire et la manière dont s'exerce son
droit d'intervention sont très mal connus, faute de documents.
La question que nous nous posions s'est ainsi déplacée : il s'agit moins de
savoir ce qu'est un territoire légionnaire que de comprendre comment le
territoire des kanabae et des uici s'intègre dans l'organisation territoriale et
administrative de la province. Selon plusieurs études récentes, ces uici font
partie, avec leur territoire, d'un territoire militaire plus vaste et pouvant
comprendre, le cas échéant, plusieurs uici119. Pour d'autres, au contraire, les
uici et les kanabae ont, comme les cités, un territoire particulier, extérieur au
territoire militaire proprement dit, lequel se réduit à quelques terrains
indispensables au fonctionnement matériel des unités et qui peuvent être
discontinus entre eux, voire enclavés120.
Nous arrivons ainsi à trois manières possibles de concevoir un territoire
militaire qui serait placé sous l'autorité d'un légat de légion (ou d'un préfet
d'unité auxiliaire). La première, la plus réductrice, le voit comme une somme
de pâtures et de terrains divers, dont la légion dispose en dehors de son camp,
un peu comme les camps d'exercice des armées modernes ; ce territoire n'a
pas de spécificité juridique, et l'armée y joue le rôle d'un propriétaire privé,
comme cela apparaît sur certains bornages. La seconde l'identifie au territoire
des kanabae ou du uicus installés aux portes du camp. Si l'autorité romaine
limite si sévèrement l'accès de ces uici au statut municipal plein, c'est bien sûr
parce qu'elle exerce sur eux un contrôle plus étroit. Il n'y a pas lieu de douter
de la réalité de ce contrôle, même si nous ignorons ses modalités. Il peut aussi

119 Cf. A.G. Poulter, Insediamenti, p. 74-76, avec, en particulier l'exemple de Mayence ; avec
plus de prudence, C.S. Sommer, The military vici of Roman Britain, Oxford (B.A.R., 129),
1984, notamment p. 13.

120 Cf. F. Vittinghoff, Militârterritorium, p. 1 12-116.


Terrìtorhon legionis 101

expliquer que le territorium kanabarum legionis, qui est plus volontiers


désigné comme territorium Troesmensium, Matricensium etc, puisse être à
l'occasion appelé territorium legionis (ou cohortis), comme c'est peut-être le
cas dans l'inscription d'Aquincum. Une troisième solution ferait du territoire
militaire un ensemble plus vaste, pouvant regrouper plusieurs uici, voire des
cités ou d'autres unités militaires, et sur lequel un légat ou un préfet exercerait
une certaine autorité, dans le domaine militaire bien sûr, mais aussi, peut-être,
en matière juridique. Le fait que nous n'ayons conservé pratiquement aucune
trace d'une organisation de ce type ne suffit pas à prouver qu'elle n'existait
pas. Mais il faut remarquer que même si l'on arrivait à citer quelques
exemples de légats de légion 121 exerçant, par exemple, de tels pouvoirs121, ils
pourraient s'expliquer aussi par une délégation du gouverneur provincial, sans
qu'il soit nécessaire de supposer l'existence d'un ressort administratif ou d'un
commandement militaire permanents et précisément délimités.
La grande diversité des solutions proposées suffit à montrer que le débat
n'est pas clos. Toutes ces explications ne s'excluent d'ailleurs pas, et on peut
concevoir par exemple que des prata strictement réservés à la légion ait été
situés sur le territoire administré par les kanabae ; les enclaves de ce genre ne
devaient du reste pas manquer, qu'il s'agisse des thermes des soldats ou de
certains ateliers, η faut tenir compte aussi des disparités régionales, et surtout
de l'évolution chronologique. Alors qu'au début de l'Empire le territoire
soumis à l'autorité militaire pouvait, dans certains cas, coïncider avec celui
d'une province entière, c'est le développement municipal des provinces qui
allait amener, progressivement, les uici situés à proximité des camps à
prendre, eux aussi une forme municipale.
Mais, ces nuances faites, il faut dire clairement que la seule structure
territoriale qui apparaisse nettement dans nos sources est celle de
l'organisation municipale des uici et des kanabae, telle qu'elle apparaît dans les
provinces danubiennes, mais se laisse aussi entrevoir eh Bretagne, en
Germanie et en Afrique. Le mot territorium lui-même ne laisse guère
d'ambiguïté, puisque dans la grande majorité de ses emplois il désigne, au sens
propre, le territoire d'une cité et que, s'il a quelques emplois dérivés, on n'en
trouve pas qui se rapporte à une quelconque réalité de l'organisation
militaire122. On a donc eu trop tendance à chercher une structure militaire

121 Un des seuls cas connus est celui de M. Iuuentius Caesianus, légat de la Ville Auguste
dont une tablette trouvée à Rottweil, dans les teritoires de la rive droite du Rhin (A.E., 1956,
90 = 1981, 691), nous apprend qu'il rendait la justice en 186 ap. J.-C. dans une affaire privas.
Cf. J. Wilmanns, "Die Doppelurkunde von Rottweil und ihr Beitrag zum Stadtlewesen in
Obergermanien", dans Ep. Studi, 12, 1981, p. 69-71.

122 Cf. E. Forcellini - V. de Vit, Totius latinitatis lexikon, t. VI, Prato, 1875, p. 71, et ci-
dessus, note 73. On remarquera que la plupart des emplois se trouvent dans les textes
juridiques ou dans les gromatici ; très peu en revanche dans les auteurs classiques, sauf dans
Cicéron (Phil, 2, 40) à propos justement du territoire d'une colonie. On peut en conclure qu'il
s'agissait d'un terme technique, qu'on utilisait peu en dehors de son sens propre. On ne sera
pas surpris, dans ces conditions, de le trouver relativement fréquemment dans l'épigraphie,
102 F.Bérard

dans toutes les agglomérations situées dans la zone des armées, en projetant sur
les réalités romaines notre propre distinction entre domaine militaire et
domaine civil. Cela ne veut pas dire que l'armée n'exerçait pas une autorité sur
les provinces et sur l'activité économique, mais simplement que ce contrôle ne
se faisait pas par une administration directe, mais passait plus volontiers par
des intermédiaires, selon un système que préféraient généralement les
Romains. Comme les publicains ou les negotiator es', les kanabenses ont
certainement beaucoup travaillé pour l'armée romaine, mais dans le cadre
d'une communauté qui, malgré ses droits limités, devait ressembler davantage
aux cités qu'elle prenait pour modèles qu'aux établissements de colons qui
devaient venir par la suite.

souvent aussi à propos de cité : cf. CIL, VIII, 9047 (territorium Auziense), 10322
(Çirtensium), et, en Mésie inférieure, outre les uici déjà signalés, sur les bornes des cités de
Callatis et d'Odessa (CIL, m, 7587 et 7589 = 12507).
Territoriwn legionis 103

APPENDICE

Prato legionis

1. C.I.L., II, 2916a = P. Le Roux, p. 109, n° 1. Henestrosa de las


Quintanas.
Ter(minus) Augu/st(alis) diuidit / prat(a) leg(ionis) / //// et agrjum
Iulioj 'brig(ensium).
Au total dix-huit bornes, trouvées à Henestrosa, Castrillo del Haya,
Cuena, San Vitores, Hormiguera, Valdeola, Las Quintillanas, La Cuadra
(Valdeola) et Rebolledo (Camesa) : cf. P. Le Roux, p. 109-112, n° 1-4 et 6-
19.

2. CIL., Π, 5807 = I.L.S., 2455 = P. Le Roux, p. 110, n° 5. ViUasidro.


[TJer(minus) Aug/[u]st(alis) diuidit / [pjrat(a) leg(ionis) MI / [et] agrum
Se/[gisa]mon(ensium).

3. A.E., 1935, 13 = 1961, 345 = P. Le Roux, p. 113, n° 3. Soto de la


Vega.
Ex auctor[itat]/e Ti(berii) Claudi(i) Cais/aris Aug(usti) Ger/manici
Imp(eratoris), ter/minus prato/rum coh(ortis) MI Ga/ll(orum) inter
cohfortem) [III]I / Gall(orwn) et ciuitate/m Beduniensium.
Au total cinq bornes, dont quatre ont été trouvées à Soto de la Vega (P.
Le Roux, p. 113, n° 2, 3, 6, 8) et une à Castrocalbon (P. Le Roux, p. 112, n° 1
= £.£., Vm, 131 = I.L.S., 5969).

4. P. Le Roux, p. 113, n° 4. Soto de la Vega.


Ex auc[toritate] / Ti(berii) Claudi(i) Caisa[ri]/s Aug(usti) Germani/ci
Imp(eratoris), terminus / [pjratorum coh(orrìs) / [III]I Gal(lorum) inter
cohfortem) / [III]I Gal(lorum) I et ciuitate/m Luggo/num.
Au total deux bornes trouvées à Soto de la Vega (P. Le Roux, p. 113, n°
4-5), plus deux bornes, dont l'une très fragmentaire, également trouvées à
Soto de la Vega et que les lacunes du texte ne permettent pas d'attribuer à l'une
plutôt qu'à l'autre des deux cités (P. Le Roux, p. 113-114, n° 7 et 9).

5. A.E., 1982, 578. Quintana y Congosto (Castrocalbon).


Ex [au]cto[r]i[t]/ate [Ti(berii) Cla]u[d]i(i) / Caesaris Au[g(usti)J /
Germa[n]i[c]i / Imp(eratoris), termi/nus pratorum / leg(ionis) X
Gem(inae) inte/r legionem del [e] imam et [ci]u/[i]tatem / [---].

6. C.I.L., ΠΙ, 13250 et p. 2328/13. Sur la colline de Vedropolje, près


d'Uzdolje (district de Knin).
/— intejr [p] raita leg(ionis) et fines / roboreti Fl(auii) / Marc(iani ?) per
Augu/stianum Belli/cum proc(uratorem) / Aug(usti).
104 F.Bérard

7. Α. Ε., 1988, 923. Uzdolje, à 12 km à l'est du camp de Burnum


(Dalmatie).
T(erminus) pra(ti) / leg(ionis) / XI C(laudiae) p(iae) f(idelis).

8. H. von Petrikovits, dans Actes du Vile Congrès Int. d'Epigr. gr. et lat.
(1977), 1979, p. 239-240. Menden, sur la rive droite du Rhin (Rhein-Sieg
Kr.).
[LJegio prim[a] / Mineru[ia / p]ia fidelifs] / prata / [A]urelian[a /
a]dampliau[it].

9. C.I.L., lu, 13726. Razgrad {Abritas),


Apronius / Maximus, / trib(unus) coh(ortis), / prat(a) pub(lica) / terminis /
circu[m]c[l]usi[t] '.

Territorium.

10. C.I.L., ΠΙ, 10489. Aquincum, au sud du camp légionnaire.


Imp(erator) / M(arcus) Aur(elius) Seuerus / [[Alexander p(ius) f(elix)
Aug(ustus)]] I balneum a solo / territorio leg(ionis) / II Ad(iutricis) p(iae)
f(idelis) S(euerianae) fecit, / curante Fl(auio) / Marciano co(n)s(ulare).

11. 1.Sc.M.y V, 135. Troesmis. 163 ap. J.-C.


Imperatoribus [Caes(aribus)] / M(arco) Aurelio Antoni[no Aug(usto) et] /
L(ucio) Aurelio Vero [Aug(usto) Armeniaco] / sub M(arco) Seruil(io)
[Fabiano leg(ato) Aug(ustorum)] / pr(o) pr(aetore), C(aius) Planc[ius —
domo ? ] I Ancyr(a), M(arcus) ![—] / territorii ? Troesmensium ?
tempi] /um a so[lo fecerunt uet(eranis) et c(iuibus) R(omanis) ?
con]/sistenti[bus Troesmi(i) ? ad legionem V Mac(edonicam)] .

12. A.E., 1980, 712. Szazhalombatta {Matrica).


[ — pro salute] / ciuerom[an]/or(um) territ(orii) / Matriciensium / Ael(ius)
Vic[t]\or, uet(eranus) [leg(ionis)] / II Ad[i(utricis)], / PATER[—].

13. C.I.L., ΙΠ, 10305. Vêtus Salina.


[signum ? et ar]am geni(i) ciuib(us) R(omanis) / [et consist(entibus) ?
terri]t(orii) Vêtus s(alinensium) quae M(arcus) Vlp(ius) / [— ex
tes]t(amento) (sestertium) (dénis milibus) n(ummum) fieri lusserai /
[M(arcus Vlp(ius) ? — (duum)uir ?] m(unicipii) A(quinci), d(ecurio)
c(oloniae) Murs(ae), sacerd(os) / [pr(ouinciae) P(annoniae) inf(erioris),
p(rimus)p(ilus) ? l]eg(ionis) XII Fulm(inatae), in memoriam / [patris loco
celeberrimo ? t] erritori(i) ex (sestertium) (quadragenis milibus)
n(ummum) fecit.

14. C.I.L., III, 12491 = I.Sc.M., V, 77. Vlmetum.


Territorium legionis 105

C(aius) Iul(ius) C(aii) f(ilius) Quadr[at(us)] / memoriam si/bi et Iuliae


Te/rentìae con/iugi suae se uijuo per liberos / suos fecit loi ci princeps /
quinquennialis territo[rii] / Capidauensis.

15. 1.D.R., Π, 190. Celei (Sucidaua).


[DJeae Nemesi / pro salute Aug(ustorum duorum) / curial(es) territ(orii)
Suc(idauensis) / [tejmplum a solo j restituerunt.

16. A.E., 1985, 765. Hisarlaka, près de Razgrad (Abritus). 244-247 ap.
J.-C.
Imp(eratori) Caes(ari) / M(arco) Mio / Philippo / pio f<e>l(ici) inui(cto)
I Aug(usto) et M(arco) / Mio Philip<p>o nobilissimi) Caesa/res (sic) per
I ter(ritorium) Abri(tanorum) / m(ille) p(assuum) I.

Π.Α.Ε., 1987, 881. Mihailovgrad {Montana).


Diis sanctis / Dianae reginae / et Apollini / Phoebo / M(ius) Mucaze/nus,
b(ene)f(iciarius) co(n)s(ularis) leg(ionis) / 1 Ital(icae), ag(ens) t(erritorio)
M(ontanensium), / pro sal(ute) sua / et Miae con iu(gis) / eius, gratias /
agens, u(otum) s(oluit) l(ibens) m(erito).

18.A.£., 1911, 16. Pleven.


[Pro salute imp(eratorum) n(ostrorum)J / Seueri et Anto/nini et [[Getae
Ca/esarisJ] et Mi(a)e / Aug(ustae) territorio / Dianensiu(m) P. Aelifus
Victorinus / ex mag(istro) et [—] / decur(ionum) [decreto ?].

19. C.I.L., ffl, 14370/10 = /X.5., 7111 =A.£., 1986, 534 = 1987, 792.
Ratisbonne.
Volk(ano) sacr(um). Aur(elius) I Artissius, aed(ilis) I territor(ii)
contributi ?) I et k(anabarum ?) R(eginensium ?), de suo felcit, u(otum)
s(oluit) l(aetus) l(ibens) m(erito). I Posita (ante diem) X K(alendas)
S(eptembres) I Orfito co(n)s(ule).

II faut ajouter à ce dossier l'inscription R.Î.B., 1049, trop fragmentaire


pour pouvoir être restituée.

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