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MON GRAND-PÈRE VINCENT D'INDY: SOUVENIRS

Author(s): YVES DE BECDELIÈVRE


Source: Revue des Deux Mondes (1829-1971) , 1er OCTOBRE 1951, (1er OCTOBRE 1951),
pp. 544-554
Published by: Revue des Deux Mondes

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44584783

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(1829-1971)

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MON GRAND-PÈRE VINCENT D'INDY

SOUVENIRS

La première image que je garde de lui se situe à Paris, dans le


décor d'un vaste appartement un peu sombre, dont quatre fenêtres
donnaient sur l'avenue de Villars, où grinçait le tramway jaune
Place de V Etoile- Gare Montparnasse. Petit garçon, il y était entré
à la main de sa sévère aïeule Rezia ; il y devait mourir. Le gaz
des poêles remuait les bouquets de monnaie du pape. Aux murs,
il y avait un tableau de Signac représentant Cassis, où il écrivit
le prélude de Fervaal , des portraits de ma mère et de ma tante
jeunes filles. Ce devait être l'après-déjeuner, puisque à cette heure,
chaque jour, j'attendais de celui que jrappelais « Gopère », soit
qu'il suscitât en moi l'invisible Liong-Chang, Empereur de Chine,
tapi avec son dragon d'or sur le paravent du Coromandel, soit
qu'il fît chanter l'oiseau d'émail de la boîte à musique. Souvenir
très net : il est grand, mince, brun, en pantalon mastic, veston
sombre. Jeudi, je l'ai entraîné avec autorité ä la foire des Inva-
lides, où nous sommes montés dans le petit train-jouet à locomo-
tive de cuivre ; il y a subi, avec une gentillesse touchante, d'innom-
brables tours. Après quoi, non content de cette épreuve, j'ai cher-
ché désespérément, au Musée de l'Armée, l'Invalide à la Tête de
Bois !

A cette époque, il était l'un des compositeurs les plus joués


de France, le fondateur-directeur de la Schola Cantorum , le
triomphateur du Chant de la cloche , de Fervaal et de l'Étranger ,
Vincent d'Indy.

Tel il sera toujours, plein de douceur, d'enjouement, de patience


pour moi, comme pour les charmantes enfants qu'étaient mes
cousines. Son étoile ne cessait de monter. Le Pape Pie X le saluait

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du titre de Rempart du Chant grégorien , il conduisait des orche


en Europe, aux U.S.A., en Russie, devant les souverains, se b
en duel avec Jules Bois, portait haut de forme et jaquette et
suscitait L'Orfeo et le Couronnement de Poppée de Montev
Dans cet appartement que partageaient encore mes parents,
intimidé, sans le connaître, par un bouillant Monsieur à lorg
terrifiante moustache en crocs, barbiche pointue et lavalli
pois : Albeniz. Parmi les échos de Saint-Saëns, Debussy, le g
et révolutionnaire Léon Bloy, une dame ronde, vernie, pres
prodigieuse Blanche Selva et des admirateurs de tous pays se
saient autour d'un piano dont je sentais, dans mes sommeils
enchantements sans paroles...
Parfois, ma chère grand-mère, qui ressemblait à -son ami
baronne de Hirsch, telle qu'elle est représentée sur le monu
de Mme Boucicaut, m'emmenait en ce lieu mystérieux don
parlait toujours : la Schola. Je m'accrochais à sa jupe balaye
avec une certaine terreur, causée sans doute par les récits
m'en faisait et qui évoquaient en mon esprit des robes de m
anglais, le squelette embaumé du roi James et des fantôme
ci-devant. Je demeurais chaque fois étonné d'entendre la m
de la rue Saint-Jacques chanter et psalmodier des caves aux
tandis que nous attendions grand-père, au haut de l'escalier d
neur, en compagnie du « Père » Guilmant, l'organiste. Je me
viens qu'un jour, comme nous entrions, nous croisâmes une étra
figure coiffée d'un chapeau claque, ce qui me fit rire, et qui
grand-mère :
- Tu vois, me dit-elle, c'est Erik Satie.
Dans cette fameuse Schola , si louangée et si critiquée, n
retrouvions le Maître d'Ecole, ainsi que l'avait surnommé a
blement un de ses rivaux, dans un bureau d'une nudité mo
tique que n'eussent pas désavoué la Mère Angélique ou M. Arn
Fastueusement rétribué, comme ses collègues, quarante sou
cinq francs, grand-père entre ses classes d'orchestre et de co
sition y préparait avec calme des discours incendiaires, au c
desquels il assurait « que l'art n'est pas un métier » et que «
chers amis, nous ne devons chercher dans nos travaux ni le pro
ni la gloire personnelle, résultat éphémère et sans portée,
l'unique grandeur de servir dans la beauté et l'idéal. » Plusi
centaines d'élèves, les uns d'une esthétique séraphique, les au
barbus, moustachus, à chignons, le suivaient sur ces hauteu
LA. BEVUES* 19 6'

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y demeuraient plus ou moi


Jean Grémillon, Déodat de
Roussel, Georges Auric, ou
Honegger, a ce petit qui ira l
On y parlait de Rameau, Ba
rains familiers. La Musique
total débordaient des classe
cruels, submergeant de jeu
fleuris ou sous le gibus des d
passionné de tous en dépit
l'Olympe de M. Ingres pour
du Père Guilmant, crêté de
sous ses sourcils et nous repa
tures. En me retournant, je p
d'élèves le suivant d'un reg
chers amis, nous devons ch
Epoque admirable que je t
les vertus cardinales sur la
doubles croches. Tel ce dialog
à Paris I disait grand-père.
nous jouera-t-on ? » Ce qui
sens, mais laissait grand-p
deux célébrités ne se saluaie
façon de Port-Royal, où l
héroïques de « la fondation »
lité de la caisse. Pour ma p
« idéal », je l'imaginais com
deux belles mains sur le clavi
dique qu'inventa un cerveau
En dehors de cela, je trou
dormît en musique et que le
capitales bariolées. Il m'en r
des bonbons et des souveni
ou chapelet romain. J'allais
il descendait de brouettes
européens, toujours suivi d'
truments, vêtus de toiles,
seurs de piano osaient à pei
m'incitaient au génie avec d
habitaient avenue de La Bo

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près d'elle, me jouait les Tableaux de voyage , que' grand-père


ocmposé au retour du Tyrol en 1889. Encore aujourd'hui, il me
d'évoquer Le Lac Vert , Le Glas , mêlés au cher visage materne
recréer un paysage de sapins, la diligence peinte en ro
le galof) de quatre chevaux, les trompettes aiguës. Souvent, il
surprenait et, sur une question de ma mère, parlait d'un
qu'il rêvait. Était-ce La Tentation de Saint- Antoine , dont il s
jadis entretenu avec Flaubert, ou La Princesse M oleine de M
linck ? Mais non ; il était hanté par le Passeur, le Cherch
Dieu : Saint Christophe... et aussi par un ballet sur un thè
Claudel qu'il venait de rencontrer chez Ernest Chausson.
écrire Saint Christophe , il lui faudrait bien trois ans, rien qu
l'orchestration, car il ferait également le livret...
Nous embrassant^ il repartait. Avec son rêve.

*
* *

De nombreux étés je devais le retrouver aux F


qu'il s'était fait bâtir au sommet d'un cône m
nant la route de Valence à Vernoux. Façon de de
romantique, Vincent se souvenant de son voy
de l'envol des Walktires ; en fait une belle mai
terrasse sablée bordée de fleurs. Il régnait de là
grandioses vues du monde : le Mont Blanc, la
la Meije, Belledonne, le Ventoux. Les orages lu
transports wagnériens et il les affrontait toutes
Trois étages d'épaisses murailles de granit bleu
cathédrale », surmontée d'un bas-relief de vio
tels étaient les Faugs. Tout au sommet, derrière d
de cuir rouge et bordées de clous d'or, était la
et la plus aimable ouverte par quatre loggias sur
sant des pics. Son cabinet de travail, feutré de
d'un large bureau où l'on retrouvait, sur les p
bien ordonnés, la petite écriture du Maître, et au
sacré, le piano, antiquè Erard droit et... faux.
plus grande partie de son œuvre.
Après la mort de ma grand-mère, seule la f
osait l'y braver de bon matin, alors que, levé à
jeuné invariablement d'une demi-tablette de choco
ceau de pain de la veille, il travaillait, indiffér

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aux touristes affluant chaq


et envahissant les terrasses
6 heures à midi, de 13 heure
créait. Nous autres, ses petits
à nos devoirs de vacances, nou
que son labeur, à l'abri des p
historiques. A midi, prem
deuxième, nous devions desc
le grand hall pavé de mosaïq
il apparaissait sur l'escalier,
en pantalon de coutil blanc e
l'embrassions avec joie, - et
qu'il émanait de lui un air de
rieuse du son... Au repas, il
têtes. Un œuf sur le plat lui s
précision Ain croûton, arros
et pourpre. Il prenait son
le hall, son long fume-cigaret
de Fantin-Latour. Enfin, no
il remontait vers son trava
escorté aux murs des gravu
le retrouvions pour la prom
il nous escortait, l'esprit accro
« Montparnasse », une petit
énorme bâton noueux au poi
Le soir venu, il était tout
à nous distraire. Dans le gra
dures hugolâtres, il s'install
que l'autre, et chantait des
avait connu, qui partait en f
darmes. Ou U Etoile , de son
la Princesse : « - Remarquez,
d'esprit et de mélodie. Il a b
moderne ». Il songeait, laissa
jouait du Fauré, du Debussy,
avec un. détachement, une l
« ce caractère insupportable
signalait à l'abri de phrases
pas le commerce en art, le st
ment » pour plaire et il le di

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à ses élèves, de Bucarest à Poznan, de Buenos- Aires à Santa-Fé-d


B ogota, comme aux critiques et au Père Céleste s'il eût fallu.
y avait du monastique en lui, du Réformateur d'Ordre, avec d'i
croyables tendresses dérobées par pudeur et une éducatio
inflexible, envoûteuse, qui ne lui avait permis que la musiq
comme volupté déclarée. Par moments, il marquait au fer, à l
façon d'un Savonarole, portait aux nues Pelleas ou Carmen , « c
chef-d'œuvre d'horlogerie » dont il ne se lassait pas, rappelan
que pour assister aux douze représentations sous les huées
s'était chargé de donner la note, sur l'harmonium, au chanteu
qui devait clamer : « Halte-là, dragon d'Alcala I » et détonnait
plaisir ; et, tout à coup, c'était la griffe en éclair, la colère sainte :
les succès de Meyeerber « qui coïncidaient toujours avec le choléra
Massenet, « cet adroit, dont le but ne dépassait pas le succès »
dons admirables « ravalés à l'applaudissement voulu. » Enfin, il
détendait, défronçait ses sourcils, frappait le clavier passionn
ment : « Ecoutez ! » Et, comme sans l'avouer, nous jugions le mo
ceau stupide, il riait d'un air malin, nous expliquait les beauté
de l'œuvre : « - C'est le Morceau en forme de poire ! ou le Pré
lude flasque pour un chien ! » Je revoyais l'Erik §atie de ma petite
enfance, sa silhouette héronnière, son claque... - « Ce Satie I dis
grand-père, il a un talent ! »
Le piano fermé, nous jouiions à des jeux soi-disant scientifiques
ou historiques, parfois aux petits papiers ou aux portraits. Il no
battait et en était, au fond, content. D'autres fois, il copiait de
musique, écrivait des articles : « Je ne crois pas, qu'à part cel
de banquier ou d'homme politique, il existe au monde un métie
plus tristement inutile que celui de critique... » Tout le bruit q
nous faisions ne le dérangeait pas. Sous la lampe à pied de crista
il sortait de son plumier ses crayons de couleurs différentes, son por
plume de pauvre bois. Il travaillait. Dans le vaste salon, aux longues
ombres, nous finissions par nous taire l'un après l'autre. Sourian
il se levait alors, rangeait ses objets, éteignait la lampe. Nous no
dirigions vers le hall. Là, au pied d'une Vierge de terre cuite, ch
cun allumait sa bougie. Parfois, je me glissais près de lui et il m
tançait à cause du froid. Il y avait d'immenses étoiles. Vincen
d'Indy embrassait ses petits-enfants : « - Bonsoir, mon petit coco !
Grand-père avait terminé sa journée.

***

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Quand je me penche sur s


je me retrouve avec lui au f
sac au dos, partis dès l'auror
les brouillards se déchirent
préparait amoureusement su
pelaient 70. Il marchait bien,
arpentant les raccourcis com
bâton en main, le feutre enf
veste sur l'épaule. Il sifflotai
parût. Ainsi parcourions-nou
tant de chefs-d'œuvre : Ferva
phonie cévenole , le Jour d'ét
rais, La Légende de Saint Ch
Il nous en entretenait rare
même. Mais nous croyions e
dant que nous marchions aupr
par notre sang, à, ce pays sa
figurions dans ces parties-là
resterait secret, inconnu, jus
ces randonnées juraient tr
steppes étranges où rien ne
éternel. Quelques rares pistes
pête. La population était trè
doré, véritables Gaulois ress
prunelles d'un bleu de lac. E
après la guerre de 14, l'apparit
hors de leurs huttes de pier
un éblouissement par l'harm
leur. Ils ne parlaient pas franç
et farouche. Aucune automo
tesques. A partir de Fay-le
infinis, ravagés par la tempêt
On sortait du pays des homme
lant, l'Hors-de-la-Terre, les
pays de Vincent d' Indy.
C'est là qu'il avait senti en l
La Cévenole était née d'une i
la montagne, aux heures ind
voix pures de paysannes cha
Pour Saint Christophe , gran

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des temps légendaires aurait vécu dans un château du pays


sur mon insistance, il nous emmena admirer les ruines.
Cette imposante forteresse portait le nom de Crussol. Le châ
proprement dit comportait deux gigantesques murailles, d
les Cornes de Crussol. Vues de la vallée du Rhône, elles le surplo
baient d'une hauteur prodigieuse. Partis des Faugs à 7 heure
matin avec grand-père, nous passâmes le col du Bouchard,
nous prîmes les crêtes de l'Ardèche. A 1 heure, par un solei
implacable, nous arrivâmes à Crussol et le déjeuner eut lieu
l'ombre des ruines. Certains murs, dont subsistaient les ban
pierre, donnaient sur le vide. En bas, c'étaient la vallée, les
de Valence imperceptibles que devait enjamber le Géant. Au
les glaciers, les neiges éternelles. C'était bien un décor pou
Légende de Saint Christophe , cette « Queste de Dieu » où la foi
homme cherche inlassablement qui peut le dominer au plus
de lui...
*
* *

Je retombais de ces splendeurs quand l'Opér


en 1913, puis créa Saint Christophe en 1920. J'é
jeune pour apprécier à leur juste et délicate valeur
de Maurice Denis : le Mézenc et Crussol leur faisaient tort! A l'Ex-
position Vincent d'Indy, remarquablement organisée cette année 51
en ce même Opéra par la Bibliothèque Nationale, j'ai revu ces ma-
quettes avec plus de justice. Mais je me souviens aussi parfaite-
ment de mes émotions de petit garçon à la générale de FervaaL
On ne parlait autour de moi que de cela et le seul qui montrait
un calme parfait était grand-père. Je saisissais, par des bribes de
conversations, que « l'ordre des tonalités formant le développement
dramatique, la marche vers la vraie lumière, était caractérisée par
le ton de Ré. Le Si était la gloire, l'héroïsme. Le Sol, la patrie. Le
Mi bémol la religion celtique, l'oracle. Le La bémol le rêve incer-
tain ». Ainsi m'imaginais-je grand-père, à chaque visite qu'il nous
faisait entre deux répétitions, comme une manière de génie-orchestre,
se déplaçant avec des Sols et des Rés apprivoisés, cependant que
les miens, dans l'inquiétude des combats, discouraient maintenant
sur des querelles de coulisses et des rivalités de dames autour de
M. Muratore à la puissante autant qu'adolescente musculature et
à la voix incomparable.
Tout s'arrangeant au théâtre, on s'apaisait. C'était au tour du

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552 la revue

Tout-Paris, de la presse re
Monnaie de Bruxelles e
ton maître » de Camille Bell
festation lyrique qui se soit
main, tandis que les chers c
de bouche à oreille la criti
Bruneau : « M. Vincent d'In
désire tirer parti du snob
foules et s'inquiète de la mo
missait : les élèves se tenai
nâni. Bref, le monde sem
cieux de notre première sc
terait dans ses bras Guilh
imposant, les nattes, les cas
la beauté et déroutaient un
pour sa radieuse princesse
de ma chère grand-mère...
Le soir de la générale tou
loge de mes parents, nous
toute la S chola Cantorum
celui des Arts et de la Pol
Debussy et sa courte frang
exceptionnelle. A son entrée
était salué par une ovation
Pour grand-père, il vint
loge, refusant de paraître
prières de ma mère. Je le
rouge, sous la lueur verte de
table Eton conçu par M. Moo
surpris de le trouver étrang
rieur encore à celui rempor
sensible aux beautés de l'œ
d'Indy sur la scène. Mais il n
et considérant, avec juste r
goût. Il en était là, obstiné
de mon père, de mes oncle
par se décider, sous l'effor
la loge d'où il salua et re-s
Chacun s'était retiré en arr
je demeurais à ses côtés. J

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évidemment, l'unique fois de ma vie, l'impression curieuse d'un


Prince héritier, toute la salle énorme hurlant, ses yeux innom-
brables fixés sur nous, et grand-père saluant et re-saluant. Tout
tournait. Je demeurais là, les prunelles agrandies de stupeur et
d'effroi, jusqu'à ce que ma mère m'attirât à elle, dans l'abri d'ombre
rouge du petit salon où surgissaient deux habits noirs: André Mes-
sager et Jacques Rouché, directeur de l'Opéra. Je les vis aborder
grand-père dans l'intention évidente de le traîner sur la scène !
Le public l'exigeait. Il n'y avait plus à balancer. Quelques minutes
plus tard, mon cher aïeul m'apparut dans le gigantesque décor
de montagnes, étranger soudain, ténu comme un fil malgré sa
belle taille, réticent, et après quelques saluts sous les rafales de
cris s'enflant sans cesse, il s'enfuit littéralement avec la plus grande
vitesse.
Plusieurs jours plus tard, comme ses élèves le félicitaient à son
Cours : « - Je vais vous montrer, leur dit-il, ce que l'auteur aurait
dû faire... ».
Et il le fit comme il l'avait dit.

**♦

Il passa ses derniers étés, avec sa seconde épouse, dans sa mai-


son VElrave , qu'il avait fait construire à Agay, entre Cannes et
Saint-Raphaël, après son triomphal voyage en Amérique. C'était
une belle villa à la romaine, rose de murs et de tuiles, parmi les
pins tordus. Le sol rocailleux s'avançait, se muait en roches écarlates
contre l'azur du ciel et de la mer. Par beau temps, il composait là,
sous des parasols multicolores. Sous sa «cabine», sa petite pièce
favorite, éclaboussée de lumière par trois baies, les flots s'engouf-
fraient avec un bruit d'orage. A plus de soixante-dix ans, il tra-
vaillait toujours, continuait à mener sa vie simple. Nous faisions
de grandes promenades à pied ou en auto, il nageait, ce qu'il avait
appris tard et qui l'amusait comme un enfant, le tout entre deux
séances de poses photographiques qu'il supportait avec sa gentillesse
ordinaire, arpentant les rochers arides, montant et remontant les
pierres coupantes sous un soleil des tropiques pour la chasse aux
images de son exigeant petit- fils. Les nuits étaient absolument
irréelles. Nous en passions la majeure partie sur la terrasse et il y
rêvait longtemps, sans doute à son Poème des Rivages dont il ache-
vait les dernières parties consacrées à la Méditerranée. Il était

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encore fort beau à cette époqu


en bronze par le hale sous ses
En 1931, malgré les efforts d
ment de l'étouffer, de le relég
de sa gloire, hors de l'amertum
vision de vacances c'est, sous
blanche vêtue de blanc, pantal
vers moi, foulant les jonquilles
de Villars, je l'apercevais de l'a
sa petite table où un Parsifal
château de songe. Il était là, cou
centrale de son salon, près de
piano, quelquefois entouré d
salle Pleyel, au concert donné
Scivola , il dirigea Le Chant de la
moment, à la Fondation Rotsc
blique, qui l'avait fait grand-o
offrait une manifestation offic
française d'expansion et d'éc
nommait grand-officier de l'O
le grand banquet de quatre cen
au 24 novembre, plein d'entra
Schola. Au dernier, il joua des pi
et le ballet du Prophète . Le 30,
pbil&rmonique où l'on donnait
qu'il semblait soudain très pâle,
l'impression d'une grande vieilles
clamations du public, on crut voi
Ma mère et moi, quelque tem
lettre de lui ; il nous demanda
sant tous deux ». J'eus encore
tenant sa chatte persane dans
je n'ai qu'à siffler la Marche des
J'étais alors fiancé à Marcelle
femme partagea avec moi son
d'être le témoin de notre mari
Il mourut le 2 décembre 1931,
Il venait de signer le manuscr

YVES DE BECDELIÈVRE.

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