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Hommes et Migrations

Le mariage interreligieux au regard de l'islam


Lucie Pruvost

Résumé
politiques ou économiques — ont largement contribué au
développement des mariages interreligieux. Or, dans les
sociétés musulmanes, ces mariages font généralement l'objet de suspicion et leur validité n'est pas toujours admise. Aussi, qu'il
s'agisse du mariage interreligieux contracté par l'homme musulman ou par la femme musulmane, les principes anciens, relevant
de l'argument d'autorité fondé sur la religion, conservent toute leur actualité face à la promotion des droits de la personne.

Citer ce document / Cite this document :

Pruvost Lucie. Le mariage interreligieux au regard de l'islam. In: Hommes et Migrations, n°1167, juillet 1993. Mariages mixtes.
pp. 30-33;

doi : https://doi.org/10.3406/homig.1993.2056

https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1993_num_1167_1_2056

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LE MARIAGE

INTERRELIGIEUX

par Université
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oublier les réticences du fiqh à l'égard du mariage


Siregard
le mariage
du droitinterreligieux
de l'Eglise catholique,
pose question
il en au
va interreligieux où c'est l'homme qui est musulman.
Or, aujourd'hui les deux situations tendent à se
multiplier. La division traditionnelle du monde en
deux parts, le dâr al-islâm (pays musulmans) et le
dâr al-harb (pays non musulmans) ne correspond
plus à la réalité que gérait le fiqh. Les émigrations
massives, politiques ou économiques, ainsi que la
fuite des cerveaux, ont largement contribué au ren¬
forcement du pluralisme culturel un peu partout sur
la planète Nord. Sans doute les mariages interreli¬
gieux sont-ils banalisés en contexte sécularisé où le
mariage civil ne s'embarrasse pas d'interdits reli¬
gieux. Mais leur validité n'est pas toujours admise
dans le pays d'origine de la partie musulmane.
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Le mariage du musulman
avec une non-musulmane :
risque à limiter
C'est dans le Coran lui-même, fondement premier
du droit musulman, que l'on trouve les principes
relatifs au mariage du musulman avec une non-
musulmane. Il en est question pour la première fois
dans la sourate 2, reçue par le Prophète de l'Islam au
début de l'émigration à Médine : "N'épousez pas de
femmes polythéistes avant qu'elles ne croient..."
(2,221). Les circonstances de la révélation de ce ver¬
set sont connues3. Un Mecquois musulman émigré

30 HOMMES & MIGRATIONS


avec Muhammad est renvoyé à La Mecque, chargé kitâbiyya. L'argumentation surprend. C'est, disent-
d'une mission par le Prophète. Or, il avait dans cette ils, la sourate 2 qui abroge la 5. L'argument ne tient
ville une bien-aimée qu'il désirait épouser. Il pas, comme le montrent leurs adversaires, puisqu'il
demande au Prophète l'autorisation de contracter ce contredit la chronologie de la révélation. Le second
mariage. C'est alors, rapportent les commentateurs argument est tiré d'un dit rapporté par Ibn °Umar,
du Coran, que descend ce verset interdisant le compagnon du Prophète : "Dieu a interdit les
mariage du musulman avec la non-musulmane, au femmes polythéistes aux croyants et je ne sais rien
moins temporairement,
conversion à l'islam. tant qu'il n'y a pas eu de plus grave que d'entendre une femme dire que
son Seigneur, c'est Jésus..."5.
Un grand nombre de compagnons du Prophète, et Cette interprétation n'a pas prévalu dans le droit
non des moindres, ainsi que de personnages de la positif des pays arabo-musulmans. La distinction de
seconde génération avaient pourtant épousé des Mâlik n'a pas non plus été reçue dans ces législa¬
chrétiennes. Comment justifier cela ? Au cours des tions. Elle sous-tend pourtant certaines fatwa(s)
premiers siècles d'élaboration du fiqh (2e et 3e algériennes. "Celui qui épouse une Française chré¬
siècles), les fuqaha s'interrogent sur la validité de tienne ou juive, lit-on par exemple, sachant que les
ces unions. Les "femmes du Livre" (kitâbiyyât ), enfants qu'il aura d'elle auront automatiquement la
chrétiennes ou juives, font-elles partie des mushrikât nationalité française qui les prive de l'application
(polythéistes) ? La question mérite d'être posée de la sharfa (...) est un apostat"6.
lorsque l'on connaît ce que le Coran exprime de la Tous ces raisonnements laissent de côté l'hypo¬
foi chrétienne - placer Jésus, un serviteur de Dieu, thèse du mariage d'un musulman avec une mushrika
au rang de Dieu qui est unique -, ou de la foi juive - non kitâbiyya, considéré comme interdit par la lettre
associer Uzayr au Dieu unique - du shirk (poly¬ du Coran. L'exception de la kitâbiyya est stricte :
théisme) à l'état pur ! elle ne vise que les juives et les chrétiennes. Toutes
Les fuqaha divergent sur la réponse. La majorité les femmes qui adhèrent à une autre religion ou pro¬
admet la validité de l'union avec les kitâbiyyât en fessent l'athéisme sont donc, en rigueur de terme,
invoquant trois arguments. Le premier est tiré du interdites où
Jordanie au lemusulman.
code de 1976
Telle est
déclare
la règle
: "Est
établie
nul en
le
Coran. "L'union avec les femmes faisant partie du
peuple auquel le Livre a été donné avant vous, vous mariage d'un musulman avec une non kitâbiyya". Il
est permise" (5,5). Ce verset, révélé à Médine à la en va de même au Koweït.
fin de la vie du Prophète, abroge en partie la prohibi¬ S'il y a crainte d'apostasie pour le mari musul¬
tion antérieure. Les kitâbiyyât sont exclues de la man, le risque se trouve multiplié lorsqu'il s'agit du
catégorie mushrikât. Le second, coranique égale¬ mariage d'une musulmane avec un non-musulman.
ment, est plus général. Un certain nombre de versets
(2,105 ; 98,1 ; 3,183.199) montrent clairement que
les "Gens du Livre" ne doivent pas être comptés Le mariage d'une musulmane
parmi les mushrikîn. Le troisième argument est tiré avec un non-musulman :
de la pratique déjà évoquée des deux premières impossibilité absolue
générations de musulmans.
A l'intérieur de cette majorité, tous ne sont cepen¬ Le droit musulman dans les textes
dant pas des inconditionnels du mariage "mixte". Il
faut citer l'imâm Mâlik qui distingue selon l'origine Le traditionnel statut de dimma ("protection"
de la kitâbiyya. "Il est interdit (harâm) d'avoir pour accordée au non-musulman installé en pays musul¬
épouse (...) une infidèle, sauf s'il s'agit d'une (...) man) interdisait au non-musulman, sous peine de
juive ou d'une chrétienne, mais c'est blâmé, spécia¬ mort, d'épouser une musulmane7. Cette interdiction
lement en dar al-harb"4. La dimmiyya, permise par est fondée sur la seconde partie du texte de base
4
Mâlik, bien que non musulmane, est socialement (2,221). Après avoir réglé la question du mariage Khalîl b. Ishâq, Abrégé de la loi
proche de la communauté et censée en avoir intégré d'un croyant avec une mushrika , le verset poursuit musulmane selon le rite de l'imâm
les us et coutumes. Surtout, elle ne risque pas de la même manière : "Ne mariez pas vos filles à Mâlek, trad. Bousquet, Alger,
d'entraîner époux et enfants en dâr al-harb où leur des polythéistes" (mushrikîn ). Maison des Livres, t. II, n° 1 17,
1958, p. 35.
foi risque d'être pervertie. C'est pourquoi Mâlik A la différence du mariage du musulman, celui de 5
blâme le mariage avec une harbiyya qui, de surcroît, la musulmane ne supporte pas d'exception. L'inter¬ Al-Bukhârî, 68, 18.
boit du vin et mange du porc. De plus, le Coran, dit- diction qui la concerne est même renforcée par un 6
mânes de leurs époux mecquois demeurés infidèles, Un interdit dont l'application
ce n'est pas la différence de résidence, dit le juriste fait l'objet de débat
Abu Hanifa, c'est l'islam. Les fuqahâ' explicitent
l'interdit en invoquant un autre verset : "Dieu ne Si tels sont les interdits légaux, leur application en
permettra pas aux incrédules de l'emporter sur les contexte moderne ne paraît plus aller de soi comme
croyants" (4,141) ainsi que sur un hadith : "L'islam en témoignent
mentation se situe
deuxdans
opinions
le droitqualifiées
fil de la dont
doctrine
l'argu¬
ci-
domine et ne saurait être dominé" . La femme, léga¬
lement gouvernée par son mari, en subit l'influence. dessus exposée.
On craint que, "naturellement faible" , elle n'y suc¬
combe et apostasie l'islam pour prendre la religion • Une opinion moderniste
de son époux. Elle est alors perdue pour l'islam. De En 1985, paraissait dans un hebdomadaire tunisien
même, suivant la religion de leur père, les enfants du de langue arabe un long article du professeur M.
couple sont eux aussi perdus pour l'islam. Talbi sur la liberté du mariage reconnue aux Tuni¬
Le malikite Khâlil b. Ishâq, dont V Abrégé siennes par la Charte de la Ligue tunisienne des
conserve une grande audience en Afrique du Nord, droits de l'homme10. L'auteur y exprime "la
ne traite de la question que sous l'angle de l'aposta¬ méfiance des musulmans se conformant au Coran et
sie du mari musulman ou sous celui de la conver¬ à la Sunna" à l'égard de l'article 8 de la Charte :
sion de la femme à l'islam, le mari conservant sa "L'homme et la femme qui ont atteint l'âge de la
propre religion8. Il suppose sans doute l'interdit suf¬ majorité légale ont le droit de se marier et de fonder
fisamment intégré pour aller de soi dans une société une famille sans aucune restriction pour cause de
relativement peu ouverte aux pluralismes culturels, race ou de religion". De fait, la reconnaissance d'un
en dehors des exceptions notables de cohabitation droit à la liberté du mariage ainsi exprimé engage les
que furent les croisades et l'empire musulman espa¬ membres de la Ligue à lutter pour que la législation
gnol. de leur pays reconnaisse ce droit, y compris en ce
Cette uniformité est aujourd'hui mise à mal par qui concerne l'empêchement de religion. Or, on l'a
les émigrations temporaires ou définitives entre dâr vu plus haut, la pratique administrative tunisienne
al-islâmentraîne
découle et dâr laal-harb.
relativisation
Le pluralisme
de l'interditqui
tradi¬
en d'une
s'oppose
musulmane
absolument
avec àunlanon-musulman.
célébration du mariage
tionnel. La modernité, porteuse des idées de démo¬ L'argumentation de M. Talbi comprend deux volets.
cratie et de des
l'autonomie droitsindividus
de la personne,
et à l'idéeouvre
d'unelaadhésion
porte à Le premier est relatif au droit qu'a tout croyant de pou¬
voir professer sa religion sans aucune restriction.
personnelle et non plus communautaire à un dogme L'auteur commence donc par rappeler la priorité
déterminé. Le droit au mariage sans discrimination qu'ont, pour le musulman croyant, Coran et Sunna sur
fondée sur la religion est aujourd'hui protégé par des toute "parole de l'homme" et la pérennité des prescrip¬
conventions internationales. Les législations des tions qui
miné metdécoulent
en situation
de ces
difficile
deux cesources.
musulman
Le texte
membre
incri¬
pays occidentaux s'y conforment en admettant la
pleine validité du mariage civil. Ce sont là des fac¬ de la Ligue. "Il professe l'islam et soutient une option
teurs musulmanes
entre incontournables
et non-musulmans.
qui favorisent les mariages qui est en contradiction avec sa conviction et sa
conscience ; il place la Charte de la Ligue au-dessus
Les législations arabo-musulmanes contempo¬ du Coran, la parole de l'homme en vient à abroger ce
raines conservent cependant l'interdiction de ce type que le musulman croit être parole du Créateur" .
de mariage. Ainsi par exemple les codes du Maroc, La restriction du mariage interreligieux, poursuit
de l'Algérie, de la Jordanie et du Koweït. Deux M. Talbi, n'est pas le monopole de l'islam puisqu'on
codes au moins n'en font pas mention, ceux de la la retrouve en judaïsme et en christianisme. Vouloir
Tunisie et du Yémen du Sud, ce dernier promulgué abolir ces restrictions "est incompatible avec les
en 1974, avant l'unification des deux Yémen. Après convictions des musulmans et des autres croyants
8 de longues discussions et en dépit de l'adhésion de L'article "s'oppose au droit qu'a l'homme en
Khalîl b. Ishâq, op. cit. p. 36. la Tunisie aux Conventions sur la non-discrimina¬ général de choisir sa foi et sa religion en toute
9 tion en matière de mariage9, l'interdiction s'y est liberté, d'en pratiquer les enseignements, de lutter
"Convention sur le consentement au imposée par le biais d'une circulaire adressée en pour établir solidement ces enseignements et inviter
mariage, l'âge minimum du mariage 1969 par le ministre de la Justice à tous les officiers à les suivre et à les défendre" . Du reste, les auteurs
10 déc.
et l'enregistrement
1962. Adhésiondesdemariages",
la Tunisie d'état civil tunisiens, y compris les autorités consu¬ de la Charte ne se réclament-ils pas dans leur préam¬
le 21 nov. 1967, cf. L. Pruvost laires. Deux législations au moins, en Algérie et au bule "des principes libéraux des valeurs de notre
"Promotion de la femme et
législation", IBLA, 1968, p. 350 et s. Koweït, prévoient en outre la nullité du mariage en civilisation arabo-islamique" ? Pour M. Talbi,
10 cas d'apostasie de l'un des conjoints, sans préciser l'article 8 contredit ce préambule. Ce texte montre
M. Talbi, "Au sujet de la Charte...", lequel, une nullité qui s'impose de plein droit dès que "l'homme dont la Charte respecte les droits est
op. cit. que l'apostasie est avérée. (...) celui qui se réclame de l'islam en tant que civili-

32 HOMMES & MIGRATIONS


sation et culture, mais pas nécessairement comme le suivent. Or Dieu a dit : "Dieu ne permettra pas
foi et religion qui obligent..." aux incrédules de l'emporter sur les croyants"
L'argument ne manque pas de pertinence dans un (Coran 4,141). L'auteur examine ensuite longuement
pays dont l'islamité demeure pleinement reconnue le statut de cet Algérien musulman devenu français.
par la constitution en dépit de la laïcisation sous- Son jugement est sans recours : cet homme a com¬
jacente à des innovations comme l'interdiction de la mis "un acte d'infidélité" en prenant la nationalité
polygamie et l'admission de l'adoption. Il fait appa¬ d'un pays dont les lois excluent les règles musul¬
raître la contradiction à laquelle risque de mener manes en matière de statut personnel. Renonçant
dans un contexte de modernité l'union entre religion volontairement "à la loi particulière qui assure aux
et politique. La soumission au principe : "l'islam est musulmans un certain nombre de dispositions
religion de l'Etat" , constitutionnalisé par la quasi- propres à la sharî°a, comme c'est le cas pour le
totalité des pays arabo-musulmans, n'est-elle pas mariage, l'héritage, le droit de garde, etc. (...) il a
l'un deseffective
cation chevauxdedela bataille
sharfa des
? militants de l'appli¬ délibérément abandonné les préceptes de la loi isla¬
mique" pour les remplacer par "le statut des rebelles
M. Talbi a pleine conscience de ce risque. Aussi à l'islam" (tâghut). A ce stade, il est déjà apostat.
ne veut-il pas enfermer tous ses compatriotes dans Son apostasie se confirme du fait de la situation dans
une obligation religieuse qui ne concorderait pas laquelle il engage ses enfants. Ceux-ci "grandissent
avec leurs convictions profondes. Il propose donc, et dans un milieu français, chrétien, fanatique, hostile
c'est le second volet de son article, une nouvelle à l'islam et aux musulmans. Et celui qui - homme ou
rédaction de l'article 8 où la dernière phrase serait femme - accepte pour ses enfants l'infidélité est lui-
ainsi reformulée : "... le droit de se marier (...) sans même infidèle et apostat" .
autres restrictions que celles que leur dictent leur foi La conclusion coule de source. Le "musulman"
ou leur conscience" . Cette formulation, écrit-il, naturalisé devenu apostat "n'a aucun souci du licite
"respecte le droit de tout homme (...) musulman de et de l'interdit" . C'est donc du côté de la femme que
foi et de pratique ou seulement de civilisation et de se pose la question de la licéité. "Est-il licite pour
culture, de choisir ce qui s'accorde à sa foi ou à sa elle d'épouser cet homme ?" La réponse est catégo¬
conscience en matière de mariage..." riquement non. "Ce n'est pas permis pour elle, selon
Il suggère même que la législation tunisienne en la parole de Dieu" . Suivent les deux versets cora¬
arrive à distinguer entre "mariage conforme au droit niques "décisifs" en la matière (60,10 ; 2,221).
positif et mariage conforme à la loi religieuse, solu¬ Assimiler la naturalisation a une apostasie corres¬
tion qui prend en considération à la fois, pour le pond à une mentalité archaïque que réactivent
musulman engagé, son obéissance aux règles de la loi aujourd'hui les courants islamistes nationalistes.
divine, et, pour les autres, leur désir de s'en libérer". Cette interprétation n'est cependant pas partagée par
Attitude moderniste qui propose une innovation colos¬ beaucoup de ceux qui émigrent en pays non musul¬
sale pour des codes et une mentalité dominante pro¬ man. Par ailleurs, l'augmentation du nombre des
fondément enracinés dans les principes posés par le croyants musulmans, hommes et femmes, tentés par
fiqh dont l'autorité est assimilée à celle de la sharfa. l'aventure du mariage interreligieux ne semble pas
freinée par les prescriptions, tant de la sharfa que
9 Une attitude traditionnelle des droits musulmans positifs. Le risque de transgres¬
C'est une position tout à fait opposée que défend sion a pour pendant la prise de conscience croissante
le Shaykh Hamani, ancien président du Conseil de l'autonomie des personnes. Apparemment oppo¬
supérieur islamique d'Algérie, réformiste badisien, sée à la cohésion communautaire, cette autonomie,
pour qui la Loi musulmane s'impose sans ce genre plus universaliste, peut donner à chacun la possibilité
de distinction. Il exprime son opinion, appuyée sur de cultiver et développer une authentique fidélité à sa
celle de son maître Ibn Badis, dans une fatwa pro¬ propre etfoi.
réalité commence
Ceci ressort
à devenir
déjà un
de thème
l'observation
littéraire12.
de la
noncée en 1989 à propos du mariage d'une musul¬
mane avec un "apostat" de l'islam11. La question La proposition de M. Talbi permet justement à cha¬
était moins simple qu'il ne paraît de prime abord. cun de se situer face à sa conscience. Elle laisse au
Elle concerne non pas une apostasie avérée, mais un croyant, comme au non-croyant la possibilité de choi¬
cas d'émigration doublée d'une naturalisation. sir avec discernement son avenir, sans se couper pour
"Est-il licite pour un Algérien musulman résidant en autant
foi ou communauté
de sa communauté
de culture.
d'origine,
Dans un
communauté
monde où les
de
France et qui a pris la nationalité française, d'épou¬ 11
ser une Algérienne musulmane ?" droits de la personne représentent un acquis que l'on Shaykh Hamani, "Une musulmane
La réponse commence par poser le principe et ses doit souhaiter irréversible, ce n'est pas une porte peut-elle épouser..." op. cit.
12
fondements. "Il n'est pas licite, pour une femme ouverte à une sorte de décadence, mais bien plutôt un Fatima Gallaire, Princesses, Paris,
musulmane d'épouser un infidèle, parce que le mari double appel : formation d'une conscience droite et Ed. des Quatre-Vents, 1988, 87 p.
a autorité sur sa femme et que, de ce fait, les enfants adaptation "pastorale" à la réalité. (Théâtre).

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