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Résumé
Le culte des ancêtres forme la trame des croyances et pratiques culturelles des Vietnamiens, il touche à tous les aspects de la
vie quotidienne et façonne leur univers mental.
Les rapports au mariage et à la mort ; les relations entre générations, l'exigence d'une descendance mâle, la piété filiale, le
respect de la tradition, le rituel des festivités, le mode d'habitat même, découlent directement de cette croyance bien vivante, y
compris en exil. Sa connaissance contribue donc à la compréhension des phénomènes socio-culturels qui traversent la «petite
Asie » de France.
Dinh Trong Hiêu. Rythmes des vivants, mémoire des morts : espace, temps, rituels du culte des ancêtres. In: Hommes et
Migrations, n°1134, juillet 1990. Populations du Sud-Est Asiatique. pp. 17-26;
doi : https://doi.org/10.3406/homig.1990.1496
https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1990_num_1134_1_1496
Le culte des ancêtres forme la trame des croyances et pratiques culturelles des
Vietnamiens, il touche à tous les aspects de la vie quotidienne et façonne leur univers
mental.
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serait bénéfique en cette fin de siècle, et à la veille d'un
autre millénaire. Récemment, l'attention est attirée, çà
et là, sur la recrudescence religieuse, parfois lourde de
conséquences. Certes, le « culte des ancêtres »,
croyance d'un autre âge aux yeux de certains, ne
* URA 882, CNRS-Laboratoire d'ethnobiologie-biogéographie, Museum national d'histoire naturelle. Membre du conseil scientifique du
GRISEA.
(1) — Coue A., 1933. Doctrines et Cérémonies religieuses du pays d'Annam. Testelin, Saigon.
— Dumoutier G., 1904. Le rituel funéraire des Annamites. Schneider, Hanoi — 1907. Les cultes annamites. Schneider, Hanoi.
— Lesserteur E., G, 1885. Le Rituel domestique des funérailles en Annam (traduction du : Tho mai gia lé). Chaix, Paris.
— Nguyen Van Huyén, 1941. « La transmigration des âmes et la fête annamite des morts ». Indochine. 1941, 52: 1-IV — 1942. « Les temps
de la Pure Clarté et la conservation des tombes en pays d'Annam » (3e jour du 3e mois lunaire). Indochine. 23/04/1942 — 1944. La civilisa¬
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(2) Granet M., rééd. 1980. La religion des Chinois. Imago, Paris. (Chap. II : 65-79).
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(1) Hô Chi Minh, 1961 : Con nguoi xa hôi chu nghia (L'homme socialiste). Les éditions Su thât, Hanoi, p. 114.
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Prenons le niveau le plus bas, celui du culte fami¬ Fig. 1 — L'«âme blanche» ou l'«âme en soie»
lial ; qu'impliquent donc, concrètement, les devoirs
(1) Le « clan », en principe, peut être perceptible à travers le nom patronymique : Dinh, Hoàng, Lê... Dans la pratique, le culte ancestral est
dédié au fondateur d'un sous-clan, dont les « branches » se distinguent au travers du « prénom intercalaire » (tén dém") situé entre le nom
patronymique (ho) qui se transmet de père à enfants et le prénom qui caractérise l'individu (tên). Exemples : sous-clan des Hoàng Cao,
des Hoàng
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Hoàng Xuân, etc. Dans les relations d'individu à individu, actuellement, le prénom suffit. Pour toute relation publi¬
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professionnelles et actuellement rétribuées par la parti¬ machisme aidant et l'excédent de la population fémi¬
cipation aux festins funéraires ; fabricants d'objets cul¬ nine consécutif
mœurs. Les mesures
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tuels, sculpteurs sur bois ou artisans du cuivre ; artisa¬
nat toujours prospère de bâtonnets d'encens ; tailleurs peuvent être rigoureuses, sous peine de heurter les tra¬
de stèles funéraires toujours en activité, et d'autant plus ditions populaires. En principe, deux enfants par
demandés que les pilleurs de tombes mettent les stèles famille sont tolérés ; en réalité, on remarque fréquem¬
dans leurs fours à chaux; potiers spécialisés dans la ment, surtout en milieu rural, une progéniture de qua¬
confection de petits cercueils en céramique (tiêu sành ) ; tre, cinq filles, que ne vient point compléter un seul
sans parler des « pompes funèbres » traditionnelles, garçon, au grand dam de tout le monde, le contreve¬
équitractées ou motorisées comme à l'heure actuelle, et nant peut être exclu du Parti pour « surproduction non-
qui ont fait la fortune d'entreprises naguère célèbres, exigée » ! Outre-mer, les soucis des parents de la pre¬
avant d'être « nationalisées » ! Le promeneur à Hanoi ne mière génération se colorent d'un certain « racisme »
manquera pas de voir maints ex-votos, spécialités de la cultu(r)el : que deviendra le culte des ancêtres si l'héri¬
« Rue des ex-votos » (Phô hàng ma) : classiques che¬ tier mâle épouse une Française, de surcroît catholique ?
vaux harnachés, belles concubines traditionnelles, ou, à Autrefois, la future bru était sélectionnée selon des cri¬
la mode du jour, des Hondas rutilantes et des liasses de tères de productivité, économique et biologique,
faux-billets de 5000 dông pour suivre l'inflation galo¬ comme main-d'œuvre et comme reproductrice d'héri¬
pante, évidemment le tout en papier, destiné à être brû¬ tiers ; les vieilles grands-mères l'auscultaient comme
lé et à alimenter la consommation des morts, en quand on va au marché choisir une truie. De nos jours,
compensation des privations qu'ils ont subies durant leur en pays d'accueil, ce n'est pas sans plaisir qu'on favo¬
existence terrestre. rise rencontres et mariages entre autochtones, et c'est
toujours d'un oeil soupçonneux qu'on dévisage les cou¬
D'autres implications sociales résultant du culte ples mixtes.
des ancêtres marquent profondément la civilisation
vietnamienne. En premier lieu, l'exigence d'une des¬ Autrefois, à côté de l'exigence de perpétuation
cendance mâle pour assurer ce culte. Et cette terreur biologique et de continuité du culte, il y avait encore
qu'inspire aux vieux Vietnamiens l'idée de n'avoir pas l'exigence d'une continuité de la transmission des « ver¬
d'héritier mâle, synonyme de « l'extinction de la race » tus familiales » {dao nhà). On connaît l'histoire célèbre
(ituyêt tu). Sans héritier mâle, point de culte; sans culte du poète Nguyên Dinh Chiêu qui, se rendant aux
familial, l'âme du défunt, « solitaire » (cô hôn ), devra concours triennaux, perdit sa mère (1848). Il interrom¬
errer éternellement, sans foyer, sans lieu de repos. Pire pit son voyage et pleura tant qu'il perdit la vue. Dans
que la famine durant l'existence terrestre, la peur son poème Luc Vân Tiên, il laissa ces vers autobiogra¬
d'avoir un jour à « se disputer le potage de riz déposé phiques,
ont oubliéetlesterriblement
traditions : réprobateurs envers ceux qui
dans une feuille de banian » (cuop chao la da\ sorte de
« soupe populaire » que le culte bouddhique dispense,
non pas aux indigents de l'Au-delà, mais aux morts sans « Thà dui mà giu dao nhà,
descendance, c'est-à-dire à des vagabonds, ces moins Con hon co mat me cha không tho »
que rien ! On se met alors à l'œuvre pour la production
de cette progéniture. Tant que la femme met au monde («Dussé-je être aveugle, je préfère garder les tra¬
une fille, on continue (ou on la répudie ; cela, il n'y a ditions familiales plutôt que d'avoir des yeux et ne pas
pas si longtemps). Dans un Vietnam surpeuplé, où la vénérer père et mère ! »)
mortalité infantile est forte, c'est la course au(x) gar-
çonnet(s), qui fournira la main-d'œuvre pour la rizicul¬ Dao nhà, «vertus, traditions familiales» avaient
ture intensive, en même temps qu'il constitue une des ancrages matériels. A la naissance de l'enfant,
épargne sure pour les vieux jours et une assurance dans après avoir coupé le cordon ombilical, on enterrait le
l'Au-delà. La législation, du XVe siècle, à la fin du placenta dans l'enceinte de la maison familiale (chôn
XVIIIe siècle, et jusqu'à fraîche date, se préoccupe du nhau, cat rôn). La maison « natale » est un lieu de
statut de la femme, moins pour elle-même, que comme continuité : entre mère et enfant. De la même manière
co-productrice d'héritier mâle. Polygamie, mariages « terre ancestrale » {dût tô) n'est pas une vaine figure
précoces, étaient les moyens pour s'assurer des garçons ; de style,
des rizières.
puisque
Les tertres
les ancêtres
de leurs
sont
tombes
enterrés
sontaucontour¬
milieu
on comprend le mépris à l'égard des filles. Il n'est pas
dit que les mœurs actuelles aient beaucoup évolué, le nés quotidiennement lors des travaux rizicoles, ils sont
des
ments,
obsèques
elles sont
villageoises.
d'une beauté
Il estpoignante.
dommage Avis
que les
auxmusiques
musicologues
funèbres
! et lamentations vietnamiennes n'aient pas été l'objet d'enregistre¬
(1) Granet
(2)
(3) teur Hocquard)
Gourou
Dinh
Paris 7,Trong
M.,
1986,
P., op.
1936,
Hieu,
7-8.cit..
».rééd.
1986.
Cahiers
p. 65.1965.
« Textes
Habitations
d'Etudes
Les relatifs
paysans
vietnamiennes.
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delta tonkinois.
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Université
: quelques
deEtude
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civilisation
de7. géographie
1986,
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vietnamienne
7-8: 75.humaine,(extraits
».Paris,
CahiersMonton
d'Une
d'Etudes
campagne
& Co,
vietnamiennes.
La au
Haye.
Tonkin,Université
du Doc¬
féminin, à plus forte raison des vêtements d'une femme Nous appartenons à une civilisation qui marche vers le
qui a ses règles, c'est manquer gravement aux devoirs futur, forcément à reculons.
de respect. Par conséquent il est interdit d'exposer ces
vêtements sur des lieux de passage. Le « bas » (duoi ), Rythmes et mémoire.
les pieds, sont synonymes de mépris ; fouler un texte de
caractères (sacrés, aux yeux d'un lettré), marcher sur L'alternance des jours, et des nuits, est marquée
une image vénérée, était la marque suprême du par le soleil, et par son absence. Le parcours des jours
mépris, d'ailleurs c'était tabou. Mêmes concordances est marqué, soit par l'absence complète de lune,
avec le « devant » (truoc ), 1' « avant » (tien) du corps, moment jugé « néfaste » (50c), soit par la plénitude de
et 1' « arrière » (sau ), 1' « après» (hâu ) ; d'où les lune, moment jugé « faste » (vong, ou ram). D'une
connotations de respect pour les ancêtres, littéralement absence de lune à une autre, c'est le cycle d'un mois,
les « hommes de l'avant » (tiên nhân ), alors que « ceux coupé par un jour « néfaste », le premier, et un
qui viennent après» Qtâu sink) n'ont pas droit à ces jour « faste », le quinzième. Ces deux jours sont des
considérations. An trôngnôi, ngôi trônghuong (« Quand moments propices au culte, culte domestique et culte
on mange, il faut veiller à la contenance de la marmite de des esprits. Au Vietnam « socialiste », ce rythme per¬
riz ; quand on s'asseoit, il faut veiller à la direction — dure. Pour les nouveaux morts, autre rythme de culte :
pour ne pas tourner le dos vers l'autel des ancêtres ou « sept fois sept », soit au 49e jour; au 100e jour ; un an
vers les anciens »), telle reste la recommandation pour pour un « petit deuil » ; trois ans pour un « grand deuil »,
une bonne tenue « à table » et à l'intérieur d'une habi¬ celui des parents; puis tous les ans, au jour anniversaire
tation vietnamienne, selon la conception des Viêt. de la mort (ngày giô). Il existe une « fête des morts »,
L'autel des ancêtres ne saurait donc être placé au d'inspiration bouddhiste, qu'on appelle aussi la fête des
niveauoùd'un
droit vivent
meuble
les ancêtres
à usage humain,
doit êtretout
situé
comme
dans l'en¬
une « âmes errantes », le 15e jour du 7e mois lunaire.
zone de hauteur. Pratiquement, à l'heure actuelle où la Mais la fête commune à tous les morts, à tous les
photographie remplace « l'âme blanche » de l'ancêtre, ancêtres, c'est bien le jour du nouvel an lunaire. Jour
on veillera à ce qu'aucune image profane ne soit placée premier, à la suite duquel viennent les autres, jour des
plus haut. (Fig. 3). Fondateurs. Jour nouveau, du commencement, de la
pureté, de la purification : tout doit être propre, net,
Comme ces concepts d'espace se confondent avec seul jour de l'année où les enfants étrennent leurs vête¬
ceux du temps, le culte des Ancêtres est aussi celui des ments neufs. Jour d'absence de lune, « néfaste », où
Anciens. Le respect du passé exige qu'on ait les yeux l'on a besoin de la protection de tous ses morts, jour
fixés vers lui, unique modèle, à reproduire « à l'identi¬ des Protecteurs. Jour souvenir, où les absents revien¬
que », puisqu'on a le dos tourné vers l'avenir. Les rap¬ nent, où les disparus resurgissent, jour mémoire. Jour
ports entre Ascendant-Descendant, entre Fondateur- de réunion,Jour
lointains. desd'abondance
vivants et des: morts,
les offrandes
des proches,
aux âmes
des
Continuateur sont des rapports à sens unique, l'eau
coulant vers le bas, la fumée montant vers le haut... des morts, consacrées par leur présence, honorées par
eux, nourriront les vivants. Jour de passage, ou plutôt
instant de passage, de l'ancien au nouveau : Giao thùa,
TRBN (AU DESSUS, SUR)
dâù (tête, commencement) le même pour tous ceux qui partagent la même culture,
fussent-ils répartis à la surface du globe, instant unique,
minuit
où tousauconviennent
Vietnam, 17d'une
heures
même
en France,
communion.
heure C'est
unique
le
moment où on allume les bâtonnets d'encens, où l'on
s'incline devant l'autel, où l'on prie les morts, ils revien¬
nent là où on les invoque, pas de barrière, de frontière,
de visas, d'autorisation... C'est l'heure où, dans une
TRlfâc (DEVANT) SAU (DERRIERE)
rame de métro, le visage d'un Vietnamien devient grave ;
tièn (avant) hâu (après) au bureau, on s'arrête de rire, de parler, de répondre
hôm trilêc (jour d'avant) hôm sau (jour d'après) aux collègues ; si l'on peut, on se presse pour rentrer au
foyer.du« Solennel
culte souvenir»ainstant,
la force« d'abolir
une seulelesfois
mondes
par anet»,les
le
Dlfâl (AU DESSOUS, SOUS) distances : l'invisible se joint au visible, l'absent au pré¬
ohân (pied) sent. Jour premier, où chaque acte s'imprime sur l'ave¬
nir, où l'on a peur : de déplaire, de commettre des im¬
Fig. 3 - Espace-temps d'après le corps humain. pairs, de rencontrer un mauvais sort, peur respectueuse
pratiques
nam
(petits)
relles.
de
d'extorsion
d'ennemis
l'ultime
croyance
tombes,
où
Il explication
en
«voleurs
l'on
sont
privés
nationale
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de
continue
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des
même
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Viet¬
cette
dont
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- Graffitis
Fig. 4 - muraux
Scène de: image
rue auobscène
Vietnamet(début
inscriptions
du siècle).
en caractère nôm («copula-
(1) Ibid. tion avec père et mère de ceux qui habitent dans cette maison »).
25
HOMMES
N° 1134 — &JUILLET
MIGRATIONS
1990
décomposition lente des parties charnelles et le pas¬ dants, combien de simples familles paysannes sans nom,
sage du corps mort à la terre nourricière, la crémation autrefois sans droits, trouvent ainsi une raison aux
bouleverse cette représentation et ce cycle. Néanmoins, énormes efforts consentis. Est-ce là le fondement du
par contrainte économique (une crémation revient consensus politique dont a bénéficié le régime actuelle¬
moins cher qu'une inhumation), devant l'exiguïté des ment au pouvoir au Vietnam ? Ou bien ce consensus
terres consacrées à l'agriculture, bien des Vietnamiens résultait-il de mots d'ordre mobilisateurs tels que « Libé¬
ont dû se résoudre à faire incinérer le corps de leurs rer le pays », « Défendre le sol natal », comme on l'a souvent .
proches. La politique actuelle tend à les inciter dans ce présenté ? La réponse n'est pas simple, mais le culte des
sens. A l'étranger, on avance des arguments religieux ancêtres peut en fournir une explication. Disparus
(les moines bouddhistes sont incinérés), ou des raisons honorés, Familles brevetées, que de sacrifices on a
d'hygiène, pour masquer parfois des sentiments ina¬ commis en vos noms !
voués. L'exil est, hélas ! une contrainte. Mourir en terre
d'exil reste peu souhaitable, être enterré en terre d'exil Dans un Conte à rire , on relate cet épisode tragi-
l'est encore moins. Un cimetière est un endroit triste, il comique d'un fils pieux se roulant à terre pour pleurer
est deux fois plus triste pour un enterrement d'exilé, et et embrassant une tombe voisine de celle de son pro¬
trois fois plus triste si c'est un cimetière collectif : là, pre père. Le respect que nous devons à nos ancêtres
sont réunis tous ceux qu'un exil de fait a empêché de se implique une obligation : rester lucide.
retrouver en terre natale. C'est comme si l'on n'avait
pas pu échapper à un destin de malheur, même dans Tandis que certains Vietnamiens abandonnent
l'Au-delà, alors que le projet de vie était certainement tout, y compris les tombes ancestrales, pour voguer en
différent. D'aucuns font donc incinérer leurs proches, mer, au risque de devenir souvent eux-mêmes
pour conserver leurs cendres à domicile, pour les confier des « morts sans sépulture », à la recherche des valeurs
à une pagode, ou encore pour les renvoyer au pays... qu'ils ne trouvent plus là où sont nés leurs aïeux, il y a
quelque chose d'épique dans la croyance d'autres Viet¬
Dernier aspect « moderne » du culte des ancê¬ namiens, constamment tenaillés par le froid et par la
tres : la stratégie familiale si souvent remarquée dans la faim, vivant serrés sur des terres surpeuplées et refu¬
communauté asiatique. L'adage vietnamien d'autrefois, sant tragiquement d'aller exploiter des zones vides, vers
reste valable : « Un seul de ses membres est mandarin, la Haute Région qu'ils croient toujours « infestée d'es¬
toute la famille en profite » (Môt nguoi làm quan, ca ho prits étrangers et maléfiques » (Rùng thiêng, nuoc dôc).
duoc nho). Néanmoins, les traditions « familiales » Déjà, le « mythe de création » du peuple vietnamien,
n'expliquent pas suffisamment le devenir différent de la La légende du Clan Hong Bàng, depuis plus de quatre
Chine, du Japon et du Vietnam, pour ne citer que ces millénaires, reflétait ce double destin, et nos contradic¬
trois pays. Par contre, quand on lit ce qu'avait écrit tions insolubles.
Marcel Granet depuis 1922 à propos des « honneurs »
réservés aux ancêtres dans l'ancienne Chine, on Dans le passé, si le culte des ancêtres constituait
demeure frappé par la continuité d'une croyance, une « technique d'encadrement » efficace pour une
trame de fond de tout un comportement moderne : production rizicole intensive, il devait être également
« Les sanctions positives honoraient le groupe entier des pour quelque L'arme
Vietnamiens. chose dans
est àcette
double
« vertu
tranchant
peuplante
chez
»2 une
des
parents : elles honoraient mieux encore l'individu
qu'elles voulaient toucher quand elles atteignaient population qui ne sait pas toujours comment sortir du
d'abord le chef de famille. /.../ Un vassal sacrifiait sans marasme économique et dont la démographie croît
hésitation en faveur de son maître son corps ou celui de sans cesse. Même si l'adage ancien est respectable :
ses enfants parce que celui-ci, qui l'avait investi du droit « On vit en fonction de ses traditions ancestrales, per¬
d'avoir des Ancêtres honorés d'un culte personnel, dispo¬ sonne ne peut vivre seulement d'un bol de riz plein » (Sông
sait d'une puissance suffisante pour restituer au patri¬ vi mô,éternellement
nous vi ma, không leai dos
sôngà vil'avenir
ca bat ?com),
Saurons-nous
tournerons-
un
moine de lafamille, sous forme d'honneurs substantiels, plus
que le sacrifice d'un de ses membres ne lui avait fait per¬ jour aller de l'avant en nous servant de nos deux
dre »*. Le brevet de « Famille glorieuse » (Gia dinh ve jambes, sans opposer la droite à la gauche, et sans
exclure ceux de la diaspora comme ceux de la terre
vang)
la course
dispensé
aux honneurs
aux familles
étant «rétroactive
méritantespour
» leslesanoblit
ascen¬; natale ?