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Annales.

Economies, sociétés,
civilisations

La répartition de la population en Algérie


Jean Despois

Citer ce document / Cite this document :

Despois Jean. La répartition de la population en Algérie. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 15ᵉ année, N. 5, 1960.
pp. 915-926;

doi : https://doi.org/10.3406/ahess.1960.420661

https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1960_num_15_5_420661

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CARTOGRAPHIE ET TEMPS PRÉSENT

LA RÉPARTITION DE LA POPULATION EN ALGÉRIE

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1. DOCUMENTS.

Les chiffres de population utilisés sont ceux du recensement général,


effectué le 31 octobre 1954, et publiés par le Service de la Statistique
Générale du Gouvernement Général de V Algérie.
Nous avons retenu de cette statistique les colonnes intitulées population
française non musulmane, et population française musulmane. Ces
données ont été mises en place en prenant pour base la carte des Limites
Administratives de l'Algérie, au Ц 400. 000, en trois feuilles, dressée et publiée
par le Service Cartographique du Gouvernement Général de V Algérie.
(Alger 1952, 1955, 1956.)
La distribution détaillée des points tient compte des études
géographiques régionales et des informations portées sur les cartes topo graphiques
au 1/50.000 et 1/200.000, dans la mesure où ces informations ne sont pas
périmées. Pour les Hauts-plateaux et V Atlas Saharien, la référence a été
faite au récent levé au 1/100.000, aucun document ne permettant
malheureusement de faire état du nomadisme avec une précision suffisante : sur
ce sujet, bornons-nous à renvoyer au commentaire de M. Jean Despois.

2. LA FORMULE GRAPHIQUE.

Population. — L'imbrication des deux groupes humains ne pouvait


se traduire que par une image simplifiée et lisible, mais quasi
photographique de la réalité. Un point représente 500 habitants. Ce rapport permet

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ANNALES

de suivre la distribution de la population musulmane avec suffisamment


de nuances. Mais la population non musulmane justifiait, nous a-t-il
semblé, une représentation plus fine, indispensable dans certaines régions.
Nous avons donc cherché à montrer sa présence, même dans les lieux où les
groupes étaient inférieurs à 500 habitants. Par une croix (de 50 à 500) et
un trait vertical (moins de 50), nous avons ainsi pu noter la plupart des
implantations. En accord avec MM. Jean Dresch, Jean Despois,
Maurice Lombard et Pierre Marihelot qui ont participé à la préparation de cette
carte, les implantations de moins de trois familles ont été négligées. Enfin,
les concentrations «urbaines » supérieures à 1.000 h. sont figurées par un
resserrement des points, et au-delà de 4.000, par des cercles de surface
proportionnelle à la population.
L'échelle graphique choisie permet d'assurer que Vimpression visuelle
correspond sensiblement à la quantité de la population réelle dans chaque
aire envisagée. Elle est donc exactement proportionnelle à cette population,
depuis le signe : moins de 50 habitants, jusqu'au cercle de la population
d Alger.
Naturellement, un cercle de ville est proportionnel à la population totale
( musulmans -\- non musulmans), les secteurs rouge et vert correspondent à
la part de chaque groupe dans le total considéré.
Fond de carte. — Le fond de carte devait rester très discret et faire état
des principaux traits du relief et de V hydro graphie, qui ont une influence
sur V implantation des hommes. C'est Vidée de région montagneuse (ou plus
exactement de région accidentée) qui a été retenue, indépendamment de
Valtitude absolue, avec une nuance (traits horizontaux) pour certaines
zones internes plus humaines parce que relativement plus calmes. Les «
arrachements » ou hachures ont permis de préciser quelques dispositions
caractéristiques du sol, ainsi les Hauts-Plateaux entre Saïda et Tiaret,
généralement plus élevés que les « montagnes » situées au Nord, ou encore les crêtes
monoclinales qui hachent la région de V Atlas Saharien sans constituer, à
proprement parler, de massifs montagneux.
L 'observation attentive de notre carte permet de constater combien le
relief est souvent un facteur négligeable de la distribution de la population
en Algérie, et combien, pour la comprendre, il est indispensable de faire
appel à d'autres variables de Vespace (humidité, nature des roches,
microrelief, salubrité, présence européenne, adhérence historique, etc.).
Précisons bien enfin que cette carte montre le dernier état normal de cette
distribution de la population, avant les déplacements récents qui en ont
déformé V implantation, résultat d'une longue, mais lente histoire.

Jacques Bertin.

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LA POPULATION D'ALGÉRIE

T A très belle carte de la densité de la population de l'Algérie dres-


-^ sée par les soins de M. Bertin et encartée à la fin de ce fascicule est la
troisième tentative de cartographie précise de la répartition des habitants
de ce pays.
L'Atlas d'Algérie et de Tunisie d'Aug. Bernard et R. de Flotte de
Roquevaire, malheureusement inachevé, a donné deux cartes d'après
les recensements de 1926 et de 1931 : cartes très réussies à l'échelle du 1 :
1 500 000e, où une gamme de 10 couleurs en teintes plates fort bien venues
et nuancées précise la densité des habitants de chaque commune,
commune de plein exercice ou de commune mixte (et, pour la Tunisie, de
chaque cheikhat). Elles sont accompagnées de cartons sur les races, les
genres de vie, les langues, la densité des populations européennes et
indigènes pour les années 1846, 1866, 1886, 1906 et 1926 avec distinction
entre Français et étrangers. Elles sont brièvement commentées dans un
texte de 9 grandes pages in-folio illustrées de 12 figures et de 5 tableaux
de chiffres. Cartes et dessins ont été l'œuvre du Service cartographique
du Gouvernement général d'Alger et lui ont fait honneur 1.
Il faut attendre vingt ans pour que paraisse, sur la même base des
communes et d'après le rencensement de 1948, une autre carte du même
genre à une échelle un peu plus réduite et pour la seule Algérie du Nord.
Elle est l'œuvre de M. Larnaude qui, travaillant seul et ne disposant que
de moyens modestes, a réussi à faire paraître, au Bulletin de la Section
de géographie du Comité des Travaux historiques et scientifiques de 1951,
une carte très satisfaisante en n'utilisant, outre le noir et le blanc, qu'une
gamme de 6 figurés en rouge. Elle porte les limites administratives ; celles
qui correspondent à la limite méridionale du Tell (soit à peu près l'Atlas
tellien) et de ses annexes dans le Constantinois (Hautes plaines avec
l'Atlas saharien oriental) sont utilement renforcées 2.
La carte de M. Bertin, qu'il s'agit de commenter brièvement ici,
procède d'une autre technique de représentation de la densité de la
population : celle des cercles dont la surface est proportionnelle au nombre
d'habitants pour les groupes supérieurs à 500 ; deux signes d'une autre
couleur permettent de signaler l'existence de plus faibles nombres pour
les Européens. Le procédé, plus souple que celui des teintes par unité
administrative, donne une représentation plus précise et permet, au
moyen de deux couleurs, de distinguer les non-musulmans des
musulmans, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, et de montrer
leur importance relative dans les agglomérations, les villes en particulier.
La représentation en bistre de l'hydrographie et de l'essentiel du relief

1. Cartes et texte constituent le fascicule V de Г Atlas. (Alger, la Typo-Litho, et


Paris, Larose.)
2. Parue en 1952 avec un bref commentaire p. 87-93. Elle a inspiré la petite carte
de la « Densité de la population en 1948 », p. 36 de J. Breil, La population algérienne.
Etude de démographie quantitative, La Documentation française, Paris, 1958.

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ANNALES

permet les localisations et attire l'attention sur un fait capital, en Algérie


comme au Maroc : le rapport des densités entre les plaines et les
montagnes. Cette carte a par contre l'inconvénient, comme toutes les cartes
construites selon le procédé des cercles, de ne pas chiffrer d'emblée l'ordre
de grandeur des densités x.
Dressée d'après le recensement du 31 octobre 1954, elle est déjà
périmée dans le détail puisque la documentation sur laquelle elle repose
date de six ans et surtout parce que, réunie à la veille de la rébellion, elle
ne tient pas compte des « recasements » opérés pour un million
d'habitants au moins, ni de l'afflux vers les villes de toute une partie de la
population rurale musulmane et européenne. Elle garde un intérêt
géographique d'autant plus grand et elle prend déjà une valeur historique.
Quelques traits d'ensemble apparaissent au premier examen de cette
carte plus nettement que sur les précédentes et d'abord l'extraordinaire
inégalité de la répartition des hommes. Ils se pressent sur une bande de
100 km, parallèle à la côte ; puis leur nombre diminue très rapidement
vers le Sud, à l'Ouest, plus lentement à l'Est jusqu'aux contrées presque
vides du Sahara. Les diverses grandes zones de peuplement sont
toujours plus denses à l'Est d'une ligne Cherchel — Bou Saâda — Touggourt
qu'à l'Ouest 2. Les montagnes sont aussi fortement peuplées, et souvent
davantage que les plaines qu'elles dominent : certaines régions de la
Kabylie occidentale, massif aux sols pauvres, sont aussi peuplées que la
riche plaine agricole de la Mitidja ; à la frontière marocaine le modeste
massif des Trara a une plus forte densité de population que les plaines
d'Oranie ; les grandes vallées de l'Aurès occidental sont plus habitées
que les Hautes plaines de l'Est. Enfin, alors que, dans les campagnes, la
répartition de la population musulmane se confond avec la répartition
de la population totale, les Européens, beaucoup moins nombreux, sont
répartis presque exclusivement dans la région septentrionale, surtout au
Centre et à l'Ouest ; et leur importance dans les villes est hors de
proportion avec leur rôle dans les campagnes.
Les rapports entre la répartition des populations et des grandes
régions naturelles devront d'abord être précisés : ils sont évidents, mais
ils sont loin de tout expliquer. La colonisation et la présence françaises
depuis 1830 ont eu des conséquences très importantes sur les densités
rurales et urbaines. Mais des faits resteraient inexpliqués si l'on se
refusait à remonter dans un passé antérieur au xixe siècle.

1. Il est facile d'y suppléer à l'aide du volume Résultats statistiques du


dénombrement de la population, I. Population légale ou de résidence habituelle, publié en 1956
par le Service de Statistique générale du Gouvernement général de l'Algérie.
2. Cherchel est à 100 km. à l'Ouest d'Alger, Bou Saâda au Sud-Ouest du Hodna
et Touggourt au Sud de l'Oued Rirh dans le Bas Sahara du Nord-Est.

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LA POPULATION D'ALGÉRIE

Les conditions naturelles.

La carte de la répartition de la population en Algérie est à rapprocher


de la carte des pluies annuelles et de celle des principales associations
végétales S lesquelles définissent les grandes zones climato-botaniques :
Tell, Steppe et Désert. La région la plus peuplée est celle du Tell que
caractérisent des ressources et des paysages méditerranéens. La pluviosité
annuelle moyenne, presque partout nettement supérieure à 400 mm.,
autorise, avec diverses formes d'élevage, les cultures sans irrigation : celles
de l'olivier, du figuier et de la vigne, celles aussi des céréales d'hiver (blé
et orge) et de certaines légumineuses (fèves, lentilles...). Cas possibilités
agricoles et la proximité de la mer sont à l'origine de la présence de la
plupart des villes algériennes et des seules importantes. Aussi, plus des 3/4
de la population vivent-ils sur le 1/3, à peine, d'une Algérie dont on
retrancherait le Sahara.
On peut remarquer aussi que si les précipitations sont plus abondantes
à l'Est qu'à l'Ouest, presque partout supérieures à 600 et souvent à
800 millimètres à partir de la région d'Alger, les deux moitiés de l'Atlas
tellien s'opposent également par une notable différence des densités
moyennes de population : on peut les chiffrer à 40, 45 habitants au km1 à
l'Ouest et à 80, 85 à l'Est d'une ligne approximative Cherche! -Boghar i .
Mais il est évident que les différences de pluviosité, pas plus que le relief
plus accidenté à l'Est, ne sont des explications suffisantes ; à plus forte
raison ne peuvent-elles rendre compte des énormes densités presque
uniquement rurales des régions de la Kabylie occidentale où les anciens
arrondissements de Bougie et de Tizi-Ouzou comptaient, en 1954, 118 et
173 habitants au km*.
Les Hautes plaines de l'Est, avec les monts du Hodna, l'Aurès et les
monts des Nememcha qui les encadrent à l'Ouest et au Sud, forment une
zone de transition entre le Tell et la Steppe ; elles appartiennent au Tell
pour les nomades sahariens mais non pour les gens du Nord. Sauf pour
les montagnes les mieux exposées, les précipitations moyennes annuelles
descendent parfois au dessous de 400 mm. et les plantes des steppes se
mêlent à la végétation méditerranéenne, notamment au Sud et au Sud-
Est. Les céréales y donnent de médiocres récoltes sauf sur la lisière nord,
et les vents et le froid sont peu favorables aux cultures arbustives à des
altitudes comprises entre 800 et 1 100 mètres. La densité kilométrique
moyenne des gens doit avoisiner 26 ; elle est un peu plus forte sur les

1. Carte de P. Seltzer dans Le climat de V Algérie, Alger 1946, à l'échelle du 1 :


1 000 000 ; ou de H. Gaussen et F. Bagnouls, Cartes des précipitations de V Algérie
à l'échelle 1 : 500 000, s. d., R. Maire, Carte phyto géographique de V Algérie et de la
Tunisie. Notice. (Alger 1926) ; carte a 1 : 1 500 000 reproduite dans Y Atlas ď Algérie
et de Tunisie.

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ANNALES

monts du Hodna et dans les vallées de PAurès occidental que sur les
Hautes plaines.
Les Hautes plaines de l'Ouest et l'Atlas saharien entre Biskra et le
Maroc appartiennent au domaine des Steppes, steppes déjà arides qui ne
portent encore de claires forêts que sur les versants des chaînes exposées
au Nord. Le peuplement est faible et la densité moyenne est voisine de 5.
Dans l'une et l'autre zone l'aridité décroît un peu, en même temps que
l'altitude, vers le Nord-Est. Dans l'Atlas saharien la densité progresse
de 2,2 dans la circonscription d'Aïn-Sefra, à 4,5 dans le Djebel Amour et
à 6 ou 7 dans les Monts des Ouled-Naïl ; sur les Hautes plaines elle passe
de 2 dans le cercle de Mecheria à 6 dans la commune mixte de Chellala ;
mais elle augmente dans les plaines du Hodna qu'enrichissent les eaux
descendues des montagnes homonymes et quelquefois d'au-delà : elle
y atteint 14.
La faible partie du Sahara algérien que couvre la carte suffit à faire
ressortir, mieux que par le procédé du découpage des circonscriptions,
la concentration de la population sédentaire dans les oasis et la
dispersion des nomades pasteurs dont la mobilité ne peut être représentée.
L'ensemble du Sahara algérien compte en moyenne un habitant pour
3 km2 ; le chiffre doit avoisiner 1 au km2 pour la partie représentée qui
est relativement peuplée. Mais une moyenne a-t-elle encore un sens avec
de tels contrastes de peuplement ? Il n'y a pas d'oasis, pas de vie
sédentaire sans eau abondante ; le lien est donc direct entre la répartition des
palmeraies d'une part, les sources des Ziban et les puits artésiens de
l'oued Righ et de Ouargla d'autre part. Notons cependant que, dans le
Souf (région d'El-Oued), les racines des palmiers vont rejoindre la nappe
phréatique au fond de vastes entonnoirs creusés par les hommes dans le
sable ; et signalons dès maintenant que le Mzab, avec Ghardaïa, offre ce
paradoxe d'une forte population dans une petite région particulièrement
pauvre en eau.
A l'intérieur de ces grands cadres naturels des différences importantes
apparaissent, et pas seulement entre l'Ouest et l'Est ni entre les régions
bien ou mal pourvues d'eau. La nature des terrains et des sols ne saurait
être négligée et l'on ne signalera ici que l'essentiel 1. Les sols salés et nus
des sebkha, qu'encadrent plus ou moins largement des étendues de moindre
concentration saline parsemées de plantes halophiles comme les Salso-
lacées et auxquelles les indigènes réservent le nom de chott, sont
incultivables. Ils couvrent de grandes étendues non seulement dans le Bas-
Sahara du Nord-Est et les Hautes plaines plus ou moins steppiques, mais
même en plein Tell occidental entre la Sebkha d'Oran et le Chélif
inférieur. Sebkha et Chott sont incultivables mais la végétation halophile est

1. Carte géologique de Г Algérie à 1 : 500 000, 2e éd. Alger 1951-1952; Carte des
sols de V Algérie à 1 : 500 000 par H. Dukand, Alger 1954.

920
LA POPULATION D'ALGÉRIE

utile aux troupeaux : ils apparaissent sur la carte comme des régions
vides ou peu peuplées. Peu habitées également sont les régions
marécageuses du lac Fezzara et de la partie orientale de la plaine de Bône jusqu'à
présent vouées à un élevage extensif.
Les sols pauvres de la plupart des régions montagneuses sont loin
d'avoir découragé le peuplement. Remarquons cependant le vide
correspondant à la sierra calcaire escarpée du Djurdjura et le moindre
peuplement des régions de grès numidiens, grès oligocènes siliceux et presque
stériles que couvrent les forêts de chênes-lièges, dans les pays Kabyles,
l'Edough et les montagnes de l'arrière-pays de Bône. Les couches
argileuses sous-jacentes, plus favorables aux herbages qu'aux céréales,
permettent cependant un peuplement de clairières plus ou moins vastes.
Dans les régions déjà arides, les montagnes calcaires — calcaires
jurassiques des Monts des Ksour ou calcaires éocènes de la retombée
méridionale des monts des Ouled-Naïl et les plateaux gréseux (telle la Gada ou
plateau du Djebel Amour qui est faite de grès du Crétacé inférieur) ne
peuvent plus porter, avec des boisements très clairs de genévriers, que
de maigres pâturages : aussi montrent-ils un peuplement très lâche. Il en
est presque de même des calcaires et des grès crétacés du massif de l'Aurès
oriental et des plateaux gréseux cependant mieux arrosés de Saïda dans
l'Atlas tabulaire d'Oranie. La carte des principaux massifs forestiers
correspond assez bien avec les parties claires de la carte de la densité de
population 1.
Par contre certaines régions agricoles doivent leur dense peuplement
à la qualité de leurs sols. La carte montre, par exemple, le resserrement
du peuplement dans une partie du « bassin » miocène de la région de
Constantine, dans la plaine de Djidjelli et les basses vallées alluviales de
l'oued el Kebir et de ses affluents ou encore dans les belles plaines
complètement ou partiellement drainées de la Mitidja et de Bône. Mais dans ces
dernières apparaissent déjà nettement les conséquences de la
colonisation française.

Les conséquences de la colonisation française.

La carte à commenter enregistre, sans les chiffrer, les résultats de


l'augmentation des populations de l'Algérie depuis 1830, date du
débarquement des troupes de Charles X à Alger, et les migrations des
populations qui ont eu lieu depuis. Indiquons qu'au 31 octobre 1954 l'Algérie
comptait 8 487 317 musulmans, alors que la Régence d'Alger de 1830

1. P. de Peyerimhoff, Carie forestière de Г Algérie et de la Tunisie. Notice (Alger,


1941) ; carte à 1 : 1 500 000 reprise dans Г Atlas d'Algérie et de Tunisie ; P. Boudy,
Economie forestière nord-africaine, IV, Paris, Larose, 1955.

921
ANNALES

n'avait probablement que 3 millions d'habitants en tout г, et 1 042 409


« non-musulmans », c'est-à-dire Européens et Israélites du pays ; soit un
total de 9 529 726 habitants. De même la carte fait apparaître très
nettement l'importance relative de la population urbaine : quelques chiffres
suffiront à la préciser. Le pourcentage de la population urbaine, très
faible en 1830, et qui n'était encore que de 14 % en 1886, est
maintenant de 25 % ; il reste un peu inférieur à ceux du Maroc et de la Tunisie.
Il est de 79,4 %, pour les non musulmans et de 18 seulement pour les
musulmans ; mais ceux-ci, huit fois plus nombreux au total, ont aujourd'hui
partout la majorité sauf à Oran et à Perr égaux qui ont connu une forte
immigration espagnole et, d'autre part, à Philippeville. Les Européens
ne sont qu'en faible minorité à Alger, à Bône et à Sidi-Bgl-Abbès. Entre
une Tunisie, pays urbain depuis l'Antiquité, et le Maroc, dont les grandes
villes datent du Moyen Age, l'Algérie était restée presque exclusivement
rurale : bien des villes actuelles remontent seulement aux deux dsrniers
tiers du xixe siècle.
Le 1 /5 des Européens qui vit hors des villes se répartit presque
uniquement dans le Tell. Seuls quelques fonctionnaires, civils et militaires,
et quelques commerçants se rencontrent dans les centres administratifs,
en même temps marchés, du Sahara et des Steppes. Il y a pourtant
quelques colons dans les Ziban (région de Biskra), l'Oued Rirh et à Msila ;
ils sont moins rares dans les Hautes plaines constantinoises en
particulier sur leur lisière septentrionale ; presque tous s'éparpillent dans la région
de l'Atlas tellien, dans les plaines principalement, surtout entre la Mitidja
et la région de Tlemcen. Leur nombre, faible dans les pays de céréalicul-
ture, où les propriétés et les exploitations sont vastes, est nettement plus
important dans les zones de vignoble, où la culture est plus intensive et,
bien plus encore, lorsqu'il s'agit des cultures riches irriguées, fruitières,
maraîchères ou industrielles : littoral à l'ouest d'Oran, Sahel d'Alger et
Mitidja, environs de Bône.
Le peuplement musulman, qui dépend en assez grande partie de la
colonisation agricole, varie dans le même sens que le peuplement
européen avec les types de culture. Il reste clairsemé dans les régions de
colonisation vouées aux céréales surtout depuis le développement de la
culture mécanique ; ainsi sur les Hautes plaines constantinoises. Il
augmente nettement dans les pays de vignoble, car la vigne demande à
surface égale quatre fois plus d'ouvriers permanents que la céréale et fait
en outre travailler une importante main-d'œuvre saisonnière : le Tell
oranais est caractéristique à cet égard. Dans les périmètres irrigués enfin
les arbres fruitiers et plus encore les cultures maraîchères font vivre un
grand nombre de travailleurs ; les régions de primeurs du littoral à l'Ouest
d'Oran et de part et d'autre d'Alger ont des densités rurales supérieures
1. X. Yacono, « Peut-on évaleur la population de l'Algérie vers 1830 ? » Rev.
africaine, Alger 1954, p. 277-307.
922
LA POPULATION D'ALGÉRIE

à 100. Somme toute, dès qu'elle n'est plus céréalière, la colonisation


agricole a intensifié le peuplement : P. Воуег Га bien montré pour le
département d'Alger avec les deux cartes de la densité de la population
qu'il a dressées pour 1866 et 1948 : les plaines du Chélif et de la Mitidja,
moins peuplées que leur cadre de montagnes en 1866, le sont davantage
au contraire en 1948 4
L'importance de la colonisation s'est traduite aussi par la création
de villes. Beaucoup ont pour origine des villages agricoles enrichis par
les ressources de leur région : c'est le cas, entre autres, des importantes
cités de Sidi-Bel-Abbès et de Sétif et de tout un chapelet de villes plus
modestes comme Aïn-Témouchent, Saint-Denis du Sig, Perrégaux et
Relizane en Oranie, Orléansville sur le Chélif, Boufarik et quatre autres
centres à peine moins importants dans la Mitidja, Bordj-bou-Arreridj et
Guelma dans le Constantinois.
Les voies de circulation, les possibilités commerciales, elles-mêmes
liées au développement agricole, les fonctions administratives,
l'installation de la Légion étrangère à Sidi-Bel-Abbès ou de petites garnisons
ailleurs, ont sans doute aidé à la croissance de ces villes. Mais c'est bien
l'exploitation des ressources agricoles par des Européens qui est la cause
première de leur essor : la carte est là pour le confirmer. Une quinzaine
de villes de plus de 10.000 habitants agglomérés sur un total de quarante
sont des créations de la colonisation agricole.
Si d'autre part il est évident que la croissance des grandes villes est
principalement liée à leurs fonctions commerciales et administratives
et, secondairement, à leurs industries, il n'en est pas moins vrai que
certaines cultures de colonisation y ont contribué et, plus que toute autre,
la vigne : son extension rapide à partir de 1880 est à l'origine du «
démarrage » d'Alger et d'Oran.
La carte de la densité de la population algérienne trahit par ailleurs
la faible importance de l'exploitation minière dans la concentration des
hommes. Les deux gisements miniers les plus importants, l'Ouenza pour
le fer et Le Kouif pour les phosphates, n'ont respectivement que 4.650 et
4.000 habitants avec une forte minorité européenne et ce ne sont pas des
villes. Par contre Bône est un important port minier ; le fer est à l'origine
du port de Beni-Saf, en Oranie, et ce sont les minerais et l'anthracite du
Maroc oriental qui expliquent la croissance récente du port de Nemours.
La pêche a aussi contribué au développement de ces deux dernières et
modestes villes qui comptaient, en 1954, la première 800 et la seconde
600 pêcheurs : ce sont les seules. Cette activité née de la mer n'a joué
qu'un rôle insignifiant dans le peuplement des autres villes littorales.
Les musulmans d'Algérie sont des terriens qui ne se sont mis à la pêche
que tardivement, à l'école des Espagnols et des Italiens.
1. P. Boyeb, « L'évolution démographique des populations musulmanes du
département d'Alger (1830-66-1948) », Rev. africaine, Alger 1954, p. 308-353.

923
ANNALES

II résulte de tous ces faits et de l'observation de la carte que parmi


les quarante villes comptant plus de 10.000 habitants « agglomérés »,
quatre seulement sont hors du Tell : Biskra, centre des oasis des Ziban,
Batna, dont la garnison a assuré l'essor, Tébessa et Aïn-Beida. On notera
la position de contact de la plupart des villes secondaires : contact entre
plaine et montagne, entre Tell et Hautes steppes ou Hautes plaines.
Remarquons enfin que Or an et surtout Alger, situées au bord de la mer,
sont devenues de grandes villes aux fonctions complexes en même temps
que de grands ports et qu'elles jouent un rôle économique et
administratif presque sans partage dans ce qu'on appelle souvent l'Oranie et
l'Algérois. Constantine, par contre, la plus ancienne ville et la plus
vénérable capitale de l'Algérie, ville marché située aux confins de l'Atlas
Tellien et des Hautes plaines, doit à sa position continentale de partager
sa suprématie économique avec Bône, port des mines et de la région
frontière tunisienne, avec son propre port Philippeville (héritier de Rusi-
cade, port de son ancêtre Cirta) et même avec Sétif et Bougie.

Les conditions historiques.

Les conditions naturelles et l'évolution récente de l'Algérie dans le


cadre de la colonisation française sont loin de rendre compte de tous les
faits enregistrés par la carte de la répartition de la population. Elles
n'expliquent pas en particulier pourquoi la plupart des massifs
montagneux sont aussi fortement habités, souvent plus que les plaines, hormis
la Mitidja et l'Ouest de la plaine de Bône densément peuplées seulement
depuis quelques dizaines d'années. Le massif des Trara à l'Ouest, et
surtout plusieurs des régions Kabyles (la partie centrale de la Kabylie du
Djurdjura, les versants de la vallée inférieure de la Soummam et les pays
du Bou Sellam et des Babor, la région située au sud-est de Djidjelli
également) restent fortement et anormalement peuplées. Au demeurant,
n'est-ce pas tout l'ensemble de l'Atlas tellien qui montre une forte densité
moyenne ? Pourquoi aussi le Mzab groupe-t-il 40.000 sédentaires dans
sept « villes », dont cinq voisines les unes des autres, dans les vallées d'un
plateau calcaire particulièrement pauvres en eau, en plein Sahara ?
Les plaines -— Hautes plaines et plaines du Tell resserrées entre les
montagnes, — ont été pendant tout le Moyen Age, à la suite des conquêtes
arabes du vne siècle et des invasions bédouines du xie, des zones de
passage pour les conquérants et les envahisseurs, des régions de va-et-vient
pour les armées et de déplacements plus ou moins volontaires des tribus
dans un Maghreb partagé en plusieurs Etats rivaux. Il en est résulté non
seulement un grand mélange de populations mais aussi un repli d'une
partie des habitants sur des zones montagneuses plus sûres, car peu
pénétrables pour des cavaliers ou des pasteurs nomades. Ceux-ci, restés

924
LA POPULATION D'ALGÉRIE

maîtres du pays à partir du xie siècle, ont entièrement dominé non


seulement les Steppes et le Sahara, mais aussi les plaines du Tell qui
servaient de pâturages d'été à leurs troupeaux et de greniers pour eux-
mêmes. Si bien que, à la longue, ces plaines du Tell, qui avaient parfois
connu de riches cultures dans l'Antiquité romaine ou le Haut Moyen Age
arabe, se sont muées en régions d'économie très extensive fondée sur
l'élevage et quelques cultures de céréales. Elles n'étaient encore habitées
au milieu du siècle dernier que par des populations peu nombreuses
vivant pour la plupart sous des tentes comme les pasteurs des Steppes.
La carte du département d'Alger en 1866 par P. Boyer montre à cette
date le vide relatif de la plaine du Chélif et de la Mitidja x.
Les populations des montagnes, par contre, qui se sont toujours plus
ou moins tenues à l'écart des influences étrangères et qui paraissent
avoir de tout temps été assez nombreuses, ont moins souffert que celles
des plaines du passage des armées et de l'infiltration et des abus des
pasteurs. En même temps qu'elles conservaient souvent leurs parlers et leurs
coutumes berbères, elles gardaient aussi une économie moins extensive
qu'en plaine, les cultures d'arbres — l'olivier et le figuier — doublant
l'élevage et la production des céréales. De plus les Kabyles de l'Ouest et
les Trara étaient d'actifs artisans et leurs montagnes de véritables «
régions industrielles ». C'est cette économie variée qui a permis aux
montagnards, qui sont en même temps restés villageois, de vivre nombreux
dans leurs massifs et d'y accueillir de gré ou de force des immigrants.
Ainsi s'explique, du moins en partie, l'anormale différence de densité du
peuplement de la plupart des montagnes par rapport aux plaines,
différence qui est encore loin d'être effacée malgré la colonisation et l'intense
mise en valeur de certaines plaines, malgré, aussi, diverses formes
d'émigration qui se sont singulièrement accrues, en particulier vers les villes
de l'Algérie et, de plus en plus, vers la France.
Quant aux densités généralement élevées de l'ensemble de l'Atlas
tellien, elles ne sont pas dues uniquement aux conditions naturelles, au
fort accroissement sur place de la population musulmane et à
l'immigration européenne depuis le milieu du xixe siècle. Il y a toujours eu, en
Algérie comme dans tout le Maghreb, des migrations du Sud vers le Nord
à peu près sans réciprocité. Le Tell a, de tout temps semble-t-il, attiré
les gens « du Sud » par ses récoltes plus régulières, ses pâturages jamais
complètement desséchés, le travail offert par ses campagnes moins
pauvres et ses quelques villes. Il a été la proie des riches éleveurs et des
groupes de pasteurs des Steppes qui s'y sont finalement fixés, mais aussi
et surtout le refuge des miséreux, groupes ou ménages, fuyant la
sécheresse ou attirés par le mirage de ses ressources. Il n'est pas de pays, même
de massif montagneux en apparence fermé comme les Trara, les Kaby-
1. P. Boyer, ouvr. cité note 8 ; J. Despois, V Afrique du Nord (2e éd. Paris P.U.F.,
1958). IIIe partie, ch. V.

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ANNALES

lies ou PAurès, qui n'ait ses populations originaires du Sud, aujourd'hui


plus ou moins assimilées. Ce mouvement vers le Nord n'a fait que
s'accentuer avec la colonisation, le développement agricole du Tell et la
croissance et la multiplication des villes ; il a gagné la plupart des régions
sahariennes. Il conduit maintenant les emigrants vers les plaines
agricoles les plus riches et de plus en plus vers les agglomérations urbaines,
les plus grandes surtout, où il vient renforcer les effets d'un exode rural
qui a bien plus pour cause la misère des campagnes que les besoins des
villes. Les petites cartes de l'Atlas d'Aug. Bernard et de R. de Flotte de
Roquevaire, en même temps que les statistiques, montrent que
l'augmentation de la population musulmane dans le Tell a été beaucoup plus
grande depuis une centaine d'années que dans les Hautes plaines et le
Sahara ; la carte de M. Bertin en enregistre les résultats.
Enfin le cas du Mzab est très particulier. Les Mzabites sont, pour les
musulmans du Maghreb, des hérétiques qui, après avoir connu une période
de prospérité à Tiaret puis à Sedrata (au Sud d'Ouargla) entre le vine et
le xne siècles, ont trouvé refuge dans les vallées d'un plateau aride et
ingrat où ils ont conservé leur foi, leurs coutumes et leur cohésion de
minorité religieuse. Les sept agglomérations du Mzab vivent beaucoup
plus du revenu de l'émigration temporaire de ses hommes spécialisés dans
le commerce de l'épicerie dans l'Algérie du Nord que de jardins difficiles
à arroser dont la plupart coûtent beaucoup plus qu'ils ne rapportent \
II faut donc chercher dans des directions fort diverses les causes des
particularités de la répartition des populations algériennes, les
musulmanes et les non musulmanes, les rurales et les urbaines. La carte dressée
par M. Bertin est assez précise et assez riche pour poser les problèmes et
suggérer au moins quelques explications.
Jean Despois.

1. M. Mercier, La civilisation urbaine du Mzab, Alger, 1922.

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