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François Perroux

Présence du R. P. Lebret
In: Tiers-Monde. 1966, tome 7 n°27. pp. 457-460.

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Perroux François. Présence du R. P. Lebret. In: Tiers-Monde. 1966, tome 7 n°27. pp. 457-460.

doi : 10.3406/tiers.1966.2247

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/tiers_0040-7356_1966_num_7_27_2247
Présence du R. P. Lebret

(1897-1966)

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Né au Minihic-sur-Rance, né Breton avec le goût du large, une téna


cité invincible dans les grands projets et une patience persévérante dans
les mises au point de détail, Louis-Joseph Lebret est devenu marin par
l'une de ces vocations impérieuses qui ressemblent, de l'extérieur, à une
nécessité. Lieutenant de vaisseau, il sut conduire un bâtiment et garder
un équipage. Que de fois il m'a dit n'avoir jamais oublié les leçons de
ce premier noviciat humain; le second a été le noviciat dominicain
d'Angers et son entrée dans l'Ordre, dont le peuple français aime la
robe blanche. Le P. Lebret, fondateur du Secrétariat social maritime (1930)
entreprend, pendant dix ans, de rénover, revigorer et valoriser les
professions maritimes. Sur les côtes françaises, il a répandu des bienfaits
concrets, changé l'esprit des pêches maritimes et suscité des réalisations
qui ont retenti à l'étranger. A partir d'expériences tout à fait précises,
le Père a pensé à neuf l'économie dans ses types d'organisation variés ;

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il a compris, dès ce moment, que l'esprit, les projets, les motifs des agents
humains, que l'image de l'homme et la réalité de l'ensemble charnel et
spirituel qu'est la personne, sont au fondement de toute structure et de
toute politique économique. De là la création d'un foyer de recherche
et d'une revue, Économie et Humanisme (1942), dont le rayonnement n'a
pas tardé à devenir mondial.
Chaque extension de la sphère d'enquête et d'influence de son œuvre
a été préparée par des enquêtes minutieuses et a abouti à des réalisations
inscrites dans les réalités vivantes. Louis-Joseph Lebret est une sorte
de Le Play du xxe siècle et l'on peut mettre à son actif d'innombrables
« monographies » d'activités, de pays, de groupements d'hommes en
Europe et dans tous les continents. Le grand public, lui-même, si distrait
et si incapable de s'intéresser aux œuvres profondes et aux hommes,
méprisant les succès de vogue, sait que le Père et ses équipes ont contribué
à l'élaboration des plans de développement en Afrique noire, au Moyen-
Orient, en Amérique latine. « Mes laboratoires », disait en souriant,
non sans une pointe de fierté, le marin, l'homme des horizons qui
reculent, le penseur qui acceptait les contradictions de la vie pour les
surmonter et croyait à l'éternité et à l'infini présents, dans les espaces
limités et les temps exigus que transcendent l'intelligence qui forge les
signes efficaces et l'âme qui accueille les symboles exaltants. « Je vous
dirai un jour ce qu'est la messe... », me chuchotait-il entre deux exposés;
comme Teilhard de Chardin, le P. Lebret a dit ses messes « sur le monde »,
a dit sa messe sur le monde.

***

L'homme a une dimension et une signification historiques.


Il fut naguère décisif que le P. Lacordaire parût, parlât et agît : le
christianisme catholique français en a été transformé, l'histoire de France
en a reçu des germes et des ferments; il n'était plus possible de confondre
notre religion avec un faux-semblant, une sorte d'alibi impie à l'usage
des classes dominantes ; le peuple recevait le message d'un cœur ardent
où retentissaient les pitiés, les promesses et les courages de la seule
Parole qui n'ait jamais menti.
Pour avoir beaucoup voyagé, nous savons que la pensée et l'œuvre
du P. Lebret seront inséparables d'une période de l'histoire de France.
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On peut dire d'elles ce qu'André Malraux a dit — superbement — des


plus grandes politiques de notre pays : elles sont — « présent<:e au
monde » — « la générosité de la France ».

Il se trouve que cette générosité a, aujourd'hui, des chances histo


riques peu contestables. Les pays colonisés, en droit ou en fait, s'éveillent
et secouent avec une impatience souvent aussi gauche que compréhensible
les jougs de l'inégalité politique, de la prééminence industrielle et de la
domination par l'argent. La Russie, à mesure qu'elle se dote d'une
économie industrielle moderne et complexe, affine ses méthodes et
accepte des collaborations élargies. Les États-Unis sont invités par les
événements, pressés par les circonstances à voir beaucoup plus grand
que certaines de leurs élites et a retrouver l'inspiration de leurs « Pères
Fondateurs», en dépassant les recettes périmées. L'Asie appelle d'immenses
efforts. La paix aux yeux de tous devient indivisible. Beaucoup savent
maintenant que l'économiste, s'il ne trahit pas, est l'un des artisans de
la paix.
L'économiste procède à l'analyse scientifique et à la préparation
scientifique et technique d'un ordre humain de ces luttes et de ces
concours entre les individus et les groupes qui ont pour objet les choses
comptabilisables.
Cette nouvelle comptabilité est tout autre chose que la traditionnelle
comptabilité des marchands. Elle ne s'attache pas seulement à des mar
chandises et à des éléments qui reçoivent un prix sur les marchés
courants; elle prend en considération des variables humaines : la santé,
l'éducation, la formation professionnelle et générale; elle s'appuie sur
un bilan énergétique de l'individu, sur des tableaux de la fatigue ou de la
fatigabilité ouvrière, sur des rations alimentaires « normales », sur des
modèles calculés d'habitation normale — ainsi de suite. C'est dire qu'elle
ne comptabilise pas seulement en valeurs du marché, mais en unités
physiques transformées, par des coefficients appropriés, en quantités
économiques. Ce calcul est collectif : il concerne des groupes; il mise
sur la coordination des groupes pour la production et l'organisation; il
englobe, sans les supplanter, les calculs des entreprises et des ménages.
L'animateur de Économie et Humanisme^ qui a su réunir et former des
équipes nombreuses et ardentes, a été l'un des premiers à comprendre
que l'économie de tout l'homme et de tous les hommes, c'est Vêconomie

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elle-même. N'est pas homme de science celui qui, glissant à la surface des
réalités, refuse d'analyser, de calculer et d'introduire dans des programmes
applicables et opératoires les coûts et les rendements de la ressource
humaine.
Les idées et les concepts libérateurs de pouvoirs économiques,
d'effets de domination et d'entraînement, de pôles de croissance et de
développement, de croissance et de développement harmonisés, le
fondateur de PL R. F. E. D. les a étudiés, enrichis et employés sur le
terrain, en termes statistiques autant qu'il a été possible, en vue d'élaborer
des programmes et des plans propres à « conserver », à « garder » et à
« promouvoir » les hommes. C'est pourquoi le P. Lebret, religieux, écono
miste de pensée et d'action, est aussi une grande figure politique. C'est
cette inspiration qui éclate dans les derniers ouvrages (195 8-1965) :
Manifeste pour une civilisation solidaire ; Suicide ou survie de l'Occident ;
Dynamique concrete ou développement.
Le P. Lebret a contribué à une œuvre plus grandiose que toutes
celles que je viens d'essayer de signaler dans la hâte et le chagrin.
Il a favorisé cette admirable prise de conscience par le catholicisme
des nouvelles dimensions de la catholicité. Les chrétiens et les humanistes
de la Déclaration des Droits sont en train de découvrir les conditions
sous lesquelles leurs initiatives les plus sincères pourraient converger
et fructifier. Tout cela est lent, hésitant, lesté de prudences légitimes et
même de méfiances intempestives. C'est un point d'aube au fond d'une
nuit d'absurdités violentes. Vers ce point d'aube se tournent les regards
de tous ceux qui ont compris qu'il n'y a pas de progrès économique
séparé, ni sans doute de charité pleinement respectable, sans quelque
attention accordée au progrès humain.

François Perroux.

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