Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Wimmer Katja. La poupée d’Oskar Kokoschka, du simulacre à l’œuvre. In: Cahiers d'Études Germaniques, numéro 50, 2006/1.
L'amour autour de 1900. Actes du colloque international Aix-en-Provence, 3, 4 et 5 mars 2005. pp. 227-239;
doi : https://doi.org/10.3406/cetge.2006.1724
https://www.persee.fr/doc/cetge_0751-4239_2006_num_50_1_1724
Katja WIMMER
Université
(Montpellier
Paul-Valéry
III)
Le peintre amoureux
1 Le Double portrait Oskar Kokoschka et Alma Mahler est une huile sur toile de 100 x
90 cm, conservée au Musée Folkwang à Essen.
2 Kokoschka s’appuie plus précisément sur des autoportraits d’autres artistes en com¬
pagnie de leur jeune femme, notamment ceux de Rembrandt et de Rubens. A ce propos, voir
Heinz SPIELMANN, Oskar Kokoschka; Leben und Werk, Dumont, Köln 2003, p. 143.
3 Cf. Oskar KOKOSCHKA et Heinz SPIELMANN (éd.), Oskar Kokoschka, Briefe 1,
Claassen, Düsseldorf, 1984, p. 29-225. Il ne s’agira toutefois pas ici de revenir dans le détail
sur la relation passionnée entre Kokoschka et Alma Mahler. On pourra se rapporter, à ce
propos, à Heinz SPIELMANN, Oskar Kokoschka ; Leben und Werk, p. 136-200 , ainsi qu’à
Heinz SPIELMANN, Oskar Kokoschka. Die Fächer für Alma Mahler, Harenberg, Dortmund,
1985 ou encore, en version romancée, à Hilde BERGER, Ob es Hass ist, solche Liebe?,
Böhlau, Wien, Köln, Weimar 1999.
228 KATJA WIMMER
qu’
Les
renfrognée.
la
àpassage,
l’immuable
comme
doutes,
l’autre.
couleur
Alma
regards
les
fatale
comme
domine
Ainsi,
en
oscillations.
ne
L’absence
etde
se
et
deparadoxalement,
si
légèrement
croisent
étemelle,
larges
l’instable,
les choses
de
méandres
pas
contours
mais
Oskar,
et
étaient
la les
relation
àledonnent
et
tout
visages
que
temps
susceptibles
donc
leur
jamais
amoureuse
du
de
une
sont
tenue
tableau
repères
marquée
impression
émaciés,
de
et leur
se
relève
ystables,
dissoudre
est
carnation
par
l’expression
de
certes
simultanément
l’incertitude,
l’application
fluctuation,
d’un
contrastent.
représentée
d’Alma
instant
les
de
4 “Da [das Quadrat] in sich selbst keinen Unterschied zwischen der strebenden und
lagernden Achse macht, da seine Seiten gleichmäßig auf einen Mittelpunkt bezogen sind, ist
diese Innerzeitlichkeit erfüllt von jenem Stille-und Ruhezustand einer stabilen und uner¬
schütterlichen Weltordnung, wie sie das orthogonale Raumsystem hervorgebracht hatte.”
Cf. Heinrich THEISSING, Die Zeit im Bild, Wissenschaftliche Buchgesellschaft 1987, p. 103.
5 “[Die exzentrische Lage] erzeugt Spannung, weil die Stellung des Betrachters mit der
Bildwelt disharmoniert und dieser das Gleichgewicht durch Züge in Richtung auf Ausgewo¬
genheit herzustellen sucht [...]. [Durch die Randüberschneidung] entsteht Unvollständigkeit,
und sie erzeugt Erwartungsvorstellungen - eine Spannung, welche die Lücken füllen möchte,
weil jede unvollständige Form auf Ergänzung drängt...” Ibid, p. 134.
6 A cet égard, Spielmann note que, en comparaison avec un portrait d’Alma et un auto¬
portrait de la même année, les deux personnages sont représentés considérablement vieillis.
Cf. Heinz SPIELMANN, Leben und Werk, p. 143.
7 “La question du portrait commence peut-être le jour où le visage commence de n’être
plus là parce que la terre commence à le dévorer.” Georges Didi HUBERMANN, cité (sans
référence) in Sylvie COURTINE-DENAMY, Le Visage en question. De l’image à l’éthique,
Éditions de la Différence, Paris 2004, p. 77.
8 Cf. Heinz SPIELMANN, Leben und Werk, p. 136.
LA POUPÉE D’OSKAR KOKOSCHKA, DU SIMULACRE À L’ŒUVRE 229
Nathan,
das
die
ein
p.
eine
Schlechteren.”
144.
912
110
inneues
richtige
1Flucht
Cf.
einer
Cf.
“Mir
“In
L’autobiographie
Paris
Sylvie
Pierre
den
Verhältnis
umstürzenden
aus
war
Mädchen
1996,
Oskar
Weltkrieg
einer
COURTINE-DENAMY,
esJOURDE
so
p.aussichtslos
KOKOSCHKA,
nicht
zum
ähnlich
108.
sera
war
Veränderung
etLeben
gefunden
Paolo
citée
ich
ergangen,
erscheinenden
wegen
dans
zu
TORTONESE,
Mein
hatten
Le
gewinnen
der
ce
wie
einer
Visage
qui
Leben,
Umwelt,
vielen
oder
Liebesaffäre
suit
en-des
Situation.”
Visages
de
Verlag
question,
wehrpflichtigen
sei
wie
laAlltags
es
manière
esF.du
zum
geraten
(ML
ein
p.Bruckmann,
überdrüssig
double.
12.
Krieg
suivante
Besseren
168)
-Männern,
ehrlich
bedeutet,
Un: geworden
ML
München
thème
oder
gesagt
die
+versuchten,
auch
page.
littéraire,
entweder
war
waren,
1971,
zumes
230 KATJA WIMMER
Toutefois, dans ce récit qui s’efforce d’être ironique, finissent par pointer
violence et agressivité. Même cinquante années après, il n’est nullement ques¬
tion que “la femme silencieuse” gagne en autonomie et échappe au scénario
que lui impose son créateur. C’est ainsi qu’une fête est organisée en
l’honneur de la poupée. L’exhibition en public à elle seule fait figure de
vengeance, car du temps de leurs amours, Alma Mahler tenait à ce que leur
liaison restât cachée et à ce que Kokoschka ne fut jamais admis aux soirées
13 “[...] doch jetzt dachte ich mit Spannung an die Ankunft der Puppe, für welche ich
auch Pariser Unterwäsche und Kleider gekauft hatte, um endlich die Alma-Mahler-
Geschichte in Ordnung zu bringen und um nicht erneut der fatalen Pandorabüchse zum
Opfer zu fallen, von der ich bereits genug Unheil erfahren hatte.” (ML 190)
14 “Reserl und ich nannten sie nur ‘die stille Frau’. Reserl musste in meinem Auftrag
Gerüchte über den Liebreiz, die mysteriöse Herkunft der ‘stillen Frau’ unter die Leute
bringen, zum Beispiel, dass ich einen Fiaker gemietet hätte, um sie an den sonnigen Tagen
ins Freie zu fahren, eine Loge in der Oper, um sie herzuzeigen.” (ML 191)
15 “Ihre Aufgabe wäre doch, Kammerzofe meiner Puppe zu sein, die zu meiner Lebens¬
gefährtin bestimmt sei. Ihr gesunder Menschenverstand jedoch sage ihr, dass mir dann die
Wärme im Bett fehlen würde. Da wurde ihr munteres Geplauder unterbrochen, die Haus¬
hälterin rief: ‘Hulda!’ Hulda trocknete sich eiligst ab und zog ihre Kleider an.” (ML 190)
LA POUPÉE D’OSKAR KOKOSCHKA, DU SIMULACRE À L’ŒUVRE 231
mondaines qu’elle donnait, provoquant une forte jalousie de son amant, qui
n’avait le droit de la rejoindre qu’une fois la nuit tombée. Mais la fête est
aussi conçue comme un véritable exorcisme, puisqu’il s’agit de “mettre fin à
l’existence” de la poupée16. Pendant les agapes, la poupée a la tête arrachée,
on lui renverse du vin dessus et au petit matin elle gît, tel un cadavre décapité
et ensanglanté, dans le jardin où le facteur la découvre et alerte les gen¬
darmes. Une fois la situation expliquée aux forces de l’ordre, la conclusion
de l’épisode paraît bien laconique :
Das öffentliche Ärgemiss musste auf jeden Fall entfernt werden.
Mais à y regarder de plus près, peut-être pas si laconique que ça :
Die Müllabfuhr
abgeholt.
(ML 192)Die Puppe
hat imwar
grauen
eine Morgen
Effigie, den
die kein
TraumPygmalion
der Wiederkehr
zum Leben
der Eurydike
erweckt.
16 “Bei einem großen Fest mit meinen Freundinnen und Freunden mit Champagner
wollte ich das Dasein meiner Lebensgefährtin beenden.” (ML 191)
17 Cf. Oskar KOKOSCHKA, Briefe 1, p. 290-313. Ce premier volume de la correspon¬
dance de Kokoschka sera désormais cité comme suit : BRI + page.
18 Les réponses d’Hermine Moos à Kokoschka n’ont pas été conservées. Pour les
détails concernant la genèse de la poupée, voir le catalogue d’exposition suivant : Klaus
GALLNITZ et Stephan MANN, Oskar Kokoschka und Alma Mahler; Die Puppe. Epilog
einer Passion, Städtische Galerie im Städel. Ausstellung vom 06/08 bis 18/10 1992.
Frankfurt 1992.
232 KATJA WIMMER
Ich sandte
welche
ganzen Geduld
ich Sie
Ihnen
und
bitte
gestern...
Sensualität
recht getreu
eine
in Realität
nachzuahmen
lebensgroße
umzuschaffen.
Darstellung
und mit(BRI
dem
meiner
293)
Aufgebot
Geliebten,
Ihrer
19 “Die Tatsache allerdings, daß Kokoschka diese Briefe bereits wenige Jahre später
-1926-durch Paul Westheim veröffentlichen ließ, legt den Schluß nahe, daß die Obsession
Teil des Spiels war, eine literarisch gefaßte Sottise.” Heinz SPIELMANN, Leben und Werk,
p. 179.
20 Ibid., p. 177.
21 Pierre JOURDE et Paolo TORTONESE, Visages du double, p. 30.
22 Cette œuvre est notamment reproduite chez Heinz SPIELMANN, Leben und Werk,
p. 177.
LA POUPÉE D’OSKAR KOKOSCHKA, DU SIMULACRE À L’ŒUVRE 233
Wenn ich nur einen Faden sehe, bin ich gepeinigt ein Leben lang. (BRI 306)
Morcellement. Dissection.
von
klauben
Sie werden
nunzuanmüssen
den
nicht
Fetisch
aus
mehr
Erwartungen
so
damit
lebenswahr
überlasten
und herausputzen,
Erinnerungen.
muss, ihn (dass
mir
BRI täglich
ich
299)meine
zusammen
Träume
23 Cette tension, et donc en quelque sorte la conscience de la vanité du projet, est thé-
matisée à de multiples reprises dans les lettres : “Ich bin von Monat zu Monat begieriger
auf dieses Wunschgeschöpf, das sie sicher so allen Sinnen ablisten werden, dass ich mein
Ziel erreiche, getäuscht zu werden.” (BRI 293) Cf. également p. 302.
234 KATJA WIMMER
Pour l’heure, Kokoschka doit toutefois procéder encore une fois à cette
tâche pénible de puiser dans ses souvenirs - le “zusammen klauben” dans la
citation précédente impliquant à la fois l’idée d’une collecte et d’un tri - afin
de donner toutes les indications d’importance à Mademoiselle Moos. Pour ce
faire, le corps est morcelé et ses parties isolées sont décrites dans une obses¬
sion du détail grandissante. La chair, l’épiderme, le teint, les plissements
insensibles de l’expression, la chevelure et son implantation, le système
pileux, les membres, les articulations et les muscles sont soumis à un examen
approfondi, des propositions sont faites quant au choix des matières, velours
et soie pour la peau, coton et duvet pour les fesses et les seins auxquels une
demi-page est consacrée. Pour résoudre le problème de la carnation,
Kokoschka privilégie l’utilisation d’extraits de plantes naturels :
Und zwar:
leicht
Gesäßspalte,
natürlicher
Safrangelb.
Nussfarbe.
Rückenfurche,
Kreuzbein, Augenhöhlen,
Schulterblätter,
Rist,Halsrücken,
Scham, innerer
Nabel,
Oberarm
Schenkelansatz:
leicht mit
Als
müssen
lassen.
(BRI erste
294)
Daran
dazu
Lageein
dann
(innerlich)
altes
Säckchen
Sofanehmen
oder
mit dergleichen
Daunen
Sie bitte
gestopft,
kaufen,
das feinam
das
gekräuselte
Gesäß
Roßhaar
undRoßhaar,
desinfizieren
der Brust...
Sie
L’auteur des lettres s’applique à détruire ses propres désirs et manifeste une
peur rageuse qui le condamne à fouiller, à ouvrir la poupée, à regarder sous
sa peau comme si cela permettait d’en découvrir enfin le mystère, de réduire
àson
desexistence
données et
matérielles
son essence,
énumérables.
et par glissements rapides celles d’Alma Mahler,
Aussi bien dans l’autobiographie que dans les lettres, les amis sont convo¬
qués pour tisser un réseau d’activités dont la poupée est le centre : rappelons-
nous la bonne affectée au service du fétiche et la fête organisée en son
honneur ; dans les lettres à Mademoiselle Moos, Kokoschka indique à de mul¬
tiples reprises à quel ami il a demandé de se procurer telle ou telle pièce de
soie ou de velours pour simuler la peau ou autre26. L’altérité se manifeste
encore à travers tout un réseau de références et de clins d’œil artistiques et
littéraires : pour réaliser la poitrine par exemple, Mademoiselle Moss est
invitée à prendre modèle sur un nu d’Hélène Fourment réalisé par Rubens27.
Il existe des photos de la poupée où celle-ci est installée à la manière de la
24 “[...] zum Schluß der Mängel muß ich noch sagen, daß meine schon gelegentlich der
Photographie geäußerte Besorgnis, daß die Verhältnisse nicht meiner Zeichnung ent¬
sprächen, nur zu richtig war...” (BRI 313)
25 Pour se faire une idée du degré de réussite de l’entreprise, on pourra se reporter à des
photos de la poupée, par exemple chez Heinz SPIELMANN, Leben und Werk, p. 179.
26 “Lassen Sie, bitte, die Haare vorher (ich glaube Frl. Richter versprach Sie Ihnen) in
einem Ton färben der etwa ein goldenes Kastanienrot ist (Tizianhaar).” (BRI 291); ou
encore “Am besten ist es, wenn sie wieder in Berlin sind, mit Kestenberg die Material¬
beschaffung zu organisieren und dabei Frau Leiko zu treffen, die, eine Freundin von mir,
Ihnen helfen wird wegen Twist usw.” (BRI 293)
27 “Das vollkommene Modell [der Brüste] sind die der Helene Fourment in dem klei¬
nen Rubensbüchel, wo sie den einen Knaben am Schoß hält und der andere steht. Ungefähr
so ist das Bild (Skizze).” (BRI 300)
236 KATJA WIMMER
Die
chen
Körper
Nicht
304)29
Bemalung
geschehen,
mit
zumeinem
Modell,
darf
und
Instrument.
nur
so
bitte.
mit
diskret,
Und
Puder,
Wann
daß
[darf]
Nußsaft,
man
halte
nursiemit
ich
Obstsäften,
nurdieses
den
ahnt;
Fingern
nehmen
alles
Goldstaub,
aufgetragen
in Sie
Händen?
ihren
Wachshäut¬
werden.
eigenen
(BRI
La poupée en peinture
née. Elle est en effet également conçue pour être un modèle, et même le
modèle idéal :
[Ich] möchte nach dem Modell malen könne[n] und zwar besser als nach einem
lebenden - weshalb ich ja die Puppe machen ließ. (BRI 312)
Malgré la déception, la poupée n’a pas été “assassinée” aussi rapidement
que le veut l’ autobiographie, où tout l’édifice narratif tend bien à présenter la
destruction comme la finalité première du projet. On ne sait dans quelle
mesure Kokoschka partagea véritablement sa vie avec son fétiche, en tout cas,
il l’a dessiné et peint pendant quelques années (au moins jusqu’en 1922),
assis,
l’artiste.
couché, habillé, nu, à demi-vêtu, seul ou en double portrait avec
jetzt
Als der
gerufen
und
Licht,
mit
dem
Alma
Larve,
ich
ans
Machwerk
inMahler
das
die
der
in
Technik
hat,
Tageslicht
fieberhafter
die
in
Staatsgalerie
die
Seidengespinst
Optik
zuEffigie
aus
und
erkennen,
gebracht
Stoff
kennt,
den
Erwartung,
der
inTheorien
und
Stuttgart.
Alma
“Die
hat
hatte,
überwintert
Holzwolle,
nichts
wie
Mahler
blaue
fühlte
der
(ML
Orpheus
gemeinsam
Neuimpressionisten
Frau”,
aus
ich
131)
und
in welchem
der
eine
wie
zum
dieVerpackung
mit
plötzliche
Eurydike
sie
Schmetterling
dem,
ich vergeblich
jetzt was
[...]
genannt
aus
Erleuchtung.
der
jetzt
ich
der
Kiste
wird,
sah,
Unterwelt
sah
wird.
versuchte
befreit
nichts
ich
hängt
Das
Die
in
La déception est ici moindre que celle dont fait état la correspondance,
néanmoins la “matérialité” de la poupée, du méchant ouvrage, n’est nulle¬
ment niée, pas plus que le fait qu’elle est incapable de créer l’illusion. En
revanche, la poupée suscite une épiphanie, une vision immédiatement mise en
relation avec l’acte de création. L’un des premiers tableaux peints d’après la
poupée, tableau datant de 1919, s’intitule en effet La femme en bleu. Un être
féminin y est représenté jusqu’à mi-corps, à moitié allongé, la tête appuyée
sur un bras, l’autre étendu, vêtu d’une robe bleue et la poitrine dénudée.
S’agit-il d’un portrait de femme, comme le suggère le titre, ou d’une repré¬
sentation de la poupée, comme le suggère le bras gauche désarticulé ? L’auto¬
biographie de Kokoschka tend plutôt à dire qu’il ne s’agit plus ni d’Alma
Mahler, ni de la poupée, mais d’une réalité toute neuve que la vision et l’acte
une
créateur
transcendance.
ont fait surgir de manière imprévisible après une métamorphose et
238 KATJA WIMMER
d’Alma Mahler, s’avère n’être rien d’autre qu’un double de Kokoschka lui-
même. La poupée est donc bien un monstre, dans le sens où elle démontre à
l’artiste, et au spectateur, que dans le désir de l’autre, il s’est désiré lui-
même. Dans le tableau réside la possibilité d’être un autre, de se définir dans
son unicité en ne pouvant la saisir que dans son dédoublement, de se différen¬
cier de sa réalité tout en la reconnaissant.
Dans les deux tableaux, à travers ce que l’on pourrait appeler deux êtres
doubles, Kokoschka interroge les limites du moi. La question de la frontière
où le moi cesse d’être moi se pose dans la relation amoureuse, mais aussi
dans la perspective de l’identité de peintre. Ainsi, les seules choses animées
qui demeurent dans le tableau sont bien les regards. La main droite désignant
l’endroit du sexe, tandis que la gauche maintient écartée l’une de jambes de
la poupée, est exactement au centre du tableau. Du fait de ce geste qui montre
ce qui ne se voit pas, le peintre se présente comme étant en train de
représenter, de sorte que le spectateur ne peut que se percevoir comme sujet
regardant. Et c’est en quelque sorte ce qu’il ne voit pas qui façonne ce qu’il
voit. C’est en ce sens, parce qu’il échappe à l’univoque, que le tableau est
érotique, qu’il définit la peinture même comme érotique, ainsi que le regard
du spectateur32.
tour
Dans
de sa
force
représentation
de faire lade démonstration
l’absence, Kokoschka
de son réussit
vide amoureux
dans ce tableau
tout en
le
32 Dans un ordre d’idées approchant et dans la perspective de celui qui écrit l’histoire
de l’art, Daniel Arasse parle de la peinture comme d’un constant objet du désir : “Je choisis
comme objet d’étude d’écrire ou de parler sur la peinture, qui est précisément ce qui
échappe à l’écriture ou au discours. La peinture reste donc objet du désir : plus j’en parle,
plus je serai amené à en parler. C’est inévitable. À chaque fois que j’en parle, je la restaure
comme ce qui échappe à ce que j’en dis !” Daniel ARASSE, Histoires de peintures, Denoël,
Paris 2004, p. 211