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Communications

Le matérialisme d'Einstein et l'aether de Dirac


Jean-Pierre Vigier

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Vigier Jean-Pierre. Le matérialisme d'Einstein et l'aether de Dirac. In: Communications, 41, 1985. L'espace perdu et le temps
retrouvé. pp. 27-61;

doi : https://doi.org/10.3406/comm.1985.1607

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1985_num_41_1_1607

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Jean-Pierre Vigier

Le matérialisme d'Einstein

et Paether de Dirac

Que
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dans
par
force
crois
sans
agir
est
et
le

Isaac NtviTON

1 . La crise de la causalité.

Les grands événements ne sont pas toujours sous les feux de la rampe.
A l'exception des cas particuliers de Galilée, de Darwin, de Marx et
d'Einstein, les contemporains mesurent mal, en général, les retombées
des révolutions scientifiques et des batailles d'idées qui se développent
sous leurs yeux.
Ils feraient mieux d'être attentifs. Depuis la Renaissance, les liens
entre la science, les idéologies dominantes et le pouvoir n'ont cessé de se
renforcer. Crises et révolutions scientifiques précèdent ou accompagnent
désormais les mouvements de l'histoire. Les hommes de la Renaissance
ont vécu dans le monde de Copernic, de Descartes et de Galilée ; les
bourgeois progressistes de la philosophie des Lumières dans le monde de
Newton, de Kant et de Laplace ; les ouvriers révolutionnaires depuis le
XIXe siècle dans le monde «de Darwin, de Marx et d'Einstein. Avec
l'hégémonie croissante de la science sur les idéologies, les hommes vivent
à l'intérieur de visions successives du monde périodiquement remises en
cause par les progrès « en grappe » de la technique et de la connaissance
— les « crises » et « révolutions » scientifiques surgissant en général
(entre de plus longues périodes d'« exploitation » continues) à partir
d'expériences cruciales incompatibles avec le corps des connaissances
antérieures. Exemple célèbre, la découverte par Galilée des satellites de

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Jean-Pierre Vigier

Jupiter fait exploser l'univers d'Aristote et de Ptolérnée et engendre la


mécanique classique.
Nous vivons de toute évidence une période de ce type depuis que le
débat théorique issu de la confrontation entre Bohr et Einstein est passé
au stade expérimental et met directement en cause le concept même de
causalité, fondement de la science moderne. Depuis que la deuxième
étape de l'expérience faite à Orsay a confirmé les prédictions de
corrélations superluminales de la mécanique quantique. une crise sans
précédent ébranle les fondements du modèle du monde-machine causal
qui domine la science depuis les matérialistes de l'Antiquité et de la
Renaissance. Il en sortira, à l'évidence, une vision qualitativement
différente du monde où nous vivons.

Le monde de Newton.

Pour définir la nature et la portée de cette expérience, il faut revenir à


l'histoire.
Dans le monde de Newton :
A. La matière, décomposée en éléments ponctuels dotés de masse, se
meut dans une scène vide : espace et temps absolus. Ce dernier s'écoule
indépendamment de tout mouvement matériel. 11 peut être utilisé
comme paramètre universel pour décrire les mouvements dans
n'importe quel repère d'observation. Tout phénomène doit être décrit en
termes de mouvements dans le cadre de l'espace et du temps.
B. Les lois qui gouvernent les mouvements de la matière sont
éternelles et immuables. Elles s'exercent indifféremment en tout point
de l'espace et du temps. Forme concrète du « destin » des anciens Grecs,
rien ne peut leur échapper. Leur découverte permet, une fois connues les
positions et les vitesses des particules en un temps initial donné, de
prévoir l'évolution ultérieure d'un univers soumis à un déterminisme
universel.
C. 11 existe entre les points matériels des interactions à distance qui
agissent instantanément, c'est-à-dire qui ne s'expliquent pas par
l'action intermédiaire de particules échangées, se propageant à vitesse
finie. C'est le cas des forces de gravitation, par exemple, à l'aide
desquelles Newton, suivi par Laplace, fournit une description
étonnamment exacte du mouvement des planètes autour du soleil. Le caractère
instantané de cette propagation ne gêne alors en rien la causalité.
D. Le hasard n'existe pas dans le monde de Newton et de Laplace. Ce
concept recouvre simplement les distributions statistiques provoquées
par un ensemble de causes non corrélées complexes. Exemple : les
molécules d'air qui nous entourent sont gouvernées individuellement
par les lois déterministes de la mécanique, mais leur mouvement

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Le matérialisme d'Einstein et l'œther de Dirac

chaotique aboutit à des lois stochastiques d'ensemble découvertes par


Maxwell et Boltzmann au XIXe siècle.
Curieusement, l'univers de Newton est, progressivement ébranlé par
l'analyse du comportement de la lumière, c'est-à-dire de l'instrument
essentiel de l'observation astronomique.
Au cours du XIXe siècle, les physiciens se convainquent en effet que la
lumière se comporte comme des ondes dans certains phénomènes
d'interférence et comme un ensemble de particules dans d'autres : l'effet
photoélectrique par exemple. Pour expliquer la propagation des ondes
lumineuses de proche en proche, on introduit au XIXe siècle un milieu
fictif, l'« aether », dans lequel elles se propageraient un peu comme des
ondes sonores dans l'air ambiant.
L'origine de l'idée d'aether est évidente. Comme le remarque
Einstein :
Avant Newton, la pensée non exercée aux recherches physiques ne sait
rien de forces agissant à distance. Quand on essaie d'établir un
enchaînement causal entre les expériences faites sur les corps, il
semble d'abord qu'il n'y ait pas d'autres actions réciproques possibles
que celles qui se propagent de proche en proche par contact immédiat,
par exemple : translation de mouvement par choc, pression ou
traction, échauffement ou combustion, mise en action par une
flamme, etc. C'est seulement par la théorie de la gravitation de Newton
qu'une cause différente fut établie pour la pesanteur, celle-ci étant
considérée comme . une force agissant à distance et provenant de
masses. La théorie de Newton marque bien le pas le plus considérable
qui ait jamais été réalisé par l'esprit humain dans son effort d'établir
un enchaînement causal entre les phénomènes de la nature. Et
cependant cette théorie engendra, chez les contemporains de Newton,
un vif malaise, parce quelle semblait être en contradiction avec ce
principe découlant d'autres expériences, que l'action réciproque ne
peut avoir lieu que par contact et nullement par l'action à distance
sans milieu intermédiaire *.

En un sens profond, l'action à distance de Newton rompt ainsi avec


l'atomisme « local » des matérialistes de l'Antiquité : la causalité du
monde de Newton étant liée à des actions à distance incompréhensibles
dans leur modèle. Toutefois, comme nous l'avons vu, la tentative
d'interpréter comme une vibration réelle les aspects ondulatoires de la
lumière débouche au XIXe siècle sur des modèles d'éthers quasi rigides
dont les parties ne peuvent effectuer d'autres mouvements (les uns par
rapport aux autres) que les petits mouvements de déformation qui
correspondent aux ondes lumineuses. Ces modèles procèdent tous de
l'idée « que les forces agissant à distance de Newton ne sont telles qu'en
apparence et qu'en réalité elles sont transportées par un milieu qui

* A. Einstein. « Ober den Aether ». Ann. Soc. Phil. Bale, 1924.

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Jean-Pierre Vigier

pénètre tout l'espace, c'est-à-dire par des mouvements ou par


déformation élastique de ce milieu ». Toutefois, comme le remarque Einstein,
« l'hypothèse de l'aether n'apporta tout d'abord à la théorie de la
gravitation ou à la physique en général aucun progrès, de sorte qu'on
s'était habitué à considérer la loi des forces de Newton comme un axiome
irréductible * ». Elle n'apporta rien non plus à la théorie de la lumière.
Ni Maxwell ni ses successeurs ne réussirent à construire un modèle
mécanique de l'aether capable de fournir une interprétation causale
satisfaisante des lois du champ électromagnétique. Après un demi-siècle
de recherches souvent remarquables et pour des raisons trop complexes
pour . être détaillées ici (l'aether devrait être à . la fois infiniment
perméable pour ne pas gêner les mouvements et infiniment rigide pour
propager les ondes observées), l'effort théorique n'aboutit pas.
Finalement, une expérience décisive, celle de Michelson, vient, en 1881, jeter
par terre une de ses propriétés essentielles qui résulte du point A. En
contradiction brutale avec les prédictions de la mécanique classique,
Michelson montre en effet que la vitesse de la lumière se propageant
entre deux points est toujours la même, quel que soit le mouvement de
l'observateur qui la mesure. Il y a là un fait insupportable pour les
physiciens classiques. En effet, si j'observe d'un talus un train en
mouvement qui défile devant moi, il est apparemment évident qu'une
balle tirée du wagon de queue vers l'avant du train m'apparaîtra comme
plus rapide que lui... et sera plus lente au contraire si elle est tirée de
l'avant vers l'arrière. Comme la lumière n'obéit pas à cette description,
la loi classique d'addition des vitesses s'écroule. Une crise s'est alors
ouverte. Elle a emporté par pans successifs (aether inclus) l'ensemble du
modèle classique du monde et a vu triompher la relativité d'Einstein.

Le monde d'Einstein.

Sur les ruines de la mécanique classique, Einstein édifie un édifice


nouveau que nous allons comparer terme à terme avec les hypothèses A,
B, C, D.
A'. Pour Einstein, comme pour Newton, la matière, l'espace et le
temps conservent une réalité objective. Pour lui, comme pour Newton,
« si tous les êtres vivants et pensants venaient à disparaître, les étoiles
poursuivraient leur mouvement ». Comme la vitesse de la lumière est
toujours invariante, Einstein a l'audace d'admettre que les distances et
les intervalles de temps mesurés changent réellement avec l'observateur.
Comme les faits montrent que la vitesse de la lumière (c'est-à-dire la
distance parcourue par la lumière dans un intervalle de temps donné)
est la plus grande vitesse possible des transmissions d'énergie (donc
d'information), elle doit être, elle, le vrai absolu : ce qui implique que les
* Ibid., p. 29.

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Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

mesures de distance et d'intervalle de temps sont relatives à


l'observateur. Conformément à des formules données par Lorentz, les distances
raccourcissent et le cours du temps se ralentit donc effectivement quand
l'observateur change de vitesse. 11 en résulte que, comme pour Newton,
l'espace-temps est homogène et l'espace est isotrope... hypothèse qui
entraîne comme on le sait la conservation de l'impulsion-énergie et du
moment angulaire de systèmes isolés.
ET. Dans un premier temps, Einstein accepte le concept du
déterminisme absolu décrit par des lois naturelles en tout point de l'espace-
temps... mais il est contraint d'en préciser les limites. Les lois doivent
d'abord prendre une forme invariante dans leur forme par rapport à
tous les observateurs qui se meuvent nécessairement à une vitesse plus
faible que celle de la lumière. Il n'existe pas de particules (ou d'objets)
dotées d'énergie négative (car E = me2) qui se propagent dans le sens
des temps positifs et des signaux physiques ne peuvent être transportés
dans ce sens que par des objets d'énergie positive. Cette dernière
hypothèse qui fonde, en fait, la théorie moderne de l'information
entraîne aussi l'existence de l'antimatière, car une antiparticule peut se
décrire mathématiquement (pas physiquement) comme une particule
qui remonte le cours du temps.
C. Einstein rejette toute action à distance instantanée ou allant plus
vite que la lumière. Pour lui, si deux systèmes isolés sont séparés par des
intervalles (dits du genre espace) tels qu'ils ne puissent être liés que par
des particules se déplaçant plus vite que la lumière, aucun changement
réel ne peut se produire dans le second à la suite d'une mesure effectuée
sur le premier. Ceci revient à dire que les interactions observées en
physique résultent nécessairement du contact localisé de deux particules
matérielles. Pour Einstein, en l'absence d'un modèle de vide matériel,
toute action à distance entre deux corps implique l'échange entre eux
d'une troisième particule se déplaçant à une vitesse inférieure ou égale à
la vitesse de la lumière. Même le cas des interactions gravitationnelles
implique l'échange d'effets physiques (comme les ondes de gravitation)
qui se propagent à la vitesse de la lumière. Cette action subluminale de
proche en proche définit le célèbre principe dit de séparabilité qui fonde
la causalité d'Einstein et qui est attaqué aujourd'hui. L'existence d'une
vitesse c indépassable signifie en effet à l'évidence que, si on suit
l'histoire d'un phénomène quelconque,, son passé et son avenir ne
peuvent être localisés que dans des domaines bien définis de l'espace et
du temps (voir figure 1). Elle implique l'existence d'un « ici » séparé de
« Tailleurs » et d'un « maintenant » séparé de « l'avant » et de
« l'après » par la vitesse finie de la lumière... tout mouvement étant
gouverné par des lois strictes qui interdisent tout retour en arrière sur le
vecteur du temps. La forme même des transformations de Lorentz retire
en effet tout sens (absolu) au concept de simultanéité absolue dans le
temps, car elle n'existe que pour un observateur donné. En revanche, il

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Jean-Pierre Vigier

existe une distinction absolue, c'est-à-dire indépendante de


l'observateur, dans la succession des événements de l'histoire d'un phénomène
qui se propage moins vite que la lumière. Pour Einstein, l'ordre d'une
séquence événementielle, dans la vie d'une particule, est inchangée pour
tous les observateurs. En langage philosophique, on dira que l'ordre des
causes et des effets s'impose à tous, bien que leur écart dans le temps
puisse varier avec les vitesses relatives des observateurs.
D'. Rien enfin n'échappe à la causalité dans l'univers d'Einstein. Dans
le prolongement direct de la pensée classique, il soutiendra toujours que
les lois qui le gouvernent constituent un sous-ensemble immuable
parfaitement objectif de la machine universelle. Des travaux étonnants
sur le mouvement brownien (qui décrivent la marche en ligne brisée
d'une particule soumise aux chocs chaotiques d'un milieu violemment
agité) en témoignent avec éclat. 11 n'a jamais varié sur ce point. Après
Laplace, après Maxwell, après Boltzmann: il n'a cessé de soutenir que

temps à k t
\ /
/
\ /
\ futur

\
\
\
\ / 'u
\ ailleurs

V \ séparé espaceX
/ \
/
/ \
// \
\
/ passé \

/ \
/ \

Figure 1
D après Einstein, l'événement localisé en 0 ne peut être influencé que par des événements localisés
dans le cône « passé » et n'influence lui-même que les événements du cone t futur ». Si l'on suit
I histoire d un phénomène quelconque, son passé et son avenir ne peuvent être localisés que dans
des domaines bien définis de I'espace-temps. car. en un point donné, ils sont localisés à l'intérieur
du cône de lumière. En conséquence, si deux systèmes isolés sont séparés par un intervalle du
genre espace ». donc si ces deux systèmes ne peuvent plus inter-agir instantanément lors d'une
mesure, alors aucun changement réel ne peut se produire dans le second à la suite d'une mesure
effectuée sur le premier.

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Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

des phénomènes matériels déterminés (donc en principe analysables


individuellement) sous-tendent tout comportement aléatoire dans la
nature : les « probabilités » observées constituant seulement la limite
objective . de . fréquences , réelles qui résultent d'un enchevêtrement
(inextricable en fait) de phénomènes causals à un niveau plus profond.
Dans ce cadre, la thermodynamique fait partie de la description causale
du comportement de la matière.

Localité et nature de Vespace-temps.

Il n'est pas difficile à ce stade de comprendre pourquoi Einstein a


toujours défendu le concept de localité. La notion d'espace est en effet
d'abord empiriquement liée à la possibilité d'appropriation séparée par
tout observateur de réalités différentes à la fois simultanées et
distinctes.
L'existence de l'espace se déduit alors :
a) de la possibilité de préserver l'identité (c'est-à-dire la permanence
dans le temps) d'objets dans un mouvement qui les mette
successivement en contact avec des couples de phénomènes différents perçus
simultanément de façon distincte ;
b) du fait d'observation que les influences réciproques des corps
diminuent avec leur « écartement » ou « distance » . Ce dernier concept,
manifestement associé au temps mis à la parcourir dans des conditions
physiques données, liées aux dimensions de l'espace, apparaît ainsi
comme une propriété intrinsèque (attribut) des objets matériels : même
si elle varie suivant les observateurs *.
La première condition a) est liée à l'idée que la nature étendue
(forme) des corps ne dépend pas du lieu où ils se trouvent : idée qui n'est
évidemment valable qu'approximativement. puisque les corps ne
conservent rigoureusement ni leur étendue ni leur forme en relativité
générale. En plus des contractions de Lorentz le champ de gravitation
où ils se meuvent, (c'est-à-dire la structure de l'espace qui les entoure)
dépend par exemple de leur environnement immédiat... et même en
toute rigueur de la répartition des masses en mouvement dans
l'univers.
La seconde condition b) semble résulter de la notion même de
conservation de l'énergie positive des champs : l'action par élément de
surface d'une source constante à rayonnement sphérique continu va
diminuant par exemple avec l'inverse du carré de la distance qui la
sépare des objets qu'elle influence.

* Sous l'impulsion d'Einstein, on mesure même les distances astronomiques en


« années-lumière ». c'est-à-dire en distances parcourues par la lumière dans un temps
donné.

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Jean-Pierre Vigier

Cette propriété dote les corps d'une indépendance de fait, qui, suivant
Einstein, permet de traiter le problème de la distance en termes de
mouvements intermédiaires particuliers (les signaux lumineux) et de
construire une géométrie, c'est-à-dire un édifice mathématique cohérent
qui associe les distances mutuelles des corps élémentaires supposés
ponctuels, par des variables d'espace- indépendantes du temps pour
chaque observateur.
Ceci posé, il est clair que la découverte d'actions à distance superlu-
minales dans l'espace-temps de la relativité remet en question la
causalité d'Einstein pour deux raisons :
La première raison {représentée dans la figure 2) est que, si l'on décrit
le mouvement de deux particules I et II par des lignes d'univers dans un
système Ox-Oct, toute interaction B'B du genre espace (extérieure au
cône de lumière) peut être rendue instantanée > pour . un observateur
associé à un système d'axes Ox"-Oct" pour qui les points B' et B seront
simultanés au point P. Dès lors, leur indépendance physique n'existe
plus car ils ne sont pas séparables au sens réaliste du terme ni
distinguables en termes d'émetteur et de récepteur permettant l'échange
de signaux entre eux.
En fait, c'est la notion même de temps qui est mise en cause, car
I ordre dans le temps de A et B change suivant les observateurs, puisque
les observateurs Ox"-Oct" et Ox'-Oct' voient A et Bdans un ordre
différent.
La deuxième raison est que la conservation de l'énergie n'implique
plus en principe la décroissance de l'interaction avec la distance, ce qui

Figure 2
Les transformations de Lorentz en relativité. Dans la relativité restreinte Einstein définit les
conditions d'une observation absolue, c'est-à-dire qui n'est pas relative à un seul observateur. Cela
Mippose que les coordonnées qui servent à l'observation soient spécifiques d'un observateur donné.
\insi, en utilisant les transformations de Lorentz. on passe d'un système de coordonnées à un autre.
Dans le graphique ci-dessus, l'observation des deux particules I et II peut se faire avec les
coordonnées ox. ot ou ox\ ot\

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Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

rend difficile l'introduction du concept de séparabilité (lié à la localité)


qui permet la définition de l'espace. En effet, l'association de la
décroissance du flux d'énergie par élément de surface avec la croissance
du rayon à partir d'une source localisée dépend de l'existence d'une
vitesse finie (pour tous les observateurs) de la propagation de ce flux.
Nous verrons en effet plus loin que ce n'est qu'en leur imposant des
contraintes très particulières que l'on peut utiliser des actions à distance
superluminales sans détruire à la fois la localité et la causalité
d'Einstein.

La crise des quantas.

La crise de la causalité ne date pas d'aujourd'hui. Longtemps avant


les expériences actuelles, et à peine élargi par la théorie de la relativité
générale, le monde d'Einstein est remis en cause par le développement
de la théorie des quantas, créée pour une part essentielle par Einstein
lui-même. Une nouvelle interprétation du monde, due à Bohr et
Heisenberg, vient remettre en cause le matérialisme et le déterminisme
d'Einstein. Une controverse célèbre, le débat Bohr-Einstein, va opposer
désormais en permanence partisans et adversaires du réalisme et du
déterminisme en physique.
L'origine du débat est claire. Depuis 1927, il porte en effet sur
l'interprétation qu'il convient de donner à la découverte, faite par de
Broglie (suivi par Schrôdinger), de la mécanique ondulatoire. Cette
théorie complète en effet la théorie des quantas en associant des ondes à
la propagation de toute particule matérielle. Elle porte donc un coup
décisif à la vision classique purement ponctuelle des particules et va
ouvrir un débat (qui dure encore) sur l'interprétation qu'il faut donner à
l'aspect ondulatoire de toute particule matérielle.
Le point de départ de la mécanique ondulatoire est clair : puisque
l'expérience a révélé que pour la lumière il existe un aspect corpusculaire
et un aspect ondulatoire des phénomènes, reliés entre eux par la relation
E = hv = me2 où figure la constante h de Planck, on peut penser qu'il
pourrait exister aussi pour les particules de matière un aspect
corpusculaire et un aspect ondulatoire (ce dernier longtemps méconnu) qui
seraient reliés entre eux par une relation où figurerait la constante de
Planck.
Cette idée extraordinaire (bientôt confirmée par l'expérience) suggère
que l'on peut observer des effets d'interférence (du type de celles des
trous de Young décrite dans la figure 3) avec des électrons ou toute autre
particule matérielle. Elle implique que dans son système au repos toute
particule matérielle peut être assimilée à un oscillateur qui vibre
avec une fréquence v liée à sa masse au repos par la célèbre formule
hvo = moC12s2

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Jean-Pierre Vigier

Si l'on dirige alors un faisceau lumineux très faible sur un écran à


travers un masque percé de deux fentes, on observe que les photons
apparaissent un par un ponctuellement sur l'écran (comme des
corpuscules), mais y composent (comme un dessin formé de points), des
interférences exactement comme le feraient des ondes passées par les
deux fentes à la fois. C'est l'expérience célèbre dite des trous de Young
{figure 3). Cette propriété paradoxale, étendue par Louis de Broglie à
l'ensemble des particules matérielles, pose brutalement :
— Le problème de la nature des ondes qui les accompagnent
nécessairement. Contrairement à Einstein et de Broglie qui
considéraient ces ondes comme un phénomène réel, la majorité des physiciens se
rallient à l'idée de Bohr et de Born qui y voient seulement des ondes de
probabilité. Pour Bohr et ses successeurs, l'expérience de Young
s'interprète alors en disant que«les particules (photons) n'existent pas
entre la. source et l'écran et que la lumière (comme n'importe quelle
particule) est tantôt onde et tantôt particule, jamais les deux à la fois.

S"1 P
* Tl
s§)
T2
E

Figure 3
L'EXPÉRIENCE DE YOUNG
Si l'un des trous seulement est ouvert, les photons observés individuellement en P sur l'écran E sont
distribués proportionnellement à l'intensité d'une onde <p (q>2) passant par T| (T2). Si les deux trous
sont ouverts simultanément, les photons, même s'ils passent par un trou seulement, sont répartis
différemment suivant deux franges dues à la superposition des deux ondes cpl et q)2. Tout se passe
comme si. passant par un trou, ils étaient instantanément informés à distance de l'ouverture de
l'autre trou.
Ainsi, pour décrire le phénomène, deux interprétations se proposent... dans la mesure où les autres
présentent des difficultés insurmontables.
— Dans l'interprétation de Bohr. les particules sont tantôt des ondes, tantôt des corpuscules sans
être jamais les deux à la fois. Ainsi la particule se matérialise au point d'impact sans être
effectivement passée par un des trous.
— La deuxième interprétation s'inspire du modèle de Louis de Broglie. Dans ce modèle de l'onde
pilote, la particule est comparée à un oscillateur se propageant dans une onde physique réelle et
proportionnelle à l'onde associée. Les particules sont donc à la fois ondes et particules. Leur aspect
corpusculaire se propage alors dans l'onde associée qui les entoure en vibrant en phase avec elles, un
peu comme un avion volant à Mach 1 resterait immergé en résonance dans sa propre onde sonore.
Pour interpréter le phénomène dans un tel modèle, on suppose alors que Tonde physique réelle
passe par les deux trous alors que la particule ne passe que par l'un des deux. On a pu montrer
(Bohm et Vigier. 1958) que les résultats statistiques observés peuvent s'interpréter en admettant
que la particule saute aléatoirement d'une ligne de courant à l'autre à la vitesse de la lumière.

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Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

Les photons ne voyagent donc pas entre la source et l'écran, ils se


matérialisent à l'impact lors du processus de mesure. Développant ce
point de vue, Bohr et Heisenberg procèdent alors à un renversement
copernicien de l'interprétation classique du monde.
— Le problème lié à la découverte suivante : dans la nature les lois de
combinaisons des probabilités ne sont pas les lois de la théorie classique
des probabilités développée par Laplace.
Pour reprendre les termes d'une analyse de Dirac :

La question se pose de savoir si la loi de non-commutation (les


incertitudes d'Heisenberg) est réellement l'idée nouvelle essentielle de
la mécanique quantique. Auparavant je l'avais toujours cru, mais
récemment j'ai commencé à en douter et à penser que peut-être du
point de vue physique la non-commutation n'est pas la seule idée
importante et qu'il y a peut-être une idée plus profonde, un
changement plus profond de nos concepts ordinaires apportés par la
mécanique quantique. et je crois que le concept d'amplitude de
probabilité est peut-être le concept le plus fondamental de la
mécanique quantique.

L'effet immédiat de l'existence de ces probabilités est d'engendrer des


phénomènes d'interférence. Si un processus peut avoir lieu de
différentes manières, par plusieurs chemins (ou voies, comme on dit), ce qu'il
nous faut faire est de calculer d'abord les amplitudes de probabilité pour
chacune des voies et ensuite de les additionner. Ce n'est qu'après cette
addition que nous pouvons former le carré du module et en déduire la
probabilité du processus. On voit ainsi que le résultat obtenu est tout à
fait différent de celui que nous aurions obtenu en prenant la somme des
carrés des modules des termes individuels représentant les différentes
voies possibles. C'est cette différence qui engendre les phénomènes
d'interférence qui dominent le monde des atomes.
L'issue du débat est trop connue puur être détaillée ici. Elle vit de
Broglie abandonner son interprétation et Einstein rester seul dans son
opposition à l'interprétation purement probabiliste de l'univers : pour
une majorité écrasante de physiciens, le monde de Bohr se substitue
alors à l'univers des classiques et à l'univers d'Einstein.

Le monde de Bohr.

Dans le monde de Bohr :


A". L'espace et le temps sont ceux définis par la théorie de la
relativité. Les particules apparaissent sous forme localisée dans ce cadre
mais sont dépourvus de mouvements objectifs indépendants des
observateurs : ils apparaissent seulement ponctuellement, dans des processus
de mesure, avec une probabilité définie par leurs fonctions d'onde. Pour
reprendre une phrase célèbre de Wheeler (un des principaux disciples

37
Jean-Pierre Vigier

vivants de Bohr) : « Aucun phénomène élémentaire n'est un phénomène


jusqu'à ce qu'il devienne un phénomène observé. »
B". Les « lois » qui gouvernent l'évolution dans le temps des
probabilités de mesure satisfont à des équations d'évolution données une
fois pour toutes. Elles permettent de prévoir la répartition statistique des
résultats des mesures qui correspondent à des valeurs liées à la nature de
la propriété mesurée et au processus même de la mesure. Pour Bohr,
l'interaction entre appareil de mesure et objet mesuré échappe par
définition à toute analyse et à toute description causale. Par définition,
les mesures ou observations provoquent alors une réduction instantanée
de la fonction de probabilité : un processus qui ne peut être décrit dans
le cadre de l'espace et du temps de la relativité, puisqu'il se produit
instantanément pour n'importe quel observateur.
C". Les interactions entre particules sont alors définies (toujours en
termes de probabilités) comme des collisions ou des échanges de
particules intermédiaires. L'introduction des ondes de probabilité
associées à des systèmes de particules entraîne toutefois, selon Einstein,
l'apparition « paradoxale » de corrélations statistiques entre particules
classiques sans interaction. Nous allons voir en effet qu'il en a tiré dès
1935, avec Podolsky et Rosen, le principe des expériences qui
bouleversent la physique sous nos yeux.
D". Le hasard absolu domine le monde de Bohr. Bohr rejette en effet
l'idée que les statistiques quantiques puissent être décrites ou analysées
en termes de mouvements cachés plus profonds : pour lui, les
probabilités quantiques constituent une limite ultime non dépassable de la
connaissance et de la nature des choses. 11 n'y a pas de « réel voilé » dans
le monde de Bohr. ni de causalité cachée. 11 s'ensuit que le comportement
de la nature, même à l'échelle macroscopique, résulte d'un jeu de hasard
absolu. 11 n'existe pas en effet de frontière entre les phénomènes
microscopiques et macroscopiques en physique. En principe, on peut
faire sauter une bombe à hydrogène à l'aide d'une gâchette constituée
par un photon individuel.

2. Causalité et non-localité.

En 1935. Einstein sort à nouveau du silence. Avec deux


collaborateurs (Podolsky et Rosen) '. il s'attaque d'abord au caractère complet
que ses adversaires attribuent à la mécanique quantique pour déboucher
ensuite sur la découverte (aujourd'hui généralement acceptée) que
l'interprétation de • Gôttingen-Copenhague contredit la localité relati-
viste.
Pour résumer un argument célèbre. EPR commencent par proposer
une définition très générale des éléments qui constituent la réalité

38
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

physique « si sans perturber aucunement un système nous pouvons


prédire avec certitude (c'est-à-dire avec une probabilité égale à l'unité)
la valeur d'une quantité physique, alors il existe un élément de réalité
physique correspondant à cette réalité physique ».
Comme l'a remarqué M. Paty 2. cette définition purement
opérationnelle de la réalité, donc apparemment conforme aux principes de
l'interprétation de Bohr. représente un moyen de penser un élément d'un
système physique sans le ramener à une opération directe de mesure. Il
est remarquable que ses conséquences aient conduit les partisans de
Bohr à abandonner aujourd'hui le caractère local de mesures corrélées
(donc la séparabilité d'Einstein) pour préserver les fondements
essentiels de l'interprétation de Copenhague. En effet, en application de la
définition qui précède. EPR proposent le principe d'une expérience
(qu'il a fallu quarante ans pour réaliser en fait) destinée à mettre en
évidence les contradictions de l'inteq)rétation de leurs adversaires. Pour
être clair, partons du résumé qu'en donne Paty 2. « Soit un système M
(molécule) se scindant en deux sous-systèmes (atomes) A et B. Ces deux
particules s'éloignent l'une de l'autre de telle sorte qu'elles
n'entretiennent bientôt plus d'interaction entre elles : une fois séparées par un
intervalle du genre espace, toute mesure sur l'une ne peut influer sur
l'autre, à moins de télépathie '. Si l'on mesure l'impulsion (ou une
composante du spin 4) de la particule B.- la particule A ne sera pas
informée de cette opération. On peut, pour celle-ci, choisir de mesurer la
quantité correspondant à la conjuguée de l'autre (la position, ou une
autre composante du spin). Or. les lois de conservation rigoureuse entre
les quantités (impulsion P. moment angulaire ou spin) du système initial
et de l'ensemble des sous-systèmes finals impliquent une relation entre
les quantités relatives aux particules A et B. Quel que soit le moment où
l'on mesure l'impulsion de B. celle de A lui est évidemment corrélée
(P\ = - Pb si Pm = 0). 11 s'ensuit que. aussi distantes que soient les
particules A et B l'une de l'autre. la mesure sur B nous informe, sans
perturber A. de la valeur de son impulsion. Aucune mesure sur A n'ayant
été effectuée, nous sommes libres de mesurer par exemple sa position. Or
la mécanique quantique prétend que la connaissance simultanée de ces
deux quantités conjuguées pour A est impossible, c'est-à-dire que la
mesure de la position de A interdit la connaissance de son impulsion,
bien que celle-ci ait pu être prédite sans aucune mesure qui l'eût
perturbée. D'où le paradoxe, signalant aux yeux d'EPR un grave défaut
d'incomplétude de la mécanique quantique. qui échoue à rendre compte
de tous les éléments de la réalité physique. »
L'origine du paradoxe est claire : le refus d'Einstein d'admettre le
caractère irréductible attribué par Bohr au hasard. Encore une fois, pour
Einstein, toute observation individuelle à l'intérieur d'une distribution
apparemment due au hasard s'explique en réalité par un processus
causal antérieur. Dans un autre langage, cela revient à dire qu'il existe

39
Jean-Pierre Vigie r

toujours une réalité cachée, dissimulée derrière toute manifestation du


hasard... et il introduit en fait les célèbres « paramètres cachés » à l'aide
desquels de Broglie 5, puis Bohm 6 et Vigier 7 avec des paramètres non
locaux, vont s'efforcer d'expliquer causalement les prédictions
statistiques de la mécanique quantique. Pour eux, la description de Bohr, bien
que décrivant correctement les distributions statistiques des résultats de
mesure, serait par nature incomplète. Elle recouvre seulement notre
ignorance d'un comportement plus profond de la nature. Pour utiliser
un exemple un peu caricatural de leur point de vue, une femme enceinte
peut dire que son fœtus a une chance sur deux d'avoir tel sexe et que le
fœtus ne devient vraiment « fille » ou « garçon » qu'à la naissance. Pour
nous, il est plus raisonnable de penser que le sexe est acquis avant la
« réduction de l'incertitude » apportée par la naissance.
Pour répondre à Einstein, Bohr, dans un article remarquable 8, fait un
pas en arrière. Alors i que jusqu'alors, à la suite d'Heisenberg, il avait
toujours défendu l'idée que la non-compatibilité des mesures faites sur
des variables conjuguées (position et impulsion par exemple) résultait de
l'impossibilité d'effectuer localement une mesure de l'une sans
perturber l'autre au même point, il concède à Einstein que son interprétation
implique que les mesures sur A et B sont inséparables même si elles sont
séparées macroscopiquement par des intervalles qui ne pourraient être
franchis qu'à des vitesses supérieures à la vitesse de la lumière. En
d'autres termes, les deux mesures n'en font qu'une quelle que soit la
distance qui les sépare. Ainsi, cette première étape du débat commencée
par un désaccord sur le caractère complet ou non du formalisme
quantique débouche sur le constat extraordinaire que la théorie des
quantas implique une corrélation superluminale entre les résultats
d'appareils distincts opérant sur des particules parfaitement
indépendantes au sens de la théorie de la relativité. Cette concession capitale de
Bohr. passe alors inaperçue, bien qu'elle implique l'existence d'une
contradiction majeure entre la théorie locale de la relativité et la théorie
des quantas. De plus, l'expérience proposée par Einstein n'est pas
réalisable à l'époque. La Seconde Guerre mondiale et la bombe
d'Hiroshima repoussent de plusieurs années la poursuite du débat.

Chute des variables cachées locales : les inégalités de Bell.

En 1965, John Bell, un physicien canadien du CERN, fait franchir au


débat un pas décisif, qui ouvre en fait la troisième étape du débat
Bohr-Einstein 9. Il découvre en effet que l'emploi de variables cachées
locales ponctuelles quelles qu'elles soient implique des conséquences
expérimentales (limitées par des inégalités) qui ne sont pas compatibles
avec les prédictions de la théorie des quantas dans une variante
particulière (due à Bohm 4) des expériences proposées par Einstein.

40
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

Pour en comprendre la signification, supposons qu'un atome S émette


d'un coup deux photons A et B, dans deux directions opposées. La
mécanique quantique nous dit alors :
1) que ces photons sont « corrélés », qu'ils sont de « polarisation »
complémentaire (la « polarisation » est une propriété des photons ;
disons que si celle de A est « à droite », alors celle de B est « à
gauche ») ;
2) que la polarisation de chacun est indéterminée, elle ne peut être
déterminée que par une mesure.
Les déterminations de polarisation peuvent être alors effectuées en
plaçant dans les deux directions opposées deux polarisateurs linéaires
qui mesurent les polarisations de A et B suivant deux directions a et b
choisies à l'avance. Ceci permet d'obtenir une valeur moyenne P (a, b)
des résultats des mesures corrélées suivant a eto.
Si l'on admet alors :
- la conservation du moment angulaire total du système,
- l'absence d'interaction entre A et B au moment des mesures de
corrélation, absence qui résulte de la version « locale » de la relativité où
aucune interaction ne peut être transmise plus vite que la lumière entre
deux photons qui s'éloignent l'un de l'autre à la vitesse c.
Alors, il résulte des calculs de Bell que, s'il y a des variables cachées
locales (qui interdisent de telles actions à distance), on obtient :

où b et c désignent deux orientations de B : relation incompatible avec


les prédictions de la mécanique quantique données par :

P(?,T?) = cos2 (?,"S)

En d'autres termes :
- la localité d'Einstein ne s'applique pas aux mesures a eto
- les paramètres cachés locaux ne sont pas compatibles avec les
prédictions de la mécanique quantique.
Disons tout de suite que l'expérience d'Orsay vient de confirmer la
mécanique quantique 10. Elle a même été faite dans des conditions qui
renforcent la non-séparabilité du résultat. Elles s'appuient en effet sur
l'introduction entre la source S et les polariseurs qui agissent sur les
photons A et B (séparés de S par une distance L) de deux aiguillages qui
les renvoient de manière aléatoire sur deux couples indépendants de
polariseurs. Si toujours comme : à Orsay les aiguillages fluctuent au
hasard dans un intervalle de temps L^c, les photons choisissent
arbitrairement deux chemins alternatifs de coïncidence et il s'ensuit que
la corrélation entre les deux polariseurs surgit dans un intervalle du
« genre espace » (c'est-à-dire avec une vitesse supérieure à c) et

41
Jean-Pierre Vigier

l'expérience a montré que les prédictions quantiques restent vérifiées


avec ce dispositif.
Bref, tout se passe comme si les deux polariseurs ne pouvaient être
corrélés (dans le cadre de l'orthodoxie einsteinienne) ni interagir ; car ils
ne sont pas individuellement dans le cône de lumière l'un de l'autre.
Pour reprendre une expression de Shimony n. nous voici forcés
« d'abandonner le critère de réalité d'Einstein ou d'accepter une forme
d'action à distance ». Comme le dit d'Espagnat 12 :

La non-séparabilité est un fait indépendant de toute théorie.


Dans le cadre d'une conception réaliste, je ne vois pour ma part
d'autre solution que l'abandon du principe de séparabilité. Cela
signifie, schématiquement, soit que certains systèmes actuellement
éloignés les uns des autres doivent dans tels ou tels cas être considérés
comme constituant un seul système, soit qu'entre des systèmes
éloignés existent des influences plus rapides que la lumière.

Ces deux termes de l'alternative n'étant d'ailleurs probablement que


deux manières d'exprimer la même situation.
Ce qui est enjeu devient clair : c'est l'existence même de la causalité
en physique. En effet, si on la détruit au niveau microscopique, on sait
qu'elle disparaît également au niveau , macroscopique, puisque la
physique moderne dispose des moyens d'amplification nécessaires pour
transformer des événements microscopiques individuels en événements
macroscopiques au niveau classique.
En d'autres termes, le développement de la discussion des années
1945-1965 a profondément modifié le débat initial entre Bohr et
Einstein. Leurs positions de départ se trouvent confrontées depuis 1965
à un problème nouveau (toujours sous la réserve que l'expérience
confirme les prédictions quantiques). La découverte des inégalités de
Bell implique un développement (ou une modification) de la théorie de
la mesure de Bohr et de la théorie des paramètres cachés. L'existence
d'actions non locales entraîne en effet, si l'on veut rester dans le cadre de
l'espace et du temps, une modification des deux lignes de recherche
antagonistes dont l'origine remonte au Congrès Solvay. Face aux
conséquences des inégalités, les disciples de Bohr et les successeurs
d'Einstein et de De Broglie ne peuvent rester sur les positions de départ
des adversaires : il leur faut créer du nouveau ou abandonner leurs
interprétations de la mécanique quantique.
La découverte de Bell ouvre en conséquence la troisième étape du
débat Bohr-Einstein. Nous n'en sommes pas encore sortis
aujourd'hui.
Elle a engendré d'abord une âpre discussion théorique qui porte à la
fois sur sa validité et sa portée théorique. Après d'importantes
contributions (entre autres) de Selleri en Italie, de d'Espagnat en France, de

42
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

Shimony aux États-Unis, un consensus s'est établi sur sa validité et sa


généralité. En d'autres termes, la vérification des prédictions quantiques
par l'expérience sonne bien le glas des théories à paramètres cachés
locaux et implique la nécessité d'introduire la non-localité dans la
théorie de Bohr et dans les modèles déterministes à variables cachées.

L'évolution des partisans de Bohr.

Deux révisions des idées de Copenhague sont actuellement en voie


d'élaboration.

A. Dans le point de vue d'Everett- Wheeler I;l modifié par Paty, on


part du concept que, bien que les systèmes inséparables soient
effectivement non locaux, cette non-localité ne fait pas partie du formalisme
de la théorie quantique de la mesure. Elle ne pose donc problème que si
on la compare à la description fournie par Einstein de l'espace et du
temps, description qui ne fait pas partie de la théorie. Ceci ne signifie pas
qu'il faille accepter le concept subjectif de réduction du paquet d'ondes
par l'observateur. Ainsi, pour Paty, la description d'Everett et Wheeler
entraîne la possibilité d'une description objective, c'est-à-dire purement
quantique, du processus de mesure, dans laquelle l'appareil n'intervient
fondamentalement que comme un système quantique qui interagit avec
le système étudié (l'amplification ergodique dans l'appareil
macroscopique ne s'effectuant qu'après la réduction éventuelle). Leur théorie dite
« de l'état relatif » élimine en effet le problème de la réduction, en
montrant que ce n'est pas au moment de l'interaction du système étudié
et de l'appareil que l'état du système se détermine, et que la mesure ne
fait que transcrire — par cascades d'interactions successives — la
donnée de l'état initial. Pour reprendre les mots de Wheeler, « la théorie
de l'observation devient ainsi un cas particulier de la théorie des
corrélations entre les sous-systèmes ».
La corrélation entre les deux sous-systèmes et les résultats de leurs
mesures respectives n'est plus dès lors paradoxale, car elle ne s'effectue
pas au moment de la mesure, soit de l'un, soit de l'autre, soit des deux
ensemble, au cours d'une prétendue « actualisation des potentialités du
système » . Elle est de nature très classique, puisqu'elle était déterminée
« dès la scission du système initial ». On peut résumer ce point de vue
dans deux propositions simples :
1. La non-localité n'est paradoxale que dans l'espace-temps et les
processus matériels ne s'y déroulent pas.
2. On ne peut séparer les appareils de mesure quantiques des objets
observés : ainsi, l'observation de couples corrélés de particules par des
appareils réagissant dans des conditions non locales fournit tout
naturellement des résultats non locaux... puisque ces observations
épuisent la réalité.

43
Jean-Pierre Vigier

La cohérence logique formelle de cette analyse est évidente : Everett


en a tiré des conséquences surprenantes. Le caractère complet du
formalisme débouche en effet sur l'idée que toutes les probabilités
contenues dans les fonctions d'état sont effectivement réalisées. 11
s'ensuit qu'en chaque point et chaque instant où s'effectuent des
observations, toutes les probabilités existent simultanément... si bien
que l'univers se feuillette indéfiniment en un nombre infini d'univers
différents parallèles qui coexistent réellement sans interagir entre eux.

B. Pour interpréter les actions à distance dans la « voie de


Copenhague » et dans le cadre de l'espace et du temps d'Einstein, Costa de
Beauregard 14, Stapp. etc., dans une seconde direction, considèrent qu'il
suffit d'introduire un nouveau propagateur dans le formalisme de Bohr
et de Heisenberg pour interpréter le paradoxe EPR. Leur argument se
ramène à deux propositions :
a) Si l'on émet une paire de photons au point S {voir figure 4) et si
l'on vérifie que la mesure en A entraîne la prédiction quantique en B
alors, pour rester dans le cadre relativiste du formalisme de Bohr, A faut
introduire un potentiel avancé pour propager un signal de A vers S... et
utiliser ensuite un potentiel retardé pour informer B à partir de S.

et

E>0

Figure 4

Ainsi, la corrélation dans Tailleurs entre les polariseurs s'interprète en


disant que l'on peut télégraphier dans Tailleurs en prenant un relais
dans le passé ou l'avenir. C'est le schéma de la figure 4.
b) Ceci signifie en clair que l'on ajoute aux opérateurs d'évolution
quantiques habituels (baptisés « propagateurs de Feynman » dans la
littérature spécialisée) des opérateurs nouveaux (dits de Jordan-Pauli)
qui permettent la propagation d'énergies vers les temps négatifs,
(potentiels avancés), en contradiction brutale avec les lois de
conservation .d'Einstein... car il surgit brusquement au point S une énergie
positive qui vient du futur et n'a pas d'antécédent dans le temps. On
peut même soutenir qu'il s'agit là de la seule définition scientifique
possible d'un phénomène véritablement miraculeux... et il ne faut donc

44
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

pas s'étonner que cette rétroaction dans le temps soit utilisée


aujourd'hui pour « justifier » les phénomènes dits « parapsychologiques » de
télékinèse 15, par exemple.
Il en résulte qu'un processus de Hamilton, c'est-à-dire un processus
qui évolue de façon causale continue dans le temps, ne peut plus, en
principe, être construit uniquement à partir des données au temps
initial, mais doit tenir compte des conditions finales. Les concepts
d'ordre dans le temps, donc de passé, de présent et d'avenir, sont
directement mis en cause car ils « existeraient simultanément » au
double point de vue mathématique et physique.

L 'évolution des partisans d'Einstein.

Avec du recul, on s'explique sans peine l'impact profond et le


retentissement lointain du paradoxe découvert en 1935 par EPR,
retentissement amplifié par la découverte de Bell et les expériences
d'Aspect à Orsay. Ils reposent sur la conviction de la majeure partie des
scientifiques qu'il y a antagonisme irréductible entre causalité et
non-localité dans la mécanique relativiste : antagonisme qui s'exprime
par exemple dans la possibilité théorique de rétroagir dans le temps
décrite dans la figure 6. Le malaise ainsi engendré s'exprime à la fois
dans le rejet par de Broglie lui-même des conséquences de la mesure
quantique dans ce contexte particulier et par l'espoir alors ouvertement
exprimé (contredit aujourd'hui par l'expérience) que les faits allaient
démentir l'existence de corrélations non locales (superluminales) entre
des éléments d'appareils de mesure séparés par des intervalles du genre
espace.
Pour reprendre ses propres termes :

Einstein et ses collaborateurs, ainsi d'ailleurs que Schrôdinger, ont


montré que l'interprétation actuelle des formalismes quantiques
conduit à prévoir certaines corrélations entre des mesures effectuées
sur des systèmes entièrement séparés et éloignés dans l'espace. Ces
corrélations leur ont paru, à juste titre me semble-t-il, comme tout à
fait inadmissibles... Il me paraît certain que ces corrélations n'existent
pas réellement et peut-être l'expérience pourra-t-elle prouver qu'il en
est bien ainsi 16.

Cette conviction de De Broglie explique pourquoi il a lui-même


entrepris, sans succès, des recherches pour démontrer le caractère erroné
des inégalités de Bell, inégalités que de nombreux auteurs (Selleri en
particulier) avaient étendues à l'ensemble des phénomènes susceptibles
d'être décrits par des variables cachées locales.
Pour mesurer l'ampleur du problème, il faut revenir en arrière.
Comme nous l'avons vu, la causalité classique (de Newton à Einstein, en

45
Jean-Pierre Vigier

passant par Laplace, Maxwell et Poincaré) s'accommode parfaitement


d'actions à distance instantanées. Ce n'est apparemment pas vrai dans le
cadre de l'univers de la relativité où l'on trouve une causalité « absolue »
définie par les quatre principes suivants que nous discuterons seulement
dans le cas d'interactions instantanées associant deux particules
seulement (le cas de n particules associées s'en déduisant sans difficulté de
principe), c'est-à-dire :
a) L'évolution d'un système de deux particules en interaction peut
être analysé dans le sens des temps positifs (prédiction) ou dans le sens
des temps négatifs (rétrodiction) comme un problème de Cauchy :

Figure 5

Ceci signifie que, si on se donne à un instant initial to les positions et les


vitesses initiales des deux particules, il est possible, à partir des
équations de la mécanique (et celles de l'interaction choisie) de décrire,
de façon univoque et complète, l'évolution du système dans le temps.
6) Les trajectoires des deux particules en interaction doivent être du
genre temps, c'est-à-dire contenues à l'intérieur du cône de lumière.
c) Le formalisme utilisé doit être invariant pour des transformations
du groupe de Poincaré, dit orthochrone (c'est-à-dire pour les
transformations de Lorentz qui préservent le sens du temps complétées par des
translations dans l'espace-temps).
d) On ne peut propager que des énergies positives dans le sens des
temps positifs (ou, formellement, des énergies négatives vers les temps
négatifs) pour satisfaire le principe de la conservation de l'énergie-
impulsion.
Les deux derniers points vont de soi car ils signifient que la séquence
des causes et des eriets pns le long des deux trajectoires est invariante...
et ne peut être modifiée par une interaction entre elles... même
superluminale. Bien entendu, la difficulté à satisfaire a), b) et c)
simultanément vient des propriétés du groupe de Lorentz qui engendre

46
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

le paradoxe de la figure 6. Pendant longtemps, Einstein et ses


successeurs (comme de Broglie dans la citation précédente) ont
considéré la satisfaction simultanée des exigences de a), b) et c) comme
impossible et en ont déduit que l'on ne pouvait séparer en principe la
localité de la causalité. Cette conviction explique à la fois l'espoir mis par
certains « causalistes » dans la vérification expérimentale des inégalités
de Bell et les tentatives faites pour en réduire la portée ou la validité
théorique.

et A •A A et'

Figure 6
Considérons deux observateurs en mouvement relatif 0| el O2 associés à deux systèmes d'axes au
repos S et S'. Si au point d'espace-temps Ei l'observateur ()j envoie un signal superluminal vers O2
«mi l'absorbe en Ej on enregistre une corrélation. On peut après un temps fini opérer de même entre
0_> et Oi. entre un point Es postérieur à E2 et un point 64 antérieur à e^. Nous avons ainsi la possibilité
( si l'on admet les potentiels avancés) d'agir sur le passé de Ei à partir de son propre présent, ce qui
engendre une situation incompatible avec le concept même de causalité.

En somme, placés devant la réalité de corrélations superluminales, les


partisans du matérialisme et du déterminisme d'Einstein doivent
répondre à trois questions nouvelles, soit :
1. Est-il possible d'introduire dans l'espace-temps de la relativité des
interactions superluminales particulières sans détruire la causalité
d'Einstein ?
2. Si c'est le cas, quelle est leur nature physique ? Puisqu'elles ne
peuvent être portées par des particules subluminales individuelles... qui
ne peuvent dépasser la vitesse c.
3. Comment concilier leur existence avec les idées d'Einstein (et de
De Broglie) sur l'existence de paramètres cachés ?
Questions que nous allons discuter pour conclure.

47
Jean-Pierre Vigier

Causalité et non- localité relativiste.

La réponse à la première question est oui. En effet, depuis les années


soixante, indépendamment du débat Bohr-Einstein, les mathématiciens
spécialisés dans la dynamique et la cinématique relativistes se sont posé
le problème de la causalité, précisément dans les termes a), 6) et c).
Ces termes définissent ce que l'on a appelé la « mécanique
prédictive » dans la littérature spécialisée. Ils ont en particulier (Droz-Vincent,
Bell et al. 17) découvert qu'il était alors possible d'incorporer des actions
à distance superluminales dans des systèmes de particules relativistes en
interaction à la condition que les potentiels correspondants satisfassent
à des conditions supplémentaires qui détruisent la possibilité de
rétroagir dans le temps.
L'étude théorique détaillée de ces conditions supplémentaires dépasse
le cadre de cet exposé. Qualitativement, il suffit de dire que les deux
hamiltoniens Hi et H2 associés aux deux particules qui interagissent par
l'intermédiaire d'une action à distance superluminale se décomposent
en deux parties, comportant une partie décrivant leur comportement
libre (soit P^r2 PyV2 ou les P^2 représentant les quadrivecteurs du genre
temps qui dérivent l'énergie impulsion de ces particules) et V1.2 qui
représentent les potentiels d'action à distance qui agissent sur elles. Pour
que les conditions de causalité a), b) et c) soient satisfaites, il faut, et il
suffit, que les deux temps propres invariants qui décrivent leur
mouvement se comportent comme des paramètres indépendants, c'est-
à-dire que les hamiltoniens précédents qui leur sont associés aient un
crochet de Poisson nul, soit :
{H,, H2} = 0
Cette condition implique que le dispositif paradoxal a-causal de Miller

centre de masse

Figure 7
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

est interdit et que les interactions superluminales I-II s'ordonnent sans


se couper comme l'indique la figure 7.
Indiquons sans attendre 18 les sections qui suivent que cette propriété
s'applique aux interactions quantiques entre particules dans le cadre de
l'interprétation causale de la mécanique quantique (où la particule est à
la fois onde et particule) développée par l'école d'Einstein et de Louis de
Broglie. Dans ce modèle (pour une particule sans spin), l'« onde pilote »
représentée par une fonction d'onde V(x) = exp{P(x) + iS(x)}, ou x
représente un quadrivecteur d'espace-temps, entraîne la particule sur
une trajectoire p = (1/m) (ôs/ôx) sous l'influence d'un « potentiel
quantique » U = [DP + 2ÔP/ôx.ôP/ôxJ. L'équation d'onde DV(x) =
m2W(x) fournit alors la relation d'Hamilton-Jacobi :

ÔS/ôx-ÔS/ôx + U(x) + m2 = 0

qui implique que le mouvement de la particule peut être décrit par un


hamiltonien H = p. p 4- U où U est un potentiel non local.
Dans le cas de deux particules, par exemple, la fonction d'onde
(2) satisfait aux deux relations :

et

équivalentes aux deux relations :

[Dt + D2 + 2m2) V(xi,x2) = 0


(D, — D2) W(x,,x2) = 0 ,

Un calcul simple montre alors que tousse passe comme si les deux
mouvements corrélés des deux trajectoires Pi = m ÔS/ôxi et P2 = m ÔS/ÔX2
étaient liés par une action à distance représentée par le potentiel
quantique non local d'interaction U = Ui = U2 et que les deux
hamiltoniens Ht = Pi. Pi + Ui et H2 = P2. P2 + U2 satisfaisaient à la
condition de causalité {Hi,H2} = 0.

3. La résurrection de lather.

La réponse à la seconde question est plus complexe. Dès 1952, sous


une impulsion donnée par Bohm, de Broglie et ses collaborateurs
(encouragés par Einstein) rouvrent le débat sur l'existence de paramè-

49
Jean-Pierre Vigier

très cachés susceptibles d'expliquer causalement les statistiques fournies


par la théorie des quantas. Actualisant l'idée ancienne que les ondes
constituent bien une réalité physique accompagnant les particules dans
leur mouvement, ils aboutissent à l'idée nouvelle (Bohm- Vigier 19,
Nelson 20, etc.) qu'il s'agit de mouvements collectifs se propageant sur
un milieu chaotique subquantique emplissant l'univers. En d'autres
termes, ils reprennent à leur compte l'idée de l'aether en lui ajoutant
(Bohm-Vigier 19) :
1 ) la propriété nouvelle d'être doté en permanence d'un mouvement
chaotique matériel indécelable qui emplit le « vide » des théories
antérieures ;
2) l'idée que les éléments matériels en mouvement qui constituent ce
vide sont « rigides » au sens relativiste, c'est-à-dire peuvent propager
par contact et de proche en proche des mouvements collectifs (donc des
interactions) plus vite que la lumière. Ces éléments étendus contiennent
ainsi des paramètres cachés non locaux qui vont permettre à la fois
d'interpréter les actions à distance de la mécanique quantique et de
fournir une interprétation causale des statistiques quantiques.
Sur le premier point, essentiel, on voit que l'évolution de la théorie
relativiste franchit ainsi, pour la première fois, une des limites de la
pensée d'Einstein. Dès 1951 en effet, Dirac 21, suivi au cours des années
cinquante par la plupart des adversaires théoriques de Bohr (de Broglie,
Bohm, Vigier, Nelson, de la Pefia, Guerra, etc.), ouvre la voie qui permet
de sortir des contradictions du concept d'aether précédemment
soulignées par Einstein : il découvre en effet l'existence possible, en chaque
point du « vide », d'une distribution chaotique de mouvements de
particules matérielles, distribution invariante, éternelle et indiscernable
pour tous les observateurs en mouvement. Elle se résume en trois points
essentiels :

Premier point : le « vide » n'existe pas. C'est un milieu rempli d'une


distribution chaotique de ' particules , en mouvement ' violent. Cette
résurgence de l'éther montre qu'il existe une distribution.de
mouvements, et une seule, qui ne peut être mise en évidence au cours de
mouvements relativiste. Il s'agit là en quelque sorte du « seul éther
relativiste possible ».
Deuxième point : les éléments constitutifs des ondes physiques réelles
qui accompagnent les particules (les « ondes pilote » de De Broglie)
peuvent se propager dans un tel milieu le long de lignes de courant du
genre temps. Ils « guident » les particules observées qui suivent ce
mouvement d'entraînement un peu comme une barque suit le courant
qui l'entraîne.

Cette propagation peut s'accompagner de sauts stochastiques


effectués d'une ligne de courant à l'autre à la vitesse de la lumière. Les

50
Figure 8
MODÈLE DE VIDE DIT « ETHER DE DIRAC »
Une distribution stochastique de particules et d'antiparticules (considérées comme des
oscillateurs étendus) passent par un point (). leurs quadrivecteurs impulsion -énergie F, C satisfaisant à
V = -nvlz'- (particules) ou P,,P2 = m^c2 (antiparticules) donc avec une distribution uniforme sur les
deux nappes d'hyperboloïdes H+ et H" définies par les relations précédentes. Comme l'a montré
Dirac. si la densité des extrémités des vecteurs sur H+ et H" est uniforme, une transformation
arbitraire de Lorentz laisse invariante celte distribution. Il s'agit là du seul « éther » possible en
théorie relativiste.
Dans ce modèle, par chaque élément de volume infinitésimal passe une infinité de particules. Le
vide est comparable à une atmosphère invisible et indérelable directement par des observateurs en
mouvement. Chaque élément contient ainsi une énergie infinie. Sur ce milieu « subquantique »
voyagent les particules accompagnées de leurs ondes quanliques exactement comme un avion
volant à Mach 1 est accompagné de son onde sonore.
Jean-Pierre Vigier

i et

//i1
y$**
a\
X , \\1Y
Î

■*¥£-

a.
k Lignes de
A courant
A x^

Figure 9
Dans le modèle hydrodynamique, une particule étendue « rigide » dont les limites sont représentées
par II. et le mouvement du centre de masse par.... se propage en suivant la quadrivilesse
d'entraînement moyenne de la mécanique quantique. Elle subit des sauts stochastiques à la vitesse
de la lumière entre des couples de points 1 et 2 et réintègre ensuite le courant d'entraînement associé
à l'onde. Ce mouvement explique la distribution statistique observée.

mouvements prévus dans un tel schéma (voirfigure 9) sont tous de type


causal dans le genre temps.

Troisième point enfin., Si l'on admet avec Dirac que des interactions
superluminales peuvent se transmettre au travers et uniquement ' à
l'intérieur des particules, on voit qu'un tel milieu peut propager des
ondes de pression, c'est-à-dire des sortes de mouvements collectifs de
phase d'origine stochastique (voir figure 7), voyageant plus vite que la
lumière.
L'avantage d'un tel modèle, c'est qu'il permet de préserver la
causalité et cela pour deux raisons :
- d'une part, les éléments constitutifs des ondes et les particules
restent à l'intérieur ou à la limite du cône de lumière, en sorte que leur
propagation tout comme leurs mouvements collectifs peuvent se décrire
à l'aide d'équations (hamiltoniennes) causales dans le sens de temps

positifs
- d'autre
; part, comme ces particules matérielles se meuvent sur des
trajectoires du genre temps, on peut leur associer un sens du temps
propre intrinsèque, si bien qu'elles ont toutes un sens du temps absolu
dans lequel les causes précèdent nécessairement les effets.

52
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

A ce stade de l'analyse, de nouvelles possibilités s'ouvrent à la


spéculation et à la recherche.
A. Comme nous l'avons vu, Einstein 22 voyait dans l'impossibilité
(apparente à l'époque) de doter l'aether de mouvement l'obstacle
essentiel qu'il fallait lever pour en construire une théorie acceptable. Cet
obstacle n'existe plus depuis la découverte de Dirac décrite à la section
précédente. En effet, le vide de Dirac construit à partir du mélange
chaotique de particules et d'antiparticules dotées de spin est un milieu
isotrope en mouvement perpétuel qui apparaît au repos par rapport à
un observateur quelconque. Cette façon remarquable de lever la
contradiction d'Einstein ouvre des perspectives surprenantes. Elle
apparaît d'abord comme un moyen évident de réconcilier les deux lignes
de recherche qui ont établi séparément sa réputation : l'étude du
mouvement brownien d'une particule heurtée par des molécules
invisibles et la dynamique de la relativité restreinte. En effet, toute particule
oscillante plongée dans un tel milieu y engendrera une perturbation en
forme d'onde qui en modifie le comportement et justifie à la fois
l'existence physique des ondes de De Broglie et la nécessité de leur
associer un comportement aléatoire décrit par la statistique des
quanta.
B. Mais le modèle stochastique va plus loin encore. Comme nous
l'avons vu, la statistique des quantas peut être justifiée en supposant que
les particules du « vide » de Dirac sont soumises à un mouvement
aléatoire à la vitesse de la lumière... c'est-à-dire à un mouvement
brownien ultra-relativiste. Or une série de travaux a conduit un certain
nombre de physiciens à l'idée qu'il fallait abandonner l'idée du caractère
régulier des g^ d'Einstein pour leur substituer le concept de g^
fluctuants aléatoirement. On peut l'illustrer à l'aide d'une image simple.
Imaginons la surface de la mer vue d'un avion à haute altitude. Cette
surface courbe (avec ses g^) apparaît à cet observateur comme
parfaitement lisse et sans aspérité (car il ne peut distinguer le chaos des
vagues à la surface), donc en première approximation comme une
sphère parfaitement lisse. La réalité bien sûr est différente. Sous
l'influence de causes locales (vents, marées, etc.), la surface de la mer est
soumise au chaos perpétuel engendré par les ondes portées par la
surface. Il en est de même pour la gravitation ou l'espace-temps courbe
d'Einstein. Il porte les ondes de gravitation engendrées par les particules
en mouvement et on peut admettre que le champ de gravitation observé
à notre échelle correspond seulement à une moyenne prise sur un
quadrivolume d'espace-temps : c'est-à-dire que les fluctuations
s'annulent en moyenne, ne laissant subsister que les champs de gravitation g^
observés macroscopiquement.
Or un physicien américain a établi récemment (Frederick 23) que
l'existence de telles fluctuations (proposées initialement par Markov 24,
Yukawa 25 et Blockintsev) entraîne la conséquence surprenante que

53
Jean-Pierre Vigier

les particules qui y sont soumises sont entraînées dans un mouvement


chaotique :

v= c

Figure 10

qui peut être décomposé en sauts aléatoires à la vitesse de la lumière.


Ce résultat est important, car on a découvert ainsi un modèle capable
d'attribuer à une i cause naturelle possible > l'hypothèse de base de
l'interprétation stochastique de la mécanique quantique... puisque des
travaux récents de Lehr et Park 26, Guerra et Ruggiero 27, Cufaro-
Petroni et Vigier 28- 29- 30 ont récemment montré que l'on peut déduire les
équations d'ondes des particules étendues de spin 0, 1/2 et 1 en les
assimilant à une distribution de particules classiques (dotées de
mouvements propres de rotation) associées à des mouvements
d'entraînement combinés à des sauts stochastiques à la vitesse de la
lumière.
Cette description des ondes de De Broglie, comme des ondes
physiques réelles, qui accompagnent des particules-oscillateurs (comparables
en un sens aux ondes sonores qui accompagnent un avion volant à
Mach 1 : le « vide » matériel de Dirac jouant le rôle de l'air ambiant)
implique, conformément aux idées d'Einstein, que la présence et le
mouvement d'une telle particule et de son onde pilote modifient
l'espace-temps dans son voisinage.

Figure 11
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

Pour reprendre une autre image que nous avons déjà utilisée, la
particule est comme un canot à moteur entouré par l'onde de son sillage
sur la surface de la mer : le chaos de la surface le faisant passer (à la
vitesse de la lumière) d'une trajectoire moyenne à l'autre... ce qui
entraîne (pour une succession de canots identiques) les répartitions de
probabilités prévues par la mécanique quantique. On a pu alors établir
que les trajectoires moyennes suivies par la particule et les éléments du
fluide fictif, qui constituent l'onde physique qui l'accompagne, suivent
tout simplement les géodésiques de la surface d'espace-temps modifiée
par sa présence même. En d'autres termes, les lois de la dynamique
microscopique sont identiques aux lois macroscopiques établies par
Einstein si l'on représente désormais les particules comme des régions
singulières de l'espace-temps, entourées d'une perturbation de nature
ondulatoire qui se propage sur « l'aether d'Einstein-Dirac ».
C. L'existence de corrélations superluminales s'explique comme une
conséquence de l'introduction du vide de Dirac. Considérée comme un
oscillateur, une particule étendue modifie le champ matériel qui
l'entoure. Toute perturbation qui lui est infligée (lorsqu'elle pénètre par
exemple dans un appareil de mesure) dérange l'onde de De Broglie qui
l'accompagne et engendre une modification superluminale des
conditions dans son voisinage... qui réagit sur leur comportement. Des forces
collectives superluminales lieraient organiquement (de proche en proche
et par l'intermédiaire du chaos du vide) a une vitesse > c les éléments à
distance de systèmes matériels ainsi corrélés. Dans l'expérience
d'Aspect, tout se passe en conséquence (dans ce schéma einsteinien) comme
si une aire de photons séparés par douze mètres se « tenaient encore par
la main » et réagissaient collectivement (plus vite que la lumière) à toute
perturbation qui frapperait un de ses éléments. La causalité d'un tel
système implique des contraintes mécaniques strictes (satisfaites par les
ondes de la mécanique quantique) qui interdisent tout retour dans le
temps.
L'ampleur du prix à payer pour sauver la causalité dans le monde
d'Einstein est à l'évidence considérable.
1. Il faut d'abord abandonner le vieux modèle atomique des Grecs
(accepté par tous les physiciens, y compris par Bohr sous une forme
probabiliste) qui considéraient la matière comme constituée par des
points matériels sans dimension se propageant dans un vide
universel.
Le modèle stochastique implique en effet le retour à un aether
universel où les particules matérielles apparaissent seulement comme
d'infimes perturbations régulières se propageant sur un chaos d'énergie
infinie.
Ce retour à l'aether ne constitue par un retour aux descriptions
préeinsteiniennes de l'aether. Emplissant le chaos d'un champ de
mouvements stochastique, le nouveau milieu subquantique présente

55
Jean-Pierre Vigier

seulement l'apparence du repos. 11 constitue en réalité dans ce modèle le


plus formidable chaos jamais observé dans la nature... bien qu'il n'offre
aucune résistance (à notre échelle) à la propagation des vibrations qui
constituent la matière.
2. Il faut ensuite abandonner la première version de la localité
d'Einstein... pour qui tout ce qui peut influencer un événement tient
dans le cône de lumière qui constitue son passé (voir figure 1). Ceci ne
signifie pas que l'on doive accepter des effets sans cause. L'existence
même d'un aether matériel fournit en effet un modèle possible
d'interactions superluminales se propageant de proche en proche au travers
d'éléments matériels étendus qui constituent le vide de Dirac. La
causalité de l'univers s'en trouve au contraire renforcée, car toujours dé
proche en proche, tous les phénomènes matériels localisés se trouvent au
contraire liés à distance. Dans l'aether chaotique d'Einstein, un ensemble
de particules apparaît au contraire comme un tout organiquement
corrélé par des > actions à distances, qui se déplace en bloc dans le
temps.
3. Il faut étendre à la totalité des phénomènes (à la microphysique en
particulier) la conception des lois qui a dominé les dernières années
d'Einstein, c'est-à-dire l'idée qu'on ne peut séparer la matière du champ
(ni les particules du « vide » matériel qui les entoure) si bien que leur
mouvement résulte tout naturellement de l'évolution globale des
champs matériels qui constituent l'univers.

L'arbitrage de l'expérience.

Partant de l'existence de corrélations superluminales et pour trancher


entre les deux interprétations précédentes (c'est-à-dire entre les
positions de Wigner-Josephson-Costa * d'une part et celles de Bohm-
Hiley- Vigier ** d'autre part), il faut, conformément aux principes
mêmes d'Einstein, découvrir une situation expérimentale où elles
prévoient des résultats différents.
Un débat technique complexe s'est engagé depuis quelques mois sur
diverses propositions faites successivement :
1) par Fitchard'1. à propos des relations d'incertitude de Heisen-

2) par Selleri. puis par Selleri et Vigier'2. à propos de l'existence


d'ondes de De Broglie réelles dans des phénomènes de fluorescence ;
3) par Garuccio, Popper. Rapisarda et Vigier :Vi. sur l'interférence de
photons arrivant un à un à partir de deux lasers indépendants.
Nous nous contenterons ici de discuter la dernière proposition, plus

*** Science
Cf. Bohm.
et Conscience...
Causality and Chance in Modem Physics, Londres. Routledge et Kegan
Paul. 1983.

56
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

récente, qui illustre de façon plus simple la nature de la preuve


recherchée et le caractère antagonique de la CIQM et de la SIQM *.
L'idée de base est que, s'il est impossible en principe de détecter
directement le vide de Dirac, il est possible toutefois d'en détecter des
conséquences indirectes à la condition qu'elles fournissent des
prédictions expérimentales observables en contradiction avec les prévisions de
l'interprétation de Copenhague. Le principe de l'expérience consiste à
mettre en évidence une situation où l'onde « réelle » d'Einstein (l'onde
pilote de De Broglie) ne peut porter de particule et engendre pourtant
(contrairement aux prédictions de Bohr qui prévoit sa disparition due à
la réduction de probabilité correspondante) un effet mesurable
expérimentalement.
Le principe du dispositif expérimental est' décrit dans la figure 13.
Une source isolée S très affaiblie produit successivement un par un des
paquets d'ondes contenant un photon seulement à la même
fréquence.
Les paquets d'ondes successifs IWn (n = 1, 2, '...) sont ensuite
subdivisés en deux parties d'intensité égale par un miroir semi-
transparent dont le coefficient de transparence est 1/2. Comme on sait,
là CIQM, comme la SIQM, prédit que les photons passent un par un, ou
dans les paquets d'ondes réfléchis RWn ou dans les paquets d'ondes
transmis TWn avec une probabilité 1/2 : si bien qu'il y a anticorrélation
à 100 % entre les photons transmis et réfléchis... ce qui vient d'être
vérifié par Dajenais et Mandel aux États-Unis.
Suivant une suggestion de Selleri nous pouvons ensuite introduire le
long des trajectoires suivies par les paquets TWn un amplificateur laser
organique (LGT) qui multiplie le nombre des photons par 2 (en
moyenne) en préservant les phases des TWn. Ceci est parfaitement
réalisable. Comme on sait, les amplificateurs lasers amplifient le nombre
des photons qui les excitent sans modifier leurs phases avec une
corrélation très forte dans le temps... si bien que cela doit être vrai aussi
dans le cas des intensités très faibles où les photons arrivent
successivement un par un. De tels amplificateurs ont été récemment utilisés
(comme nous allons le voir) dans un contexte différent par M. Martinelli
dans le laboratoire du professeur Gozzini à Pise pour étudier le cas de la
répartition induite des paires de photons incidents par un miroir
semi-transparent.

CIQM : interprétation de Copenhague de la mécanique quantique.


SIQM : interprétation stochastique de la mécanique quantique.

57
Jean-Pierre Vigier

Figure 12

Naturellement, l'utilisation de ce tube amplificateur implique une


expérience préliminaire. On doit vérifier en effet si ce tube utilisé dans le
montage de la figure 12 où des paquets sont subdivisés par Mi fournit
des anticoïncidences significatives (proches de 100 %) entre les
photomultiplicateurs PMi et PM2 qui détectent des photons un par un dans
RW et TW. En effet, . comme . l'a suggéré Selleri, s'il y a moins
d'anticoïncidences, alors l'onde . de De Broglie vide exciterait, sans
photon, le LCG et, contrairement aux prédictions de la CIQM,
produirait des effets observables réels (voir figure 11), ce qui établirait
directement l'existence des « ondes pilotes ».
Si, par contre, les anticoïncideiices entre PMi et PM2 se maintiennent,
on peut alors franchir une étape nouvelle car seul un photon de T W peut
induire un paquet de deux photons dans le LGT : cette paire de photons
étant à son tour subdivisée par un miroir M2 identique à Mi.
A cette étape, on est ramené au montage expérimental de Martinelli et
Gozzini car nous nous trouvons dans la situation décrite par le figure 13
où le miroir semi-transparent M2 induit trois subdivisions
indépendantes (dénotées a), b) et c)).

b) c)
Figure 13

II y a des vues contradictoires dans la littérature sur l'action d'un


miroir M2 sur des paires successives de photons. Sur la base de l'idée que
les photons se comportent indépendamment dans les paquets d'ondes
incidents et que chaque photon a une probabilité indépendante 1/2 de

58
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

passer dans les RW ou le TW de M2, on trouve Pa = Pi, = 1/4 et Pt. = 1/2.


Cette vue inexacte contredit à la fois l'expérience et les prédictions de la
statistique de Bose-Einstein. En effet, sur cette base, Dirac a prédit que
l'on doit avoir Pa = Pb = P« = 1/3 : un résultat qui montre que les
photons ne sont pas indépendants dans la statistique de Bose-Einstein.
De plus, l'expérience faite par Martinelli et Gozzini suggère fortement
que l'on a bien Pa = Pb = Pc = 1/3. En effet, la prédiction Pa = Pb = 1/4,
Pc =1/2 fournit la prédiction 1 600 ± 600 dans leur montage, alors que
l'expérience donne 1 070 ± 30, parfaitement compatible avec Pa = Pb =
P«. = 1/3. Si les expériences confirment ce résultat, on peut en conclure
que les paires de photons qui sortent du LGT ont une probabilité 1/3 de
produire des coïncidences entre le photomultiplicateur PM,. et la région
d'interférence (IR) de la figure 14 : région où un détecteur découvert par
Mandel et Pfleegor est construit à l'aide d'un empilement de plaques de
verre très fines (voir l'insert de la figure 14) d'épaisseur égale à la moitié
de la longueur d'onde des photons incidents. Ces plaques sont disposées
de telle sorte que tout photon tombant sur des plaques impaires est
enregistré sur le photomultiplicateur PM*, alors que les photons qui
apparaîtraient sur les plaques paires seraient enregistrés sur PMb. 11 en
résulte que 1/3 des paires sortant du LGT produisent des coïncidences
entre PMi et un des photomultiplicateurs PM* ou PMb.

Figure 14

59
Jean-Pierre Vigier

Le principe de l'expérience proposée consiste à analyser le taux des


coïncidences observées entre PM,.. PM\ et PMb. Deux résultats
parfaitement contradictoires sont théoriquement possibles.

A. Conformément aux prédictions de la C1QM, aucun effet


d'interférence ne devrait être observé, c'est-à-dire que le taux des photons
recueillis par PM\ et PMb devrait être égal à 1. En effet, si deux photons
apparaissent en PM,.. aucun photon ne devrait être détecté en PM\ ou
PMb, alors, comme on sait maintenant qu'aucun photon n'a emprunté le
chemin Mi-B.i-IR, aucun phénomène d'interférence ne. devrait
apparaître, car le passage d'un photon dans le LGT a fait disparaître le
paquet RW.
B. Conformément à la théorie de la lumière de Maxwell (et aussi dans
le cas particulier à la SIQM); des franges d'interférence devraient au
contraire être observées, ce qui signifie que le taux des coïncidences
observées devrait être différent de 1 car on a pour le rapport, des
intensités I (RW) = I (TW) = 1. De plus, même si les photons de IW
sont entrés dans le LGT, une onde réelle de De Broglie (ou de Maxwell)
se déplace avec RW sur la trajectoire M1-M3-IR. Ceci induit une
configuration stable d'interférences puisque la différence de parcours
M1-M3-IR moins M1-LGT-M2-M4-M5-IR est constante.
On peut en conclure que l'expérience proposée permet effectivement
de trancher entre les disciples de Bohr et ceux d'Einstein. En effet, si
l'excitation du LGT exige (d'après la C1QM) des photons réels pour
l'exciter, il en résulte qu'aucun photon n'a pu (dans notre montage)
voyager sur la trajectoire Mi-M.j-IR. donc que la détection
d'interférences (conformes à la théorie de Maxwell et à la SIQM) constitue
effectivement une contradiction décisive entre la C1QM et la réalité.
Personnellement, avec Popper, je pense que les faits donneront tort à
Bohr et verront le triomphe posthume du modèle matérialiste et
déterministe du monde défendu par Albert Einstein.

Jean-Pierre VlGlER
Institut Henri-Poincaré

NOTES ET REFERENCES

1. A. Einstein. B. Podolski and N. Rosen. Phys. Rev., n" 47. 1935. p. 777.
2. « M. Paty. Einstein. Popper et le débat quantique aujourd'hui ». Colloque Popper
à Cerisy, juillet 1981.
3. Il s'agit ici d'une boutade d'Einstein.
4. Dans l'article cité note 1. on ne considère que la position de l'impulsion. La
proposition d'utiliser le spin est due à D. Bolim. Quantum Theory, Prentice Hall. 1951.
Elle a été constamment utilisée depuis sur le plan expérimental.

60
Le matérialisme d'Einstein et Vœther de Dirac

5. L. de Broglie. Une interprétation causale et non linéaire de la mécanique-


quantique, Paris. Gauthier- Villars. 1972.
6. D. Bohm et B. Hiley. Quantum Mechanics a Half-Century Later, S. Leita-Lopez et
M. Paty (éd.). université de Strasbourg, 1975.
7. J.'-P. Vigier, Astr. Nachr.. n" 303. 1982. p. 55.
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33. A. Garuccio. V. Rapisarda et J.-P. Vigier. Phys. Lett., A90. 1982. p. 17.

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