Vous êtes sur la page 1sur 16

Littératures classiques

Les topoi du temps dans la poésie baroque


Véronique Adam

Citer ce document / Cite this document :

Adam Véronique. Les topoi du temps dans la poésie baroque. In: Littératures classiques, n°43, automne 2001. Le temps au
XVIIe siècle. pp. 11-25;

doi : https://doi.org/10.3406/licla.2001.1564

https://www.persee.fr/doc/licla_0992-5279_2001_num_43_1_1564

Fichier pdf généré le 18/02/2020


w

Véronique Adam

Les topoi du temps


dans la poésie baroque1

changement
tous
travers
et
médiévales
comme
humain
au
poussant
vent
molle6
distinction
confond
surcontamine
Le
moins
une
également2
est
temps
»de
un
devant
une
vie
: qui
nuage,
l’inconstance3,
reconnaître
temps
entre
ou
qui
devenue
image
s'enfle
n’est
tous
l'éternité
religieuses
».
est
fumée
le
vécu.
Les
pas
temps
permanente
les
ou
dans
«l'élément
baroques
le
À
se
topoi
ou
ampoule
divine5.
caractéristique
la
l'instar
météorologique
mouvement
brise.
:papillon.
double
chose
empruntés
du
Il
poussent
Dans
d'Augustin,
leventeuse
nourrit
changeante,
temps
de
plus
Il cette
mais
Protée4,
remplacera
essentielle
fugace,
àhumain
aux
Protée
et»,
l’extrême
évanescence
n’est
le
on«mythes
temps
alors
le
tente
tourbillon
ou
cet
temps
pas
et
partout
du
lede
que
cette
vainement
qui
air
baroque.
sans
de
caméléon7.
son
du
se
le
qui
passe,
l'antiquité,
le
réflexion
rouant
temps
mouvement.
définit
temps
inconstance
fleuve
envahit
Elle
deles
puisque
»est
Il
au
définir
définit
d'Héraclite.
sur
ou
n'existe
baroques
aux
partout
travers
leur
le«:le
C’est
il
bouteille
motus
topiques
ce
le
vers
vent
souffle
pas
temps
d'elle
etvont
«les
Le
en
au
de
le

1 Nous citerons plutôt les anthologies modernes de poésie baroque, abrégées ainsi :
G. Mathieu-Castellani, Mythes de l’Éros baroque, Paris, PUF, 1981 [MM] ; Éros baroque,
Paris, Nizet, 1986 [EB] ; J. Rousset, Anthologie de la poésie baroque française [1961], Paris,
J. Corti, 1988 [JR] ; J.-P. Chauveau, Anthologie de la poésie française du XVIIe siècle, Paris,
Gallimard, 1987 [JC] ; J. Serroy, Poètes français de l’âge baroque. Anthologie (1571-1677),
Paris, Imprimerie nationale, La Salamandre, 1999 [JS].
2 P. Ricœur, Temps et récit, Paris, Seuil, 1983, t. III, p. 23.
ou3 CircéDepuis
l'incarnent.
J. Rousset, La Littérature de l’âge baroque, Paris, J. Corti, 1954 [LB]. Protée

4 S. G. de La Roque, « Ô misérable vie... », [JS], v. 8, p. 83 : « Car le temps nous abuse


en forme d’un Protée. »
5 É. Durand, « Stances à l’inconstance », [JC], v. 19-20, p. 168 : « Le passé n’est plus
rien, le futur un nuage / Et ce qu’il tient présent, il le sent fugitif. »
6 [JR], p. 119-120 et J.-B. Chassignet, Le Mépris de la vie et consolation contre la
mort, XCVIII, [JS], v. 1-3, p. 217. La bouteille est une bulle.
7 J.-D. Du Perron, « Temple de l’Inconstance », [JC], p. 72-74.

Littératures Classiques, 43, 2001


12 Véronique Adam

Tout se change et rechange en un même instant.

Il n’est rien qui ne soit gouverné par le vent.


Le seul vent nous dispose, et au lit nous accable ;
Du vent nous recevons le beau temps désirable,
Et la fâcheuse pluie encore plus souvent.8

Le temps baroque ainsi marqué par l'inconstance et associé au vent pèse sur
toutes les représentations : il bouleverse la topique des âges de la vie sans égard
pour la chronologie humaine ; il s'attaque aux temps mythologiques qu'il inscrit dans
un cycle perpétuel. Mû par ce temps, le poète croit percevoir sa fixité, tente de le
figer un instant ou de lui donner d'autres visages moins évanescents. Mais derrière
eux, c'est encore l'inconstance qu'il découvrira.

Les âges de la vie


Le corps humain vit et meurt dans le mouvement. Cette représentation baroque
. Renaissance9
de la mort s’oppose
: aux figures du gisant bienheureux et immobile de la

Les morts et les mourants pêle-mêle étendus


Y sont [...] confondus [...].
Ici l’autre tout pâle est un mort qui remue ;
Et lorsqu’on voit tomber tous ces spectres mouvants,
On ne discerne plus les morts et les vivants [...],
Parmi la pourriture on voit grouiller les vers.10

Le grouillement des « vers » seconde les spasmes de l’agonie, « mort qui remue »
ou « spectres mouvants ». La confusion des vivants et des morts naît de ce
tremblement généralisé. Leur ressemblance n’est pas propre aux charniers : elle
marque la finitude du corps humain.
Ce paradoxe du vivant déjà mort et du mort vivant naît d’un topos, celui du puer
senex11 que les baroques convoquent pour en détourner le sens. Certes, telle femme
conserve sa beauté malgré le temps :

La beauté qui te suit depuis ton premier âge


Au déclin de tes jours ne veut pas te laisser ;
Et le temps, orgueilleux d’avoir fait ton visage,
En conserve l’éclat et craint de l’effacer.12

8 M. Papillon de Laphrise, « Si l’amour... », [JS], CLXXXVI, v. 4-8, p. 105-106.


9 Dès le dernier Ronsard, [LB], p. 98.
10 G. de Scudéry, « La Peste », [JR], t. II, p. 148.
11 E.R. Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin [1956], Paris, Presses
Pocket, 1991, p. 176-186.
12 F. Maynard, « La Belle Vieille »,[JC], v. 49-52, p. 158.
Les topoi du temps dans la poésie baroque 13

Mais l’image du puer senex se fait souvent plus grave : l’homme sent en lui la mort
qui rôde. Il reprend au vieillard sa lucidité et son aspect :

Je m’ennuie de vivre, et mes tendres années


Gémissant sous le faix de bien peu de journées
Me trouvent au milieu de ma course cassé.13

Radicalisant le memento mori, le poète voit sous le corps jeune poindre la


pourriture :

Chéitf, que deviendrai-je ? Un vase de fiente,


Un pot de pourriture, infect de puanteur,
Aveugle, pauvre, nu, inconstant, et menteur.14

La corruption morale et physique du corps offre pour seule sagesse au jeune homme
la certitude de sa mort. L’être est le néant : l’homme ne se définit plus comme
vivant ou mort mais comme un néant sans existence :

Mais ne me vois-je pas ainsi qu'une ombre blême ? [...]


Non, non, je suis plutôt en ma douleur extrême,
Un mort vif, un vif mort, ou plutôt le rien même :
Car le rien, corne on dit, est malheur des malheurs.15

L'«ombre blême », évanescente, hésite entre pâleur et noirceur de l'être et divise le


martyr en deux états contraires. Elle crée une antithèse à la cohésion si parfaite que
chaque terme est interchangeable : mort vif ou vif mort. Les âges de la vie
complémentaires dans le topos médiéval se détruisent l'un l'autre. Les temps
heureux de la vigueur juvénile ou de la lénifiante vieillesse sont ignorés, la
hiérarchie des âges gommée :

L’enfance incontinent meurt devant la jeunesse,


L’adolescence fait la jeunesse mourir,
La virilité fait au monument courir
L’âge d’adolescence où l’amour nous oppresse,

La virilité cède à la morne vieillesse,


La mort fait le surgeon de vieillesse tarir,
Le jour du lendemain le jourd’hui fait périr,
Tant la fuite du temps et la suite se presse.16

13 J. de Sponde, « Stances de la Mort », [JS], v. 7-1 1, p. 149.


14 J.-B. Chassignet, « De la misère de l’homme .. », [JS], p. 219.
15 A. de Vermeil, « Muzain », Poésies, Genève, Droz, 1976, v. 5-9, p. 78.
16 J.-B. Chassignet, U Mépris, LXV, [JS], v. 1-8, p. 214.
14 Véronique Adam

Succession destructrice des âges et des jours, le temps répète les souffrances et les
morts. Comme le corps humain, chaque âge contient en lui sa négation :

L’enfance n’est sinon qu’une stérile fleur,


La jeunesse qu’ardeur d’une fumière vaine,
Virilité qu’ennui, que labeur, et que peine,
Vieillesse que chagrin, repentance et douleur.17

L'existence est une succession stérile de moments fragiles, de générations avortées,


de douleurs constantes. Larme, fleur et fumée sont autant d’images de la fugacité de
ces âges agonisants. La juxtaposition des âges fait réapparaître le mouvement :
« passer d’un âge à l’autre est s'en aller au change18 ».
La poésie amoureuse confond de même vie et mort, vieillesse et jeunesse,
confusion salvatrice contre le mépris de la belle indifférente :

Le lieu de mon repos est une chambre peinte,


De mil os blanchissants et de têtes de morts. [...]
Et ma beauté paraît horrible dans les os.19

D'Aubigné dépasse le genre des vanités : la mort de la belle n'est plus suggérée mais
exposée et reprise par le décor. L’amant à son tour se vieillit :

Mon être soit hiver [...].


Ainsi comme le temps frissonnera sans cesse, [...]
Ainsi hors de saison une froide vieillesse
Dès l’été de mes ans neige sur mes cheveux.20

Il accélère le cours du temps, confond âges de la vie et saisons : la vieillesse désirée


sait calmer le feu de la jeunesse :

Mon chef blanchit dessous les neiges entassées, [...1


Fondez, neiges, venez dessus mon cœur descendre
Qu’encore il ne puisse allumer de ma cendre
Du brasier, comme il fit des flammes autrefois.21

Subtile alchimie des images, les vers inscrivent dans le corps de l'amant les attributs
imagés de la neige et du feu, réservés ailleurs à la femme ou au couple antinomique
des amants, et le lieu commun de l’hiver identique au vieillard. La froideur et l'eau

17 Ibid., v. 1-4, LIII, p. 214.


18 Ibid., v. 9, p. 214.
19 Le Printemps, I, v. 49s <7., dans A. d’Aubigné, Œuvres, Paris, Gallimard,
« Bibliothèque de la Pléiade », 1969, p. 274-275.
20 Ibid., v. 117-124, p. 276.
21 A. d’Aubigné, L’Hiver, I, v. 13-18, ibid., p. 373. L’Hiver s’oppose au Printemps,
œuvre de jeunesse.
Les topoi du temps dans la poésie baroque 15

de la neige éteindraient le feu amoureux. Les libertins retiennent l'opposition de la


vieillesse et de l’amour. Le vieillard est déjà un mort et s'oppose à la jeunesse :
« vieux spectre d'ossements », « tronc de nerfs et d'os22 », il est un homme sec.
« L'âge [lui] a séché les humeurs », son sang est toujours « froid comme glace »,
comme figé. S’il n’est pas sec, le vieillard est malade et se répand alors en
« caterre23 », avec des « yeux chassieux ». Le dessin de l’hiver reprend ces motifs :
froid, sécheresse ou « caterre » envahissent le paysage. Mais le tableau de l’hiver
s’achève sur une supplique : qu'il fasse renaître la maîtresse mourante. Le temps
destructeur donne comme Saturne la vie.
Chaque représentation d’un moment du temps associe ce paradoxe au
mouvement : la description des quatre saisons, souvent réduites aux affres de l’hiver
qui fige et au printemps qui fait tout renaître, est caractéristique de la relation entre
ces deux traits du temps. Pour Saint-Amant, le printemps commence avec le Zéphyr
et s’achève sur un paradoxe : le monde « ne renaît au printemps que pour mourir
d’amour ». L’été naît de la « bride » lâchée « aux lumineux chevaux », de la terre
qui « pantelle », confondant le « vase natal » et « l’ume qui se fend ». L’hiver voit
ses cheveux blancs éparpillés par les vents et cache sous sa robe les crimes de la
terre. L’automne, protégé des « rudes aquilons » par « l’ambroisie » de l’immor¬
talité, confond cependant le « printemps et l’été » plutôt que la vie et la mort24.
Chassignet vieillissant dans une succession de morts, d’Aubigné tendu vivant
vers la mort comme le vieil hiver de Théophile toutefois capable de ressusciter, les
saisons renaissantes montrent deux visions du temps, répétition du même événement
(la mort) ou possibilité d'une renaissance ; fusion de deux moments contraires
(vie/mort). Cyclique, il sait aussi fixer en un point deux moments séparés. De cette
rencontre naît une temporalité mêlant la roue à l’instant, le cycle mobile au point
fixe.

Le temps du phénix
La rencontre est constante dans les douleurs amoureuses qu'illustrent certains
mythes. Le phénix, à ce titre, est exemplaire du travail accompli sur un motif assez
banal. Il figure l’amour, l’être aimé ou l’amant. Quel que soit son visage, il sert de
référence à tous les autres mythes qui reprennent le ballet de vie et de mort, le temps
cyclique et la relation fusionnelle de l’oiseau et de sa semence. Chacun de ses âges
contient la naissance et la destruction du phénix. S'il montre la puissance de
l’amour, il s'inscrit dans un cycle :

22 Th. de Viau, Pyrame et Thisbé, dans Œuvres complètes, éd. G. Saba, Paris/Roma,
Nizet/Dell'Ateneo, 1978-1984, vol. II, v. 63, 427, 423, 425.
23 « Contre une vieille », op. cit., p. 352.
24 Saint-Amant, «Le Printemps des environs de Paris», «L’Été de Rome»,
« L’Automne des Canaries » et « L’Hiver des Alpes », [JS], p. 358-361.
16 Véronique Adam

Car le Soleil qui dessus lui rayonne,


Produit un ver de ce morceau cendreux,
D'un ver un œuf et de cette semence
Est engendré beaucoup plus lumineux
L'oiseau qui prend de sa mort sa naissance.25

Tout est continu, même les phrases. L'oiseau, uni au soleil et au ver, à l'étoile des
cieux et à l'ouvrier de la terre, lie le haut et le bas, la vie et la mort. Le vers
précédent confond même son « berceau » et sa « bière ». Chaque âge est une forme
de vie capable de créer toutes les vies possibles : « ver », « morceau », « cendre »,
« œuf » et « semence ». La répétition est amplifiée par le refrain du chant royal,
« L'oiseau qui prend de sa mort sa naissance », où coïncident et se succèdent le
temps de la vie et le temps de la mort. Si le phénix est identifié à la femme aimée, il
est immortel, n'engendre rien : il est unique et étemel :

Comme cet univers de tout temps n’a porté


Qu’un seul rare Phénix, qui mourant renouvelle,
Ainsi de tous côtés la terre universelle
Ne porte que vous seule unique de beauté.26

Du Bartas préférant la figure du Christ donne justement au phénix « un âge égal au


long âge du monde ». Pour lui il faut « mourir tous en Adam pour puis renaître en
Christ27 ». Ce temps est linéaire : l'homme va vers Dieu. Puis il se transforme en
temps cyclique : le Christ est la résurrection. Le phénix, s'il figure l’amant, soit est
immortel et s’affranchit du temps, soit renaît ou meurt sous le regard féminin :

Crains-tu point le pouvoir des ans et de la Mort ?


Non : car si quelquefois je meurs par leur effort,
Aussitôt je retourne en ma forme première.28

Ton bel œil, mon soleil, à qui j’ose m’offrir,


Me tue incontinent, et puis me ressuscite.29

Le phénix inscrit dans sa métamorphose toutes les formes de temps dans un temps
cyclique. Plus généralement, le cycle accompli par le phénix va de pair avec la roue
de la fortune. Il est associé à la métamorphose qui marque l’ ambiguïté du phénix : il
ressuscite toujours mais son état présent est fugace. La roue de la fortune oscille
entre ces deux états :

25 P. de Marbeuf, « Le Phénix », Psaltérion chrétien, Rouen, J. Le Boulanger, 1618,


p. 31.
26 A. Jamyn, « Comme cet univers.. . », [MM], v. 1-4, p. 203.
27 Du Bartas, « Le Cinquième jour », [JS], v. 551-599, p. 50-51.
28 Ph. Desportes, Les Amours de Diane, [MM], p. 218.
29 J. Bemier de La Brousse, « L’Oiseau miraculeux », [MM], v. 13-14, p. 202.
Les topoi du temps dans la poésie baroque 17

L’an comme un cercle rond, qui tout en soi retourne,


En soi même revient toujours en mouvement,
Et du point de sa fin reprend commencement,
Courant d’un pied glissant, qui jamais ne séjourne.
Ma peine en est ainsi, peine hélas trop cruelle ! [...]
Comme l’An, par sa fin elle se renouvelle.30

Le mouvement du temps s’ajoute à la coïncidence de la fin et du recommencement.


C’est moins la vie humaine qui s'y inscrit que la souffrance, identifiée au temps.
Cette distinction subtile autorise les poètes à distinguer deux temps : un amour ou
une souffrance étemels, un corps voué à une destruction certaine : ce sont les deux
motifs de la mort du Phénix en feu, perdant son enveloppe primitive pour renaître tel
qu’en lui-même31. Si la roue du temps règle notre vie, il naît sous les traits de la
fortune :

Il est vrai qu’ici bas tout change on peut changer ;[...]


On peut tomber d’un trône et puis y remonter ;
Je sais qu'insolemment la fortune se joue
Et qu’un branle étemel doit agiter sa roue.32

Le mouvement du temps cause les tourments humains, mais il est bien réversible
comme le phénix.

Les temps phénixiens


Ce temps cyclique de la vie humaine inscrit les mythes dans un étemel retour : à
l’origine, Prométhée fait échapper l’homme à la mort et lui offre l’éternité33. Les
baroques ignorent ce but et l'inscrivent comme les autres damnés dans un temps
cyclique. Le tourment n’a de sens que répété à l’infini. Le mythe du phénix assure la
renaissance de l’oiseau mort. L’impossibilité de mourir est aussi constitutive des
autres mythes : la vie étemelle ou la souffrance replacent le martyr dans sa position
initiale. Durand réunit tous les mythes de ces condamnés suppliciés et les inscrit
dans ce temps cyclique. Violentés, ils servent surtout de comparant : leur châtiment
se répète, comme la torture de l’amant. À celle-ci s’ajoute un supplice répétitif mais
plus horrible encore, propre au martyre de l’amour : si, comme l’amant, Ixion
« [tournant] toujours attaché de cent chaînes [...] ne [revoit] plus l’autrice de [ses]
peines », l’amant, lui, la voit toujours. Prométhée « de [son] poumon [paît] une aigle
affamée » ; l’amant « [a] plus que [lui] de renaissantes morts34 ». Sa vie reprend les

30 Ph. Desportes, « Le cours de l’an », Les Amours d’Hippolyte, Paris, Droz, 1960,
v. 1 à 8, p. 64.
31 [MM], p. 151-152, Prométhée souffre de ne pouvoir mourir.
32 G. de Scudéry, « L’Amant libéral », [LB], p.59.
33 [MM], p. 138.
34 É. Durand, « Ombres... », [MM], v. 1 sq., p. 107.
18 Véronique Adam

mythes en amplifiant la répétition du supplice. L’adverbe « toujours » et le préfixe


« re » envahissent les vers. Les mythes sont tous inscrits dans ce temps phénixien.
Bonheur ou malheur sont rythmés par la même temporalité. Ainsi, à l’extrême
opposé de Y éros violent, les rêveurs apaisés, comblés par leur maîtresse, par un dieu
qui laisse voir son visage, réécrivent aussi les mythes en fonction de ce temps :
Théophile cache au milieu d'un parc Narcisse — non ce héros narcissique et promis
à une mort certaine, mais un Narcisse-fleur renaissant à chaque printemps et
s’offrant aux soupirs d’Écho :

[II] voit là tous ses appas renaître. [...]


La nymphe qui lui fait la cour,
Le voit là tous les ans revivre.
[On] permet parfois au Zéphyre,
De la mener à son amant.35

Le même vent instable réunit ici le couple. Or cette résurrection mythologique


revient dans le récit de la naissance de Louis XIV, car les mythes phénixiens, placés
sous le signe d'un soleil éclatant, flambeau des dieux ou œil éblouissant de la
femme, peuvent aussi désigner des amours plus heureuses sous la lune — temps
cyclique s’il en est — , puisque celle-ci a enfanté le jeune roi (Lucine préside aux
accouchements). Elle est un phénix et convoque les motifs du mythe et du temps
baroques, la coïncidence de la vie et de la mort :

Son croissant, neuf fois son tombeau,


A neuf fois été son berceau,
Son lit natal, son lit funèbre.36

Les âges de la vie sont aussi pris dans ce cycle infini. Le père et le fils se confondent
harmonieusement. Le temps historique est une longue succession des mêmes
individus : elle-même semblable à la lune, « fille et mère de soi-même », Marie est
« une vierge qui enfante son père37 », Jésus est « père et fils de Marie », de même
que Louis avait « la moitié du visage du Père et tenait l'autre moitié de la Mère38 ».
Les paradoxes du temps du phénix qui mêle sans heurt vie et mort, père et fils,
espoir et désespoir, fugacité et éternité inversent aussi le mythe du dieu du temps.
Saturne se nourrit de tous ses enfants pour se régénérer :

35 La Maison de Sylvie, VI, v. 45-59, dans Th. de Viau, Œuvres poétiques, éd. G. Saba,
Paris, Bordas, « Classiques Garnier », p. 320.
36 G. Du Bois-Hus, La Nuit des nuits [. . .], éd. A. Poli, Bologne, 1967, v. 329&sq.
37 Ibid, v. 1914.
38 Ibid., p. 271.
Les topoi du temps dans la poésie baroque 19

Ce Dieu qui dévore les morts


Afin de nourrir son grand corps.39

Pour les baroques, le phénix, tel le pélican se dévorant pour nourrir ses enfants40, se
suicide pour du sang de sa plaie créer son enfant :

Je serais un Phénix renaissant de moi-même


Qui d'un bec furieux ouvrirais mon sein blême.41

Ainsi Saturne conserve ses traits primitifs mais se rapproche du phénix : dévoration
de soi ou des siens, Saturne renaît de la mort comme le phénix mort, le don de vie se
confond avec le don de mort, le cycle est perpétuel.

Une fixité mobile


Syncrétiques, les baroques dépassent ce cycle lucrétien où rien ne naît de rien ni
ne va au néant. Si les suppliciés subissent ou accomplissent sans fin les mêmes
gestes, leur fixité est aussi récurrente. Chacun est enchaîné à un objet fixe : la roue
compte autant que les liens qui les retiennent. Leur histoire montre le mouvement du
temps oscillant entre omniprésence et fugacité :

Garrotté à l'envers aux jantes d'une roue,


Tu te fuis, tu te suis, maudissant tes amours ;
Quand tu finis ton rond tu commences ton cours,
Tourbillon étemel du destin qui se joue.42

La roue part en vrille dans ce tourbillon, emblème de la vie humaine43. Le paradoxe


naît de l’ ambiguïté de cette situation : garrotté, Ixion se fuit. Le bouleversement de
l’être augmente dans l'inversion du corps. Le seul repère fixe se réduit aux attaches,
à la roue ou au roc : Prométhée « contre un roc de rigueur [languit] attaché44 » ;
l’ amant-Sisyphe pousse son rocher et y est accroché : « Je suis roulé, je roule le
rocher45. » Cadavres et charniers ont la même attirance pour cette fixité alliée au
mouvement :

39 P. de Marbeuf, « À Mgr l'évêque de Metz », Recueil de Vers, Rouen, Du Petit Val,


1628, p. 4. L'image de Saturne revient alors dans la peinture selon E. Panofski, Saturne et la
mélancolie [1964], Paris, Gallimard, 1989, p. 346-347.
40 Horapollon, « Le Phénix », Dictionnaire des mythes littéraires, Paris, Éd. du Rocher,
1988, p. 1121.
41 A. de Vermeil, « Sonnet », v. 12-14, p. 1 18.
42
43 A. den.Vermeil,
Voir 6. « Muzain », v. 1-4, p. 51.

44 A. Jamyn, « L’autre jour que... », [EB], v. 14, p. 278.


45 J. Blanchon, « Ni celui-là qui... », [MM], v. 12, p. 109 : la variante de ce vers («
Je
suis roué et je roule ») insiste sur le cycle.
20 Véronique Adam

Et
Sa son
peauventre
sanglante
attaché
était
auxcousue
vertèbres
avecdu
sesdos
os
Sans entrailles semblait [...].
L’on voyait au profond de ses larges ulcères
Ses veines, ses tendons, ses nerfs et ses artères.46

Les ligaments (couture, attache, nerfs, tendons) s'obstinent à lier ce qui se délie. Le
corps se décompose sans perdre ses liens.
Le lien immuable est paradoxal : il fixe un corps changeant. Il perdure dans le
temps tout en ne l'arrêtant pas. Le mythe de Méduse revisité promet fixité et
stabilité. Son regard offre le repos étemel, bouclier contre les armes du temps, le
change, le supplice et la mort :

Que n’ai je vu Méduse au lieu de son visage !


Las ! Je serais exempt du tourment qui m’outrage
M’ayant changé en roc où la mort ne peut rien.47

L’immobilité naît encore du roc, souvent mêlé à l’onde, eau en mouvement, figure
du change et surtout minéralisée, pierreries ou cristal. Domptée en une fontaine, elle
crée une mobilité immobile et rappelle l’autre visage baroque48 :

De mouvement en mouvement se transformant,


En sorte qu’immobile en apparence dans le cristal mobile
La fontaine semble de forme en forme toujours changer.49

L'eau est moins l'image du temps qui fuit que du temps enfin figé :

Arrête ce flot et contrains ce courant


À demeurer tranquille comme un lac [...].
Ce morceau de
Consolide-le et glace
cristallise-le
brillantdans
[...] ton vers
Pour en faire un miroir durable
Et que ta rime immortelle
Fasse ce bref point de temps
Remplir l’hémisphère de la ronde éternité.

46 Auvray, « Promenade de l’âme dévote », [JR], t. II, p. 138-139.


47 S. La Roque, « Niobé. . . », [EB], v. 9-11, p. 297. Cf. F. Birague, [EB], v. 1-8, p. 296 :
« Renais, renais encor, Méduse monstrueuse, / Et transforme en rocher par ton regard
hideux / Ce mien corps transformé [...]. »
48 Le paon selon J. Rousset.
49 Barberini Maffeo, [LB], p.154.
Les topoi du temps dans la poésie baroque 21

Le point du temps se gonfle et « se transforme en sphère », figure du globe terres¬


tre50. Le temps de cette « ronde éternité » n’est accessible que dans un jeu de
miroir : la répétition temporelle, la résurrection de la matière ou de la torture sont
changées pour la mimèsis de la forme sur l’onde. En figeant le temps et l’onde dans
ses vers, le poète parvient à fixer l’instant. L’eau figée, le cristal des vers lui
permettent d’atteindre ce but.

Le langage et le temps : le même et l’autre


Dès lors, en regard du temps qui passe, l’écriture est une Méduse figeant le
temps. En témoignent les dédicaces ou tombeaux qui promettent l’immortalité.
L'écriture est un cycle : « la voix imprimée » doit « publier jour et nuit cet œuvre
glorieux51 ». Théophile promet à l’hiver, s’il accepte de remonter le cours du temps
et de ressusciter celle qu’il aime, que « le Ciel lira [son] nom et que sa louange ira /
plus loin que la dernière année52 ». Le poème d’éloge est alors une anti-vanité qui
gomme la fuite du temps. L’empire sur le temps devient total si l’écriture devient
onde : Du Bois-Hus lui fait saisir la mobilité et l’immobilité du temps en un cycle
infini. Sa fontaine trace à la fois une fleur de lys et le nom de Louis. On y relit la
description de la roue d’Ixion (qui se fuit, qui se suit), mais le supplice est
transformé en un plaisir visuel sans douleur ; la rondeur est une renaissance :

Il écrit avec l'eau [...] et forme une écriture


Qui demeure toujours et ne fait que couler. [...]
Voir un lys que cet élément
Fait et défait chaque moment,
Sans le ravir à l'œil [...] sa matière fuit
Sans sortir de lui-même,
Et le fuyant sans cesse incessamment le suit.53

Le langage avec le nom assure la continuité du temps et sa circularité. Il autorise le


changement en sauvegardant le même élément et devient un point de repère
immuable sur la roue du temps. L'onde ressemble à ce nom, elle figure le cours
perpétuel de l’humanité et sépare le passé du présent :

Mais tu ne verras rien de cette onde première


Qui naguère coulait ; l’eau change tous les jours,
Tous les jours elle passe et la nommons toujours
Même fleuve et même eau, d’une même manière.

50 A. Cowley, cité dans G. Poulet, Les Métamorphoses du cercle, Paris, Flammarion,


1979, p. 85.
51 G. Du Bois-Hus, op. cit, v. 3460-3461. La naissance du roi.
52 Th. de Viau, « Contre l’hiver », v. 140-144, dans Œuvres poétiques, éd. citée, p. 49.
53 G. Du Bois-Hus, op. cit, v. 4246-4260 et 4269-4274.
22 Véronique Adam

Aussi l’homme varie [...],


Le nom sans varier nous suit jusqu’au trépas, [...]
Et combien qu’aujourd’hui celui ne sois pas
Qui vivais hier passé, toujours même on me nomme.54

L’éternité du nom ignore ces fractures du temps. La question de l’identité de l’eau,


identique par son nom à « l’onde première » et différente (elle a changé), est récur¬
rente. Du Bartas se la pose pour le phénix : celui qui naît est-il le même que celui
qui meurt ?

Presque en même moment de ce cendreux monceau


Naît un ver, puis un œuf, et puis un autre oiseau,
Ainçois le même oiseau qui né de sa semence [se fait]
Nourrice, nourrisson, hoir, fils, et père et mère.55

L’épanorthose « ainçois » montre le trouble du temps : la question de l’identité du


phénix trace une chronologie nouvelle. Il faut choisir entre une vision du temps
linéaire et une vision cyclique. Seul le nom résout cette ambiguïté : le mot
« oiseau » désigne comme le nom de l’eau, le même être, et derrière le mot
« nourrice » se cache le « nourrisson ».
La fascination pour l'écriture et le nom ne suffit pas à tous : les victimes du temps
ou d’amour souffrent de lire leurs peines. Leurs vers sont moins un moyen de figer
le temps, qu’un objet à fuir pour survivre. Ils sont le temps : Sponde leur parle et leur
reproche de se torturer en l’absence de sa belle :

Il faut [...] mourir et par nécessité


Qu’à la fin votre hiver succède à votre été.

L’hiver évoque la fin de leur vie comme de leurs « fureurs » pour la belle. Le froid
des vers s’oppose au feu du poète. Sponde se sépare d'eux :

Mes feux tout au rebours y trouvent aliment


Mourez, mourez, mes vers, puisque c'est votre envie,
Ce qui vous sert de mort me servira de vie.56

La scission permet une renaissance : l’amour du rêveur est étemel. Mais le singulier
raccourci de ces vers fait de l’être une image du phénix ou du temps qui se nourrit
de la mort. Godard fait explicitement le lien entre ses pensers et les gestes du temps,
ogre mobile et figé : « Le temps toutes choses mange et [ce] sont eux qui mangent
mon temps57 ». À cause d'eux, l’amant « ne bouge et [va] partout ». Le logos,

54
56
55
57 J.-B.
Du
J. deBartas,
Godard,
Sponde,
Chassignet,
« La
Le
« Élégie
Pensée
Cinquième
Le Mépris,
»,», [JS],
[JS],
jour
V,p.p.[JS],
»,147
184.
[JS],
v. 5-12,
et 148.
v. 590-599,
p. 212. p. 50-51.
Les topoi du temps dans la poésie baroque 23

langage, création ou pensée, est un symbole du temps qui suit pas à pas le baroque,
perdurant par-delà et avec le « branle étemel ».

La cire et le fil : deux images du temps


Ce qui peut recueillir ce langage sert alors à répéter les mêmes constats sur la
mobilité immobile du temps et à le figurer : plus souvent que l’onde ou les vers, la
cire du sceau est une métaphore privilégiée de ce temps.
Les noms (lettres liquides, nom originel ou vers) sont immuables et les matières
se transforment en se décomposant (cendres ou pourriture), en tourbillonnant ou en
se figeant (l’ onde-pierre), la cire figure le changement perpétuel des formes comme
la pérennité de la matière. Prise dans un temps répétitif et cyclique, elle montre que
le nom n’est pas seul à perdurer :

Quiconque a remarqué comme une seule masse


De cire peut changer cent et cent fois de face
Sans croître ni décroître, il comprend aisément
De ce bas univers l’assidu changement.
La matière du monde est cette cire informe
Qui prend sans se changer toute sorte de forme. [...]
Rien n’est ici constant [...]
Mais la seule matière immortelle demeure [...]
Sans que le vol du temps l’accroisse ou diminue,
Immuable d’essence et muable de front.58

La cire, alliage de mouvement et de métamorphose, fascine les baroques : de forme


mobile, elle reste cire, fondue ou non59. En comparant le corps à un morceau de cire,
les premiers baroques désignent la mobilité des formes et la continuité de l’essence
humaine, cette « matière immortelle », l'âme. En nommant « matière » ce qu’il y a
de plus immatériel et de moins palpable, on le matérialise en un objet fuyant en
apparence et solide dans son essence. D’autres remarquent même la similitude de la
cire, de la sueur et du sang, christiques ou non. Tous trois fondent sous l’effet du feu
et marquent une présence divine, miraculeuse et chaleureuse60. De même dans les
poèmes cire
comme amoureux,
au feu de
la beauté
son amour
féminine
extrême.
suffit» àLa
faire
cirefondre
matérialise
l’amant
l’éternité
fasciné comme
: « il fond
la

métamorphose, l'âme et le corps.


Une vision moins dualiste emprunte la bougie du tableau des vanités pour
évoquer la mort ou le temps qui passe. La fugacité effrayante de la cire efface sa
pérennité. Les multiples façons d’éteindre une bougie ressemblent aux images du

58 Du Bartas, « Le Second jour », [JR], 1. 1, p. 34.


de59l’illusion.
R. Descartes (Méditations métaphysiques, Paris, Vrin, 1978, p. 30) y voit l’instrument

60 J. de La Céppède, « Cette rouge sueur. . . », [JS], XXXIX, p. 63.


24 Véronique Adam

temps61. Le vent «la fait couler soudainement» ou «l’éteint d’un subit


soufflement ». Le feu du phénix causait sa propre fin et la bougie se détruit, « sa
clarté cause son brûlement ». Elle est marquée par le temps : la belle « sur le vert de
la cire éteindra ses ardeurs ». La cire verdâtre est replacée dans le cadre de la vanité
et précède justement « l’huile » d'un tableau ternissant sa couleur62.
Comme Descartes, les derniers baroques voient dans la cire la marque de la
corruption et de l’apparence trompeuse. Déchargée de l’emprise du temps humain,
elle montre la dégradation des mœurs et du temps présent : les courtisans hypocrites
ont une « âme de cire et de boue63 ». L’âme de la belle indifférente « est une âme de
cire, matière à toute forme incapable d’élire, changeant de passion aussitôt que
d’objet64 ». Le cire est à l'âme ce que le fard est au visage. A cette transmutation
s’en ajoute une autre. Théophile65 voit l’homme comme un mixte d’air et de boue66.
Évanescente comme le vent, la cire est plus visible, palpable et donc trompeuse.
La cire est parfois remplacée par une autre métaphore du temps humain, le fil des
Parques. Il reprend ses visages. Il est tout souvent présent dans les poèmes d’éloge,
car la filature des Parques est un signe d’élection : les « jouets du Temps et des
Parques » s'opposent aux âmes bien nées pour qui elles « N'ont jamais rien fait
d'excellent / Comme le fil des années [de ces âmes]67. » La Parque préférerait se
sacrifier plutôt que de tuer le héros :

Car pour ne t’empêcher de vivre,


La Parque aurait voulu mourir.68

Elle se confond le plus souvent avec la figure du temps faucheur : on insiste alors
davantage sur le heurt du fil et de « l’acier », ciseau de Parque ou faux du temps69.
Cette confusion de la vie, de la Parque et du fuseau pousse le poète à faire l’ouvrage
de la Parque. Il arrache ses dents, ses yeux ou ouvre son estomac70, s’attaque au
corps de sa maîtresse-bourreau en « brisant » les rideaux de sa couche, secondés par
« les trois sœurs infernales », substituant aux Parques les Furies71. À rebours, la
maîtresse est une Parque et surgit avec ses « tenailles », séparant en deux le corps de

61 J.-B. Chassignet, op. cit., XL, [JS], v. 9, p. 213.


62 J. de Sponde, [JS], p. 151.
63 Th. de Viau, Œuvres poétiques, éd. citée, « Ode au prince d’Orange », V, v. 28, p. 22.
64
65 F. traduit
II Malherbe,
le Phédon
« Aux Ombres
de Platon.
de Damon », [JS], p. 124-125.

66 Th. de Viau, op. cit., « Satyre première », I, v. 5, p. 126.


67 T. L’Hermite, « À Claire Eugénie », Vers héroïques, v. 34-35 et 75-76.
68 Th. de Viau, op. cit., « Au prince d’Orange », I, v. 161-162, p. 27.
69 A. d’Aubigné, Œuvres, éd. citée, p. 275 {Le Printemps, I, v. 81-88) et p. 242 (Les
Tragiques, « Jugement », v. 1 144).
70 Ibid., p. 212sq. {Le Printemps, « Stances »).
71 Ibid., p. 284 (« Stance IV », v. 79-81).
Les topoi du temps dans la poésie baroque 25

l’amant72. Ce démembrement73 du corps suit la description des morts que leurs liens
unifiaient. Le fil se cachait peut-être déjà dans leur présence.
Comme la cire, le fil marque la longueur de la vie comme sa fugacité et sa
corruption : le fil de l’araignée se substitue au tissu des Parques. « L’areigne
venteuse ourdit [...] une toile poudreuse74-. » Tous les caractères du temps réap¬
paraissent : sa fugacité, sa roue (la toile) et son alliance avec le vent. Le corps
humain cache en lui un cloaque : l’araignée « en filant son ordure use toute sa vie et
ne fait rien qui dure75 ». La fragilité du fil ne marque pas la vanité de l’ouvrage : le
« fil de soie76 » ou le fil des cheveux77 sont le signe des jours heureux, où le
printemps renaît sans fin, dans un temps cyclique et non plus linéaire. Celui qui tisse
donne au fil sa nature, Parque, araignée ou homme.

Le temps baroque consiste avant tout en une réécriture de mythes plus anciens
remodelés pour illustrer son obsession du cycle, du change, de la coïncidence des
contraires (vie et mort, point fixe et roue mobile), son attachement aux matières
paradoxales et fugaces. Au gré des vers, la vie se lit comme un combat de quatre
figures obsédantes : le temps, la mort, l’amour et l’homme. Qui gagne ?

Les morts reprendront vie, et les Rois passeront,


Disait Amour hautain, mes traits demeureront
Dans le plus pur éclair des âmes immortelles.
Il est vrai, dit la Mort ; je le confesse aussi,
Disait Mars grommelant. [...]78

L'amour ? Ailleurs, c’est la mort qui gagne :

La vie est une table où pour jouer ensemble


On voit quatre joueurs : le temps tient le haut bout
Et dit « passe » ; l’amour fait de son reste et tremble,
L’homme fait bonne mine et la mort tire tout.79

Véronique Adam
Université de Toulouse-Le Mirait

72 Ibid., p. 280 («Stance III », v. 8-9).


73 Signes d'un diaérétisme : selon G. Durand (Les Structures anthropologiques de
l'imaginaire [1960], Paris, Dunod, 1985), c’est la volonté de tout diviser dans une certaine
représentation du temps.
74 F. Malherbe, « Larmes du sieur Malherbe », [JS], v. 59-60, p. 1 19.
75 Th. de Viau, op. cit., « Élégie à une Dame », v. 101-102, p. 105.
76 Th. de Viau, op. cit., « Ode à Philis », v. 81, p. 66.
77 Tristan rêve d’y perdre la vie. « Les Cheveux blonds », Amours ; « La Gloire », Vers
héroïques.
78 A. de Vermeil, « Sonnet », v. 9-14, p. 98.
79 Les Tablettes de la vie et de la mort.

Vous aimerez peut-être aussi