Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Adam Véronique. Les topoi du temps dans la poésie baroque. In: Littératures classiques, n°43, automne 2001. Le temps au
XVIIe siècle. pp. 11-25;
doi : https://doi.org/10.3406/licla.2001.1564
https://www.persee.fr/doc/licla_0992-5279_2001_num_43_1_1564
Véronique Adam
changement
tous
travers
et
médiévales
comme
humain
au
poussant
vent
molle6
distinction
confond
surcontamine
Le
moins
une
également2
est
temps
»de
un
devant
une
vie
: qui
nuage,
l’inconstance3,
reconnaître
temps
entre
ou
qui
devenue
image
s'enfle
n’est
tous
l'éternité
religieuses
».
est
fumée
le
vécu.
Les
pas
temps
permanente
les
ou
dans
«l'élément
baroques
le
À
se
topoi
ou
ampoule
divine5.
caractéristique
la
l'instar
météorologique
mouvement
brise.
:papillon.
double
chose
empruntés
du
Il
poussent
Dans
d'Augustin,
leventeuse
nourrit
changeante,
temps
de
plus
Il cette
mais
Protée4,
remplacera
essentielle
fugace,
àhumain
aux
Protée
et»,
l’extrême
évanescence
n’est
le
on«mythes
temps
alors
le
tente
tourbillon
ou
cet
temps
pas
et
partout
du
lede
que
cette
vainement
qui
air
baroque.
sans
de
caméléon7.
son
du
se
le
qui
passe,
l'antiquité,
le
réflexion
rouant
temps
mouvement.
définit
temps
inconstance
fleuve
envahit
Elle
deles
puisque
»est
Il
au
définir
définit
d'Héraclite.
sur
ou
n'existe
baroques
aux
partout
travers
leur
le«:le
C’est
il
bouteille
motus
topiques
ce
le
vers
vent
souffle
pas
temps
d'elle
etvont
«les
Le
en
au
de
le
1 Nous citerons plutôt les anthologies modernes de poésie baroque, abrégées ainsi :
G. Mathieu-Castellani, Mythes de l’Éros baroque, Paris, PUF, 1981 [MM] ; Éros baroque,
Paris, Nizet, 1986 [EB] ; J. Rousset, Anthologie de la poésie baroque française [1961], Paris,
J. Corti, 1988 [JR] ; J.-P. Chauveau, Anthologie de la poésie française du XVIIe siècle, Paris,
Gallimard, 1987 [JC] ; J. Serroy, Poètes français de l’âge baroque. Anthologie (1571-1677),
Paris, Imprimerie nationale, La Salamandre, 1999 [JS].
2 P. Ricœur, Temps et récit, Paris, Seuil, 1983, t. III, p. 23.
ou3 CircéDepuis
l'incarnent.
J. Rousset, La Littérature de l’âge baroque, Paris, J. Corti, 1954 [LB]. Protée
Le temps baroque ainsi marqué par l'inconstance et associé au vent pèse sur
toutes les représentations : il bouleverse la topique des âges de la vie sans égard
pour la chronologie humaine ; il s'attaque aux temps mythologiques qu'il inscrit dans
un cycle perpétuel. Mû par ce temps, le poète croit percevoir sa fixité, tente de le
figer un instant ou de lui donner d'autres visages moins évanescents. Mais derrière
eux, c'est encore l'inconstance qu'il découvrira.
Le grouillement des « vers » seconde les spasmes de l’agonie, « mort qui remue »
ou « spectres mouvants ». La confusion des vivants et des morts naît de ce
tremblement généralisé. Leur ressemblance n’est pas propre aux charniers : elle
marque la finitude du corps humain.
Ce paradoxe du vivant déjà mort et du mort vivant naît d’un topos, celui du puer
senex11 que les baroques convoquent pour en détourner le sens. Certes, telle femme
conserve sa beauté malgré le temps :
Mais l’image du puer senex se fait souvent plus grave : l’homme sent en lui la mort
qui rôde. Il reprend au vieillard sa lucidité et son aspect :
La corruption morale et physique du corps offre pour seule sagesse au jeune homme
la certitude de sa mort. L’être est le néant : l’homme ne se définit plus comme
vivant ou mort mais comme un néant sans existence :
Succession destructrice des âges et des jours, le temps répète les souffrances et les
morts. Comme le corps humain, chaque âge contient en lui sa négation :
D'Aubigné dépasse le genre des vanités : la mort de la belle n'est plus suggérée mais
exposée et reprise par le décor. L’amant à son tour se vieillit :
Subtile alchimie des images, les vers inscrivent dans le corps de l'amant les attributs
imagés de la neige et du feu, réservés ailleurs à la femme ou au couple antinomique
des amants, et le lieu commun de l’hiver identique au vieillard. La froideur et l'eau
Le temps du phénix
La rencontre est constante dans les douleurs amoureuses qu'illustrent certains
mythes. Le phénix, à ce titre, est exemplaire du travail accompli sur un motif assez
banal. Il figure l’amour, l’être aimé ou l’amant. Quel que soit son visage, il sert de
référence à tous les autres mythes qui reprennent le ballet de vie et de mort, le temps
cyclique et la relation fusionnelle de l’oiseau et de sa semence. Chacun de ses âges
contient la naissance et la destruction du phénix. S'il montre la puissance de
l’amour, il s'inscrit dans un cycle :
22 Th. de Viau, Pyrame et Thisbé, dans Œuvres complètes, éd. G. Saba, Paris/Roma,
Nizet/Dell'Ateneo, 1978-1984, vol. II, v. 63, 427, 423, 425.
23 « Contre une vieille », op. cit., p. 352.
24 Saint-Amant, «Le Printemps des environs de Paris», «L’Été de Rome»,
« L’Automne des Canaries » et « L’Hiver des Alpes », [JS], p. 358-361.
16 Véronique Adam
Tout est continu, même les phrases. L'oiseau, uni au soleil et au ver, à l'étoile des
cieux et à l'ouvrier de la terre, lie le haut et le bas, la vie et la mort. Le vers
précédent confond même son « berceau » et sa « bière ». Chaque âge est une forme
de vie capable de créer toutes les vies possibles : « ver », « morceau », « cendre »,
« œuf » et « semence ». La répétition est amplifiée par le refrain du chant royal,
« L'oiseau qui prend de sa mort sa naissance », où coïncident et se succèdent le
temps de la vie et le temps de la mort. Si le phénix est identifié à la femme aimée, il
est immortel, n'engendre rien : il est unique et étemel :
Le phénix inscrit dans sa métamorphose toutes les formes de temps dans un temps
cyclique. Plus généralement, le cycle accompli par le phénix va de pair avec la roue
de la fortune. Il est associé à la métamorphose qui marque l’ ambiguïté du phénix : il
ressuscite toujours mais son état présent est fugace. La roue de la fortune oscille
entre ces deux états :
Le mouvement du temps cause les tourments humains, mais il est bien réversible
comme le phénix.
30 Ph. Desportes, « Le cours de l’an », Les Amours d’Hippolyte, Paris, Droz, 1960,
v. 1 à 8, p. 64.
31 [MM], p. 151-152, Prométhée souffre de ne pouvoir mourir.
32 G. de Scudéry, « L’Amant libéral », [LB], p.59.
33 [MM], p. 138.
34 É. Durand, « Ombres... », [MM], v. 1 sq., p. 107.
18 Véronique Adam
Les âges de la vie sont aussi pris dans ce cycle infini. Le père et le fils se confondent
harmonieusement. Le temps historique est une longue succession des mêmes
individus : elle-même semblable à la lune, « fille et mère de soi-même », Marie est
« une vierge qui enfante son père37 », Jésus est « père et fils de Marie », de même
que Louis avait « la moitié du visage du Père et tenait l'autre moitié de la Mère38 ».
Les paradoxes du temps du phénix qui mêle sans heurt vie et mort, père et fils,
espoir et désespoir, fugacité et éternité inversent aussi le mythe du dieu du temps.
Saturne se nourrit de tous ses enfants pour se régénérer :
35 La Maison de Sylvie, VI, v. 45-59, dans Th. de Viau, Œuvres poétiques, éd. G. Saba,
Paris, Bordas, « Classiques Garnier », p. 320.
36 G. Du Bois-Hus, La Nuit des nuits [. . .], éd. A. Poli, Bologne, 1967, v. 329&sq.
37 Ibid, v. 1914.
38 Ibid., p. 271.
Les topoi du temps dans la poésie baroque 19
Pour les baroques, le phénix, tel le pélican se dévorant pour nourrir ses enfants40, se
suicide pour du sang de sa plaie créer son enfant :
Ainsi Saturne conserve ses traits primitifs mais se rapproche du phénix : dévoration
de soi ou des siens, Saturne renaît de la mort comme le phénix mort, le don de vie se
confond avec le don de mort, le cycle est perpétuel.
Et
Sa son
peauventre
sanglante
attaché
était
auxcousue
vertèbres
avecdu
sesdos
os
Sans entrailles semblait [...].
L’on voyait au profond de ses larges ulcères
Ses veines, ses tendons, ses nerfs et ses artères.46
Les ligaments (couture, attache, nerfs, tendons) s'obstinent à lier ce qui se délie. Le
corps se décompose sans perdre ses liens.
Le lien immuable est paradoxal : il fixe un corps changeant. Il perdure dans le
temps tout en ne l'arrêtant pas. Le mythe de Méduse revisité promet fixité et
stabilité. Son regard offre le repos étemel, bouclier contre les armes du temps, le
change, le supplice et la mort :
L’immobilité naît encore du roc, souvent mêlé à l’onde, eau en mouvement, figure
du change et surtout minéralisée, pierreries ou cristal. Domptée en une fontaine, elle
crée une mobilité immobile et rappelle l’autre visage baroque48 :
L'eau est moins l'image du temps qui fuit que du temps enfin figé :
L’hiver évoque la fin de leur vie comme de leurs « fureurs » pour la belle. Le froid
des vers s’oppose au feu du poète. Sponde se sépare d'eux :
La scission permet une renaissance : l’amour du rêveur est étemel. Mais le singulier
raccourci de ces vers fait de l’être une image du phénix ou du temps qui se nourrit
de la mort. Godard fait explicitement le lien entre ses pensers et les gestes du temps,
ogre mobile et figé : « Le temps toutes choses mange et [ce] sont eux qui mangent
mon temps57 ». À cause d'eux, l’amant « ne bouge et [va] partout ». Le logos,
54
56
55
57 J.-B.
Du
J. deBartas,
Godard,
Sponde,
Chassignet,
« La
Le
« Élégie
Pensée
Cinquième
Le Mépris,
»,», [JS],
[JS],
jour
V,p.p.[JS],
»,147
184.
[JS],
v. 5-12,
et 148.
v. 590-599,
p. 212. p. 50-51.
Les topoi du temps dans la poésie baroque 23
langage, création ou pensée, est un symbole du temps qui suit pas à pas le baroque,
perdurant par-delà et avec le « branle étemel ».
Elle se confond le plus souvent avec la figure du temps faucheur : on insiste alors
davantage sur le heurt du fil et de « l’acier », ciseau de Parque ou faux du temps69.
Cette confusion de la vie, de la Parque et du fuseau pousse le poète à faire l’ouvrage
de la Parque. Il arrache ses dents, ses yeux ou ouvre son estomac70, s’attaque au
corps de sa maîtresse-bourreau en « brisant » les rideaux de sa couche, secondés par
« les trois sœurs infernales », substituant aux Parques les Furies71. À rebours, la
maîtresse est une Parque et surgit avec ses « tenailles », séparant en deux le corps de
l’amant72. Ce démembrement73 du corps suit la description des morts que leurs liens
unifiaient. Le fil se cachait peut-être déjà dans leur présence.
Comme la cire, le fil marque la longueur de la vie comme sa fugacité et sa
corruption : le fil de l’araignée se substitue au tissu des Parques. « L’areigne
venteuse ourdit [...] une toile poudreuse74-. » Tous les caractères du temps réap¬
paraissent : sa fugacité, sa roue (la toile) et son alliance avec le vent. Le corps
humain cache en lui un cloaque : l’araignée « en filant son ordure use toute sa vie et
ne fait rien qui dure75 ». La fragilité du fil ne marque pas la vanité de l’ouvrage : le
« fil de soie76 » ou le fil des cheveux77 sont le signe des jours heureux, où le
printemps renaît sans fin, dans un temps cyclique et non plus linéaire. Celui qui tisse
donne au fil sa nature, Parque, araignée ou homme.
Le temps baroque consiste avant tout en une réécriture de mythes plus anciens
remodelés pour illustrer son obsession du cycle, du change, de la coïncidence des
contraires (vie et mort, point fixe et roue mobile), son attachement aux matières
paradoxales et fugaces. Au gré des vers, la vie se lit comme un combat de quatre
figures obsédantes : le temps, la mort, l’amour et l’homme. Qui gagne ?
Véronique Adam
Université de Toulouse-Le Mirait