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Revue d'histoire et de philosophie

religieuses

Le Traité pratique d'Évagre le Pontique


Evagre le Pontique, Traité pratique ou le Moine, Introduction, édition critique
du texte grec, traduction, commentaire et tables par Antoine et Claire
Guillaumont, Sources chrétiennes nos 170 et 171, Paris, Cerf, 1971
Jean-Michel Hornus

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Hornus Jean-Michel. Le Traité pratique d'Évagre le Pontique. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 55e année
n°2,1975. pp. 297-301;

doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1975.4271

https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1975_num_55_2_4271

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LE TRAITÉ PRATIQUE D'EVACRELE PONTIQUE*

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Evagre
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lutte
des
vie
Il

Avec Evagre s'accomplit une rencontre étonnante entre la culture


hellénique et la sagesse fruste des moines égyptiens, entre la théologie
savante et l'extrême simplicité de la plupart de ces derniers. A. Guillau-
mont avait déjà fourni une interprétation d'ensemble de la pensée
évagrienne en partant du traité le plus théorique de sa trilogie théologique,
les Chapitres gnostiques (Voir notre c.r. dans RHPR, 44, (1964), pp.
433-436). Le Traité qui est publié aujourd'hui est au contraire le plus
concret, comme son nom l'indique assez, encore qu'il ne faille pas faire
de contre-sens sur la signification du terme employé. Ce Traité pratique
est celui qui doit guider les premiers pas du moine entrant dans la vie
ascétique. Mais les deux volumes que nous présentons veulent être le
début d'une édition des œuvres complètes d'Evagre. Aussi l'Introduction
embrasse-t-elle l'ensemble des problèmes que pose cette œuvre.

Pour pouvoir utiliser sérieusement un écrit, il faut être sûr de son


texte, il faut comprendre celui-ci au niveau de l'expression, il faut enfin
le replacer dans le contexte général du courant de pensée où il se situe.
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établi une édition critique du texte grec. Outre les cinq MSS donna
le texte intégral, elle utilise les trois qui réduisent la « Centurie »
90 chapitres (tout comme chacune des six centuries des Képkala
et les dix-sept qui présentent des choix divers. Elle s'est aussi efforcée
retrouver les fragments qui font partie de florilèges ascétiques et
citations d'Evagre qui se trouvent chez d'autres auteurs. Dans
domaine, personne ne peut prétendre être exhaustif. Mais que l'enquê
ait été poussée jusque-là est significatif du caractère systématique qu'e
a revêtu. Si la version latine de Rufin est perdue, on a conservé tr
versions syriaques, une version arabe, une arménienne et une géo
gienne. C'est A. Guillaumont qui les a minutieusement étudiées
a fourni les indications souvent précieuses qu'elles pouvaient appor
pour l'établissement du texte grec. Mme Guillaumont reprend l'ensemb
dans un stemma rigoureux. Elle met en évidence l'existence de deux tra
tions, chacune homogène, remontant toutes deux au Ve siècle et ne différ
l'une de l'autre que sur une dizaine de points tout à fait secondair
Ne nous laissant rien ignorer des motifs de ses choix, elle arrive à l'établ
sement d'un texte qui offre le maximum de garanties. Elle établit
plus qu'il y a eu deux « éditions » du Traité pratique du vivant mê
d'Evagre. La première ne comprenait que les 90 premiers chapitres.
seconde y ajoute en fin de recueil dix chapitres qui sont des apophtegm
« paroles de saints moines >, et encadre le tout entre un prologue et
court épilogue adressés l'un et l'autre au même Anatolios. La prés
tation nouvelle ainsi adoptée pour cette seconde édition a probablem
pour objet de mettre explicitement sous la garantie des Pères du dés
une théologie savante qui éveillait déjà des suspicions. Ce n'est néanmo
pas seulement une pieuse supercherie car Evagre a effectivement v
aux Cellules avec les moines origénistes Ammonios et ses compagno
authentiques anachorètes du désert et pourtant sans doute férus d'O
gène, de Clément et même de Philon. Avec la présente édition, le Tra
est imprimé
contenu originel.
pour la première fois sous sa forme intégrale et dans

La traduction et les notes de bas de page sont l'œuvre commune


M. et Mme Guillaumont. Ils se trouvaient devant un genre littér
bien particulier puisque les « chapitres » sont en réalité des sor
d'aphorismes dont certains n'ont pas deux lignes tandis que la plup
ne dépassent en tous cas pas les dix lignes. Le 12e, qui tranche sur les aut
pair sa longueur, arrive tout juste à vingt-cinq lignes. Evagre n'est
l'inventeur de ce genre gnomique, en vogue depuis les stoïciens. M
c'est lui qui, le premier, a songé à grouper ces « chapitres > en c
turies. Son exemple sera ensuite largement suivi et l'influence d'Eva
ne sera pas sensible seulement dans la forme, mais aussi sur le f
LE TRAITÉ PRATIQUE D'EVACUE LE PONTIQUE 299

lui conservant sa vigueur et sa clarté. Mais l'extrême dépouillement du


genre signifie que chaque mot est important et qu'il faut, pour réellement
comprendre ce qui est dit, en percevoir les connotations précises et
multiples. Pour éviter le risque d'alourdir le texte lui-même en para¬
phrase, toutes les nuances de signification sont explicitées en note. On
y trouve aussi l'indication des passages parallèles d'Evagre lui-même et
d'autres auteurs dont il a pu s'inspirer. Chaque mot et chaque idée sont
serrés de près en un véritable commentaire qui court en bas de page et qui
permet au lecteur de saisir le texte sans risquer d'en manquer une richesse
ni de le comprendre à contresens.

Enfin A. Guillaumont a introduit l'ensemble du travail par une


« Etude historique et doctrinale » d'une centaine de pages. Après un
rapide rappel de la vie et de l'œuvre d'Evagre, l'essentiel de cette intro¬
duction est consacré à une étude systématique du contenu doctrinal
propre au Traité. Tout en servant de relai à des notions et des modes
d'expression qui remontent à Platon et se retrouvent chez Aristote et les
stoïciens, puis chez Philon, Origène et les Cappadociens, Evagre en
transforme ou en précise le sens. Ainsi déjà celui qui sert de titre
au Traité et qui est traduit tout simplement par « pratique » dans le
texte, encore que l'Introduction le reconnaisse comme rigoureusement
intraduisible (cf. pp. 50-51 où la difficulté est bien située et la note 1
de la p. 51 indiquant que la solution à laquelle on s'est arrêté d'utiliser
en français le simple décalque du mot grec ne doit en aucune cas laisser
croire qu'il ait le sens habituel du mot français identique. Il en va de
même pour « physique » et « théologie », p. 498, note). Ce mot est
pris, chez Evagre comme chez Platon, dans le couple Gnose-Pratique.
Aristote au contraire préfère le couple Théorie-Pratique. Il est ensuite
bien attesté chez les autres auteurs cités plus haut. Mais jusqu'à Evagre
il signifie l'action temporelle en tant qu'elle se distingue de la contem¬
plation spirituelle. Chez lui au contraire il s'applique aux solitaires qui
ont déjà quitté le monde. Il devient le premier degré de la vie contem¬
plative et c'est dans ce sens technique nouveau qu'il est dès lors utilisé
par tous les auteurs spirituels orientaux.

Cette « pratique » est l'exercice des cinq vertus fondamentales qui


s'enchaînent l'une à l'autre : foi, crainte de Dieu, abstinence, per¬
sévérance, espérance et enfin impassibilité. Elle est aussi lutte contre
les « pensées », ce terme à son tour prenant chez Evagre un sens
nouveau. Celui qui était dans le monde était tenté par les objets. Le
solitaire, lui, sera tenté par les pensées et, dans le contexte du Traité,
les pensées prises absolument sont donc presque nécessairement de
mauvaises pensées (dans tout le Traité, le terme n'est pris en bonne
part qu'en quatre endroits : aux chapitres 30, 33, 58 et 80 où il est
employé deux fois). A chacune de ces pensées correspond un démon,
un esprit mauvais qui y est en quelque sorte spécialisé. Mais on peut
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les rattacher à huit catégories principales : gourmandise, forn


avarice, tristesse, colère, acédie, vaine gloire et orgueil. Cette
des huit (pensées, démons ou vices) a une importance considérable
pensée d'Evagrre et pour la suite de l'histoire des doctrine spir
Elle est par exemple reprise par Cassien et se trouve à l'origin
conception occidentale des péchés capitaux.

Parmi les tentations, une seule n'a pas un sens obvie pour
spécialiste, l'acédie, terme qui doit d'ailleurs lui aussi sa fo
Evagre. C'est « un état d'âme particulier, intimement lié... à l
vie anachorétique » p. 86). Ce « démon de midi » est celui qui p
moine dans la torpeur et la rêvasserie. Il ne faut pas, chez Ev
confondre avec la simple paresse à laquelle il a été identifié
Moyen-Age occidental. Si chaque tentation a son démon, cependa
le Traité la démonologie est très concrète : « Les démons inspi
pensées, et... celles-ci... déclenchent en nous les passions » (p.
veulent ainsi empêcher le moine d'atteindre à l'impassibilité (άπ
terme de la « pratique ».

Lorsque le moine aura atteint un niveau supérieur et sera


un gnostique, alors d'autres démons l'attaqueront au niveau de
lect pour le détourner de la contemplation. Mais ce dernier niveau
le cadre du Traité. L'impassibilité au contraire en constitue ré
le centre au point qu'on pourrait aussi bien lui donner comm

Jérôme
« De l'impassibilité
le cite dans sa
», lettre
qui est
133.semble-t-il
Il est d'ailleurs
le nom intéressant
sous lequd

que Jérôme n'a jamais dénoncé Evagre pour les erreurs origé
proprement parler mais seulement au sujet de cette doctrine de
sibilité. Il y discerne avec raison une forte influence stoïcienne.
si le mot était déjà couramment utilisé par les auteurs chrétien
Evagre, c'était presque toujours en référence à Dieu seul. Il
été que très rarement appliqué à l'homme et toujours avec une p
extrême. Le seul prédécesseur d'Evagre sur ce point, et qui l'a dire
influencé, est Clément d'Alexandrie, lui-même tributaire du s
par l'intermédiaire de Phiilon (sur la dépendance et l'originalité de
par rapport au stoïcisme, voir pp. 101-103). Contrairement à
devanciers cependant, Evagre ne conçoit pas l'impassibilité co
suppression de l'irascibilité (thumos) et de la capacité de désirer
mia). Au contraire, comme le corps dont elles dépendent, ces partie
me ont elles aussi un rôle à jouer dans l'impassibilité. Chez
l'impassibilité, propriété de Dieu, était proposée à l'homme
qu'idéal d'une similitude avec Dieu. Chez Evagre à l'opposé,
sibilité présuppose un corps, mais libéré des passions. Pour lui le
LE TRAITÉ PRATIQUE D'EVACUE LE PONTIQUE 301

réalité cette impassibilité n'est d'ailleurs pas une ligne frontière entre

pratique et gnose. Elle recouvre au contraire un vaste domaine com¬

mençant dès l'entrée dans la pratique et y constituant déjà le début de

la gnose. L'impassibilité de l'homme est une impassibilité en progrès.

La critique de saint Jérôme y voyant un pélagianisme avant la lettre

n'est donc pas entièrement fondée. D'autant qu'Evagre accorde aussi à la

charité-agapè, entendue en son sens authentiquement chrétien, une

large place dans la vie du moine.

Il n'en demeure pas moins que, tout en reconnaissant l'authenticité

de l'expérience monastique d'Evagre, la finesse de sa psychologie et ses

emprunts certains à la tradition chrétienne antérieure, son œuvre se

caractérise surtout par l'influence massive de la culture païenne de son

temps. Telle qu'elle est, et avec tous les problèmes qu'elle pose, cette

œuvre constitue une étape essentielle de l'histoire de la pensée ascétique

tant en Occident qu'en Orient. Si les dogmaticiens n'ont sans doute pas

eu entièrement tort de s'alarmer de son contenu, l'historien de la vie

religieuse doit pour sa part y attacher la plus grande importance. Aussi

ne saurait-on être trop reconnaissant à M. et Mme Guillaumont pour la

splendide contribution qu'ils apportent aujourd'hui ensemble à la

connaissance
fut essentielle.d'un auteur dont la pensée est fascinante et dont l'influence

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