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Raison présente

Spinoza face à quelques textes d'origine marrane


Henry Méchoulan

Citer ce document / Cite this document :

Méchoulan Henry. Spinoza face à quelques textes d'origine marrane. In: Raison présente, n°43, Juillet – Août – Septembre
1977. Spécial Spinoza. pp. 13-24;

doi : https://doi.org/10.3406/raipr.1977.1884

https://www.persee.fr/doc/raipr_0033-9075_1977_num_43_1_1884

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Spinoza face à quelques textes

d'origine marrane

Henry Méchoulan

et
textes
d'en
Avant
d'origine
définir
que del'acception
marrane,
tenter lapeut-être
confrontation
par rapport
conviendrait-il
àde lala communauté
pensée
de de
préciser
Spinoza
juive
ce etd'Amsterdam.
dernier
de quelques
terme

Le mot marrane, dont l'étymologie arabe est aujourd'hui pratiquement cer¬


taine, exprime la prohibition et a qualifié les juifs de la Péninsule ibérique
convertis au catholicisme (1). En effet, après le choix de 1492 imposé par
Ferdinand et Isabelle entre l'exil ou la conversion, nombreux furent les juifs,
en Espagne puis au Portugal, qui simulèrent des pratiques catholiques tout
en essayant d'observer la loi de leurs pères dans le plus grand secret, de moins
en moins fidèlement d'ailleurs en l'absence d'enseignement religieux. Selon la
formule de Gebhardt, « le marrane est un catholique sans foi et un juif sans
connaissances, mais un juif qui se veut tel ». C'est pourquoi il est contradictoire
de parler de marranisme hollandais car, dès lors qu'un marrane a réussi à
gagner Amsterdam, la Jérusalem du Nord, il cesse de jouer au catholique pour
professer
temps espérée.
la religion de ses ancêtres et reprendre une identité religieuse long¬

Mais les retrouvailles avec la foi ancestrale ne s'opéraient pas toujours aisé¬
ment. Certains marranes appréhendaient leur judaïsme à travers une problé¬
matique chrétienne à laquelle se mêlait parfois, de manière contradictoire
d'ailleurs, une certaine tradition sadducéenne qui, comme on le sait, niait l'im¬
mortalité de l'âme ainsi que les châtiments et les récompenses dans l'autre monde.
Le principal souci des sadducéens était l'observance de la Loi et leur rejet
de la résurrection correspondait à leur attachement à la vieille conception du
« schéol » dont nous parlerons plus avant. Cette tradition s'associait parfois

religion
ces
à uneâmes
vision
imposée
déchirées.
d'inspiration
par la violence
stoïciennemais
et servait
qui n'en
à faire
avait
pièce
pasà moins
l'oppression
déteintd'une
sur

13
HENRY MECHOULAN

La meilleure preuve de cette approche ambiguë est sans


spirituel d'Uriel da Costa. En effet, le salut de l'âme et le
sont les premières inquiétudes de ce personnage au destin t
déchirement interne s'ajoutait parfois la division des famille
particulièrement frappant est celui de Daniel Levi de Barr
en Espagne, farouche détracteur de Spinoza à Amsterdam,
l'orthodoxie juive, dont les deux sœurs étaient nonnes dans
gnol.

ciens
Onmarranes.
ne peut oublier
Aussi que
il nous
Spinoza,
a semblé
philosophe
intéressant
juif, était
non issu
seuld

l'attitude de Spinoza face à quelques textes d'origine marran


mais encore de voir comment l'un des représentants les plu
communauté juive d'Amsterdam juge la pensée de Spinoza.
révélateur d'une attitude qui éclairera davantage la rupture
conséquences dans le Traité théologico-politique. Notre prop
ques aspects de la mentalité des dirigeants de la communau
également pour objet de mettre en évidence qui, de Spinoz
marranes, est, à certains égards, le plus proche des sources d
cela nous montrerons à l'aide de quelques points de doct
l'esprit biblique qui pèse sur des conceptions fondamentales
Spinoza sans que l'on puisse parler toutefois d'une causalité li
cien Testament et l'œuvre du philosophe.
Examinons pour l'instant deux textes, l'un marrane, l'aut
rane. Le premier est l'ouvrage de Pérez de Montalbân : Sanso
reno (3). Cette pièce de théâtre, qui retrace l'aventure de Sa
pas, et de loin, exclusivement historique. La transposition e
idolâtres et les Espagnols papistes se faisait naturellement po
pensée marrane est une pensée nécessairement secrète qui
d'artifices pour faire passer, à l'aide d'un choix d'œuvres ré
« conversos », un message de colère, de fierté et d'espérance
qui animeront les juifs hollandais capables, eux, de les exprim
dans le cadre rigide d'une nouvelle orthodoxie. Samson, le ju
toutes les vertus que la chrétienté lui refuse depuis ses siècl
fidèle à son Dieu. Les juifs ont leurs héros, leurs martyrs, e
d'Amsterdam n'est pas la dernière informée des autodafés p
des plus importants a lieu à Cordoue en 1655, et toute la J
en portera le deuil. Le Samson de Pérez de Montalbân, c
marrane qui monte au bâcher, ce qui prouve que les princip
sont loin d'être énervants (4). Et mieux encore, cette éminent
que décrit Pérez de Montalbân et qui ne semble pas toucher Sp
est reconnue par un très grand nombre de penseurs réfor
surtout anglais. Dès les premières années du xvir siècle, un trè
SPINOZA ET QUELQUES TEXTES MARRANES

espérances chrétiennes convergent toutes vers Amsterdam d'où l'on attend des
réponses et des précisions. Je n'en veux pour preuve que le texte d'Edward
Nicholas, publié à Londres en 1648, et intitulé Apologie pour la noble nation
des juifs
Dieu a faites
(6) : «par
Je dois
la bouche
également
de ses
vous
prophètes
rappeler concernant
les nombreuses
la restauration
promesses que
des

juifscieux
appartient
les dans neleur
légalement
peut
pays.
contester...
Dieu
par donation
conserve
Et outre
divine,
uncette
paysune
prophétie,
pour
propriété
son ilpeuple,
en
qu'aucun
est un
de pays
prince
nombreuses
quisous
lui

autresjuifs...
aux où les» gentils et tous les croyants seront associés aux avantages accordés

Toute la jeunesse de Spinoza a baigné dans ce climat d'attente et d'espoir


en la restauration du peuple juif dans sa première grandeur. L'Espérance
d'Israël en témoigne, œuvre de Menasseh ben Israël (7) dédiée au père de
notre philosophe, et qui figure dans la bibliothèque de Spinoza. Menasseh ben
Israël, le plus illustre représentant de l'intelligentsia juive de cette époque,
affirmait dans cet ouvrage l'imminence du rétablissement politique des juifs
en Terre Sainte. Ajoutant foi au récit d'un voyageur revenant d'Amérique,
Menasseh ben Israël relate l'existence d'une population juive antérieure à l'éta¬
blissement des Indiens dans le Nouveau Monde. Cette présence juive est fon¬
damentale car la rédemption du peuple juif ne peut s'accomplir qu'après une
diaspora universelle. C'est d'ailleurs pour permettre son accomplissement que
Menasseh ben Israël se rend chez Cromwell auprès duquel il plaide en faveur
du rétablissement des juifs en Angleterre. Menasseh ben Israël se refuse à pré¬
ciser la date de cette palingénésie mais confirme que les temps sont proches.
Si proches d'ailleurs qu'en 1642, Jacob Juda Léon, ci-devant marrane espagnol,
publiait à Amsterdam un ouvrage qui eut un vif succès, La structure du Temple,
danslivre
ce lequel
dansl'auteur
sa bibliothèque
décrivait de(8).
façon figurative ce lieu sacré. Spinoza possédait

Quelle réactions notre philosophe pouvait-il avoir devant ce bouillonnement,


cette effervescence escatologique et messianique judéo-chrétienne ? Sa phrase
dédaigneuse de la fin du chapitre III du Traité théologico-politique et le
silence qu'il oppose à la question d'Oldenburg concernant le retour des Israélites
dans leur patrie (9) nous éclairent sur cette question.
Pourtant, au plan moral, on constate pour la première fois un mouvement
d'admiration pour le peuple juif. Du côté chrétien, le fameux sonnet de Barleus
dédié
des juifs,
à Menasseh
les chrétiens
benneIsraël
sont nullement
exprime plus
oubliés.
qu'une
En tolérance
effet, Menasseh
(10). EtbenduIsraël
côté

écrira à (11).
d'Israël plusieurs
Ce n'est
reprises
doncque
pasbeaucoup
dans la haine
de chrétiens
de l'autre,
seront
des gentils,
associés que
au bonheur
Spinoza
a été éduqué puisque, rappelons-le, Menasseh ben Israël a été l'un des maîtres
de notre philosophe. Le devoir sacré des juifs ci-devant marranes avait quelque
peuhaïr
de évolué
férocement
par rapport
les autres
à celuinations.
des Hébreux
On assiste
qui, siainsi,
l'on dans
en croit
l'histoire
Spinoza,
occiden-
était

15
HENRY MECH OU LAN

taie, à un moment privilégié qui est celui d'une espé


d'universalité. Celle-ci est bien souvent confuse, certes,
des penseurs anglais (12) n'était pas celle des illumin
écrivaient à Menasseh ben Israël, pas plus que celle,
reyre (14). Mais, pour la première fois, on attendait des j
simple abjuration. Des religions différentes espéraient d
nuleraient leurs particularismes. Spinoza ne pouvait bien
crire à cette espérance fondée sur le miracle, l'interventi
dant. Peut-être pourrait-on avancer que ce climat, rendu
d'anciens marranes à l'esprit religieux mais épris d'unive
notre philosophe une réflexion sur la possibilité d'une foi
manité,
de discussions
une foi entre
qui neles
compterait
hommes depoint
bien.
de dogmes et qui

Radicalisant le platonisme servile de Menasseh be


problèmes de la pureté de l'âme tels qu'ils sont exposés d
d'Abraham Pereyra nous plonge dans une ambiance d
Vivre dans la crainte du péché et l'espérance du salut, vo
cet auteur, l'un des hommes les plus influents de la com
prisonnier des geôles de l'Inquisition. Immensément r
thrope, il va participer pendant de nombreuses années
communauté et devient « parnas » en novembre 1656. Il
fervents du faux messie Sabbataï Zévi (15).
Spinoza n'a peut-être pas lu les ouvrages de ce di
revanche, Pereyra connaît bien la pensée de Spinoza qu'il
pérer avec violence et de désigner comme le danger le plu
daïsme. Placé au centre du drame qui secoue la commun
ble que Pereyra a été l'un des instigateurs du « herem »
Il sera, l'année suivante, l'un des signataires du « herem
Juan de Prado, l'ami de Spinoza.
Pereyra, homme pieux, ne veut pas nommer le couple
c'est pourquoi il est sans doute le premier à utiliser un

de
queBarrios
le regretté
lorsque
Professeur
celui-ci Révah
stigmatisait
avait l'impiété
mis en évidence
de Spi

On peut lire, sous la plume de Levi de Barrios : « Ce sont

Or,
qui, dans
dans La
des certeza
prés («prados
del camino
») d'impiété,
(18), ouvrage
désirent
quebriller
Pereyr d

tôt après
este mundo,
le «sino
herem
tierra
» qui
estéril,
frappa
campo
Spinoza,
lleno on
de peut
abrojos
lire

lleno de serpientes venenosas. » (19) Précisons que, lors


Pereyra utilise « espinos », comme le fera plus tard Levi
celui-là voudra parler d'épines, il emploiera « espina
SPINOZA ET QUELQUES TEXTES MARRANES

Il nous faut maintenant voir comment l'homme le plus i


munauté juive d'Amsterdam exprime la pensée orthodoxe. C
rie d'abord culturellement de catholicisme et de platonisme
le premier modèle de la religion tenue comme une dangereu
Spinoza.
Si l'on médite avec le philosophe — qui n'est pas, pou

mais
faux
au salut,
Platon
biens,
cardoit
—« aimer
on
êtres'apercevra
le
tenu
monde,
par bien
lec'est
croyant
vite
étreindre
que
comme
cel'immonde
monde,
méprisab
lieu
».

de misère
la Pereyraetbaigne
la brièveté
dans une
de notre
lumière
existence
tragique
terrestre
qui a pour
livréeobje
au

Nous ne vivons pas mais nous mourons sans cesse, et pou


mort définitive, il convient d'avoir présente à l'esprit la leçon
de christianisme, puisque Pereyra nous enjoint de souffrir
ce monde pour ne pas souffrir et pleurer dans l'autre. Le
leste l'âme et la traîne, et l'âme qui est élevée pour aimer Di
dans le corps et se trouve séparée de l'amour des choses cé
fumier de la terre. Seule la pénitence peut exorciser le m
préparant l'âme aux retrouvailles avec sa patrie originelle.
tous ceux qui ne vivent pas dans la crainte du péché, l'enf

C'est sans doute parce qu'il a conscience de trahir un


mentaux du judaïsme — la joie — que l'on trouve, le temps
graphes étrangers à l'ensemble de l'œuvre, une référence à
ressemble plutôt à une récitation. Ce rappel fugace d'un t
dans l'esprit biblique, thème essentiel chez Spinoza, est par
lateur d'une méditation qui n'a pas surmonté le marranism
Pour illustrer la spécificité de la plus grande partie de la
du marranisme (20), ouvrons un instant une parenthèse. L
dont descendait notre philosophe, formaient la communau
et la plus puissante de la diaspora. Lorsqu'ils furent expulsés
tirent cette mesure comme un coup terrible car, en dépit d
dont ils faisaient l'objet, ils étaient fortement attachés à l'
cinement suscita de nouvelles spéculations qui marquèrent la
tèrent dans une direction apocalyptique. Comme l'a bien mo
souffrances de l'exil furent rattachées aux doctrines central
Dès lors, la vie fut conçue comme un exil ; les peines, l
célébrées, cultivées, et mises en relation avec le thème du

le repentir,lalacommunauté
fortement mort, l'enfer amstellodamoise.
constituèrent le centre
La nouvelle
de cette visio
méd

titue un exemple frappant de l'évolution de ce judaïsme. E


perdit beaucoup de son importance politique au profit d'un
HENRY MECHOULAN

le platonisme et dans le christianisme. Ce nouveau judaïs


était non seulement étranger à la tradition des anciens Hé
en complète contradiction avec la pensée de Maïmonide
le Messie
de choses doive
dans accomplir
le monde, des
ressusciter
signes etles
desmorts...
miracles,
Le ins
m

cours habituel. Les paroles d'Isaïe « Le loup habitera ave


thère se couchera aux pieds de l'agneau » (Isaïe 11-6)
une allégorie qui signifient qu'Israël habitera en sécurité
chants des nations païennes... « La seule différence entre
le temps du Messie est la soumission d'Israël aux Natio
Si cette vision messianique, largement rationalisée, é
pour Spinoza, comment pouvait-il considérer celle de ses c
ci, habités par une pensée que tourmentait le péché d'av
lâtrie, même en apparence, incapables de se déprendre
ambiguës, allaient jusqu'à justifier l'apostasie de Sabbataï
Lorsque Sabbataï Zévi abjura, cet événement tragique fut
confirmation de sa mission, comme le montre ce jugem
a été décrété que le Roi-Messie revêtirait des vêtemen
rendrait ainsi incognito au milieu de ses confrères juifs.
décrété qu'il se ferait marrane comme moi. » (23)
De cette vision de l'homme et du monde s'ensuive
politiques. Dans ce domaine, la critique de Spinoza aur
car ce n'est plus à l'aide d'un langage à clef que s'exprim
à une confusion habile de la doctrine de Spinoza avec
Les violentes attaques dirigées contre l'auteur du Prince
lement sur la mentalité d'origine marrane. Pourquoi, e
contre Machiavel de la part d'un membre d'une comm
se poser de problèmes politiques immédiats ? Machiavel
selon Pereyra, l'immortalité de l'âme, la rétribution et
mortem, et refusent de croire à une quelconque interv
monde. C'est au sein de la communauté juive que les lo
peau de la brebis pour mieux pervertir le troupeau, et
Machiavel qui leur tient lieu de judaïsme, écrit Pereyra.
tiques sont les sectateurs d'une religion diabolique qui ve
de la théologie. C'est cette séparation qui détermine chez P
critique car toute tentative de laïcisation apparaît comm
divinité. Et Pereyra de se lancer dans une diatribe qui fait
aux invectives de la philosophie espagnole de son temps,
de la prédication et faisant une place de choix au thème
ternelle.

Dans son second ouvrage : Espejo de la vanidad del


SPINOZA ET QUELQUES TEXTES MARRANES

xvie siècle, des penseurs, le plus souvent réformés, qui dénonçaient les abus
de la juridiction ecclésiastique et ses prérogatives. Ce parti d'hommes croyant
en foi
de l'universalité
d'avec la de
politique,
la raison
défendait
et en lala nécessité
liberté dedeconscience.
la séparation
Selon
destoute
questions
vrai¬

semblance, Pereyra ne connaissait pas la théorie des politiques et il n'avait


sûrement pas lu Machiavel. En revanche, il utilise la pensée espagnole, la plus
armée lorsqu'il
anonyme, deux s'agit
pages d'attaquer
d'un textel'impie
qui luiflorentin,
offre tous
au point
les arguments
qu'il cite, destinés
de façonà
pourfendre l'impiété de Machiavel et de ses sectateurs. Cette pudeur à citer
ses sources se comprend aisément. En effet, il ne nous a pas été bien difficile
de retrouver l'auteur qui conforte la pensée de Pereyra. H s'agit de Claudio
Clemente et de son livre intitulé El maquiavelismo degollado por la çristiana
sabiduria de Espaha y Austria (25). Ce livre est un des sommets du fanatisme
religieux espagnol et tente de prouver que toute politique indépendante de la
théologie détermine nécessairement la colère de Dieu et la perte de sa faveur.
Cet ouvrage d'une rare violence fait l'apologie de Charles IX, exalte la Saint-
Barthélemy et l'antisémitisme. On utilise donc, contre la pensée de Spinoza,
le modèle espagnol. On chante, contre lui, les louanges d'une politique fondée
sur l'Inquisition. Pour sauver le lien qui unit la politique et la théologie, on
retrouve côte à côte le persécuteur et le persécuté. Car c'est bien Spinoza qui
est visé, ne nous y trompons pas, et dans la lutte contre notre philosophe, tous
les alliés sont bons. En effet, qui d'autre pourrait être coupable des cinq abo¬
minations qu'énumère Pereyra dans son Espejo de la vanidad del mundo et
qui annulent toute possibilité de repentir ? La première est l'arrogance de celui
qui se sépare de la communauté, la seconde est la malignité qui défie l'autorité
des rabbins, la troisième est la vanité de celui qui se moque des préceptes
divins, la quatrième est l'ambition qui fait mépriser ses précepteurs et la cin¬
quième est l'obstination dans ces voies de perdition.
Mais qui, de Pereyra ou de Spinoza, est le plus fidèle aux racines bibliques
renier
qu'aucun
? Sidel'on
ces désire,
deux auteurs
comme nele veut
suggère
— àGeneviève
des plans Brykman
bien différents,
dans son
certesessai

sur La judéité de Spinoza (26) « mettre systématiquement en rapport l'œuvre de

Spinoza
dam », leavec
résultat
l'appartenance
de cette mise
du philosophe
en relationà est
la communauté
absolument négatif.
marrane Rien
d'Amster¬
dans
l'œuvre de Spinoza ne manifeste la moindre tentative de rattachement à son
ancienne famille spirituelle. Ni l'exemple aragonais analysé dans le Traité
politique (chap. VII), quelquefois avancé pour montrer que Spinoza stigmatisait

les double
espagnols
En
risiens
marranes
la
voie,Rois
effet,
d'une
victimes
Catholiques
lorsque
proclamant
dans
acception
part,ladeaux
Spinoza
fameuse
leurs
ducoupables
leur
pharisiens
terme
superstitions
fait
judaïsme
lettre
de
allusion
de
àen
pharisien
Burgh
l'expulsion
et
tant
alors
àmourant
ces
que
nedans
qu'il
bûchers,
sont
secte
(27),
pour
laserait
probants
pensée
juive,
nileur
il l'évocation
plus
ne et
foi,
de
en
parle
clair
d'autre
Spinoza
aucune
compte
que
de
despart,
parler
des
manière.
qui
bûchers
tenupha¬
ren¬
aux
de

19
HENRY MECHOULAN

fanatiques de toute religion. Soulignons également que le

plume,
gration
Spinoza réussie
va
citejusqu'à
était
des un
nier
nouveaux
chrétien
l'existence
chrétiens
d'origine.
du marranisme
(28).
Et bien plus,
espagn
S

manDevons-nous
? Certes non,pour
car autant
cette appartenance
renoncer à l'idée
peut formulée
seule expl

Zac nomme « l'impureté du Traité théologico-politique »,

rogénéité
ou
nombreux
évidence
spécial
nons
XVII
sentée
victime
exempts
undu
comme
de
denouvel
dans
quelques-unes
Traité
la
cette
exemples
de
Revue
la
un
confusion
distorsions
exemple
valeur
théologico-politique
devoir
internationale
confirment
des
de
qui
dans
sacré
arguments
historiques,
ces
illustrera
sa
difficultés
des
cette
traduction
deHébreux.
dans
Philosophie
employés
hétérogénéité.
une
de dans
le
contradictions
certaine
depassage
Madeleine
La
qui
notre
consacré
Pléiade
ne
intran
Nous
conc
con
son

à« Quant
lui de àtoute
l'étranger,
la force
lesde
juifs
leuravaient
droit national
non seulement
et de leur
la per
h

sacré de le détester férocement. » Il s'ensuit de cette tr


sait pas de quel étranger il s'agit. Spinoza, qui connaissait
l'Ancien Testament, devait avoir à l'esprit l'injonction
« Si ton frère devient pauvre et que sa main fléchisse pr
tiendras, tu feras de même pour celui qui est étranger e
le pays afin qu'il demeure près de toi », et celle du Deutéro
aimerez l'étranger, car vous avez été étrangers dans le
devoir sacré de haïr l'étranger ne concerne donc pas ceux
national. Il s'agirait de l'étranger hors les frontières. C
menace pour la sécurité de l'Etat des Hébreux, et c'est da
tique que s'exprimerait la pensée de Spinoza qui n'utilise
traneus » mais emploie « reliquas nationes ». Toutefois, en
nécessité de maintenir la sécurité nationale, l'ambiguïté
nous présente la haine comme un devoir sacré, un culte qu
à un commandement issu d'une législation que l'on ne ret
l'Ancien Testament, et encore moins aux versets 21 et 22
des
Spinoza
juifs cite
pourpour
ceux conforter
qui haïssent
son l'Eternel).
affirmation (ces versets

Ainsi donc, d'une tactique politique de défiance — «..


associées en vertu d'un traité, n'en demeurent pas moins
tre » (30) — Spinoza fait un impératif ayant force de lo
trouver dans la Bible, chez les Prophètes, et en particulier
bien que dans le Livre des Rois à propos de Naaman l
lèpre, des affirmations qui contrebattent celles de Spinoza
SPINOZA ET QUELQUES TEXTES MARRANES

resserrant des liens d'amitié avec elles, poursuivant ainsi l'ef


Cette politique d'ouverture fut même marquée par le mariage
l'une des filles du pharaon. Il est surprenant que ce soit Jose
rappelle la tolérance des Hébreux dont le grand prêtre, se
priait pour les nations et les puissances étrangères (31).
Comment rendre compte de toutes ces distorsions, ces
ambiguïtés ? A titre d'hypothèse, nous proposons une explic
compte de la rupture de Spinoza avec sa communauté. Le ca
et parfois spécieux de certains arguments pourrait avoir pou
blème d'opposition à la mentalité des juifs d'Amsterdam, m
marquée par le marranisme.
C'est donc dans une autre direction qu'il faut chercher si
un lien entre Spinoza et le judaïsme. Notre philosophe nous
dans quelle voie il faut nous engager. En effet, une lettre
burg (32) fait référence à la pensée biblique. Lorsque Spinoz
respondant que Dieu est de toutes choses la cause immane
choses sont en Dieu et se meuvent en Dieu, il rappelle les
et XV du livre I de l'Ethique, c'est-à-dire les propositions fon
tauratrices
proche de la
de pensée
toute sades
réflexion.
anciens Et
Hébreux.
cette dernière, souligne

Il n'est pas question d'affirmer que Spinoza écrivit YEt


droite en feuilletant l'Ancien Testament de la main gauche
montrerons, à l'aide de quelques points de doctrine bibliq
pour notre philosophe d'adhérer à la pensée d'origine marr
fidélité à une certaine vision du monde qui se trouve être
Hébreux.

leurs
Pour
descendants
avoir vécusubirent
pendantl'influence
des siècles de
en l'idéalisme
Espagne, lesdualiste
juifs,

de la mort que sécrétait le catholicisme espagnol et que con


nous l'avons vu, les nouvelles tendances du kabbalisme. L
était pas à sa première contamination. Rappelons que le
déjà, dès le 11e siècle avant J.-C., fait irruption dans la pensé
expliquerait que Spinoza se réfère aux anciens Hébreux. Un f
certain : à ses origines, la pensée biblique n'est pas dualiste
plus étrangère que la problématique platonicienne fondée
entre un monde des apparences et un arrière-monde valoris
réel. Dans la pensée biblique, la transcendance du Dieu cré

son le
sur immanence.
théâtre du A
monde.
preuveLelacréation
« cheTiina
du »,monde
c'est-à-dire
est unlaacte
manp

vailles d'une âme constituée par une substance radicalement

du corps
ginale.
souffle La
de avec
Dieu,
notion
sa ilmême
patrie
devient
originelle
d'âme
une prête
âme
trahissent
vivante
à confusion.
également
(« nefesh
Lorsque
'haïa
la pel
HENRY MECHOULAN

il faut comprendre le mot âme pris dans son acception

c'est-à-dire
l'idée d'une principe
pré-existence
qui anime
de l'âme,
tous celle
les vivants.
d'une réserve
Guigneber
d'â

quelque
L'homme
et âme » part
(33).
n'a l'heure
pour luide d'intérêt
s'unir à que
un dans
corps, sasont
réalité
étrangèr
viva

Il est intéressant de souligner que, dans le scolie fon


position XXVIII du livre V de l'Ethique, Spinoza utilise
oculi », expression qui se comprend bien éclairée par la
en hébreu, « du fait du non-dualisme, les passions, les f
les sensations sont rapportées aussi bien à l'âme qu'aux or
la pensée et les sentiments sont l'effet d'organes et de part

Il n'y a pas, dans la pensée biblique, survie de l'âme s


ou châtiment.
mort. Là, il s'endort
Le « schéol
d'un sommeil
» est le éternel
lieu vague
et neetseténébreux
réveille

Le « schéol » n'intéresse pas Dieu. Le séjour des morts es


Cette idée est exprimée avec la plus grande netteté dans bon
Le psaume 115 est particulièrement représentatif de cette
ciens Hébreux : « Ce ne sont pas les morts qui célèbren
aucun de ceux qui descendent dans le lieu du silence ; mai
l'Eternel dès maintenant et à jamais. » Comment ne pas
maintenant et à jamais » que le psalmiste saisit et cap
glorification de Dieu en excluant l'immortalité de l'âme
pas avoir présent à l'esprit que, chez Spinoza, l'éternité n'
que celle-là se saisit dans et par la vie, et que la vie vr
la connaissance que seule la puissance de l'entendement est
Sagesse, puissance, vertu, effort de conservation de soi son
Sylvain Zac, les commandements de la raison chez Spin
Si l'on médite quelque peu sur le sens de la Pâque,
pourrait illustrer la sagesse de l'Ethique. La Pâque est
historique, certes ; mais au-delà de la relation d'un fait, il
transparente d'ailleurs, puisque Pâque — en hébreu «
passage. Ce faisant, nous transgressons la règle spinoziste
de l'interprétation de l'Ecriture par l'Ecriture, sans beauco
il est vrai que Spinoza lui-même nous invite à le faire lor
veau Testament (35). L'Egypte représente le monde de l
certaine manière, celui des faux biens, la Terre Promise s
Mais d'une rive à l'autre de la Mer rouge, rien ne change
monde. C'est en l'homme que le changement réside. La
de la liberté n'est pas une réminiscence platonicienne et en
d'un quelconque ascétisme, mais une victoire de la lumière
SPINOZA ET QUELQUES TEXTES MARRANES

blique bien gouvernée la propriété du sol et, si possible, des maisons puisque,
selon lui, sol et maisons doivent faire partie de l'ensemble de la propriété
publique. Faut-il rappeler l'enseignement du Lévitique en la matière qui accorde
à l'homme la jouissance de la terre mais lui en refuse la propriété ? Cette terre
est partagée selon le nombre des personnes, sans distinction de rang ou de
dignité, afin que l'inégalité soit, dès le premier moment de l'établissement des
Hébreux, un objet de scandale.
La confrontation de la pensée de Spinoza avec quelques textes d'origine
marrane éclaire ces derniers. Elle précise l'aspect positif de ces textes, les sous¬
trait à l'anathème que de trop nombreux historiens du spinozisme avaient
hâtivement jeté et révèle également des attitudes odieusement négatives à
l'égard de Spinoza. Cette mise en relation jette aussi une ceraine lumière sur
l'intransparence de quelques textes du Traité théologico-politique que nous
avons tenté d'expliquer.

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pensée
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Hébreux.trahit,
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que « Spinoza était plus juif qu'il ne le pensait lui-même » (36) ? Cette affir¬
mation nous paraît beaucoup trop abrupte, même si elle recèle une part de
vérité. Il n'en reste pas moins vrai que l'on ne peut faire l'économie de l'enra¬
cinement culturel de Baruch de Spinoza si l'on veut mieux comprendre Spinoza.

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ibid. T.T.P. in Œuvres complètes, op. cit., p. 721, et Let

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(21) In Les grands courants de la mystique juive, Paris, 1950, p


(22) Ibid.,
(23) Maïmonide
p. 158.
cité par G. Scholem in Le messianisme juif, Par
(24) Amsterdam, 1671.
(25) Alcala, 1637.
(26) Paris, 1972.
(27) Sur l'exemple aragonais, voir notre article « Spinoza lecteur d
psychologie,
(28) Sur ce
revue
thème,
de psychologie
voir notre article
des peuples,
« Quelques
Le Havre,
remarques
1974, sur

théologico-politique
cré à Spinoza. » à paraître in Revue internationale de Philosoph

(29) Même
(30)
(31) Spinoza,
Les soirées
numéro
Traité
de Saint-Pétersbourg,
que
politique,
le précédent.
in Œuvres
Paris-Lyon,
complètes,
1924,op.t. cit.,
II, p.p.

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