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LA SPIRITUALITÉ
IGNATIENNE
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BIBLIOTHÈQUE SPIRITUELLE DU CHRÉTIEN LETTRÉ

LA SPIRITUALITÉ
IGNATIENNE
Textes choisis et présentés
PAR

H. PINARD DE LA BOULLAYE, S. J.

PARIS
LIBRAIRIE PLON
LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT
Imprimeurs-Éditeurs 8, rue Garancière, 6e
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NIHIL OBSTAT.
R. DO
' UINCE, S. J.
Fada a Su&erioribtis lacultate,
B. JEANNET, S. J.

IMPRIMATUR.
Lutetiœ Parisiorum,
die 6a Novembris 1943.
A. LECLERC, vie. gén.

Copyright 1949 by Librairie Plon.


Droits de reproduction et de traduction réservés
pour tous pays, y compris ru. R. S. S.
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PRÉFACE

Dieu permet parfois que certains de ses privilégiés dépensent


de façon plus ou moins folle, voire de façon coupable, les dons
éminents dont il les a prévenus. Al'heure fixée par ses décrets
éternels, il fait tomber les écailles qui couvraient leurs yeux,
leur découvre le sens de ces mystères ineffables, notre adoption
surnaturelle, notre rédemption, et embrase leur cœur, en les
amenant à comprendre les excès inouïs de bonté que trois mots
résument : la Crèche, la Croix, l'Eucharistie. Le propre Fils
du Très-Haut devenu notre frère, notre rançon, notre nourri-
ture !
Hélas ! combien de fidèles instruits de ces mystères dès leur
plus tendre enfance, dès lors avant qu'ils puissent correcte-
ment apprécier de tels prodiges, avant qu'ils soient capables
des résolutions exigées par la reconnaissance, en viennent à
considérer la Crèche, la Croix, l'Eucharistie, ou peu s'en faut,
comme choses toutes naturelles et s'accoutument à une «vie
de piété »très proche de la médiocrité ! Des égarés du phari-
saïsme, comme saint Paul, des mondains ensorcelés par la
gloire humaine, échappent à ce péril, lorsque la grâce tardi-
vement les illumine. Ils rougissent de leurs errements et brûlent
de réparer le temps perdu. Exempts de toute routine, libres
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de toute attache à l'égard des traditions d'école, fréquemment


ils se montrent aussi plus audacieux en certaines de leurs
initiatives. L'Esprit-Saint, à la conduite duquel leur générosité
s'abandonne, tourne d'ailleurs au profit de leur apostolat les
riches qualités qu'ils gaspillaient et les expériences de leur
passé.
Paul fut terrassé sur le chemin de Damas ; la conversion
d'Ignace, le blessé de Pampelune, fut plus lente; mais de lui
aussi elle fit un enthousiaste de Jésus, rêvant désormais de
souffrir pour sa cause et défiant toute épreuve de le séparer
jamais de son amour (Rm. vin, 35-39).
Paul, Ignace, deux âmes de feu. Que d'analogies les rap-
prochent !
Après avoir exposé la foi commune, —«Soit mes frères,
soit moi, voilà ce que nous prêchons, et voilà ce que vous avez
cru »(I Cor. xv, 11), —l'Apôtre osait parler cependant de «son
évangile »(II Tim. 11, 8) : c'est l'aspect spécial de la doctrine
chrétienne qu'il avait mission de faire valoir. — Bien qu'il
se fît une loi de suivre avec une docilité absolue les directives
de l'Église, «notre sainte Mère, la véritable Épouse du Christ »,
comme il se plaît à la nommer en ses Règles d'orthodoxie
[353, 365] (1), Ignace aurait pu de même parler de «sa spiri-
tualité ».
Sa spiritualité est sa manière personnelle de concevoir le
service de Dieu, l'ensemble des idées et des exercices de dévo-
tion qu'il avait mission de propager pour l'utilité d'un grand
nombre d'âmes.
Où la chercher? De quelles sources dérive-t-elle? Quels sont
les principes majeurs sur lesquels elle se règle? Quelles pra-
tiques spéciales recommande-t-elle? Quels caractères la dis-
(1) Nous indiquons entre crochets [ ] les divers paragraphes du livre des Exer-
cires, selon la numérotation adoptée dans les éditions suivantes : Exercitia spiri-
tualia, Turin, Marietti, 1928 (texte espagnol et traduction latine littérale du
R. P. RcoTHAAN) ; Exercices spirituels, Paris, A l'Orante, 1929 (trad, seule) ;
A. FEDER, Geist!. Uebungen9, Fribourg, Herder, 1940 (trad.. notes, études).
Les lettres MH désignent la collection des Monumenta historica S. J. (Madrid)
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tinguent? Que penser de sa valeur? Telles sont les questions


que nous voudrions élucider.
§ 1. Textes à consulter.
La spiritualité ignatienne se trouve condensée pour une
part notable dans les Exercices, mais pour une part seulement.
L'opuscule, en effet, est tout autre chose qu'un Manuel ou
un Précis d'ascétique et de mystique. Son titre l'exprime de
façon claire : sa méthode intégrale et l'ensemble de ses médi-
tations, eo ordine quo procedunt [20], visent un public res-
treint (1) : non des chrétiens coupables, ayant besoin d'une
conversion, mais des chrétiens d'élite, désireux d'ordonner
une bonne fois leur vie, sans se laisser influencer par aucune
tendance ou affection tant soit peu déréglée [21]. A plus d'un
égard, si richement doués qu'ils soient, ce sont là des débutants.
Pour les aiguiller vers la perfection, pour stimuler et soutenir
leur ardeur, Ignace doit évidemment insister sur certaines
idées et certaines règles qu'il estime essentielles, leur recom-
mander telles pratiques qu'il juge plus efficaces ; mais la pru-
dence lui impose de réserver certaines initiations pour d'autres
temps.
Les Constitutions qu'il a rédigées répondent à des besoins
différents : elles ont à découvrir les dernières conséquences de
ses principes, à préciser, à l'usage des supérieurs, l'esprit dont
ils doivent être animés et qu'ils doivent entretenir dans l'Ordre,
la vigueur et la discrétion dont ils doivent user selon la diversité
des cas. Elles sont donc à consulter avec soin (2).
(1) Quando Exercitia omnia tradentur, écrit-il dans ses Constitutions, raris
hominibus, vel qui de vitae suae statu leliberare velint, tradi oportehit; p. IV, c. VIII,
n. 5 E. Exercitia spiritualia plmc non niai paucis, iisque hujusmodi ut ex eorum
profectu non t'ulgaris ad Dei gloriam jructus speretur, tradenda sunt; p. VII, c. IV,
n. 8 F. — Le même avis revient fréquemment dans ses lettres; MH, S. Ignatii
epist., t. I, p. 231, 388, 4II, 471, 495, 677, etc.
(2) P. DE CHASTONAY, Les Constitutions de l'Ordre des Jésuites, Paris, Au-
bier, 1941 ; — M. MESCHLER, La Compagnie de Jésus, ses statuts et ses résultats,
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Doivent être consultées également les lettres adressées par


le saint aux personnes dont il avait assumé la direction (i), ses
instructions à ses mandataires, surtout les notes autobio-
graphiques que lui arrachèrent les instances de ses familiers
et les fragments de son journal spirituel échappés à la destruc-
tion : ces derniers documents révèlent l'intime de son âme,
ses rapports avec Dieu, le niveau qu'il avait atteint lui-même
et auquel il devait rêver de conduire ses disciples.
A consulter enfin les écrits des ascètes les plus estimés
dans l'Ordre, spécialement les lettres officielles des Généraux
chargés de veiller à la conservation de l'esprit primitif.
§ 2. Sources de la spiritualité ignatienne.
Dans ses Exercices, a-t-on dit, Ignace « a mis en œuvre
tout ce qu'avait conseillé jusque-là l'ascétisme de tous les
siècles (2) ». A coup sûr, ce ne peut être pour avoir compulsé
les traités spirituels de tous les âges. Ses études furent assez
sommaires, ses lectures peu étendues.
A Manrèse, on lui communiqua l'Exercitatoire de Cisneros.
Divers critiques ont prétendu qu'il s'en était largement inspiré
dans la rédaction de son opuscule ; mais les preuves alléguées
sont loin, très loin d'être convaincantes (3).
D'autres livres, qu'il lut à Loyola sur son lit de malade,
influèrent certainement sur sa pensée : la Légende dorée de
Jacques de Voragine, la Grande vie de Jésus-Christ de Ludolphe
le Chartreux. Le premier enflamma son ardeur, en lui révélant
des types d'héroïsme tout neufs; dans le second, compilation
Paris, Lethielleux, s. d. — Rappelons l'opuscule substantiel du Père de RAVIGNAN
De l'existence et de l'Institut des Jésuites'0, Paris, Lecoffre, 1901.
(1) P. DUDON, S Ignace de L.: Lettres spirit. choisies, Paris, 1933.
(2) J. JANSSEN, en des pages très élogieuses sur les Exercices, VAllemagne et
la Réforme, trad. E. PARIS, Paris, Plon, 1895, t IV, 1. III, c. 1, p. 402-6.
(3) A. CODINA, MH, Excrcitia, Madrid, Rivadeneyra, 1919, Prolegomena,
c. III, § 4, p, 94-123. Los origines de los Ejercicios, Barcelone, Duivn, 1926, c. xvi,
p. 169-77, 265-85.
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prolixe mais souvent très heureuse, il pouvait trouver, outre


tel appel du Christ au dévouement et à la souffrance, très
propre à l'enthousiasmer (i), nombre de principes et de recettes
ascétiques. Mais a-t-il lu l'ouvrage entier? Cet appel du Roi
Éternel, l'a-t-il connu? — Il est difficile de se prononcer.
Nous le tenons par contre de son confident, le Père Gonzalez
de Camara : le « petit Gerson », l'Imitation de Jésus-Christ,
fit ses délices ; dès qu'il l'eut découvert, à Manrèse, il ne voulut
plus d'autre livre de dévotion ; jusqu'à la fin de sa vie, après
son repas, il s'en faisait lire un chapitre en suivant ; au cours
de la journée, il en parcourait au hasard quelques lignes (2).
Faut-il conclure qu'il doive précisément à ce texte précieux
ses idées maîtresses? Ne peut-on dire plutôt qu'il le tint en si
haute estime parce qu'il y retrouvait ce que la méditation
directe de l'Évangile et les illuminations de la grâce lui avaient
suggéré?
Somme toute, cette question des dépendances littéraires,
pour intéressante qu'elle soit, est d'ordre secondaire. Pour-
quoi? — Parce que, en tout domaine, poésie, drame, spiri-
tualité ou autre, il n'est pas de génie même qui n'emprunte,
parce qu'un choix d'emprunts uniformément heureux sup-
pose déjà certains dons peu ordinaires, parce que le mérite
d'une œuvre vient surtout de son ordonnance d'ensemble,
partant de l'agencement et de la mise en valeur des éléments
ou vraiment neufs ou empruntés. En fait, aucune personnalité
puissante ne se réduit jamais à «copier »des devanciers.
La source de la spiritualité ignatienne est donc surtout
l'âme d'Ignace telle que la firent ses qualités natives, ses expé-
riences de soldat, puis d'ascète, et l'action du Saint-Esprit.
fI) La grande vie de J.-C., trad. par Dom FI. BROQUIN, 7 vol. Paris, 1870-3,
p. II, c. 11, t. IV, p. 290-306. —On ne trouvera nullement dans ce chapitre le cadre
du Règns, mais certaines idées des plus chères à s. Ignace : imitation de Jésus,
zèle exclusif de la gloire de Dieu, mérite et valeur du sacrifice de la volonté propre
par l'obéissance, etc.
(2) Mémorial du P. GONZAI.EZ, n. 97, 98, 226; MH, Scripta de s. Ignatio, t. I,
p. 200, 263. —Voyez V. MERCIER, Concorde de l'Imitât, et des Ex. spir., Paris, 1885.
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Or voici quelques traits de son caractère.


Ignace est un homme d'action, un énergique : à Pampe-
lune, « alors que tous ses compagnons étaient d'avis de se
rendre, car ils voyaient que la défense était impossible, lui
cependant apporta tant de raisons au gouverneur, qu'il lui
persuada de continuer la résistance »(i) ; blessé, traité par des
médecins malhabiles, menacé de rester boiteux, il se fait à
nouveau briser la jambe; derechef, un os s'étant superposé
sur un autre, «jugeant que cette difformité nuirait à sa per-
sonne », il exige, nonobstant le martyre qu'on lui fait prévoir,
une seconde intervention des chirurgiens.
C'est un ambitieux, avide de gloire humaine. Dans les rêves
romanesques auxquels il s'arrête de longues heures, durant
sa convalescence, il songe à tel parti auquel sa naissance ne lui
permettait pas d'aspirer : « cette dame, a-t-il avoué, n'était
pas d'une noblesse ordinaire ; ce n'était ni une comtesse, ni
une duchesse; son rang était plus élevé encore (2). » Que
son idéal se modifie ; il ne pourra davantage se contenter du
terre à terre ; il rédigera ses Exercices pour ceux qui veulent
« se signaler » au service du Roi des rois [97] ; à son neveu,
Bertrand de Loyola, il écrira : «Nos aïeux se sont signalés en
d'autres choses, et plût à Dieu que ce n'eût pas été en choses
vaines ! Pour vous, efforcez-vous de vous signaler en celles qui
ne passent pas (3) ! »Quant à lui, parce qu'il ne conçoit désor-
mais rien de plus noble, «se signaler »sera porter le renonce-
ment et le dévouement aussi loin qu'il lui sera possible, «pour
la plus grande gloire de Dieu ».
Le doit-il à son éducation militaire? —Ignace sait, en tout
cas, que pour vaincre il ne suffit pas d'avoir, comme on dit,
« des idées »; il faut user des moyens les plus efficaces. C'est
(1) E. THIBAUT, Le récit du Pèlerina, [traduction annotée de MH, Scripta de
s. Ign., t. I, p. 31-98], n. I, p. 32-3.
(2) Ibid., n. 6, p. 38.
(3) MH, S. Ignatii epis,., t. I, p. 148; P. DUDON, S. Ignace, Lettres spirituelles,
p. 67-8.
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un réaliste. Dès ses premiers essais dans le combat spirituel,


il prend note de ce qui lui réussit et pourrait être utile au pro-
chain ; il compare les résultats qu'il obtient par un procédé
ou par un autre ; instruit par ses réussites commepar ses échecs,
il ne cesse, jusqu'à l'édition définitive de 1548, de retoucher
ses Exercices, comme il retouche sans fin ses Constitutions, pour
les adapter autant que possible aux mœurs des diverses pro-
vinces de son Ordre, et sollicite, avant de les promulguer, les
observations et les critiques de tous ses profès (1).
C'est un tacticien : il s'applique à discerner les ruses habi-
tuelles de l'adversaire : il en déduit ses Règles pour le discerne-
ment des esprits [313-336], —les tactiques opposées de Satan
et du Christ : il les caractérise de façon très ferme dans sa
méditation des Deux étendards [142, 146], —et la tactique de
l'Église, en qui Jésus se survit : il s'en inspire pour rédiger ses
Règles d'orthodoxie [352-370], De façon constante, enfin,
s'abstenant de rien imposer quant aux points d'intérêt secon-
daire, il porte son effort sur ceux qui lui apparaissent essen-
tiels.
Très attentif à profiter de toutes expériences, — en ce
sens, très positif, —c'est de plus un mystique favorisé de grâces
insignes. Dès Manrèse, Dieu se communiquait à lui et le traitait
«de la même manière qu'un maître d'école traite un enfant (2) ».
Sur les rives du Cardoner, une vision lui apporta de telles
lumières, qu'il confiait encore à Gonzalez : « Il n'est pas pos-
sible d'expliquer les points particuliers qu'il comprit alors...
Lorsqu'il recueille tous les secours qu'il a reçus de Dieu et
toutes les choses qu'il a apprises durant toute sa vie jusqu'à
l'âge de soixante-deux ans passés, il ne lui semble pas que cela
atteigne ce qu'il reçut en cette seule circonstance... Il lui
semblait être un autre homme et avoir un autre esprit que
(1) Tandis qu'il les rédige, il fait compulser et étudie lui-même les règles des
anciens Ordres et les écrits des maîtres de la vie monastique ; P. DE CHASTONAY,
Les Constitutions de l'Ordre des Jésuites, p. I, p. 42-71.
(2) E. THIBAUT, Le récit du Pèlerin 2, n. 27, p. 67.
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celui qu'il avait auparavant (i). »«S'il n'y avait pas d'Écriture
qui nous enseignât ces choses de la foi, ajoutait-il, il serait prêt
cependant à mourir pour elles, uniquement pour ce qu'il a vu
alors (2). »
Or, ces grâces se renouvelèrent, plus ou moins fréquentes,
jusqu'à sa mort : son Journal spirituel l'atteste et nous les fait
entrevoir (3). «Si la vie des Saints n'avait comporté des grâces
plus éminentes que celles qu'on trouve décrites en leurs bio-
graphies, disait-il en 1554 au Père Lainez, l'un de ses premiers
compagnons et son futur successeur dans la charge de Général,
pour sa part, il eût été peu disposé à échanger avec eux ce qu'il
avait senti et goûté de Dieu, bien qu'il n'osât pousser l'arro-
gance jusqu'à se préférer ou la témérité jusqu'à se comparer
au moindre d'entre eux (4). » — Des confidences de ce genre,
en règle générale, peuvent être tenues pour suspectes. De bons
juges toutefois, les familiers du saint, témoins de sa dévotion
dans la récitation de l'office divin et dans la célébration de
la sainte messe, de son extraordinaire ardeur au service de Dieu
et de ses extases, n'en ont été nullement surpris.
Que l'on compare à présent, d'une part, les Exercices, les
Constitutions, les lettres de direction du saint, les fragments
de son Journal spirituel, d'autre part, les écrits, non seulement
des illuminés espagnols, les alumbrados, mais ceux de contem-
platifs authentiques, nourris de la lecture de leurs devanciers,
spécialement du pseudo-Aréopagite, on sera frappé d'observer,
dans le langage de saint Ignace, « l'absence aussi complète
que remarquable de ce qu'on pourrait appeler l'aspect nuptial
de l'union mystique : nulle part... Dieu, le Christ, n'appa-
raissent comme l'époux de l'âme, pas plus que l'union à la
Trinité, décrite [dan? le Journal] sous tant de formes et pré-
sentée comme si intime, n'est jamais envisagée comme un
(1) E. THIBAUT, Lerécit du Pèlerin-, n. 30-31, p. 70-1.
(2) Ilid., n. 29 fin, p. 70.
(3) MH, Constitutiones S. J., t. I, p. 86-158.
(4) MH, Scripta de s. Ignatio:, t. I, p. 349, n. 33.
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mariage spirituel. Pas d'avantage il n'est question d'union


transformante, fondant la vie de l'âme en celle de Dieu, faisant
disparaître notre vie propre dans celle du Christ vivant en
nous. Le trait qui domine dans les rapports d'Ignace avec la
Trinité, c'est l'amour dévoué du serviteur, le soin de discerner
dans ses moindres nuances le service désiré et de l'accomplir,
si coûteux soit-il, dans un joyeux élan d'amour, avec un
humble respect, un sentiment profond de la grandeur et
de la sainteté de Dieu, de la gravité du moindre manque-
ment à son égard : en somme, [nous soulignons], une
mystique de service, et de religion, baignée tout entière dans
l'amour (i) ».
« Ce caractère particulier des dons de contemplation infuse
accordés à saint Ignace, observe le critique auquel nous em-
pruntons ces lignes, me semble d'une importance capitale pour
bien comprendre les tendances générales profondes de la spi-
ritualité de ses fils. Pour eux, comme pour les autres familles
religieuses, comme pour les enfants de saint François par
exemple, tout le développement ultérieur de leur vie spiri-
tuelle sera conditionné et dominé par l'orientation spéciale
des grâces infuses qui ont porté leur Père à la haute sainteté.
Si la spiritualité des jésuites reste, à travers une notable variété
de ton et d'allure, nettement centrée sur le service de Dieu,
du Christ, chef passionnément aimé, réaliste et concrète, plus
soucieuse d'exécution que de spéculation, ce n'est pas tant sous
l'influence de l'humanisme du xvie siècle ou d'une théologie
de la grâce qui ne s'est constituée que bien longtemps après
cette direction prise ; c'est d'abord et essentiellement parce que
la vie mystique d'Ignace a reçu de l'action divine cette orien-
tation caractéristique. Que cette action se soit trouvée chez
lui en harmonie avec son tempérament, avec les tendances et
les besoins de. son époque, cela prouve seulement avec quelle
sagesse la Providence conduit les hommes; cela n'enlève rien
(i) J. DEGUIBERT, Mystique ignatienne, RAM, 1938, t. XIX, p- 120.
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à la souveraine liberté de Dieu choisissant pour le saint cette


forme des dons infus plutôt qu'une autre (i). »
Que cette spiritualité puisse s'adapter à des vocations stric-
tement contemplatives, sainte Thérèse suffirait à le prouver :
elle a reconnu sans ambages ce qu'elle devait aux Pères Fran-
çois de Padranos, François de Borgia, Balthazar Alvarez. Il
semble toutefois que la mystique ignatienne et la spiritualité
qui en dérive soient particulièrement propres à diriger et à
soutenir des âmes appelées à poursuivre la double fin de la
« vie mixte », leur perfection et la sanctification du prochain :
religieux voués à un apostolat intense, laïques vivant dans le
tumulte du monde, destinés cependant à devenir, comme on
dit aujourd'hui, « des militants de l'action catholique », dans
une union intime avec Jésus et avec Dieu.

§ 3. Principes majeurs.
Saint Ignace a rédigé nombre de règles, formulé bien des
avis. De quelles idées maîtresses dérivent chacune de ces direc-
tives? —Il est assez facile de les dégager.
Au début de ses Exercices, une page porte ce titre expressif:
Principe et fondement [23]. C'est donc qu'il attribuait à ces
quelques vues une importance primordiale.
Les voici.
a. Fin de l'homme, fin des créatures. —L'homme a été créé
pour louer, révérer, servir Dieu et, par cette conduite, sauver
son âme.
Toutes les créatures, sans exception, qu'elles lui apportent
plaisir ou souffrance, ont été produites pour aider l'homme à
atteindre sa fin.
Double conséquence : l'homme doit donc se servir de chaque
(1) J. pE GUIBERT, Mystique ignatienne, RAM, 1938, t. XIX, p. 139; cf.,
p. 3-22, 113-40.
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créature dans la seule mesure et dans toute la mesure où elle


lui sert à procurer la gloire de son Créateur et à opérer son
salut personnel, s'abstenir par contre d'en faire usage, dans
toute la mesure où elle l'en empêche ; d'autre part, pour être
à même de choisir uniquement et constamment les moyens
les plus propres à assurer sa double fin, il est nécessaire qu'il
se rende indifférent, en d'autres termes qu'il s'applique à se
vaincre, à dominer sa volonté, de telle sorte que jamais elle ne
se laisse entraîner, attrait du plaisir ou crainte de la souf-
france, par aucune tendance tant soit peu déréglée.
Cette définition de la fin de l'homme, cette conception des
créatures comme de « purs moyens »mis à notre disposition,
cette règle essentielle de leur bon usage, admirablement élu-
cidée par saint Augustin, étaient alors exposées dans la plupart
des universités par les maîtres en théologie, commentateurs
habituels du Livre des Sentences. Nul pourtant de ces docteurs,
semble-t-il, n'a donné de cette doctrine un résumé à la fois
aussi concis et aussi pénétrant ; nul n'en a déduit les consé-
quences de façon aussi rigoureuse.
Qu'on veuille bien le remarquer : Ignace n'estime nullement
que l'homme soit créé pour procurer à Dieu soit un minimum
de gloire, soit tel degré de gloire que fixerait son indolence, ni
davantage pour échapper de justesse à la damnation, ou pour
obtenir uniquement tel degré de récompense qui suffirait à son
ambition ! Tant de chrétiens déclarent : «Pour moi, la dernière
place dans les cieux me suffit ! » Ignace comprend que Dieu,
sans pouvoir exiger sous peine de damnation ou de châtiments
rigoureux les dernières délicatesses de la perfection, est en droit
de souhaiter et souhaite de fait toute la gloire qu'il mérite,
donc la plus grande gloire que puisse lui procurer chacune de
ses créatures, à proportion des grâces dont il la prévient et des
secours qu'il met à sa disposition. Ignace saisit que la bonté
paternelle de Dieu souhaite pareillement, pour chacune de ses
créatures, la plus large mesure debéatitude qu'elle puisse mériter
dans les conditions d'existence qu'il lui assigne.
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Ce maximum de gloire, ce maximum de béatitude, l'un et


l'autre tout relatifs, constituent donc et constituent seuls
la vraie fin de l'homme. En toute logique, le saint est donc
autorisé à conclure : les âmes soucieuses de répondre pleine-
ment aux vues divines, —celles auxquelles il destine son petit
livre dans sa teneur intégrale, —doivent «sefaire indifférentes »,
de manière à choisir en toute occurrence, «les moyens les plus
efficaces »[23].
Le but suprême, «la plus grande gloire de Dieu », cette règle
essentielle de la droite raison et de la pleine générosité, «choisir
les moyens les plus efficaces », il les rappelle, au cours des
Exercices, quand vient l'heure des décisions importantes [152,
169, 179, IBo, 185, IB9, 339] ; dans ses Constitutions, il les
rappelle aux supérieurs de son Ordre, notamment pour le choix
des œuvres ou ministères (I). Par là s'expliquent son insistance
sur certains points substantiels, que nous aurons bientôt à
signaler, et certaines innovations qu'il a cru devoir introduire
dans la discipline religieuse : études littéraires et théologiques
prolongées, limitation des heures consacrées à l'oraison mentale,
exemption du choeur, — malgré son affection très marquée
pour la liturgie, — exemption du ministère curial et de cer-
taines cérémonies très onéreuses, réduction des austérités
extérieures, adoption du costume ecclésiastique commun...
Son zèle rêvait d'une milice mobile, vouée à un apostolat
intensif, capable de satisfaire aux nécessités variables des
temps : les moyens pour la fin ! Combien d'accusations malveil-
lantes lui eussent été épargnées, si l'on avait compris sa pensée !
Abon droit, le R. P. Denifle 0. P. écrivait : «Saint Ignace
et ses successeurs dans le généralat furent guidés par une vue
juste de la situation, quand, à cause du but particulier de leur
ordre, but semblable à celui des dominicains, à cause de nou-
(1) Spécialement, Constitutions, p. VII, c. n. — Id semper quoi ad mapis Det
obsequium et bonum universale facit statuatur, (n. i) ... prae oculis habendo majus
divinum obsequium et universale bonum (D)... Tout le détail des applications
serait à citer.
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velles exigences et de nouveaux devoirs, ils supprimèrent com-


plètement la prière au chœur, tant du jour que de la nuit,
mais qu'en revanche ils insistèrent d'autant plus sur la vie
intérieure, l'esprit de prière, la forte éducation ascétique de
chaque membre, la pureté de l'esprit et du cœur. »
L'éminent historien ajoute : « Il y a dix-sept ans, j'avais dit
que, bien que dans l'ensemble l'ordre dominicain eût encore
l'aspect des anciens ordres, il préparait pourtant une nouvelle
conception, ou mieux une nouvelle forme de l'état religieux :
cette forme pourrait être réalisée plus tard, par ceux qui se
proposeraient un but similaire à celui de l'ordre dominicain.
Saint Ignace a été le premier à donner cette nouvelle forme à
l'état religieux (i). »
b. Notion de l'amour véritable. — Presque en dernière page
des Exercices, avant la célèbre Contemplation pour obtenir
l'amour, un autre principe est inscrit : l'amour consiste dans
les œuvres (ou dans les actes), bien plus que dans les paroles
(ou dans les sentiments qui les provoquent) [230] ; le texte
poursuit : l'amour requiert, entre l'aimant et l'aimé, la commu-
nication mutuelle des biens [231].
Simple rappel, notons-le bien ; car ces idées commandent
la rédaction de l'opuscule entier : l'avis préliminaire, qui invite
le retraitant à livrer à Dieu, dès le premier instant, «tout son
vouloir, toute sa liberté, pour que la divine Majesté dispose
de lui et de tout ce qu'il possède selon sa très sainte volonté »[5],
la définition de la fin de l'homme par le « service de Dieu »,
donc par les actes [23], la suggestion de demander, en chaque
contemplation, au delà de la connaissance intime et de l'amour
ardent du Christ, la grâce de l'imiter de la façon la plus
stricte [104, 113, etc.], l'application constante d'Ignace à
(1) Luther et le Luthéranisme, traduction par J. PAQUIER, Paris, 1910, t. I,
r. VTII, § 3, p. 3II ; cf. p. 305 sv. — La règle dominicaine préparait une nouvelle
forme de vie religieuse, explique le Père DENIFLE, en autorisant pour des cas donnés
la dispense du chœur, de certaines austérités, de diverses observances.
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porter aux sacrifices les plus généreux, jusqu'à faire désirer,


dans ses considérations sur le « troisième degré d'humilité »,
d'être traité par un monde pervers exactement comme Jésus
en fut traité [167].
Des critiques se sont étonnés de ne pas voir mentionné,
à propos de la fin de l'homme, l'amour de Dieu. Que n'ont-ils
adressé le même reproche à Pierre Lombard et aux Docteurs
du moyen âge, ses commentateurs? Que n'ont-ils prié le Divin
Maître de leur expliquer pourquoi, dans le Pater, il nous a
prescrit de demander, nonpas précisément que Dieu soit «aimé»,
mais que «sa volonté soit faite sur la terre comme aux cieux »,
—pourquoi, au lieu de dire : «Si quelqu'un veut être mon dis-
ciple, qu'il m'aime », il a déclaré : «Qu'il se renonce et porte sa
croix » (Mt. XVI, 24), —au lieu de : «Vous serez mes amis,
si vous m'aimez », «Vous le serez, si vous accomplissez ce que
je vous prescris »(Jn. xv, 14), —pourquoi il a tenu à dissiper
toute équivoque par cette formule : «Celui qui connaît mes com-
mandements et qui les observe, voilà celui qui m'aime ; moiaussi
je l'aimerai et je memanifesterai à lui »(Jn. XIV, 21), en d'autres
termes : «Ace prix, je lui ferai voir qui je suis, comment pour
ma part je sais aimer. »
c. Vraie mesure du progrès spirituel. — Puisque l'homme
a pour fin de témoigner à Dieu son amour en obéissant à ses
lois, puisque ni obéissance ni amour ne sont possibles sans
lutte pour réprimer les instincts sensuels et les tendances
égoïstes, on voit comment doit s'apprécier tout progrès authen-
tique.
Saint Ignace l'exprime, en plein accord avec l'auteur de
. YImitation : «Que chacun y réfléchisse : il avancera dans les
choses spirituelles, dans la mesure où il se dépouillera de son
amour-propre, de sa propre volonté, de la recherche de sa propre
satisfaction »[189]. «La mesure du progrès, affirme-t-il encore,
ne peut se déduire ni de la composition du visage ou des atti-
tudes, ni de certaine facilité naturelle, ni de l'amour de la soli-
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tu(le ; elle est à prendre de l'énergie que chacun apporte à se


vaincre (i). »
Que d'illusions sont ainsi dénoncées !
Cette insistance sur l'effort n'autorise-t-elle pas le reproche
de volontarisme? —Qu'on veuille bien le noter : pour Ignace,
pour aucun ascète chrétien d'ailleurs, « se vaincre », « se re-
noncer », ce n'est pas précisément contrarier sa volonté en vue
d'acquérir la maîtrise de soi ou de réaliser, en pur stoïcien,
tel idéal de vertu. Dans la parole du Sauveur : «Si quelqu'un
veut être mon disciple, qu'il se renonce », se renoncer, c'est faire
céder ses préférences personnelles devant celles d'une per-
sonne adorée ; c'est substituer l'amour de Jésus à l'amour de
soi. C'est l'amour « en actes » (2).
La série entière des Exercices s'applique à le faire com-
prendre.
d. Prééminence des moyens surnaturels. — Pour nécessaire
qu'elle soit, — et toute séduisante qu'elle est, lorsqu'elle est
comprise comme elle doit l'être, — la tâche du renoncement
incessant à soi-même demeure des plus ardues. Toutefois, ce
n'est nullement par la seule tension de la volonté, en stoïcien,
que saint Ignace invite à la poursuivre, pas plus d'ailleurs
qu'aucune des tâches imposées par le service de Dieu et par
le zèle de sa gloire. Deux autres principes le prouvent à l'évi-
dence.
De tous les moyens à mettre en œuvre, explique-t-il, «les
plus efficaces sont ceux qui unissent l'instrument, [l'ouvrier
(1) Sentences choisies, n. 23. —L'auteur de l'Imitation écrit : «Vous n'avancerez
dans la vertu, qu'à proportion de la violence que vous vous serez faite », 1. I,
c. xxv, n. 11 ; «Notre mérite et notre avancement dans la vertu ne consistent pas
dans l'abondance des joies et des consolations spirituelles, mais à souffrir coura-
geusement les plus rudes afflictions et les plus grandes peines », 1. II, c. xn, n. 14 ;
«L'abnégationdesoi-même faitle véritable avancement de l'homme ,, 1. III,c. xxxix,
n. 4. — Traduction dite du Père DE GONNELIEU. En fait, elle n'est pas de lui ;
C. SOMMERVOGEL,Biblioth. de la Comp. de Jésus, t. III, col 1564-5.
(2) J. DE GUIBERT, Sur une définition de l'abnégation, Mélanges Watrigant
(CBE, n. 61-62), p. 65-7.
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apostolique], à Dieu », et notamment «la familiarité avec Dieu »,


en d'autres termes l'habitude de traiter toutes choses avec lui,
« à deux ». Il le note en ses Constitutions, lorsqu'il expose la
manière de maintenir son Ordre dans la ferveur et d'assurer
la fécondité de son action (i). Cette conviction domine cons-
tamment sa pensée. Aussi, dans les Exercices, fait-il demander
par une prière ardente chacune des corrections désirables,
chacun des progrès à réaliser. Toute méditation débute par une
formule uniforme : « Petere id quod volo, demander au Ciel
ce qu'il me faut acquérir. » Quand vient l'heure capitale de
l'élection, qu'il s'agisse du choix d'un état de vie ou d'une
simple réforme de la conduite, Ignace use de termes plus expres-
sifs encore : «Je demanderai à Dieu de mouvoir ma volonté
et de mettre dans mon âme ce que j'ai à faire, ut velit movere
voluntatem meam et ponere in anima mea id quod ego facere
debeo» [180]. On voit s'il se souvient et à quel point il souhaite
qu'on se souvienne de l'avis du Sauveur : «Sans moi, vous ne
pouvez rien »(Jn. xv, 5), rien dans l'ordre surnaturel, rien de
méritoire pour la vie éternelle.
e. Collaboration nécessaire de l'individu. —Comment conci-
lier ces deux aspects de l'enseignement du Christ : d'une part,
affirmation d'une impuissance radicale, d'autre part, appel des
plus fermes à l'énergie : «Le royaume des cieux souffre violence ;
ce sont les violents qui l'emportent »(Mt. XI, 12)? —Quant à
lui, « en tout ce qu'il entreprenait pour le service de Notre-
Seigneur, Ignace employait pour aboutir tous les moyens
humains, avec autant de soin et d'énergie que si le succès
en dût dépendre ; par ailleurs, il se confiait en Dieu et se main-
(1) Media illa quae cum Deo instrumentum conjungunt... efficaciora sunt quam
quae Ûlud disponunt erga homines... Videtur itaque in universuni curandum esse ut
omnes qui se Sccietati addixerunt in virtutum solidarum ac perfectarum et spiri-
tualim rerum studium incumbant, ac in hujusmodi majus momentum quam in doc-
irina vel aliis donis naturalibus et humanis constitution esse ducant. Illa enim inte-
riora sunt ex quibus efficaciam ad exteriora permanare oportet; p. X, n. 2 ; cf. p. IX,
r. TT,n. r, etc.
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tenait dépendant de sa divine providence comme si tous les


autres moyens qu'il mettait en œuvre, les moyens humains,
ne fussent d'aucune efficacité (i). » Telle est effectivement
l'impression que laisse la lecture de ses Exercices, de ses Con-
stitutions, de ses Instructions ou ordonnances, spécialement de
son Journal spirituel, qui nous fait pénétrer au plus intime de
son labeur et de sa prière. Ses familiers ont eu raison d'en
déduire une règle générale : par prudence, s'interdire toute
imprévision, toute négligence ; par une foi vive, compter, pour
réussir, sur le seul concours de la grâce (2).
« J'ai presque continuellement devant les yeux et dans
l'esprit, déclarait François Xavier, ce que souvent j'ai entendu
dire à notre bienheureux Père Ignace : que ceux qui voulaient
appartenir à notre Compagnie devaient beaucoup travailler
à se vaincre eux-mêmes et à bannir de leur cœur toutes les
craintes qui empêchent d'avoir foi, espérance et confiance en
Dieu. Pour y arriver, il fallait en prendre les moyens. Car,
bien que toute foi, espérance et confiance soient un don de
Dieu, que le Seigneur communique à qui il lui plaît, habituelle-
ment cependant c'est à ceux qui font effort pour se vaincre
eux-mêmes et qui prennent les moyens pratiques qu'il le
donne (3). »
N'est-ce pas, en somme, la conduite que dicte le bon sens
lui-même? Aide-toi ; le Ciel t'aidera. L'adage est d'application
en tout domaine, dans la lutte spirituelle aussi bien que dans
l'activité extérieure.
Cette association parfaite des précautions suggérées par la
(1) P. RIBADENEIRA, De la manière dont Ignace gouvernait, c. vi, n. 14; MH,
Scripta de s. Ign., t. I, p. 466.
(2) Sentences choisies, n. 2. —Conséquence directe : Agenda praevidere et acta
in ccnsuram vocare sunt fidissimae recte agendi regulae ; n. 9. —Prévoir, pour n'être
ni surpris, ni entraîné par les événements, dirigé en fait par eux, au lieu de les
diriger, et revoir, pour profiter de l'expérience et se corriger peu à peu, véritable
«secret du succès », hélas ! communément ignoré ou négligé par les improvisateurs
et les indolents ! D'où les «considérations »ou «examens de prévoyance »imposés
aux supérieurs de la Compagnie et passés en bien des Instituts.
(3) A BROU, S. Fr. Xavier; Lettres spirituelles, Paris, 1937, p. 219.
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sagesse humaine et de l'esprit surnaturel ne suffirait-elle pas à


expliquer des succès surprenants?
f. Imitation de Jésus, union à Jésus. —Les principes que
nous venons de passer en revue, justifiables tout ensemble
par la saine raison et par la foi, ne sont que des règles abstraites.
Or une personne les incarne, les traduit en images intelligibles
à toute âme droite, et apporte par surcroît la force requise
pour les observer : c'est Jésus, «Voie, Vérité et Vie »(Jn. xiv, 6),
de qui le soldat ambitieux, dépris à tout jamais des vanités
d'ici-bas, s'est enthousiasmé. Les principes primordiaux de sa
spiritualité, les voici : imitation de Jésus, union à Jésus, —
copier Jésus, en s'appuyant constamment sur Jésus.
De fait, la première semaine des Exercices n'a d'autre but
que de préparer l'âme à entendre l'appel du plus prestigieux
des chefs, sagesse et bonté infinies, en lui faisant comprendre
ses torts passés, la longanimité dont le Souverain Juge a usé
envers elle, et la dette de reconnaissance qu'elle a contractée
à l'égard de la Sainte Victime. La méditation du Règne tend
à provoquer une décision des plus généreuses : «0 Roi Éternel,
je l'atteste, en présence de toute la cour céleste, je suis déter-
miné à vous imiter désormais » [98]. Les contemplations des
trois autres semaines sont destinées à mûrir cette décision.
En chacune, le retraitant est invité à demander une grâce
identique : au delà de l'amour affectif, des simples « ten-
dretés », comme s'exprime saint François de Sales (1), —
l'imitation effective de ce Maître adoré, — et cela, pour une
élite du moins, jusqu'à la pauvreté réelle, jusqu'au support
des opprobres, s'il doit en résulter pour Dieu plus de gloire [167].
Ainsi s'explique la multiplicité des traités publiés par les
(1) « Oh non! Ce n'est pas ce que le Sauveur demande de nous que l'amour
affectif, qui nous fait jeter des larmes ou nous cause tant de désirs sans effets ;
l'enfer est plein de ces désirs. Vaines sont ces tendretés... C'est l'amour effectif
que Notre-Seigneur demande ; » Sermon pour le Vendredi-saint, Œuvres, édit.
d'Annecy, t. IX, p. 43. —Élève des jésuites à Paris, — François de Sales tenait
peut-être ce principe des Exercices.
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jésuites sur le sujet (i), de leurs traductions fréquentes de


Thomas a Kempis et des commentaires qu'ils lui ont con-
sacrés (2).
Antérieurement à l'ouvrage du Cardinal de Bérulle, Les
grandeurs de Jésus (1623), a-t-on dit, ces écrivains s'arrêtaient
à l'idée d'imitation, sans parler d'union au Verbe Incarné. —
Ce n'est exact ni pour les plus anciens d'entre eux, ni pour
Ignace lui-même (3).
Remarquons-le tout d'abord : l'imitation seule peut assurer
la ressemblance intime des âmes ; elle est donc la condition
essentielle de l'union ; elle l'appelle, la produit, plus elle est
parfaite; fait-elle défaut, les rêves d'union ne sont qu'illusion.
Ignace et ses fils ne pouvaient l'ignorer.
Pour leur part, ils portent à une double union : l'union
d'amitié, où la conduite entière est commandée par l'affection,
—l'union de collaboration, où tout se fait «à deux », —à deux,
non certes comme entre égaux associant des énergies de même
aloi, mais commeentre amis dont le plus indigent, le plus faible,
se règle sur l'autre, toute sagesse et toute puissance, le consulte
sans cesse et s'évertue à puiser en lui prudence et force, de
manière à pouvoir dire comme l'Apôtre : «Ce n'est plus moi
qui vis; c'est lui qui vit en moi »(Gal. 11, 20).
En sa contemplation du Règne, Ignace met sur les lèvres du
Sauveur ces paroles : « Qui veut venir avec moi, doit peiner
avec moi, afin que, me suivant dans le labeur, il me suive ainsi
dans la gloire » [95]. S'il incite à «se signaler »au service du
Christ, c'est en vue de lui témoigner plus d'amour, magis
affici [97, 98]. S'il suggère, en son «troisième degré d'humilité »,
même à égal service de Dieu, de préférer humiliations et
opprobres, c'est pour ce motif qu'un ami véritable ne peut
tolérer d'être traité autrement que son ami [167]. Ce qu'il
(1) Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, 1909, t. X, col. 409-14.
(2) Ibid., c. 404-5.
(3) Sur ce point, F. CAVALLERA, RAM, 1928, t. IX, p. 74-6; A. POTTIER, le
Père L. Lallemant, Paris, 1929, t. 111, p. 13-43
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fait demander, dans ses méditations sur la Passion? — « La


souffrance avec le Christ abreuvé de souffrances, le brisement
de l'âme avec le Christ broyé » [203], — tout ce qu'exprime
en somme la prière qu'il aimait, l'Anima Christi : la confor-
mité et l'union des âmes : Anima Christi, sanctifica me! le
partage du même sort : Ne permittas me separari a te! Amitié
et union «à toute épreuve »que celles-là !
A chacun de ses disciples il recommande de se rendre «un
instrument uni à Dieu (1) ». De même, la première des qualités
qu'il indique comme nécessaires au général de son Ordre est
la «familiarité »la plus parfaite, c'est-à-dire l'intimité, l'union
la plus étroite avec Dieu, «non seulement dans la prière, mais
en toute action (2) ».
Un de ses mandataires préférés, le Père J. Nadal, écrit
en ses notes spirituelles : «Accepte et utilise avec diligence
l'union au Christ Jésus dont te gratifie l'Esprit de Dieu, ainsi
que ses facultés. Représente-toi, in spiritu, [dans l'Esprit-
Saint?], que tu comprends par son intelligence, que tu veux
par sa volonté, que tu te souviens par sa mémoire, que tout
ton être subsiste, vit et opère, non en toi, mais dans le Christ (3).))
Pareille « familiarité » et pareille « intimité » dépassent
manifestement le simple «service » du Roi Éternel. C'est un
« compagnonnage » et mieux encore. On entrevoit dès lors
pourquoi, au lieu de dénommer son Ordre «Milice de Jésus »,
Ignace a préféré ce titre : «Compagnie de Jésus. »Quant à reven-
(1) Constitutions, Xe part., n. 2.
(2) Omnium prima haec erit, ut cutn Deo ac Domino nostro quant maxime con-
junctus et familiaris, tam in oralione quam in omnibus suis actionibus, s;t. Consti-
tutions, IXe part., c. 11, n. 1.
(3) MH., Epistolae P. Nadal. t. IV, p. 697. Pensées analogues, p. 684, 696,
709, 710, 722...
Voyez le texte d'ALVAREZ DE PAZ cité plus loin, p. 21-2, et les notes adjointes.
— Signalons au moins ici l'opuscule de s. Alphonse RODRIGUEZ (t 1617), De l'union
et de la transformation de I' âme en J .-C., [trad. du Père O. DE BENAZÉ], Bruges, 1893.
et le livre de Fr. ARIAS (f 1605), Traité de l'imitation de J .-C., 3 vol., Paris, 1625,
IV0 tr., c. XV-XXXIII, Du titre d'Époux, t. I, p. 291-353; P. COTON, plus loin,
p, 3'4-7.
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cliquer pour eux seuls l'honneur et la joie de vivre en «compa-


gnons » du Fils de Dieu, quels jésuites y songeront jamais?
Il reste,— on doit le concéder, —que la plupart s'étendent
moins que divers écrivains mystiques sur la gloire et sur les
délices de l'union. C'est que l'appel du Règne, à l'aurore de
leur vie religieuse, les provoquait à la conquête des âmes :
«Mavolonté est de soumettre à mes lois le monde entier »[95].
En général tout au moins, l'union est surtout pour eux unmoyen
d'assurer l'imitation la plus fidèle du Chef bien-aimé, leur assi-
milation progressive avec lui, leur transformation en lui,
dès lors l'efficacité de leur action apostolique et «la plus grande
gloire de Dieu ». A combien de ses privilégiés le Sauveur lui-
même ne l'a-t-il pas répété? «Le temps de jouir viendra plus
tard, et pour jamais. »
§ 4. Pratiques recommandées.
Soit qu'elle les emprunte telles quelles aux écoles antérieures,
soit qu'elle modifie à sa guise celles qu'elle trouve en usage,
soit qu'elle en introduise de toutes neuves, chaque spiritualité
a ses pratiques préférées. Mettons que la Compagnie de Jésus
n'en ait créé aucune et se soit uniquement approprié celles
qu'elle estimait plus efficaces. Un point demeure incontestable :
hormis une seule, la plus essentielle, qu'elle a reçue elle aussi
du Divin Maître en personne, on peut dire qu'elle a profondé-
ment transformé celles qu'elle adoptait.
a. Lerenoncement. —Cette pratique essentielle, on le devine,
est la lutte contre les tendances vicieuses : «Si quelqu'un veut
être mon disciple, qu'il se renonce » (Mt. XVI, 24). Ignace
s'est borné à mettre cette consigne en vedette : « Exercices
spirituels pour apprendre à se vaincre... Mesure du progrès :
celle de l'énergie qu'on apporte à se vaincre. »
Le renoncement comporte évidemment des degrés, selon
les grâces départies à chacun : c'est une parole que tous ne
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comprennent pas (Mt. xix, 11) ; mais, pour les âmes appelées
à la perfection, les directeurs spirituels, à l'exception des
illuminés et des mystiques hétérodoxes, sont unanimes. «Pour
posséder le tout, fait dire à Jésus l'auteur de l'Imitation,
il faut vous donner tout entier et qu'il ne reste en vous rien de
vous-même (III, xxvn, i). Donnez tout pour tout; ne cher-
chez plus rien ; ne reprenez plus rien ; demeurez attaché à moi
purement et sans hésiter, et vous me posséderez » (III,
xxxvii, 5). Si vous ne vous abandonnez pas de bon cœur
à ma volonté, ce n'est pas là une oblation entière ; il n'y aura
pas entre nous d'union parfaite (IV, VIII, 2). Plus la nature
est mortifiée et assujettie, plus la grâce se répand avec abon-
dance (III, liv, 18) (1). »—Saint Ignace écrit : «Chacun doit
s'appliquer davantage et avec plus d'ardeur, majus ac impen-
sius studium sit, à chercher selon Dieu une plus parfaite abné-
gation de lui-même et une mortification continuelle en toutes
choses, autant qu'il sera possible (2). De manière générale, plus
étroitement on s'attachera à Dieu et plus on se montrera
généreux envers sa souveraine Majesté, plus aussi onéprouvera
les effets de sa libéralité, et plus on se rendra propre de jour en
jour à recevoir une plus grande abondance de grâces et de dons
spirituels (3). »
Énergie et constance dans l'abnégation, deux choses litté-
ralement impossibles sans un régime qui avive et soutienne la
ferveur ! Or, c'est ici qu'intervient l'innovation de saint Ignace
la plus féconde : il procure aux âmes un moyen précis, très
sûr, de découvrir le régime qui leur convient, de le mettre sans
cesse au point, selon les appels successifs de la grâce, et de
renouveler en elles, chaque fois qu'il sera nécessaire, le double
zèle de leurs intérêts et de la gloire de Dieu.
(1) Traduction dite du Père DE GONNELlEU. — Sur cette règle toium pro loto,
\'oyez le commentaire du Père SURIN, Les fondements de la vie spirit. tirés de l'Imi- .
talion, édit. F. CAVALLERA,1. V, c. m, p. 254-6 ; plus loin, p. 188-9.
(2) Examen général, c. iv, n. 46 ; Sommaire des Constit., règle 12.
(3) Constit., p. III, c. i, n. 22 ; Sommaire, règle 19.
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b. La retraite. —Dès les premiers siècles, des chrétiens fer-


vents, clercs ou laïques, s'échappaient du monde quelques
jours, pour réfléchir et prier (i). Jamais sans doute ce ne fut
sans fruit. Cependant il y a loin d'un simple bain de piété à
une recherche des réformes désirables, combinées en vue d'as-
surer un plein succès !Le converti de Manrèse fait de la retraite
une méthode «pour ordonner sa vie sans se laisser influencer
par aucune affection tant soit peu déréglée »[21] : elle présente
dans un ordre lumineux les considérations les plus opportunes
sur la fin ultime, les sanctions du péché, les exemples et les
attraits du Sauveur, les tortures qu'il a librement acceptées
pour l'amour de « ses frères », et ménage à la volonté divers
exercices, —celui des Trois classes notamment [149-156],—
pour la faire passer de simples velléités aux actes. Combien de
ses admirateurs l'ont dit, après expérience ! C'est un engrenage
en quelque sorte irrésistible.
En 1556, —à cette date sa rédaction est presque achevée, —
le saint lui-même écrit à son ancien confesseur, Emmanuel
Miona : «C'est de tout point ce que je puis, quant à moi, penser,
connaître et concevoir de meilleur pour mettre un homme à
même aussi bien d'assurer ses propres intérêts que de procurer
à beaucoup d'autres secours et profit (2). »
Encore n'a-t-il pas prévu tout le parti que l'on pourrait
tirer de sa méthode ! Insistant près de ses fils pour qu'ils la
présentent telle quelle à une élite, mais à une élite seulement,
il les a d'autre part fréquemment incités à proposer les plus
faciles de ses exercices, ceux de la «première semaine », à des
auditoires beaucoup plus larges (3). De là sont nées les «mis-
sions »données à des paroisses ou à des villes entières et les
(1) M. VILLER, Le XVIIe siècle et l'origine des retraites spirituelles, RAM, 1928,
t. IX, p. 139-62,359-84.
(2) MH, S. Ignatii epist., t. I, p. 113.
(3) Sur cet apostolat des premiers jésuites, A. BROU, Leç Exercices spirit. de
s. Ignace, Paris, 1922, c. iv, p. 50-8 ; —J. M. AICARDO, Comentario à las Constitu-
ciônes, Madrid, 1924, t. IV, p. 513-34. —Sur ses fruits en Allemagne, J. JANSSEN,
L'Allema,-ne et la Réforme, t. IV, 1. III, c. 1, p. 402-6.
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retraites « ouvertes » ou « publiques ». Par contre, Ignace


n'avait nullement réglé que ses Exercices, —leur cadre et leur
méthode, sinon leur texte, —seraient à utiliser, fût-ce par ses
propres religieux, pour des retraites annuelles ou pour ces
périodes de recueillement qui précèdent de nos jours, dans un
grand nombre d'instituts, la rénovation semestrielle des
vœux (i). C'est l'expérience des fruits obtenus qui a conduit
les supérieurs de son Ordre à ces adaptations, comme elle les a
conduits à organiser, en des maisons spéciales, pour le clergé
et pour les simples fidèles, des retraites «fermées » de durée
variable (2).
Exercices de trente jours ou «grands exercices », retraites
annuelles ou périodiques, retraites de rénovation, retraites
fermées, retraites publiques, «récollections »d'une seule journée,
missions populaires, autant de moyens de sanctification dont
l'efficacité n'est plus à démontrer.
c. Fréquentation des sacrements. — Avec les ménagements
que lui imposent les idées de son époque, Ignace inaugure en
outre une campagne résolue en faveur de la confession et de la
communion fréquentes. Il incite ses fils à rappeler la discipline
des premiers siècles : la communion quotidienne. Malgré l'op-
position du jansénisme, leurs efforts, appuyés d'ailleurs par
d'ardents concours, finirent par aboutir : aujourd'hui, l'Eucha-
ristie n'est plus conçue comme une récompense, mais comme un
remède, —plus exactement, selon la pensée évidente du Sau-
veur, comme l'aliment habituel et normal du chrétien.
d. L'oraison mentale. — Dans la conviction d'Ignace, la
fréquentation des sacrements est-elle cependant de toutes les
(1) M. VILLER et M. OLPHE-GALLIARD, Aux origines de la retraite annuelle,
RAM, 1034, t. XV, p. 3-33.
(2) Pour le XVIIe siècle, voyez notamment J.-V. BAINVEL, La vie des fondateurs
des maisons de retraites, M. de Kerlivio, le Père V. Huby, Mlle de Francheville
(réédit. du livre du Père P. CHAMPION), Paris, 1929 ; — A. CROSNIER, Victoire de
Saint-Luc, ibid., 1919, c. I-III, p. 11-74 ; — pour la période moderne, J.-P. ARCHAM-
BATjLT, Les forteresses du catholicisme, CBÏÏ, n. 71, et Montréal, Vie nouvelle.
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pratiques la plus indispensable? —On en peut douter ; d'autres


saints, eux aussi, n'ont-ils point parlé comme si l'oraison était
plus nécessaire?
Thérèse d'Avila, par exemple, ramenée elle-même à cet
exercice par le Père Jean de Padranos (i), déclare à ses reli-
gieuses : «La porte par où pénètrent dans l'âme les grâces de
choix, c'est l'oraison. Unefois cette porte close, je 1lesais comment
Dieu pourrait nous les accorder. En vain voudra-t-il entrer dans
une âme pour prendre ses délices avec elle et les lui faire
trouver en lui ; les avenues lui sont fermées. Pour lui faire ces
grâces, il a besoin de la trouver seule, pure et désireuse de le
recevoir (2). »Toute humble qu'elle est, elle proteste : «Mes
filles, croyez-moi ; il n'y a pour arriver d'autre chemin que
l'oraison ; si l'on vous en indique un autre, on vous trompe (3). »
François de Sales écrit : «L'oraison mettant notre entende-
ment en la clarté et lumière divine, et exposant notre volonté
à la chaleur de l'amour céleste, il n'y a rien, —[nous soulignons
derechef], —qui purge tant notre entendement de ses ignorances
et notre volonté de ses affections dépravées (4). »
Ala suite de ces deux mystiques, saint Alphonse de Liguori
ose formuler cette règle : «Un bon confesseur doit, lorsqu'il voit
un pénitent qui déteste le péché mortel et qui désire des pro-
grès dans l'amour divin, le dresser premièrement, — [ante
omnia,.avant tout, porte le texte latin], — à faire l'oraison
mentale. »Il en apporte ces deux raisons. «Les autres exercices
peuvent être pratiqués sans que le péché soit extirpé du coeur ;
(1) « Il m'expliqua, confesse la sainte, que j'avais besoin de reprendre mon
oraison en sous-œuvre, parce qu'elle manquait d'un fondement solide et que je
ne connaissais pas encore la mortification. C'était si vrai, que j'ignorais, me semble-
t-il, jusqu'au sens de ce mot. Il me dit que je devais bien me garder d'abandonner
l 'oraison, mais me montrer généreuse ; »Vie par elle-même, c. xxiii, Œuvres camPl.,
. édit. des Carmélites, t. I, p. 30r. — Voyez A. BROU, S. Thérèse et les Exercices,
dans Mélanges Watrigant, Paris, 1920, p. 68-7r.
(2) Vie par elle-même, c. VIII, Œuvres compl , t. I, p. 124 ; cf. c. VII. p. 105 ;
- c. XIX, p. 232-7.
(3) Chemin de la perfection, c. xxi, t. V, p. 167.
(4) Introduction et la vie dévote, p. II, c. 1, Œuvres, (dit. d'Annecy, t. III, p. 69.
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mais, quant à l'oraison, elle exclut absolument le péché ; non


possunt cohabitare oratio et peccatum... L'amour divin, solus
amor, est ce qui lie une âme au Seigneur et la lui tient attachée ;
mais le foyer où s'allume la flamme de cet amour, c'est l'oraison
ou la méditation (i). »
François de Sales et Alphonse de Liguori, ces deux Docteurs
de l'Eglise, ignorent-ils, oublient-ils du moins que les sacre-
ments sont les canaux de la grâce et qu'ils la produisent par
eux-mêmes, exopere operato, en toute âmebien disposée? —Nul-
lement, mais ils savent que l'on peut se confesser et communier
hélas'! machinalement, qu'il est impossible par contre de faire
l'oraison mentale machinalement, que cet exercice par consé-
quent assure l'efficacité des sacrements.
Éclairé par l'Esprit-Saint, instruit par sa propre expérience,
Ignace s'est évertué à faciliter et à propager une pratique si
salutaire. Ses Exercices proposent trois « Manières de prier »
des plus aisées et trois «Méthodes d'oraison » qui requièrent
un effort de recueillement un peu plus intense, méthodes
nullement exclusives, —nous le dirons incessamment, —mais
nettement définies et des plus propres à initier à la prière (2).
Cependant, attentif aux exigences de la vie active et d'un apos-
tolat intense, il déclare maintes fois préférable aux oraisons
prolongées « la familiarité avec Dieu », l'habitude de vivre
en sa présence dans une union de cœur continue (3). Éditeurs
féconds entre tous de recueils de méditations et de «méthodes
d'oraison », ses fils n'oublieront pas cet avis et publieront
aussi nombre de traités sur « l'exercice de la présence de
Dieu » (4).
(1) Pratique du confesseur, c. IX, § cxv, Œuvres, édit. PELTIER, t. VIII, p. 408 ;
cf. c. x, S CCXIl, p. 471-2 ; Selva, p. II, ve instr., § 3, t. XXII, p. 247-8 ; La reli-
gieuse sanctifiée, c. xv, § I, n. 6, 7, t. XVIII, p. 353 sv. i
(2) A. BROU, 5. Ignace, maître d'oraison, Paris, 1928 ; — plus loin, p. 68-95. '
(3) A. BROU, La spiritualité de s. Ignace2, c. 11, p. 24-6 : Les Exercices spir.
lie s. Ignace, 1. III, c. iv, p. 206; spécialement 5. Ignace, maître d'oraison, p. 1, •
c. iv, p. 35-44.
(4) Plus loin, p. 243 sv., 258.
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e. Les examens de conscience. —En usage aussi, dès l'anti-


quité chrétienne, les examens de conscience. Avec quelle insis-
tance, pour leur part, saint Jean Chrysostome et saint Bernard
ne les ont-ils pas recommandés ! De vrai, comment conserver
la pureté du cœur, si l'on vit dans la dissipation? Moins on
s'examine, plus les souillures s'accumulent et s'aggravent;
moins on en éprouve le besoin et cependant plus il serait néces-
saire de s'examiner !
Convaincu de ce point, persuadé par surcroît que le secret
du succès n'est pas de se jeter dans l'action, mais «de prévoir
et de revoir (i) », saint Ignace s'efforce de faciliter cette pré-
voyance, ce contrôle et ce réveil de la ferveur. Il en propose
en son petit livre une méthode aisée ; dans ses Constitutions, il
exige de ses religieux l'examen de conscience deux fois le jour;
jamais, paraît-il, il n'en dispense (2). Pour lui, jamais il ne passe
d'une occupation à une autre sans un bref regard sur ce qu'il
achève et sur ce qu'il va commencer. L'un de ses fils, le bien-
heureux Claude de la Colombière, s'engage par vœu à cette
même pratique. A bon droit on jugera que l'un et l'autre ont
dû se garder de la conseiller sans discrétion ; mais qui oserait
prétendre qu'elle ait gêné chez eux la «contemplation »et fait
obstacle aux faveurs mystiques?
A toute âme soucieuse d'amendement et de progrès Ignace
recommande par contre de ne point attaquer la série entière
de ses défauts à la fois, mais de concentrer ses efforts sur tel ou
tel, de compter, de noter même par écrit ses défaillances deux
fois le jour, de comparer fréquemment les résultats pour
s'encourager ou s'humilier, de poursuivre la lutte jusqu'à
victoire complète et de la reprendre ensuite sur un autre point.
C'est ce qu'il nomme « examen particulier » [24-31]. Simple
application de l'adage :Divide et impera! Pour t'imposer, divise !
Sans aucun doute, pareille surveillance est assujettissante ;
(1) Sentences choisies, n y.
(2) A. BROU, S. Ignare, maître d'oraison, p. II, c. i, p. 79-84.
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mais n'est-il pas plus pénible de prolonger sans fin des efforts
stériles? Ne voit-on pas en outre que cette surveillance, motivée
par la volonté virile d'éliminer toute faute, est un exercice
d'amour et qu'elle peut aider à maintenir l'union habituelle
avec Dieu? N'aurait-elle introduit dans les habitudes chré-
tiennes que cet humble procédé, la spiritualité ignatienne
aurait contribué de façon très appréciable ad majorem Dei
gloriam.
f. Les congrégations. —Ignace n'a pas plus inventé les asso-
ciations de piété, que l'oraison mentale et l'examen de con-
science ; mais il comprit sans peine le bien immense qu'elles
pouvaient produire, pourvu qu'on les empêchât de devenir
de simples serres chaudes, de petits cénacles sans rayonnement
extérieur. Il accepta de régénérer les congrégations dont on lui
offrit la direction, en fit créer de nouvelles, s'efforça deles porter
aux œuvres de miséricorde et d'apostolat près des pauvres,
des prisonniers, des malades, des ignorants, des pécheurs.
« Dès l'origine, nous trouvons ces groupements spécialisés
qu'on a longtemps reproché aux congrégations comme anti-
pathiques à l'esprit moderne, jusqu'au jour récent où, décou-
vrant leur efficacité, on a commencé à les mettre en hon-
neur (i) »: congrégations d'artisans, d'adolescents, d'hommes
du monde, d'hommes du peuple, de magistrats, de notaires,
de servantes...
Les jésuites n'ont pas institué de tiers-ordre. Ils y sup-
pléent par les congrégations, plus souples à quelques égards.
Groupés par catégories, leurs membres s'édifient les uns les
autres et s'entraînent à l'exercice de la charité et du zèle :
apostolat de la masse par l'élite et apostolat par les pairs.
(1) É. VILLARET, Les premières origines des Congrégations mariales, dans Archi-
vum hictoricum Soc. lesu, 1937, t. VI, p. 49. —Sur l'action personnelle de S.IGNACE,
P- 35, 38-42
Bibliographie des Congrégations mariales, BCJ, 1909, t. X, col. 438-42, —des
Associations pieuses, col. 463-8
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g. Apostolat de la prière. —Au siècle dernier enfin, la Com-


pagnie a uni dans une ligue de prière et de sacrifices quoti-
diens les milieux les plus divers : simples fidèles, prêtres, reli-
gieux, familles religieuses entières : l'Apostolat de la prière
jnauguré, en 1844, parmi ses propres étudiants.
L'oeuvre comptait, en 1938, plus de 1200 directeurs diocé-
sains, près de 126000directeurs locaux, quelque 30000 000d'as-
sociés ; elle éditait, dans les diverses parties du monde, pour ne
rien dire de publications secondaires, plus de 80 périodiques
spéciaux en 40 langues ou idiomes. Actuellement, le Saint-
Père contrôle et désigne parfois lui-même les intentions pro-
posées aux associés chaque mois. De la sorte, il n'est point
de chrétien, enfant ou adulte, infirme ou valide, excédé d'oc-
cupations ou libre de son temps, qui ne puisse unir ses suppli-
cations, ses épreuves, ses mortifications volontaires aux inten-
tions du Père commun et à celles du Cœur de Jésus : la vie en
est ennoblie, la générosité stimulée (1).
§ 5. Caractères généraux de la spiritualité ignatienne.
Nous pouvons à présent discerner, dans la spiritualité
de saint Ignace et de ses fils, plusieurs caractères assez nette-
ment marqués.
Pour prévenir des étonnements et des malentendus, deux
remarques toutefois semblent nécessaires.
Il va de soi, tout d'abord, que la spiritualité de la Compagnie
doit être cherchée dans les écrits de ses ascètes et de ses mys-
tiques, nullement chez ses casuites, non qu'elle ait à désavouer
ces derniers, —pas plus qu'aucun Ordre religieux n'a à rougir
des siens, —mais parce que leur rôle n'est pas de prêcher la
vertu et d'exciter à la perfection : leur rôle est de définir les
strictes limites du licite et de l'illicite, pour que confesseurs
et directeurs spirituels, d'une part, ne taxent jamais de faute
(1) H. Ramière, L'Apostolat de la prièreï, Toulouse, s. d.
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grave ce qui n'est pas tel et, d'autre part, tout en s'efforçant
de porter au mieux, ne majorent jamais aucune obligation.
Pascal et ses informateurs eurent le tort évident de l'oublier.
Seconde remarque : si l'on qualifie saint Paul de «glorieux
apôtre », il ne s'ensuit aucunement qu'on veuille dénier à saint
Pierre ou à saint Jean tout mérite. Nous l'espérons par consé-
quent : si nous attribuons à la spiritualité de la Compagnie
quelque prudence, par exemple, nul ne s'imaginera que nous
l'estimions ou la seule prudente ou de toutes la plus prudente.
De telles appréciations dépassent aussi bien notre compétence
que nos intentions.
Ceci dit, allons des caractères les plus extérieurs aux plus
intimes.
a. Précision des directives et des méthodes. —Ce premier
point ne sera guère contesté. La netteté des avis et des règles
formulés par saint Ignace ne paraît-elle pas autoriser certains
reproches de rigidité et de formalisme?
De fait, Ignace vise à la précision, en soldat habitué au
commandement, en directeur qui a vu de près l'impéritie et
les perplexités d'un grand nombre d'âmes. Il écrit à une reli-
gieuse : «Vous me dites que vous constatez en vous beaucoup
d'ignorances et de misères... Il vous semble que ce qui contri-
bue à cet état, c'est que l'on vous donne beaucoup de conseils,
mais peu déterminés. Je partage votre sentiment. Qui précise
peu s'entend peu à diriger et aide encore moins ; quien poco
determina poco entiende ymenosayuda (i). »
Cette conviction, manifestement, a dominé la rédaction
de ses Exercices et de ses Constitutions. Pour ces deux chefs-
d'œuvre, d'influence si étendue, dans la mesure où nous par-
venons à discerner les étapes de son travail, nous sommes
amenés à reconnaître que ses précisions ne résultent aucune-
ment d'un goût excessif pour la réglementation, ni de vues
(1) Lettre à Thérèse REJADELL, II sept. 1536 ; MH, S. Ignatii epist., t. I, p. 108.
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a priori, mais de longues réflexions et d'expériences patiemment


enregistrées.
A propos des Exercices et de leurs méthodes d'oraison,
Suarez observe : «Tous ces auteurs, [les devanciers du saint],
s'appliquent à stimuler plutôt qu'à instruire. Aussi s'étendent-
ils sur les louanges et sur les effets de la méditation ou de la
contemplation, mais sont-ils loin d'indiquer avec précision
quelque manière spéciale de prier; peculiarem autem methodum
orandi non ita distincte tradunt. Le bienheureux Ignace au
contraire condense en règles très brèves et très concises cet
admirable enseignement qu'il semble devoir, non pas tant aux
livres, qu'à l'onction du Saint-Esprit, à une grande expé-
rience et à la pratique (i). »
La remarque pourrait être étendue à d'autres sujets.
Notons plutôt, pour faire court, que ce guide très précis
en ses avis se garde de les multiplier hors de propos et surtout
de rien imposer qui ne s'impose en effet : il vise à l'essentiel ;
pour l'accessoire, il laisse à chacun de le régler selon ses attraits
personnels et les résultats de sa propre expérience.
Quoi qu'il en semble à des experts informés par une lecture
cursive des Exercices ou par tel exégète en effet trop rigide, ainsi
en va-t-il de ses recommandations pour la méditation (délimi-
tation du sujet, recueillement avant la prière, intention nette,
— le défaut d'attention et l'aridité provenant fréquemment
(i) De religione S. / . , 1. IX, c. vi, n. 2. — Des esprits prévenus considèrent
les méthodes en général comme gênant plutôt l'action de la grâce ; voyez, sur ce
sujet, J. DE GUIBERT, Études de Théol. mystique, Toulouse, 1930, c. v, p. 213-38
(RAM, 1925, t. VI, p. 159-79).
Parlant des Exercices, Mgr D'HULST écrivait pour sa part : « Méthode que j'ap-
précie toujours plus, en voyant le vague que laissent les retraites faites en dehors
d'elle. Il y a vingt ans cette année que j'ai fait connaissance avec les Exercices
Que ne leur dois-je pas depuis lors pour moi-même et pour mon ministère auprès
des autres ! »Cité par S. f,-'. le Card. BAUDRILLART, Vie de 1Iigr d'Hulst, Paris, 1912-4,
t. II, c. XXXIII, p. 555. Son Éminence ajoute : « Qu'il fît sa retraite seul ou en com-
pagnie, il la faisait avec une conscience admirable, se prêtant à tout avec une can-
deur d'enfant, recourant sans hésiter même à ces petits procédés que s. Ignace
recommande à l'occasion et que si aisément jugent puérils de beaucoup moins
grands que Mgr d'Hulst. »
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de négligences sur ces divers points, — activité de l'intelli-


gence, souci de dégager quelques résolutions, etc.) (i), —des
pratiques sur lesquelles il insiste (pour tous, abnégation,
oraison mentale, examen de conscience, fréquentation des
sacrements, —pour des âmes appelées à la perfection, extir-
pation de l'amour-propre, par l'humilité, de la volonté propre,
par l'obéissance), —des dévotions qu'il met en relief (au Père
Éternel, au Divin Médiateur, à Notre-Dame). Son cœur à lui
brûle du plus ardent amour pour la Très Sainte Trinité ; ce
mystère ineffable provoque ses ravissements et ses extases (2) ;
son compagnon, le bienheureux Lefèvre, fait au culte des anges
une place de choix : attraits individuels ; à chacun sa voie !
b. Souplesse. —En somme, spiritualité des plus accommo-
dantes à toutes préférences légitimes de la piété.
Les rédacteurs des Sentences choisies ont relevé ce principe
que n'ont jamais perdu de vue ni le saint lui-même ni aucun
interprète autorisé de sa pensée : «C'est un procédé plein de
péril de vouloir conduire toutes les âmes à la perfection par le
même chemin. Qui agit de la sorte ne comprend pas à quel
point sont variés et multiples les dons du Saint-Esprit (3). )
Dans les Exercices, les idées d'adaptation, d'accommodation,
de ménagements, de préférences à respecter, reviennent con-
stamment. « Il faut adapter [ces exercices], est-il dit dans
le 18e des avis préliminaires, à la disposition des personnes qui
veulent les faire, c'est-à-dire à leur âge, à leur science, à leur
talent, et ne pas donner à celui qui est ignorant ou d'une
complexion faible des choses qu'il ne puisse pas supporter
aisément et dont il est incapable de profiter. On doit également
consulter l'intention du retraitant et, selon le désir qu'il aura
(1) Pour le détail, SUAREZ, De religione S. J., 1. IX, c. vi, n. 3; — A. BROU,
La spiritualité de s. Ignace , c. II-IV, p. 19-67 ; - F. CAVALLERA, La spiritualité
des Ex., RAM, 1922, t. III, p. 360-71.
(2) J.-E. LABORDE, Dévotion à la T. S. Trinité, Paris, lq25 t. II, p. II, c. IV,
p. 169-76.
(3) Sentences choisies, n. 8.
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de s'avancer dans le service de Dieu, lui donner ce qui est le


plus convenable pour l'aider à obtenir le but qu'il se pro-
pose [18] (1) ».
Le directeur doit adapter le nombre et l'horaire des médi-
tations à l'état de santé des retraitants [72, 129, 205, 227],
—abréger ou prolonger la durée des « semaines », selon leurs
besoins, leurs désirs, leur progrès [162, 209, 226], — adapter
ses conseils, les documents qu'il leur communique, les médita-
tions qu'il leur propose, à leur état d'âme [7-10-, 17], —leur
apprendre, lorsqu'il s'agit de moyens secondaires, à voir eux-
mêmes ce qui leur est plus profitable [76, 79, 89, 229, etc.]
—leur apprendre en particulier à s'arrêter à loisir sur toute
considération qui les réconforte ou les console, sans se soucier
de parcourir la série entière de celles qui leur sont proposées
ou qu'eux-mêmes avaient prévues [76], —leur faire comprendre
en outre qu'il vise seulement à les initier à la contemplation
des saints mystères : quia hoc est tantum dare introductionem
quamdam et modum ad postea melius et magis complete contem-
plandum [162]...
A François de Borgia Ignace écrit : « Pour chacun cette
méditation-là est la meilleure dans laquelle Dieu se communique
davantage à lui. Car Dieu voit et sait ce qui nous convient
davantage et, le sachant, il indique lui-même la voie à suivre.
Nous, pour la trouver, nous devons tâtonner (2). »
Vous ne savez pas, dit-il en son petit livre, à quelle mesure
de pénitence vous en tenir? —Faites des essais tantôt rigou.
reux, tantôt modérés ; tâtonnez. « Comme Dieu connaît infi-
niment mieux que nous notre nature, il arrive souvent, au cours
(1) Trad. P. JENNESSEAUX, Exercices spir. de s. Ignace32, Paris, 1939, p. 15,
(2) Lettre citée par le Père P. SUAU, Hist. de s. Fr. de Borgia, Paris, 1910
1. II, p. III, p. 198. — En réalité, s. IGNACE ne dit pas « cette méditation », mais
« cette part, aquella parte es mucho mejor ». ; cependant l'application à l'oraison s'im-
pose. Fr. DE BORGIA l'a faite explicitement, ibid., 1. III, p. III, c. n, p. 392 (plus
loin, p. 73) ; de même le Directoire des Exercices de 1599, c. x x x v n , n. 13, ainsi
que les ascètes de la Compagnie les plus autorisés. Sur ce point, A. BROU, La spi-
ritualité de s. Ignace*, c. Il, p. 26-30.
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de ces changements, qu'il donne à chacun de découvrir ce qui


lui convient » [89]. L'avis revient à propos des Règles de tem-
pérance. En général, plus rigoureuse sera la mortification, plus
notable sera le profit; mais les tempéraments sont différents,
la mesure des grâces variable : tâtonnez [213]. Même sugges-
tion à propos de la posture à adopter dans la prière, de la
manière d'utiliser la clarté du jour ou l'obscurité [76, 79, 229]...
Méthode de tâtonnements, non certes à l'aveuglette, mais
avec l'assistance d'un conseiller capable d'indiquer les meil-
leures recettes et d'aider à apprécier les résultats ; nous sommes
loin de la rigidité ! Ignace devait en effet l'éviter à tout prix,
s'il souhaitait que la spiritualité de ses Exercices et l'activité
de son Ordre, qu'il ne liait à aucun ministère exclusif, fussent
utiles au plus grand nombre d'âmes possible.
c. Prudence. — On ne conteste guère à la spiritualité des
jésuites une certaine prudence. De multiples raisons l'ex-
pliquent : le caractère de leur saint fondateur, son amour
pour «le Christ, notre Seigneur »et pour «sa véritable Épouse,
notre sainte Mère, l'Église hiérarchique » [353], son expé-
rience prolongée de la direction des âmes, la crise doctrinale
au milieu de laquelle il vécut (illuminisme espagnol, calvinisme
et luthéranisme), les suspicions dont il fut lui-même l'objet,
les procès successifs qu'il eut à subir, les Règles d'orthodoxie
qu'il rédigea, ses recommandations expresses et les disposi-
tions fixées par ses Constitutions (1).
De cette prudence relevons en particulier deux traits.
Elle porte les ascètes de la Compagnie à insister avant tout
sur «l'élémentaire », c'est-à-dire, d'une part, sur les obligations
fondamentales, trop souvent oubliées par les pseudo-mystiques,
d'autre part, sur les pratiques les plus abordables au commun
des fidèles.
Obligations élémentaires : l'extirpation des passions et la
(1) Constitutions, p. III, c. i, n. 18; p. IV, c. v, n. 4 etc.
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correction des défauts. Élémentaires les devoirs d'état. Onverra


plus loin avec quelle fermeté les rappellent, fût-ce aux ministres
des rois et aux rois eux-mêmes, les Vieyra, les Bourdaloue, les
La Colombière...
Pratiques élémentaires : les examens de conscience indis-
pensables à la réforme de la conduite, les manières de prier
et les modes d'oraison exposés dans les Exercices, méthodes à la
fois précises et souples, très aptes à mener de l'oraison « dis-
cursive »à l'oraison «affective »et jusqu'à la plus haute con-
templation, s'il plaît à Dieu.
Autre trait de prudence : une réserve marquée à l'égard
de la mystique. Elle étonne à ce point divers critiques, qu'ils
vl'interprètent comme un indice de dédain ou d'opposition.
Commentpartager cette opinion? Ignace fut comblé des faveurs
divines à un degré rare ; un grand nombre de ses fils, eux aussi,
ont été menés par des voies extraordinaires ; certains ont
dirigé des contemplatifs de premier rang, —Balthazar Alvarez,
par exemple, de qui sainte Thérèse disait : « Je n'ai conféré
avec lui d'aucun point d'oraison, qu'il ne m'ait devancé (i) ; »
le bienheureux Claude de La Colombière, confident de sainte
Marguerite-Marie ; —enfin, parmi les écrivains de la Compagnie,
ceux même que d'aucuns présentent comme les champions
du « pur ascétisme » ou de « l'ascéticisme », Rodriguez, par
exemple, exaltent à l'occasion ces faveurs exquises et les pro-
grès que, normalement, elles aident à réaliser.
Tous par contre, sans exception, semble-t-il, enseignent
qu'elles dépendent de la libre initiative de Dieu, que l'on peut
donc uniquement «s'y disposer en quelque mesure »par une
générosité absolue ; aussi, blâment-ils avec sévérité ceux qui
prétendent fournir de sûres recettes pour les obtenir.
Tous, même les plus ardents protagonistes de la mystique,
B. Alvarez, L. du Pont, Alvarez de Paz, Lallemant et ses dis-
. ciples, Surin y compris, Godinez, P. de Clorivière, — pour
(1) L. DU PONT, Vie du Père B. Alvarez, trad. J.-B. COUDERC, Paris, 1912,
c. IX, p. 108.
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ne citer que quelques noms, — montrent les dangers d'une


initiation indiscrète : des âmes que rebute l'abnégation se
croient plus avancées ou plus saintes, parce qu'elles ont
quelque teinture d'une science supérieure; elles en viennent à
dédaigner les exercices élémentaires qui assureraient leurs véri-
tables progrès; sur de vagues analogies, elles s'imaginent
éprouver ce qu'elles ont lu chez les grands contemplatifs !
Tous ces auteurs également mettent en garde contre des
illusions beaucoup plus fréquentes, hélas ! que ne le supposent
non seulement la masse des fidèles, mais encore un bon nombre
de directeurs. Quoi d'étonnant? Voilà sûrement, dans le plus
difficile des arts, regimen animarum, la plus délicate des tâches :
discerner le surnaturel authentique de ses plus subtiles contre-
façons. Or, bien que ces contrefaçons aux formes multiples
n'aboutissent pas toujours à des désordres extrêmes, hérésie,
excentricités ou folie, du moins détournent-elles toujours de
la perfection.
En conséquence, que conseille la prudence? — Prôner
comme un idéal « l'union mystique » ou prôner surtout celle
que sainte Thérèse nommait « l'union véritable », dont elle
écrivait : «La véritable union peut très bien s'obtenir, avec
l'aide de Notre-Seigneur, si l'on s'efforce de l'acquérir en renon-
çant à sa volonté pour s'attacher à la volonté de Dieu. Oh!
combien y en a-t-il qui disent et qui croient fermement en
être là... Eh bien! je vous le déclare et je ne me lasserai pas
de le répéter : quand il en sera ainsi, vous aurez obtenu du Sei-
gneur la grâce de l'union. Ne vous inquiétez pas alors de cette
autre union délicieuse dont j'ai parlé. Ce qu'elle a de plus .pré-
cieux, c'est qu'elle procède de celle dont je parle maintenant
et qu'on ne peut arriver à la première, si l'on ne s'est bien affermi
dans la seconde, qui consiste dans la soumission de notre volonté i
à celle de Dieu... C'est là l'union que j'ai désirée toute ma vie,
celle que je ne cesse de demander à Notre-Seigneur (i)? »
(1) Le château intérieur, Ves demeures, c. m, Œuvres compl., t. VI) p. 1.5T-1.
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Vaut-il mieux traiter des voies extraordinaires prématuré-


ment, avec les risques signalés à l'instant, ou préparer aux
grâces d'oraison dans le silence par les moyens les plus sûrs :
humilité, renoncement à la volonté propre, désir intense de
servir Dieu plutôt que de jouir de ses dons?
Saint Ignace a préféré la seconde méthode. Ses successeurs,
Mercurian, Aquaviva, Vitelleschi, notamment, lui sont de-
meurés fidèles : reprenant, prévenant au besoin une propa-
gande indiscrète, surtout près de jeunes religieux, ils n'ont ni
déprécié les grâces d'oraison, ni davantage, quoi qu'on en ait
dit, censuré les B. Alvarez, les Lallemant, les Surin (l), ni
désapprouvé en aucune manière les maîtres qui s'efforçaient
de préparer aux faveurs divines par la spiritualité des Exer-
cices. Ainsi ont-il favorisé, loin de l'arrêter, l'efflorescence de
la vraie mystique dans la Compagnie (2) et dans les âmes que
Dieu lui confiait.
d. Optimisme. — Des grâces extraordinaires ou des grâces
communes, quelles sont, en définitive, les plus enviables? —
Assurément celles que Dieu voit plus appropriées au tempé-
rament de chacun et qu'il sait devoir le faire progresser plus
efficacement dans son amour. Il convient donc de s'abandonner
à lui, sans douter jamais de sa bonté.
Or, optimiste déjà en ce sens qu'elle se refuse à croire la
nature humaine viciée à fond et l'estime au contraire, avec le
secours de la grâce, capable des efforts énergiques que réclame
(1) A. POTTIER et L. MARIÈS, J.-J. SURIN, Questions importantes sur l'amour
de Dieu, Paris, 1930, p. 213-27 ; — A. POTTIER, La Doctrine spirit. du Père L. Lal-
lemant, Paris, 1936, p. 516-20. — Voyez en outre M. MESCHLER, L'ascèse des jésuites
et la mystique allemande, CBE, n. 79 (traduit des Stimmen, 1912, t. LXXXII,
p. 56-63, 165-78).
(2) Max VANDER SANDT, Ju bilum Societatis Iesu saeculare, ob theol. mysticaIT.
in eadem excultam et illustratam, Cologne, 1640. — Opuscule réédité par le Père
H. WATRIGANT, CBE, 1922, n. 77-78, avec étude complémentaire d'après le Père
J. SEISDEDOS SANZ, Principios jundamentales de la mÍstica, 5 vol., Madrid-Barce-
lone, 1913-7 : traditions de la Compagnie, p. IX, sect. II, t. V, p. 69-195, et liste
d'auteurs mystiques de son premier siècle.
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l'abnégation, la spiritualité ignatienne est encore optimiste


sous ce rapport : elle suppose en Dieu une bonté sans limites,
ou plutôt elle la voit dans ce prodige inouï du Verbe fait chair
pour racheter les pécheurs et les élever à la dignité de fils adop-
tifs ! Videte qualem charitatem (I Jn. m, i) ! Sic Deus dilexit
mundum ut Filium suum unigenitum daret (Jn. III, 16) !JÔSUS!
Un médiateur qui n'existe qu'à cause de nous, pour nous,
— qui s'est livré à la mort pour nous, afin de nous attester
la volonté du Père : le salut de tous, même à ce prix ! Omnes
homines vult salvos fieri (I Tim. II, 4).
De là l'opposition des jésuites aux dogmes désespérants
du calvinisme et du jansénisme; de là leur insistance sur la
miséricorde de Dieu à l'égard de tout repentir sincère, sur sa
libéralité à l'égard de toute âme qui vraiment «se renonce », ;
«donnant tout pour avoir tout » (Imit., III, xxvn, I), sur la ;
confiance illimitée à laquelle il a droit.
Ainsi en allait-il avant les révélations de Paray (1688 '
et 1689) : avant que le Sauveur eût demandé de façon spéciale
aux religieuses de la Visitation et aux fils de saint Ignace de 1
faire connaître et aimer, selon l'expression de Madeleine de
Pazzi, «l'Amour qui n'est pas aimé (I) ». La Compagnie pou-
vait-elle se dérober à cette mission sacrée? L'esprit de la dévo-
tion au Sacré-Cœur, esprit d'amour et d'apostolat, stimulé
par l'idée de réparation, n'était-il pas d'ailleurs, dès l'origine,
celui que Jésus lui avait inspiré par l'entremise d'Ignace, et
voulait par conséquent la voir propager?
e. Esprit d'amour. — Ouvrons les Exercices. Les médita-
tions initiales, celles de la «première semaine », que le saint
fondateur déclarait convenir même à d'humbles fidèles,
reviennent plusieurs fois sur les sanctions éternelles. Cepen-
dant, au lieu d'insister sur la crainte, elles insistent sur la
(1) J.-V. BAINVEL, La dévotion au Sacré-Cœur de J ésus5, Paris, 1921, p. I,
c. 11, | 6, p. 36-43. — Révélation analogue (31 juillet 1733), J.-B. COUDERC, fe
Vén. Père B.-Fr. de Hoyos. Paris, 1907, C. CVIII, S 1, p. 153.
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reconnaissance due au Souverain Juge pour sa longanimité,


au Divin Crucifié pour son expiation volontaire. «Je me deman-
derai, conclut le premier de tous les exercices, ce que j'ai fait
pour le Christ, ce que je fais pour le Christ, ce que je dois faire
pour le Christ » : provocation à l'amour qui se traduit par
des actes [53, 230] (1).
Les exercices suivants amènent la contemplation du Sau-
veur, toute beauté et toute bonté, la révélation de ses visées :
la gloire du Père, par la conquête du monde. Avant même que
la « seconde semaine » soit commencée, Ignace suggère de
dépasser la mesure commune du dévouement, de «se signaler »
au service du Roi Éternel, jusqu'à partager ses épreuves et
ses opprobres, non dans l'espoir d'une récompense plus magni-
fique, mais pour le glorifier davantage : dummodo sit majus
servitium tuum et laus tua [98, 1471.
Les méditations ultérieures tendent à renforcer cette réso-
lution dans les âmes appelées à la perfection, «même à gloire
égale pour Dieu », donc par cette délicatesse d'amour qui rend
inadmissible à un ami d'être traité autrement que son ami [167] :
dans ces conditions, ces âmes accepteront avec joie souf-
frances, contradictions, humiliations qui arrêtent de moindres
générosités ; leur énergie dans l'abnégation et l'ardeur de leur
apostolat sont assurées.
Tout cela, naturellement, se retrouve dans les Consti-
tutions.
Au candidat qui se présente, Ignace demande de considérer,
sous le regard de Dieu, comme un point de souveraine impor-
tance, «combien il est avantageux et utile, pour avancer dans
la voie spirituelle, d'avoir une aversion entière et sans réserve
pour tout ce que le monde aime et embrasse, d'accepter au
(1) En réalité, la provocation à l'amour se trouve déjà dans le 5e des avis
préliminaires, sur la générosité [5] et dans la Méditation fondamentale, qui doit
décider à chercher en toutes choses « la plus grande gloire de Dieu » [23] ; voyez
plus haut, p. xi-xiv. Nous préférons cependant invoquer les textes de la Ire semaine
[45-71], du Règne [91-98], des Étendards [136-147], qui nou, révèlent sûrement
les toutes premières pensées du saint.
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contraire, de souhaiter même de toutes ses forces tout ce que


Jésus-Christ, notre Seigneur, a aimé et embrassé... par amour
et par déférence pour lui, pro Ipsius amore ac reverentia, de
sorte que, s'il se pouvait faire sans aucune offense de sa divine
Majesté et sans faute de la part du prochain, on souhaite souf-
frir des affronts, de faux témoignages et des injures, être |
regardé et traité en insensé, sans toutefois y avoir donné I
sujet. »Pourquoi? —«Afin de se rendre semblable en quelque j
façon à notre Créateur et Seigneur, Jésus-Christ (i). » j
Pour ses religieux, Ignace écrit : «Que tous aient soin d'avoir ■
une intention droite, non seulement quant au genre de vie qu'ils
ont embrassé, mais aussi dans toutes leurs actions particu-
lières, s'y proposant toujours de servir la Bonté divine et de
lui plaire pour l'amour d'elle-même, en considération de la
charité et des bienfaits singuliers dont elle nous a prévenus,
propter Seipsam et propter caritatem et eximia beneficia quibus
praevenit nos, plutôt que par la crainte des peines ou par l'es-
pérance des récompenses, quoiqu'ils doivent s'aider aussi de
ces derniers motifs (2). »
S'aider aussi de la crainte, conseil imposé par la prudence :
le plus fervent reste exposé à des défaillances ; si vraiment il
ne redoute rien tant que de manquer de fidélité, il doit saisir
tout moyen de prévenir un tel malheur [65, 370]. Les ascètes
de la Compagnie se gardent d'oublier cet avis ; tous par contre
insistent pour que l'on donne à sa vie comme but suprême
«la plus grande gloire de Dieu »ou, selon la formule qui revient
si fréquemment sous leur plume : «Agir de telle sorte que Dieu
soit content. »
Entraîner par l'amour de Jésus au support, voire au désir
de ce qui coûte le plus à la nature, dès lors dans la dilatation
de l'âme, dans la joie de payer le Divin Maître de retour et de
compenser quelque peu les ingratitudes dont son Cœur est
(1) Exament général c. iv, n. 44; Sommaire des Constit., règle 11.
(2) Constitutions, p. III, c. i, n. 26 ; Sommaire, règle 17.
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trop souvent abreuvé, telle est en somme la tactique de saint


Ignace (i). N'est-ce pas celle du Père Éternel lui-même, qui a
paré le Verbe Incarné de toutes les séductions et fait de lui
l'image vivante de la Bonté infinie? Benignitas et humanitas
apparuit Salvatoris nostri, Dei (Tit. m, 4).
§ 6. Valeur de la spiritualité ignatienne.
Le présent volume n'est aucunement destiné aux lecteurs
des Provinciales ou des pamphlets dirigés contre les jésuites
et leur morale. Ces écrits toutefois ont accrédité bien des pré-
jugés. Quelques observations seront donc utiles, pour établir
que la spiritualité ignatienne mérite quelque confiance et peut,
elle aussi, contribuer à peupler le ciel d'élus.
a. Approbations pontificales. — Dès ses premiers essais
d'apostolat, Ignace fut âprement critiqué. Alcala, Paris,
Venise, Rome, autant d'étapes de sa carrière, autant de procès.
Chaque fois, il remit à ses juges le texte de son petit livre,
refusa de se contenter d'une sentence de non-lieu et obtint
ce qu'il escomptait : une entière approbation.
En 1548, à l'instigation de François de Borgia, il soumettait
spontanément l'édition définitive de ses Exercices aux censeurs
pontificaux. Sur leur rapport, Paul 111 déclarait : «Nous nous
sommes convaincu qu'ils sont remplis de piété et de sainteté,
et qu'ils sont et seront toujours très utiles et très salutaires
à l'édification et à l'avancement spirituel des fidèles. Enfin,
ayant justement égard aux fruits abondants qu'Ignace et la
Compagnie dont il est le fondateur ne cessent de produire dans
l'Eglise de Dieu jusque chez les nations les plus éloignées,
employant comme un moyen très puissant les mêmes Exer-
cices... Nous approuvons, Nous louons et Nous confirmons
(1) Voyez A. POTTIER, Le Père Lallemant et les grandç spirituels de son temps,
Paris, 1927-9, S. Ignace, maître d'amour, t. II, p. 127-73.
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ces Instructions ou Exercices et tout ce qu'ils renferment,


exhortant dans le Seigneur, de tout notre pouvoir, les fidèles
de l'un et l'autre sexe, tous et chacun d'eux en particulier,
à faire usage d'exercices si remplis de piété et à se former sur
des enseignements si salutaires (i). »
Depuis cette date, les attaques dont les Exercices ont été
l'objet n'ont eu d'autre résultat que de provoquer de la part
des Souverains Pontifes des approbations plus fermes encore.
En 1922, Sa Sainteté Pie xi, proclamait leur auteur «patron
céleste de tous les exercices spirituels et par conséquent des
instituts, sociétés, groupements de tout genre qui consacrent
leurs soins et leur dévouement à l'œuvre des retraites (2). »-
La même année, en un autre document, Sa Sainteté écri-
vait : «Dans la retraite de Manrèse, Ignace apprit de la Mère
de Dieu elle-même comment il devait combattre les combats
du Seigneur. Ce fut comme de ses mains qu'il reçut ce code
si parfait, absolutissimum legum codicem, —c'est le nom qu'en
toute vérité nous pouvons lui donner, —dont tout bon soldat
de Jésus-Christ doit se servir, quo quisque bonus miles Christi
Jesu utatur oportet... non qu'il ne faille estimer les autres exer-
cices de ce genre en usage ailleurs, mais, en ceux qui sont
organisés selon la méthode ignatienne, tout est disposé avec
tant de sagesse, tout est en si étroite coordination, que, si
l'on n'oppose point de résistance à la grâce divine, ils renou-
vellent l'homme jusque dans son fond et le rendent pleinement
soumis à la divine autorité (3). »
En 1929, dans l'Encyclique Mens nostra, Sa Sainteté faisait
de l'humble opuscule cet éloge : «Il s'affirma et s'imposa comme
le code le plus sage et le plus universel du gouvernement spi-
rituel des âmes, comme une source inépuisable de la piété !
(1) Traduction P. JENNESSEAUX, Exercices spir. de s. Ignace--, Paris, 1939, j
p. x-xi.
(2) Constitution Summorum Pontificum, traduction A. VALENSIN, Les Exer- Jj
cices spir., Paris, 1935, p. 15. 1
(3) A. VALENSIN, même ouvrage, p. 23 ; Acta Apost Sedis, 1922, t. XIV, p. 629-

30. 1
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la plus profonde en même temps que la plus solide, comme un


stimulant irrésistible et un guide très sûr dans la voie de la
conversion, de la plus haute spiritualité et de la perfection,
ad morum emendationem procurandam vitaeque spiritualis cul-
men attingendum (i). »
Les Constitutions de la Compagnie, autre code de spiritua-
lité issu lui-même des Exercices, ont bénéficié, près des Souve-
rains Pontifes, d'une faveur analogue.
En 1773, il est vrai, dans l'espoir d'assurer la paix de l'Église,
Clément xiv crut devoir supprimer la Compagnie ; il le fit
sans prendre à sa charge aucun des griefs formulés contre
elle (2). Sint ut sunt, aut non sint! «Que les jésuites demeurent
ce qu'ils sont ou qu'ils cessent d'être ! »aurait répondu à des
propositions de réforme le général Laurent Ricci. Or, moins
de cinquante ans après, en 1814, Pie vu rétablissait l'Ordre
« dans son état primitif » et lui restituait ses Constitutions
telles quelles, ut juerant. Au total, de la Bulle Regimini publiée
par Paul m, en 1540, aux Lettres Apostoliques adressées par
sa Sainteté Pie xn au T. R. P. Ledôchowski, à l'occasion du
quatrième centenaire, que de fois elles ont été approuvées et
louées !
b. Consécration des pratiques ignatiennes. — Autre genre
d'approbation, assurément peu banal : petit à petit, les pra-
tiques de piété recommandées par Ignace et ses fils se sont
en quelque sorte imposées au monde chrétien, non certes que
les jésuites aient été seuls à les promouvoir; d'ardents et
d'illustres concours ont appuyé leurs efforts; mais, en nombre
de cas, ces concours dérivaient directement de l'expérience
personnelle des Exercices, —en d'autres cas, de l'évidence des
résultats obtenus et d'une sainte émulation. Admettons qu'en
(1) Même ouvrage, p. 80; Acta Apost. Sedis, 1929, t. XXI, p. 703. — Plus
. complets : J. DE GUIEERT, Documenta eccles., Rome, 1931, p. 240-8, 442-55 ;
C.-H. MARIN, Exercitia sPirit., Barcelone, 1941, pp. 790.
(2) J. BRUCKER, La Compagnie de Jésus, Paris, 1910, p. R25-32.
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d'autres cas cette évolution soit strictement autonome ; du


moins saint Ignace l'a-t-il sûrement devancée.
Ainsi en est-il notamment de l'oraison mentale préparée
selon des méthodes précises et faite chaque jour à heure fixe.
L'antiquité chrétienne et les grands Ordres du moyen âge
ignoraient ces usages (i). Aujourd'hui, ils sont courants; la
législation actuelle, alors qu'elle impose seulement aux prêtres
de célébrer le Saint Sacrifice « quelques fois dans l'année »,
fait aux clercs, aux prêtres et aux religieux, une obligation de
consacrer, «chaque jour, quelque temps à l'oraison mentale (2) ».
Ainsi en est-il encore des retraites périodiques, que les suc-
cesseurs de saint Ignace ont rendues obligatoires pour leurs
religieux. « Pour leur renouvellement annuel dans la vie spi-
rituelle, écrit encore le Père H. Denifle, tous les membres
de la Compagnie, qu'ils aient fait ou non leur profession solen-
nelle, doivent pratiquer ces Exercices par lesquels ils ont été
préparés à entrer dans l'Ordre, ces Exercices qui ne connaissent
que l'idéal commun à tous, qui n'indiquent d'autre voie que
Jésus-Christ... Tous les autres Ordres leur ont pris cette mé-
thode sans pour cela changer un iota à leurs anciens statuts ;
bien loin de là, les Exercices leur servent précisément à mieux
observer leurs règles propres (3). »Dès les premiers temps de
la Compagnie, pouvons-nous ajouter avec le Cardinal Bellar-
min, des ordres contemplatifs eux-mêmes demandaient aux
fils de saint Ignace de les former à l'oraison (4). Aujourd'hui,
l'Église exige de tous ses prêtres une retraite de quatre jours
tous les deux ans au moins, de ses jeunes clercs une retraite
avant la réception des ordres sacrés. Aux instituts nouveaux
qui sollicitent son approbation, elle propose comme règle une
retraite annuelle de huit ou dix jours (5). Soucieux de donner
(1) Voyez les textes cités par le Père BOUVIER, L'évolution de la piété, dans
les Études, 1909, t. CXX, p. 187-211.
(2) Codex juris, canons 805 ; 125, %2 ; 595, § 2 ; 1367, § 1.
(3) Luther et le Luthéranisme, trad. J. PAQUIER, t. I, c. VIII, p. 307-8.
(4) Exhortationes domesticae, Bruxelles, 1899, p. 232.
(5) Encyclique Mens nostra, dans A. VALENSIN, ouvr. cité, p. 65, 176
1
\
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l'exemple, les Souverains Pontifes font donner des retraites


dans le palais même du Vatican.
Nous avons parlé des « retraites fermées », organisées en
des maisons spéciales, des «retraites publiques », des «missions »
prêchées dans les paroisses. Actuellement, eudistes, lazaristes,
rédemptoristes, passionnistes et bien d'autres religieux riva-
lisent à cet égard avec les jésuites, au grand profit du peuple
chrétien (i).
Nous avons dit la campagne inaugurée par Ignace en faveur
de la communion fréquente, selon les usages de l'Eglise primi-
tive. Depuis les décrets de Pie x, en principe tout au moins,
la réforme est accomplie. On devine à quel point, sans en reven-
diquer ni pour lui, ni pour ses fils, le mérite exclusif, le saint
patriarche doit s'en réjouir !
L'examen de conscience quotidien est également devenu de
règle en nombre d'instituts. Sa Sainteté Pie x, en I908, l'a
recommandé au clergé comme jamais peut-être on ne l'avait
fait (2). L'examen « particulier », selon le texte même des
Exercices ou sous la forme de « probations » relatives à telle
ou telle vertu, est pratiqué par un grand nombre de fidèles.
Quant aux congrégations de la T. S. Vierge ou des saints,
on sait leur vogue présente.
c. Fruits de sainteté. — En définitive, c'est à leurs fruits
qu'il faut juger principes, méthodes et recettes ascétiques. Or
certains faits autorisent une appréciation nettement favorable.
Dans l'espace de quatre siècles, l'Église a décerné le titre
de saints à vingt-six jésuites, celui de bienheureux à cent
quarante-deux. Elle a proclamé le converti de Manrèse patron
des exercices spirituels, François Xavier patron des missions,
Pierre Claver patron spécial des missions près des Noirs,
(1) C. LEBRUN, Le B. Jean Eudes, les Eudistes et Vœuvre des retraites, CBE,
N. 56 ; — X., S. Vincent de Paul et les retraites fermées, iùÙi., Tl. 50 ; — H. WATln-
GANT, Les Exercices spir. à la, naissance des séminaires, 11. 39 et 40...
(2) Exhortation au clergé cathol. (4 août 1908). — Texte et commentaire,
1J.-M. LAMBERT, Ad vos, o Sacerdotes! Paris, 1913. Sur l'examen de consc., p. 221-4.
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Louis de Gonzague, patron de la jeunesse, Robert Bellarmin,


patron des œuvres catéchétiques. Une trentaine de causes de
béatification sont étudiées en cour de Rome; beaucoup
d'autres sont encore à l'examen en divers diocèses (i). j
Les Ménologes de l'Ordre conservent en outre la mémoire
d'un grand nombre de religieux que l'éclat de leurs vertus
permet de présenter comme des modèles. Souvent leurs bio-
graphies amènent à se demander pourquoi les honneurs des
autels leur sont jusqu'ici différés? Dieu sans doute a ses des-
seins. N'est-ce pas après trois cents ans seulement qu'il a
concédé à Robert Bellarmin et à Pierre Canisius la double
auréole de confesseur et de docteur?
Mais le rayonnement de la spiritualité ignatienne s'est
étendu bien au-delà. Pour une part tout au moins, doivent être
attribuées à son influence les vertus éminentes de saints et de
saintes qui ont spontanément proclamé leur admiration pour
elle. Citons seulement Antoine-Marie Zaccaria, Pierre d'Alcan-
tara, Charles Borromée, François de Sales, Vincent de Paul,
Jean Eudes, Léonard de Port-Maurice, Alphonse de Liguori,
Thérèse d'Avila, Madeleine de Pazzi, Marguerite-Marie, Marie
de l'Incarnation (Marie Guyart), les fondatrices des Congréga-
tions dont les Constitutions sont presque calquées sur celles
de saint Ignace : Ordre de Notre-Dame, Sacré-Cœur, Fidèles
Compagnes de Jésus, Marie réparatrice, Marie auxiliatrice,
Auxiliatrices du Purgatoire, Cénacle, Sainte Famille du Sacré-
Cœur, Société de Jésus réparateur, etc. Parmi ces fondatrices,
Jeanne de l'Estonnac et Madeleine-Sophie Barat sont déjà
canonisées. Pour les autres et pour plusieurs de leurs filles, des
procès de béatification s'instruisent à Rome. Des Nécrologes
et des Annales de ces divers instituts serait à répéter ce que
nous avons dit des Ménologes de la Compagnie.
Devraient être cités enfin, comme parvenus à la perfection
(1) Ch. VAN SULL, Saints et Bienheureux de la Comp. de JésusK, Bruxelles,
I.esigne, 1935. — Depuis 1935, ont été béatifiés R. GONZALEZ, A. RODRIGUEZ, J. DE
CASTII,LO ; A. BOIJOLA, J DE BRITTO, B. REALINO ont été canonisés.
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de leur état grâce aux Exercices et à saint Ignace, nombre


de saints prêtres tels que le Vénérable Michel Le Nobletz,
Mgr Baunard, Mgr d'Hulst... les ardents propagateurs de
l'œuvre des retraites, M. de Kerlivio, la Vénérable Catherine
de Francheville, Victoire de Saint-Luc... en des temps plus
proches, Philibert Vrau et Camille Féron-Vrau... et combien
de membres des congrégations mariales, depuis la fondation
de la Prima primaria (1563) jusqu'à nos jours (I) !
La même sève, conclurons-nous, peut encore produire les
mêmes fruits.
Chaque spiritualité a ses nuances. Lorsqu'elles dérivent
d'un saint authentique, elles sont voulues par Dieu, pour
répondre à des mentalités et à des vocations différentes :
Unusquisque proprium donum habet; alius quidem sic, alius
vero sic (I Cor. VII, 7). Prendre occasion de cette diversité
pour critiquer des conceptions ou des méthodes que soi-même
on agrée moins serait oublier ces vues de la Providence et le
rôle distinct assigné à chaque membre dans le Corps mystique
du Christ (I Cor. xii, 4-31). Dieu en préserve les admirateurs
de saint Ignace !Qu'il en préserve également les disciplesenthou-
siastes d'autres saints !
D'ailleurs, si les points de départ et les premiers exercices
de la piété diffèrent, une heure vient où les pèlerins d'ici-bas
vraiment soucieux d'atteindre les cimes se rejoignent aux
mêmes carrefours, suivent les mêmes routes et fraternisent
dans les mêmes sentiments (2). Parmi les spiritualités que
l'Église approuve, on en chercherait vainement une seule qui
dispense du vince teipsum, de l'amour du Sauveur et de son
imitation la plus fidèle.
(1) A. DRIVE, Marie et la Comp. de Jésus1, Paris, 1904, c. x, p. 281-370; —
M. MESCHLER, La Comp. de Jésus, p. II, sect. I, p. 189-99 — A. BROU, La spi-
ritualité de s. Ignace1, c. x, p. 154-214.
En 1923, étaient affiliées à la Primnria de Rome 46 940 congrégations.
(2) Sur les sentiments de nombreux saints et bienheureux à l'égard de la Com-
pagnie, A. DEBADTS DE CUGNAC, La Comp. de Jésus jugée par l'Église universelle,
Lille, 1879, c. 11, p. 79-156.
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BIBLIOTHÈQUE SPIRITUELLE DU CHRÉTIEN LETTRÉ


publiée sous la direction de l'Abbé Omer ENGLEBERT

Outre l'Ecriture Sainte et l'Imitation de Jésus-Christ, cette


collection publiera, en une vingtaine de volumes, les principaux
chefs-d'œuvre de la mystique chrétienne. Toutes les écoles et tous
les grands écrivains chrétiens yseront représentés par les meilleurs
textes, et lorsqu'il yaura lieu, dans les plus belles traductions exis-
tantes ou dans des traductions inédites. En outre, chaque volume
sera précédé d'une importante introduction,constituant un commen-
taire instructif, rédigé par l'érudit que ses travaux ont le plus
particulièrement désigné pour ce travail. Enfin, la présentation de
ces livres de bibliothèque a été particulièrement soignée.

A PARAITRE :
L'IMITATION, texte latin et texte français de Lamennais, pré-
sentés par le R. P. CHENU.
LA SAINTE ÉCRITURE, présenté par le R. P. HUBY.
LES PÈRES DU DÉSERT, présenté par le R. P. DRAGUET.
LES PÈRES LATINS, présenté par le R. P. CAYRÉ.
LES PÈRES GRECS (2vol.), présenté par le R.P. Louis BOUYER-
SAINT AUGUSTIN, présenté par le Chanoine G. BARDY.
PASCAL, présenté par Henri GOUHIER.
BÉRULLE ET MALEBRANCHE, présenté par Louis
LAVELLE.
BOSSUET, présenté par Mgr CALVET.
Etc., etc...

Imprimé en France. - TYPOGRAPHIE PLON, PARIS. - 1949- 5'1478.


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