L'ILLUSTRATION

Un patio dans une maison particulière. Une des belles portes de la ville nouvelle.

Une rue neuve aux lactis de bois où s'enlaceront la vigne et le jasmin .

UNE RÉALISATION FRANÇAISE POUR LES INDIGENES AU MAROC : LA NOUVELLE MEDINA DE CASABLANCA
Photographier Joseph Brull.
 18 OCTOBRE 193U
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Un seuil à peine achevé et qui a déjà le caractère
du passé.
LA NOUVELLE MEDINA DE CASABLANCA
Le président de la République vient d'arriver
au Maroc et nous donnerons les premières photo
graphies de son voyage dans notre prochain numéro.
Parmi les curiosités qui lui seront vraisemblable
ment présentées, il convient de faire une place à part
à la nouvelle Medina de Casablanca, création
de toutes pièces, par des Européens, d'une ville
indigène qui réalise sans doute l'expérience la
plus étonnante qu'on ait tentée au Maroc .
C'était en 1916, en pleine guerre. Le service
du plan de ville avait loué à Casablanca un appar
tement dans un grand immeuble construit en 1914
par les frères Perret et qui faisait alors figure de
gratte-ciel. Là travaillait Prost, dont l'architecte
Laprade a justement dit qu'il jouait auprès du
résident le rôle d'un Lebrun , moins l'apparat.
Autour de lui s'était groupée une équipe de tra
vailleurs passionnés, d'artistes à qui Prost distri
buait la tâche suivant leurs aptitudes. Là aussi
faisaient antichambre les spéculateurs ; en quête
d'une indiscrétion fructueuse pour eux seuls, ils
tâchaient à voir le fameux plan de Casablanca,
à soutirer des architectes quelques petits conseils,
leur suggérant gentiment de faire obliquer les
voies un peu plus à droite ou un peu plus à gauche ,
leur demandant avec adresse où serait tel ou tel
alignement, leur faisant comprendre qu'il y avait
de l'argent à gagner .
Mais leurs consciences n'étaient pas à vendre...
Ces idéalistes en quête de beauté n'échangeaient
que des regrets, des désirs. Ils parlaient notam
ment avec angoisse de la situation des indigènes,
de ces travailleurs accourus du bled pour louer
leurs bras aux industries naissantes , aux grands
travaux du port ou d'urbanisme et qui, faute de
logement , vivaient entassés aux portes de la
Medina, dans des gourbis infâmes, dans des
cagnas en roseaux, en bidons de pétrole, sans
égouts, sans hygiène. Le typhus faisait son appa
rition, terrible seigneur aux armes invisibles. Des
agglomérations indigènes à génération spon
tanée sortaient de terre avec une vitesse inouïe.
Des baraques de zoniers risquaient d'entraver
toute l'application du plan général de la ville,
comme elles menaçaient la santé publique .
Il y avait alors au Maroc un de ces hommes
discrets dont la gloire s'efface devant ceux qui
ont le temps de se mettre
en valeur . Aujour
d'hui , il dört sous une pierre quelconque , dans
le cimetière de Rabat , et sans que son nom ait
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jamais été donné, que je sache, à l'une des
rues qu'il a tant contribué à ouvrir à travers
le magma des villes en devenir. M. Biarnay,
car c'était lui, directeur des Habous , l'ami, le
conseiller de tout le Maroc musulman , offrit son
aide . Il disposait de l'argent en réserve des biens
religieux destinés à l'entretien des mosquées. Il
proposa de placer cet argent à un taux infime dans
la construction de maisons qu'on louerait à bon
marché aux indigènes. Un riche israélite de
l'endroit , M. Bendahan , homme de bien , vieil
ami de M. Biarnay, donna un immense terrain sur
la route de Marrakech , au sud de Casablanca,
derrière le nouveau palais du sultan. Cette situa
tion ne contrariait en rien le plan d'ensemble.
Ainsi placée, la nouvelle Medina de Casablanca
compléterait harmonieusement la distribution de
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la ville en zones parfaitement à leur place : zone
de l'industrie , à l'est, dans le bon sens des vents
et sur un terrain désertique ; zone de commerce,
au centre, autour de cet étonnant café qu'on
appelle le Roi de la Bière et où l'on voit des
circuler entre les tables avec des échantilgenslons
de mazout, de minerai, de charbon provenant des
mines qua'ils ont prospectées dans le bled ; zone
d'habitation, à l'ouest, dans la partie fertile ;
zone indigène, en arrière, sur le grand axe de péné
tration vers l'intérieur et les plaines de la
Chaouia.
A celle-ci, il fallait un plan . Prost en confia la Une rue en chicane sous ses arceaux blancs.
conception et l'exécution à Laprade. Plan de
la ville, plan des maisons. C'est ici le lieu de de suite de créer, de bâtir, en y mettant le plus
répéter, puisqu'on ne l'a pas encore compris, de confort possible, mais principalement de rendre
que l'un est solidaire de l'autre. On croit commu les murs blancs sensibles, vibrants, chargés de
nément, parmi les conseillers municipaux qui poésie, afin que les futurs occupants aient la
s'imaginent tenir la science infuse du suffrage sensation d'être non pas parqués , mais bien chez
eux. Car l'architecture est chose vivante et,
universel, qu'il suffit pour donner de l'air à une
ville d'ouvrir de larges rues, pourvues de cana tout comme une sculpture, un tableau , elle doit
lisations de toute sorte . Qu'en arrière des façades exprimer un sentiment. Les maisons ont été
plus ou moins monumentales il y ait des cours dessinées une par une, variées sans doute, cubiques
pareilles à des puits, sans air, sans lumière , sans
>
et blanches, mais non cubiques, sèches et froides.
soleil, peu importe ! Or il n'y a pas besoin d'être Cubiques avec constamment quelque chose
grand clerc en architecture observer que , d'humain , de sensible, avec des murs un peu
pour
dans les anciennes villes indigènes du Maroc , irréguliers sur lesquels la lumière joue en valeurs
les rues sont étroites, mais que si vous pénétrez inno
Brullmbra
, queblesnous
dontrepr photo
lesodui graph de M.t siJose
iesimen ph
sons , expr bien
à l'intérieur des maisons, par une de ces entrées
en baïonnette qui défendent si bien la vie intime la subtilité. La plupart n'ont qu'un rez-de-chaussée,
de la famille contre les regards indiscrets du avec
un patio entouré d'une, deux, trois ou
passant, vous vous trouvez dans un patio assez quatre chambres. Une petite cuisine est atte
vaste, dont le portique encadre souvent un jardin nante à l'entrée disposée en chicane. Les commo
où poussent les géraniums, les bananiers, parfois dités se relient aux égouts. Ainsi donc on a res
pectéest,le à plan
même un palmier . La maison n'est pas haule, qui de l'ancienne
quelques celui demusulmane
nuances près,maison l'antique
un étage au -dessus du rez-de-chaussée ; une à
terrasse la couvre, cette terrasse qui est en Islam maison méditerranéenne et que les scrupules de
le seul endroit où les femmes puissent se dévoiler l'Islam ferment un peu plus sur le dehors. Tout
et vivre à la lumière , et sur laquelle toute prise de sauveg
en religiosardant
ité, a dece respect abletraditi
que cette , on yon,a emprei
ajouté nte
les
de vue est interdite.
C'est en pensant à cette proportion entre la rue acquisitions dont nous sommes si fiers, nous
autres Occidentaux. Au fond, ce grand progrès
et la cour que l'architecte se mit à l'æuvre pour
établir le plan de la nouvelle Medina. Il aimait se borne à remplacer les plafonds de bois, où les
tellement les maisons arabes, pauvres, simples, insectes peuvent se loger, par un plafond de
mais si gaies, si intimes, qu'il ambitionna tout ciment armé, une cheminée par un fourneau de
cuisine et la fosse d'aisances par le tout-à - l'égout.
C'est considérable, en effet, mais essentielie
ment matériel et du même ordre d'idées que
le Salon des arts ménagers qui nous présente ,
chaque année, des systèmes perfectionnes pour
Port ' couper le beurre ou découper les pommes de
Gare Maritime torre frites. La civilisation orientale, qui repose
Anctenne
Medina sur des considérations purement morales , ( st
tout autre.
Place
de
France )
Region Civile Appelé en 1917, à Rabat, pour la construction
Monum Gare de la Résidence , M. Laprade dut « passer » son
a Victoire Pl.de
Stade Walletore cuvre à M. Cadet qui, en collaburation avec
Municipat M. Brion, établi comme lui à Casablanca et comme
lui ancien élève de notre Ecole nationale des
M
A
R
Palais
du Sultan beau -arts, l'a continuée en l'étendant de plus
Hôpitaux en plus et en lui donnant les proportions qu'elle a
Gr ! Lycée Nouvelle Medina
de Garçons
aujourd'hui et qu'elle dépassera vraisemblable
V Marrakech
0 500 1000 Mètes ment. C'est sans doute parce qu'il y eut à lcri
gine de la nouvelle cité un tel désir de bienfait
Casablanca et sa nouvelle ville indigène, ou medina . humain , une pensée tellement nourrie d'in
derrière le palais du sultan, près de la voie ferrée. tentions délicates et de souvenirs émus qu'elle
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quent encore un désordre apparent , qui les villes indigènes des villes européennes par de
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larges zones non adificandi, d'une part, la néces

Passage sous une maison .
n'a pas l'aspect d'une plantation exotique d'ex-
position universelle. Non une copie, ni un pas-
tiche plus ou moins adroit, mais une méditation
savoureuse sur le thème de la vie orientale, pour-
suivie par des artistes européens. Dans leur euvre
on perçoit le reflet d'un monde qu'ils admirent
secrètement et auquel ils ont touché avec les
mille précautions d'un savant sentimental qui
déplierait les bandelettes d'une momie.
La voici donc, en contre -bas du palais du sultan.
Après les hautes murailles qui entourent les
jardins du prince, comme elle semble étalée, la
ville toute blanche d'où émerge un minaret de
pierre ocre jaune ! Je l'aborde par un vaste décou-
vert qui appelle en quelque sorte un de ces grands
marchés d'Islam où l'on vend des tapis, du grain,
des fruits , des dattes et des contes à dormir
debout. Je dépasse les fondouks pour les chameaux ,
à gauche et à droite de l'entrée, et me voici dans
la rue principale, bordée de portiques, où il fait
bon cheminer à l'ombre quand il fait
beau , à l'abri quand par extraor
dinaire il pleut.
Sous les portiques aux arcades
cintrées sont installés , dans leurs
niches, ces multiples petits commerces,
ces ingénieux métiers d'artisans où
le passant voit fabriquer sous ses
yeux le vêtement, la nourriture et
les choses qui servent à sa vie,
tandis que notre civilisation nous
tient dans l'ignorance de cette rela
tion si nécessaire à l'intelligence
véritable de l'existence . Mille conseils
de patience à entendre, tout en che
minant ! Tandis que je marche, se
dévide comme un ruban la rue où
les enfants jouent ainsi qu'en une
sortie d'école du peintre Decamps .
Etroite la rue, et pourquoi serait
elle large ? Le ficus à la feuille acérée
! comme une langue projette contre
la muraille claire son ombre bien
dessinée . D’un mur à l'autre une
pergola enjambe l'espace , à moitié
envahie par les bougainvilliers vio
lets, par le blanc jasmin , et portant
sur le sol battu l'ombre gauchement
régulière de son lattis de bois. Dans
les renfoncements et les carrefours ,
au tournant des rues régulières , mais
qui paraissent variées à l'infini tant
il existe de manières pour un artiste
de présenter au regard la même
maison , un figuier à l'odeur amère et
sucrée , une treille de vigne compli
est la coquetterie d'un ordre parfait.
Dans la nouvelle ville indigène comme
àMaroc oùanca
Casabl l'on même, it
qui est la ville du
constru le plus (de 25 à
aussi celle soddeil yfrancs
30 million par belles
a les plus mais
mois), fleurs,
on a planté en même temps qu'on bâtis
sait et c'est sans doute la raison pour
laquelle , à peine née, la cité indigène
paraît chargée d'ans et de souvenirs .
Adossée à une maison , une fontaine de
faience polychrome laisse tomber son
eau claire dans les amphores ou les anciens
bidons de pétrole que lui tendent les
bras nus, tatoués de bracelets bleus . La
rue principale débouche sur une grande
place de forme irrégulière où les maisons
s'écartent respectueusement pour se pros
terner devant le minaret de la mosquée.
Près du sanctuaire , comme à l'ombre
d'une bénédiction profitable, de riches
marchands de Fès ont leur demeure.
Devant la porte, une auto stationne .
Elle est de marque américaine , comme
beaucoup de voitures au Maroc, où l'on
perçoit peu de droits à l'entrée sur les
automobiles. Des tuiles vertes comme
j'en ai vu fabriquer à Safi, sur le littoral , et
chez les potiers de Fès ourlent un auvent. Des
grilles de fer forgé, dont les barreaux dessinent
des carrés enfermant chacun une volute, pro
tègent les fenêtres . De magnifiques taxis six
cylindres filent à toute allure, effarouchant
les ânes, égaillant une troupe d'enfants comme
une volée de moineaux. Les chauffeurs ont trop
tendance à utiliser ce raccourci. Pour les
empêcher de traverser la ville indigène et les
obliger à suivre la route d'évitement , qui existe,
les architectes ont résolu, avec le consentement
de la municipalité, de fermer par des portiques
réservés aux piétons la rue de dix-huit mètres
qui aboutit au pont jeté au -dessus du chemin de
fer de Marrakech .
La nouvelle Medina de Casablanca fait école.
L'excellente décision prise au Maroc de séparer
Cour des ablutions , dans la mosquée .
sité de loger les indigènes à l'étroit dans les
villes anciennes , d'autre part, détermineront de
plus en plus les chefs des services municipaux
à construire de toutes pièces, sur un terrain
soigneusement choisi par rapport à la distribu
Le minaret,
tion d'ensemble et d'après un plan étudié, de
nouvelles cités indigènes analogues à celle -ci.
A Fès- cl-Djedid, j'ai pu voir la rue Bou- Khisissat,
que bordent d'un côté les murailles du palais du
sultan, de l'autre les maisons construites en
lisière du Mellah et destinées au logement des
cer
israélites. L'interdiction de dépasser une
taine hauteur, afin que les habitants ne puissent
plonger du regard dans les jardins du sultan, les
a maintenues dans une proportion qui n'écrase pas
les constructions situées en arrière. Les architectes,
MM . Cadet et Brion, ont su dégager
dans les façades le caractère mitigé
d'Orient et d'Occident qui est
le propre des quartiers juifs. La
couleur des murailles, l'ombre portée
sur elles en arêtes vives par les
balcons, le linge qui sèche aux
fenêtres en font quelque chose qui
fixe les idées du passant sur les
gens qu'il coudoie ...
Quand on aura achevé le che
min de fer à voie normale de Fès
à Oudida et la future gare qui
desservira Fès- el-Bali, près de la
porte de Taza , il faudra bien songer
à bâtir aux approches de cette gare
une nouvelle Medina qui recevra les
habitants déjà à l'étroit dans Fès
el- Bali. Sans quoi on risquerait
de compromettre par quelque ban
lieue parisienne cette ville du moyen
âge, insondable et secrète, dont les
paysages fermés , mais d'une si grande
« échelle » , nous donnaient constam
ment l'impression d'un voyage dans
le temps , sinon dans l'espace . Ce
ne serait pas la manière du Maroc,
vaste laboratoire de la vie moderne
LÉANDRE VAILLAT .
Nous publierons avec notre pro
chain numéro
Le Prof d'anglais.
la spirituelle comédie en trois actes
de M. Régis Gignour, qui fut créée
avec succès à la Comédie des Champs
Elysées .