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2023 12:11
Sanaa
Ville d’art et d’Islam
Hélène Legendre-De Koninck
URI : https://id.erudit.org/iderudit/53654ac
Éditeur(s)
La Société La Vie des Arts
ISSN
0042-5435 (imprimé)
1923-3183 (numérique)
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Tous droits réservés © La Société La Vie des Arts, 1992 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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architectural
mordoré au coeur
du Y é m e n ;
de maisons-tours
C'est ainsi qu'apparaît la vieille ville de
c h a r g é e s d'un d é c o r Sanaa à la pointe de la péninsule ara-
bique. Les portes de la mer Rouge ne sont
blanc é b l o u i s s a n t
pas loin qui s'ouvrent sur l'océan Indien.
auquel s'accorde Dressée sur un plateau fertile, Sanaa, tout
en hauteur, est encadrée de montagnes.
d a n s la l u m i è r e Les origines mythiques d'Azal, ancien
nom de la ville, sont évoquées dans la
c e l u i des m i n a r e t s ;
Genèse; Sanaa toutefois s'inscrit dans
des volumes l'histoire au II' siècle. Le royaume de Saba
existe toujours à l'époque bien qu'il ait
e t des m o t i f s puisés connu son apogée déjà vers le Ve siècle
avant J.C. Depuis la haute Antiquité, ce
dans un m ê m e
prestigieux royaume contrôle le com-
répertoire ancien ; merce de la route de l'encens qui relie le
sud de la péninsule arabique à la Méditer-
« un m u s é e à c i e l ranée orientale en longeant le grand
désert du Rub Al-Khali. Les caravanes qui
o u v e r t » a-t-on é c r i t .
y défilent sont chargées des précieux
produits d'Arabie et même de l'Inde:
encens, myrrhe, aromates, indigo, or,
pierreries; ceux-ci sont acheminés vers
les empires célèbres du bassin méditer-
ranéen -Egypte, Grèce, Rome- et vers ceux
de la Mésopotamie dont les extravagances
des dieux et des rois n'avaient jamais fini
de s'accroître.
Sanaa au deuxième siècle est au croi-
sement de ce parcours très fréquenté et
d'une seconde piste qui mène à la mer
Rouge et dont elle tire sa richesse. Cité
bien fortifiée, tel que son nom le signifie,
elle aurait accédé au statut de capitale
royale au IIe siècle dans le cadre de la
fédération sabéenne"'; l'élévation du
palais de Gumdam en faisait l'une des
villes d'Arabie ancienne les plus impor-
tantes. Lieu d'une des plus riches civilisa-
tions de l'Antiquité, la civilisation de Saba,
toute cette région de hauts-plateaux et de
déserts constitue en outre la terre
d'origine de la culture sud-arabique'2'.
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dernier et surtout depuis les années 1930- La mosquée de Qubhat al-Tahlah est une
1950, le vitrail, dont la tradition est très illustration de ce modèle turc.
ancienne dans le monde arabe, a rem- Les mosquées les plus anciennes, et
placé progressivement l'albâtre ; aujour- qui survivent toujours, reproduisent le
d'hui, il est particulièrement répandu aux plan simple de la maison du Prophète à
fenêtres de Sanaa donnant, le soir, des Médine. Elles ont un toit plat appuyé sur
allures de cathédrale à la ville et dépla- des arcades.
çant, le jour, ses reflets sur le plâtre blanc La Grande Mosquée, construite une
des intérieurs et la pierre des planchers. première fois au VIP siècle, remonterait
Ces arcs seuls diffusent et voilent la lumiè- pour l'essentiel aux VHP et LXe siècles.
re lorsque les volets sont fermés. C'est alors que son premier minaret fut
D'autres ouvertures, ocuh superposés élevé sur un modèle de Médine. Les arca-
au creux d'une niche, percements étroits des qui entourent aujourd'hui sa cour
intercalés entre les grandes fenêtres, intérieure sont d'influence byzantine et
meurtrières regroupées à la base des im- perse ; les deux minarets qu'on peut voir
meubles, s'intègrent à la disposition géné- actuellement datent du XIII' siècle et son
rale pour assurer plus discrètement vue, dôme, du XVIIe siècle.
lumière, ou ventilation. Les minarets de Sanaa ont leur style
Le rôle du plâtre blanc est ici propre ; ils s'accordent avec le décor des
chargé de sens. En plus de her maisons-tours. Elevés en briques ocres
les éléments de la façade, il comme celles-ci, ils sont ornés de reliefs
souhgne les ouvertures, les orne, couverts de plâtre ; et l'on retrouve ici des
en exagère ou dissimule les frises horizontales aussi bien que verti-
dimensions. Créant l'illusion, il cales. Posé sur une base carrée, le fût du
oriente en quelque sorte le regard minaret est d'abord cylindrique puis poly-
sur la fenêtre plutôt qu'à l'inté- gonal. Une corniche précède la petite
rieur. Au bout du compte, on peut coupole du sommet. Ce travail de briques
penser que ces ouvertures dési- saillantes, si répandu à Sanaa, pourrait
gnent mieux qu'un mur plein, être originaire d'Asie centrale"1' ; il se
aveugle, la hmite entre l'extérieur serait développé chez les tribus turques
et l'intérieur de la maison. du XIe siècle. C'est par la Perse et la Méso-
L'impression d'ensemble est potamie que la technique serait parvenue
étonnante. Les tracés blancs - au Yémen. Par des rappels de formes, de
dentelle lourde - qui parcourent couleurs et de matériaux, les minarets
les façades donnent aux maisons- s'intègrent à l'ensemble architectural de
tours des allures d'apparat. la ville et même au paysage entier.
Depuis la rue, la perspective of- De tout temps, historiens et aven-
ferte est celle d'un « déploiement turiers ont décrit les terres d'Arabie :
poétique et princier"1 ». Ptolémée dans l'Antiquité, Niebuhr au
Les nombreuses mosquées XVIIIe siècle, Doughty au XLXe siècle et
qui parsèment le paysage de bien d'autres encore. Ces mêmes terres
Sanaa remontent dans certains ont aussi fasciné poètes et écrivains
cas au tout début de l'Islam. Au d'Occident. Shakespeare, Rimbaud, et
fil de reconstructions, de restau- Henri de Monfreid sont parmi eux ; plus
rations et de constructions récemment, le cinéaste Pasolini alla y
nouvelles, elles ont accumulé chercher le décor de ses Mille et Une
l'éventail d'influences artistiques Nuits.
qu'elles reflètent aujourd'hui'. A une époque, le royaume de Saba
De ce point de vue, les XIIIe et XVe fut célèbre depuis Rome jusqu'à l'Inde. Il
siècles furent marquants. Le pre- eut aussi une reine dont la visite légen-
mier, période prospère au daire au roi Salomon est évoquée dans le
Maison-tour : Yémen, laissa des mosquées Coran comme dans la Bible. Cette reine
disposition hiérarchique des fenêtres.
prestigieuses; le second, correspondant fut le sujet de fresques et de vitraux dans
au début de la conquête ottomane, vit les églises médiévales d'Europe ; elle fut
l'introduction des modèles d'Istambul et aussi celui de miniatures persanes<7).
en particulier celle de la grande coupole. Aujourd'hui, la bibhothèque de manus-
crits anciens de Sanaa est très riche ; elle internationale"". Italie, Pays-Bas, ( 1 ) Lewcock, Ronald. The OUI Walled City of Sana, Unesco,
Paris. 1986.
rivalise avec celles du Caire et de Norvège, Allemagne, France, République
Kairouan1"'. de Corée, Suisse, Japon et Etats-Unis (2) Caubet, Annie. Aux sources du monde arabe: l'Arabie
avant l'Islam, Institut du Monde Arabe et Réunion des musées
Depuis vingt à trente ans, le pays répondent à l'appel. En 1986, l'Unesco nationaux, Paris, 1990.
s'ouvre. La capitale yéménite se moder- inscrit Sanaa sur la Liste du patrimoine (3) Collectif, Sanaa: parcours d'une cité d'Arabie. Institut
du Monde Arabe, Paris, 1987.
nise et le processus entraîne, bien sûr, mondial; elle y rejoint une autre ville
une série de contradictions. Dès 1972 yéménite, Shibam, inscrite depuis 1982'"'. (4) Daum, Werner, éd., Yémen: 3000 years of Art and
Civilisation in Arabia Felix, Pinguin-Verlag, Innsbruck. 1988.
cependant, des politiques et des mesures Le Yémen, avec l'appui international,
(5) Caspar, Lorand, • Arabie heureuse -, La Noutvlle Revue
de sauvetage étaient élaborées. Le patri- continue de veiller à la sauvegarde de Française, 450-451, p. 42-69.
moine culturel de Sanaa ferait désormais Sanaa : une deuxième campagne de res- (6) Lewcock, Ronald, - Les mosquées prestigieuses du Moyen
l'objet d'une attention spéciale au Yémen : tauration est en cours et une troisième est Age yéménite», Dossiers de l'archéologie. 33. mars-avril
1979. p. 97-106.
le gouvernement s'est doté d'une loi prévue. Le programme s'étendra sur une
protégeant, avec des moyens très limités, quinzaine d'années encore. (7) Pirenne, Jacqueline. • Bilqis et Salomon : la reine de Saba
dans l'histoire». Dossiers de l'archéologie, 33. mars-avril
l'ensemble du patrimoine et en particulier C'est dans le cadre ancien de cette ville 1979, p. 6à 10,
celui de la vieille ville de Sanaa. La parti- d'art et d'islam qu'ont lieu de nos jours (8) Soliman, Lotfallah. « Sanaa, perle de l'Arabie »,
Le Courrier de l't'nesco, octobre 1991.
cipation des citoyens est encouragée. En des rencontres artistiques internationales
1984, à la suite d'inventaires et d'études, sur des thèmes tels la poésie et la tech- (9)Legendre-De Koninck, Hélène. - Les villes du patrimoine
mondial : capitales du temps ». Cahiers de Géographie
et après la conclusion d'ententes entre le nique du vitrail. Tout récemment, un du Québec, 35, 94, avril 1991, p. 9-97. L'article est repris
gouvernement et l'Unesco, un décret dans Cités souvenir, cités d'avenir. Villes du patrimoine
colloque sur l'intégration urbaine et mondial. Musée de la civilisation, Québec, 1991, PP 31-171
présidentiel place la restauration et la conservation du coeur historique de (pages impaires).
sauvegarde de Sanaa sous l'autorité d'un Sanaa était organisé par l'Unesco. Et tout
Haut Comité et le directeur général de un potentiel archéologique reste encore à
l'Unesco lance un appel à la communauté découvrir!n